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dimanche, 28 septembre 2008

Japon: pour une Commission internationale d'enquête sur les événements du 11 septembre 2001

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Pour une Commission d’enquête sur les événements du 11 septembre 2001

Un parlementaire japonais lance une initiative internationale

 

Entretien avec Yukihisha FUJITA

 

Propos recueillis par Moritz Schwartz

 

Yukihisha Fujita demande à ce que soit constituée une Commission internationale, chargée de relancerl ‘enquête sur les attaques terroristes du 11 septembre 2001. Début septembre  2008, ce député japonais se trouvait en Europe, afin de nouer les contacts ad hoc pour constituer cette Commission internationale. Au parlement japonais, il s’efforce de créer une initiative parlementaire, au-delà de toutes les fractions politiques, dans le même but. Le 10 janvier 2008, il a pu faire accepter un débat à la Haute Chambre japonaise sur les événements du 11 septembre 2001, où il a interpellé le Premier ministre et le ministre de la défense. Fujita préside la Commission des Affaires étrangères au Sangiin, la deuxième chambre du Kokkai, l’Assemblée nationale japonaise. Il appartient au “Parti démocratique du Japon” (PDJ), qui est la formation politique la plus forte à la Haute Chambre (40%  des représentants) et la deuxième à la Chambre basse (36%). Avant l’année 2005, Fujita représentait son parti à la Chambre basse. Il est né en 1950 à Hitachi sur la plus grande des îles de l’archipel nippon, Honshu.

 

Q.: Monsieur Fujita, pourquoi voulez-vous absolument raviver la question du 11 septembre 2001?

 

YF: Parce que le monde est devenu un autre monde à la suite de cet événement: tant la guerre d’Afghanistan que celle d’Irak n’auraient pas été possibles sans lui. Et dans ces deux guerres, des soldats japonais ont été impliqués d’une manière ou d’une autre. Voilà pourquoi nous sommes en droit de savoir: ce que l’on dit sur ces événements, est-ce exact?

 

Q.: C’est là une question que les hommes politiques allemands ne se posent pas...

 

YF: Ils devraient le faire.

 

Q.: Votre homologue allemand, soit le président de la Commission des affaires étrangères du Bundestag, Ruprecht Polenz, n’aurait jamais l’idée d’enquêter sur cette affaire...

 

YF: C’est dommage car il me semble que les attitudes critiques quant aux événements du 11 septembre 2001 sont nettement plus répandues en Allemagne qu’au Japon. Je constate avec satisfaction que beaucoup d’Allemands s’intéressent à cette question, surtout après toutes les affirmations contradictoires que l’on a énoncées dans cette affaire. Ensuite, ce n’est pas simplement un nombre plus important d’Allemands qui s’y intéressent, l’Allemand moyen, l’homme de la rue, me semble mieux informé sur le sujet que son pendant japonais. Au Japon, on a plutôt tendance à croire la version officielle. Ceux qui tentent d’investiguer plus en profondeur, comme moi, n’ont pas la tâche aisée. 

 

Q.: Quels sont les résultats que vous avez obtenus?

 

YF: Au départ, je ne voyais rien qui m’aurait induit à mettre en doute la version officielle, mais plus je me suis penché sur ce sujet, plus il m’est apparu évident que cette version officielle des événements du 11 septembre 2001 ne peut être juste. Elle perd sa plausibilité tant elle contient des contradictions.

 

Q.: Les nombreux arguments des critiques de la version officielle sont connus. Mais pour chacun des points qui ont été critiqués, les autorités ont avancés des explications.

 

YF: Mais dans la plupart des cas, ils ne sont pas convaincants. Prenez par exemple le trou béant que l’on nous montre dans le bâtiment du Pentagone, qui aurait été touché: ce trou est beaucoup trop petit.

 

Q.: On dit que ce trou est petit par ce que l’avion qui est tombé là s’était déjà désintégré auparavant...

 

YF: Honnêtement, cette explication vous convaint-elle?

 

Q.:  Vous n’êtes ni physicien ni technicien. Ne vaudrait-il pas mieux partir du principe que l’explication est compliquée du point de vus de la physique plutôt que d’en déduire immédiatement qu’il y  a complot?

 

YF:  Il ne faut pas être physicien pour savoir qu’il est impossible qu’un Boeing 757 soit passé par une béance dont le rayon est plus petit que son fuselage.

 

Q.: Comment réagissez-vous quand on vous accuse de complotiste, d’énoncer une théorie du complot?

 

YF: Le président de la Commission d’enquête sur les événements du 11 septembre, l’ancien gouverneur Thomas Kean, a lui-même déploré, à plusieurs reprises, et publiquement, que le gouvernement américain n’a pas mis toutes les informations à sa disposition, alors qu’il en avait besoin. Le rapport officiel fourmille de contradictions. Il y a en plus les contradictions entre les représentants mêmes du gouvernement américain, notamment quand Condoleezza Rice dit: “Personne ne pouvait prévoir une chose pareille” et que, par ailleurs, Donald Rumsfeld concède: “Il y avait beaucoup de signes avant-coureurs”. Ces contradictions ne peuvent être prises pour argent comptant: dans une affaire aussi importante, nous ne pouvons pas continuer notre bonhomme de chemin en considérant qu’elles n’ont aucune importance et passer aux autres points de l’ordre du jour.

 

Q.: Bon. Quelle est alors votre théorie sur le déroulement réel des événements du 11 septembre 2001?

 

YF: Mon but n’est pas de fournir une théorie. Il s’agit d’acter que la version officielle n’est pas exacte. Si l’on se hasarde à formuler une théorie nouvelle, on se rend automatiquement vulnérable et la  version officielle en profite; en effet, si l’on pose des questions sur les contradictions internes de la version officielle, celle-ci peut riposter en évoquant les éventuelles contradictions de la théorie alternative, ce qui annulle l’effet de celle-ci. Non, ne leur donnons pas l’occasion de biaiser et de louvoyer! Posons des questions et voyons s’ils y répondent de manière crédible.

 

Q.: D’après vous les réponses données jusqu’ici ne sont pas crédibles.

 

YF: Au cours de ces dernières années de nombreuses personnalités politiques et des experts  —et leur nombre s’élève désormais à quelques milliers—  ont émis des doutes ou, du moins, posé des questions critiques. Parmi eux, en Allemagne, l’ancien ministre fédéral de la recherche scientifique, expert ès-études sur les services secrets pour le compte de son parti, la SPD: je veux parler d’Andreas von Bülow; mais il n’est pas le seul, il y a aussi des représentants des deux chambres américaines. Je vous le demande à titre tout-à-fait personnel: est-ce que cela ne vous trouble pas d’apprendre, par exemple,qu’Ernst Welteke, membre de la SPD et président de la “Deutsche Bundesbank” de 1999 à 2004, ait confirmé, lors d’un sommet de la Banque centrale européenne, que quelques jours avant le 11 septembre 2001, des options de vente inhabituelles ont eu lieu, et que le prix de l’or et du pétrole ait également augmenté? Ou, autre exemple, qu’Oussama Ben Laden, jusqu’ici, n’est pas recherché par le FBI pour les attentats du 11  septembre 2001 mais “seulement” pour les attaques perpétrées contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie, comme le trahit clairement le libellé de la liste officielle des personnes recherchées?

 

Q.:  Avant de passer au vote qui devait décider du renouvellement ou non de la participation japonaise à la mission anti-terroriste américaine baptisée “Enduring Freedom”, vous avez, début janvier dans l’enceinte du parlement japonais, procédé, pendant une demie heure, à une présentation de votre point de vue à la Haute Chambre. Comment ont réagi vos collègues?

 

YF: A ma grande surprise, non seulement j’ai obtenu, et c’est étonnant, beaucoup d’encouragements, mais je n’ai essuyé aucune critique. De surcroît, les encouragement ne venaient pas uniquement de ma propre fraction mais aussi de représentants d’autres partis, dont celui-là même du gouvernement, le PLD. Les encouragements venaient non seulement de la Haute Chambre mais aussi de la Chambre basse. Non seulement de mes collègues de l’Assemblée plenière mais aussi des dirigeants de mon parti! Manifestement, la présentation de mon projet a fait mouche! Il semble bien que cette question ait préoccupé beaucoup de monde.

 

Q.: En Allemagne, une telle réaction serait difficilement imaginable. Comment expliquez-vous cette différence d’attitude?

 

YF: Je ne peux donner aucune explication. C’est à vous d’éclairer ma lanterne!

 

Q.: C’est sans doute parce que vos hypothèses sont dépourvues de tout fondement...

 

YF: Non, je suppose plutôt que la  différence n’est pas  si grande, car, n’oubliez pas que malgré tous ces encouragements je demeure le seul et unique parlementaire japonais qui ose poser de telles questions. Je suppose qu’il existe aussi chez vous quelques députés qui me prodigueraient des encouragements. La différence réside sans doute seulement en ceci: chez vous, jusqu’ici, personne n’a encore brisé le silence.

 

Q.: Vous avez interpellé le premier ministre Yasuo Fukuda et le ministre de la défense Shigeru Ishiba pour leur demander dans quelle mesure le gouvernement nippon avait été informé par les Etats-Unis sur les auteurs des attentats terroristes du 11 septembre 2001 et sur leurs agissements. Avez-vous été satisfaits de leurs réponses?

 

YF: Non, mais je ne m’attendais pas à recevoir des réponses satisfaisantes. Néanmoins, malgré leur réticense et leur circonspection, on pouvait clairement sentir que le gouvernement japonais avait, en réalité, été fort peu informé sur les événements. Bien que vingt-quatre sujets japonais aient été tués à la suite de ces attentats et que la mort de ces personnes ait motivé l’engagement de nos soldats dans la “lutte contre le terrorisme”, notre gouvernement n’a pas, de lui-même, mené une enquête. Au lieu de cela, le gouvernement se fie exclusivement aux affirmations des Américains, qui présentent force lacunes et contradictions.

 

Q.: De ce fait, vous considérez que la participation japonaise à la “guerre contre le terrorisme” ne va pas dans le sens des intérêts de votre pays...

 

YF: Notre intérêt national, c’est de trouver la vérité, afin de savoir à quoi réellement se tenir.

 

Q.: Vous demandez une nouvelle enquête, qui serait cette fois internationale, sur les événements du 11 septembre 2001. Comment une telle enquête doit-elle s’articuler?

 

YF: L’idéal serait que l’ONU patronne une telle enquête. Car, quoi qu’il en soit, dégager la vérité sur ces événements serait de son ressort, car les conséquences de ceux-ci marquent  et imprègnent la politique internationale d’aujourd’hui. Par exemple, l’assemblée plenière pourrait ordonner que se constitue un comité international d’experts. Ou la Cour de justice internationale pourrait s’emparer de l’affaire. Comme le terrorisme n’est pas une forme de guerre mais relève de la criminalité, la Cour de La Haye pourrait parfaitement être compétente. Ou, autre solution possible, des parlementaires de différents pays décideraient de constituer une Commission internationale d’enquête. Plusieurs solutions sont possibles au départ.

 

Q.: Pensez-vous réellement et sérieusement que votre proposition a des chances d’aboutir?

 

YF: Quoi qu’il en soit, une telle Commission aurait davantage de sens que la deuxième commission nationale d’enquête que certains envisagent de mettre sur pied aux Etats-Unis. 

 

Q.: Quelles mesures concrètes entreprenez-vous pour atteindre cet objectif?

 

YF: Je reviens justement d’un voyage en Europe. J’y ai rencotré diverses personnalités comme, par exemple, Michael Meacher, qui fut jusqu’en 2003, le ministre de l’environnement du gouvernement travailliste de Tony Blair ou encore l’ancien président de l’Etat italien, le chrétien-démocrate Francesco Cossiga.

 

Q.:  Meacher dit que la “guerre contre le terrorisme” est une “tromperie” et Cossiga considère que les attentats du 11 septembre sont l’oeuvre de la CIA et du Mossad...

 

YF: En outre, j’ai été invité par le député Giulietto Chiesa au Parlement Européen, où nous avons montré le nouveau film “Zero: An Investigation into 9/11” à six autres députés, alors que ce film a été montré dans toute la Russie par la télévision russe. En Allemagne également, j’ai eu contacts et conversations, mais je ne suis pas autorisé à en parler davantage.

 

Q.: Vous avez rencontré l’ancien président de la “Bundesbank”, Ernst Welteke. Mais avez-vous eu des contacts avec des hommes ou des femmes en Allemagne, qui sont actifs sur la scène politique?

 

YF: Malheureusement non.

 

Q.: Malgré ces contacts, vous êtes encore à des années-lumière de la constitution effective de votre nouvelle commission internationale d’enquête.

 

YF: Mis à part ces efforts sur le plan international, je travaille à Tokyo, avec d’autres collègues du parlement japonais pour que naisse une initiative parlementaire. Il serait bien sûr idéal que nous devenions suffisamment forts pour exiger de nos gouvernements qu’ils adoptent une attitude critique à l’égard de Washington et réclament une enquête sur toutes les questions qui demeurent encore ouvertes.

 

Q.: Que se passera-t-il si, en fin de compte, vous êtes obligés de constater que la version officielle est toute de même exacte?

 

YF: Attendons simplement les résultats d’une enquête future et indépendante.

 

(entretien paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, n°38/2008 – sept. 2008 – trad. franç. : Robert Steuckers).

Sur "Gobalia" de Jean-Christophe Rufin

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Ecole des cadres - Synergies Européennes - septembre 2008

Sur "Golbalia" de Jean-Christophe Rufin

http://users.skynet.be/pierre.bachy/rufin-globalia.html...

A lire à la suite de nos travaux sur George Orwell et Aldous Huxley

Le temps des continents et la déstabilisation de la planète

Le temps des continents et la déstabilisation de la planète


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Mondialisation.ca, Le 17 septembre 2008
Eurasia Rivista di Studi Geopolitici no. 2

La réaffirmation de la Russie comme acteur mondial, avec la puissante croissance économique des deux colosses asiatiques, Chine et Inde, semble avoir définitivement marqué, dans le cadre des relations internationales, la fin de la saison unipolaire sous conduite étasunienne, et posé les conditions, minimales et suffisantes, pour la construction d’un ordre planétaire articulé sur d’avantage de pôles. Les entités géopolitiques qui caractérisent ce nouveau cycle ne seront pas, vraisemblablement, les nations ou les puissances régionales mais bien les grands espaces continentaux.

 

Un nouveau cycle géopolitique

 

Le nouvel ordre international qui s’est réalisé après le 11 septembre 2001 est dû surtout à  trois facteurs concomitants : le premier concerne la politique eurasiatique lancée à Moscou, immédiatement après la fin de la présidence Eltsine, à partir de 2000-2001 ; le second concerne le développement économique particulier de l’antique Empire du Milieu qui, intelligemment intégré par la direction chinoise dans le cadre d’une stratégie géopolitique de longue période, fera de Pékin non seulement un géant économique mais un des principaux protagonistes de la politique mondiale du 21ème siècle. Le troisième, enfin, est strictement connecté à l’action de pénétration militaire des Usa dans l’espace proche et moyen-oriental, que Washington accompagne, de façon synergique, d’une intense activité de pression  politique et économique dans certaines zones critiques  comme celle de l’Asie centrale.

 

Les facteurs rappelés ci-dessus ont mis en évidence certains éléments importants utiles pour l’analyse géopolitique des futurs scénarios mondiaux : la centralité de la Russie comme région pivot de l’Eurasie, l’importance de la Chine comme élément de stabilité dans la masse continentale eurasiatique et d’équilibre pour la planète entière ; les mêmes facteurs, en outre, ont  reproposé à l’échelle mondiale, les tensions permanentes entre d’une part les puissances thalassocratiques, représentées aujourd’hui par les USA, et d’autre part les puissances continentales, constituées principalement par la Russie et la Chine.

 

Pour la première fois depuis la dissolution de l’URSS, nous assistons au renforcement et à la mise au point d’importants dispositifs géopolitiques, comme par exemple l’Organisation de la Conférence de Shanghai et l’Organisation du Traité de Sécurité Collective des Pays de la Confédération des Etats Indépendants, qui rassemblent la Russie et les principaux pays du continent asiatique. De tels dispositifs sont significativement ouverts aussi au Pakistan, à la Turquie et à l’Iran mais excluent les puissances occidentales et les USA. Il faut y ajouter aussi  les tentatives et les aspirations sud-américaines relatives à la constitution d’un système de défense du sous-continent indio-latin, délivré de Washington.

 

L’œuvre patiente et continue de tissage de relations spéciales entre Russie, Inde, Chine, Iran et les pays d’Asie centrale, mise en oeuvre par Poutine, et diligemment poursuivie maintenant par Medvedev, a certainement ralenti l’expansionnisme étasunien au cœur de l’Asie ; elle a aussi irrité fortement ces lobbies européens et d’outre-atlantique qui espéraient, au début des années 90 du siècle dernier, à force de « vagues démocratiques », ou plutôt de « bourrades démocratique » (2) - comme on le verra plus tard avec les agressions et les « guerres humanitaires » de l’Occident américano-centrique contre la Fédération yougoslave, l’Afghanistan, l’Irak - l’unification de la planète sous l’égide de Washington, champion de l’Humanité et, avant tout, la réalisation d’un gouvernement mondial fondé sur des critères libéraux de l’économie de marché.

 

Sur l’échiquier mondial, la formation d’une sorte de bloc eurasiatique, qui en est pour le moment encore à un stade embryonnaire et, du reste, déséquilibré  vers la partie orientale de la masse continentale, à cause principalement de l’absence de l’Europe comme entité politique cohérente et de son insertion artificielle dans le camp « occidentaliste » ; cette formation a, en outre, et par effet de polarisation, indéniablement favorisé les tendances continentalistes de certains gouvernements d’Amérique du Sud (Argentine, Brésil, Venezuela et Bolivie), en mettant ainsi en valeur l’hypothèse, réaliste, d’un scénario multipolaire en cours de constitution, articulé sur des entités géopolitiques continentales (3).

 

Nouvelles et vieilles tensions

 

La crainte d’une jonction des intérêts  géopolitiques entre les grandes puissances eurasiatiques (Russie, Chine et Inde) et les tendances continentalistes de certains gouvernements sud-américains (4) ont éveillé, ces derniers temps, une attention ravivée du Département d’Etat des USA et de certains think tank atlantiques, chargés d’identifier  les zones  de crise et de définir des scénarios géopolitiques qui soient en syntonie avec les desiderata et les intérêts globaux de Washington et du Pentagone ; une attention vers ces régions de la masse continentale eurasiatique – et du sous-continent indio-latin – qui seraient plus exposées aux déchirures causées par des tensions endogènes historiques et encore irrésolues.

 

C’est donc dans la perspective d’opérations de malaise et de pression envers la Chine, la Russie et l’Inde et certains gouvernements latino-américains que, pensons-nous, l’on peut  interpréter avec efficience certaines situations critiques qui sont proposées, avec une particulière emphase, à l’attention de l’opinion publique occidentale, par les principaux organes d’information.

 

Nous faisons ici référence à ce qu’on désigne comme la question de la minorité du peuple Karen et de la « révolte » couleur safran (5) du Myanmar, aux questions du Tibet et de la minorité uigur  en République Populaire de Chine, à la déstabilisation du Pakistan (6), et au maintien d’une crise endémique dans la région afghane.

