mercredi, 09 janvier 2008
Propagande et homogénéisation des opinions publiques

Ernst BRANDL :
Propagande et homogénéisation des opinions publiques
Celui qui voudra, au 21ième siècle, écrire quelque chose sur la « propagande », devra commencer par lire les ouvrages de Harold D. Lasswell. A la fin des années 20 du 20ième siècle, Lasswell publia un livre intitulé « Propaganda Technique in the World War », devenu depuis lors un véritable classique sur les propagandes et les récits d’horreur élaborés par les parties belligérantes pendant la première guerre mondiale. D’après Lasswell, la propagande de guerre vise quatre objectifs : 1) mobiliser la haine contre l’ennemi, 2) renforcer l’amitié entre les alliés, 3) élaborer des modèles de coopération amicale à l’égard de puissances neutres, 4) démoraliser l’ennemi. Ces objectifs de la propagande de guerre n’ont guère changé depuis cette époque.
Entre-temps, tout le monde sait que les gouvernements engagent désormais des entreprises spécialisées en propagande pour dorer leur image dans d’autres pays ou pour créer de toutes pièces des images déformées de leurs adversaires ou encore pour préparer directement des guerres. Dans les guerres qui ont ravagé les Balkans récemment, de nouvelles constellations stratégiques ont vu le jour : les gouvernements en guerre confiaient leurs propagandes à des agences spécialisées qui transformaient, via leurs nombreux canaux de communication, leurs communiqués en messages plausibles. Le travail presté par ces agences a conduit à une forte homogénéisation de l’opinion publique aux Etats-Unis et dans les sociétés occidentales : le gouvernement américain, Amnesty International, Human Rights Watch, Freedom House, l’United States Institute of Peace, la Fondation Soros, les intellectuels libéraux de gauche, de vastes portions de l’aire intellectuelle conservatrice, les Nations Unies, l’univers médiatique en général, ainsi que les gouvernements de Zagreb et de Sarajevo, les chefs des Albanais du Kosovo et l’UçK : tous avaient, peu ou prou, à quelques nuances insignifiantes près, une lecture identique du conflit balkanique. Pour résumer de manière quelque peu lapidaire, cette lecture revenait à ceci : les Serbes sont tombés dans une folie nationaliste et veulent créer une Grande Serbie ; Slobodan Milosevic est un communiste impénitent, s’est proclamé « Führer » des Serbes, a attaqué avec l’armée fédérale yougoslave les républiques et les peuples non serbes, ce qui a entraîné des viols de femmes en masse, des épurations ethniques et des génocides. Les autres nations de l’ancienne Yougoslavie, les Slovènes, les Croates, les Bosniaques, les Albanais et les Macédoniens, étaient tous de gentils pacifistes, des peuples « démocratiques ». Telle était la vision des guerres balkaniques récentes véhiculée par les agences de presse et de propagande.
Le gouvernement croate a engagé de manière permanente de grandes firmes de propagande, de 1991 à 2002, pour que celles-ci défendent ses points de vue aux Etats-Unis. Au début du mois d’août 1995, l’armée croate déclenche l’opération « Sturm » ou « Tempête » et conquiert, en quatre jours à peine, la Krajina peuplée de Serbes. L’opinion publique américaine juge l’opération positive parce que l’agence Jefferson Waterman International l’avait bien préparée à la considérer comme telle. C’est ce que l’on peut appeler des « mesures accompagnatrices »…
Ernst BRANDL.
(article paru dans « zur Zeit », Vienne, n°50/2007).
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Evola: la thèse de Lippi

Julius Evola: la thèse de Jean-Paul Lippi
"L'Age d'Homme" publie Julius Evola, métaphysicien et penseur politique. Essai d' analyse structurale de Jean-Paul Lippi. Celui-ci souligne d'emblée la singularité de la pensée d'Evola en écrivant en introduction: « Le discours évolien se situe en effet au point de convergence, nécessairement problématique, de l'appel nietzschéen au “renversement de toutes les valeurs” et de la volonté guénonienne d'exposition d'une vérité supra-mondaine. Singulier rapprochement, peut-être intenable, car il apparaît pour le moins malaisé de concilier deux pensées aussi irréductibles, qui se déploient à partir de postulats radicalement divergents. La nécessité d'un dépassement du nihilisme occidental, prônée par le visionnaire de Sils-Maria, ne s'enracine dans aucune conception Traditionnelle du monde, alors que l'exposé guénonien demeure parfaitement étranger aux thématiques croisées de l'Eternel Retour et du Surhumain. Mais c'est cette dualité qui confère au discours de l'auteur de Révolte contre le monde moderne sa tonalité si particulière et en explique l'influence sur plusieurs générations d'intellectuels et de militants politiques. Sans Guénon, Evola aurait pu n'être qu'une manière de Rebatet italien; sans Nietzsche, il n'aurait à coup sûr été qu'un penseur de la Tradition parmi d'autres, sans doute inférieur pour la rigueur des analyses à un Frithjof Schuon, un Titus Burkhardt ou un Ananda K. Coomaraswamy. Pour cette raison, et sans méconnaître pour autant le rôle qu'ont pu jouer dans la formation intellectuelle du jeune Evola d'autres auteurs que lui-même cite, il nous parait infondé de dissocier, et plus encore de hiérarchiser, les importances respectives des deux écrivains, l'Allemand et le Français. Nous ne pouvons donc pas suivre Pierre-André Taguieff lorsque celui-ci affirme: "De façon générale, on ne peut que tomber d'accord avec l'hypothèse de Piero Di Vona, selon laquelle l'influence de René Guénon sur la formation de la pensée d'Evola a été plus importante que celle d'un Nietzsche ou d'un Spengler". Plus proche de la réalité nous semble être l'analyse de Christophe Boutin, pour qui: "L'influence de Frédéric Nietzsche court donc sous l'analyse évolienne". Si l'on juge l'arbre à ses fruits et si l'on essaie de déterminer l'influence de la pensée évolienne en France, on s'apercevra que son influence, contrairement à l'œuvre de Guénon, est quasiment insignifiante sur ceux qui se sont engagés dans une voie spirituelle. L'influence évolienne s'est donc exercée essentiellement sur quelques esprits libres dans le domaine culturel et politique. Force est de constater que cette influence n'a jamais dépassé , contrairement à l'Italie, le stade la réflexion intellectuelle ou esthétisante ».
Jean de BUSSAC.
Jean-Paul LIPPI, Julius Evola, métaphysicien et penseur politique. Essai d'analyse structurale, 1998, L'Age d'Homme (5 rue Férou, F-75.005 Paris), 312 pages.
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mardi, 08 janvier 2008
Le fascisme entre Occident et Orient

Le fascisme entre Occident et Orient
Les rapports entre le régime de Mussolini et les nationalistes orientaux : une page d’histoire oubliée
A la fin des années 20, le fascisme cherchait à avoir des rapports stables, dans une perspective anticapitaliste et anticommuniste avec les mouvements nationalistes du Moyen Orient et de l’Extrême-Orient, comme le prouvent les contacts avec le nationalisme hindou, les visites de Gandhi et de Tagore en Italie…
Lors de sa visite en Libye, entre le 12 et le 21 mars 1937, Mussolini reçut du chef arabe Youssouf Kerbish l’épée de l’islam. Le remise de cette épée ne fut pas un acte purement formel ou symbolique mais bel et bien un acte politique : « Les musulmans voient en toi », dira Kerbish au Duce, « un grand homme d’Etat qui guide notre destin d’une main ferme ».
Toutefois, en dépit de ce geste symbolique et politique, l’histoire des rapports entre Mussolini et l’Orient, entre le fascisme et les nationalismes arabe, chinois, indien et japonais, a commencé bien avant 1937. Dès le lendemain de la fondation des « fasci di combattimento », le futur Duce annonçait dans les colonnes du journal « Popolo d’Italia », le 26 août 1919, que « sans vouloir tourner le dos à l’Occident… la politique extérieure italienne se portera vers l’Orient, se tournera vers lui, de l’Albanie au Japon ».
Durant le régime, on a vu naître en 1933, l’Institut Italien pour le Moyen et l’Extrême-Orient. Avant cela, en 1932, une revue bimestrielle avait également vu le jour, intitulée « L’Avvenire Arabo » et Radio Bari émettait en langue arabe.
A la fin des années 20, le fascisme cherchait à avoir des rapports stables avec les mouvements nationalistes d’Orient, à entretenir des contacts avec le nationalisme indien. L’Italie accueillit Gandhi et Tagore. Le régime portait une attention particulière aux intérêts italiens en Chine, intérêts « susceptibles de se développer », comme l’écrivait le Duce à l’ambassadeur Aloisi, le 18 octobre 1928. Il faut également rappeler les contacts entre l’Italie fasciste et l’Emir Chekib Arslan ainsi qu’avec le Mufti de Jérusalem. Tous ces faits, aujourd’hui oubliés ou ignorés, témoignent de l’importance réelle que le fascisme accordait à la politique étrangère de l’Italie au Moyen Orient et en Extrême-Orient. On dit et l’on écrit souvent que la politique extérieure du régime mussolinien en Orient était une arme brandie par le Duce pour agacer ou faire chanter les puissances occidentales. C’est évident : le machiavélisme avoué du Duce permet cette interprétation mais, toutefois, il me paraît impossible de nier l’excellence voire la pertinence des tentatives de pénétration fasciste au Yémen, en Egypte, en Palestine, en Irak et en Arabie Saoudite.
En réalité, l’histoire de ces rapports entre fascisme et Orient révèle, une fois de plus, la césure qui existait entre théorie fasciste et praxis mussolinienne pendant tout le Ventennio. La théorie fasciste réclamant un rapprochement entre Orient et Occident dans une perspective anticapitaliste et anticommuniste se verra sacrifiée sur l’autel d’une pratique colonialiste à visage humain demeurant toutefois étrangère au projet d’une nouvelle culture et d’une grande politique internationale. Ce projet qui s’inscrivait dans le filon du « fascisme universel », pensé par Arnaldo Mussolini, hiérarque du mouvement très attentif aux vicissitudes politiques du vaste Orient. Ce « fascisme universel » se voulait une force alternative au racisme nazi émergent et à l’exploitation colonialiste généralisée, pratiquée par les démocraties capitalistes, suivant en cela le modèle anglais.
C’est dans cette opposition à l’Angleterre qu’il faut trouver l’arrière-plan politique et culturel de l’histoire des rapports entre le fascisme et l’Orient. Lorsque, le 22 décembre 1933, cinq cents jeunes donnent le coup d’envoi, dans la salle Jules César (Giulio Cesare) du Campidoglio, à la « semaine romaine des étudiants orientaux », Benito Mussolini, ouvrant les travaux, déclara que, dans l’antiquité, Rome avait créé en Méditerranée un empire faisant le pont entre l’Orient et l’Occident, mais que dans les siècles ultérieurs, cette continuité avait été interrompue ; l’Orient avait alors été considéré seulement comme une source de matières premières ou comme un ensemble de marchés. Contre cet état de choses, le fascisme entendait réagir et développer un projet unificateur. Aux paroles du Duce, plusieurs étudiants orientaux réagirent avec enthousiasme ; parmi eux, une étudiante indienne, un étudiant syrien et un étudiant iranien. Mais les suites de cette « semaine romaine » ne correspondirent en rien aux promesses faites, parce que la culture nationaliste et, pour parler comme Renzo De Felice, la culture catholique-nationale, barra la route à la « modernité » que voulait le fascisme dès le départ, qu’il recelait littéralement en ses gènes. Le compromis entre le fascisme et le nationalisme classique italien empêcha, en ultime instance, Mussolini de sortir de l’ornière de la politique habituelle de l’Italie en Méditerranée orientale. Ce blocage fut réel malgré les espoirs que le Duce avait fait naître dans le monde arabe, espoirs que traduisit parfaitement l’intellectuel libanais Amir Er-Reihani dans les colonnes d’ « Avvenire arabo » : « Une seule mesure pour la justice. Une seule mesure pour le respect. Une seule mesure pour l’intérêt. J’observe aujourd’hui en Italie des choses qui nous encouragent à croire que les principes fascistes, ou, mieux, les nouvelles directives politiques du Duce, sont, plus que tous les autres, proches de ces normes fondamentales qui devraient régir les rapports humains et internationaux ».
La Rome fasciste aurait pu et dû devenir un point d’ancrage sûr pour les indépendantistes arabes. Ceux qui considéraient le fascisme en termes d’universaux percevaient sincèrement dans le nationalisme arabe un allié dans la bataille culturelle et politique contre le marxisme et le capitalisme, dans l’affirmation d’un idéal de justice sociale et éthique. L’exemple paradigmatique de cet idéal s’apercevait à l’époque dans le mouvement « Jeune Egypte », fondé en 1933. Ce mouvement avait à sa tête un chef très jeune, Ahmad Hussein. Il disposait d’une structure paramilitaire faite d’escouades de soldats politiques en chemises vertes, saluant le bras droit tendu, à la mode romaine. Autre exemple : les rapports entre l’Italie et le Grand Mufti de Jérusalem, Hadj Amin Ali al Husseini, qui inquiétaient beaucoup les Anglais. Ces rapports nous montrent aujourd’hui encore quels espoirs et quelles sympathies le fascisme avait éveillés dans tous les mouvements qui luttaient pour leur propre indépendance nationale.
Seule une historiographie superficielle et tendancieuse peut avoir l’arrogance de déclarer aujourd’hui, de manière expéditive, que cet aspect particulier du fascisme historique était velléitaire, quand il se posait comme lien entre l’Orient et l’Occident, prouvant par là même qu’il avait deviné intuitivement, il y a plus de 70 ans, que l’attitude du monde occidental était désastreuse et obsolète dans cette région importante du monde, où il voulait tout régenter seul.
L’erreur historique de Mussolini fut de ne pas avoir traduit en termes politiques, actifs, concrets et cohérents cette intuition. Mais cette erreur relève de Mussolini personnellement et non pas du fascisme en tant que mode de penser et de pratiquer la politique. « Les objectifs historiques de l’Italie portent deux noms : l’Asie et l’Afrique, le Sud et l’Orient (…) ; il ne s’agit pas de conquêtes territoriales mais d’une expansion naturelle, devant conduire à la coopération entre l’Italie et les nations du Proche et du Moyen Orient. L’Italie est en mesure d’assumer cette fonction. Sa position en Méditerranée -une mer qui est destinée à reprendre sa fonction historique de relier l’Occident à l’Orient- lui donne ce droit et lui impose ce devoir. Nous n’avons nulle intention de revendiquer des monopoles ou des privilèges mais nous désirons et voulons obtenir que les parvenus, les privilégiés et les partisans du statu quo ne s’ingénient plus à bloquer de partout l’expansion spirituelle, politique et économique de l’Italie fasciste », avait déclaré Mussolini. Des fascistes en vue comme Carlo Formichi, Ettore Rossi et Arnaldo Mussolini cherchaient à conjuguer théorie et pratique et, partant, proposaient le fascisme comme solution concrète et actuelle aux problèmes d’un Occident en pleine phase de sénescence, cherchant à tout prix à conserver le statu quo, tout en titubant vers son inéluctable déclin ; de même, ce fascisme se voulait une solution aux problèmes de l’Orient en pleine effervescence, aspirant à se donner un destin nouveau. La solution résidait en un nouveau projet politique, social et culturel pour le monde, capable de libérer les idées et les énergies nouvelles germant au sein des nations jeunes et « prolétariennes », tant en Occident qu’en Orient.
La seconde guerre mondiale a eu de multiples causes et, parmi celles-ci, il y a eu la volonté des nations conservatrices de résister à ce nouveau projet politique d’envergure internationale. Un demi siècle de confusion politique en Orient et en Occident s’en est suivi, désordre qui prouve amplement la pertinence de ce projet avorté. D’autant plus, qu’après la seconde guerre mondiale, l’Orient (et en particulier le monde arabe) n’a eu de cesse de chercher des solutions à ses propres problèmes, notamment en tentant la voie du socialisme national, qui présente quelques similitudes avec le fascisme (le mouvement Baath nous montre que la réalisation du socialisme est une nécessité à condition qu’il émerge du sein même de la nation arabe, c’est-à-dire en niant le concept de lutte des classes et en concevant la propriété comme un droit naturel garanti, tout en contestant le système capitaliste).
Mais l’histoire, l’apogée et le déclin du baathisme constituent une autre thématique, que nous aurons bientôt l’occasion d’aborder.
Michelangelo INGRASSIA.
(article paru dans le mensuel « Area », Rome, juillet/août 2000 ; trad. franç. : Robert Steuckers).
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Un entretien avec Georges Dumézil

Un entretien avec Georges Dumézil
Lors d'une interview de Georges Dumézil (55 min) sur ses recherches, sont abordés les thèmes suivants :
Les populations et langues indo européennes, et leur progression dans l'espace Européen.
Les mythes et la mythologie, et leur importance dans la restitution de notre identité.
Mais aussi les trois fonctions et la structure antique des sociétés européennes : la première fonction dite de souveraineté, politique et religieuse (oratores), la seconde fonction de la défense et de la sécurité (bellatores) et enfin la troisième fonction qui a trait à la reproduction aux échanges et à la fécondité (laboratores).
Notre monde crève aujourd'hui du surdimensionnement de cette troisième fonction !!!
Sont aussi abordés les différences entre l'âme Européenne et les Monothéismes...
Monothéismes qui ont aboutis à créer tant d'intolérances, qu'elles soient spirituelles ou économiques.
Bref 50 minutes à écouter, et à réécouter, ou à faire connaître pour qui cherche des repères dans ce monde de Barbares !!!
http://www.dailymotion.com/robertofiorini/video/x3rsds_le...
Toute littérature qui permettra d’étoffer cette interview est la bienvenue
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lundi, 07 janvier 2008
Du dextrisme