 

En instrumentalisant les tensions locales de certaines aires géostratégiques, les USA, avec leurs alliés occidentaux, ont lancé un processus de déstabilisation – de longue période -  de tout l’arc himalayen, véritable charnière continentale, qui va impliquer huit pays de l’espace eurasiatique (Népal, Pakistan, Afghanistan, Myanmar, Bangladesh, Tibet, Bhoutan et Inde).

 

Ce processus de déstabilisation se coordonne avec celui déjà ébauché par les USA dans la zone caucasienne, sur la base des indications exposées, il y a plus de dix ans, par Bzezinski dans son ouvrage « Le grand échiquier » (7) ;  ce processus semble en outre se conjuguer  au Projet du Nouveau Grand Moyen-Orient de Bush-Rice-Olmert, destiné à redéfinir les équilibres de toute la zone en faveur des Etats-Unis et de son principal allié régional, Israël, ainsi qu’à reconsidérer les frontières des principaux pays de la zone (Iran, Syrie, Irak et Turquie) le long de lignes confessionnelles et ethniques.

 

Parallèlement à ce processus de déstabilisation, déjà en cours dans l’arc himalayen, il semble, selon l’avis autorisé du professeur Luiz Alberto Moniz Bandeira (8), que les USA en aient lancé  un autre, analogue, dans leur ex-arrière cour, en Bolivie : précisément dans la « région  de la demi-lune » sur la base des tensions ethniques, sociales et politiques qui affectent toute la zone.

 

Dans le cadre des stratégies destinées à fragmenter les espaces continentaux en voie d’intégration, il vaut la peine de souligner le grand rôle qu’ont joué et jouent les Organisations Non Gouvernementales dites humanitaires. Selon Michel Chossudovsky, directeur du Centre pour la recherche sur la mondialisation (CRM-CRG), certaines d’entre elles seraient directement et indirectement reliées à la CIA, par l’intermédiaire de la National Endowment for Democracy, puissante organisation étasunienne créée en 1983, dans le but de renforcer les institutions démocratiques dans le monde au moyen d’actions non gouvernementales (9).

 

L’histoire du 21ème siècle sera donc, selon toutes probabilités, l’histoire de l’affrontement entre deux tendances opposées : celle de la fragmentation (10) de la planète, pour le moment voulue par les USA, et celle des intégrations continentales, souhaitée par les plus grandes puissances eurasiatiques et par certains gouvernements du sous-continent indio-latin.

 

 

EURASIA. RIVISTA DI STUDI GEOPOLITICI.  n. 2 – 2008

Editorial du numéro 2 Mai-août 2008


Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

 

 

1. Marco Bagozzi, Accordi Brasile-Venezuela: verso una alleanza militare sudamericana svincolata da Washington,

www.eurasia-rivista.org, 25 aprile 2008.

2. Samuel Huntington, La terza ondata. I processi di democratizzazione alla fine del XX secolo, Il Mulino, Bologna, 1995.

3. Richard Hass, président du Council on Foreign Office, l’influent think tank étasunien, est d’un autre avis : selon lui le 21ème siècle se dirigerait vers un système de non polarité, caractérisé par une ample diffusion de pouvoir étalé sur plusieurs objets (Etats, Puissances régionales, ONG, Corporations, Organisations internationales, etc.) plutôt que par une concentration sur quelques (rares) pôles. Richard Hass, The Age on Nonpolarity. What Will Follow U.S. Dominance, Foreign Affairs, vol. 87, n. 3, May/June 2008, pp. 44-56.

4. Raúl Zibechi, Il ritorno della Quarta Flotta: un messaggio di guerra, Cuba debate, 9 maggio 2008, in italiano:

www.eurasia-rivista.org, 17 maggio 2008.

5. Voir dans ce même numéro de Eurasia, 2/2008, F. William Engdahl, La posta geopolitica della “rivoluzione color zafferano.

6. Michel Chossudovsky, La destabilizzazione del Pakistan, www.eurasia-rivista.org, 7 gennaio 2008; Alessandro Lattanzio, Il grande gioco riparte da Islamabad, www.eurasia-rivista.org, 29 dicembre 2007; Giovanna Canzano, La morte cruenta della Bhutto, intervista a Tiberio Graziani, www.eurasia-rivista.org, 28 dicembre 2007.

7. Zbigniew Brzezinski, La Grande Scacchiera, Longanesi, Milano, 1998.

8. Luiz Alberto Moniz Bandeira, A Balcanização da Bolívia, Folha de S.Paulo, 15/07/2007. Traduction italienne sur www.eurasia-rivista.org, 25 ottobre 2007. Sur le même thème voir aussi l’interview de Luiz Alberto Moniz Bandeira, Bolivia, Cuba, la seguridad de Brasil, el petróleo y la realidad del dólar, sur :  www.laondadigital.com et en italien sur www.eurasia-rivista.org, 9 maggio 2008.

9. Michel Chossudovsky, Cina e America: l'Operazione psicologica dei diritti umani in Tibet, www.eurasia-rivista.org, 22 aprile 2008.

10. François Thual, Il mondo fatto a pezzi, Edizioni all’insegna del Veltro, Parma, 2008.


 Articles de Tiberio Graziani publiés par Mondialisation.ca

samedi, 27 septembre 2008

A propos du 300ième numéro du Bulletin Célinien

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À propos d'un trois centième numéro du Bulletin célinien

J'ai entendu parler pour la première fois du Bulletin célinien  à l'époque déjà ancienne où j'assurais, au moins nominalement, la présidence de la Société des Études céliniennes naissante. J'en étais en tout cas le parrain pour avoir imaginé l'intitulé. Elle était destinée à servir de liaison entre la poignée de chercheurs qui s'intéressaient alors à Céline, et – après mes expériences américaines – j'y mettais naturellement mes espoirs. C'est pourquoi je me souviens avec netteté des sentiments que suscita à Paris la naissance du Bulletin célinien à Bruxelles. On en parlait avec réserve, pas mal de suspicion, mais comme d'une chose transitoire.

 

Or, voici le 300ème numéro. Le BC a non seulement vécu et survécu mais il s'est imposé, il est devenu une institution ; comment expliquer la chose ?

 

J'y vois d'abord un effet de la distance. Cela ne pouvait sans doute se faire que dans cette Belgique qui, à travers Denoël, Évelyne Pollet et Marc Hanrez, avait élu Céline. On y était suffisamment loin de Paris pour ne pas ressentir le clapotis parisien. Vivant avec tranquillité affrontements et conflits, sa double nature flamande et française lui assure la placidité nécessaire devant les mauvais coups : on sait encaisser.

 

Quand j'ai aperçu Marc Laudelout pour la première fois dans l'un des colloques qui se tint vers là-bas j'avais été surpris par sa jeunesse, mariée à une réserve sénatoriale. Cela contrastait avec la nervosité ou la fébrilité de céliniens rencontrés de part et d'autre de l'Atlantique. Ce tempérament lui a permis de négocier les emballements, les compétitions, les conflits et les paniques périodiques que provoque Céline. Non pas que le directeur du BC ait le cuir épais, je le crois sensible et même ultra sensible aux critiques, mais la périodicité mensuelle lui donne le temps de voir. De Bruxelles-Sirius,  on distingue mieux le qui du quoi.  Chacune des  chapelles  de la cathédrale chante l'évangile à sa façon, et tout en veillant au respect de la lettre, le directeur du BC se garde des procès aux hétérodoxes et aux dissonants, à moins de croire le grand homme attaqué.

 

Il a maintenu ce calme et ce sérieux d'arbitre dans les empoignades qui ont mis périodiquement aux prises les officiants qui s’assomment à coup d'encensoirs  comme les moines des différentes confessions à l’entrée du Saint-Sépulcre. Céliniens de gauche ou de droite, ayants droit, celtisants, passionnés de la virgule et du texte pour le texte, acharnés du  petit fait vrai ou de la mémoire du lieu, experts en exploration d'archives, collectionneurs et marchands de reliques, tous ont reçu leur dû chez lui. Il n'y a eu,  je crois, qu'un chanoine  pour refuser le contact. Ces rares qualités ont permis à Marc Laudelout de tenir la gageure du sujet unique.

 

Encore fallait-il que ce sujet tint lui-même en  haleine, et c'est justement la survie exceptionnelle de Céline qui permet au Bulletin à lui consacré de vivre depuis  trente ans.

 

Il m'a toujours semblé que chacun des admirateurs de Céline élisait l'une de ses qualités ou de ses défauts pour les cultiver dans son laboratoire, certains le misérabilisme, d'autres la folle audace associée à une extrême prudence, d'autres encore la peur des riches et des puissants, je passe sur les mimétiques de la forme,  Laudelout, lui, me paraît avoir élu le désir de vie de l’increvable qui, tout en parlant périodiquement de « se filer au gaz », a sans doute été le moins suicidaire des écrivains du temps.

 

La tentation d’en finir avec ce Bulletin, qui lui apportait à longueur d’année palpitations et vertiges devant le numéro à remplir, à boucler et à payer, a dû se présenter dix fois. Il lui a résisté, il a tenu grâce à celui qui – il faut le constater – n’a pas connu une année de purgatoire depuis la publication de L’Herne, les colloques de J.-P. Dauphin ou le premier numéro du Bulletin célinien.

 

Montherlant s’est lourdement trompé en disant qu’on ne lirait pas plus Céline dans cinquante ans qu’on ne lisait Paul Alexis ou Paul Lombard. On pourrait même croire qu’il a payé son erreur. Et ceci nous amène fatalement à la question inéluctable : pourquoi lit-on l’un et plus l’autre ? Une fois écartée la fausse réponse du style, il faut imaginer le lecteur, jeune ou vieux, gavé de l’aube au crépuscule de bons sentiments, envers les femmes, les immigrés et les sans-papiers, sommé de tenir tous les bipèdes pour ses semblables et convaincu de culpabilités rétrospectives variées, il faut imaginer ce lecteur découvrant la prose lyrique du seul qui sache piétiner nos tabous les plus chers entre deux ballets et trois idylles. L’impunité fournie par le temps et le talent assure la renaissance du phénix.

 

Laudelout s’est fait une spécialité d’évoquer le drôle d’oiseau, et il a encore le temps de voir. Son secret de longue vie tient au fait qu’il n’a rien à prouver, rien à démontrer.

 

Philippe ALMÉRAS

 

Auteur de deux thèses de doctorat sur Céline : L’évolution du langage romanesque de Louis-Ferdinand Céline (Université de Californie [Santa Barbara], 1971) et Les idées de Céline (Université de Paris VII, 1987). Cette thèse a été éditée par la BLFC (1987), puis rééditée par Berg International (1992) et Dualpha (2004).  Auteur d’une biographie, Céline. Entre haines et passion  (Robert Laffont, 1994 ; rééd. Dualpha, 2002) et d’un Dictionnaire Céline. Une œuvre, une vie (Plon, 2004).  Autres livres publiés sur le sujet : Je suis le bouc. Céline et l’antisémitisme (Denoël, 2000) ; Voyager avec Céline (Dualpha, 2003) et Sur Céline (Éditions de Paris, 2008).  A également édité et préfacé Lettres des années noires (Berg International, 1994).

 

     

 

 

 

Pressions américaines contre l'installation du gazoduc de la Baltique

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Pressions américaines contre l’installation du gazoduc de la Baltique

 

Dans son édition n°39/2008, l’hebdomadaire de Hambourg, “Der Spiegel”, dénonce les pressions indirectes qu’exerce Washington pour saboter l’installation définitive du gazoduc germano-russe de la Baltique. Après l’échec de la tentative téméraire du président géorgien Saakachvili dans le Caucase, dont l’enjeu est la ligne de gazoducs et d’oléoducs Bakou-Tiflis-Ceyhan, les Etats-Unis passent à l’offensive en Mer Baltique, pour torpiller le bon fonctionnement de “North Stream”, sur lequel  ils n’exercent aucun contrôle. Ils procèdent de manière indirecte. Soi-disant non officielle. Michael Wood, ambassadeur américain en poste à Stockholm, nommé à ce titre par George Bush junior parce qu’il jouait jadis au golf avec lui et l’accompagnait dans ses randonnées en mountain-bike, vient de publier sous son nom propre un article qui enfreint toutes les règles de la bienséance diplomatique, selon la bonne vieille méthode des néocons, qui revendiquent haut et clair ce style de dérapages. Cet article est paru dans le quotidien suédois “Svenska Dagbladet” et constitue un appel au gouvernement suédois: celui-ci devra vérifier, avec la plus extrême rigueur, si le gazoduc est bien “écologique”, comme prévu, mais ne devra pas se borner à ce seul aspect écologique. Il devra, selon Wood, prendre d’autres facteurs en considération: notamment que ce gazoduc est le fruit d’accords spéciaux entre Allemands et Russes, qu’il est une mise en oeuvre par Moscou de “l’arme de l’énergie” face à laquelle l’Europe doit faire front commun, en refusant bien entendu toutes les séductions qu’elle offre.

 

Pour une fois, le gouvernement fédéral allemand a réagi clairement: Rüdiger von Fritsch, directeur du département économique du ministère allemand des affaires étrangères, a appelé l’ambassadeur américain en ses bureaux pour lui demander des explications. Le gouvernement fédéral allemand se dit “irrité” devant cette démarche “inhabituelle”. La réponse du diplomate américain à Berlin reflète, elle, une hypocrisie bien habituelle: les Etats-Unis sont “surpris”, paraît-il, des propos de Wood et prétendent que Washington n’a aucune objection à formuler “quant à l’installation de ce gazoduc privé”. Rüdiger von Fritsch, qui n’est évidemment pas dupe, a conservé sa fermeté: un incident comme l’article de Wood ne devra pas se répéter, a-t-il demandé.

 

Le diplomate von Fritsch n’a pas été le seul à marquer son mécontentement en Allemagne. Eggert Voscherau, représentant de BASF dans le Conseil de supervision du gazoduc “North Stream” incriminé, a déclaré: “Les Américains manifestent désormais ouvertement leur opposition au gazoduc”. Martin Schulz, chef de la fraction sociale-démocrate au Parlement Européen a, lui, déclaré pour sa part que l’article de Wood est une preuve utile et intéressante “pour montrer quelles sont les intentions réelles des Américains: déstabiliser l’Europe”. Notre commentaire: les sociaux-démocrates, jadis, surtout en Belgique, champions de l’alliance atlantiste, vont-ils enfin comprendre, après plus d’un demi siècle, voire un siècle entier, que cette intention américaine a toujours été telle: affaiblir, déstabiliser et détruire l’Europe?

 

Le ministre allemand des affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier ne minimise pas davantage l’affaire: il part du principe que la teneur menaçante de l’article de Wood révèle bel et bien les intentions réelles de Washington. Les observateurs attentifs ont déjà pu constater que la diplomatie américaine ne cesse plus d’intriguer contre ce gazoduc long de 1200 km entre Wyborg et Greifswald, qui, pensent les Américains, accentuera la dépendance énergétique de l’Europe au profit de la Russie. Argument classique, banal mais fallacieux: en effet, ce n’est pas cette dépendance que craignent finalement les Américains mais, au contraire, la fusion des potentialités européennes et russes, qui détacherait les uns et les autres de toute dépendance à l’endroit des Etats-Unis et des sociétés pétrolières moyen-orientales qu’ils contrôlent.

 

Cette crainte n’est pas seulement exprimée par Condoleezza  Rice mais, plus nettement encore, par le Sénateur de l’Utah, Bob Bennett, qui s’inquiète de voir la Russie se transformer “en un Etat gazier et pétrolier”. Ensuite, le tandem énergétique germano-russe, prétendent les Américains, permet à Poutine et Medvedev  d’agir énergiquement dans le Caucase et d’y mettre les manigances américaines, voire turques, en échec et mat. Raison pour laquelle, la diplomatie américaine tente une politique de la zizanie en Europe du Nord en excitant Polonais, Baltes et Suédois contre l’alliance énergétique forgée par Berlin et Moscou. Réactivation du clivage polémique entre “Vieux Européens” et “Nouveaux Européens”, à la différence près que, cette fois, Français, Néerlandais et Britanniques sont ou seront aussi les bénéficiaires du gazoduc contre lequel Washington excite les esprits.

 

La démarche de déstabilisation de l’Europe est si évidente, cette fois, que même les chrétiens-démocrates allemands, souvent très critiques à l’endroit de la politique russe, protestent. Eckart von Klaeden, porte-paroles de la CDU en matière de politique étrangère: “Il faut bien que les énormes investissements [que nous avons faits en Russie] soient amortis”.  Déclaration qui montre bien que la dépendance ne va pas en sens unique, que ce n’est pas seulement l’Europe qui dépend de l’énergie russe mais que, simultanément, la Russie dépend du savoir-faire européen, pour combler le “technological gap” que constataient, triomphants,  les auteurs anglo-saxons entre 1917 et 1989, dont Arnold J. Toynbee. La Chancelière Merkel, qui semblait pourtant avoir cédé aux ukases américains après la Guerre du Caucase en août dernier et déplorait une trop grande dépendance européenne face au gaz et au pétrole russes, soutient le projet “North Stream” sans la moindre réticence.

 

Steinmeier et Merkel se sont rendus en Suède pour plaider la cause du gazoduc, qu’ils définissent comme un “projet stratégique européen”. Les Suédois ont le droit de vérifier la fiabilité écologique de ce gazoduc, mais rien de plus, disent les Allemands. La vérification sera sans doute la plus méticuleuse qu’un gazoduc aura jamais subie. Nous ajouterions que les Américains jouent là sur une vieille inimitié russo-suédoise, qui remonte à Charles XII de Suède, au temps où la Suéde désirait maîtriser “l’axe gothique”, de la Baltique à la Mer Noire, entre Memel et Odessa. La défaite de Charles XII l’a évincée, comme fut aussi évincé le tandem polono-lithuanien. L’axe gothique ne peut plus être maitrisé que par un tandem germano-russe, dans le cadre d’un concert européen cohérent qui rappelle et la Sainte-Alliance de 1815 et l’Alliance des Trois Empereurs au temps de Bismarck.

 

(résumé de l’article et commentaires de Robert Steuckers; titre de l’article: “Aussenpolitik. Amerikanischer Ausrutscher”, par Ralf Beste & Cordula Meyer, in: “Der Spiegel”,  n°39/2008).