Un texte de la polémique interne aux "Nouvelles Droites", qui fit rage en 2000. Elle mérite une lecture attentive, mais avec le recul voulu...
Patrick CANAVAN :
Du Dextrisme
Dans le cadre du débat qui agite la nouvelle droite française, Patrick Canavan, collaborateur de Vouloir et de Nouvelles de Synergies Européennes, présente sa propre définition du "dextrisme", néologisme qui doit désigner, selon lui, le microcosme néo-droitier. Il est clair que Canavan prend parti pour l'orientation Faye/Vial, tout en restant critique.
"Soyons des donneurs de sens" (Pierre Vial).
" Notre terre, c’est l’Eurosibérie, l’Empire du Soleil, le domaine d’Apollon et de Dionysos, de l’Atlantique au Pacifique, immense espace sur le quel le soleil ne se couche jamais " (Guillaume Faye).
Parallèlement au numéro 11 de Vouloir, dossier important consacré aux nouvelles droites, il a paru bon d’évoquer les récentes publications issues de cette mouvance dextriste pour apprécier comment sont analysés les principaux enjeux idéologiques de l’an 2000. Par Nouvelle Droite, on entend généralement le GRECE groupé autour du seul Alain de Benoist. Parler de nouvelles droites, au pluriel et sans majuscule paraît plus fidèle à la réalité. Le terme "dextrisme" pourrait définir un état d’esprit, une vision de l’homme et du monde dont nul n’a le monopole et ignorant l’orthodoxie.
Pierre Vial, professeur d’histoire médiévale à Lyon III, fondateur du GRECE (en mai 68!) et animateur de Terre et Peuple s’est plié au jeu de l’entretien avec O. Chalmel qui dirige la revue de cette association pour une culture enracinée (1). Le résultat est excellent: l’entretien est vivant, libre et nous apprend énormément sur le personnage, nettement plus complexe que l’image du militant national-populiste habituellement colportée. Guillaume Faye paie sa dette intellectuelle et spirituelle à son vieil ami dans une belle préface: Vial fut, avec G. Locchi, J. Mabire, D. Venner, l’un des maîtres du jeune Faye, qui s’imposa vite comme l’un des principaux esprits, sans doute le plus novateur, du GRECE, dès 1973. Faye définit bien Vial comme une sorte de moine-soldat, perdu dans ce stupide XXème siècle... Pour le XXIème, je n’en dirais pas autant puisqu’il verra se réincarner - comme Faye l’a bien montré dans son Archéofuturisme - des figures plus qu’anciennes. Vial est de celles-ci. On pense aussi au sanglier, qui "n’attaque que pour se défendre", mais alors quelle charge! Et c’est vrai que la prose de Vial dégage un fumet de gibier, de fortes odeurs forestières qui peuvent heurter les narines de certains, plus habitués à la nouvelle cuisine.
Faye définit aussi l’association Terre et Peuple - allusion claire au sang et au sol, ce qui se transmet de générations en générations - comme " la principale force de combat et d’action métapolitique et culturelle pour l’idée européenne ". Il rappelle aussi que la métapolitique bien comprise n’est jamais entièrement coupée du politique, sous peine de neutralisation. On ne demande certes pas aux théoriciens de coller des affiches ni d’abdiquer leur esprit critique, mais de ne pas démobiliser ceux qui se sentent faits pour le combat au quotidien, les militants.
La lourde hérédité de Pierre Vial
Celui qui s’est imposé comme l’un des spécialistes de l’Ordre du Temple, est manifestement fier de ses ascendances lyonnaises et mal-pensantes: un ancêtre blanquiste, un autre poilu de la Grande Guerre, on voit que l’hérédité du Professeur est lourde. A lire ses évocations du Lyon de sa jeunesse, de son père bonapartiste, on comprend mieux l’organicisme quasi obsessionnel de P. Vial, cette conception très charnelle de l’héritage. D’avoir vu son père pleurer le jour de la chute de Diên Biên Phu a marqué cet adolescent à jamais, l’entraînant sur des chemins périlleux dont il n’a pas dévié d’un pouce. Itinéraire impeccable, via recta qui forcent le respect, même si l’on nuancera tel ou tel point. Mais l’essentiel est là, dans l’attitude. Or comme disait Drieu: " on est plus fidèle à une attitude qu’à des idées ". Sur ce plan-là, Vial se qualifie benoîtement de " nationaliste révolutionnaire ", de " gibelin " et même, horresco referens, de paganus, ce qui, pour un élève des Pères n’est pas gentil. Mais voilà, Vial est l’un de ces Gentils (en grec: ethnikoi) qui regrettent l’absence toute provisoire des Druides. Ceci ne fait pas de lui un rêveur inoffensif.
Après ses premières armes au sein de groupes subversifs (notamment Jeune Nation avec D. Venner), il est l’un des fondateurs du GRECE, et l’une de ses chevilles ouvrières jusqu’en 1987, date de son passage au FN. Son témoignage sur ces vingt ans de combat culturel est du plus haut intérêt puisqu’il couvre la grande époque de la nouvelle droite originelle aujourd’hui éclatée. Elle innove et suscite alors de grands débats: les Indo-Européens, l’inné et l’acquis, les races, l’égalitarisme, l’eschatologie judéo-chrétienne, le paganisme, l’éthologie, Schmitt et Gehlen, etc. Un feu d’artifice. Mais comme le montre bien Vial, qui connaît ce mouvement de l’intérieur (et y a gardé quelques amis), le GRECE subit l’usure, ignore pour des raisons obscures de grands problèmes, tel que l’immigration non européenne. Surtout, son chef prend systématiquement ses distances avec ce qui pourrait ressembler à une application concrète des grands principes. Le réel semble lui soulever le coeur. Vial est sévère, comme tous les amis déçus: le GRECE, à la fin des années 80, " se mord la queue ", perd toute prise sur une réalité de plus en plus dramatique.
Naguère A. Imatz, dans son excellente synthèse Par delà droite et gauche (Ed. G. de Bouillon, Paris 1996, recensé à l’époque dans Vouloir) avait déjà fait le même diagnostic en parlant de stagnation. Et si cette association avait été la principale victime du succès de Le Pen? La hantise d’être amalgamé au clan populiste (aux insuffisances bien réelles !) n’a-t-elle pas poussé certains à se distancier au point de perdre le contact, ou à renoncer à dire le fond de leur pensée?
Refuser l'académisme pour prôner le rêve et l'action
Le médiéviste nous livre des réflexions profondes sur l’essence du pouvoir. Servi par une culture historique sans rien de sec, Vial a médité, malgré son activisme débordant, sur le Politique; il est manifestement un disciple de Julien Freund. Le pédagogue a aussi planché sur l’indispensable formation des militants, auxquels il voue un amour sincère (toujours ce côté charnel, boy-scout diront les malicieux): Vial sait que l’idée doit toujours s’incarner et que sans soldats prêts à les défendre, elles ne sont que prétexte à notes en bas de page. Plaisant paradoxe que cet universitaire qui, n’ayant rien à prouver dans le domaine de l’érudition alimentaire, refuse l’académisme démobilisateur pour prôner et le rêve et l’action!
Nuançons tout de suite le propos et ne soyons pas hagiographes: du reste ce drôle de moine ne doit pas apprécier les Vies de saints, ou alors pour y retrouver les traces de l’ancienne religion! Terre et peuple, sang et sol, en bref l’héritage. Fort bien. Et l’Esprit? N’y a-t-il pas risque de matérialisme grossier, voire de malentendu. Blut und Boden et exaltation de la horde: tout ceci est connu, diabolisable à l’infini, et, surtout, a montré ses limites. Le piège serait le mimétisme, le jeu de rôle (tribalisme virtuel et saine barbarie), l’ambiguïté, postures toutes les trois impolitiques et irréalistes. Or Aristote le disait fort bien: la Politique est l’art du possible. Hors de ce constat, point de salut.
A propos de l’inévitable accusation de racisme , Vial rappelle que l’identité compte trois composantes: la race (" qui conditionne beaucoup de caractères " remarquons qu’il ne dit pas " tous les caractères "), la culture (et l’éducation comme dressage) et la volonté (facteur aujourd’hui déterminant car indispensable pour refuser le métissage). Voilà des idées à développer, ainsi que celle de différence et de (légitime) préférence. Tout un travail d’encyclopédiste à effectuer sur le vocabulaire. Naguère, Faye et Steuckers avaient publié un exemplaire lexique du partisan européen, qu’il conviendrait de refondre avec l’aide d’une équipe dextriste mêlant les sensibilités et les générations: de Mabire à Racouchot par exemple.
Une géopolitique aux intuitions justes
Comme son ami Faye, comme Steuckers, autre gibelin, Vial se révèle géopoliticien aux intuitions justes: " Il faut penser à l’Eurosibérie, à l’espace eurosibérien, au grand empire que peut être un jour l’Europe et son prolongement en direction de l’Asie. Là il y a des éléments de motivation, de mobilisation psychique et d’enthousiasme capables de parler à l’imaginaire des gens qui ont vingt ans ". Un livre sur la nécessaire confédération impériale est d’ailleurs en chantier dans les scriptoria de Terre et Peuple. Lors du colloque de mai 2000, qui fut un franc succès (350 personnes enthousiastes, dont une majorité de jeunes) un appel appuyé à l’Eurosibérie ethnocentrée (et même au Sacrum Imperium) a été lancé par les divers orateurs, comme en témoigne le compte-rendu assez objectif publié par Le Monde (30 mai 2000).
On trouvera dans ce livre qui fera date des textes plus anciens de Vial publiés dans Eléments, Identité, Questions de, etc. et traitant des marottes du Professeur: la guerre et le sacré, la forêt, Merlin, Vincenot. Ce florilège se termine par une belle exhortation au mouvement identitaire grand-continental, nécessairement multipolaire, ce Mouvement Social d’Empire dont l’Eurosibérie a besoin.
Une condamnation de l'ethno-masochisme
Après le Nouveau discours à la nation européenne et l’Archéofuturisme, G. Faye revient avec un livre explosif tout simplement intitulé La colonisation de l’Europe. Discours vrai sur l’immigration et l’Islam. Pour en parler, la prudence s’impose, vu que la République, dans son infinie bonté, s’est dotée de lois liberticides restreignant le débat sur cette question essentielle: le devenir anthropologique de l’Europe. L’essai (350 pages) est torrentiel, comporte parfois des redites, des approximations (des chiffres cités seraient inexacts), mais quelle rupture avec l ’idéologie dominante! (2) Quelle condamnation de l’ethnomasochisme occidental dans ce cri d’alarme face à la submersion de notre continent par des masses souvent musulmanes parties à la recherche de l’Eldorado, tels les miséreux du roman déjà ancien de J. Raspail: Le camp des saints. Refusant à la fois la naïveté prométhéenne et le caritarisme chrétien, Faye nous met en garde contre les utopies assimilationnistes et communautariennes. Il rappelle que le conflit, le rapport de force, même codifiés, demeurent les fondements de la vie sociale. Or aujourd’hui, le risque de fracture ethnique, de partition du territoire européen existe bel et bien. Pour lui, le socle bio-anthropologique de notre civilisation est en passe d’être profondément modifié. De façon très lucide, Faye met en lumière des phénomènes soigneusement cachés par les élites au pouvoir: la dévirilisation des Européens et la bestialisation des Africains (dans la publicité par exemple), l’ethnomasochisme des Blancs (haine de soi et mixomanie), la montée d’une guérilla raciale, la constitution comme aux Etats-Unis de tribus hostiles pratiquant la razzia et l’économie parallèle, etc.
Le GRECE hors du réel
Suivant les thèses développées par le politologue Alexandre del Valle dans ses deux livres déjà classiques sur l’instrumentalisation de l’Islam combattant par Washington pour diviser le continent (Golfe-Balkans-Tchétchénie), de l’immigration incontrôlée pour le saper de l’intérieur, Faye évoque la thèse d’une alliance (temporaire) entre thalassocrates et islamistes. Il critique aussi le risque de démobilisation de la mouvance identitaire par certains théoriciens de l’actuel GRECE qui tiennent des propos franchement irréalistes sur l’immigration, aux lisières du politiquement correct, et surtout en rupture complète avec la simple observation du réel. Des rumeurs d’éventuel procès contre G. Faye ayant filtré en mai 2000, nous conseillons à nos lecteurs de se procurer sans tarder ce livre authentiquement subversif et idéologiquement délinquant qui place son auteur parmi la cohorte des déviants, pourchassés par les inquisiteurs et respectés par les hérétiques du moment. Une critique, justement signalée par divers lecteurs (R. Steuckers dans ses passionnantes lettres électroniques – robert.steuckers@skynet.be ainsi qu’un mystérieux Cercle Gibelin cerclegibelin@hotmail.com) : l’allusion récurrente à la guerre ethnique peut être dangereuse auprès de jeunes esprits non encadrés car comprise de travers comme un appel à la guerre civile, distorsion que les adversaires ne manqueront pas d’exploiter.
Après ces deux livres remplis de sève, volcaniques et radicaux, abordons maintenant deux titres qui illustrent la démarche de l’actuel GRECE.
A l’occasion du colloque de janvier 2000 sur la désinformation, l’association publie un Manifeste pour une renaissance européenne, rédigé par Alain de Benoist et Charles Champetier, les idéologues de cette mouvance (3). Malgré des aspects intéressants (le monde comme pluriversum, le cosmos comme continuum), le texte en est décevant: ton compassé, langue de bois, ambiguïtés et insuffisances sur des sujets graves. En voici un exemple, à propos de l’immigration: "ni apartheid ni melting pot: acceptation de l’autre en tant qu’autre dans une perspective dialogique d’enrichissement mutuel". Que signifie ce charabia "dialogique" qui fait penser aux brochures en faveur de "l’ouverture à l’Autre" (la majuscule aurait été préférable). Tout ceci serait comique si le sujet n’interdisait la légèreté: c’est de l’avenir de notre communauté dont nous parlons. Plus loin, les mêmes prônent une véritable reconnaissance dans la sphère publique des "différentes communautés qui vivent en France" (admirez l’euphémisme), bref, en clair, l’acceptation d’un droit islamique, et à terme, de la partition du territoire car on ne voit pas ce qui ferait reculer les élus musulmans et leurs institutions (nous parlons bien de "reconnaissance dans la sphère publique ") de réclamer leur territoire. Cela s’est vu et traduit par des millions de personnes tuées ou expulsées de force au Pakistan, au Bengladesh, au Kosovo. Est-ce cela le modèle proposé par le GRECE ? Qui mobilisera-t-il ?
Toujours au sujet de cette mouvance, signalons le recueil de textes Aux sources de la droite, publié par A. Guyot-Jeannin, journaliste du GRECE, qui avait déjà édité un décevant dossier Evola (4). Il récidive aujourd’hui avec ce livre où divers acteurs de la scène dextriste interviennent sur des sujets tels que l’Europe (J. Mabire), la résistance (P. Conrad), la Tradition (JP Lippi), les Lettres (d’Algange), les régions (JJ Mourreau), etc. Les textes cités ici, malgré leur taille réduite, sont parmi les plus intéressants de ce recueil assez inégal, où manquent les signatures d’un Venner, d’un Vial, et de G. Faye bien sûr. Ils semblent avoir été jugés indignes de figurer au sommaire du recueil, qui n’aborde pas les questions telles que la droite et l’ordre, la géopolitique, l’art, le temps, le paganisme (pour la religion, seul le catholique C. Rousseau a droit à la parole), etc. De même, appel n’a pas été fait à des écrivains : Raspail, Déon, Mourlet, de jeunes auteurs auraient pu ajouter leur grain de sel. On est surpris de ne lire aucun acteur politique : un Mégret, un Le Gallou, une I. Pivetti, voire un Bossi auraient pu être interrogés. Et Haider : n’était-ce pas le moment de voir ce qu’il pense ?
Guyot-Jeannin: travail incomplet et bâclé
Autre reproche : n’avoir interrogé que des Français alors que c’est en Italie, en Grande-Bretagne et pourquoi pas aux Etats-Unis que le courant néo-conservateur effectue un travail novateur. Rien sur la droite en Europe centrale et orientale, rien sur la Russie. Travail incomplet et bâclé dont l’objectif visible est davantage d’occuper le terrain que de tracer des pistes. Parisianisme et copinage, bref rien de fondateur. L’introduction de Guyot-Jeannin est du charabia d’inspiration pseudo-légitimiste (Pierre Boutang doit hurler là-haut !), la bibliographie fort pauvre quand on la compare à l’essai excellent d’Imatz cité plus haut. Plus grave, les sophismes abondent tel que celui-ci, dû à A. Guyot-Jeannin, qui fait ici preuve de sa clairvoyance habituelle: "Ce n’est pas parce que certains immigrés posent problème (sic) que les Français vivent dans la décadence, mais bien parce que les Français vivent dans la décadence que certains immigrés posent problème". Bel exemple d’ethnomasochisme et de mépris pour son peuple, le type même du discours aussi déconnecté que prétentieux. Pourquoi tenter de (maladroitement) culpabiliser ses compatriotes? Qu’y peuvent ces millions de Français sans fortune (qui n’ont pas le privilège de vivre à Neuilly-sur-Seine comme l’éditeur du recueil) forcés de cohabiter avec des allogènes de plus en plus nombreux, souvent hostiles? Se moquer des petites gens, les insulter n’a rien d’aristocratique mais relève du bourgeoisisme le plus puant. Comme si, en plus, l’immigration ne concernait que la France, la seule France ! Comme si la question était le " problème " posé par " certains " immigrés ! Accepte-t-il donc le principe même de l’immigration massive ? On reste confondu devant pareil aveuglement, exprimé avec tant de prétention. Si c’est cela la " droite essentielle ...
«La gauche réactionnaire» de Marc Crapez
Cette synthèse sur la droite souffre d’une autre lacune grave: les travaux novateurs de M. Crapez sur la naissance de la gauche réactionnaire et de la droite égalitaire (La gauche réactionnaire. Mythes de la plèbe et de la race, Berg 1997, préface de P.A.Taguieff et Naissance de la gauche, Michalon, 1999) ne sont pas utilisés. Or Crapez renouvelle l’analyse de la droite en affinant la vieille distinction, classique, due à R. Rémond, entre droites contre-révolutionnaire, bonapartiste et orléaniste. Son livre sur la gauche réactionnaire est du plus haut intérêt pour qui s’interroge sur les racines des nouvelles droites (voir " Vieilles gauches et nouvelles droites", pages 275-318). Crapez n’a pas été utilisé par les nouvelles droites comme il le mérite. Il distingue ainsi trois gauches (égalitaire, fraternitaire et libérale) et trois droites : la libérale (modérée ou libertarienne), conservatrice (libérale ou impériale), réactionnaire (traditionaliste ou populiste). Crapez souligne les contacts: le bonapartisme résulterait des noces d’une droite conservatrice impériale et d’une gauche égalitaire autoritaire. L’utilisation de ces concepts aurait permis une analyse autrement plus novatrice... et utile pour critiquer la gauche idéologique, que Crapez définit comme une extrême droite retournée (Le Figaro du 3 avril 1999): elle pratique un terrorisme intellectuel fort efficace, justifiant la fusion des peuples européens dans le grand métissage, préalable à leur neutralisation définitive en tant que porteurs de civilisation. La gauche idéologique est devenue le chien de garde de la Nouvelle Classe, bourgeoisie humaniste, universaliste et multiraciale. Au lieu de cela, Guyot-Jeannin inflige à ses lecteurs un ennuyeux prêt-à-penser.
Pour terminer, je citerai le livre de l’Allemand P. Krebs, Docteur ès Lettres, qui anime le Thule-Seminar. Lui aussi a fréquenté le GRECE : sa synthèse, Europe contre Occident (5), est un parfait manuel de résistance aux idéologies mortifères, dénuée quant à elle de toute concession à l’imposture, dans la veine de Faye et du jeune Alain de Benoist. Lisez Krebs avec les livres de Vial et de Faye : vous y retrouverez le même souffle, la même voix, celle des dissidents. La voix des Impériaux.
Patrick CANAVAN.
(1) P. Vial, Une terre, un peuple, Ed. Terre et Peuple, Paris 2000, 130FF. BP 1095, F-69612 Villeurbanne cedex,
www.geocities.com/Athens/Agora/3973/
(2) G. Faye, La colonisation de l’Europe. Discours vrai sur l’immigration et l’Islam, Aencre, Paris 2000, 145FF. 12 rue de la Sourdière, F-75001 Paris.
(3) A. de Benoist & C. Champetier, Manifeste pour une renaissance européenne, GRECE, Paris 2000, 50FF. 99-103 rue de Sèvres, F-75006 Paris, http://grece.hypermart.net Signalons aussi d’A; de Benoist, L’écume et les galets, Labyrinthe 2000, 280F. Recueil des chroniques anonymes publiées dans La Lettre de Magazine-Hebdo, revue de la droite radicale publiée par J.C. Valla et aujourd’hui disparue. A. de B. s’y révèle bon chroniqueur de l’actualité, et l’anonymat lui donne un punch souvent réjouissant.
(4) A. Guyot-Jeannin (éd.), Aux sources de la droite, Age d’Homme, Lausanne 2000, 130FF.
(5) P. Krebs, Europe contre Occident, Ed. Héritage européen, Overijse 1997 (voir à la Librairie nationale).
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Du texte au corps

Du texte au corps
The John Hopkins University Press : Harold B. Segel vient de sortir un ouvrage scientifique fondamental sur la renaissance du culte du corps à partir des premiers Jeux Olympiques de 1896 et à la suite des mouvements de gymnastique allemand (Turnverein) et tchèque (Sokol) et du scoutisme anglais. Les diverses formes d’expression corporelle indiquent une mutation dans l’esprit européen, qui tourne le dos au langage (ou à une culture basée exclusivement sur le langage et l’écrit) pour promouvoir d’autres formes expressives, plus gestuelles, mythiques, chorégraphiques et corporelles, culminant dans l’apologie de la guerre, du sport et de l’aventure. Des manifestations comme le “pantomine” de Max Reinhardt dans The Miracle sont des tentatives de revitaliser la langue littéraire par un appel aux expériences plus directes. Segel explore l’univers littéraire de d’Annunzio, Marinetti, Goumilev, Jünger, Hemingway, Montherlant et Saint-Exupéry, tout en montrant que la spiritualité sous-jacente dans leurs œuvres se démarque des apports du judéo-christianisme.
Harold B. SEGEL, Body Ascendant. Modernism and the Physical Imperative, 1998,ISBN 0-8018-5821-6, 312 pages, £30.00.
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dimanche, 06 janvier 2008
Decrecimiento y Progreso

Decrecimiento y Progreso
Alberto Buela(*)
Hemos sostenido en un artículo reciente que: “La idea de progreso, según nuestra opinión, tiene que estar vinculada a la idea de equilibrio de los efectos. Progreso en la medida en que las consecuencias o efectos del mismo se equilibran de tal forma que puedo realizar nuevos progresos sin anular los efectos del primero”.1
Queremos ahora profundizar en la relación entre decrecimiento y progreso, pues nos encontramos con dos hechos indubitables y evidentes, pero que al mismo tiempo se presentan como contradictorios. Por un lado tenemos la acumulación masiva de datos que muestran el desquiciamiento de los ecosistemas planetarios y el deshilachado del tejido social de la naciones tanto pobres como opulentas. Y por otro, el ansia y la tendencia natural del hombre al progreso. ¿Cómo compaginar estos dos hechos irrecusables por evidentes?.
Si bien la idea de decrecimiento fue manejada por el anarquismo clásico como los ludditas que destruían las máquinas al comienzo de la revolución industrial y reclamaban menos horas de trabajo para el estudio y la formación personal, esta idea fue enunciada por primera vez por el mejicano Ivan Illich por los años 60 cuyo apotegma fue: Vivir de otro modo para vivir mejor. A él le siguieron pensadores como Nicholas Georgescu y su propuesta de límites al crecimiento económico, Jacques Ellul que en 1981 proponía no más de dos horas de trabajo diario, para concluir en nuestros días con los trabajos del reconocido sociólogo Serge Latouche: Por una sociedad del decrecimiento(2004) y del ingeniero mejicano Miguel Valencia Mulkay: La apuesta por el decrecimiento(2007). Acaba en estos días de publicar el pensador Alain de Benoist Demain la décroissance. Penser l’écologie jusqu’a bout (Edite, 2007).
Se parte de la base que el crecimiento económico por el crecimiento mismo lleva en sí el germen de su propia destrucción. El límite del crecimiento económico lo está dando el inminente colapso ecológico. Hoy desaparecen 200 especies vegetales y animales diariamente. De modo tal que el crecimiento económico comienza a encontrar límites ecológicos (el calentamiento de la tierra, el agujero de Ozono, el descongelamiento de los Polos, la desertificación del planeta, etc.)
Es que la sociedad capitalista con su idea de crecimiento económico logró convencer a los agentes políticos, económicos y culturales que el crecimiento económico es la solución para todos los problemas. Así hoy el progresismo político ha rebautizado con los amables nombres de “ecodesarrollo”, “desarrollo sustentable”, “otro crecimiento”, “ecoeficiencia”, “crecimiento con rostro humano” y otros términos, que demuestran que este falso dios está moribundo.2
A contrario sensu de esta tesis el inimputable de George Bush sostuvo el 14/2/2002 en Silver Spring ante las autoridades estadounidenses de meteorología que: “el crecimiento económico es la clave del progreso ecológico”.
En realidad el pensamiento ecológico se va transformando sin quererlo en subversivo al rechazarla tesis de que el motivo central de nuestro destino es aumentar la producción y el consumo. Esto es, aumentar el producto bruto interno-PBI de los Estado-nación.
La idea de decrecimiento nos invita a huir del totalitarismo economicista, desarrollista y progresista, pues muestra que el crecimiento económico no es una necesidad natural del hombre y la sociedad, salvo la sociedad de consumo que ha hecho una elección por el crecimiento económico y que lo ha adoptado como mito fundador.
El asunto es ¿cómo dejar de lado el objetivo insensato del crecimiento por el crecimiento cuando éste se topa con los límites de la biosfera que ponen en riesgo la vida misma del hombre sobre la tierra?. Y ahí, Serge Latuche tiene una respuesta casi genial: avanzar retrocediendo.
Es decir, seguir progresando desactivando paulatinamente esta bomba de tiempo que es la búsqueda del crecimiento económico si límites. Y para ello hay que comenzar por un cambio en la mentalidad del homo consumans como designó nuestro amigo Charles Champetier en el libro homónimo, al hombre de hoy.
Sabemos de antemano que esto es muy difícil pues la sociedad mundial en su conjunto a adoptado la economía del crecimiento y vencer a los muchos se hace cuesta arriba, pues como afirmaba el viejo verso del romancero español: Vinieron los sarracenos
Y nos molieron a palos,
Que Dios protege a los malos
Cuando son más que los buenos.
El establecimiento de una sociedad del decrecimiento no quiere decir que se anule la idea de progreso4 sino que se la entienda de otra manera, tal como propusimos al comienzo de este artículo. Hay que dejar de lado de una vez y para siempre la idea de progreso indefinido tan cara al pensamiento ilustrado de los últimos tres siglos. Porque sus consecuencias nos sumieron en este estado de riesgo vital que estamos viviendo hoy todos los hombres sin excepción.
Debemos superar los aspectos nocivos de la modernidad en este campo, y sólo podemos hacerlo con una respuesta postmoderna que lleve un anclaje premoderno. Por ejemplo, rompiendo el círculo del trabajo para volver a trabajar intentando recuperar, no la pereza, como afirma Lafargue, ni la diversión como afirma Tinelli, sino el ocio= la scholé= la scholae= la escuela, esa capacidad tan profundamente humana y tan creativa que nos hace a los hombres personas.
No es tan difícil reestablecer en economía el principio de reciprocidad de los cambios tanto entre los hombres en el intercambio de mercaderías como entre el hombre y la naturaleza, volviendo a pensar a la naturaleza como amiga. Ese principio de reciprocidad que morigere la salvaje ley de la oferta y al demanda.
Si no lo hacemos se encargará con su fuerza interna de mostrárnoslo la propia realidad de las cosas, con la fuerza cruel que impone la pedagogía de las catástrofes.
(*) arkegueta- CeeS- Fed. del Papel
Casilla 3198 (1000) Buenos Aires
(1) Dos ideas distintas de progreso, en internet, octubre de 2007
(2) Miguel Valencia Mulkay: La apuesta por el decrecimiento (2007)
(3) Serge Latouche: Por una sociedad del decrecimiento (2004)
(4) Tampoco decrecer significa que se niegue el derecho a la vida, sobre todo de los pobres, como sostienen algunos eugenetistas y controladores de la natalidad.
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Nietzsche: affirmation et religion

Princeton University Press : Tyler T. Roberts, professeur assistant en études religieuses au Grinnell College, vient de publier un ouvrage intitulé « Contesting Spirit. Nietzsche, Affirmation, Religion » [Esprit contestataire : Nietzsche, Affirmation, Religion]. Roberts conteste la vision courante qui pose Nietzsche comme un penseur farouchement anti-religieux. Au contraire, le caractère résolument affirmatif de la pensée de Nietzsche fait de sa pensée une pensée fondamentalement religieuse, qui conteste seulement l’ambiguïté des positions ascétiques et parfois mystiques. De ce fait, Nietzsche transfigure les tropismes et les pratiques religieuses en rejetant la haine du corps et du monde. Nietzsche n’appartient pas à cette catégorie des philosophes du soupçon qui réduisent tout discours aux platitudes modernes et positivistes, mais un maître qui nous force à aller bien loin au-delà de celles-ci.
Tyler T. ROBERTS, Contesting Spirit. Nietzsche, Affirmation, Religion, O-691-00127-8, 1998, £13.95. Pour l’Europe commander à : John Wiley @ Sons, 1 Oldlands Way, Bognor Regis, West Sussex PO22 9SA. Customer@Wiley.co.uk
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samedi, 05 janvier 2008
Renaissance évolienne en Hongrie