Caucaso: Storia di una regione tra Europa e Asia

Caucaso: Storia di una regione tra Europa e Asia
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di Ninni Radicini

Il recente conflitto russo-georgiano va inquadrato nello sviluppo storico del Caucaso e nella sua millenaria complessità geopolitica. La prima volta che l'opinione pubblica italiana ne ebbe segnale fu nel febbraio 1988 quando televisioni e giornali riportarono la notizia di scontri tra armeni e azeri, prodromo della implosione dell'Urss. Frontiera tra Vicino Oriente, steppe euro-asiatiche e Mediterraneo orientale, il Caucaso ha subito profondamente il passaggio di popolazioni dall'Asia centrale e l'espansionismo degli imperi e delle potenze confinanti.
I conseguenti spostamenti degli autoctoni dalle valli alla montagne, da Nord a Sud e viceversa, hanno frammentato la disposizione delle etnie e determinato differenze nell'evoluzione tra la parte settentrionale e quella meridionale (Subcaucasia), dove fin al VI sec. a.C si costituirono entità statali comunitarie, che beneficiarono degli esempi mesopotamici e persiani, oltre che della prossimità con il mondo ellenico e poi con quello romano ("Breve Storia del Caucaso", di Aldo Ferrari, 2007). Georgiani e Armeni fondarono regni indipendenti, con il Cristianesimo religione prevalente già nel IV sec. In seguito il Caucaso fu conteso tra bizantini, persiani, arabi, turchi, soggetto a parziale islamizzazione, scomposizione dei regni e mutamento del quadro etnico a causa di deportazioni di massa, subite in particolare dal popolo armeno.
Nell'impossibilità logistica per le potenze europee di allestire una spedizione militare che avrebbe dovuto attraversare il Mediterraneo orientale, allora sotto totale controllo turco-ottomano, l'unica potenza in grado di liberare la regione era la Russia. Dopo la vittoria di Ivan IV il Terribile sui Tartari nel Caucaso settentrionale, Pietro il Grande rafforzò i rapporti con georgiani e armeni, a partire dalla comune religione cristiana ortodossa, e nel 1772 si ebbe la prima grande avanzata fino a Baku (Azerbaijan). La fase decisiva iniziò con Caterina II che lanciò la campagna per la liberazione della Subcaucasia (guerra russo-turca 1764-68). La Russia oltre all'impero ottomano dovette affrontare i persiani: entrambi sostenuti da Francia e Inghilterra, allora nemiche in Europa ma alleate nel Caucaso.
Nonostante tale schieramento, intorno al 1830 l'esercito zarista portò a termine la missione. Si era in epoca Romantica e quanto accaduto ebbe riferimenti notevoli nella produzione letteraria (Tolstoj, Puskin) e nella cultura popolare. I rapporti con georgiani, armeni, e azeri furono caratterizzati in parte di incomprensioni, dovute alla volontà di affermazione delle rispettive autonomie. Ma tutti popoli dell'area erano consapevoli che il nuovo clima di sicurezza era la migliore garanzia per la rinascita economica.
I problemi maggiori arrivavano dal Caucaso settentrionale, abitato da popolazioni bellicose che i russi chiamavano "gorci" (montanari). Nella Subcaucasia la rivoluzione del 1905 ebbe carattere nazionale oltre che di classe e ogni popolo si diede un partito rappresentativo: il Dashnaktsuthiun per gli armeni, il Partito socialdemocratico menscevico per i georgiani; il Musavat per gli azeri. Nel '21 le tre repubbliche aderirono all'Unione Sovietica, con parità di diritti e prospettiva di riequilibrio economico. Dopo la Seconda guerra mondiale (quando i nazisti arrivarono fino al Caucaso nord-occidentale) la Georgia puntò sulla difesa della lingua e rispetto all'Armenia ebbe un rapporto più difficile con Mosca. In Azerbaijan cominciò a farsi strada un nazionalismo che rivendicava l'eredità dell'antico popolo degli Albani. L'affermazione della nazionalità trovò vigore a metà degli anni '80 con la Perestroika e la Glasnost di Mikhail Gorbaciov.
All'inizio degli anni '90, dopo le dichiarazioni d'indipendenza delle varie repubbliche, il Caucaso - in particolare la Subcaucasia - si trovò al centro degli interessi di Russia, Usa, Turchia, Iran, con parziale coinvolgimento dell'Ue, data la presenza di rilevanti giacimenti petroliferi e la collocazione, che la rende percorso alternativo per il trasporto delle risorse energetiche dell'Asia centrale verso il Mediterraneo. Seppure parte integrante della Russia, nello stesso periodo anche il Nord caucasico fu attraversato da conflitti etnico-religiosi, come quello tra ingusci (musulmani) e osseti (cristiani ortodossi), e insurrezioni nelle repubbliche di Karacaj-Circassia e Cabarda-Balcaria. Ma il territorio più ostile alla presenza russa fu la Cecenia.
La Georgia, dopo l'indipendenza, fu a sua volta soggetta alle spinte centrifughe delle Repubbliche di Abkhazia e Ossetia del Sud, di fatto autonome dal '93 con la supervisione di Mosca, e delle regioni di Agiaria - abitata da georgiani musulmani - e dello Javakheti, a maggioranza armena. Da sempre oscillante tra Oriente e Occidente, fino al '04 è stata governata da Edward Sheverndze, già ministro degli Esteri di Gorbaciov, che la fece aderire alla Csi (Comunità Stati Indipendenti) rafforzando allo stesso tempo i legami con Ue e Usa. Nel '96 Georgia, Armenia e Azerbaigian firmano l'Accordo di partenariato e cooperazione con l'Ue e nel '99 entrano nel Consiglio d'Europa. La tensione con la Russia è aumentata a partire dal gennaio '04, quando la cosiddetta "Rivoluzione delle Rose" porta al potere Mikhail Saakasvili, sostenitore dell'ingresso nella Nato e di un rapporto più stretto con gli Usa.
La risposta di Mosca all'attacco georgiano nella Ossezia del Sud nell'agosto '08 ha determinato un raffreddamento dei rapporti tra Usa e Russia, la scelta della Polonia e degli stati baltici di configurarsi ancora più come ultimo baluardo dell'Occidente euro-americano, e prefigurato ripercussioni nel settore energetico. E' la dimostrazione che quanto avviene nella regione caucasica non sia circoscrivibile e debba essere sempre valutato in un quadro internazionale molto ampio.

http://www.ninniradicini.it/articoli/caucaso_russia_georg...

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Pour la constitution d'un nouveau mouvement pacifiste

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Dr. Alfred MERCHTERSHEIMER:

 

 

Pour la  constitution d’un nouveau mouvement pacifiste !

 

Les leçons à tirer de la Guerre de Géorgie

 

Le Dr. Alfred Mechtersheimer, politologue, ancien Lieutenant-Colonel, ancien député du Bundestag fut l’un des animateurs les plus zélés du mouvement pacifiste allemand dans les années 80. Aujourd’hui, inlassable, il continue à diriger le “Friedenskomitee 2000”, le “Comité 2000 pour la paix”,  après avoir mis sur pied l’ “Institut für Friedenspolitik” à Starnberg.

 

La fraction belliciste à Washington ne veut tout simplement pas admettre que la Guerre froide  ne sera pas suivie de la domination exclusive des Etats-Unis sur la planète. Aujourd’hui cette fraction belliciste mise sur un vétéran de la Guerre du Vietnam, John McCain, et fait tout pour empêcher son rival, Barack Obama, d’accéder à la Maison Blanche. Celui-ci, en effet, pourrait diminuer les dépenses en matière d’armement et se montrer moins belliciste dans un monde perçu comme multipolaire. Voilà pourquoi la fraction belliciste a besoin d’un maximum de confrontations dans le monde pour faire passer son candidat à la présidence.

 

Le rôle du provocateur

 

La guerre contre l’Iran, préparée de longue date avec l’appui israélien, serait une entreprise trop risquée et pourrait renforcer le désir de paix chez l’électeur américain. C’est la raison pour laquelle on a fait jouer le rôle du provocateur à la Géorgie, où l’on avait préalablement installé et armé un régime vassal. La Russie était contrainte de réagir après l’attaque géorgienne contre Tskhinvali en Ossétie du Sud, les 7 et 8  août derniers. Question: la Russie a-t-elle eu une réaction disproportionnée?

 

On ne peut répondre à cette question que si l’on réexamine l’évolution des relations américano-russes de ces vingt dernières années. Les Etats-Unis ont certes été les vainqueurs de la Guerre Froide, mais depuis  cette victoire, ils perdent sans cesse plus d’influence et de puissance sur les plans politique et économique, tandis que la Russie, grâce aux richesses de son sol, vit un boom économique unique. A la place de l’ancienne bipolarité, nous avons un monde multipolaire avec de nouveaux centres économiques et politiques et l’islamisme comme nouvelle force globale. Ces deux éléments de la nouvelle donne continuent sans cesse d’affaiblir les positions américaines. Dans le monde entier, le poids de la politique et de l’économie penche en défaveur des Etats-Unis, comme on le voit en Amérique latine, dans le monde arabo-musulman, en Irak, très récemment au Pakistan et maintenant dans le Caucase.

 

Moscou avait dû subir humiliation sur humiliation

 

Washington ne peut s’affirmer que là où les services américains peuvent envenimer les conflits ethniques ou autres entre Moscou et les Etats issus du démantèlement de l’URSS. Si les Américains réussissent à faire passer les Russes pour des agresseurs, cela les aide sur tous les autres fronts, comme en Europe orientale, où, peu de temps après la guerre de six jours en Géorgie, le gouvernement polonais, à Varsovie, abandonnait ses dernières réticences à l’installation de fusées américaines dans les régions septentrionales de la Pologne.

 

Dans ce jeux de conflits et d’intérêts, Washington a besoin de foyers de désordre pour pouvoir s’affirmer contre la Russie qui est une nouvelle grande puissance montante. Voilà pourquoi l’émergence d’une nouvelle Guerre Froide est de l’ordre du possible,surtout si l’on songe au fait que la première Guerre Froide a laissé derrière elle bon nombre de conflits potentiels. Au lieu de mettre sur pied un système de sécurité couvrant l’Europe tout entière, l’OTAN avance ses pions toujours davantage à proximité de la frontière russe. Tandis que les troupes russes quittaient l’ex-RDA, le territoire allemand devenait de plus en plus une base américaine; il abrite même, aujourd’hui, le commandement US pour l’Afrique!

 

Sous Eltsine, la Russie était un vassal des Etats-Unis et devait accepter humiliation sur humiliation. Poutine a mis rapidement un holà au pillage de ses richesses géologiques.  Aujourd’hui, la situation est telle: les dirigeants russes disposent de réserves colossales de matières premières, voient leurs potentiels politique et militaire se renforcer, avec l’assentiment général du peuple russe; il n’y a donc plus de raison qu’ils acceptent de se laisser traiter comme les vaincus de la Guerre Froide.

 

Le danger d’une nouvelle Guerre Froide est grand car aucun des deux camps n’a tiré les  leçons de la première Guerre Froide. On ne reconnaît pas à temps l’émergence de foyers de  crise, on ne perçoit pas les intérêts économiques communs et, plus dangereux encore, en cas de crise, personne ne cherche à apaiser les conflits, au contraire, on cherche à les envenimer. La France et la Grande-Bretagne veulent des sanctions; Madame la Chancelière Merkel évoque l’adhésion de la Géorgie à l’OTAN, alors qu’elle s’y était opposée auparavant! Berlin n’a aucun projet en matières de politique étrangère et l’UE encore moins! La politique étrangère se réduit à une seule question: va-t-on suivre les Etats-Unis ou non?

 

Le peuple est contre toute Guerre Froide !

 

Ce qui fait peur, c’est la réaction d’une grande part des media. La presse allemande ressort du placard des réflexes anti-russes que l’on croyait depuis longtemps évacués des têtes. L’hebdomadaire “Die Zeit” perçoit à nouveau un “danger russe” et on voit réapparaître sur les écrans de nos télévisions d’anciens bellicistes de la première Guerre Froide comme l’américaniste Josef Joffe. Même le “Spiegel” titre: “Le voisin dangereux”. Contrairement à l’immense majorité du peuple, on le constate, bon nombre de politiciens et de journalistes attendaient impatiemment que les vieux schémas binaires de la première Guerre Froide retrouvent vigueur et virulence. La réaction musclée du Kremlin est sans doute une erreur mais une erreur qui peut s’expliquer par l’histoire: en aucun cas, elle ne prouve une nouvelle politique étrangère agressive.

 

En CONCLUSION: il nous paraît nécessaire de constituer un nouveau mouvement pacifiste en Allemagne et dans toute l’Europe. Car si les peuples ne manifestent pas leur volonté de paix, l’UE suivra les errements de la fraction belliciste de Washington jusqu’à la guerre. Vingt-cinq ans après le blocus de la base américaine de Mutlangen, à laquelle j’avais participé avec Günther Grass et Volker Schlöndorff, le peuple doit à nouveau se dresser pour qu’advienne une Europe de la paix, Russie comprise, et faire de la guerre et de la paix des thèmes à débattre dans toutes les élections décisives.

 

Dr. Alfred MECHTERSHEIMER.

(article tiré de “DNZ”, Munich, n°38/2008, sept. 2008, trad. franç. : Robert Steuckers).

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vendredi, 26 septembre 2008

Une affiche de la "Lega Nord"

Ils ont subi l'immigration, maintenant ils vivent dans des réserves ! 
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Africom, le mani di Bush sul petrolio

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AFRICOM, le mani di Bush sul petrolio
Ex: http://www.eurasia-rivista.org/

di Djamaledine Benchenouf
Le Quotidien d’Algérie

A conferma “dell'importanza dell'urgenza strategica in Africa„, nel febbraio 2007 il presidente Bush ha deciso di creare Africom, l'organizzazione che controlla le forze militari USA in Africa.
Africom sul modello di Centcom (controllo militare centrale) ed Eucom (controllo militare europeo), concentra il comando delle forze militari che operano sul territorio africano sotto un'unica struttura.
Africom affida molte azioni di natura non militare - come la costruzione di scuole e lo scavo di pozzo - che erano della competenza di ONG americane, alla giurisdizione del dipartimento di Stato alla difesa.
La creazione dello Africom è giustificata dalla lotta al terrorismo, benché il petrolio sembri essere l'obiettivo principale: “Una missione chiave affidata alle forze militari USA in Africa che mira a garantire che le zone petrolifere della Nigeria (che in futuro potrebbero costituire 25 per cento dell'insieme del volume di petrolio importato dagli USA) siano sotto il suo controllo„, spiega il generale Charles Wadd, che comanda forze militari americane in Europa in un'intervista al giornalista Greg Jaffe del Wall Street Journal.
Per rassicurare e controllare le vie d'accesso al petrolio - non soltanto per la nazione, ma anche per le compagnie petrolifere - l'amministrazione Bush ha interamente fatto affidamento sulle forze militari.
L'autore Kevin Philips ha forgiato una nuova parola “l’imperialismo petrolifero„ per descrivere le politiche dell'amministrazione Bush in tale ambito, e “l'aspetto determinante e la trasformazione della forza militare USA verso una realtà che mira ad esercitare una forma di protezionismo sull'economia mondiale del petrolio„. Mettendo queste operazioni sotto l'etichetta ‘della guerra al terrorismo ‘, Bush ha realizzato il più grande rafforzamento delle forze militari che sia mai esistito dalla fine della guerra fredda. Se si fa riferimento alla carta delle operazioni del Big Oil oltreatlantico in relazione alle riserve petrolifere restanti nel mondo e delle rotte di trasporto del petrolio, ci si può fare un'idea di questo rafforzamento, e prevedere il futuro dispiegamento di forze militari americane.
L'Africa, che possiede circa 10 per cento delle riserve di petrolio è ormai una zona dove questo rafforzamento del BIG Oil e delle forze militari americane aumenta sempre di più.
Secondo il dipartimento di Stato dell'Energia degli Stati Uniti, tra il 2000 e il 2007, le importazioni USA di petrolio provenienti dall'Africa sono aumentate del 65%, (da 1.6 a 2.7 milioni di barili al giorno). Quest'importazioni hanno messo in evidenza la progressione in percentuale dell'insieme del volume di petrolio importato dagli USA: un aumento che aumenta dal 14.5 per cento nel 2000, al 20 per cento nel 2007. È da prevedere un aumento ulteriore in futuro. Un incremento accoppiato: più gli USA importano petrolio africano, più le loro compagnie aumentano le loro riserve africane e più rafforzano la loro presenza in questo continente. Secondo i dati 2008 di Sec, Chevron, ConocoPhillips e Marathon, tra le altre società americane, rafforzano la loro presenza con nei paesi seguenti: Algeria, Angola, Camerun, Ciad, repubblica del Congo, repubblica democratica del Congo, Guinea equatoriale, Gabon, Libia, Nigeria.
Il segretario del dipartimento di Stato dell'Energia degli Stati Uniti, Samuel Bodman, ha recentemente dichiarato che le società petrolifere americane sperano ulteriormente di allargare le loro operazioni includendo Madagascar, il Benin, Sao Tomé e la Guinea Bissau Si nota che Shell e BP stanno estendendo le loro operazioni - d'altra parte già importanti - in Africa. L'amministrazione Bush ha sempre più implicato il Dipartimento della Difesa per rendere più stabili i governi africani che sostengono la sua amministrazione e le compagnie petrolifere (americane o affiliate) garantendo loro la `docilità ' dei loro popoli. Ha anche ha aumentato le forniture di armi e gli addestramenti militari destinati al continente africano. I destinatari diretti attuali sono i seguenti paesi: Angola, Algeria, Botswana, Ciad, Costa d'Avorio, repubblica del Congo, Guinea equatoriale, Eritrea, Etiopia, Gabon, Kenia, Mali, Mauritania, Niger, Nigeria, Sudan e Uganda.
Il generale James Jones, che comanda l’ Eucom, ha annunciato che i bastiemneti di guerra della marina americana potrebbero diminuire le loro visite in Mediterraneo e “passare più tempi a solcare le coste occidentali dell'Africa„. Nella base della legione straniera francese di Campo Lemonier, a Gibuti, i soldati americani, che sono collegati alla task force del corno dell'Africa, “si sentono come a casa propria”. Il Comando di Africom ha, attualmente, il suo quartiere generale in Germania, ma prevede “di stabilizzare la sua presenza„ nel continente africano. Esistono molte opzioni per l'impianto di basi militari americane, di cui una che consisterebbero nell’installare una base navale ed un porto nella piccola isola di Sao Tome sulla costa del Gabon in Africa occidentale. Il Pentagono prevede la possibilità di installare nuove basi in Senegal, Ghana e Mali. Le compagnie petrolifere americane hanno utilizzato il contributo delle forze militari e di sicurezza africane per salvaguardare i loro interessi. Sarebbe più onesti da parte loro che il controllo di tali operazioni sia più trasparente.
Gli USA sono impegnati in una guerra per il petrolio in Iraq e le loro forze armate ne sono consapevoli. John Abizaid, generale in pensione del Comando centrale e delle operazioni militari in Iraq, ha dichiarato che lo scopo della guerra “è senza ombra di un dubbio il controllo del petrolio (giacimenti d' idrocarburi)„. Il problema che si profila, sul modello del caso iracheno, deriva della massiccia presenza militare americana che contribuirà a peggiorare l’attuale drammatica situazione, e che causerà un'ostilità interna, un'instabilità nazionale ed una rabbia verso gli Stati Uniti.

L'or noir, bonheur et malheur du Nigeria

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Francesca DESSI:

L’or noir, bonheur et malheur du Nigeria

 

Le conseil des ministres du Nigeria  a remis de l’ordre dans l’organisation du gouvernement et de ses structures, en créant six ministères et, plus particulièrement, un département ministériel qui s’occupera du développement économique du Delta du Niger, le coeur pétrolifère du pays. Ce remaniement prévoit la constitution de pas moins de 42 ministères et, surtout, la scission du ministère de l’énergie en deux branches distinctes: l’une pour le pétrole, l’autre pour les autres formes d’énergie. Ces modifications structurelles font partie d’un plan de réaménagement de l’Etat voulu par le président Oumarou Yar’Adoua pour “garantir une plus grande flexibilité et une réelle efficacité politique”. Le président avait en effet affirmé plus d’une fois que la normalisation et le développement économique du Delta étaient des priorités pour le gouvernement. Une déclaration qui est bel et bien en contradiction avec la triste réalité de la région, marquée par un taux élevé de chômage et une extrême pauvreté. Il y a déjà des années, en effet, que la communauté du Delta dénonce la corruption qui règne dans les administrations nigerianes et l’exploitation qu’imposent les grandes puissances qui ont dépouillé la région de ses propres ressources, sans offrir aucun bien-être en échange.

 

En réponse à ce remaniement politique général, le “Mouvement pour l’émancipation du Delta” a accueilli avec “précoccupation” l’annonce, par le gouvernement nigerian, de constituer un ministère du Delta du Niger. C’est ce qu’affirme Jomo Gbomo, porte-paroles de l’organisation, dans un message envoyé par voie électronique aux principaux organes d’information.

 

Dans le document, nous pouvons lire que “la population de la région devrait recevoir cette dernière friandise avec préoccupation et ne pas accepter que les cinq prochaines décennies seront une nouvelle fois des années sombres de famine et de malnutrition, dues à un gouvernement qui gèrera à sa guise nos émotions, car ce n’est pas la première fois que l’on nous sert des “mets” soi-disant si appétissants: c’est ainsi depuis la fin des années 50”.

 

“Créer un ministère”, ajoute Gbomo, “n’équivaut pas à la venue du Messie tant attendu. Le Nigeria a créé quantité de ministères au cours de ces quarante dernières années et aucun d’entre eux n’a eu un impact positif sur la population. Ce sera une voie de plus pour la corruption et les favoritismes politiciens”. En effet, la situation pourra difficilement changer. Il y a effectivement trop d’intérêts qui tournent autour de l’Etat nigerian, premier producteur de pétrole du continent africain et septième exportateur mondial. Le Nigeria est l’une des régions du monde les plus riches en hydrocarbures, avec des réserves de pétrole équivalant à 32 milliards de barils; il est aussi le cinquième fournisseur de brut pour les Etats-Unis. Au fil des années, l’or noir du Nigeria a éveillé l’intérêt de plus d’une grande puissance.

 

Après avoir été courtisé par la Chine, l’Inde, le Brésil, la Russie, l’Europe et les Etats-Unis, l’Iran, à son tour, a commencé, ces derniers mois, à s’intéresser au pétrole nigerian. L’Iran a noué des rapports bilatéraux avec le Nigeria, promettant une coopération commerciale, politique et nucléaire.

 

Un accord a ainsi été signé début septembre à Abouja durant les rencontres de la Commission irano-nigeriane. Cet accord prévoit de fait le cession au Nigeria de technologies nucléaires à usage civil pour la production d’électricité, sans aucune implication militaire. Malgré cela, la nouvelle “amitié” entre le gouvernement d’Abouja et Téhéran, a provoqué un état d’alerte à la Maison Blanche et sur le Vieux Continent.  Les Etats-Unis ne veulent pas que le Nigeria tombe dans les bras d’Ahmadinedjad. Mais il n’y a pas que cela. Washington ne peut pas se permettre de perdre l’exclusivité de ses rapports pétroliers avec les Nigerians, sous peine de dépendre exclusivement du Moyen Orient pour ses besoins énergétiques.

 

Les Etats-Unis avaient en effet prévu d’importer, d’ici la fin de la prochaine décennie, 25% de  ses besoins en pétrole des gisements du Golfe de Guinée. Un projet où le Nigeria a évidemment un rôle important à jouer, étant le premier exportateur de brut de l’Afrique sub-saharienne. En échange, l’administration américaine a promis de fournir armes et formations à l’armée nigeriane, afin qu’elle puisse combattre les guerilleros du Delta du Niger, qui réclament le partage des revenus du pétrole pour améliorer les confitions de vie de la population. Le Nigeria, il est vrai, ne peut se permettre d’enfreindre les règles frauduleuses imposées à l’échelle internationale.

 

La région, où se situe le Nigeria, est en mesure de produire un peu plus du sixième de ses propres besoins en électricité. Le pays ne possède pas de raffineries pour pouvoir traiter le pétrole et a un besoin urgent d’électricité pour développer ses propres secteurs industriels, qui  ont été ruinés, exactement comme son agriculture. Et comme l’assistance promise par les pays occidentaux se limite à de simples paroles, le Nigeria est bien obligé d’accepter toutes les offres, quelles que soient leurs provenances, en dépit qu’elles ne soient nullement désintéressées. C’est là une faiblesse patente du pays. Les Etats-Unis et l’Europe en sont inquiets parce que le Nigeria ne fait pas la distinction entre “bons” et “méchants” partenaires potentiels sur l’échiquier international. Une preuve? Le nouvel accord commercial, pour un montant de deux milliards et demi de dollars, qui vient d’être signé, début septembre, entre Gazprom et la Compagnie Pétrolière Nationale du Nigeria. Après quasiment dix-huit ans d’absence, Moscou revient en Afrique, tente de reprendre pied sur le continent en signant toute une série d’accords pour des fournitures énergétiques et militaires avec le Maroc, la Libye et l’Algérie.

 

Les Etats-Unis sont donc contraints de se préoccuper de l’expansionisme économique russe, tandis que l’Europe sait qu’elle dépend de Moscou pour son énergie. Le récent projet de Gazprom de construire un gazoduc partant du Delta du Niger pour arriver à la Méditerranée, en traversant le Sahara, évincera en quelque sorte le Vieux Continent, car, normalement, c’est l’Europe qui, de fait, devrait avoir un lien privilégié avec l’Afrique via la Méditerranée.

 

Le Nigeria apparaît dès lors comme un partenaire fondamental sur l’échiquier géopolitique et géo-économique. Le pétrole peut tout à la fois faire son bonheur et faire son malheur. Parce  que le Nigeria est un pays pauvre et faible sur le plan politique, dont les ressources sont exploitées et emportées sans scrupules par de tierces puissances, aves lesquelles s’acoquinent une minorité locale corrompue. En fin de compte, la population du Nigeria est condamnée à la misère la plus absolue.

 

Francesca DESSI.

(article paru dans le quotidien romain “Rinascita”, 12 septembre 2008 – trad. franç. : Robert Steuckers).

jeudi, 25 septembre 2008

Ukraine: l'exécutif philo-atlantiste est dissous

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Andrea PERRONE :

Ukraine: l’exécutif philo-atlantiste est dissous

 

La coalition philo-atlantiste, au pouvoir à Kiev, a été dissoute. Le président du parlement ukrainien, Arseny Yatseniouk, l’a annoncé, en même temps  que la fin du gouvernement formé naguère par les putschistes de la révolution orange. La coalition avait été composée par le parti “Notre Ukraine” du président Viktor Youchtchenko et par le “Bloc” (BYUT) de Ioulia Tymochenko, l’actuel premier ministre. Les déclarations du président du Parlement ont confirmé le divorce entre les deux partis du gouvernement, celui de Youchtchenko et celui de Tymochenko, tous deux alliés lors de la fameuse “révolution orange” mais devenus, ces derniers temps, des rivaux absolus. Malgré toute cette effervescence, le président ukrainien a néanmoins manifesté son espoir de voir la majorité orange se reconstituer. La coalition, espère-t-il, pourrait se voir élargie aux centristes de Vladimir Litvine qui, pourtant, avait déclaré récemment, qu’il ne serait disponible que pour une coalition formée avec le “Parti des Régions”  de l’ancien chef de l’exécutif, le pro-russe Viktor Yanoukovitch, et avec le BYUT.

 

A peu de mois avant la nomination de Madame Tymochenko à la direction du gouvernement de Kiev, qui, rappellons-le, avait été prévue pour décembre 2007, la coalition avait immédiatement montré ses faiblesses: elle n’avait qu’une majorité très juste, avec seulement deux sièges de plus que l’opposition. Le gouvernement de Madame Tymochenko a tout de suite essuyé les critiques, non seulement de l’opposition, mais aussi de l’intérieur de sa propre coalition, en l’occurrence de la part du président Youchtchenko lui-même. Ce gouvernement, instable, a failli entrer plusieurs fois en crise. En juillet, son exécutif a perdu la majorité au Parlement, après le départ de deux députés.

 

En août, sur fond du conflit russo-géorgien, Madame Tymochenko a essuyé bon nombre de critiques pour ne pas avoir soutenu ouvertement la Géorgie et pour n’avoir guère émis de critiques à l’endroit de la politique de Moscou. Le 3 septembre dernier, Youchtchenko a menacé de provoquer des élections anticipées après que le Parlement ait approuvé diverses mesures visant à réduire les pouvoirs du président au profit de ceux du premier ministre. C’est la quatrième crise politique d’envergure que connaît l’Ukraine depuis ces toute dernières années. Les causes du dissensus sont liées aux prochaines élections présidentielles, prévues pour l’année 2010, mais dont la campagne est censée commencer l’an prochain. C’est pour cette raison que le premier ministre est accusé de vouloir gagner les sympathies de Moscou,  de façon à obtenir le soutien de la Russie pour sa candiudature à la présidence. Pour toute réponse, Madame Tymochenko, dans un entretien récemment accordé au quotidien de la City londonienne, le “Financial Times”, a nié les accusations de Youchtchenko en rappelant qu’elle ne contestait nullement l’intégrité territoriale de la Géorgie et qu’elle soutenait les positions de l’UE dans les négociations avec Moscou. Mais elle n’a pas manqué non plus d’accuser le président de vouloir exploiter à son profit le conflit russo-géorgien pour redorer son blason en vue des très prochaines présidentielles.

 

De récents sondages ont en effet révélé que Madame Tymochenko a de fortes chances d’aller bientôt occuper le fauteuil présidentiel car elle bénéficie d’un large consensus populaire. Ses scores seront toutefois talonnés de près par ceux de Yanoukovitch, tandis que le soutien du peuple à Youchtchenko tomberait sous la barre des 10%.

 

Madame le premier ministre, à Kiev, n’a pas manqué de mettre le président en garde contre les bouleversements politiques actuels qui pourraient renvoyer à une date très ultérieure l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN ou ralentir une intégration plus étroite du pays à la dynamique de l’UE. En bref, la reine du gaz et actuel premier ministre semble vouloir jouer toutes ses cartes pour devenir présidente de l’Ukraine, en cherchant même à obtenir le soutien des forces pro-russes pour atteindre le but tant convoité.

 

Andrea PERRONE.

(article tiré du quotidien romain “Rinascita”, 17 sept. 2008, trad. franç. : Robert Steuckers).

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Citation de Jean Brun

Pythagore.jpgNous pourrions dire qu'un des drames essentiels de notre époque se trouve dans ce "règne de la quantité" qui ne nous donne plus du nombre qu'une conception résiduelle. Nous affirmons volontiers que "comprendre c'est mesurer", nous nous rendons maître et possesseurs de la nature", nous développons une puissance technique de plus en plus considérable mais, si nous savons bien de quoi la science et la technique nous libèrent, nous oublions de nous demander en vue de quoi elles nous rendent libres. Nos mesures sont de plus en plus privées de Mesure et nous vivons chaque jour davantage sous le joug de violences techniques qui, pour douces et insidieuses qu'elles soient, n'en sont pas moins des plus dangereuses. En outre, notre conception résiduelle de la quantité s'exerce dans un nouveau domaine : celui de la statistique. Celle-ci nous amène à confondre la moyenne et la norme, ce qui se fait et ce qui devrait se faire, la quantité et la qualité; c'est ainsi que nous pensons volontiers qu'un bon livre est celui qui se vend à des centaines de milliers d'exemplaires, que la vente d'un disque dépassant le million d'exemplaires nous indique que nous sommes en présence d'une oeuvre de qualité. Le culte du record et de la performance envahit tous les domaines et se détache sur un fond de gratuité tel que l'homme d'aujourd'hui, à qui l'on propose de tous cotés des explications de plus en plus nombreuses empruntées à la science, à l'histoire ou à la politique, se reconnaît bien volontiers dans les héros de l'absurde qui montent en haut de pentes de plus en plus escarpées, des rochers de plus en plus lourds sans savoir en vue de quel but a lieu un tel déploiements de forces. Le "désenchantement des sociétés techniciennes" dont parle Max Weber, vient de ce que l'homme des pays surdéveloppés possède aujourd'hui une infinité de moyens qu'il est impuissant à mettre au service d'une fin digne de ses efforts et capable de leur donner un sens.

Il est donc toujours temps de nous souvenir que Pythagore conseillait à ses disciples de se demander chaque soir: " Quelle faute ai-je commise ? Quel bien ai-je fait ? Quel devoir ai-je oublilé ? " Le règne de la quantité et celui de la puissance ne devraient pas nous faire croire que nous sommes désormais dispensés de nous poser quotidiennement ces trois questions.

Jean Brun, Les présocratiques

Georgie, Victima de los Cantos de Sirena de Occidente

Georgia, Víctima de los Cantos de Sirena de Occidente

Por José Luis Orella

www.diarioya.es

Los georgianos son uno de los pueblos más antiguos del Cáucaso, uno de cuyos reinos fue la primitiva Iberia, de la cual hay teorías que harían descender de esta vétera región a los primitivos iberos, nuestros ancestros, cuyo residuo lingüístico actual sería el vasco. Los georgianos son un pueblo que ha tenido que saber defenderse por su situación fronteriza, frente a los mongoles en el siglo XIII, y en el XVI frente a los persas y los turcos otomanos. Pero su situación limítrofe con el Imperio Otomano ofrecía una clara situación de peligro ante una expansión turca. Los georgianos, como pueblo cristiano ortodoxo, pidieron la protección del Imperio Ruso, que sería materializado bajo el reinado de Pablo I. En 1801 era proclamada la anexión de la pequeña Georgia al imperio ruso. Durante el resto del siglo XIX, las avanzadillas rusas fueron anexionando territorios en el Cáucaso frente a persas y turcos. Fue en esos momentos cuando la Georgia rusa fue ampliada hasta la costa del Mar Negro, asumiendo pueblos no georgianos.

La caída del Imperio y la posterior revolución rusa proporcionaron la oportunidad de la independencia de Georgia en 1918. Sin embargo, cuando los bolcheviques ganaron la guerra civil rusa, Georgia fue junto a Ucrania y el Asia central, nuevamente anexionada a la naciente URSS. En 1936 nacía la república soviética de Georgia, y tuvo que sufrir la misma represión que el resto de los pueblos de Rusia, bajo la dura dictadura de Josif Vissarionovic Dzhugashvili “Stalin”, el georgiano más conocido de la historia, y uno de sus mayores asesinos. Entre los directores del temido KGB estaría otro tristemente célebre georgiano, Lavrenti Beria. No obstante, Stalin se comportó como un ruso, aceptando la rusificación del extenso imperio comunista como la única posibilidad de dar cierta uniformidad, favoreciendo a la nacionalidad mayoritaria.


¿Por qué nadie condena el comunismo asesino?


Cuando Mijail Gorbachov desarrolló la Perestroika, que traería como consecuencia el fin del comunismo, otro hijo de Georgia se transformaría en la imagen exterior de la nueva URSS, Eduard Shevardnadze. Pero cuando la URSS se disolvió, Georgia recuperó la independencia perdida en 1991. La borrachera nacionalista siguiente causó la subida al poder del mingreliano Zviad Gamsajurdia, un exaltado nacionalista que evocaba con su populismo la occidentalidad de la personalidad georgiana. Una isla cristiana rodeada de pueblos islámicos de las montañas, financiados por los restos comunistas del KGB. La debilidad de las instituciones georgianas favoreció las ambiciones de otros caudillos nacionalistas, que con la colaboración de sus milicias armadas, derrocaron al presidente y se inició una guerra civil que duró hasta 1995. Ese año, Eduard Shevardnadze, como única figura internacional respetable, volvió a su país para hacerse cargo de la presidencia.


 


Pero la situación estaba gangrenada desde antiguo. Durante la Segunda Guerra Mundial, algunos pueblos montañeses habían sido deportados por orden de Stalin por desconfianza a una posible colaboración con los alemanes. En 1943, la ofensiva del Cáucaso proporcionó la mitad norte de la península a las fuerzas germano-rumanas de Von Manstein. El hueco dejado por aquellos fue colonizado por georgianos desplazados. Las luchas que se iniciaron en 1992 proporcionaron el momento propicio a los minoritarios abjacios (musulmanes de la costa) y osetios del sur (cristianos, los antiguos alanos) para tomar el control de sus respectivas regiones. Las expulsiones de las comunidades alógenas recordaron las escenas terribles de los Balcanes después de la Primera Guerra Mundial.

La situación caótica pareció resolverse en el 2003, cuando Mijail Saakashvili protagonizó la "revolución de las rosas", una de las primeras revoluciones prooccidentales que debía proporcionar una administración favorable a un alineamiento pronorteamericano en defensa y economía. El derrocamiento de Shevardnadze fue aplaudido por las democracias occidentales, y los nuevos aurigas de Georgia resaltaron un discurso nacionalista-populista que debía restablecer el control de las regiones rebeldes. El nuevo gobierno ha contado con asesores turcos y norteamericanos, ha comprado material israelí, y junto a Ucrania, son los dos países de la ex URSS que más hacen por acelerar el proceso de su integración en la OTAN. Sin embargo, esta evolución de los hechos ha ido de forma paralela con la recuperación internacional de Rusia, de manos de Vladimir Putin.


 


El presidente georgiano ha gozado de una inmensa popularidad, pero su país se encuentra hundido económicamente, la inestabilidad política es constante y un futuro trágico como el del primer estadista georgiano Gamsajurdia, puede ser posible, teniendo en cuenta que el propio presidente actual subió mediante un golpe de fuerza. Por estas razones, a inicios de agosto de este año, emprendía una fuerte ofensiva contra los osetios del sur, causando una masacre de civiles, ante la esperanza de que los rusos no intervinieran por su proximidad con los Estados Unidos.

No obstante, desde el proceso de independencia de Kosovo, el ejemplo estaba servido a favor de unas regiones rebeldes que habían tomado la precaución de obtener la nacionalidad rusa de forma masiva. El ejército ruso no tuvo más que emprender una rápida ofensiva para aplastar a las masas de milicianos inexpertos georgianos, liberar las dos regiones rebeldes y destruir las instalaciones militares y energéticas del país. El reconocimiento de la independencia de Abjasia y Osetia del Sur, que puede incluso terminar con su anexión, pedida de manera mayoritaria por sus habitantes, permite a Rusia recuperar su posición estratégica en el Mar Negro, gracias al control del puerto de Sujumi. La inhabilitación económica de Georgia hace peligrar el traslado del petróleo azerí a través de su geografía. Por otro lado, es un serio aviso a Ucrania, en su evolución occidental hacia su integración en la Unión Europea y la OTAN. Rusia vuelve a reivindicar su posición de potencia regional, y no va a permitir que la OTAN, carente de finalidad después del fin de la guerra fría, aglutine a los vecinos próximos en un anillo mortal contra la nueva Rusia democrática.

 

Vladimir Putin
Eduard Shevardnadze

La décision dans l'oeuvre de Carl Schmitt

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La décision dans l'œuvre de Carl Schmitt

 

par Robert Steuckers

 

Carl Schmitt est considéré comme le théoricien par excellence de la décision. L'objet de cet exposé est:

- de définir ce concept de décision, tel qu'il a été formulé par Carl Schmitt;

- de reconstituer la démarche qui a conduit Carl Schmitt à élaborer ce concept;

- de replacer cette démarche dans le contexte général de son époque.

 

Sa théorie de la décision apparaît dans son ouvrage de 1922, Politische Theologie. Ce livre part du prin­cipe que toute idée poli­tique, toute théorie politique, dérive de concepts théologiques qui se sont laïcisés au cours de la période de sécularisation qui a suivi la Renaissance, la Réforme, la Contre-Réforme, les guerres de reli­gion.