Claudio MUTTI :
Renaissance évolienne en Hongrie
Le message évolien circule particulièrement bien dans l'Est de l'Europe.
Juste après avoir édité sous forme de brochure les résultats d'une recherche que nous avions menée sur les activités de Julius Evola dans certains pays de l'Europe centrale, et sur l'influence des écrits de cet auteur traditionaliste dans ces régions (Julius Evola sul fronte dell'Est, Ed. All'insegna del Veltro, Parma, 1998), nous avons eu connaissance de faits nouveaux qui confirment l'idée de départ de notre enquête, à savoir, la certitude d'une présence évolienne active et opérationnelle dans cette partie de l'Europe.
A cent ans de la naissance de ce penseur italien, l'intérêt des Hongrois pour l'œuvre d’Evola est un facteur culturel important, à tel point que le professeur Imre Madarasz, directeur du Département d'études italianistes de l'Université de Debrecen, dans un essai intitulé Un traditionaliste antitraditionnel: la découverte de Julius Evola, parle même d'un phénomène de « Renaissance évolienne ». D'autre part, les traducteurs du volume de mise à jour du Vlagirodalmi Lexikon (= Dictionnaire littéraire mondial), paru en 1996, ont jugé opportun d'insérer, aux pages 347-348, une nouvelle entrée : « Evola, Julius ». En ce qui concerne l'essai du professeur Madarasz, le sens de ce titre étrange est justifié par l'auteur lui-même par ces mots: « Le paradoxe suprême, le plus grand, le plus caractéristique et le plus instructif de l'œuvre et de la philosophie de Julius Evola est qu'en Europe aucun philosophe anti-traditionaliste n'a jamais été aussi actif que Julius Evola, qui est considéré comme l'un des (voire le plus significatif) penseurs traditionalistes les plus significatifs.
Pour l'homme européen, la Tradition (Hagyomany), celle qu'on écrit avec un grand « T », représente exactement ce qu’Evola, de plus en plus énergiquement au fil de ses activités, a toujours condamné et réfuté de façon presque totale: l'Antiquité classique, le Christianisme (dont Novalis usait comme d'un synonyme d'Europe par le biais de la conjonction « oder » (= « ou »)), l'Humanisme de la Renaissance, synthèse des deux termes précédents, et tous ces courants qui en conservent, augmentent et développent ultérieurement l'héritage, comme le rationalisme, l'idéologie des Lumières, les libéralismes nationaux et la démocratie. Tout ce qui se place en dehors de ces linéaments ne fait pas partie de cette « Tradition », car il n'y a pas, alors, de continuité. Ce qui existait avant ces « traditions » se réduit à des hypothèses, des spéculations, voire des légendes. Ce qui s'est opposé à tout cela ne mérite pas beaucoup de gratitude de la part de l'Europe moderne: et c'est précisément “cela” qu’Evola a appelé « Tradition positive ».
On pourrait objecter que le rapport d’Evola avec l'Antiquité (même celle dite « classique ») et avec le Christianisme est un peu plus complexe que le tableau qui nous en esquisse le professeur Madarasz. Mais, à part cela, pourquoi s'occuper de l'œuvre d’Evola, si on ne partage pas la conception évolienne de la Tradition et si on refuse sa position par rapport aux courants de pensée qui ont marqué de leur sceau la culture européenne ?
D'après le professeur Madarasz, l'œuvre d’Evola a la valeur d'un défi. Puisque la menace d'une interruption de la tradition culturelle européenne, cette tradition où réside le seul remède possible pour guérir les maux de l'Europe (et en particulier de l'Europe centrale et orientale) est bien réelle ; aujourd'hui plus que jamais, trouver ce remède équivaudra à « trouver la réponse la plus authentique au défi lancé par Evola ».
Toujours à l'occasion du centenaire de sa naissance, deux écrits d’Evola sont parus dans un volume de mélanges intitulé Tradicio, à côté d'auteurs classiques (Guénon, Burckhardt, Hossein Nasr, Hamvas, etc.) ; ensuite un article de Robert Horvath sur le thème évolien de l'anarchisme de droite est également paru ; enfin, une maison d'éditions de Budapest, Stella Maris, a réuni trois courts textes d’Evola (La doctrine aryenne de lutte et de victoire, Ethique aryenne et Orientations) dans un petit livre édité par Robert Horvath. D'autres traductions d'écrits évoliens sont parues entre 1997 et 1998 dans le magazine Sacrum Imperium, édité par la Kard-Kereszt-Korona Szovetség (= Association Epée-Croix-Couronne). Mais l'événement le plus marquant dans le cadre de la Renaissance évolienne en Hongrie reste la parution, en 1977, de l'édition magyare de Révolte contre le monde moderne, auprès de la maison d'éditions Kotet, dans une collection qui porte le titre évolien de « Les livres du Chemin du Cinabre ».
Claudio MUTTI.
Article paru dans Orion n°166 (n° 7/ nouvelle série) - juillet 1998 - pages 13-14. Trad.franç. : LD.
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vendredi, 04 janvier 2008
E. Jünger: "La Paix" du Guerrier

Max SERCQ :
Ernst Jünger: "La Paix" du Guerrier
«Que pensez-vous des nationalités?». Interrogé par ses traducteurs italiens MM Antonio Gnoli et Franco Volpi dans leur livre Les prochains Titans, paru chez Grasset en 1999, Ernst Jünger répondait: «Les nations sont à mon avis un phénomène de transition (...) Nous assistons à une lutte entre diadoques qui, tôt ou tard, débouchera sur l’Etat universel». Une opinion aujourd’hui corroborée par les faits, mais défendue par l’anarque de Wilflingen depuis 1941, alors qu’en pleine apogée des armées du IIIe Reich, et au cœur de Paris, Jünger écrivait son essai La Paix, qui devait tant influencer Rommel dans sa participation au complot du 20 juillet 1944.
«Ce n’est pas dans l’équilibre bourgeois, mais dans le tonnerre des apocalypses que renaissent les religions» (Walter Schubart, L’Europe et l’Ame de l’Occident ).
On avait failli l’oublier. Submergé par les rééditions chez Bourgois de ses premiers récits guerriers et la parution chez Grasset de son entretien-testament Les prochains Titans, et malgré sa présence à la Table Ronde en collection Vermillon depuis 1994, on avait failli oublier l’existence de La Paix. Pourtant ce petit essai, écrit par Ernst Jünger à l’Hôtel Majestic, en plein Paris occupé par une armée allemande dont il a lui-même revêtu l’uniforme feldgrau, «en somme dans le ventre du Léviathan» (E.J.), La Paix, en rupture avec ses précédents écrits, «peut être (dixit le résumé en quatrième de couverture) considéré comme une contribution théorique à l’attentat manqué de 1944 contre Hitler. La plupart des auteurs du complot trouvèrent la mort; Jünger fut l’un des rares à y échapper». Ironie du sort, il aura fallu en France la publication par Michalon en 1998 du livre La tentation allemande; ramassis hystérique, signé Yvonne Bollmann, de soi-disant preuves des prétentions gouvernementales allemandes à la restauration du Reich, quatrième du nom, pour qu’on redécouvre La Paix. Un phantasme germanophobe bien d’actualité, mais que n’aurait pas désavoué un Déroulède, et immédiatement confondu par F. G. Dreyfus dans Historia.
Que vient faire Jünger dans ce déballage d’inepties? Laissons Mme Bollmann nous le dire: «Un essai comme celui-ci, qui alors était dangereux et à écrire et à lire, peut très bien, aujourd’hui, donner l’impression que le vaincu veut donner une leçon de conduite aux vainqueurs» (E.J.). «Mais, lui rétorque-t-elle, il n’est que la caricature de l’"alliance pacifique", de la "fédération d’Etats libres" voulue par le philosophe. Ce traité illustre bien plutôt l’une des maximes de sophiste, qui guident, selon Kant, le pauvre savoir-faire d’une politique immorale: Fac et excusa - Agis d’abord et excuse-toi ensuite». Au contraire, la lecture posée de ce petit texte limpide, ruisselant de méditations fécondes, dévoile un Jünger européen, homo metaphysicus certes, mais inscrit dans les tumultes de son temps, auxquels il entrevoit peut-être des perspectives grandioses, la paix recouvrée. La Paix du guerrier bien sûr.
Jünger, «intellectuel dégagé»
Si vis pacem, para bellum. De l’acuité de la maxime romaine, Jünger est convaincu, qui lui a sacrifié ses années de jeunesse. Mais à présent que la guerre dégénère en une auto-reproduction du système capitaliste, Jünger, «intellectuel dégagé», pressent que des formes de la cessation des hostilités dépendra la régénérescence de la civilisation, ou sa mort. «Deux voies s’ouvrent aux peuples. L’une est celle de la haine et de la revanche; comment douter qu’elle conduise après un moment de lassitude, à un regain de lutte plus violente encore, pour s’achever dans la destruction générale? La vraie voie, par contre, mène à la civilisation. Les forces qui s’anéantissaient en s’opposant doivent s’unir pour un nouvel Ordre, pour une vie nouvelle. Là seulement se trouvent les sources de la paix véritable, de la richesse, de la sécurité, de la puissance». Il faut être, Mme Bollmann, bien mal intentionné, ou ignorant du personnage, pour prêter aux propos de Jünger des ambitions de «nazisme inversé». Poursuivons. Quel nouvel Ordre Jünger oppose-t-il dès 1941 à l’Ordre nouveau alors à son zénith?
«En d’autres termes, les anciennes frontières ont à céder devant des alliances nouvelles qui uniront les peuples en de nouveaux et plus vastes empires. C’est la seule voie par laquelle puisse se terminer, en équité, et avec profit pour chacun, cette querelle fratricide». Folle utopie, désir insatiable de justice et de fraternité, son incompréhension, ou sa fin de non-recevoir, des conséquences idéologiques est manifeste. «Mais en vérité la déclaration d’indépendance de l’Europe est un acte plus spirituel encore. Elle suppose que ce continent s’affranchisse de ses conceptions pétrifiées, de ses haines invétérées, faisant de la victoire un bienfait pour tous (...) Peu importe le vainqueur: au triomphe des armes il incombe une lourde responsabilité. La logique de la violence pure doit aller jusqu’au bout pour qu’apparaisse la logique supérieure de l’Alliance». Dos au mur, l’Allemagne nazie doit céder pour que rejaillisse l’Allemagne éternelle dont il est, avec Mann, Hesse et quelques autres, disséminés entre la Suisse et les Etats-Unis, l’ultime héritier. Restaurée dans son identité, donc fédérale, impériale, revenue de 1806, l’Allemagne préfigurera l’Europe qu’il appelle de ses vœux. Son premier devoir sera «moins de venger les victimes que de rétablir le droit, et surtout la notion de droit (...)
La volonté de justice doit être dirigée vers l’ordre, vers l’assainissement». Car rien n’est plus distant du droit international qui naîtra des procès de Nuremberg que l’idée jüngerienne du droit: «Or la main qui veut aider l’homme et le tirer de l’aveuglement, doit être elle-même pure de tout crime et de toute violence». «Aussi importe-t-il non seulement pour les vaincus, mais pour les vainqueurs, que la guerre se termine par des traités solides et durables, élaborés non par la passion, mais par la raison». Un appétit métaphysique que ne respecteront nullement les signataires du traité de Yalta. Et pour cause, le document entérinant un déplacement des puissances dominantes contraire aux aspirations formulées dans La Paix: «Or à considérer sans passion l’enjeu de cette guerre, on constate qu’elle soulève presque tous les problèmes qui agitent les hommes (...) La première est celle de l’espace, car il y a des puissances d’agression, ou totalitaires (...) Pour durer, la paix doit donc apaiser ce trouble d’une manière équitable. Encore faut-il que de telles exigences, fondées sur le droit naturel, soient satisfaites sur un plan supérieur, par des alliances, des traités, et non par des conquêtes».
«Car la matière nationale des peuples s’est consumée en d’ultimes sacrifices»
La mobilisation totale et L’état universel annonçaient la dissolution des états. Avec le conflit gigantesque qui s’abat sur le monde, les nations désormais sont promises à pareil destin. «Car la matière des peuples s’est consumée en d’ultimes sacrifices, impossibles à renouveler sous cette forme. Le bienfait de ce drame est qu’il ébranle les vieilles frontières et permet la réalisation de plans spirituels dépassant leurs cadres (...) Dans ce sens, aucune des nations ne sortira de la guerre telle qu’elle y est entrée. La guerre est la grande forge des peuples comme elle est celle des cœurs».
Déterminismes géopolitiques, libération des peuples de leurs entraves stato-nationales, et relativisation postmoderne des certitudes rationalistes sont les trois piliers qui soutiennent son Union Européenne, sa vision prophétique. Prophétique comme l’est son emphase; une emphase qui ne s’emporte jamais sur la vague de la facilité intellectuelle mais rebondit toujours sur une idée nouvelle. Une dialectique parfaite de maîtrise qui nous remémore que le théoricien lucide du totalitarisme technicien fut aussi l’interlocuteur privilégié de Heidegger.
«Et les nations qui naquirent alors des dynasties et des éclats de vieux royaumes sont aujourd’hui en demeure de fonder l’Empire. Les exemples abondent, d’ailleurs, d’Etats où s’amalgament les races, les langues, les peuples les plus divers: que l’on pense à la Suisse, aux Etats-Unis, à l’Union Soviétique, à l’Empire britannique. Ils ont cristallisé, dans leurs territoires, une grande somme d’expériences politiques: il n’est que d’y puiser. En fondant la nouvelle Europe, il s’agit de donner à un espace divisé par l’évolution historique, son unité géopolitique. Les écueils se trouvent dans l’ancienneté des traditions, et dans le particularisme des peuples».
Aussi, comment déborder l’obstacle? Par la constitution, si l’on se souvient de ce qui a été dit précédemment, mais un droit et une constitution de nature sacrale, et non plus seulement contractuelle. «La paix ne saurait se fonder uniquement sur la raison humaine. Simple contrat juridique conclu entre des hommes, elle ne sera durable que si elle représente en même temps un pacte sacré. Il n’est d’ailleurs pas d’autre moyen de remonter à la source la plus profonde du mal, issu du nihilisme».
Ni autoritaire ni libérale, puisque de leur arbitraire a découlé la guerre mondiale, la constitution doit délimiter strictement les attributions étatiques. Un état à dimension européenne donc, soucieux de «satisfaire à deux principes fondamentaux, unité et diversité», sans quoi l’alliance virera à la coercition, à l’indifférenciation mortifère. «Uni dans ses membres, le nouvel empire doit respecter les particularités de chacun».
L’homme nouveau, dépositaire et gardien de l’alliance
«La constitution européenne doit donc être assez habile pour faire la part de la culture et celle de la civilisation». Notons ici que Jünger opère à la manière de Thomas Mann une distinction entre la culture, qui concerne la sphère intérieure propre à tout homme, et la civilisation, qui la prolonge et l’éprouve dans l’action». «L’Etat, symbole suprême de la technique, rassemble les peuples sous son égide, mais ils y vivent dans la liberté. Alors l’histoire se poursuit en s’enrichissant de valeurs nouvelles. L’Europe peut devenir une patrie sans détruire pour autant les pays et les terres natales». L’homme nouveau pressenti par Jünger, dépositaire et gardien de l’alliance, n’est déjà plus la figure du Travailleur, ni encore tout à fait celle de l’anarque. C’est un être complet, étroitement relié aux forces telluriques et cosmiques. Organiciste et patriote, il se sait être la maillon d’une chaîne spatio-temporelle communément appelée communauté. Mystique aussi, l’homme de l’alliance est un moine-soldat pénétré de ses devoirs envers la Cité, serviteur de son Dieu. Croisé d’une ère nouvelle —petite et grande guerres saintes réunies—, sa paix intérieure découle de sa mission chevaleresque. «[c’est pourquoi] l’unité de l’occident, prenant corps pour la première fois depuis l’Empire de Charlemagne, ne saurait se borner à réunir les pays, les peuples et les cultures, mais elle doit aussi ressusciter dans l’Eglise (...) La véritable défaite du nihilisme, condition de la paix, n’est possible qu’avec l’aide de l’Eglise. De même que le loyalisme de l’homme, dans l’Etat nouveau, ne peut reposer sur son internationalisme, mais sur sa fidélité nationale, son éducation doit se fonder sur sa foi et non sur son indifférence. Il faut qu’il soit l’homme d’une patrie, dans l’espace et dans l’infini, dans le temps comme dans l’éternel. Et cette initiation à une vie qui embrasse la totalité de l’homme, doit se fonder sur une certitude supérieure à celle que l’Etat donne dans ses écoles et ses universités.»
Réconciliant science et théologie («la théologie, reine des sciences»), mythos et logos, comme Hesse avant lui dans Le jeu des perles de verre, Jünger insiste sur la nécessité de fonder une élite théologale de kshatriya pratiquant «le culte de l’Univers».
Car le message que nous délivre Jünger est celui-ci: vous ne sauverez l’Occident qu’en sauvant son âme, vous ne sauverez l’Occident qu’en le sauvant de lui-même.
Révolution conservatrice
Libre à chacun aujourd’hui de juger la justesse de son propos, son degré de prescience, les limites de son pacte. Reconnaissons-lui néanmoins, en des temps de cataclysmes, le courage rare, lui le guerrier, d’avoir su se réconcilier avec le monde et, plus encore, avec lui-même.
Et pour Mme Bollmann, qui, manifestement, par engagement antifasciste n’a pas poussé le vice jusqu’à lire l’introduction de La Paix, citons cette courte confession jüngerienne: «Mais un homme qui ne s’était jamais menti, ne connaissant de la passion que ses flammes, non le rayonnement noir de la haine et du ressentiment (...) Cet homme-salamandre, capable de se livrer aux bêtes et aux flammes sans laisser entamer en lui la part divine de l’homme, ne pouvait pas reconnaître dans l’Allemagne hitlérienne, fondée sur le désespoir des masses et la puissance surnaturelle du mensonge d’un névrosé, l’image de ses premières amours viriles».
Noblesse oblige.
Max SERCQ.
La Paix, Ernst Jünger, La Table Ronde, 1994.
Ernst Jünger aux faces multiples, Banine, L’Age d’Homme, 1989.
Les prochains Titans, Antonio Gnoli et Franco Volpi, Grasset, 1999.
La tentation allemande, Yvonne Bollmann, Michalon, 1998.
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jeudi, 03 janvier 2008
Drieu: anti-moderne et Européen

Drieu La Rochelle, antimoderne et Européen
Recension : Drieu La Rochelle, antimoderne et européen (anthologie de citations récoltées par Arnaud Guyot-Jeannin), Perrin & Perrin, collection La Petite Bibliothèque n°2, 1999.
«Et après tout je ne suis pas qu’un écrivain, je suis un homme en proie au problème total» (Drieu). Et l’œuvre de Drieu, envisagée comme un projet total? Nombreux sont les biographes qui s’y sont essayés, peu les élus conviés au banquet intellectuel et spirituel offert par Drieu de Fonds de cantine à Beloukia. A retourner le problème dans tous les sens, après Mabire, Rouart et Vandromme, il est apparu à Arnaud Guyot-Jeannin, préfacier du recueil, qu’en définitive ce sont les textes qui parlent le mieux d’eux-mêmes. Histoire de briser les préjugés qui enferment depuis 50 ans Drieu dans le registre de «l’esthète bourgeois fasciste et suicidaire»; histoire aussi d’avancer certains aspects de son œuvre occultés par son engagement collaborationniste. Le titre, explicite, du présent opuscule (60 pages), «antimoderne et européen», réhabilite à son tour, après que la publication par NRF Gallimard de son Journal 1939-1945 a provoqué bien des polémiques sur le sujet. Où l’on découvre un Drieu loin de sa caricature antisémite et érotomane: «(...) au moment où de nombreux écrivains ou journalistes clament leur admiration gênée et partielle pour Drieu, nous devons affirmer au contraire la profonde unité de son œuvre. Certes, on trouvera chez lui des paradoxes, quelquefois des contradictions, mais n’est-ce pas le propre d’un homme qui n’est pas théoricien et qui totalise dans sa pensée tous les domaines de la vie?» Et Guyot-Jeannin d’ajouter: «La seule liberté que nous prendrons avec lui, c’est de l’aimer tout simplement à la lumière de ses meilleurs livres». «Il est, aux côtés d’Antoine de Saint-Exupéry et Georges Bernanos, ce grand enfant libre et incorruptible qui ne désire pas grandir» (AGJ).
Si Drieu fut le prophète d’une seule révolution, elle ne fut ni nationale ni socialiste, mais spirituelle, mystique. Une préoccupation constante, qui sourd tout le long de ses écrits: Genève ou Moscou, La comédie de Charleroi, Les derniers jours, Notes pour comprendre le siècle, l’inédit Roman, et qui fait de lui, toujours selon Guyot-Jeannin, un spécialiste de la question, l’égal de Guénon et Evola. Petit florilège: «Il n’y a plus d’ordre à sauver, il faut en refaire un»; «Il faut mettre de la profondeur dans chaque minute, dans chaque seconde; sans quoi tout est raté pour l’éternité»; «Oui, j’y crois. Je crois qu’il y a sous toutes les grandes religions une religion secrète et profonde qui lie toutes les religions entre elles et qui n’en fait qu’une seule expression de l’Homme. Unique et partout le même»; «Les dieux mènent à Dieu —et même au-delà».
Un peu cher peut-être (49 FF), mais il en est ainsi pour toutes les courageuses petites collections (rappelons que Perrin & Perrin ont déjà publié Evola, Malaparte, Vialatte et Chateaubriant) qui n’ont pas accès aux grands circuits de distribution. Alors, pourquoi bouder notre plaisir?
Max SERCQ.
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mercredi, 02 janvier 2008
Henry de Monfreid: flibustier de la Mer Rouge

Henry de Monfreid: flibustier de la Mer Rouge
Philippe Baraduc publie chez Arthaud un bel album sur Henry de Monfreid flibustier de la Mer Rouge. Voici la présentation de l'éditeur: « Henry de Monfreid (1879-1974) est à classer dans la catégorie des "écrivains-aventuriers". Son père, peintre et ami de Gauguin, lui a légué la passion de la mer. Au début du XXième siècle, l'aventure coloniale est à la mode. En 1911, Monfreid débarque à Djibouti, petit comptoir français sur les bords de la Mer Rouge. Commence alors une vie d'aventures qui se poursuivra jusqu'à la fin de sa vie. En Ethiopie, il se fond aux indigènes, apprend leur langue et leurs coutumes et se convertit même à l'Islam. Pour eux, il sera Abd el Hai, "l'esclave du vivant". L'appel du large le motive au point qu'il construit lui-même ses bateaux, dont trois boutres qui parcourent les mers, l'Ibn-el-Bahar, l'Altair et le Moustérieh, et transportent armes, perles et haschisch presque toujours à la barbe des Anglais. Une rencontre, celle de Joseph Kessel, le pousse à écrire. Paraissent alors les premiers récits d'aventures vécues et romans pittoresques dont le succès est immédiat: Les secrets de la Mer Rouge, Pilleurs d'épaves, La Croisière du Haschisch,... Beaucoup de ces récits sont publiés dans les journaux de l'époque. On suit avec intérêt les tribulations de ce "Loti" aventurier, devenu correspondant de guerre dans les années qui voient se préciser le second conflit mondial, et qui se fait le chantre de l'aventure coloniale italienne en Abyssinie, au terme de démêlés violents avec le Négus et les Britanniques. Prisonnier des Anglais et déporté au Kenya, il y vivra, une fois libéré, plusieurs années heureuses, parmi les animaux. De retour en France, il tentera plusieurs fois, à nouveau, l'aventure en mer ». Un beau livre illustré de nombreux documents dont d'étonnantes plaques de verre coloriées par Monfreid (P. MONTHÉLIE).
Philippe BARADUC, Henry de Monfreid flibustier de la Mer Rouge, Editions Arthaud, 1998, 160 pages, 295 FF.
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mardi, 01 janvier 2008
Sur Sir Oswald Mosley

Sur Sir Oswald Mosley
Richard Thurlow, pour le compte de l’éditeur londonien I. B. Tauris, vient de publier une nouvelle histoire du mouvement fasciste britannique, centré autour des « Black Shirts » de Sir Oswald Mosley. Outre une histoire générale de ce mouvement, né de la grande crise économique qui a secoué l’Angleterre à la fin des années 20 et au début des années 30, le livre de Thurlow aborde l’histoire personnelle de Mosley après 1940-45. Interné en 1940 pour raisons de sécurité, Mosley, écrit Thurlow, a utilisé son repos forcé en prison ou en résidence surveillée, pour lire énormément. Thurlow signale ainsi qu’il a appris la langue allemande et s’est intéressé à l’histoire de la Grèce antique. Cet intérêt a notamment renforcé son classicisme, son engouement pour les formes dites « classiques » de notre civilisation. La correspondance avec son fils Nicholas témoigne de son intérêt pour l’évolutionnisme non matérialiste, s’enracinant dans la psychologie de Jung et la nouvelle physique de Jeans et Eddington. De ces lectures éparses, Mosley déduit une théorie de l’homme de « pensée et d’action » (« Thought-Deed Man »), opposé à cette « volonté de confort », qui prévalait dans l’ethos puritain du capitalisme britannique et de sa classe dominante.
Pendant ces quelques années de réclusion forcée, Mosley a cessé d’être un nationaliste britannique pour se muer en Européen. La figure du Faust de Goethe, le wagnérisme revu par George Bernard Shaw et la philosophie de Nietzsche se sont combinés dans l’esprit de Mosley. Celui-ci estimait que, chez Faust, la quête de beauté et d’achèvement, ne pouvait se réaliser que par un effort constant, sans repos, et que si une sorte de satisfaction béate remplaçait cette quête, l’évolution personnelle de l’homme arrêtait sa marche, et qu’alors, l’extinction et la mort survenaient. La fébrilité incessante, propre de l’homme (surtout de l’homme faustien), devait être canalisée vers des objectifs positifs, socialement et politiquement utiles et féconds. Les travers de l’homme pouvaient dès lors être mobilisés pour atteindre un « Bien », surtout par le truchement de l’art et de l’action. Mosley a donc développé une vision faustienne de l’homme européen, qui s’est superposée à la vision nietzschéenne du surhomme. Son « Thought-Deed-Man » devait servir d’anthropologie fondamentale à l’Europe unie du futur. Thurlow montre que Mosley s’est efforcé de concevoir une vision positive de l’homme, de communiquer une éthique constructive à ses militants, tandis qu’une bonne part des rescapés du fascisme britannique basculait dans les théories de la conspiration et du complot (généralement « judéo-maçonnique »).
Autre volet intéressant dans l’étude de Thurlow : le débat sur l’internement et la libération de Mosley pendant la seconde guerre mondiale en Grande-Bretagne. Le principe de liberté de conscience, d’opinion et de parole est sacré en droit britannique. De ce fait, l’internement des fascistes en 1940 a suscité des réactions variées et somme toute assez mitigées. Mosley, citoyen britannique issu de la classe dominante, ne pouvait juridiquement pas être interné pour ses opinions, mais uniquement, le cas échéant, pour des actes concrets de sabotage ou de trahison, mais il n’en avait pas commis… En novembre 1943, le monde politique britannique connaît une crise sérieuse quand on parle de relâcher Mosley. Les communistes, à l’époque assez puissants et forts de l’alliance qui lie Londres à Moscou, tentent de provoquer une crise, excitent les émotions, ce qui menace la production de guerre. Thurlow rappelle que, généralement, la gauche s’insurgeait avant la guerre avec véhémence contre toute action gouvernementale visant à restreindre les libertés civiles. En novembre 43, en revanche, dans le cas de Mosley et de ses compagnons, les communistes et le « Council for Civil Liberties » (qu’ils contrôlaient partiellement), militaient pour maintenir l’ex-chef du BUF (British Union of Fascists) en détention. Harold Nicholson, membre du « Council for Civil Liberties », démissionne, car il n’accepte pas la position de la majorité de ce conseil dans l’affaire Mosley : pour Nicholson, il était illogique qu’un tel organisme, visant à défendre les libertés civiles des citoyens, appuyât le maintien en détention d’un citoyen sans jugement. Trente-huit autres membres du Council suivirent Nicholson. Ils estimaient qu’en 1940, on pouvait comprendre l’internement de Mosley et des fascistes, vu les menaces allemandes pesant directement sur le territoire britannique, mais qu’en 1943, la fortune de guerre avait changé de camp et les Allemands ne menaçaient plus l’Angleterre d’une invasion. Ensuite, Nicholson et ses amis jugeaient la position des communistes particulièrement hypocrite, dans la mesure où ils avaient, eux aussi, milité contre la guerre en même temps que Mosley. Ils étaient donc tout aussi coupables que lui, et cela, jusqu’en juin 1941, où, du jour au lendemain, ils s’étaient mués en super-patriotes !
Chez les socialistes, les attitudes furent variées. Dès 1940, le député travailliste Richard Stokes, d’Ipswich, réclame la libération de Mosley et de ses amis parce que leur détention enfreint le principe de respect absolu des libertés civiles. Aux yeux de ces travaillistes, Mosley devait soit être jugé comme traître soit immédiatement libéré. Mais, la base des syndicats, travaillée par les communistes, adresse deux lettres à Herbert Morrison, président des « trade unions », lui précisant que la libération de Mosley porterait un coup au moral des civils, parce que le leader de la BUF avait fini par symboliser le fascisme et le nazisme contre lesquels les ouvriers britanniques avaient été incités à combattre par un travail accru, des sacrifices sociaux et des cadences infernales. Quant au gouvernement conservateur de Churchill, son souci était de ne pas apporter d’eau au moulin des neutralistes américains, fortement représentés dans l’opinion d’Outre-Atlantique. En effet, il pouvait paraître incongru de faire officiellement la guerre à la tyrannie fasciste ou nazie, alors que des citoyens britanniques croupissaient en prison sans avoir été jugés. L’artifice juridique pour libérer Mosley et bon nombre de ses compagnons a été de rappeler que l’article DR18b, qui permettait temporairement l’isolement de personnes dangereuses pour la sécurité de l’Etat en temps de guerre, stipulait que la santé des prisonniers ne pouvait jamais être mise en danger. Mosley, atteint d’une phlébite, pouvant avoir des conséquences graves, devait donc être relaxé. De plus, il avait considérablement maigri, ce qui suscitait l’inquiétude des médecins. Les communistes organisèrent des manifestations dans Londres et ailleurs, mais les grèves dont ils avaient menacé le gouvernement n’eurent pas lieu. L’Union Soviétique avait besoin de matériel américain et britannique pour faire face aux troupes allemandes.
Benoît DUCARME.
Richard THURLOW, Fascism in Britain. From Oswald Mosley’s Blackshirts to the National Front, I. B. Tauris, London, 1998, 298 pages, ISBN 1-86064-337-X.
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Rüdiger Altmann

Sur le politologue Rüdiger Altmann
01 janvier 1922: Naissance du politologue allemand Rüdiger Altmann, disciple de Carl Schmitt. Jeune volontaire de guerre en 1939, Rüdiger Altmann sera grièvement blessé au combat, démobilisé et autorisé à suivre des cours universitaires à Berlin. Il suivra ceux de Carl Schmitt, avant de continuer après guerre ses études à Marbourg, en dehors de l’orbite de Schmitt, pour ensuite devenir l’assistant de Wolfgang Abendroth à Wilhelmshaven.
La spécialité d’Altmann sera de réfléchir sur le rôle croissant de l’opinion publique dans la modernité, une opinion publique qui prend de plus en plus le relais des fonctions jadis dévolues à l’Etat. Celui-ci ne cesse de perdre de l’importance, du moins sous ses formes traditionnelles.
Dans un courrier que lui envoya un jour Carl Schmitt, on trouve cette phrase, en français: “L’Etat se meurt, ne troublez pas son agonie”. L’ère dictatoriale hitlérienne en Allemagne, pensaient Altmann, Abendroth et Schmitt, n’avait pas sauvé l’Etat; elle l’avait définitivement tué, tant et si bien que la dictature et l’Etat n’étaient plus que des spectres hantant la civilisation occidentale en voie de dépolitisation totale. Pour maintenir un semblant d’ordre après ce séisme, il fallait, pensait Altmann, s’efforcer de gérer une “société formée”, de préférence dirigée par un Chancelier fort (en l’occurrence Adenauer et, après lui, Ehrard).
Cette “société formée”, héritière bon gré mal gré de l’Etat, n’était plus tant menacée dans ses assises par les conflits sociaux mais par la croissance luxuriante des structures créées et imposées par les intérêts “organisés”, sectoriels, syndicaux, professionnels, financiers et autres. Dans une telle perspective, le conflit, dans sa radicalité de sorélienne mémoire, est purement et simplement évacué et la société passe à un stade, en principe non conflictuel, de coopération inter-groupale, dont les accords ponctuels génèrent une dynamique permanente.
Carl Schmitt estimait, pessimiste et désillusionné, que cette situation conduisait à la domination des “potestates indirectae”, des “pouvoirs indirects”, non visibles, castrateurs de l’Etat classique et du politique en soi, dont il avait été le théoricien par excellence. Le type d’Etat qui se substitue à ce dernier est un “Etat redistributeur”, qui n’est plus rien d’autre qu’une organisation sans pouvoir réellement politique, chargée de subventionner les groupes sectoriels organisés, tirant forcément à hue et à dia, au gré de leurs intérêts du moment.
La “Grande Coalition” des sociaux-démocrates et des démocrates-chrétiens, qui accède au pouvoir en 1966, incarne ce passage de la société formée (dont il ne reste plus que de misérables résidus sous les coups du consumérisme émergent) à cette organisation générale redistributrice, indirecte et invisible. Altmann a aussi tenté de défendre la représentation parlementaire classique contre la partitocratie en marche, prête à occuper tous les rouages de l’Etat, pour le castrer définitivement et pour vider le politique de son sens.
Son œuvre peut nous aider à combattre en Flandre et en Belgique toute résurgence du “dehaenisme” (avec sa “plomberie politique” et ses rafistolages sans projet) ou toute réédition de cette pratique pernicieuse de la “potestas indirecta” chez les démocrates-chrétiens, surtout quand ils sont alliés aux socialistes (Robert Steuckers).
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lundi, 31 décembre 2007
Restauration poutinienne et nouvelles perspectives géopolitiques

Russie : restauration poutinienne et nouvelles perspectives géopolitiques
Si l’on évoque la restauration poutinienne en Russie, après le terrible ressac vécu par l’ancienne superpuissance communiste sous le règne, somme toute assez bref d’Eltsine (1), il convient de le faire correctement : non pas dans le simple but d’énoncer des faits qui concernent un monde différent du nôtre, mais bel et bien dans la perspective de construire une alternative géopolitique solide face aux projets d’assujettissement de l’Europe et du reste du monde, projets que cultive la seule hyperpuissance encore en lice, à savoir les Etats-Unis.
Cette perspective géopolitique ne saurait être une construction de l’esprit, toute nouvelle, sans racine. Les relations euro-russes ont au contraire des racines anciennes et l’Axe Paris/Berlin/Moscou que préconisait naguère Henri de Grossouvre est, outre une impérieuse nécessité, le prolongement et la réactualisation d’un projet vieux de près d’un quart de millénaire. La perspective eurasienne, dans notre famille politique malheureusement fort réduite en nombre et en taille, se réfère assez souvent au rêve du national-bolcheviste allemand Ernst Niekisch, qui avait imaginé, dans les années 20 et 30 du 20ième siècle, une alliance germano-slave, fondée sur le paysannat et le prolétariat, prête à bousculer un Occident vermoulu, idéologiquement arrêté aux schématismes des Lumières du 18ième. Plus fondamentalement, nous percevons, aujourd’hui, après l’inévitable détour par Niekisch, des préludes cohérents à l’Axe de Henri de Grossouvre dans l’Alliance des Trois Empereurs sous Bismarck et sous les tsars germanophiles du 19ième et dans l’alliance de facto qui, dans le dernier quart du 18ième, unissait la France de Louis XVI, l’Autriche et la Russie de Catherine II, permettant de battre la thalassocratie anglaise à Yorktown en 1783 et à chasser les Ottomans de la Mer Noire et à les contenir dans les Balkans (2). La Révolution française ruinera cette unité et ces acquis, qui auraient pu faire le salut de l’Europe, en lui permettant de garder sa cohérence et de parachever l’assaut contre les Ottomans.
1759 : année clef
Mais déjà avant cette alliance générale, à la veille de 1789, la France, l’Autriche et la Russie avaient uni leurs forces pendant la Guerre de Sept Ans. Un historien anglais actuel vient de démontrer que ce conflit intérieur européen avait permis à l’Angleterre, puissance insulaire située en marge et en face du continent, de jeter les bases réelles de son futur empire extra-européen, à partir de l’année clef que fut 1759 (3). L’art des historiens anglo-saxons de remettre l’histoire intelligemment en perspective ramène ainsi à notre mémoire vive deux faits géostratégiques devenus permanents : 1) utiliser une puissance européenne pour déséquilibrer le continent et rompre son unité ; l’instrument de cette stratégie fut à l’époque la Prusse ; 2) profiter des guerres européennes pour porter la guerre hors d’Europe, sur des fronts plus dégarnis et y engranger de solides dividendes territoriaux et stratégiques sans grandes pertes et sans gros frais, comme ce fut le cas au Canada et en Inde, d’où fut évincée la France.
Lorsque nous analysons aujourd’hui le réveil russe de Poutine, c’est donc dans la perspective de retrouver les alliances stratégiques stabilisatrices d’avant 1789, où les idéologies modernes, bellogènes à l’extrême en dépit de leur pacifisme autoproclamé, ne jouaient encore aucun rôle déstabilisateur. Entrons maintenant dans le vif du sujet.
De Gorbatchev à Eltsine, la Russie semblait galoper tout droit vers le chaos, vers une nouvelle « Smuta », un nouveau « Temps des Troubles » : perte du glacis est-européen, perte de la périphérie balte et caucasienne, perte des acquis territoriaux en Asie centrale, etc., effondrement de la monnaie et ressac social et démographique sur toute la ligne. Eltsine, figure d’abord positivement médiatisée pour avoir annoncé la fin du communisme, juchée sur un char d’assaut ; en dépit de cette image, il inaugurera toutefois un régime sans aucune colonne vertébrale : les oligarques en profitent pour acquérir personnellement, par toutes sortes de stratagèmes douteux, les richesses du pays. Dans l’industrie pétrolière, ils font augmenter la production de brut grâce à des prêts du FMI, de la Banque mondiale et de la Banque de New York et cèdent à des consortiums pétroliers américains et britanniques des parts importantes dans l’exploitation des hydrocarbures russes. Poutine, dès son accession au pouvoir en janvier 2000, met vite un holà à ces déviances. Immédiatement, puissances anglo-saxonnes, pétroliers, oligarques et idiots de service dans le monde médiatique se mobilisent contre lui et lui déclarent la guerre, une guerre qui sévit toujours aujourd’hui. Terrorisme tchétchène d’Ahmed Zakaïev (avec ses appuis turcs), révolution des roses en Géorgie et révolution orange en Ukraine sont les fruits âcres d’un vaste et sinistre complot destiné à affaiblir la Russie et à défenestrer Poutine. Seul l’ex-oligarque Roman Abramovitch fera amende honorable (4), rendra les biens acquis sous Eltsine à l’Etat russe, deviendra gouverneur du Kamtchatka pour redonner vie à cette région déshéritée mais hautement stratégique. Il servira également d’intermédiaire entre Poutine et Olmert dans les litiges russo-israéliens.
Russie : puissance orthodoxe
Après l’effondrement du communisme et le retour des valeurs religieuses, surtout dans l’aire musulmane, en Afghanistan d’abord, dans l’Asie centrale ex-soviétique ensuite mais dans une moindre mesure, la Russie se trouve déforcée par les décennies de propagande anti-religieuse du système soviétique, qui a mis à mal la vigueur de l’orthodoxie dans les populations slaves et a généralisé une asthénie spirituelle déliquescente, mais n’a pas autant entamé l’islam centre asiatique, qui fut de surcroît revigoré par l’argent saoudien et l’appui américain aux moudjahiddins afghans. Qui plus est, dans les premières années du post-communisme, la vague du matérialisme occidentaliste secoue de fond en comble une Russie déboussolée mais, comme le remède croît toujours en même temps que le péril, le retour à l’orthodoxie d’une partie de la population (60% selon les sondages) redonne partiellement au pays une identité religieuse et politique traditionnelle, dont l’Europe occidentale est depuis longtemps dépourvue. Alexandre Soljénitsyne exhortait le peuple russe à retrouver l’esprit de l’Orthodoxie et le Patriarche Alexis II apporte son soutien à Vladimir Poutine, qui, lui, définissait son pays comme « une puissance orthodoxe », lors de sa visite au Mont Athos en Grèce en septembre 2005. Ce retour à l’orthodoxie ravive un certain anti-occidentalisme, bien lisible dans les déclarations d’un concile d’avril 2006, où l’église orthodoxe russe a promulgué sa propre « Déclaration des droits et de la dignité de l’homme », où sont fustigés et l’individualisme occidental et la volonté d’ingérence étrangère cherchant à imposer des droits de l’homme de facture individualiste en Russie et en toutes les autres terres orthodoxes. Le texte ajoute : « Il est des valeurs qui ne sont pas inférieures aux droits de l’homme, tels la foi, la morale, le sacré, la patrie », où le philosophe de l’histoire décèlera un refus de la rupturalité calamiteuse que représente l’idéologie des droits de l’homme de 1789 à la vulgate médiatique actuelle, quand on la manipule avec l’hypocrisie que nous ne connaissons que trop bien. Le 17 mai 2007, les églises russes en situation de diaspora depuis les années 20 se réconcilient avec le Patriarcat de Moscou (5), ce qui rend plus difficile la tâche de monter les options de l’orthodoxie russe les unes contre les autres.
Ukraine : la révolution orange patine
L’ingérence occidentale s’effectue essentiellement par le biais des « révolutions colorées » (6), nouveau mode de pratiquer la « guerre indirecte » et de grignoter les franges extérieures de l’ancien empire des tsars et de l’URSS, dont les républiques caucasiennes et l’Ukraine. On sait que la révolution orange fut finalement un fiasco pour ces commanditaires occidentaux ; Victor Iouchtchenko, le Président élu pour son programme pro-occidental, n’a guère fait bouger les choses, ni dans un sens ni dans l’autre, en dépit de sa volonté de faire entrer l’Ukraine dans l’UE et dans l’OTAN. L’icône féminine de l’effervescence orange de 2005, Youlia Timochenko, a basculé dans la corruption et la démagogie la plus plate, sans aucune assise idéologique claire. Ianoukovitch, l’ancien leader pro-russe d’Ukraine orientale, demeure pragmatique : l’Ukraine n’est pas mûre pour l’OTAN et l’UE ne veut pas de Kiev, dit-il. Fin septembre 2007, pour les élections, pas de manifestations dans les rues. Le calme. Les agences occidentales ne paient plus. Pour l’écrivain Andreï Kourkov, les personnages de la révolution orange étaient des marionnettes : le pouvoir demeure aux mains des gestionnaires de l’économie ukrainienne, liée à l’économie russe (7).
En Géorgie, où l’actuel Président Mikhail Saakachvili avait pris le pouvoir en novembre 2003 à la suite de la révolution des roses, une contre-révolution vient d’éclater, sans leader bien profilé (8), qui déstabilise la créature de l’américanosphère, l’icône masculine des médias téléguidés depuis les Etats-Unis, hissée en selle il y a quatre ans. En dépit de sa victoire et de la mise au pas de l’Adjarie sécessionniste en mai 2004, Saakachvili n’a pas réussi à dompter une autre province dissidente, l’Ossétie du Sud, arc-boutée à la chaîne du Caucase. Ce territoire d’à peine 75.000 habitants ne compte que 20% de Géorgiens ethniques. Sa population est fidèle à la Russie. En agissant sur le mécontentement populaire face à la politique pro-occidentale (et donc néo-libérale/globaliste) de Saakachvili et sur les spécificités ethniques adjars et ossètes, Poutine a trouvé le moyen de contrer les effets d’une révolution colorée et de forger les armes pour disloquer celles qui, éventuellement, émergeraient demain.
Octobre 2007 : Sommet de Téhéran
Autre succès majeur de Poutine : la vaste stratégie pétrolière qu’il a déployée, en Europe et en Asie. Il a réussi à disloquer la cohésion des oligarques (9), à apaiser les dangers de conflit qui existaient entre riverains de la Caspienne. Le sommet de Téhéran en octobre 2007, qui réunissait les dirigeants de la Russie, de l’Iran, du Kazakhstan, de l’Azerbaïdjan et du Turkménistan, avait pour objet de stabiliser la situation sur les rives de la Caspienne et d’y organiser un modus vivendi pour l’exploitation des ressources locales d’hydrocarbures et de gaz. Les accords qui en découlent stipulent, notamment, que les pays riverains, participant à la conférence, ne permettront pas que leurs territoires respectifs servent de base à des puissances hors zone pour agresser un quelconque Etat co-signataire. Iran compris, cela s’entend (10).
Dans le contexte actuel, où l’atlantisme appelle une nouvelle fois au carnage et où l’un de ses chiens de Pavlov, en la personne du sarköziste et ex-socialiste Kouchner, joint ses aboiements sinistres au lugubre concert des bellicistes, cette disposition du sommet de Téhéran bloque toute velléité américaine d’ingérence en Asie centrale et préserve le territoire iranien sur son flanc nord, alors que l’Iran est aujourd’hui dangereusement encerclé entre les bases US du Golfe, d’Irak et d’Afghanistan. L’Iran est la pièce centrale, et non encore contrôlée, d’un territoire qui correspond à l’USCENTCOM (lequel s’étend de l’Egypte à l’Ouest au Pakistan à l’Est). Ce territoire, dans la perspective des stratégistes américains inspirés par Zbigniew Brzezinski, doit servir à terme, avec son « Youth Bulge » (son trop-plein démographique et sa natalité en hausse constante, sauf en Iran), de marché de substitution au bénéfice des Etats-Unis, car l’Asie garde des réflexes autarcistes et l’Europe possède un marché intérieur moins accessible, avec, en plus, une démographie en net recul. Le contrôle de cet espace implique évidemment l’élimination de l’Iran, pièce centrale et aire nodale d’une impérialité régionale plurimillénaire, l’éloignement stratégique de la Russie et son refoulement de tous les territoires conquis depuis Ivan le Terrible, le contrôle de la Mésopotamie et des hauteurs afghanes et la dislocation des cultures masculinistes et, partant, anti-consuméristes, de cette vaste aire, certes islamisée, mais recelant encore beaucoup de vertus et de vigueurs pré-islamiques, tout en demeurant rétive au fanatisme wahhabite.
South Stream et North Stream
Les accords sur la Caspienne auront une implication directe sur l’approvisionnement énergétique de l’Europe. Le système d’oléoducs et de gazoducs « Nabucco », favorisé par les Etats-Unis, qui entendaient, par son truchement, diminuer les influences russes et iraniennes sur la distribution d’énergie, se verra compléter par le système dit « South Stream », qui partira de Novorossisk sur les rives de la Mer Noire pour aboutir aux côtes bulgares (donc sur le territoire de l’UE), d’où il partira vers l’Europe centrale, d’une part, et vers l’Albanie et, de là, vers l’Italie du Sud, d’autre part. L’ENI italienne est partie prenante dans le projet (11). La réalisation de celui-ci, à travers la partie pacifiée des Balkans, ruine automatiquement les manœuvres dilatoires des forces atlantistes en Baltique, où les Etats-Unis incitent les petites puissances de la « Nouvelle Europe », chère à Bush, à annihiler le projet d’acheminer le gaz russe vers l’Allemagne au départ de Königsberg/Kaliningrad ou du Golfe de Finlande, impulsé par le Chancelier Schröder à l’époque bénie -mais si brève- de l’Axe Paris-Berlin-Moscou. Le système de gazoducs de la Baltique porte le nom de « North Stream » (12) : son parachèvement est aujourd’hui bloqué par l’opposition de Tallinn à tous travaux le long de la côte estonienne. Ce blocage est dicté en ultime instance par Washington qui excite en sous-main les Pays Baltes et la Pologne contre tous les projets de coopération euro-russe ou germano-russe, restituant ainsi de facto le « Cordon sanitaire » de Lord Curzon et les effets mutilants du Rideau de Fer sur les dynamiques intérieures de l’Europe dans son ensemble. Ce qui a toujours été le but des puissances thalassocratiques.
La victoire électorale de Poutine en décembre 2007 démontre, outre sa réelle popularité en dépit des campagnes des oligarques et des médias, que les stratégies de « révolutions colorées » ont fait long feu : à celles-ci, Poutine a répondu par une mobilisation citoyenne et patriotique en créant le mouvement « Nachi » (= « Les Nôtres ») qui a tenu la rue en lieu et place de sycophantes comme Kasparov ou autres écervelés sans intelligence géopolitique ou géostratégique.
L’Europe ne peut vouloir une Russie déstabilisée et plongée dans le chaos, car, dans ce cas, elle serait automatiquement entraînée, sinon dans un chaos similaire, du moins dans une récession dont elle pourrait bien se passer, vu son déclin démographique, sa relative stagnation économique et les signes avant-coureurs d’une réelle paupérisation dans les classes laborieuses, fruit de près de trente ans de néo-libéralisme.
Conclusions
En conclusion, le phénomène Poutine doit nous amener à penser notre destin politique dans les catégories mentales suivantes :
- Ne pas tolérer le poids d’oligarques de toutes natures dans nos sphères politiques, qui aliènent richesses, fonds et capitaux par l’effet de pratiques de délocalisation ; selon le bon vieux principe du primat du politique sur l’économique, que Poutine a réussi à faire triompher ;
- Comprendre enfin la nécessité d’une cohésion religieuse visible et visibilisée (comme le voulait Carl Schmitt), plus difficile à restaurer en Occident vu les dégâts profonds qu’ont commis sur le long terme le protestantisme, le sectarisme diversifié et chaotique qui en est issu et la déliquescence du catholicisme depuis le 19ième siècle et Vatican II ;
- Susciter une vigilance permanente contre les manipulations médiatiques qui ont conduit en France aux événements de mai 68 (pour chasser De Gaulle), aux grèves de 1995 (pour faire fléchir Chirac dans sa politique nucléaire à Mururoa), aux révolutions colorées ; il faut être capable de générer une contre-culture offensive contre ce que les agences d’outre Atlantique tentent de nous faire gober, afin de provoquer par les effets de ce « soft power » rudement bien rodé des mutations politiques favorables aux Etats-Unis ;
- Il faut viser une indépendance énergétique grande-continentale, ne permettant pas aux pétroliers américains de contrôler les flux d’hydrocarbures sur la masse continentale eurasienne, au bénéfice de leurs seuls intérêts et au détriment de la cohésion du Vieux Monde ;
- Il faut suivre Poutine dans ses offensives diplomatiques en Asie, surtout en direction de l’Inde et de la Chine ; l’Europe a intérêt à être présente dans le sous-continent indien et en Extrême-Orient, dans une perspective d’harmonisation des intérêts, comme l’avait d’ailleurs déjà préconisé la Chine dans ses réponses aux tentatives occidentales d’ingérence intellectuelle (le « soft power », qui bute contre la culture impériale chinoise).
Les coopérations euro-russes, euro-indiennes et euro-chinoises ouvrent des perspectives autrement plus séduisantes que le sur-place atlantiste, que notre triste macération dans le graillon de la dépendance médiatique et politique, où nous sommes plongés pour notre honte. Tous les peuples de la Terre attendent le réveil de l’Europe. Celle-ci n’est viable que branchée sur l’Eurasie, à commencer par la Russie, comme au temps des grandes alliances, amorcé à l’époque de la Guerre de Sept Ans.
Robert STEUCKERS,
Forest-Flotzenberg, décembre 2007.
Notes :
(1) Cf. « L’eredità di Eltsin », in Linea, 15 novembre 2007 (article tiré de la revue sud-africaine Impact (Box 2055, Nooserkloof, Jeffreys Bay, 6331, South Africa).
(2) Cf. Victor-L. TAPIE, L’Europe de Marie-Thérèse. Du baroque aux Lumières, Fayard, 1973 ; également, Henri TROYAT, Catherine la Grande, Flammarion, 1977.
(3) Frank McLYNN, 1759. The Year Britain Became Master of the World, Pimlico, London, 2005.
(4) Dr. Albrecht ROTHACHER, « Das Schicksal zweier Oligarchen. Beresowskis Kampf gegen Putin aus dem Exil und der Lagerhäfltling Chodorkowski“, in zur Zeit, Nr. 42/2007; Dr. A. ROTHACHER, „Superreich und willfährig. Oligarch Roman Abramowitsch: Putins Statthalter in Russisch-Fernost“, in zur Zeit, Nr. 46/2007.
(5) Marie JEGO, « La Fédération de Russie », in : La Vie/Le Monde Hors-Série, L’Atlas des Religions, s.d. (paru en kiosque en novembre 2007). Voir également : Alexandre SOLJENITSYNE, La Russie sous l’avalanche, Fayard, 1998, plus spécialement le chapitre : « L’Eglise orthodoxe par ce Temps des Troubles », p. 301 et ss.
(6) Cf. Le dossier du Temps de Genève, en date du 10 décembre 2004, intitulé „L’internationale secrète qui ébranle les dictatures de l’Est“; ce dossier est accompagné d’un entretien avec le stratégiste et théoricien des guerres indirectes, Gene Sharp, intitulé « L’essentiel est de diviser le camp adverse ». Cf. surtout Viatcheslav AVIOUTSKII, Les révolutions de velours, Armand Colin, 2006 (ouvrage capital !).
(7) Andrej KURKOW, « Die Last des Siegens », in : Der Spiegel, 39/2007, pp. 138-139.
(8) „Überall Feinde“, in : Der Spiegel, 46/2007, p. 121. Cf. Eugen GEORGIEV, „Angespannte Lage in Südossetien“, in : Aula, Oktober 2007.
(9) www.barnesreview.org / Un texte issu de ce site a été traduit en italien. Il s’agit de : «Vladimir Putin : le sue riforme e la sua tribu di nemici / Il sostegno atlantico agli oligarchi russi”, in Linea, 28 novembre 2007.
(10) Fulvia NOVELLINO, “Il vertice di Teheran per il petrolio del Mar Caspio”, in Linea, 19 octobre 2007.
(11) Filippo GHIRA, “South Stream pronto nel 2013”, in Linea, 23 novembre 2007.
(12) Andrea PERRONE, “L’Estonia sfida la Russia sulla condotta North Stream”, in Linea, 18 octobre 2007. Rappelons toutefois que le projet d’un oléoduc (ou gazoduc) vers l’Allemagne et la Pologne n’est pas une idée neuve. En décembre 1959, Soviétiques, Polonais et Est-Allemands signent un accord à Moscou pour la construction de la « branche nord de l’oléoduc de l’amitié ». Le « North Stream », dont question ici, n’en est que la réactualisation, dans un contexte qui n’est plus marqué par la guerre froide.
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dimanche, 30 décembre 2007
Quand les Philippines devinrent une colonie US