 

«Auctoritas non veritas facit legem»

 

A partir de Hobbes, auteur du Leviathan  au 17ième siècle, on neu­tralise les concepts théologiques et/ou religieux parce qu'ils condui­sent à des guerres civiles, qui plongent les royaumes dans un “état de nature” (une loi de la jungle) caractérisée par la guerre de tous contre tous, où l'homme est un loup pour l'homme. Hobbes ap­pelle “Léviathan” l'Etat où l'autorité souveraine édicte des lois pour pro­téger le peuple contre le chaos de la guerre civile. Par consé­quent, la source des lois est une autorité, incarnée dans une per­sonne physique, exactement selon l'adage «auctoritas non veritas facit le­gem»  (c'est l'autorité et non la vérité qui fait la loi). Ce qui revient à dire qu'il n'y a pas un principe, une norme, qui précède la déci­sion émanant de l'autorité. Telle est la démarche de Hobbes et de la philosophie politique du 17ième siècle. Carl Schmitt, jeune, s'est enthousiasmé pour cette vision des choses.

 

Dans une telle perspective, en cas de normalité, l'autorité peut ne pas jouer, mais en cas d'exception, elle doit décider d'agir, de sévir ou de légiférer. L'exception appelle la décision, au nom du principe «auctoritas non veritas facit legem».  Schmitt écrit à ce sujet: «Dans l'exception, la puissance de la vie réelle perce la croûte d'une mé­canique figée dans la répétition». Schmitt vise dans cette phrase si­gnificative, enthou­siaste autant que pertinente, les normes, les mé­caniques, les rigidités, les procédures routinières, que le républica­nisme bourgeois (celui de la IIIième République que dénonçait Sorel et celui de la République de Weimar que dénonçaient les te­nants de la “Révolution Conservatrice”) ou le ronron wilhelminien de 1890 à 1914, avaient généralisées.

 

Restaurer la dimension personnelle du pouvoir

 

L'idéologie républicaine ou bourgeoise a voulu dépersonnaliser les mécanismes de la politique. La norme a avancé, au détriment de l'incarnation du pouvoir. Schmitt veut donc restaurer la dimension personnelle du pouvoir, car seule cette dimension personnelle est susceptible de faire face rapidement à l'exception (Ausnahme, Ausnahmenzustand, Ernstfall, Grenzfall). Pourquoi? Parce que la décision est toujours plus rapide que la lente mécanique des procé­dures. Schmitt s'affirme ainsi un «monarchiste catholique», dont le discours est marqué par le vitalisme, le personnalisme et la théolo­gie. Il n'est pas un fasciste car, pour lui, l'Etat ne reste qu'un moyen et n'est pas une fin (il finira d'ailleurs par ne plus croire à l'Etat et par dire que celui-ci n'est plus en tous les cas le véhicule du poli­tique). Il n'est pas un nationaliste non plus car le concept de nation, à ses yeux et à cette époque, est trop proche de la notion de volonté générale chez Rousseau.

 

Si Schmitt critique les démocraties de son temps, c'est parce qu'elles:

- 1) placent la norme avant la vie;

- 2) imposent des procédures lentes;

- 3) retardent la résolution des problèmes par la discussion (reproche essentiellement adressé au parlementarisme);

- 4) tentent d'évacuer toute dimension personnelle du pouvoir, donc tout recours au concret, à la vie, etc. qui puisse tempérer et adapter la norme.

 

Mais la démocratie recourt parfois aux fortes personnalités: qu'on se souvienne de Clémenceau, applaudi par l'Action Française et la Chambre bleu-horizon en France, de Churchill en Angleterre, du pouvoir direc­torial dans le New Deal et du césarisme reproché à Roosevelt. Si Schmitt, plus tard, a envisagé le recours à la dictature, de forme ponctuelle (selon le modèle romain de Cincinnatus) ou de forme commissariale, c'est pour imaginer un dictateur qui suspend le droit (mais ne le supprime pas), parce qu'il veut incarner tempo­rairement le droit, tant que le droit est ébranlé par une catastrophe ou une guerre civile, pour assu­rer un retour aussi rapide que pos­sible de ce droit. Le dictateur ou le collège des commissaires se pla­cent momentanément  —le temps que dure la situation d'exception—  au-dessus du droit car l'existence du droit implique l'existence de l'Etat, qui garantit le fonctionnement du droit. La dictature selon Schmitt, comme la dictature selon les fas­cistes, est un scandale pour les libéraux parce que le décideur (en l'occurrence le dictateur) est indépendant vis-à-vis de la norme, de l'idéologie dominante, dont on ne pour­rait jamais s'écarter, disent-ils. Schmitt rétorque que le libéralisme-normativisme est néanmoins coercitif, voire plus coer­citif que la coercition exercée par une personne mortelle, car il ne tolère justement aucune forme d'indépendance personnalisée à l'égard de la norme, du discours conventionnel, de l'idéologie éta­blie, etc., qui seraient des principes immortels, impas­sables, appelés à régner en dépit des vicissitudes du réel.

 

La décision du juge

 

Pour justifier son personnalisme, Schmitt raisonne au départ d'un exemple très concret dans la pratique juridique quotidienne: la dé­cision du juge. Le juge, avant de prononcer son verdict est face à une dualité, avec, d'une part, le droit (en tant que texte ou tradi­tion) et, d'autre part, la réalité vitale, existentielle, soit le contexte. Le juge est le pont entre la norme (idéelle) et le cas concret. Dans un petit livre, Gesetz und Urteil  (= La loi et le jugement), Carl Schmitt dit que l'activité du juge, c'est, essentiellement, de rendre le droit, la norme, réel(le), de l'incarner dans les faits. La pratique quotidienne des palais de justice, pratique inévitable, incontour­nable, contredit l'idéal libéral-normativiste qui rêve que le droit, la norme, s'incarneront tous seuls, sans intermédiaire de chair et de sang. En imaginant, dans l'absolu, que l'on puisse faire l'économie de la personne du juge, on introduit une fiction dans le fonctionnement de la justice, fiction qui croit que sans la subjectivité inévitable du juge, on obtiendra un meilleur droit, plus juste, plus objectif, plus sûr. Mais c'est là une impossibilité pratique. Ce raisonnement, Carl Schmitt le transpose dans la sphère du politique, opérant par là, il faut l'avouer, un raccourci assez audacieux.

 

La réalisation, la concrétisation, l'incarnation du droit n'est pas au­tomatique; elle passe par un Vermittler  (un intermédiaire, un in­tercesseur) de chair et de sang, consciemment ou inconsciemment animé par des valeurs ou des sentiments. La légalité passe donc par un charisme inhérent à la fonction de juge. Le juge pose sa décision seul mais il faut qu'elle soit acceptable par ses collègues, ses pairs. Parce qu'il y a iné­vitablement une césure entre la norme et le cas concret, il faut l'intercession d'une personne qui soit une autorité. La loi/la norme ne peut pas s'incarner toute seule.

 

Quis judicabit?

 

Cette impossibilité constitue une difficulté dans le contexte de l'Etat libéral, de l'Etat de droit: ce type d'Etat veut garantir un droit sûr et objectif, abolir la domination de l'homme par l'homme (dans le sens où le juge domine le “jugé”). Le droit se révèle dans la loi qui, elle, se révèle, dans la personne du juge, dit Carl Schmitt pour contredire l'idéalisme pur et désincarné des libéraux. La question qu'adresse Carl Schmitt aux libéraux est alors la suivante, et elle est très simple: Quis judicabit?  Qui juge? Qui décide? Réponse: une personne, une autorité. Cette question et cette réponse, très simples, consti­tuent le démenti le plus flagrant à cette indécrottable espoir libé­ralo-progressisto-normativiste de voir advenir un droit, une norme, une loi, une constitution, dans le réel, par la seule force de sa qua­lité juridique, philosophique, idéelle, etc. Carl Schmitt reconstitue la dimension personnelle du droit (puis de la politique) sur base de sa réflexion sur la décision du juge.

 

Dès lors, la-raison-qui-advient-et-s'accomplit-d'elle-même-et-par-la-seule-vertu-de-son-excellence-dans-le-monde-imparfait-de-la-chair-et-des-faits n'est plus, dans la pensée juridique et politique de Carl Schmitt, le moteur de l'histoire. Ce moteur n'est plus une abstraction mais une personnalité de chair, de sang et de volonté.

 

La légalité: une «cage d'acier»

 

Contemporain de Carl Schmitt, Max Weber, qui est un libéral scep­tique, ne croit plus en la bonne fin du mythe rationaliste. Le sys­tème rationaliste est devenu un système fermé, qu'il appelait une «cage d'acier». En 1922, Rudolf Kayser écrit un livre intitulé Zeit ohne Mythos  (= Une époque sans mythe). Il n'y a plus de mythe, écrit-il, et l'arcanum  de la modernité, c'est désormais la légalité. La légalité, sèche et froide, indifférente aux valeurs, remplace le mythe. Carl Schmitt, qui a lu et Weber et Kayser, opère un rappro­chement entre la «cage d'acier» et la «légalité» d'où, en vertu de ce rapprochement, la décision est morale aux yeux de Schmitt, puisqu'elle permet d'échapper à la «cage d'acier» de la «légalité».

 

Dans les contextes successifs de la longue vie de Carl Schmitt (1888-1985), le décideur a pris trois vi­sages:

1) L'accélarateur (der Beschleuniger);

2) Le mainteneur (der Aufhalter, der Katechon);

3) Le normalisateur (der Normalisierer).

 

Le normalisateur, figure négative chez Carl Schmitt, est celui qui défend la normalité (que l'on peut mettre en parallèle avec la lé­galité des années 20), normalité qui prend la place de Dieu dans l'imaginaire de nos contemporains. En 1970, Carl Schmitt déclare dans un interview qui restera longtemps impublié: «Le monde en­tier semble devenir un artifice, que l'homme s'est fabriqué pour lui-même. Nous ne vivons plus à l'Age du fer, ni bien sûr à l'Age d'or ou d'argent, mais à l'Age du plastique, de la matière artifi­cielle».

 

1. La phase de l'accélérateur (Beschleuniger):

 

La tâche politique de l'accélérateur est d'accroître les potentialités techniques de l'Etat ou de la nation dans les domaines des arme­ments, des communications, de l'information, des mass-media, parce tout accroissement en ces domaines accroît la puissance de l'Etat ou du «grand espace» (Großraum), dominé par une puissance hégémonique. C'est précisément en réfléchissant à l'extension spa­tiale qu'exige l'accélération continue des dynamiques à l'œuvre dans la société allemande des premières décennies de ce siècle que Carl Schmitt a progressivement abandonné la pensée étatique, la pensée en termes d'Etat, pour accéder à une pensée en termes de grands espaces. L'Etat national, de type européen, dont la po­pula­tion oscille entre 3 et 80 millions d'habitants, lui est vite apparu in­suffisant pour faire face à des co­losses démographiques et spatiaux comme les Etats-Unis ou l'URSS. La dimension étatique, réduite, spatialement circonscrite, était condamnée à la domination des plus grands, des plus vastes, donc à perdre toute forme de souveraineté et à sortir de ce fait de la sphère du politique.

 

Les motivations de l'accélérateur sont d'ordres économique et tech­nologique. Elles sont futuristes dans leur projectualité. L'ingénieur joue un rôle primordial dans cette vision, et nous retrouvons là les accents d'une certaine composante de la “révolution conservatrice” de l'époque de la République de Weimar, bien mise en exergue par l'historien des idées Jeffrey Herf (nous avons consulté l'édition italienne de son livre, Il mo­dernismo reazionario. Tecnologia, cultura e politica nella Germania di Weimar e del Terzo Reich, Il Mulino, Bologne, 1988). Herf, observateur critique de cette “révolution conservatrice” weimarienne, évoque un “modernisme réactionnaire”, fourre-tout conceptuel complexe, dans lequel on retrouve pêle-mêle, la vi­sion spenglerienne de l'histoire, le réalisme magique d'Ernst Jünger, la sociologie de Werner Sombart et l'“idéologie des ingénieurs” qui nous intéresse tout particulièrement ici.

 

Ex cursus: l'idéalisme techniciste allemand

 

Cette idéologie moderniste, techniciste, que l'on comparera sans doute utilement aux futurismes italien, russe et portugais, prend son élan, nous explique Herf, au départ des visions technocratiques de Walter Rathenau, de certains éléments de l'école du Bauhaus, dans les idées plus anciennes d'Ulrich Wendt, au­teur en 1906 de Die Technik als Kulturmacht (= La technique comme puissance cultu­relle). Pour Wendt, la technique n'est pas une manifestation de matérialisme comme le croient les marxistes, mais, au con­traire, une manifestation de spiritualité audacieuse qui diffusait l'Esprit (celui de la tradition idéaliste alle­mande) au sein du peuple. Max Eyth, en 1904, avait déclaré dans Lebendige Kräfte  (= Forces vi­vantes) que la technique était avant toute chose une force culturelle qui asservissait la matière plutôt qu'elle ne la servait. Eduard Mayer, en 1906, dans Technik und Kultur,  voit dans la technique une expression de la personnalité de l'ingénieur ou de l'inventeur et non le résultat d'intérêts commerciaux. La technique est dès lors un «instinct de transformation», propre à l'essence de l'homme, une «impulsion créatrice» visant la maîtrise du chaos naturel. En 1912, Julius Schenk, professeur à la Technische Hochschule de Munich, opère une distinction entre l'«économie commerciale», orientée vers le profit, et l'«économie productive», orientée vers l'ingénierie et le travail créateur, indépendamment de toute logique du profit. Il re­valorise la «valeur culturelle de la construction». Ces écrits d'avant 1914 seront exploités, amplifiés et complétés par Manfred Schröter dans les années 30, qui sanctionne ainsi, par ses livres et ses essais, un futurisme allemand, plus discret que son homologue italien, mais plus étayé sur le plan philosophique. Ses col­lègues et disciples Friedrich Dessauer, Carl Weihe, Eberhard Zschimmer, Viktor Engelhardt, Heinrich Hardenstett, Marvin Holzer, poursuivront ses travaux ou l'inspireront. Ce futurisme des ingénieurs, poly­techni­ciens et philosophes de la technique est à rapprocher de la sociolo­gie moderniste et “révolutionnaire-conservatrice” de Hans Freyer, correspondant occasionnel de Carl Schmitt.

 

Cet ex-cursus bref et fort incomplet dans le “futurisme” allemand nous permet de comprendre l'option schmittienne en faveur de l'«accélérateur» dans le contexte de l'époque. L'«accélérateur» est donc ce technicien qui crée pour le plaisir de créer et non pour amasser de l'argent, qui accumule de la puissance pour le seul profit du politique et non d'intérêts privés. De Rathenau à Albert Speer, en passant par les in­génieurs de l'industrie aéronautique al­lemande et le centre de recherches de Peenemünde où œuvrait Werner von Braun, les «accélérateurs» allemands, qu'ils soient dé­mocrates, libéraux, socialistes ou na­tionaux-socialistes, ont visé une extension de leur puissance, considérée par leurs philosophes comme «idéaliste», à l'ensemble du continent européen. A leur yeux, comme la technique était une puissance gratuite, produit d'un génie naturel et spontané, appelé à se manifester sans entraves, les maîtres poli­tiques de la technique devaient dominer le monde contre les maîtres de l'argent ou les figures des anciens régimes pré-techniques. La technique était une émanation du peuple, au même titre que la poésie. Ce rêve techno-futuriste s'effondre bien entendu en 1945, quand le grand espace européen virtuel, rêvé en France par Drieu, croule en même temps que l'Allemagne hitlé­rienne. Comme tous ses compatriotes, Carl Schmitt tombe de haut. Le fait cruel de la défaite militaire le contraint à modifier son op­tique.

 

2. La phase du Katechon:

 

Carl Schmitt après 1945 n'est plus fasciné par la dynamique indus­trielle-technique. Il se rend compte qu'elle conduit à une horreur qui est la «dé-localisation totale», le «déracinement planétaire». Le juriste Carl Schmitt se souvient alors des leçons de Savigny et de Bachofen, pour qui il n'y avait pas de droit sans ancrage dans un sol. L'horreur moderne, dans cette perspective généalogique du droit, c'est l'abolition de tous les loci, les lieux, les enracinements, les im-brications (die Ortungen). Ces dé-localisa­tions, ces Ent-Ortungen, sont dues aux accélarations favorisées par les régimes du 20ième siècle, quelle que soit par ailleurs l'idéologie dont ils se ré­clamaient. Au lendemain de la dernière guerre, Carl Schmitt estime donc qu'il est nécessaire d'opérer un retour aux «ordres élémen­taires de nos existences ter­restres». Après le pathos de l'accélération, partagé avec les futuristes italiens, Carl Schmitt déve­loppe, par réaction, un pathos du tellurique.

 

Dans un tel contexte, de retour au tellurique, la figure du décideur n'est plus l'accélérateur mais le kate­chon, le “mainteneur” qui «va contenir les accélérateurs volontaires ou involontaires qui sont en marche vers une fonctionalisation sans répit». Le katechon est le dernier pilier d'une société en perdition; il arrête le chaos, en main­tient les vecteurs la tête sous l'eau. Mais cette figure du katechon n'est pourtant pas entièrement nouvelle chez Schmitt: on en perçoit les prémices dans sa valorisation du rôle du Reichspräsident  dans la Constitution de Weimar, Reichspräsident qui est le «gardien de la Constitution» (Hüter der Verfassung), ou même celle du Führer  Hitler qui, après avoir ordonné la «nuit des longs cou­teaux» pour éliminer l'aile révolutionnaire et effervescente de son mouvement, apparaît, aux yeux de Schmitt et de bon nombre de conservateurs allemands, comme le «protecteur du droit» contre les forces du chaos révolutionnaire (der Führer schützt das Recht). En effet, selon la logique de Hobbes, que Schmitt a très souvent faite sienne, Röhm et les SA veulent concrétiser par une «seconde révolution» un ab­solu idéologique, quasi religieux, qui conduira à la guerre civile, horreur absolue. Hitler, dans cette lo­gique, agit en “mainteneur”, en “protecteur du droit”, dans le sens où le droit cesse d'exister dans ce nou­vel état de nature qu'est la guerre civile.

 

Terre, droit et lieu - Tellus, ius et locus

 

Mais par son retour au tellurique, au lendemain de la défaite du Reich hitlérien, Schmitt retourne au conser­vatisme implicite qu'il avait tiré de la philosophie de Hobbes; il abandonne l'idée de «mobilisation totale» qu'il avait un moment partagée avec Ernst Jünger. En 1947, il écrit dans son Glossarium, recueil de ses ré­flexions philosophiques et de ses fragments épars: «La totalité de la mobilisation consiste en ceci: le moteur immobile de la philosophie aristotélicienne est lui aussi entré en mouvement et s'est mobilisé. A ce moment-là, l'ancienne distinction entre la contemplation (immobile) et l'activité (mobile) cesse d'être perti­nente; l'observateur aussi se met à bouger [...]. Alors nous devenons tous des observateurs activistes et des activistes observants. [...] C'est alors que devient pertinente la maxime: celui qui n'est pas en route, n'apprend, n'expérimente rien».

 

Cette frénésie, cette mobilité incessante, que les peintres futuristes avaient si bien su croquer sur leurs toiles exaltant la dynamique et la cinétique, nuit à la Terre et au Droit, dit le Carl Schmitt d'après-guerre, car le Droit est lié à la Terre (Das Recht ist erdhaft und auf die Erde bezogen). Le Droit n'existe que parce qu'il y a la Terre. Il n'y a pas de droit sans espace habitable. La Mer, elle, ne connaît pas cette unité de l'espace et du droit, d'ordre et de lieu (Ordnung und Ortung).  Elle échappe à toute tentative de codifica­tion. Elle est a-so­ciale ou, plus exactement, “an-œkuménique”, pour reprendre le lan­gage des géopolito­logues, notamment celui de Friedrich Ratzel.