Saverio BORGHERESI :
Quand les Philippines devinrent une colonie américaine
Pour comprendre la problématique de la guerre hispano-américaine de 1898 et de la conquête et de la soumission des Philippines par les Etats-Unis, méditons d’abord cet extrait d’un discours du Président américain William McKinley, tenu en 1899 :
« J’ai parcouru les corridors et les pièces de la Maison Blanche, nuit après nuit et je n’ai pas honte de vous dire, Messieurs, qu’en plus d’une occasion je suis tombé à genoux et j’ai prié le Dieu tout puissant pour qu’il m’accorde sa lumière et me guide. Et, une nuit, à une heure tardive, je ne sais comment, mais c’est arrivé, j’en suis venu aux conclusions suivantes : nous ne pouvons en aucun cas rendre les îles des Philippines à l’Espagne parce que ce serait un acte vil et déshonorant ; nous ne pouvons pas davantage les confier à la France ou à l’Allemagne, car elles sont nos concurrents commerciaux en Orient et ce serait, en plus, un mauvais choix, qui diminuerait notre prestige international ; nous ne pouvons pas non plus les abandonner à elles-mêmes parce qu’elles ne sont pas en mesure de se doter d’un gouvernement autonome et sombreraient rapidement dans l’anarchie ou tomberaient sous la houlette d’un gouvernement étranger pire encore que celui de l’Espagne ; il ne nous reste donc plus rien d’autre à faire que de les occuper et d’instruire les Philippins, de les élever au-dessus de leur triste condition actuelle, de les civiliser, de les christianiser et, avec l’aide de Dieu, de faire de notre mieux pour les aider car ils sont nos frères pour qui le Christ est aussi mort sur la croix ».
L’idée que McKinley avait derrière la tête, en dépit de ce discours « généreux », était d’envoyer l’armée américaine tuer un maximum d’indépendantistes philippins, de brûler leurs villages, de les soumettre à la torture et de jeter les bases d’une colonie destinée à être exploitée de fond en comble jusqu’à la fin des temps. Après le conflit hispano-américain de 1898, les Espagnols furent chassés des Philippines, par une action commune des forces américaines et des rebelles locaux.
Les Philippins, sous la houlette du charismatique Andrès Bonifacio, avaient déjà proclamé leur indépendance, mais ni les Espagnols ni les Américains, ne l’avaient reconnue. L’Espagne fut contrainte de confier l’archipel pacifique aux Etats-Unis, contre un paiement de vingt millions de dollars, sans tenir compte des décisions prises par les populations autochtones.
Les groupes de libération avaient déjà assumé le pouvoir sur tout le territoire national, à l’exception de Manille où la garnison espagnole ne s’est rendue qu’aux seuls Américains.
Dans les mois qui ont suivi, les Américains renforcèrent considérablement leurs effectifs dans l’archipel, où ils concentrèrent finalement une armée de 115.000 hommes. Leur objectif déclaré était d’établir un régime colonial aux Philippines. La situation était de plus en plus tendue, ce qui conduisit à l’explosion à Manille, le 4 février 1899, après un bref affrontement entre Philippins et soldats américains. Le jour suivant, le conflit s’est étendu à toute la ville, provoquant la mort de deux mille Philippins et de deux cents Américains.
Après cet incident, le Président Aguinaldo proposa au Général Otis une trêve unilatérale, que les Américains refusèrent immédiatement. McKinley ordonna tout de suite la capture d’Aguinaldo, l’accusant de « banditisme ». McKinley ne déclara jamais la guerre aux Philippines parce qu’il considérait qu’elles étaient déjà entièrement possession des Etats-Unis. A la fin du mois de février 1899, les yankees réussissent à pacifier Manille et ses environs, obligeant l’armée philippine à se retirer vers le nord. A la suite de ce retrait, les forces américaines commencèrent une offensive de grande envergure et battirent les Philippins à Quingao en avril, à Zapoté en juin et à Tirad en décembre.
Au cours de cette première année de guerre, les troupes philippines subirent de terribles revers sur le plan militaire, en perdant notamment leurs plus valeureux généraux comme Gregorio del Pilar et Antonio Luna. Les commandants de l’armée philippine, pour faire face à l’écrasante supériorité des Américains, décidèrent d’adopter de nouvelles tactiques militaires pour éliminer leur présence dans l’archipel. Ils organisèrent des sabotages, de brèves escarmouches, pendant les années qui suivirent leurs défaites. Au cours des quatre premiers mois de l’année 1900, cinq cents militaires américains perdirent la vie dans des actions de guérilla. Les Philippins enregistrèrent alors de petites victoires militaires à Paye, à Catubig, à Makahambus, à Pulag, à Balangigga et à Mabitac.
Pour faire face aux succès des rebelles philippins, les Américains organisèrent de féroces répressions au détriment de la population civile. La majorité des militaires engagés dans cette guerre avaient eu l’habitude de nier totalement les droits des gens, étant donné qu’ils étaient souvent des vétérans des guerres indiennes. Les mêmes tactiques, jadis utilisées contre les Amérindiens, furent mises en œuvre contre les malheureux Philippins : des villages entiers furent détruits, sympathisants et chefs locaux furent éliminés. Les Américains créèrent ensuite des camps d’internement où furent reclus les Philippins, pour y mourir d’inanition.
La tactique yankee parvint à miner les bases des mouvements indépendantistes locaux. Le 23 mars 1901, à cause de l’aide apportée aux envahisseurs par des traîtres indigènes, le Président Aguinaldo est capturé à proximité de Palan. Une semaine plus tard, à Manille, Aguinaldo fut contraint de jurer obéissance aux Etats-Unis et d’appeler les Philippins à déposer les armes.
La capture du Président fut un coup dur pour la résistance populaire, mais les événements ultérieurs ne se déroulèrent pas comme l’avaient espéré les Américains. L’armée de libération lança une terrible contre-attaque, concentrant ses coups principalement dans la région de Batagans. Certes, cette contre-attaque victorieuse n’entama pas la supériorité militaire américaine. Les pertes chez les Marines furent insignifiantes. Mais elle fit comprendre à Washington que la guerre n’était pas finie. Le Général Bell répondit avec une férocité accrue à la renaissance armée du mouvement indépendantiste, en renforçant toutes les mesures répressives contre les insurgés. En 1903, les indépendantistes durent faire face à de graves problèmes logistiques et financiers, face à un ennemi trop puissant. Les dernières troupes rebelles se rendirent donc aux envahisseurs.
Quelques nationalistes philippins n’acceptèrent pas cette reddition et continuèrent la guérilla pendant plus de dix ans. Siméon Ola, qui dirigeait ces groupes d’inconditionnels dans la région de Bicol, fut battu le 25 avril. Il fut le dernier général vaincu en rase campagne. Le reste de ces groupes armés était constitué de milices paysannes, recrutées parmi les plus pauvres des ruraux, et menées par des chefs messianiques qui se référaient tout autant aux traditions animistes qu’au catholicisme importé par les Espagnols. En 1913, la milice commandée par Dionisio Sequela, mieux connu sous le surnom de Papa Isio, dépose les armes la dernière, mettant ainsi fin à la guerre entre Philippins et Américains.
Ce conflit a causé la mort de plus d’un million de personnes (90% de victimes civiles). Les Américains, pour sauver les apparences de la « démocratie » qu’ils importaient, instaurèrent une « Assemblée nationale » composée surtout de latifundistes. En 1946, les Etats-Unis concédèrent l’indépendance aux Philippines, mais continuèrent à exercer une influence prépondérante sur le pays, surtout sur la vie économique et politique.
Saverio BORGHERESI.
(article paru dans « Rinascita », Rome, 23 novembre 2007; trad. franç. : Robert Steuckers).
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Hommage à Sigrid Hunke (1913-1999)

Hommage à Sigrid Hunke (1913-1999)
« Je possède une force en mon âme, totalement et immédiatement réceptive à Dieu » (Maître Eckhart)
Le 15 juin 1999, Sigrid Hunke est retournée à la Grande Unité de la vie et de la mort. Sa vie et son œuvre ont eu et garderont une importance considérable pour notre communauté unitarienne. Nous voulons dès lors nous souvenir d’elle, ici, avec gratitude et respect. Ecoutons ses propres paroles :
Profondément enraciné !
« Lorsque je jette un regard rétrospectif, c’est toujours cette même image qui me revient, qui s’anime, si vivante, devant mes yeux, cette image qui m’a accompagnée si souvent dans la vie : un ciel immense plein de nuages sombres qui chassent, très haut au-dessus de pâturages vallonnés, où se blottissent les fermes entre de puissants châtaigniers, fouettés par la tempête. Chaque jour, je faisais le même chemin et je me pressais contre ce mur de vent invisible et, lentement, je prenais conscience de me trouver là au beau milieu de la lutte des éléments, et j’avançais ainsi sur mon chemin en solitaire… A cette époque-là, … j’ai appris ceci : tout ce qui, —à la façon de ces arbres battus par la tempête et par les averses, se maintient, tout en croissant et en portant des fruits,— doit être solidement enraciné, doit toujours, et sans cesse, puiser ses sèves profondément hors du sol de ses racines, hors de ce sol primordial et divin. Seules les occupations vides de sens, fébriles, sans ancrages solides dans la religiosité finissent lamentablement, sans résistance et dans l’indifférence, par déboucher sur ces platitudes intérieures, ce vide et cet assèchement de l’âme, propre de tout ce qui reste collé à la superficialité du monde matérialiste. Ceux qui veulent aller à l’essentiel, qui veulent créer des valeurs et se réaliser eux-mêmes dans cet acte de création, doivent sans cesse se replonger dans leurs propres profondeurs, pour offrir leur poitrine aux assauts de la vie et puiser dans cette source intérieure les forces pour lancer de nouveaux projets, afin, leur vie durant, de porter et de projeter cet essentiel dans leur vie quotidienne, dans leur profession, dans leur famille et leur communauté ».
Représenter l’unité du monde dans notre communauté, approfondir le sens de cette unité, voilà ce que fut le projet de Sigrid Hunke. Avec les mots simples que nous venons de rappeler ici, elle nous transporte au centre même de sa vision religieuse du monde, qui est aussi la nôtre. En se référant à Wilhelm Hauer et à Friedrich Schöll, elle a été pendant douze ans la vice-présidente de la « Communauté religieuse des Unitariens allemands » ; elle nous a transmis ce qui, à ses yeux, était « l’autre religion de l’Europe », la vraie religion de l’Europe, celle qui allait permettre au divin « de revenir dans sa réalité » (Schöll). Dans de nombreux écrits et discours, elle nous a explicité cette pensée et cette religiosité unitariennes, elle nous a montré son enracinement profond dans la philosophie et la théologie de l’antiquité, du moyen âge et de notre époque contemporaine. Elle nous a expliqué la profondeur et l’ampleur de cette vision unitaire de Dieu et du monde.
Comme par un coup de fanfare, Sigrid Hunke, nous a communiqué, en 1969, à Heide, dans une allocution à l’occasion d’une fête, quelles seraient les thèses fondamentales de son livre La vraie religion de l’Europe. Elle a cité un témoin majeur dans l’histoire de la pensée européenne, Nicolas de Cues : « Qu’est donc le monde sinon la manifestation du Dieu invisible ? Qu’est donc Dieu, sinon l’invisibilité du visible ? N’est-ce pas cet Un, que l’on atteint dans tout ce que l’on peut atteindre ? ».
« Le monde est le déploiement de tout ce que Dieu tient plié en lui. Dieu est le conteneur de tout ce qui se déploie en tout. Il est en tout être, sans pour autant être identique à lui ». En prononçant et en faisant siennes ces paroles de Nicolas de Cues, Sigrid Hunke oppose à la vision du monde chrétienne-dualiste, pour laquelle Dieu et le monde sont fondamentalement différents, la vision unitarienne, où Dieu et le monde sont Un, où ils forment une unitas, la seule unité qui soit.
La vie de Sigrid Hunke
Sigrid Hunke est née en 1913 à Kiel, dans la famille d’un libraire. Elle a étudié dans sa ville natale, puis à Fribourg et à Berlin, les religions comparées, la philosophie et la psychologie, la philologie germanique et l’histoire. Ses maîtres furent notamment Hermann Mandel, Martin Heidegger et Nicolai Hartmann. En 1940, elle passe sa thèse de philosophie avec Eduard Spranger. Elle épouse ensuite le futur diplomate de la RFA, Peter H. Schulze, à qui elle donnera trois enfants : un fils, actuellement professeur d’histoire contemporaine, et deux filles, l’une enseignante, l’autre médecin. Je cite ces éléments biographiques pour montrer que Sigrid Hunke, connue surtout par ses livres, n’a nullement été une philosophe enfermée dans sa tour d’ivoire, mais qu’elle a été une femme complète, épouse et mère, et qu’elle a pu incorporer ces expériences existentielles dans son œuvre. Ecoutons-la :
« Après mon Abitur, j’ai d’abord choisi une formation musicale, pour ensuite me retrouver sur les bancs de l’université et dans mon bureau personnel pour réaliser mon propre travail créatif. A part quelques compositions, j’ai ainsi écrit quelques nouvelles et romans, jusqu’au jour où j’ai été prise d’une véritablement passion pour l’essai scientifique. Chaque fois le désir d’écrire un livre de cette nature était mu par un motif très précis et une nécessité intérieure. Bien que j’ai été une enfant calme et que, très tôt, je me suis sentie attirée par la poésie et les nouvelles poétiques de Storm, Ginskey et Binding, en tant que femme mariée, je me suis sentie interpellée et provoquée par des conceptions générales et stupidement répétées que je tenais pour superficielles et irréfléchies voire pour inexactes : chaque fois, ce fut un défi profond, l’occasion de débattre et de combattre, contre moi-même et contre d’autres. Le résultat fut toujours un livre ».
Reprenons un à un ses principaux ouvrages ; nous nous apercevrons de la diversité et de la variété des intérêts de Sigrid Hunke, et aussi de sa passion pour la vérité et de sa soif de connaissances. Ainsi, en 1955 paraît Am Anfang waren Mann und Frau [= A l’origine, il y avait l’homme et la femme], une psychologie des relations entre les sexes, un livre qui a été lu dans les commissions du Bundestag, quand il s’agissait de codifier les articles assurant l’égalité en droit de l’homme et de la femme. Dans une dédicace qui m’était adressée personnellement, dans la seconde édition de ce livre, en 1987, Sigrid Hunke a écrit : « Dans le mythe germanique, les deux versions confondues, il y avait à l’origine l’Homme et la Femme, non pas comme deux principes opposés, mais comme les deux facettes d’une unité, facettes qui ont émergé en même temps et pourvues toutes deux également par les dieux d’esprit, d’âme et de force vitale ».
Dans Le Soleil d’Allah brille sur l’Occident, paru en 1960, Sigrid Hunke s’est révélée comme une grande spécialiste de la culture arabe. Le livre a été traduit en sept langues. En 1974, Sigrid Hunke est nommée membre d’honneur du « Conseil Supérieur des Questions Islamiques », en tant que femme, qu’étrangère et que non-musulmane ! Dans l’hommage qu’il lui a rendu à l’occasion de ses 70 ans, Gerd-Klaus Kaltenbrunner l’a appelée « l’ambassadrice non officielle de la culture allemande dans les pays arabes ». Son enracinement religieux dans cette vraie religion de l’Europe, l’a conduite à réfléchir sur les origines les plus lointaines des cultures et des peuples de la Terre, à reconnaître leurs spécificités et à les respecter.
Sur la jaquette de son ouvrage Das Reich und das werdende Europa [= Le Reich et l’Europe en devenir], paru en 1965, qui m’a inspiré pour mes cours d’histoire, on pouvait lire : « … seule une Europe mérite nos efforts, sera durable et témoignera d’une vitalité culturelle : celle qui héritera des meilleures traditions, puisées dans la force morale la plus originelle et la plus spécifique, force toute entière contenue dans l’idée d’Empire et dans le principe de la chevalerie ; cet héritage essentiel devra être transposé dans la nouvelle construction politique… ».
Les livres de Sigrid Hunke
Les autres livres de Sigrid Hunke ont également été essentiel pour nous :
◊ Europas andere Religion – Die Überwindung der religiösen Krise (= L’autre religion de l’Europe. Le dépassement de la crise religieuse), 1969. Ce livre fondamental a été réédité in extenso en 1997 sous le titre de Europas eigene Religion (= La religion spécifique de l’Europe) chez l’éditeur Grabert. Il a connu aussi une édition de poche en 1981 : Europas eigene Religion – Der Glaube der Ketzer (= La religion spécifique de l’Europe – La foi des hérétiques) chez Bastei-Lübbe.
◊ En 1971 paraît Das Ende des Zwiespaltes – Zur Diagnose und Therapie einer kranken Gesellschaft (= La fin de la césure dualiste – Diagnostic et thérapie d’une société malade).
◊ En 1979, parution d’un autre ouvrage fondamental, toujours dans la même trajectoire : Glauben und Wissen. Die Einheit europäischer Religion und Naturwissenschaft (= Foi et savoir. L’unité de la religion européenne et des sciences naturelles).
◊ Chez Seewald en 1974 paraît un manifeste : Das nachkommunistische Manifest – Der dialektische Unitarismus als Alternative (= Le manifeste post-communiste – L’unitarisme dialectique comme alternative). L’“Association internationale des femmes-philosophes”, à laquelle appartenait Sigrid Hunke, a été fort enthousiasmé par la parution de ce manifeste et a demandé à l’auteur de le rendre plus accessible au grand public. L’association y voyait l’ébauche d’un monde futur.
◊ En 1986, Sigrid Hunke publie Tod, was ist dein Sinn ?, ouvrage sur le sens de la mort (cf. la recension de Bertrand Eeckhoudt, « Les religions et la mort », in : Vouloir, n°35/36, janv.-févr. 1987).
◊ En 1989, paraît Von Untergang des Abendlandes zum Aufgang Europas – Bewußtseinswandel und Zukunftsperspektiven (= Du déclin de l’Occident à l’avènement de l’Europe – Mutation de conscience et perspectives d’avenir). Sur la jaquette du livre, Sigrid Hunke est décrite comme un « Spengler positif », vu son inébranlable foi en l’avenir : « Dans un processus monstrueux de fusion et de recomposition, l’Occident chrétien est en train de périr inexorablement dans ses valeurs et ses structures, on aperçoit déjà partout, —entre les ruines et les résidus des vieilles structures dualistes, dangereusement hostiles les unes aux autres, se diffamant mutuellement,— poindre les nouveaux développements évolutifs d’une Europe future. Celle-ci reposera sur la loi essentielle d’unicité et d’holicité tapie originellement au fond de l’homo europaeus et se déployant dans tous les domaines humains et culturels. Ceux-ci reviendront à eux-mêmes et, grâce à un ancrage plus profond dans leur propre spécificité, s’élèveront puissamment à un niveau de culture supérieur ».
Les affirmations contenues dans ce livre, l’attitude positive de Sigrid Hunke, nous apparaissent comme un défi, comme un appel que nous avons le devoir de suivre.
Sigrid Hunke a reçu plusieurs prix et distinctions honorifiques pour ses travaux, dont la « Kant-Plakette » en 1981 et le « Prix Schiller du Peuple allemand » en 1985. Elle était aussi la Président de la « Communauté religieuse des Unitariens allemands ».
En tant qu’Unitariens, nous avons été renforcés dans nos convictions par la personnalité et l’œuvre de Sigrid Hunke. Surtout Europas eigene Religion / La vraie religion de l’Europe a été pour nous un guide permanent, un fil d’Ariane dans l’histoire spirituelle de notre continent. Pour nous, Sigrid Hunke demeurera inoubliable et immortelle.
Bernhard BÜHLER,
Au nom de la « Ligue des Unitariens allemands ».
(Hommage paru dans Glauben und Wirken, juillet-août 1999).
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Fondation du MSI

Fondation du MSI
30 décembre 1946 : Fondation à Rome du « Mouvement Social Italien », que les médias ne cesseront de qualifier de « néo-fasciste ». Ce mouvement connaîtra bon nombre de vicissitudes au cours de son histoire, créera un espace politico-culturel vivant qui culminera avec la revue « Area » qui paraît toujours, avant de se transformer sous l’impulsion de Gianfranco Fini en une « Alliance Nationale », qui reprend certes des positions du MSI mais les complète ou les édulcore de référents gaullistes (l’option pour un régime présidentialiste) ou républicains à l’américaine (avec la mascotte « éléphant » lors d’une campagne électorale). Cette modernisation ne fait pas l’unanimité, même si elle fait incontestablement la majorité : Fini est accusé de « trahison » et le parti « Fiamma Tricolore » reprend à son compte le décorum et l’esprit du premier MSI. La formation AN de Fini entrera dans un gouvernement de coalition de centre-droit après la victoire électorale du mouvement « Forza Italia » du milliardaire Berlusconi, qui balaie les vieux partis historiques de la République d’après 1945. L’AN fait désormais partie intégrante du paysage politique italien.
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samedi, 29 décembre 2007
Les Sikhs et la Khalsa

Moestasjrik / ‘t Pallieterke :
Les Sikhs et la Khalsa
On discute actuellement au Parlement belge du droit des Sikhs au port de leur dague traditionnelle, le « kirpaan ». Le terme, désignant cette arme blanche, dérive du mot « kripa », qui signifie la « grâce » ; les Sikhs actuels affirment qu’il ne portent cette dague que pour se défendre ou pour protéger les faibles contre toute agression et jamais pour commettre eux-mêmes des agressions. Les Sikhs bénéficient du privilège de porter cette arme, vecteur de paix selon leur tradition, en Inde, leur patrie, en Grande-Bretagne et dans d’autres pays du Commonwealth. Ce privilège ne découle pas de l’idéologie des Lumières dans sa nouvelle mouture multiculturaliste mais de la position dont jouissaient déjà les Sikhs dans l’Empire britannique car ils s’étaient alliés aux Anglais dès l’époque de la grande révolte des Indes en 1857.
La région, d’où les Sikhs sont originaires, venait alors d’être conquise par les Britanniques et les peuples indigènes se souvenaient de la supériorité militaire de leurs conquérants. Les Sikhs ne partageaient pas l’optimisme des autres Indiens qui pensaient pouvoir submerger facilement les Britanniques, peu nombreux, en jetant dans la bataille la masse innombrable de leurs combattants. Ensuite, les insurgés indiens de 1857 avaient élu le dernier « padeshah », ou dernier empereur mogol, comme chef de leur révolte, l’indolent Bahadur Shah Zafar, souverain nominal du résidu d’empire qui était, de fait, sous le contrôle réel des Britanniques. La dynastie mogol était l’ennemie héréditaire des Sikhs : raison pour laquelle ceux-ci choisirent le camp britannique. Les Sikhs sauvèrent la vie d’administrateurs britanniques, de leurs épouses et enfants. Après le rétablissement de la puissance britannique, ils furent récompensés de leur fidélité en pouvant faire carrière dans l’armée coloniale ; ils servirent partout : du Kenya à Singapour et à Hong Kong. Dans l’album de Tintin, « Le Lotus Bleu », on voit des Sikhs dans les unités de maintien de l’ordre de la concession internationale de Shanghai.
Les « disciples »
Le sikhisme est une école fondée par le gourou Nanak (1469-1539), inspirateur d’un courant dévotionnel à l’intérieur du culte de Vishnou et de ses réincarnations Rama et Krishna. Le terme « Sikh » signifie donc « disciple », en l’occurrence disciple du Maître Nanak. Pendant la vie de ce dernier, le Sultanat de Delhi -régime d’occupation qui confirme les pires stéréotypes sur l’islam sanguinaire- fut éradiqué par le conquérant ouzbek Babar, descendant tout à la fois de Genghis Khan et de Timour Lenk (ou « Tamerlan »). Babar fondit en 1526 l’Empire Mogol qui, au départ, poursuivit la politique de terreur du Sultanat de Delhi contre les « incroyants ». Sous le règne du petit-fils de Babar, Akbar, cette politique fut abrogée et remplacée par un régime plus tolérant. Pendant un siècle environ, l’Inde vécut ainsi sous un régime de réelle tolérance jusqu’à ce que le Padeshah Aurangzeb se remit à serrer la vis vers 1668. Toutefois le cinquième gourou des Sikhs connut la mort du martyr en 1606. Il avait compilé un certain nombre de vers pieux de Nanak et d’autres poètes hindous pour un faire une anthologie portant pour titre « Gourou Granth » ; la cour mogol apprit que ce livre contenait quelques propos anti-islamiques. Ce fut considéré comme intolérable : le gourou fut torturé pendant cinq jours jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Le neuvième gourou des Sikhs fut lui aussi exécuté après qu’il ait refusé de se convertir à l’islam. Son fils, le gourou Govind Singh, décida que de telles exécutions ne pouvaient plus avoir lieu dans l’avenir et constitua en 1699 une milice pour lutter contre le pouvoir musulman. C’est ce que nous rapporte la légende mais, toutefois, il convient de dire que la vérité historique est moins binaire. Les Sikhs eux-mêmes n’avaient jamais cherché la confrontation : ce furent les Mogols qui rompirent l’équilibre et l’entente entre confessions en faisant exécuter les chefs spirituels qu’ils jugeaient « mécréants ». Les Sikhs retrouvèrent assez rapidement les faveurs de la Cour mogol. Plus d’un gourou sikh devint le conseiller ou le confident des empereurs ou des princes héritiers, notamment le père de Govind, avant que celui-ci ne tombe en disgrâce, et Govind lui-même après s’être péniblement extrait de cet état de disgrâce.
Malgré ces périodes de connivence, le gourou Govind, au beau milieu de son magistère, entre 1699 et 1705, était bel et bien en conflit avec le régime mogol musulman. La confrontation ne fut pas glorieuse pour lui : il fut poursuivi, chassé, défait ; deux de ses quatre fils tombèrent au combat ; les deux autres furent capturés puis torturés à mort. Govind n’a donc pas eu de postérité biologique directe : il décida que la lignée des gourous sikhs était définitivement achevée et que le seul gourou, dorénavant, devait être le livre « Gourou Granth ». Bon nombre de ses disciples lui tournèrent le dos, à cause de sa direction malheureuse. Finalement, il envoya au Padeshah Aurangzeb une lettre, où il émit quelques critiques -raison pour laquelle les Sikhs le considèrent comme courageux et appellent sa lettre « Zafar-Nama », la « lettre de la victoire »- mais, en fin de compte, il y offrit sa soumission. Il devint un courtisan du prince héritier Bahadur Shah. Parce que le gouverneur mogol, qui avait battu Govind, se sentait menacé par l’amitié qui liait ce dernier au nouveau Padeshah, il le fit assassiner en 1708. Govind fut ainsi le troisième gourou à périr d’une main musulmane, ce qui contribua, bien évidemment, à consolider la haine profonde qu’éprouvent les Sikhs à l’endroit des musulmans, une haine qui fut réactivée en 1947 lorsqu’ils furent expulsés en masse du Pakistan, nouvel Etat islamique issu de la décolonisation du sous-continent indien.
Ce n’est donc qu’après la mort de Govind que le sikhisme prit l’initiative militaire de combattre le pouvoir musulman. Banda Bairagi, homme de confiance de Govind, mena une insurrection, qui fut écrasée dans le sang. Mais, sur ces entrefaites, la puissance mogol se vit brisée par un facteur nouveau, venu du sud, les Marathes hindous. L’Empire mogol n’eut plus qu’une existence nominale, tandis que le véritable pouvoir était exercé par les Marathes, qui le tiendront jusqu’à leur défaite de 1818 face aux Britanniques. Dans la région des Sikhs, il y eut donc subitement, à cause de la défaite des Mogols face aux Marathes, un vide de pouvoir, leur permettant de proclamer leur propre Etat, qui résista à l’avance des Britanniques jusqu’en 1849.
Les cinq « K »
Malgré ses déboires militaires, le gourou Govind demeurera dans l’histoire pour avoir, en 1699, réorganisé une partie des Sikhs en un ordre militaire, la Khalsa (de l’arabe « khalis », signifiant « pur »). Lors d’un rassemblement, il aurait dit -mais la narration de cette assemblée date de 1751 et est donc peu fiable- qu’il avait besoin de quelqu’un qui soit prêt à donner sa vie. Un premier volontaire se présenta : c’était un homme appartenant à la même caste que les dix gourous qui s’étaient succédé depuis Nanak.
Ce volontaire s’engouffra dans une tente en compagnie de Govind. Le gourou en sortit un peu plus tard, un sabre ensanglanté à la main. Malgré le suspens pesant sur l’assemblée, un deuxième volontaire se présenta et entra dans la tente, puis un troisième. Après un manège identique avec cinq volontaires au total, le gourou sortit de la tente, avec les cinq volontaires, désormais appelés les « cinq favoris », se tenant par la main, tous bien vivants, rayonnant dans leurs habits et leurs turbans orange. Ils appartenaient à cinq différentes castes et venaient de cinq régions différentes, symbolisant par là même l’unité des Sikhs.
Les membres de la Khalsa, qui devinrent l’élite « normante » de la communauté sikh, doivent se tenir à toute une série de règles. Ainsi, ils ne peuvent pas épouser une femme musulmane ni manger de la viande « halal » (c’est-à-dire de la viande pure selon les critères de l’abattage rituel islamique). Cette disposition de la Khalsa pourrait avoir un réel impact sur nos sociétés devenues multiculturelles : nos enfants sont contraints, désormais, de manger de la nourriture « halal », dans les cantines scolaires sous prétexte que cela ne fait aucune différence pour eux, alors que leurs condisciples musulmans, eux, ne peuvent pas manger de viande « non halal ». Mais que doit faire dès lors l’enfant d’immigrés sikhs ? Pour eux, cette nourriture « halal » constitue un interdit alimentaire, quoique de manière inverse : il leur est rigoureusement interdit d’en absorber ! Toute école « progressiste », qui fait de la multiculturalité islamocentrée une obligation absolue à respecter, et qui fait cuire des plats « halal » pour l’ensemble de ses élèves, mais ne prend évidemment pas la peine de faire cuire des plats « non halal » pour les élèves chrétiens ou laïcs, lesquels doivent ipso facto renoncer à leur cuisine traditionnelle, devra à l’avenir, du moins si elle veut respecter les critères pluralistes de la multiculturalité, faire cuire des plats non halal pour d’éventuels élèves sikhs, faute de quoi leurs discours multiculturels apparaîtraient pour de la pure farce ou pour une islamisation déguisée, ce qui serait une option monoculturelle et non plus multiculturelle.
Les membres de la Khalsa ne peuvent jamais camoufler leur identité en portant des vêtements banals. Il faut qu’ils soient reconnaissables en portant la barbe et un certain type de turban, en portant également le titre honorifique du guerrier « Singh » (= « lion ») et en respectant la règle des cinq « K » : « Kesha » pour « cheveux », lesquels ne peuvent être coupés ; « Kangha » pour « peigne », afin de pouvoir porter leurs longues chevelures de manière ordonnée et soignée, à la différence de la pilosité désordonnée des ascètes hindous (le sikhisme est contre le renoncement au monde et le célibat monacal) ; « Kara » pour le bracelet d’acier ; « Katchtchiha » pour le pantalon knickerbockers sur le modèle militaire britannique ; et enfin, « Kirpaan », pour la fameuse dague, que les autorités indiennes et britanniques permettent de porter, aujourd’hui encore.
Renoncer au port de cette arme blanche est donc inacceptable pour les Sikhs membres de la Khalsa. Etre en mesure de se défendre par les armes est pour eux une obligation.
Moestasjrik/’t Pallieterke, 19 décembre 2007 (trad. franç.: Robert Steuckers).
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M. Maffesoli et "La violence totalitaire"