 

Mer, flux et logbooks

 

La logique de la Mer, constate Carl Schmitt, qui est une logique an­glo-saxonne, transforme tout en flux délocalisés: les flux d'argent, de marchandises ou de désirs (véhiculés par l'audio-visuel). Ces flux, dé­plore toujours Carl Schmitt, recouvrent les «machines impé­riales». Il n'y a plus de “Terre”: nous naviguons et nos livres, ceux que nous écrivons, ne sont plus que des “livres de bord” (Logbooks, Logbücher).  Le jeune philosophe allemand Friedrich Balke a eu l'heureuse idée de comparer les réflexions de Carl Schmitt à celles de Gilles Deleuze et Félix Guattari, consignées notamment dans leurs deux volumes fondateurs: L'Anti-Oedipe  et Mille Plateaux.  Balke constate d'évidents parallèles entre les réflexions de l'un et des autres: Deleuze et Guattari, en évoquant ces flux modernes, surtout ceux d'après 1945 et de l'américanisation des mœurs, parlent d'une «effusion d'anti-production dans la production», c'est-à-dire de stabilité coagulante dans les flux multiples voire désordonnés qui agitent le monde. Pour notre Carl Schmitt d'après 1945, l'«anti-pro­duction», c'est-à-dire le principe de stabilité et d'ordre, c'est le «concept du politique».

 

Mais, dans l'effervescence des flux de l'industrialisme ou de la «production» deleuzo-guattarienne, l'Etat a cédé le pas à la société; nous vivons sous une imbrication délétère de l'Etat et de l'économie et nous n'inscrivons plus de “télos” à l'horizon. Il est donc difficile, dans un tel contexte, de manier le «concept du politique», de l'incarner de façon durable dans le réel. Difficulté qui rend impos­sible un retour à l'Etat pur, au politique pur, du moins tel qu'on le concevait à l'ère étatique, ère qui s'est étendue de Hobbes à l'effondrement du III°Reich, voire à l'échec du gaullisme.

 

Dé-territorialisations et re-territorialisations

 

Deleuze et Guattari constatent, eux aussi, que tout retour durable du politique, toute restauration impa­vide de l'Etat, à la manière du Léviathan de Hobbes ou de l'Etat autarcique fermé de Fichte, est désormais impossible, quand tout est «mer», «flux» ou «production». Et si Schmitt dit que nous naviguons, que nous consi­gnons nos impressions dans des Logbooks, il pourrait s'abandonner au pessimisme du réaction­naire vaincu. Deleuze et Guattari accep­tent le principe de la navigation, mais l'interprètent sans pessi­misme ni optimisme, comme un éventail de jeux complexes de dé-territorialisations (Ent-Ortungen)  et de re-territorialisations (Rück-Ortungen).  Ce que le praticien de la politique traduira sans doute par le mot d'ordre suivant: «Il faut re-territorialiser partout où il est possible de re-territorialiser». Mot d'ordre que je serais person­nellement tenté de suivre... Mais, en dépit de la tristesse ressentie par Schmitt, l'Etat n'est plus la seule forme de re-territorialisation possible. Il y a mille et une possibilités de micro-re-territorialisa­tions, mille et une possibilités d'injecter de l'anti-production dans le flux ininterrompu et ininterrompable de la «production». Gianfranco Miglio, disciple et ami de Schmitt, éminence grise de la Lega Nord d'Umberto Bossi en Lombardie, parle d'espaces potentiels de territorialisation plus réduits, comme la région (ou la commu­nauté autonome des constitutionalistes espagnols), où une concen­tration localisée et circonscrite de politisation, peut tenir partielle­ment en échec des flux trop audacieux, ou guerroyer, à la mode du par­tisan, contre cette domination tyrannique de la «production». Pour étendre leur espace politique, les ré­gions (ou communautés autonomes) peuvent s'unir en confédérations plus ou moins lâches de régions (ou de communautés autonomes), comme dans les initia­tives Alpe-Adria, regroupant plusieurs subdivi­sions étatiques dans les régions alpines et adriatiques, au-delà des Etats résiduaires qui ne sont plus que des relais pour les «flux» et n'incarnent de ce fait plus le politique, au sens où l'entendait Schmitt.

 

L'illusion du «prêt-à-territorialiser»

 

Mais les ersätze de l'Etat, quels qu'ils soient, recèlent un danger, qu'ont clairement perçu Deleuze et Guattari: les sociétés modernes économi­sées, nous avertissent-ils, offrent à la consommation de leurs ci­toyens tous les types de territorialités résiduelles ou artificielles, imaginaires ou symboliques, ou elles les restaurent, afin de coder et d'oblitérer à nouveau les personnes détournées provisoirement des “quantités abs­traites”. Le système de la production aurait donc trouvé la parade en re-territorialisant sur mesure, et provisoire­ment, ceux dont la production, toujours provisoirement, n'aurait plus besoin. Il y a donc en per­manence le danger d'un «prêt-à-territorialiser» illusoire, dérivatif. Si cette éventualité apparaît nettement chez Deleuze-Guattari, si elle est explicitée avec un voca­bulaire inhabituel et parfois surprenant, qui éveille toutefois tou­jours notre attention, elle était déjà consciente et présente chez Schmitt: celui-ci, en effet, avait perçu cette déviance potentielle, évidente dans un phénomène comme le New Age  par exemple. Dans son livre Politische Romantik (1919), il écrivait: «Aucune époque ne peut vivre sans forme, même si elle semble complètement marquée par l'économie. Et si elle ne parvient pas à trouver sa propre forme, elle recourt à mille expédients issus des formes véritables nées en d'autres temps ou chez d'autres peuples, mais pour rejeter immé­diatement ces expédients comme inauthentiques». Bref, des re-territorialisations à la carte, à jeter après, comme des kleenex... Par facilité, Schmitt veux, personnelle­ment, la restauration de la “forme catholique”, en bon héritier et disciple du contre-révolutionnaire espa­gnol Donoso Cortés.

 

3. La phase du normalisateur:

 

La fluidité de la société industrielle actuelle, dont se plaignait Schmitt, est devenue une normalité, qui en­tend conserver ce jeu de dé-normalisation et de re-normalisation en dehors du principe po­litique et de toute dynamique de territorialisation. Le normalisa­teur, troisième figure du décideur chez Schmitt, est celui qui doit empêcher la crise qui conduirait à un retour du politique, à une re-territorialisation de trop longue durée ou définitive. Le normalisa­teur est donc celui qui prévoit et prévient la crise. Vision qui cor­respond peu ou prou à celle du sociologue Niklas Luhmann qui ex­plique qu'est souverain, aujourd'hui, celui qui est en mesure, non plus de décréter l'état d'exception, mais, au contraire, d'empêcher que ne survienne l'état d'exception! Le normalisateur gèle les pro­cessus politiques (d'«anti-production») pour laisser libre cours aux processus économiques (de «production»); il censure les discours qui pourraient conduire à une revalorisation du politique, à la res­tauration des «machines impériales». Une telle œuvre de rigidifica­tion et de censure est le propre de la political correctness, qui structure le «Nouvel Ordre Mondial» (NOM). Nous vivons au sein d'un tel ordre, où s'instaure une quantité d'inversions sémantiques: le NOM est statique, comme l'Etat de Hobbes avait voulu être sta­tique contre le déchaînement des pas­sions dans la guerre civile; mais le retour du politique, espéré par Schmitt, bouleverse des flux divers et multiples, dont la quantité est telle qu'elle ne permet au­cune intervention globale ou, pire, absorbe toute intervention et la neutralise. Paradoxalement le partisan de l'Etat, ou de toute autre instance de re-territorialisation, donc d'une forme ou d'une autre de stabilisation, est au­jourd'hui un “ébranleur” de flux, un déstabilisa­teur malgré lui, un déstabilisateur insconscient, surveillé et neutralisé par le normalisateur. Un cercle vicieux à briser? Sommes-nous là pour ça?

 

Robert Steuckers.

mercredi, 24 septembre 2008

V. Jirinovski: les responsabilités de Saakachvili

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Vladimir Jirinovski, Vice-Président de la Douma d’Etat, Russie:

 

Les responsabilités de Saakachvili

 

Voici les conclusions de Vladimir Jirinovski, Vice-Président de la Douma, à la suite de la guerre russo-géorgienne d’août 2008:

 

Des informations partiales et diffamatoires

 

Les émetteurs de télévision en Occident ont produit des informations unilatérales et partiales sur les derniers événements qui se sont déroulés en Ossétie du Sud. Cela relève de la diffamation quand les mass-media accusent, dans leurs grands titres, la Russie d’agression, comme si elle avait attaqué de paisibles Géorgiens dans leur sommeil. En revanche, le président géorgien Saakachvili a été décrit comme un grand homme. Son discours à la télévision, censé s’adresser au peuple géorgien, il l’a tenu en anglais de façon à ce que l’on sache bien à qui il s’adressait en réalité. La communauté internationale devrait pourtant savoir la vérité à propos de son régime fasciste et aussi connaître les intentions qu’il avait de soumettre les peuples d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie, intentions qui nous ont été révélées par des documents découverts sur des prisonniers de guerre géorgiens.

 

Déjà en mars 2008, plusieurs membres du Parti Libéral-Démocrate russe, ainsi que moi-même, avions averti l’opinion publique, lors d’un débat à la Douma sur la situation dans les deux petites républiques caucasiennes, que des actions militaires géorgiennes étaient de l’ordre du possible. Lors de  ce débat, j’ai rappelé que le Président Saakachvili, pendant toute la durée de son mandat, n’a jamais fait mystère de son objectif, celui de préparer une guerre. Déjà auparavant, aucune des mesures qu’il avait prises quant aux deux petites républiques n’avait été constructive. Il ne s’intéressait aucunement à leur histoire et ne connaît probablement pas l’histoire de la Géorgie elle-même.

 

En 1774, l’Ossétie s’est volontairement jointe à l’Empire russe. A cette époque, il n’y avait pas de frontière entre une Ossétie du Nord et une Ossétie du Sud. Après la révolution russe de 1917, la “République Démocratique de Géorgie”, comme elle s’appelait à l’époque, revendiqua le territoire de l’Ossétie du Sud. La population d’Ossétie méridionale fut alors la victime de confrontations violentes. Des milliers d’Ossètes du Sud furent assassinés par l’armée géorgienne ou expulsés vers l’Ossétie du Nord, tandis que quasiment tous les villages de la région furent détruits.

 

L’annexion à la Géorgie sans assentiment populaire

 

En 1921 se constitue un régime de type soviétique en Ossétie du Sud, dont les dirigeants, contre la volonté de la population, décident l’annexion à la RSS de Géorgie. A la suite de cette annexion, les Ossètes du Sud subirent des traitements qui défient les règles de la dignité humaine: les Ossètes étaient considérés comme des personnes de “rang inférieur”; on les força à traduire leurs patronymes en géorgien ou à prendre des noms géorgiens. Les autorités ont remplacé l’alphabet ossète par l’alphabet “Mchedrouli” de la langue géorgienne. Le niveau de vie en Ossétie du Sud était nettement inférieur à celui du reste de la RSS de Géorgie. La population diminua alors qu’elle augmentait dans tout le reste de l’Union Soviétique.

 

A la fin des années 80 du 20ème siècle, des nationalistes extrémistes géorgiens lancèrent une campagne politique pour supprimer le statut d’autonomie de l’Ossétie du Sud. Pas à pas, toutes les lois garantissant l’autonomie ossète furent remplacées ou abrogées. En 1990, le Presidium du Soviet Suprême de la RSS de Géorgie abrogea toutes les lois qui avaient été votées ou décidées depuis 1921, dont celles qui sanctionnaient la reconnaissance d’un lien territorial entre l’Ossétie et la Russie. Par cette abrogation générale des lois, l’Ossétie du Sud est devenue une zone hors droit à l’intérieur du territoire géorgien. Les discriminations et les menaces, que subirent les Ossètes, débouchèrent, entre 1989 et 1992 sur une agression armée dont l’objectif était d’éradiquer l’Ossétie du Sud. Plus de trois mille personnes furent victimes des actions violentes perpétrées par les Géorgiens, jusqu’en juillet 1992, lorsque les troupes russes, chargées d’une mission de pacification, entrèrent dans le pays. Plus de cent villages avaient été brûlés de fond en comble; près de quatre mille personnes avaient fui vers la Russie; environ trois cents d’entre elles sont toujours portées disparues.

 

L’objectif de la Russie? La paix!

 

Après avoir fait face à cette situation, le Presidium de la République d’Ossétie du Sud proclame l’indépendance du pays, en se réclamant du résultat d’une consultation populaire, tenue le 19 janvier 1992. Le 12 novembre 2006, les autorités d’Ossétie du Sud organisent à nouveau un référendum populaire dans l’ensemble du pays: quelque 99,88% de la population votent en faveur de la ligne indépendantiste, visant à détacher l’Ossétie du Sud de la République de Géorgie. La constitution russe prévoit également la possibilité d’un rattachement territorial à la Russie, selon le modèle que cherche à faire prévaloir l’Ossétie aujourd’hui. C’est en vertu de ces clauses constitutionnelles-là que la Douma, à l’unanimité, a accepté, après que se soit tenu le Conseil de la Fédération en août, de reconnaître l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie.

 

La Russie s’est toujours efforcée de résoudre ce conflit de manière pacifique parce qu’elle a toujours reconnu la complexité des problèmes régionaux; elle n’a jamais cessé de vouloir les résoudre selon les principes du droit des gens. Au cours de ces six derniers mois, la situation s’est considérablement aggravée, essentiellement pour deux raisons: d’abord, il y a eu la déclaration d’indépendance du Kosovo; ensuite, il y a eu les efforts entrepris par la Géorgie pour adhérer à l’OTAN, efforts pour lesquels elle a reçu un appui massif de la part des Etats-Unis. Cette nouvelle donne a contraint les Ossètes et les Abkhazes à un choix: ou bien, ils réclamaient à la Géorgie que celle-ci leur accorde leur indépendance; ou bien, ils décidaient de réclamer la fusion avec la Russie.

 

Les autorités géorgiennes avaient toutefois la ferme intention d’envenimer encore davantage les rapports, déjà tendus, qu’elles entretenaient avec l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud. Le 4 mars 2007, la Géorgie déclare unilatéralement qu’elle ne reconnaîtra plus la Commission de contrôle mixte, mise en place pour canaliser le conflit le 24 juin 1992 par Boris Eltsine et Edouard Chevarnadzé. Pour les Géorgiens, il fallait remplacer cette Commission par un plan  nouveau, baptisé “2+2+2”; y siègeraient les représentants du gouvernement sud-ossète contrôlé par la Géorgie, le gouvernement de la République indépendante (de facto) d’Ossétie du Sud, la Géorgie, la Russie, l’OSCE et l’UE. Cette initiative n’émane évidemment pas des Ossètes du Sud, ce qui a conduit à son échec. 

 

Dans les cinq mois qui ont suivi cet échec, la situation, déjà  fort tendue, a considérablement empiré le long de la frontières entre la Géorgie et l’Ossétie du Sud, surtout à cause de la présence de troupes géorgiennes, de plus en plus nombreuses. Les deux camps se sont livrés à  des provocations, ce qui a fort freiné les efforts de pacification. On a cependant ignoré délibérément les nombreuses demandes de la Russie à la Géorgie, pour faire en sorte que les deux partis renoncent expressément à toute violence militaire.

 

Pendant des mois, le Président Saakachvili a refusé de tenir compte de nos propositions. Il n’y a pas si longtemps, avant même que ne commencent les opérations militaires, il déclarait que c’était un non-sens de réclamer sa signature au bas d’un tel document parce que la Géorgie n’exerçait aucune forme de violence contre ses propres citoyens. Cette assertion ne semble plus valable aujourd’hui.

 

7 et 8 août 2008: l’armée géorgienne attaque

 

Dans la nuit du 7 au 8 août 2008, les troupes géorgiennes sont passées à l’attaque. L’opération a commencé en dépit de l’armistice qu’avait promis le Président Saakachvili quelques heures à peine avant cette attaque généralisée, planifiée avec acribie. Le fait d’avoir renié sa promesse en dit déjà long. Les actions que Saakachvili a déclenchées le mettent en porte-à-faux avec une demande formulée par les Nations Unies, de ne pas faire parler les armes pendant les Jeux Olympiques de Pékin.

 

Les villages d’Ossétie du Sud ont été attaqués et bombardés avec les grands moyens; la capitale Tskhinvali a été détruite pour une bonne part. Quelque 1500 civils innocents d’Ossétie du Sud, surtout des femmes, des vieillards et des enfants, ont péri, victimes de cette attaque. Les snipers géorgiens empêchaient les équipes de secouristes d’aider les blessés et de sauver un maximum de vies humaines. Les habitants de Tskhinvali ont dû se terrer dans les caves des immeubles détruits, sous le bombardement incessant des pièces d’artillerie géorgiennes. Le Président Saakachvili a donc dépassé toutes les bornes par ses agissements. C’est par sa faute que nous sommes face, maintenant, au risque d’une catastrophe humanitaire. Des dizaines de milliers de réfugiés sont sur les routes et nous ne voyons pas la fin de cet exode massif. A Tskhinvali, les positions et le QG des soldats russes de la paix ont également subi des attaques, au cours desquelles une centaine de soldats russes ont été tués et plus de 150 autres blessés.

 

L’obligation constitutionnelle de porter secours à des citoyens russes

 

Comme 90% des Ossètes du Sud possèdent la citoyenneté russe et comme la Constitution de la Fédération de Russie prévoit de protéger les citoyens russes, la Russie a décidé d’intervenir en vue de ramener la paix. Jusqu’à ce moment-là, des troupes russes étaient stationnées à Tskhinvali mais elles étaient très réduites en nombre et y étaient présentes dans un cadre admis par le droit des gens et en vertu d’un accord accepté par toutes les parties en vue de restaurer la paix. L’objectif principal des mouvements de troupes russes, qui ont eu lieu récemment, est de protéger les soldats de la paix qui étaient déjà stationnés dans le pays et la capitale sud-ossète contre toutes attaques géorgiennes.

 

Ce n’est donc pas la Russie, mais le Président Saakachvili, qui est responsable de l’escalade du conflit. C’est pourquoi nous ne pourrons parler d’une limitation de la mission russe que si les troupes géorgiennes se retirent au-delà de la ligne de démarcation qui avait été convenue lors de l’accord de 1992. La Géorgie doit tout simplement revenir aux clauses de l’accord international, existant entre les parties belligérantes, et reprendre un dialogue normal avec les autorités de l’Ossétie du Sud.

 

Vladimir JIRINOVSKI.

(article paru dans “DNZ”, Munich, n°36/2008; trad. franç.: Robert Steuckers).

Evola, ultime tabou?

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Evola, ultime tabou?

 

 

par Gianfranco De Turris

 

Evola est l'ultime proscrit pour la culture officielle. Mais, à l'occasion du vingtième anniversaire de sa mort, des récits inattendus ressurgissent à propos de sa personne. On avait en effet oublié qu'il avait été patronné par Benedetto Croce, qu'il avait été un collaborateur de Giovanni Gentile dans l'Enciclopedia Italiana, qu'il avait entretenu des rapports avec Ugo Spirito et avec Laterza. En somme, ce «marginal» par excellence n'a pas été aussi isolé qu'on ne l'avait cru...