Laurent SCHANG :
Un classique à relire: Michel Maffesoli et "La violence totalitaire"
Conférence tenue à l'Université d'été de "Synergies Européennes", 1999, Pérouse/Ombrie
«L’Etat qui se veut le propriétaire de la société en vient à exercer une violence pouvant prendre des formes diverses, mais dont le résultat est identique. En effet, que ce soit à la manière douce de la technostructure, ou brutalement sous les diverses tyrannies, ce qui se veut totalisant tend à devenir totalitaire».
Ces propos, introduction à l’essai d’anthropologie politique La violence totalitaire , illustrent le projet panoramique de sociologie politique du politologue Michel Maffesoli. C’est une œuvre puissante, volontariste, touffue également, qui trouve sa place au côté de son pendant philosophique, Michel Onfray.
Le lecteur y retrouve en filigrane les trois thèmes centraux de sa réflexion protéiforme et engagée, que sont:
-l’opposition ontologique entre puissance et pouvoir;
-la nature fondamentalement totalitaire de toute structure étatique; et
-l’immanence «ouroubore», ou cyclique de tout processus révolutionnaire.
Trois axes d’une pensée vivifiante directement située dans la continuité de ses lectures, à savoir Spengler, Tönnies, Weber, Freund, Schmitt et Durkheim. Des classiques de l’hétérodoxie politique dont Maffesoli s’est non seulement imprégné mais qu’il se réapproprie et réactualise dans une logique de contestation, pondérée par ce qu’on appellera génériquement un conservatisme cynique qui doit plus aux leçons de la sociologie qu’à des convictions personnelles nécessairement idéologiques.
Logique de contestation et conservatisme cynique
Chez Maffesoli, c’est la démarche «para-scientifique» qui fonde la qualité de sa réflexion, plus encore que la pertinence de ses développements et conclusions. «Une démarche proche du poétique pour laquelle il est moins important de changer le monde que daller au plus profond dans l’investigation et la monstration». Selon la formule de l’Ecclésiaste: «Quid novi sub sole? Nihil». Plus précisément, cela consiste, «comme le dit Rainer Maria Rilke, à affronter, à vivre ce problème essentiel qu’est l’existence, dans une "saisie du présent" qui récuse l’historicisme et revendique le droit à l’inutilité. Un existentialisme vitaliste qui puise à la source de Nietzsche et ne craint pas de recourir autant, sinon plus, aux enseignements des grandes plumes littéraires qu’aux cours magistraux des pères de la science politique. Qu’on juge plutôt: Raymond Aron est quasi-absent de La violence totalitaire, bel exploit pour un politologue français.
A l’inverse, ses influences «pirates» témoignent d’une absence d’a priori et d’une aspiration à la connaissance la plus large, qui traduisent un art de penser le monde et les hommes tout de souplesse et de circonvolutions. Livrées en vrac, les références qui parsèment La violence totalitaire, artistiques pour la plupart, parlent d’elles-mêmes: Artaud, Bloch, Breton, Céline, De Man, Hoffmansthal, Jouvenel, Klossowski, Krauss, Lukacs, Maistre, Michels, Orwell, Pareto, Vico, etc. La liste n’est pas exhaustive.
Et de fait, on ne peut rien comprendre au cheminement intellectuel de Michel Maffesoli si l’on n’a pas en tête, page après page, sa lumineuse formule: «Il y a toujours de la vie, et c’est cela qui véritablement pose problème».
Polythéisme des valeurs et néo-tribalisme
Sa réflexion va du nominalisme à l’empathie, et prône le dépassement des frontières dressées entre les divers aspects de la vie sociale et de la vie naturelle. Une nécessité dictée par les signes avant-coureurs d’une mutation de notre civilisation: achèvement du progressisme historique, accentuation a contrario du concept de temps présent, relativisation de la maîtrise bourgeoise du temps et de l’espace, remise en cause de l’exploitation de la nature, de la domination rationalisée de la société.
Une critique des Lumières donc, prémisse d’une révolution dans laquelle Maffesoli discerne le retour au polythéisme des valeurs et l’émergence d’un «néo-tribalisme diffus ne se reconnaissant plus dans les valeurs rationnelles, universelles, mécaniques qui ont marqué la modernité».
Le réveil de la communauté contre la réduction au même, la Spaltung
«En gros le [pouvoir] est l’apanage de l’Etat sous ses diverses modulations. Le pouvoir est de l’ordre de l’institué. Par contre la puissance (...) vient du bas, elle est le fondement même de l’être-ensemble»; elle est force spirituelle «indépendante des facteurs matériels, nombre et ressource» (H. Arendt).
Maffesoli récupère la Freund-Feind-Theorie de Carl Schmitt: il y a pouvoir là où il y a affaiblissement de la puissance (collective), deux facteurs indissociables et antagonistes qui composent toute constitution politique. Il reprend dans la foulée la distinction opérée par Vilfredo Pareto entre la puissance «résidus», constantes de l’activité humaine, et le pouvoir «dérivations», conceptions variables, pôle dynamique. «L’entrecroisement (des deux) constitue la trame sociale» dans un rapport de forces en équilibre toujours instable.
Parler de l’Etat, après Nietzsche, c’est «parler de la mort des peuples», tant sa logique élémentaire consiste à mettre en application l’équation «moi l’Etat, je suis le peuple».
Pour autant, le fantasme totalitaire n’est pas réductible «aux seuls fascisme et stalinisme, mais (...) il a tendance à se capillariser dans l’ensemble du monde par le biais du contrôle, de la sécurisation de l’existence ou du bonheur planifié», tel que l’exprime également l’american way of life.
Le propre du pouvoir réside dans le projet social idéalisé qu’il entend imposer, déniant «la réalité ou l’efficace des différences, des cultures, des mutations» sur la base de son idéologie positiviste.
«Une autre de ses facettes est (...) la laïcisation (...) de l’unicité salvatrice chargée d’assurer des promesses futures», dans une logique mise en évidence par Hobbes d’utilisation «du droit naturel comme substitut de la loi divine.»
Solidarité mécanique contre solidarité organique
L’unicité factice ainsi créée nie la solidarité d’ordre organique pour lui substituer une «solidarité mécanique» dont les rouages ont été mis en avant par les travaux de Durkheim. Pour asseoir sa domination, le pouvoir dispose de multiples ressorts: la lutte contre la faim, le besoin de sécurité, l’organisation du travail; autant de facteurs de déstructuration sociale qui jouent un rôle médiateur entre pouvoir et puissance.
Détenteur de la technique, le pouvoir méconnaît les limitations libérales du pouvoir par le pouvoir, du pouvoir par le savoir. La liberté abstraite véhiculée par l’égalité nie la pluralité de l’action sociale. L’anomie généralisée qu’elle suscite entraîne automatiquement le relâchement du lien communautaire. Son fondement individualiste néglige le fait que la vie individuelle découle de la vie collective, et non l’inverse. L’égalisation par l’économique achève de diluer le sens tragique du rapport désir individuel-nécessité sociétale dans ce que Maffesoli appelle «l’ennui de la sécurisation (...) ce qu’il est convenu d’appeler le progrès de la société.»
Héritage des Lumières et de l’Europe du XIXe siècle, l’idéologie technicienne amorce l’ère de la rationalité totalitaire. «La technique orientée vers une fin» selon les propos de Jürgen Habermas, qui ne manque pas de dénoncer la dérive sacralisante de la technique moderne, incarnée dans sa bureaucratie.
Mais, par bureaucratie, Maffesoli n’entend pas le poids de l’administration sur la société; il nomme «bureaucratie» le jeu démocratique même.
Idéologie technicienne et société du spectacle
«La bureaucratie de l’Etat moderne se reflète dans les partis». La prise de parole contestataire entretient «un état de tension qui lui assure dynamisme et perdurance». C’est d’ailleurs l’étymologie du verbe contester: con-tester, aller avec et non pas contre. L’opposition est avortée dans l’œuf, elle devient adjuvant de l’institution. Un consensus qui mime seulement la socialité participative. La bureaucratie n’écoute pas l’opinion atomisée, elle la met en scène périodiquement par le biais des élections, des sondages médiatisés, des enquêtes journalistiques.
On entre dans la société du spectacle de Guy Debord, qui dit que «Donner la parole, la concéder c’est déjà en empêcher l’irruption violente, c’est la châtrer de sa vertu subversive».
La Gesellschaft a vaincu la Gemeinschaft.
La révolution : «mythe européen» et «catharisme moderne»
A ce stade de son analyse, Michel Maffesoli convient que «tout pouvoir politique est conservateur», parce qu’il incarne une immanence que la circulation des élites ne fait que redynamiser. Ceci au besoin par l’action révolutionnaire, dont il désamorce la charge subversive. Sa définition de la révolution est la suivante: «La révolution est la manifestation d’une archaïque pulsion d’espérance ou d’un irrépressible désir de collectif, et en même temps le moyen par lequel s’expriment la "circulation des élites", le perfectionnement de l’idéologie productiviste et l’affermissement d’un contrôle social généralisé», «le remplacement d’un pouvoir faible par un pouvoir fort, purification sociale qui ne change rien à la structure réelle du pouvoir».
La révolution est un «mythe européen», dont «le monothéisme social» pour reprendre l’expression de Maffesoli est un projet totalitaire, est intégré au projet totalitaire intrinsèque au pouvoir. C’est le mythe prométhéen d’une société parfaite, utopique, un «catharisme moderne» dont le souci est la purification du monde. Sans ironie, on peut considérer la Compagnie de Jésus comme sa représentation la plus aboutie.
Le progressisme linéaire qui prévaut dans l’esprit révolutionnaire moderne rompt avec la présupposition d’un ordre éternel et d’une définition de la révolution comme restauration de cet ordre. Aujourd’hui, la révolution est conçue comme «un renversement violent du pouvoir établi avec l’appui des masses ou du peuple sous l’autorité de groupes animés par un programme idéologique». Cependant il est frappant de constater que, de 1789 à 1968, ce sont les mêmes références issues du passé qui ont mobilisé les énergies révolutionnaires. Chez Rousseau comme chez Marx se dessine la même rémanence d’une restauration d’une nature vraie, et perdue, de l’homme. Il n’y a pas d’épistémé, mais, dixit Bachelard, un «profil», une épaisseur épistémologique, où l’on retrouve dans des arguments divers des éléments semblables supérieurs au messianisme épiphénoménal de chaque période révolutionnaire. En ce sens, Maffesoli rejoint Freund, quand celui-ci dit que «le révolutionnaire authentique est un conservateur». «Une fois [la] fonction [révolutionnaire] accomplie [translatio imperii] sétablit un nouveau pouvoir dont le principal souci sera de juguler la révolte qui lui a donné naissance».
La révolution permanente prônée par les Robespierre, Saint-Just, Trotsky, et aussi d’une certaine manière Ernst Röhm, est une scorie phraséologique qu’il faut dépasser. Le calcul et le quantitatif doivent succéder au charisme et au qualitatif. Ce qui permet à Maffesoli de qualifier la révolution d’invariance du pouvoir et de reproduction du même. «Le révolutionnaire aime vivre dans l’ordre (...) . L’idée n’a rien de paradoxal. «La perspective révolutionnaire est réaction contre un ordre anarchique (...) elle fonctionne sur la nostalgie d’une totalité parfaite (...) où l’égalisation (...) serait le garant du bonheur total.»
La révolution annexe de l’ordre capitaliste industriel
Science, technique, raison et égalité forment autant la colonne vertébrale de la révolution que de la société de domination.
Avec Baechler, il faut mettre en exergue le fait que «le peuple ne fait jamais de révolution, mais participe à une révolution (...) le peuple ne prend jamais le pouvoir, mais aide une élite à le faire». La révolution n’est qu’une «circulation accélérée des élites», pour reprendre les termes de Jules Monnerot, un changement de vitesse et jamais un changement de structure.
On peut dire ainsi tant que l’homme sera homme, qu’à une révolution succédera une autre révolution, elle-même poursuivie par une révolution boutée par une autre révolution, dans un mouvement cyclique infini, puisqu’en finalité chaque révolution se rigidifie au contact du pouvoir, et se grippe.
La révolution est devenue l’annexe de l’ordre capitaliste industriel des XIXe et XXe siècles. Fondées sur l’idéal de «l’activité économique séparée et systématisée, et de l’individu comme personnalité autonomisée et référée comme telle», la révolution et le pouvoir sont les deux actes d’une même pièce, une tragédie appelée totalitarisme.
Le serpent «dont il faut venir à bout»
Pour conclure, et parce que, malgré tout, après la pluie revient le beau temps, je vous soumettrai en note d’espoir les quelques antidotes proposés par Michel Maffesoli pour contrer La violence totalitaire. Lesquels antidotes rejoignent par bien des aspects les positions défendues par Synergies Européennes:
-en premier, un devoir pour nous tous: «désamorcer, ainsi que le démontrait Durkheim, cette superstition d’après laquelle le législateur, doué d’un pouvoir à peu près illimité, serait capable de créer, modifier, supprimer les lois selon son bon plaisir (...) [et redécouvrir que] le droit est issu de nous, c’est-à-dire de la vie elle-même (...)»
-ensuite, restaurer l’authenticité de la question nationale dans son expression communautaire, seule formule historique qui ne cède pas à la «crispation particulariste» mais tend vers un «ailleurs universel».
-enfin, étendre l’idée incarnée dans la germanité nietzschéenne aux niveaux européen puis mondial. Briser la rationalité étriquée du centralisme étatique et bureaucratique par la dynamique de l’enracinement. Une manière d’exprimer le plus harmonieusement le développement individuel et social, et leur rapport à la nature comme nécessité.
Et puisque la révolution et le progrès sont tous deux d’essence mythique, je soulignerai que si l’Ouroubouros est le «gardien de la pérennité ancestrale» du pouvoir dans sa continuité, c’est aussi le serpent «dont il faut venir à bout». Peut-être parmi nous se trouvent déjà, ici même, les Saint-Michel, Saint-Georges, Jason ou Héraklès qui accompliront cette tâche civilisatrice.
Pour que cesse La violence totalitaire.
Laurent SCHANG.
Achevé décrire en 1979, publié chez Klincksieck depuis 1992, La violence totalitaire. Essai d’anthropologie politique de Michel Maffesoli est aussi disponible chez Desclée de Brouwer depuis cette année 1999.
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vendredi, 28 décembre 2007
Y.M. Laulan: nations suicidaires et déclin démographique

Entretien avec Yves-Marie Laulan :
Nations suicidaires et déclin démographique
Après des études de Sciences politiques et un doctorat d'Etat de Sciences économiques, Yves-Marie Laulan a été successivement économiste au FMI, à la Banque mondiale et à la « Caisse française de développement ». Conseiller au cabinet de Michel Debré aux Finances puis aux Affaires étrangères, directeur des affaires économiques et président du comité économique de l'OTAN, directeur des études de la Société générale, directeur général du Crédit municipal de Paris. Il est consultant international depuis 1995 et professeur associé à Paris II. Yves-Marie Laulan a été professeur à Sciences-Po, à Paris-Dauphine, puis au Panthéon, conférencier à Polytechnique et à l'Ecole supérieure de Guerre et à l'IHDN, membre de la commission des comptes et budgets économiques de la Nation, président international des économistes de banque. Il vient de publier chez F. X. de Guibert Les nations suicidaires un ouvrage sur la démographie.
XCh : En matière démographique,vous avez l'air d'être volontairement pessimiste…
YML : Ce ne sont pas les propos de l'auteur qui sont violents, mais la situation qui est violente. En fait, il est déjà presque trop tard; les phénomènes démographiques, ceux, disons, que je traite, ont ceci de particulier, et de singulier, qu'ils sont lents, et passent largement inaperçus, jusqu'à ce qu'il soit trop tard précisément; on peut réparer les ravages d'une guerre en quelques années, l'Allemagne et la France en ont fait l'expérience. On peut se remettre des conséquences d'une crise économique en peu de temps. Mais un traumatisme démographique prend des décennies, ou des siècles, pour guérir, quand il n'est pas inguérissable. Après tout, un siècle et demi après l'abolition de l'esclavage aux Etats-Unis, les Noirs américains ne sont toujours pas intégrés dans la société américaine. Mais vous avez en partie raison. J'ai adopté, volontairement un ton un tantinet provocateur. Car pour réveiller les sourds, il faut un énorme carillon. Et à quelle opinion publique abêtie, abrutie, anesthésiée par un matraquage médiatique quotidien n'avons-nous pas affaire? La France de l'information aujourd'hui, c'est, en mieux, car en plus efficace, la Roumanie de Ceaucescu. Ceci étant, le dissident de la pensée unique que je suis, le samizdat de la Russie soviétique, selon l'expression de Pierre Chaunu, veut incarner, modestement, à sa mesure, le veilleur à l'aube dont parle la Bible (Isaïe), celui qui reste seul à son poste, toute la nuit, en attendant que l'aube se lève, peut-être.
XCh : Comment expliquez-vous que nous soyons confrontés à un hiver démographique des plus terribles ?
YML : Pourquoi faut-il que ce soit au moment où le niveau de vie bat tous les records, où la condition humaine en général, celle de la femme occidentale en particulier, n'ont jamais été aussi favorables, que l'on assiste à un effondrement de la natalité? Ce phénomène est bien sûr nié ou camouflé par les menteurs patentés que sont les démographes officiels, qui sont aux réalités démographiques ce que Radio Paris était à la vérité de l'information pendant l'Occupation. Les principaux facteurs du phénomène sont les suivants. La femme occidentale ne veut ou ne peut pas avoir d'enfants. La fameuse poupée Barbie dont on parle tant ces jours-ci incarne bien la vision que l'on se fait de la femme dans nos sociétés repues et stériles. Ni mère, ni épouse, amante occasionnelle, elle vit en suzeraine au sein de son propre univers enchanté qui repose sur le sexe, un peu, le sport, beaucoup, la carrière énormément, son corps enfin, totalement. Elle se veut homme, à part entière. Car la société occidentale a été incapable de formuler une réponse convenable à ce grand défi du XXe siècle: comment réussir l'émancipation de la femme? Comment lui permettre de concilier raisonnablement son rôle de mère, indispensable pour la perpétuation de l'espèce, sur le plan biologique comme culturel, et son rôle, non moins nécessaire, de professionnelle. Allez donc poser la question à M. Juppé; et puis, il y a le triomphe, sans pudeur, des homosexuels, qui ne sont pas réputés pour leur fécondité naturelle. Acceptable à titre privé, dans la décence et la discrétion, l'homosexualité devient agressive et prosélyte, comme on le voit avec le Pacs. Les homosexuels réclament la reconnaissance sociale et la considération qui va, au même titre et même davantage, aux pères ou mères de famille, ce qui en dit long sur l'inversion des valeurs dans nos sociétés à vocation suicidaire. Mais on pourrait ajouter bien d'autres facteurs, comme la culture de mort si justement dénoncée par le Pape Jean-Paul II, avec l'avortement de masse, remboursé par la Sécu —un comble— et l’humanitarisme médiatique, qui s’attaque sans cesse aux valeurs "fortes" : honneur, travail, dignité, sens de la famille, goût du sacrifice et du renoncement, etc. Si je poursuivais sur cette voie, on me prendrait pour un prédicateur en chair et en os.
XCh: Cet hiver démographique n'est-il pas l'expression d'une fuite des responsabilités?
C'est bien le fond du problème. Car depuis trente ans, nous assistons, impuissants et résignés, à une fuite généralisée devant les responsabilités, et cela à tous les niveaux. Irresponsabilité des garçons qui ne veulent plus assumer la responsabilité d'être pères ou chefs de famille. Irresponsabilité des filles qui ne veulent plus mettre d'enfants au monde et préfèrent adopter des toutous pour leur tenir compagnie (il est vrai que les chiens ne cotisent pas pour la retraite; mais personne n'est parfait). Irresponsabilité des hommes politiques qui préfèrent sacrifier l'avenir du pays afin de préserver leurs précieuses chances aux prochaines élections (il ne faut mécontenter personne, et après moi le déluge !). Irresponsabilité des fonctionnaires qui veulent toujours plus d'effectifs, d'augmentations de salaires, de primes, et moins de temps de travail. La France est en train de se transformer, sous la houlette socialiste —mais la droite n'a guère fait mieux— en un gigantesque camp d'assistés de tous genres et de tous poils. D'ailleurs, dès lors que 57% du PIB est redistribué, on peut affirmer sans crainte de se tromper qu’un Français sur deux est assisté, et donc irresponsable.
XCh: En épousant l'individualisme et un certain confort anesthésiant, la France n'est-elle pas sur la pente qui peut la conduire à sortir de l'histoire?
YML : La France est déjà sortie de l'histoire de notre temps sur la pointe des pieds. Elle y rentrera peut-être un jour. Mais, ceci est une autre histoire. Pour l'instant, nous avons déjà renoncé à deux attributs majeurs de la souveraineté, qui font qu'une nation existe au monde, à savoir: la monnaie avec l'euro, depuis le début de l'année. La monnaie légale en France depuis le 1 janvier 1999 est l'euro, (dont le cours légal est géré à Francfort), et non plus le franc, qui n'est plus qu'une monnaie divisionnaire. Par ailleurs, la France a aussi renoncé à son armée qui n'est plus qu'une force de police auxiliaire, au service de l'OTAN et de nos alliés. L'Europe aujourd'hui n'est pas une ascension vers un mieux-être, mais une fuite en avant qui permet à nos hommes politiques de conserver leurs indemnités parlementaires, opulentes tout en évacuant sur Bruxelles les décisions difficiles. Ce n'est plus l'Europe sans rivages de François Perroux, mais l'Europe sans visage de Jacques Delors, celle de tous les abandons, de toutes les lâchetés, de tous les renoncements. Le drame est que les Français restent sans voix et sans réactions, comme hébétés, devant toutes les mutilations de leur souveraineté qui leur sont imposées. Ils manifesteront en masse pour la chasse à la tourterelle mais ne réagiront pas contre le Pacs ou contre le Traité d'Amsterdam. Ce n'est plus un peuple de veaux mais une colonie de lemmings. Et on le dit ingouvernable. Erreur. On le manipule comme on veut et on lui fait avaler n'importe quoi.
XCh : Existe-t-il des signes de salutaire réaction?
YML : Aucun pour l'instant. Le profil de l'encéphalogramme est plat et le patient dans un état comateux profond.
XCh : Pensez-vous que la France survivra au XXe siècle?
YML : Tout dépend de ce que l'on appelle survivre; en tant que peuplade dotée d'un passeport plus ou moins récent et, bien entendu, d'une carte de sécu, les Français ont toutes les chances de survivre. On ne va pas perdre comme cela le secret du cassoulet, du magret de canard ou des tripes à la mode de Caen. Et puis, il y a le foot. Comme peuple, fier de son passé et soucieux de son destin, comme nation, orgueilleuse de sa présence au monde et de sa place dans le concert européen, c'est une toute autre histoire. En raison de son évolution démographique caractérisé par un affaissement démographique interne, compensé par une immigration massive de peuplement, la France a toute les chances de devenir ce que l'on peut appeler une société malheureuse. Elle surmontera difficilement les contradictions internes qu'elle a elle-même créées. Peuplée de fortes minorités à vocation majoritaire, très différentes par leur culture et leurs valeurs, et donc forcément rivales, la France deviendra un pays où le simple maintien de l'ordre public va requérir la mobilisation de toutes les ressources internes pour conserver un semblant d'ordre social. D'autant plus, qu'au contraire des Etats-Unis, qui ont accepté les rudes disciplines du libéralisme créateur de richesses et d'emplois, la France adopte des mesures ineptes comme le montre bien la funeste loi des 35 heures qui est la risée du monde civilisé. De telles sociétés ne peuvent prétendre avoir une politique étrangère ou de défense extérieure, mais, ce qui est déjà beaucoup, de simple préoccupations de maintien de l'ordre, dans le cadre d'un régime de plus en plus policier et d'une économie de plus en plus étatisée comme c'est déjà le cas dans maints pays africains ou au Liban. Si c'est cela que vous appelez survivre, alors oui, la France a des chances de survivre. Mais dans quel état !
(propos recueillis par © Xavier CHENESEAU, pour « Synergies Européennes »).
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Entretien avec Bernd Rabehl

Entretien avec Bernd Rabehl, leader en 1968 de l’Opposition extra-parlementaire ouest-allemande
Nous sommes devenus un peuple d’ilotes !
Propos recueillis par Dimitrij Grieb
Introduction : Né le 30 juillet 1938, le Dr. Bernd Rabehl a reçu une formation de sociologue et de politologue. Il a été professeur à la « Freie Universität Berlin » jusqu’en 2003. Ami de longue date et camarade de combat de Rudi Dutschke, on le considère comme l’un des principaux théoriciens de l’ « Opposition extra-parlementaire », en abrégé « APO », et du fameux SDS (« Sozialistischer Deutscher Studentenbund », « Fédération socialiste des étudiants allemands »), qui furent les deux organisations porteuses de la révolte estudiantine de 1967-68 en Allemagne. Bernd Rabehl a écrit une biographie de son ami, intitulé « Rudi Dutschke – Revolutionär im geteilten Deutschland » (= « Rudi Dutschke – Un révolutionnaire dans l’Allemagne divisée »). Ce livre nous permet, aujourd’hui, de réexaminer sereinement les positions du penseur révolutionnaire tant contesté par la bienpensance à l’époque.
* * *
Q. : Professeur Rabehl, beaucoup de jeunes sont totalement désorientés et l’Allemagne connaît désormais le chômage de masse. Ce qui est en train de se passer, soit le basculement de jeunes gens de gauche dans des partis ou des organisations d’inspiration nationale voire nationaliste, ressemble au paysage politique des années 20 du 20ième siècle. Cet état de chose va conduire les partis du régime à mener un dur combat politique pour récupérer cette jeunesse, mais les partis de droite n’ont pas grand-chose à offrir, jusqu’à présent….
BR : Nous expérimentons effectivement ce basculement dans les provinces de l’Est, où nous voyons les jeunes des classes défavorisées passer à « droite ». Nous avons ensuite un autre phénomène, celui de la neutralisation de l’intelligentsia dans les universités et les hautes écoles. Ces phénomènes sont liés à la situation fatale qui règne sur le marché du travail ; quant à la neutralisation des élites intellectuelles, elle est due à la concurrence accrue entre les étudiants qui terminent leurs études : comment vont-ils décrocher un boulot ? Jadis l’intelligentsia de gauche dominait dans les universités : cette intelligentsia est aujourd’hui neutralisée ou se comporte de manière parfaitement opportuniste, tandis que les jeunes sans diplôme, issus de classes défavorisées, principalement dans les Länder de l’Est, basculent à « droite », phénomène lié à l’histoire récente, très spécifique à ces régions, où les villes et leurs industries traditionnelles ont été détruites.
Q. : La CDU démocrate-chrétienne est passée définitivement à gauche ; elle s’aligne sur le discours apocalyptique et médiatique qui se veut « anti-fasciste ». Jusqu’en 1989, année de la chute du Mur, l’ « anti-fascisme » était l’idéologie passerelle entre les néo-marxistes libertaires, inspirés par l’école de Francfort, et les marxistes durs, de mouture stalinienne. Que pensez-vous de ce glissement ?
BR : Cette alliance de facto existe toujours de nos jours. C’est une sorte de « front populaire », ou de « front national » de l’Allemagne démocratique, c’est-à-dire de feue la RDA. Dans ce concert, la CDU est effectivement devenue un petit instrument mineur jouant benoîtement la partition écrite par les partis de gauche. Tous s’accordent sur une conception du monde, sur un programme, mais leur but essentiel est de lutter contre le peuple lui-même, contre le peuple allemand, contre la culture allemande, contre la langue allemande, contre le passé allemand. Ils veulent réduire ce passé allemand à la période qui court de 1933 à 1945.
Q. : Vous considérez que le peuple allemand est devenu un peuple d’ilotes. Que devons-nous entendre par là ?
BR : Les peuples d’ilotes sont des peuples qui ont perdu l’esprit, qui n’ont plus une intelligentsia propre, qui n’ont plus de culture spécifique. Je veux ici vous rappeler une parole qui nous vient tout à la fois de Hegel et de Friedrich Engels : « Un peuple est toujours un peuple de bâtisseurs de villes, un peuple qui possède des universités, une peinture propre, un art spécifique, une architecture ». Si tout cela va à vau-l’eau, le peuple perd la tête et est détruit jusqu’au tréfonds de sa personnalité. Les valeurs d’autres peuples sont alors injectées dans ce peuple « ilotisé », qui perd ainsi les derniers résidus de son identité.
Q. : Les Allemands sont donc devenus un peuple d’ilotes, mais sont-ils dominés par les Etats-Unis ou par les forces dynamisantes qui tiennent là-bas, Outre Atlantique, le haut du pavé ?
BR : Oui, c’est cela, c’est exact. C’est là l’application exemplaire des stratégies qui ont été élaborées pour les guerres du futur. On ne veut pas qu’en Europe centrale et orientale émerge une puissance forte qui pourrait concurrencer les Etats-Unis ou choisir un jour de s’aligner aux côtés de la Russie ou de la Chine. A Washington, l’intérêt majeur est de détruire l’Europe, et non pas seulement l’Allemagne, dans sa substance culturelle et nationale. C’est pour cette raison qu’on nous a imposé l’immigration de masse ; celle-ci est téléguidée et introduit en nos murs des populations venues de plusieurs zones de la planète, sinistrées par des guerres. Ce n’est pas un hasard si nos immigrés viennent de Turquie, du Moyen Orient ou d’Afrique du Nord. Dans les régions sinistrées par la guerre, on retire l’eau dans laquelle le poisson peut nager et on transplante celui-ci en Europe, où l’on se demande : « Pourquoi cela, vers quel but nous dirigeons-nous en pratiquant une telle politique ? ». Ces immigrés n’apportent pas une force de production supplémentaire, ni un savoir précieux, mais arrivent chez nous en tant que peuples brisés, c’est-à-dire en peuples réduits au statut d’ilotes, comme nous.
Q. : Comme votre célèbre compagnon de combat de jadis, Rudi Dutschke, vos racines sont en Allemagne centrale, l’ex-RDA. Vous avez pu observer comment les Etats-Unis comme l’URSS ont tenté, chacun à leur manière, de faire du peuple allemand un peuple d’ilotes. Peut-on considérer, avec le recul, que les Allemands de l’ex-RDA ont été moins contaminés par les politiques de rééducation que les Allemands de l’Ouest ?
BR : En ex-RDA, il y a toujours eu une sorte de résistance naturelle. Les valeurs soviétiques, les valeurs du parti, de la culture soviétique, ou même du peuple russe, n’ont finalement été adoptées que par les castes dominantes, dans les sphères supérieures du parti. Pour leur part, les ouvriers et la petite bourgeoisie n’ont cessé de récriminer, d’imaginer des blagues mordantes car ils voyaient les pauvres troufions des garnisons soviétiques traîner leurs godillots dans leurs villes et savaient que ces pauvres bougres ne pouvaient rien leur apporter, n’avaient rien à leur dire. C’est dans ce non dialogue permanent que résidait la résistance naturelle du peuple et c’est pour cette raison que les Allemands de l’ancienne RDA sont aujourd’hui plus allemands que les ex-Ouest-Allemands.
Q. : Lénine considérait que le peuple russe était son premier ennemi. Il avait l’intention, dès lors, de subordonner les Russes à son idéologie, et d’en faire aussi un peuple d’ilotes. Finalement, le marxisme comme le libéralisme sont issus tous deux du même tronc idéologique : tous deux défendent une vison linéaire de l’histoire, croient à une fin de l’histoire et raisonnent dans les termes d’une philosophie matérialiste. Vos travaux et vos conférences abordent régulièrement les dimensions religieuses du marxisme. Mais existe-t-il aussi une dimension religieuse du libéralisme ?
BR : En Russie, aujourd’hui, l’Eglise orthodoxe a récupéré à son compte toute la charge religieuse que recelait, en dépit de son idéologie matérialiste, le marxisme. Le peuple préfère apparemment redevenir chrétien de rite orthodoxe. En Europe occidentale et en Amérique, nous devons plutôt évoquer une ère post-libérale car les principes du libéralisme y sont désormais évoqués pour étayer une méthode de domination des peuples, méthode qui n’entend toutefois pas respecter ces principes.
Q. : On vous campe comme l’ancien bras droit de Rudi Dutschke. Y a-t-il un point particulier que vous aimeriez souligner ici, quant à la personnalité de Dutschke, quarante ans après la révolte étudiante et extra-parlementaire ?
BR : D’abord je voudrais tout de même rappeler que Rudi Dutschke n’était nullement une personnalité qui appelait à la violence ni cherchait à la commettre. Dutschke était un chrétien protestant au milieu de socialistes ; il se rendait régulièrement au temple, priait souvent et lisait la Bible. Ce sont là des éléments importants de sa personnalité que l’on ne doit ni oublier ni occulter aujourd’hui. Dutschke était un adversaire déclaré de toute violence et a toujours tenté de défendre une position hostile à la violence au sein de la gauche extra-parlementaire, mais n’a jamais pu atteindre son but, car l’ambiance, autour de lui, était à l’action violente. Plus tard, quand le parti des Verts a été fondé par d’anciens activistes de gauche, il a tenté de s’incruster dans le mouvement. Mais il est mort prématurément des suites des blessures qu’il avait subies lors de l’attentat commis contre sa personne. Je peux dire clairement, sans aucune ambiguïté, que Dutschke n’avait rien en commun avec la violence déclenchée ultérieurement par la RAF (Bande à Baader) ou par d’autres groupes militants.
Q. : Vous soulignez donc le christianisme de Dutschke, homme de gauche mais aussi nationaliste au meilleur sens du terme, car il s’opposait à toute les formes d’occupation que subissait l’Allemagne…
BR : Il a refusé de servir dans la NVA, la « Nationale Volksarmee » de la RDA, parce qu’il ne voulait pas combattre les Allemands de l’Ouest. Il voulait que les Américains quittent notre pays, de même que les Soviétiques. Il voulait transposer les idéaux des mouvements de libération est-européens en RDA et en RFA. Il pensait que la Révolution allait venir de l’Est pour réanimer l’Ouest. La Révolution française avait d’abord migré vers l’Est, vers Moscou et vers Pékin ; ses idéaux allaient ensuite revenir, pensait-il, vers l’Ouest, en faisant crouler les régimes communistes de Hongrie, de Pologne, de RDA et, finalement, d’URSS. Au fond, malheureusement, ses idées sont parties aujourd’hui en fumée : personne n’a tiré réellement les leçons qu’il fallait des positions de Dutschke. Et, de toute façon, la gauche n’était pas prête, à l’époque, à accepter ses idées.
(extraits d’un entretien accordé à l’hebdomadaire viennois « zur Zeit », n°47/2007 ; trad. franç. : Robert Steuckers).
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jeudi, 27 décembre 2007
Eric Werner: de l'extermination