 

On se souviendra assurément davantage de l'année 1994 que de l'année 1984, celle qu'Orwell a immortalisée en écrivant son célèbre livre apocalyptique prédisant un monde ultra-totalitaire, où nous aurions été tous broyés irrémédiablement. On ne s'en souviendra pas seulement pour l'événement politique du 27 mars en Italie, mais surtout pour les conséquences que ce “renversement” pourrait (j'insiste sur le conditionnel!) avoir dans l'orbite culturel. Quoi que l'on pense de la victoire de Berlusconi et de ses alliés, elle a déjà eu un premier résultat: l'organisation d'un colloque consacré à la personnalité de Giovanni Gentile; il s'est tenu à Rome les 20 et 21 mai 1994 à l'initiative du conseil municipal de gauche (ce qui fait honneur à la gauche italienne, de même que le colloque ultérieur qu'il a consacré à Nietzsche). On s'est souvenu de celui que l'on a toujours défini comme le “philosophe du fascisme”, cinquante ans après sa mort, alors qu'il a été assassiné par un commando de partisans communistes à Florence le 15 avril 1944. Après avoir emprunté un parcours intellectuel long et sinueux, plusieurs philosophes post-marxistes, comme Colletti, Marramao et Cacciari, l'ont revendiqué comme une figure authentique de la gauche, du moins pour une bonne part de son œuvre.

 

Gentile recouvre donc toute sa dignité pour la culture «officielle» en Italie; certes, il s'agit surtout du philosophe Gentile et non de l'homme et du militant politique. Il n'empêche, sa réhabilitation en tant que philosophe marque un pas en avant dans la libération des esprits. L'ultime tabou pour les intellectuels italiens reste donc Julius Evola, comme l'a bien dit Pierluigi Battista il y a quelques mois dans les colonnes de Tuttolibri.  Or, cette année-ci, nous commémorons aussi le vingtième anniversaire de la mort d'Evola (11 juin 1974). Pour Gentile, la culture officielle italienne a fini par accepter, après un demi-siècle et à quelques années de l'an 2000, les positions et l'importance du philosophe actualiste et fasciste. Pour Evola, au contraire, le silence est toujours de mise, même si, imperceptiblement, on sent que quelque chose est en train de changer.

 

Evola, dans la culture officielle, est passé d'une extrême à l'autre: d'une part, il est le démon, le diable, un personnage quasi luciférien, un ultra-raciste à qui on n'accordera jamais le salut; d'autre part, il est le guignol de la culture, le dilettante approximatif, un non scientifique superficiel, un clown de l'ésotérisme, le «Mage Othelma». En nous intéressant à lui, nous risquons donc de basculer dans le risible, sauf si une voix plus autorisée commence à parler de lui.

 

Il y a donc encore beaucoup de travail à accomplir sur Evola, que ce soit comme penseur à intérêts multiples, comme organisateur de colloques et promoteurs d'initiatives intellectuelles pendant l'entre-deux-guerres, comme homme de culture aux contacts innombrables, qui recevait de nombreuses suggestions de ses contemporains et en donnait à son tour.

 

Pendant les vingt années qui ont suivi sa mort, peu de choses ont été faites sur son œuvre et sa personne en Italie et c'est là le travail du petit nombre de ceux qui se sont toujours référé à Evola. Nous n'avons trouvé ni le temps ni les personnes. C'est l'amère vérité mais c'est ainsi. Il suffit de penser à la recherche d'archives: pour reconstituer faits et idées, pour combler les “vides” dans la vie et dans l'évolution de la pensée évolienne, il nous faut des documents et ceux-ci ne sont pas encore tous archivés. Ces documents existent: il suffit d'aller les chercher là où l'on pense qu'ils se trouvent...

 

Par exemple, nous ne disposons pas de documents complets sur les rapports entre Evola et le monde philosophique italien des années 20 et 30: Croce, Gentile, Spirito, Tilgher... Nous ne savons finalement que ce qu'Evola raconte sur lui-même dans son “autobiographie spirituelle”, Le chemin du Cinabre.  Enfin, nous savons ce que nous pouvons déduire de ses prises de position sur les divers systèmes philosophiques et sur ce que nous devinons intuitivement. En général, nous ne connaissons que les avis et opinions sur Evola des historiens et universitaires qui ont tout spécialement étudié cette période de la culture italienne: et ils disent qu'Evola était un isolé, un marginal, que ses idées n'étaient pas prises en considération, qu'il était un personnage original sinon folklorique. Mais ces opinions correspondent-elles vraiment à la réalité?

 

Nous croyons pouvoir affirmer aujourd'hui que les choses n'étaient pas aussi simples, qu'Evola était plus pertinent en son époque qu'on ne le croit. Et nous l'affirmons sur base d'une série d'indices, occultés jusqu'à présent. L'hebdomadaire romain L'Italia Settimanale  consigne ces indices dans un encart spécial pour la première fois, en espérant susciter débats et recherches.

 

Evola a entretenu des rapports bien plus complexes avec Croce et Gentile qu'on ne l'a cru pendant plusieurs décennies. Pouvait-on imaginer un Evola “sponsorisé” par Croce? Un Evola collaborateur de l'Enciclopedia Italiana,  patronnée par le régime mussolinien et dirigée par Gentile? Un Evola proche d'Adriano Tilgher? Un Evola en contact direct avec Ugo Spirito? Nous pouvons désormais deviner que ces relations étaient plus suivies qu'on ne l'imaginait, mais nous n'avons pas les preuves formelles ni les documents qui les attestent définitivement. L'«isolé» n'était finalement pas un isolé, le personnage marginalisé n'était pas aussi marginalisé qu'on a bien voulu le dire, l'intellectuel qui n'a pas réussi grand'chose ou a tout raté sous le fascisme, a eu, finalement, plus d'impact qu'on ne l'a cru. Je pense qu'il faut chercher et reconnaître notre faute, celle de ne pas y avoir songé plus tôt et d'avoir donné une image tronquée d'Evola: avec une vision complète de l'action et de l'œuvre évoliennes, nous aurions pu réfuter bien des lieux communs. Ce ne sera possible que si les Archives Croce de Naples et la Fondation Gentile de Rome acceptent de nous laisser consulter les documents qu'elles détiennent et qui concernent les relations de Croce et Gentile avec Evola.

 

Mieux vaut tard que jamais. L'avenir nous dira, après nos travaux, si Evola sera toujours, pour la culture progressiste, un tabou, sera le diable, le clown...

 

Gianfranco De TURRIS.

(ex: L'Italia Settimanale, n°23/1994).

 

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mardi, 23 septembre 2008

L'oeuvre de Douguine au sein de la droite radicale française

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L'oeuvre de Douguine au sein de la droite radicale française

 

Travail Universitaire à lire avec quelques circonspection, mais digne d'intérêt

cf. : http://www.diploweb.com/L-oeuvre-de-Douguine-au-sein-de-l...

Paroles d'Edouard Kokoïty

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Parole d’Edouard Kokoïty, Président d’Ossétie du Sud:

 

“Vous, les Européens, vous parlez tous de la petite Géorgie mais mon  pays est encore plus  petit et vous l’oubliez. C’est ça, défendre les droits de l’homme?”

 

Cité dans “Paris-Match”, 4-10 sept. 2008.

 

A signaler également, dans cette édition de “Paris-Match”, les propos d’Hubert Védrine sur les relations euro-russes et euro-américaines: la position de Bush n’est pas tenable et Saakachvili est un “excité”. La diplomatie de la “Vieille Europe” se rébiffe.

Quand B. Croce sponsorisait Evola...

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Quand Benedetto Croce “sponsorisait” Evola...

 

Alessandro BARBERA

 

Le philosophe libéral et antifasciste a joué un rôle étrange, celui de “protecteur” d'Evola. Alessandro Barbera nous raconte l'histoire inédite d'une relation que personne ne soupçonnait...

 

Julius Evola et Benedetto Croce. En apparence, ce sont là deux penseurs très éloignés l'un de l'autre. Pourtant, à une certaine période de leur existence, ils ont été en contact. Et ce ne fut pas un épisode éphémère mais un lien de longue durée, s'étendant sur presque une décennie, de 1925 à 1933. Pour être plus précis, disons que Croce, dans cette relation, a joué le rôle du “protecteur” et Evola, celui du “protégé”. Cette relation commence quand Evola entre dans le prestigieux aréopage des auteurs de la maison d'édition Laterza de Bari.

 

Dans les années 30, Evola a publié plusieurs ouvrages chez Laterza, qui ont été réédités au cours de notre après-guerre. Or, aujourd'hui, on ne connaît toujours pas les détails de ces liens au sein de la maison d'édition. En fait, deux chercheurs, Daniela Coli et Marco Rossi, nous avaient déjà fourni dans le passé des renseignements sur la relation triangulaire entre Evola, Croce et la Maison d'édition Laterza. Daniela Coli avait abordé la question dans un ouvrage publié il y a une dizaine d'années chez Il Mulino (Croce, Laterza e la cultura europea, 1983). Marco Rossi, pour sa part, avait soulevé la question dans une série d'articles consacrés à l'itinéraire culturel de Julius Evola dans les années 30, et parus dans la revue de Renzo De Felice, Storia contemporanea (n°6, décembre 1991). Dans son autobiographie, Le chemin du Cinabre  (éd. it., Scheiwiller, 1963; éd. franç., Arke/Arktos, Milan/Carmagnole, 1982), Evola évoque les rapports qu'il a entretenus avec Croce mais nous en dit très peu de choses, finalement, beaucoup moins en tout cas que ce que l'on devine aujourd'hui. Evola écrit que Croce, dans une lettre, lui fait l'honneur de juger l'un de ses livres: «bien cadré et sous-tendu par un raisonnement tout d'exactitude». Et Evola ajoute qu'il connaît bien Croce, personnellement. L'enquête nous mène droit aux archives de la maison d'éditions de Bari, déposées actuellement auprès des archives d'Etat de cette ville, qui consentiront peut-être aujourd'hui à nous fournir des indices beaucoup plus détaillés quant aux rapports ayant uni les deux hommes.

 

La première lettre d'Evola que l'on retrouve dans les archives de la maison Laterza n'est pas datée mais doit remonter à la fin de juin 1925. Dans cette missive, le penseur traditionaliste répond à une réponse négative précédente, et plaide pour l'édition de sa Teoria dell'individuo assoluto.  Il écrit: «Ce n'est assurément pas une situation sympathique dans laquelle je me retrouve, moi, l'auteur, obligé d'insister et de réclamer votre attention sur le caractère sérieux et l'intérêt de cet ouvrage: je crois que la recommandation de Monsieur Croce est une garantie suffisante pour le prouver».

 

L'intérêt du philosophe libéral se confirme également dans une lettre adressée par la maison Laterza à Giovanni Preziosi, envoyée le 4 juin de la même année. L'éditeur y écrit: «J'ai sur mon bureau depuis plus de vingt jours les notes que m'a communiquées Monsieur Croce sur le livre de Julius Evola, Teoria dell'individuo assoluto,  et il m'en recommande la publication». En effet, Croce s'est rendu à Bari vers le 15 mai et c'est à cette occasion qu'il a transmis ses notes à Giovanni Laterza. Mais le livre sera publié chez Bocca en 1927. C'est là la première intervention, dans une longue série, du philosophe en faveur d'Evola.

 

Quelques années plus tard, Evola revient frapper à la porte de l'éditeur de Bari, pour promouvoir un autre de ses ouvrages. Dans une lettre envoyée le 23 juillet 1928, le traditionaliste propose à Laterza l'édition d'un travail sur l'hermétisme alchimique. A cette occasion, il rappelle à Laterza l'intercession de Croce pour son ouvrage de nature philosophique. Cette fois encore, Laterza répond par la négative. Deux années passent avant qu'Evola ne repropose le livre, ayant cette fois obtenu, pour la deuxième fois, l'appui de Croce. Le 13 mai 1930, Evola écrit: «Monsieur le Sénateur Benedetto Croce me communique que vous n'envisagez pas, par principe, la possibilité de publier un de mes ouvrages sur le tradition hermétique dans votre collection d'œuvres ésotériques». Mais cette fois, Laterza accepte la requête d'Evola sans opposer d'obstacle. Dans la correspondance de l'époque entre Croce et Laterza, que l'on retrouve dans les archives, il n'y a pas de références à ce livre d'Evola. C'est pourquoi il est permis de supposer qu'ils en ont parlé de vive voix dans la maison de Croce à Naples, où Giovanni Laterza s'était effectivement rendu quelques jours auparavant. En conclusion, cinq ans après sa première intervention, Croce réussit finalement à faire entrer Evola dans le catalogue de Laterza.

 

La troisième manifestation d'intérêt de la part de Croce a probablement germé à Naples et concerne la réédition du livre de Cesare della Riviera, Il mondo magico degli Heroi.  Dans les pourparlers relatifs à cette réédition, on trouve une première lettre du 20 janvier 1932, où Laterza se plaint auprès d'Evola de ne pas avoir réussi à trouver des notes sur ce livre. Un jour plus tard, Evola répond et demande qu'on lui procure une copie de la seconde édition originale, afin qu'il y jette un coup d'oeil. Entretemps, le 23 janvier, Croce écrit à Laterza: «J'ai vu dans les rayons de la Bibliothèque Nationale ce livre sur la magie de Riviera, c'est un bel exemplaire de ce que je crois être la première édition de Mantova, 1603. Il faudrait le rééditer, avec la dédicace et la préface». Le livre finira par être édité avec une préface d'Evola et sa transcription modernisée. La lecture de la correspondance nous permet d'émettre l'hypothèse suivante: Croce a suggéré à Laterza de confier ce travail à Evola. Celui-ci, dans une lettre à Laterza, datée du 11 février, donne son avis et juge que «la chose a été plus ennuyeuse qu'il ne l'avait pensé».

 

La quatrième tentative, qui ne fut pas menée à bon port, concerne une traduction d'écrits choisis de Bachofen. Dans une lettre du 7 avril 1933 à Laterza, Evola écrit: «Avec le Sénateur Croce, nous avions un jour évoqué l'intérêt que pourrait revêtir une traduction de passages choisis de Bachofen, un philosophe du mythe en grande vogue aujourd'hui en Allemagne. Si la chose vous intéresse (il pourrait éventuellement s'agir de la collection de “Culture moderne”), je pourrai vous dire de quoi il s'agit, en tenant compte aussi de l'avis du Sénateur Croce». En effet, Croce s'était préoccupé des thèses de Bachofen, comme le prouve l'un de ses articles de 1928. Le 12 avril, Laterza consulte le philosophe: «Evola m'écrit que vous lui avez parlé d'un volume qui compilerait des passages choisis de Bachofen. Est-ce un projet que nous devons prendre en considération?». Dans la réponse de Croce, datée du lendemain, il n'y a aucune référence à ce projet mais nous devons tenir compte d'un fait: la lettre n'a pas été conservée dans sa version originale.

 

Evola, en tout cas, n'a pas renoncé à l'idée de réaliser cette anthologie d'écrits de Bachofen. Dans une lettre du 2 mai, il annonce qu'il se propose «d'écrire au Sénateur Croce, afin de lui rappeller ce dont il a été fait allusion» dans une conversation entre eux. Dans une seconde lettre, datée du 23, Evola demande à Laterza s'il a demandé à son tour l'avis de Croce, tout en confirmant avoir écrit au philosophe. Deux jours plus tard, Laterza déclare ne pas «avoir demandé son avis à Croce», à propos de la traduction, parce que, ajoute-t-il, «il craint qu'il ne l'approu­ve». Il s'agit évidemment d'un mensonge. En effet, Laterza a de­man­dé l'avis de Croce, mais nous ne savons toujours pas quel a été cet avis ni ce qui a été décidé. L'anthologie des écrits choisis de Bachofen paraîtra finalement de nombreuses années plus tard, en 1949, chez Bocca. A partir de 1933, les liens entre Evola et Croce semblent prendre fin, du moins d'après ce que nous permettent de conclure les archives de la maison Laterza.

 

Pour retrouver la trace d'un nouveau rapprochement, il faut nous reporter à notre après-guerre, quand Croce et Evola faillirent se rencontrer une nou­velle fois dans le monde de l'édition, mais sans que le penseur tra­ditionaliste ne s'en rende compte. En 1948, le 10 décembre, Evola propose à Franco Laterza, qui vient de succéder à son père, de pu­blier une traduction du livre de Robert Reininger, Nietzsche e il senso de la vita.  Après avoir reçu le texte, le 17 février, Laterza écrit à Alda Croce, la fille du philosophe: «Je te joins à la présente un manuscrit sur Nietzsche, traduit par Evola. Cela semble être un bon travail; peux-tu voir si nous pouvons l'accepter dans le cadre de la “Bibliothèque de Culture moderne”». Le 27 du même mois, le philosophe répond. Croce estime que l'opération est possible, mais il émet toutefois quelques réserves. Il reporte sa décision au retour d'Alda, qui était pour quelques jours à Palerme. La décision finale a été prise à Naples, vers le 23 mars 1949, en la présence de Franco Laterza. L'avis de Croce est négatif, vraisemblablement sous l'influence d'Alda, sa fille. Le 1er avril, Laterza confirme à Evola que «le livre fut très apprécié (sans préciser par qui, ndlr) en raison de sa valeur», mais que, pour des raisons d'«opportunité», on avait décidé de ne pas le publier. La traduction sortira plus tard, en 1971, chez Volpe.

 

Ce refus de publication a intrigué Evola, qui ignorait les véritables tenants et aboutissants. Un an plus tard, dans quelques lettres, en remettant la question sur le tapis, Evola soulevait l'hypothèse d'une «épuration». Cette insinuation a irrité Laterza. A la suite de cette polémique, les rapports entre l'écrivain et la maison d'édition se sont rafraîchis. En fin de compte, nous pouvons conclure qu'Evola est entré chez Laterza grâce à l'intérêt que lui portait Croce. Il en est sorti à cause d'un avis négatif émis par la fille de Croce, Alda, sur l'une de ses propositions.

 

Alessandro BARBERA.