Eric Werner : de l'extermination
Eric Werner, chargé de cours à l'Université de Genève, a publié plusieurs ouvrages chez L'Age d'Homme. Son dernier livre, paru en 1993, s'intitule De l'extermination et constitue un excellent remède au bourrage de crâne effectué de manière permanente par les médias officiels. Citons un court passage: « Ce qui contribue encore à compliquer le problème, c'est que l'une des dimensions privilégiées de l'extermination n'est autre aujourd'hui que la dénonciation même de l'extermination (ou la propagande dont elle est le prétexte). Car l'extermination est ce qu'elle est, mais il y a aussi ce qu'on dit qu'elle est. Il y a les mots, mais aussi les images. Les images, mais aussi les truquages. Les sens qu'on sidère et les réflexes qu’on conditionne. Les chiffres qui s'alignent et les masses qu'on décervelle. En sorte que lorsqu'on veut aujourd'hui exterminer quelqu'un, le meilleur moyen encore est de le désigner comme exterminateur. Car que mérite un exterminateur, sinon d'être lui-même exterminé? C'est un exterminateur, donc il est à exterminer ». Et voici un passage concernant l'insécurité: « On croit volontiers que l'insécurité est toujours et nécessairement en elle-même une calamité. Mais c'est là une vue par trop étroite du problème. En réalité elle joue un rôle important dans le maintien de la stabilité du système. Elle concourt utilement par exemple à démoraliser les populations, et par là même aussi à les convaincre de la vanité qu'il y aurait à vouloir s'opposer au "sens de l'histoire" (tel que le définissent les autorités). On pourrait dire aussi qu'elle a une fonction rééducative. Elle achève de réduire les individus à l'impuissance et de les mettre dans l'incapacité de ne rien entreprendre contre la nomenklatura en place. Bref, c'est un instrument efficace de contrôle social. On lui est redevable de soustraire les autorités aux désagréments liés à une hypothétique et toujours aléatoire contestation venue de la base. On comprend dès lors le soin tout particulier qu'elles mettent à la laisser se développer comme elle le fait. Elles ne disent naturellement pas qu'elles sont pour l'insécurité (non quand même), mais elles ne s'emploient pas moins à la favoriser discrètement (...). L'insécurité a parallèlement encore une autre fonction pédagogique: celle d’habituer progressivement les populations à l'absence de droit. La croyance en l'existence du droit n'a en effet de sens que dans un Etat de droit. Dans un Etat qui n' est pas de droit ou l'est de moins en moins, parce que les autorités elles-mêmes en prennent de plus en plus à leur aise avec le droit (quand elles n'en viennent pas purement et simplement, comme c'est souvent le cas, à se mettre au-dessus du droit), une telle croyance perd évidemment toute raison d'être. A la limite même, elle pourrait passer pour subversive » (P. MONTHÉLIE).
Eric WERNER, De l'extermination, Editions Thael (Case postale 4102 – CH-1002 Lausanne), 1993, 124 pages.
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J. Parvulesco: Guerre intercontinentale de la Fin

Un texte de 1999 qu'il est toujours bon de relire !
Jean PARVULESCO :
La guerre intercontinentale de la fin est commencée !
Avec l'effondrement du Mur de Berlin en 1989, le cycle politico-historique de l'"après-guerre", commencé en 1945, venant de prendre fin, un bref interrègne a-historique s'en était ensuivi, pendant lequel l'histoire mondiale s'en était trouvée comme provisoirement suspendue dans sa marche en avant. Interrègne qui prend fin, aujourd'hui, avec les débuts de l'ère des conflagrations intercontinentales planétaires entamée par l'actuelle agression anti-européenne directe des Etats-Unis dans le Sud-Est de notre continent. En effet, la guerre anti-européenne —en fait, anti-grand-continentale— menée, actuellement, par les Etats-Unis, au Sud-Est de l'Europe, contre la Serbie, représente le commencement —l'enclenchement politico-militaire direct, et tout à fait à découvert— du grand cycle des conflagrations intercontinentales planétaires qui, dans les prochaines années à venir, vont devoir opposer l'unité impériale européenne grand-continentale à l'entreprise impérialiste d'hégémonie planétaire totale poursuivie, depuis 1945, par les Etats-Unis, ou plutôt par ce que Bill Clinton vient d'appeler, déjà, la « Superpuissance Planétaire », agissant au service de l'idéologie démocratique mondialiste des "droits de l'homme" (en réalité, l'idéologie subversive fondamentale de l'Anti-Empire, de l’« Empire du non-être »).
Dans l'état présent des choses, deux enseignements essentiels se dégagent analytiquement de l'agression anti-européenne des Etats-Unis, actuellement en cours :
(1) La situation d'inconcevable mainmise des Etats-Unis sur l'ensemble des moyens de communication européens, presse, radio, télévision, ensemble entièrement contrôlé par l'appareil souterrain d'emprise et d'encadrement à la disposition de la ligne politique offensive anti-européenne de Washington.
(2) L'assujettissement intégral, à la ligne offensive anti-européenne de Washington de l'ensemble des infrastructures politiques de gouvernement de la social-démocratie partout au pouvoir en Europe, en Grande-Bretagne, en France, en Allemagne, en Italie, etc.
A ce titre, l'actuel renversement des positions politiques de base de la France et de l'Allemagne —pourtant pré-engagées sur des positions essentiellement anti-américaines de par leur participation même au Pacte Carolingien franco-allemand, base fondationnelle originelle de l'unité impériale européenne grand-continentale— apparaît comme extraordinairement flagrant : la France et l'Allemagne qui, normalement, auraient dû se trouver à l'avant-garde de la ligne de résistance européenne grand-continentale face aux tentatives en cours de l'emprise américaine sur l'Europe, se retrouvent, en ce moment, au contraire, et très paradoxalement, à la pointe de l'assujettissement aux actuelles positions anti-européennes offensives de Washington. La ligne géopolitique grand-continentale eurasiatique du "grand gaullisme" se voit ainsi non seulement abandonnée, mais totalement retournée, changée en son propre contraire.
A telle enseigne que l'on se trouve puissamment tentés de se demander —et cela est vrai, d'évidence, plus particulièrement encore pour la France— si à l'arrière-plan de la situation présente —à l'arrière-plan des changements, des renversements, apparemment incompréhensibles, de la ligne politique conductrice de leur attitude— il n’y avait pas de raisons, des “anti-raisons", des "raisons autres”, profondément dissimulées, inavouables et inavouées dans le contexte présent, des raisons ayant très occultement eu à présider aux choix inconcevables de la France —et de l'Allemagne aussi— face à l'actuelle tentative américaine de mainmise offensive sur l'Europe.
L’action contre la Serbie pourra se répéter contre n’importe quelle puissance européenne
Car un troisième enseignement, moins discernable, peut-être, que les deux précédents, se dégage également de l'actuelle initiative politico-militaire américaine en Europe, à savoir celui de la dialectique de défi et de menace sous-entendue, présents dans l'action stratégique, à tous égards exemplaire, ainsi entamée par les Etats-Unis au Sud-Est de notre continent. Ce troisième enseignement serait alors le suivant : que ce que les Etats-Unis sont actuellement en train de faire contre l’insoumission de la Serbie à la volonté mondialiste subversive de la « Superpuissance Planétaire », la « Superpuissance Planétaire » pourrait entreprendre de le faire également, quand l’occasion se présentera, contre n'importe laquelle des nations européennes, et même contre l'ensemble de celles-ci (et plus particulièrement contre la France, l'Allemagne et la Russie, qui sont, chacune de leur côté et, surtout, ensemble, des « puissances décisives »).
Il ne semble donc pas du tout qu'il fût impossible que le choix d'assujettissement politique forcené —mais après tout, des faux choix peut-être, des leurres politico-stratégiques de circonstance— qui sont aujourd'hui ceux de la France et de l'Allemagne à l'égard de la volonté offensive des Etats-Unis dans le Sud-Est européen ne représentent, en réalité, que des options opératives de décalage, de diversion préventive, de tergiversation et de mise en retard stratégique destinées à gagner du temps, à contrer d'avance toute éventuelle extension à venir du champ de l'action offensive américaine en Europe. En effet, les Etats-Unis viennent de prouver qu’ils disposent d'un nombre absolument dramatique de longueurs d'avance par rapport à l'Europe, et surtout par rapport à nos propres projets d'une Grande Europe, d' Europe grand-continentale eurasiatique. Or, à l'heure présente, c'est avant tout autre chose à ce dramatique retard qu'il nous faut faire face. Par n'importe quels moyens, et en prenant n’importe quels risques. C'est une affaire de destin, une affaire de destin final.
Alain Peyrefitte: « Jamais l'évidence de la prise de possession de l'Europe par Washington n'a été aussi mortifiante » (Le Figaro, 15. IV. 1999).
Une pénétration militaire offensive en Europe
Car le choix des Balkans comme zone d'intervention politico-militaire directe de Etats-Unis en Europe ne laisse d'être extrêmement révélatrice. Le Kosovo et, derrière celui-ci, la « Grande Albanie » et la Bosnie, enclaves islamistes en Europe, vont devoir servir aux plans de la grande stratégie politique américaine de pénétration militaire offensive en Europe au titre de bases d'implantation et de rayonnement, établissant un lien subversif permanent, à travers la Turquie, avec la chaîne de présence contre-stratégique américaine longeant l'ensemble du flanc Sud de la Russie, où les républiques islamistes de l'ancienne URSS se trouvent actuellement travaillées à fond par les services spéciaux de Washington, et où des grande bases stratégiques militaires américaines sont en train d'être implantées d'urgence.
C’est en effet par une prise de position dans le Sud-Est du territoire visé que la géopolitique confidentielle américaine entame toujours le processus de sa pénétration, et de l'investissement continental de grande envergure ultérieure. Tout comme dans le Sud-Est asiatique, au Vietnam, l'établissement d'une tête de pont politico-militaire au Sud-Est de l'Europe, dans les Balkans, révèle l'intention d'un projet américain d'investissement continental total. Si ce qui a été ainsi mis en branle par Washington n'est pas contré, n'est pas arrêté à temps, le sort de l’Europe —de la Grande Europe de dimensions continentales eurasiatiques— est scellé, ses destinées anéanties. Car tel est l'ultime but de guerre des Etats-Unis, de leur guerre politique totale actuellement déjà en cours.
A part l'intensification de plus en plus poussée du travail de la résistance européenne au double niveau, idéologique et immédiatement politique, travail révolutionnaire que l'on doit considérer, dans les circonstances présentes, comme un travail confidentiel, voire même tout à fait souterrain, et qui marque l'heure de l’émergence activiste de l'ensemble de nos "groupes géopolitiques", de Lisbonne à Moscou, l'effort européen d'ensemble concerne la bataille actuelle pour la surqualification de l'Union Européenne, à laquelle il faut obtenir que l'on confie l'administration provisoire du Kosovo, ce qui bloquerait, sur place, les manœuvres directes des forces américaines d'ingérence. Or c'est bien ce que Jacques Chirac a demandé, et obtenu, lors de la réunion des chefs d'Etat et de gouvernement qui s'est tenue, le 14 avril dernier, à Bruxelles, pour le sommet d'urgence de l'Union Européenne.
Un effort européen d’ensemble
L’effort européen d'ensemble, ai-je dit. Il s'agit là d'un nouveau concept de combat révolutionnaire pour la libération politico-historique finale de l'Europe grand-continentale, de dimensions eurasiatiques, combat qui doit inclure, fondamentalement, la participation effective, immédiate et à part entière, totale, de la Russie. Dans ce sens, les efforts actuels de la France en faveur de l'intégration de la Russie au nouveau dispositif politico-stratégique européen en voie de constitution est un signe majeur, un signe prémonitoire de notre prochain réveil révolutionnaire supra-historique.
Contrairement aux allégations de Samuel Huntington, l'orthodoxie ne représentera pas, à l'heure des retrouvailles grand-continentales eurasiatiques des nôtres, une ligne de rupture infranchissable : au contraire, la mobilisation transcendantale de l'éthos européen abyssal provoquée par la tentative américaine d'assujettissement du Grand Continent fera que l'Europe catholique de l'Ouest et que l'Europe orthodoxe de l'Est y retrouveront, providentiellement, l'unité antérieure d'une même foi et d'un même destin. Unité impériale, foi impériale et destin impérial, encore une fois et, cette fois-ci, définitivement. Ce qui doit se faire se fera, ce qui doit se faire est déjà en train de se faire, on le sait.
Jean PARVULESCO (1999).
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mercredi, 26 décembre 2007
Orthodoxes et catholiques: rapprochement historique?

Henri de GROSSOUVRE :
«Orthodoxes et catholiques à Strasbourg : un rapprochement historique ?»
Les personnalités au coeur des relations entre Strasbourg et la Russie confirment: les Russes misent sur Strasbourg. Nous avons rencontré différents acteurs de ce travail méconnu du grand public, pouvant devenir un enjeu majeur pour l’avenir de l’Europe. Ce choix se décline sous deux formes : un choix politique russe et un choix orthodoxe.
Avec l’adhésion en 1996 de la Russie au Conseil de l’Europe, les Russes et les russophones des pays d’ex-URSS arrivent à Strasbourg. « Les diplomates sont progressivement suivis par des étudiants et des hommes affaires. Strasbourg est aujourd’hui connue en Russie », souligne le consul général M Klimovskiy. La Représentation Permanente russe comprend une dizaine de diplomates. Aux grands bâtiments de la RP de l’Allée de la Robertsau s’est ajouté celui du Consulat Général, doté de salles de réception. Les diplomates hautement qualifiés se succèdent, l’actuel ambassadeur, M. Alexeïev, est ancien vice-ministre. Le consul V. Korotkov a réalisé un travail de fond dans les domaines économiques et culturels. Son successeur, M. Klimovskiy a été de 2002 à 2007 directeur de cabinet du vice-ministre Saltanov. Au Conseil de l’Europe plusieurs russes occupent des postes clés. Seda Pumpyanskya y dirige depuis 2005 l’important service de communication (80 personnes) et M. Vladychemko est directeur de la DGIII (cohésion sociale). M. Mikhail Margelov pourrait même succéder au président actuel de l’Assemblée parlementaire lors des élections de janvier 2008.
Les seize églises orthodoxes sont autocéphales et entretiennent de ce fait des liens plus étroits avec leurs pouvoirs politiques nationaux respectifs. Si le patriarche de Constantinople est le « primus inter pares », le poids politique et les moyens du patriarcat de Moscou sont de loin les plus importants. Il y a à Strasbourg sept paroisses orthodoxes (roumaine, serbe, grecque…) dont deux russes : une francophone, celle du père Escleine, et une russophone, celle du père Philarète. Depuis 2005 l’higoumène Philarète est le représentant officiel du patriarcat de Moscou et de toutes les Russies auprès du Conseil de l’Europe. Les territoires orthodoxes russes en dehors de la Russie sont les pays où il y a de grandes communautés de fidèles russes (Biélorussie, Ukraine…). « Avec le père Philarète, le patriarcat de Moscou envoie un émissaire de haut vol de manière permanente et intervient ainsi diplomatiquement dans les discussions du Conseil » insiste le chanoine Geissler, délégué de l’évêché de Strasbourg aux affaires temporelles. La récente visite à Strasbourg du patriarche Alexis II constitue à cet égard un événement majeur malheureusement modérément couvert par la presse locale. Alexis II s’est d’abord rendu du 1er au 3 octobre à Strasbourg, à l’invitation du président de l’assemblée parlementaire du Conseil. Il s’est rendu ultérieurement à Paris pour rendre visites aux fidèles parisiens et au président Sarkozy. « Les thèmes du Conseil de l’Europe, les droits de l’homme, la morale de notre société ou l’éducation sont également des thèmes importants pour l’église orthodoxe et pour la grande Europe. » (Père Philarète). Le patriarche a également rencontré madame Keller qui a donné son accord de principe pour la construction d’une « vraie » église russe à Strasbourg. « Cette église sera aussi une belle église strasbourgeoise construite par un architecte russe dans la tradition orthodoxe mais adaptée à la culture alsacienne ». Moins d’un mois après la visite du patriarche, le 28 octobre, lors de l’ordination épiscopale à Mazza del Valo (Sicile) de monseigneur Ralo, le père Philarète a été le seul des émissaires étrangers à lire un message de Kyrill de Smolensk, façon de ministre des affaires étrangères du patriarcat. Cette cérémonie était présidée par le secrétaire d’Etat du Vatican, hiérarchiquement numéro deux après le Pape. Le message de l’émissaire russe strasbourgeois insistait sur le rôle de Strasbourg et la contribution de Vito Rallo au rapprochement entre le Saint-siège et le patriarcat. Un diplomate de la représentation permanente russe de Strasbourg avait aussi spécialement fait le déplacement. « Strasbourg est pour le patriarcat russe une plateforme privilégiée de dialogue avec le Vatican. » (Chanoine Geissler). L’évêque de Strasbourg vient d’ailleurs de nommer le père Boeglin adjoint au délégué épiscopal aux relations oecuméniques particulièrement chargé des relations avec les orthodoxes, alors que traditionnellement en Alsace, les relations œcuméniques sont avec les protestants.
Pour Jean-Luc Schaffhauser, président de l’Association strasbourgeoise « Rhin-Volga » et homme d’affaires partageant son temps entre Paris, Strasbourg, Rome et Moscou, le choix russe de privilégier Strasbourg coïncide avec l’évolution internationale : « la puissance des Etats-Unis arrive à sa fin car elle n’a plus de légitimité morale. Ils vont entraîner le monde dans une faillite, conséquence de leur politique économique. On se dirige ainsi vers la reconstitution de grands pôles géographiques dont l’un est obligatoirement l’Europe continentale face à la Chine et l’Inde. L’identité culturelle et spirituelle commune unit la grande Europe et l’union avec le monde orthodoxe est une question de survie du christianisme. L’unité chrétienne se fera donc par une nécessité géopolitique, par besoin de survie de l’identité européenne. » Si la situation internationale est favorable, la situation locale ne l’est pas moins. Strasbourg n’est elle pas, face à Bruxelles, et au cœur du franco-allemand le symbole de l’Europe politique ? A moins de trois-quarts d’heures de Strasbourg Baden-Baden, la ville allemande la plus connue de Russie après Berlin accueille une importante communauté russe. Enfin, le 16 novembre dernier, le 1er ministre russe, M. Zubkov, annonçait, lors d’une rencontre franco-russe à Matignon, la création de classes de russe au lycée international de Strasbourg. Cette mesure est importante. Elle intègre les Russes dans une forme de communauté européenne aux côtés des classes britanniques et allemandes.
Les Russes sont des champions d’échecs, ne l’oublions pas et sachons anticiper et saisir les opportunités de rayonnement international qui s’offrent à Strasbourg et aux Alsaciens ! Nous sommes peut être à la veille d’un rapprochement historique entre les deux poumons de l’Europe. La rupture « catholiques-orthodoxes » de 1054 a eu lieu sous le pontificat d’un pape alsacien et impérial : Léon IX. Le jour de sa fête, le 19 avril a été élu Benoit XVI, 1er pape allemand depuis le moyen age. Avec le chanoine Geissler, nous voulons y voir un signe…
Henri de Grossouvre, directeur du Forum Carolus (www.forum-carolus.org ), laboratoires d’idées européen à Strasbourg initié par François Loos.
Article à paraître dans « Vivre l’Alsace – Rot un wiss » de décembre (8000 exemplaires), si possible le mentionner.
01:00 Publié dans Affaires européennes, Eurasisme, Géopolitique, Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | |
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