(trad. franç. : Robert Steuckers)

lundi, 22 septembre 2008

De Mai 68 à "Capitalisme et barbarie"

 

 

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VIVRE SANS TEMPS MORTS, JOUIR SANS ENTRAVES! 40 ANS PLUS TARD : CAPITALISME ET BARBARIE
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Écrit par Jean-Baptiste Santamaria   
Jules Monnerot après avoir fait ses premières armes au sein du surréalisme et de l’extrême-gauche intellectuelle termina son itinéraire politique et philosophique sous la bannière de la droite de conviction. Doté d’un sens historique aiguisé il avait qualifié le communisme, véritable mythe du XX° siècle, de « nouvel islamisme », résumant par là le caractère relativement fruste mais messianique du message, de plus il est notamment connu pour avoir forgé le concept d’hétérotélie. Emprunté à Pareto, ce concept renvoie à la difficulté qu’ont les hommes à se reconnaître dans leurs œuvres. Max Weber dans un même ordre d’idées avait mis en garde contre l’éthique de conviction, toujours prompte à s’enflammer pour les nobles causes futures mais aux retombées imprévisibles et milité pour une éthique de la responsabilité, soucieuse des conséquences immédiates de l’action humaine et des moyens à mettre en œuvre. Ceci présentant une théorisation précise de la question de la fin et des moyens. Le XX° siècle a vu le capitalisme libéral sortir vainqueur de ses deux adversaires totalitaires : le fascisme et le communisme. Ici l’affaire est entendue, le nazisme, se voulant une synthèse entre le nationalisme et le socialisme - les deux grandes idées de la modernité tardive- a sombré dans le cauchemar en rééditant la saignée de la grande guerre et débouchant sur le plan démographique par un vaste appel d’air au profit de populations extra-européennes. Hitler qui avait mis la science (l’anthropométrie entre autres…) au service de ses idéaux et des ses exigences raciales (les ariens représentant pour lui la quintessence des races européennes) a ouvert la porte au métissage généralisé :bel exemple de retournement des idéaux initiaux.
 Nous-nous bornerons ici au simple constat d’hétérotélie, sans porter de jugement  sur la valeur intrinsèque du nationalisme, du socialisme, du racisme et de la techno-science et des manipulations démocratiques des masses au service de ces idéologies.
Même constat avec le communisme. Le mythe de la classe a échoué de même, dans le massacre de masse et l’aliénation quant son projet de subversion et de fondation d’un ordre nouveau. La notion de classe était double, ambiguë dès le départ. Elle renvoyait en même temps à un extrema de la modernité et au retour au grand un et au sacré primitif. En effet le schéma marxiste prétendait utiliser toutes les ressources de la science pour diagnostiquer un futur post-capitaliste : le matérialisme historique branche d’un matérialisme dialectique l’englobant. En même temps, le projet communiste renvoyait à un imaginaire pré-moderne du grand tout, la communauté retrouvée, pronostiquée après la parenthèse individualiste libérale, de la classe abolie.
Echec sur toute la ligne : les prévisions scientifiques ont fait chou blanc, le communisme réel n’ayant touché que des pays à large dominante rurale.
Fascisme et communisme avaient tous deux cette ambiguïté initiale : ils s’inscrivaient en faux contre la modernité libérale, grande atomisatrice de l’homme, tout en mettant en œuvre des techniques de manipulations de masse (propagande, partis et syndicats, mobilisation totale et permanente etc) extrêmement sophistiquées, techniques, bref modernes et parallèlement à cette hyper-modernité ils étayaient leur pouvoir sur le mythe du grand tout sacré :la classe ou la race ou l’Etat expression de la Raison pour-soi.
Ce qui nous occupera ici cependant c’est non pas l’hétérotélie résultant du projet libéral-capitaliste mais dans un premier temps l’analyse de l’absorption par celui-ci de l’imaginaire contestataire de 1968. En gros comment l’imaginaire libéral redynamisé par la pensée 68 a en même temps relancé la machine économique, philosophique et technique tout en induisant des conséquences à mille lieues  des volontés initiales des initiateurs de la grande festivité contestataire.
   Mais c’est surtout le second point : comment du sein même de l’imaginaire du mouvement ouvrier ou de sa variante petite-bourgeoise-pro-prolétarienne va émerger un courant que nous qualifierons d’ultra-gauche antitotalitaire. Ce courant nous semble intéressant pour assurer (avec d’autres) une re-fondation de la mouvance identitaire.
Ce courant comme tout le mouvement ouvrier a certes été défait par le capitalisme mais il a su faire preuve d’une dynamique critique et réflexive d’une grande qualité.
Ce ne sera pas tant le bilan du mouvement ultra-gauche qui nous intéressera, même s’il a su non seulement rapidement déceler dans le mouvement communiste réellement existant une expression du capitalisme d’Etat, mais aussi les impasses du mouvement ouvrier lui-même, comme, avec la notion de fascisme brun et fascisme rouge, anticiper sur les thèses d’Hannah Arendt concernant le totalitarisme.





1-Des gauchistes en général et en particulier, quelques catégories :

 A-Catégories :
L’objet du premier mouvement de ce texte est donc d’analyser en quoi les idéaux gauchistes soixante-huitards se sont retournés en leur contraire. Non seulement ils ont été –pour utiliser la phraséologie en vogue à l’époque - « récupérés » par la bourgeoisie, mais ils ont débouché sur une manière d’être aux antipodes des desiderata initiaux.
Les chapelles gauchistes étant nombreuses nous avons ici défini trois grandes familles. Cette division ne recoupe pas essentiellement des groupements idéologiques mais plutôt des pratiques et des évolutions différentes.
Le premier groupe, le plus connu, est celui appelé simplement « gauchiste ». Il regroupait à la fin des années 60 une myriade d’organisations anarchistes, maoïstes et trotskistes. Seuls les derniers ont survécu et semblent même -au moins pour la LCR- connaître aujourd’hui un certain regain. Ces trotskistes sont toujours faiblement implantés dans l’industrie lourde (à cause de l’origine petite-bourgeoise des ses membres) mais connaissent un certain succès –via le syndicat Sud- dans le secteur public.
Le second groupe était constitué d’une nébuleuse « mouvementiste ». Prémisses d’un mouvement qui allait toucher la société civile et la modifier semble-t-il de manière importante au niveau des mœurs. Dans cette catégorie : le féminisme, l’homosexualisme, l’écologisme.
Au départ ces « sensibilités » sont regroupées sous la forme d’organisations plus ou moins structurées ou plus ou moins spontanéistes. Elles récusent l’autoritarisme de l’organisation bolchévique –dont trotskistes et maoïstes constituent des caricatures velléitaires- et surtout prônent la révolution immédiate du mode de vie. Un peu comme les anarchistes, elles rejettent le schéma léniniste (des gauchistes et des staliniens ) qui dit que d’abord il faut faire la révolution puis, après une phase de transition, l’Eden libéré du machisme, de l’homo-phobie et de la rentabilité verra le jour.
Un troisième groupe retiendra notre attention et notre intérêt : celui qui débouchera sur une extrême-gauche non totalitaire. C’est sur lui que portera le deuxième temps de notre analyse. Disons ici qu’on l’appellera ultra-gauche par opposition aux groupes léninistes. L’ultra-gauche prend certes racine dans l’extrême-gauche mais rapidement rompt, d’abord avec le schéma bolchevique, puis après, avec le messianisme prolétarien lui-même tel que le marxisme le raconte. Cette matrice a donné notamment les courants Socialisme ou Barbarie, la revue Libre, le MAUSS ou l’actuelle revue Le meilleur des mondes.
Sous cette étiquette nous pourrions placer, malgré peut être l’avis des intéressés une large part des néo-réactionnaires. On pourrait ainsi citer pêle-mêle : Castoriadis, Morin, Lefort, Clastres, Bruckner, Courtois, Finkielkraut, Dantec, Manent, Gauchet.
Nous tenterons plus loin de voir comment ces groupes, puis les individus qui y ont fait leurs premières armes, une fois débarrassés de leur gangue marxisto-léniniste ont pu accéder dans leur période de maturité à une pensée renouvelée du « capitalisme » et exercer une critique qui nous semble pertinente.

B-Etat actuel du gauchisme :
Pour un premier bilan nous pourrions dire –quant à leur degré d’absorption par le capitalisme:
que le premier courant dit gauchiste- dont le reliquat aujourd’hui est essentiellement trotskiste- se constitue comme une extrême-gauche du capital. La LCR, le Parti des Travailleurs et maintenant Lutte ouvrière constituant une force d’appoint aux marges des partis de gauche. Toujours manoeuvrant au sein des luttes étudiantes ce courant constitue une force non négligeable dans le secteur d’Etat (Postes, SNCF, hôpitaux, enseignants) avec un bon levier :SUD.
Même si seule la vieille garde maîtrise les fins et la vision du mouvement grâce à sa dialectique marxiste et léniniste, la plupart des jeunes militants participent seulement d’une bouillie tiermondo-compassionnelle-humanitariste qui ferait se retourner dans leurs tombes les fondateurs du Goulag (Trotski, Lénine). Prisonnier au mieux d’une idéologie ouvrière ce courant s’exprime donc dans les termes économistes propres au Capital les rendant par là impuissants à subvertir l’ordre bourgeois se bornant à appeler au développement du secteur nationalisé.
Ce courant reste donc capitaliste d’Etat à long terme et exprime aujourd’hui bien concrètement les intérêts corporatistes (essentiellement petit-bourgeois) du secteur nationalisé au sens large.
Le deuxième courant dit « mouvementiste » a échoué de même à présenter une alternative au capitalisme. En plus de cet échec on peut dire qu’il a fourni au capitalisme actuel un certain nombre de pratiques et une idéologie dans certains de ses secteurs.
Notamment en ce qui concerne la « gestion des ressources humaines » et la « communication ». On voit déjà bien là que si le coeur de la production (en biens et services) respecte des normes d’efficiency encore largement tayloriennes, elle emprunte tout un verbiage et un style axé sur la multiplication des réunions en tous genres. Ce management de la production entre en résonnance avec un management de la consommation dégageant une ambiance d’idéologie soft basée sur le matérialisme consumériste, un hédonisme de bon aloi et respectueux des tabous, aux antipodes du sybaritisme nietzschéen des Situs.
Donc ici, la compatibilité avec le Capitalisme est complète :sans exagérer l’influence exacte de la pensée 68 dans les modernes méthodes de management –elles touchent les cadres moyens et quelques secteurs de l’économie- on peut dire qu’elles ont été récupérées totalement.
Le troisième courant a lui aussi été battu par le Capital, mais ce qui nous retient ici c’est la capacité d’évolution de certains de ses membres.
Partis comme tout le mouvement ouvrier de catégories économistes, comme les capitalistes - en effet Marx comme Ricardo (moins, Adam Smith) pensent que l’économie détermine la phénoménologie humaine- ces individus ont évolué vers le politique.
Ils se sont vite aperçu non seulement des impasses du stalinisme et de la social-démocratie puis du trotskisme mais aussi des limites du potentiel contestataire du mouvement ouvrier .
Ce, autour du débat sur le caractère spontanément trade-unioniste du prolétariat.
Puis l’analyse du stalinisme leur a permis de dégager le caractère totalitaire du projet marxiste et de retrouver via le politique (débat autour de l’invention de la démocratie) le chemin de l’identité européenne autour du projet de création de la personne humaine.
C’est cette capacité à renouer avec le politique et la mise en œuvre d’une réflexivité et de l’esprit critique qui fait des principaux représentants de ces courants, à mon sens, un des noyaux de la composition d’un mouvement identitaire entendu comme le creuset de la résistance à un ordre mondial économiste et coupé des enracinements civilisationnels types.


2-Capitalisme et barbarie :

Pour mettre quelques noms derrière ce courant qui nous semble intéressant tant par son passé que par son potentiel nous nous attarderons sur quelques groupes même s’ils sont défunts car ils ont été des moments clés dans l’évolution de ceux qui nous semblent dignes d’être visités.
Un des groupes les plus prometteurs de l’ultra-gauche fut Socialisme ou Barbarie, animé par Cornelius Castoriadis et où Lefort et Morin sans doute ont transité.
Marcel Gauchet, sans y avoir appartenu de par ses références « phénoménologistes » nous semble pouvoir y être raccroché.
Nous ne ferons pas ici le bilan de l’action et des thèses de ce groupe. Simplement nous notons qu’il a été un des terreaux où se sont formés nombre de penseurs de cette gauche anti-totalitaire qui nous semble porteuse d’un projet d’actualité.
De leur anti-capitalisme et de leur anti-léninisme ces individus que je qualifie par commodité d’ex-ultra-gauche-devenus-antitotalitaires ont conservé, en ce qui concerne leur psychologie, une attitude de pugnacité et une extrême sensibilité dans l’application de leur esprit critique.

Habitués à combattre de front le capitalisme aussi bien que le léninisme ils ont développé une attitude faite d’une grande exigence éthique et politique et une endurance à toutes les pressions et campagnes de calomnies et de réduction de leur pensée. De plus les « erreurs de jeunesse » commises à l’époque de leur enrôlement plus ou moins long ou distancié sous la bannière des gauchistes –voire des staliniens- pour nombre d’entre eux les amène à une vigilance accrue face à tous les simplismes.
De leur passé anti-capitaliste ils ont conservé une démarche critique à propos du libéralisme économique.
Nous passons sur les divergences pour simplifier. En effet Castoriadis aimait à rappeler que pour rester révolutionnaire il lui avait fallu rompre avec le marxisme. Lefort lui insistait sur l’invention de la démocratie. Dantec semble, quant à lui, verser dans une condamnation globale de la modernité sur la plan théorique tout en assurant sur le plan pratique et tactique une défense du libéralisme (donc de la modernité en sa dernière phase). Nous-nous positionnerons donc ici sur une moyenne utopique de ce courant néo-réac ou ex-ultra-gauche. Il en résulte pour cette moyenne une position de défense du libéralisme politique dans ce qu’il a de meilleur –la défense de la personne humaine. Cette défense s’accompagne d’une analyse critique de sa phase actuelle . Critique de l’hédonisme matérialiste, de l’absence de transcendance et affaiblissement du rôle du politique.
Nous pourrions ajouter à cette liste Finkielkraut qui, sans avoir participé au courant ultra-gauche en a redécouvert les principales articulations doctrinales avant de rejoindre le camp des anti-totalitaires. Adeptes certes du libéralisme politique, ce courant n’en demeure pas moins fort critique du libéralisme économique et de la décomposition du Politique qu’il induit.
Bruckner se rattache à ce type de profil humain.
Dans tous les cas ces personnalités doivent être créditées d’une grande capacité critique et de retour sur soi. Analyser l’anti-racisme comme le totalitarisme du XXI° siècle (Finkielkraut) et le mondialisme métisseur et destructeur d’identités (Zemmour, issu quant à lui de la droite traditionnelle) implique une lucidité totale sur les pratiques de la gauche, la continuité de méthodes relevant du terrorisme intellectuel , la manipulation médiatique et l’organisation de carrières autour d’idéologies comme l’anti-fascisme puis l’anti-racisme et aujourd’hui l’instrumentalisation des droits-de l’homme.
Une fois dégagées les qualités inhérentes à ce type de parcours militant, le paragraphe suivant expose les avantages qu’apporteraient la rencontre avec ce pan de l’identité européenne qui incarne le meilleur de la pratique du mouvement ouvrier et petit-bourgeois pour les courants issus plus classiquement de l’extrême-droite ; ce, dans un projet de fondation d’une nouvelle configuration politique basée sur la référence à l’identité européenne en vue d’ un dépassement du projet moderne permettant une meilleure résistance à la subversion démographique extra-européenne. Ainsi une synthèse entre des fractions différentes de l’imaginaire européen pourrait permettre d’accéder à une défense raisonnable, dans le cadre d’une approche circonspecte et pleinement politique, de notre identité. Mettant à profit des capacités de résistance diverses à l’air du temps constitué autour du compassionnel et de l’infra-politique.


3-De l’intérêt des ex-ultra-gauches dans l’actuelle recomposition :


Ce qui nous intéresse dans ce courant est alors non pas une succession d’instantanés plus ou moins « vrais » mais une dynamique. Ces individus, que nous appelons ici ex-ultra-gauches-devenus-antitotalitaires, ont témoigné d’une certaine dynamique, d’une certaine « progression ». Cette évolution témoigne d’une certaine capacité éthique, intellectuelle, spirituelle, d’une certaine attitude vis-à-vis du « monde ». Attitude caractérisée par une certaine recherche du « vrai » en politique notamment le respect du fait historique (querelle sur le Livre noir du Communisme) . Cette recherche peut exiger un refus des compromis, des modes, des impératifs de carrière. Elle implique donc un certain caractère entier, une certaine exigence.
Il leur a fallu combattre aussi bien le libéralisme politique en tant qu’établissement où il aurait été facile de s’ériger en porte-parole et (bonne) conscience auto-proclamée, que l’opposition marxiste ayant pignon sur rue c'est-à-dire reconnue au sein (ou en marge autorisée) de bureaucraties ouvrières ou des multiples courants, officines, revues, synécures de la mouvance progressiste « petite-bourgeoise ».
C’est ce profil qui nous intéresse aujourd’hui.
Certes l’extrême-droite a pu engendrer semblable profil de lutteurs trempés par les défaites et les trahisons successives et exigeant une lucidité et un caractère forgé dans les plus dures épreuves.
D’ailleurs Souvarine (auteur de « A contre-courant », tout un programme…) a pu être à la jonction de ces deux profils de militants aguerris par les résistances et les défaites.
Mais c’est là que les trajectoires des ex-ultra-gauches peuvent être d’une importance pour la recomposition à venir de la mouvance identitaire.
La mouvance réactionnaire ou fasciste a maintenu des valeurs non-bourgeoises d’un grand intérêt : honneur, courage physique et intellectuel, désintéressement, fidélité, courtoisie, tempérance, anti-conformisme, circonspection, ruse, enracinement.
Ces valeurs sont d’origine aristocratiques ou rurales et s’opposent aux valeurs de la bourgeoisie : goût du travail, industriosité, sens de l’innovation, régularité, sens de la négociation, modération, rigueur de l’analyse, goût pour l’égalité.
Les valeurs prolétariennes sont les mêmes que les bourgeoises car l’ouvrier comme le bourgeois relève des catégories économistes. Ce qui les différencie (esprit de solidarité) provient de mentalités pré-capitalistes (common sense de l’artisan au sens de Latsch ou Michea).
Nous sommes redevables à l’extrême-droite classique ou simplement la droite de conviction d’avoir su maintenir intactes ces valeurs non modernes héritières de notre passé féodal donc militaire, en opposition et en complémentarité avec les valeurs propres de la bourgeoisie.
C’est comme disait Paul Valéry le bien contre un autre bien.
Le bien aristocratique contre le bien bourgeois, l’honneur contre le compromis astucieux.
Opposition réelle dans l’Histoire mais dans un dépassement de cette opposition nous pouvons tenter de ramasser ensemble le féodal et le marchand (et le prolétarien donc), la valeur guerrière et l’astuce industrieuse. Symbiose incarnée dans notre lointaine mémoire par Ulysse polyméthis, Ulysse aux mille tours, guerrier aguerri et stratège rusé.
Mais si l’ex-ultra-gauche ne participe pas de l’héritage pré-moderne quant aux valeurs qu’il incarne il (versant positif de la chose) ne véhicule pas tout un imaginaire de la défaite.
En effet l’extrême droite (versant négatif de sa résistance à la modernité) véhicule une idéologie de vaincus depuis presque trois siècles ; avec la morale du ressentiment qui l’accompagne chez nombre d’entre eux. Il n’est que de voir le courrier des lecteurs de Rivarol : toujours de haute tenue sur la forme et sur le fond mais dégoulinant de rancœur et de défaitisme.
On ne saurait aujourd’hui livrer bataille avec ce fond idéologique héritier de l’E-D ni son personnel politique transi par cette tradition de défaites cumulées.
La défaite n’est pas un mal en soi. Si elle est suivie d’une analyse, d’une victoire sur soi même et d’un dépassement de ce qui a été sa raison de vivre, c'est-à-dire son échelle de valeurs.
Au contraire chez nombre de camarades d’E-D c’est la vie par procuration et le rappel de configurations politiques dépassées.
En vivant dans les modèles et catégories du passé l’ex-militant phantasme sur un passé dépassé et en tire une certaine joie morbide qui le rend au mieux inapte à la nouvelle configuration du combat présent et au pire l’amène à soutenir l’ennemi au nom d’anciennes configurations (anti-sémitisme et anti-américanisme pro-arabe).
Nous sommes aujourd’hui dans une phase nouvelle : les empires européens ont disparu, les nations sont à dépasser, les combats de classe n’ont plus (sauf pour les trotskistes) le caractère messianique qu’ils revêtaient aux deux siècles précédents.
Nous sommes à la veille d’une refondation du mouvement identitaire dans une situation qui ressemble à celle (fin des années 1970) où le FN est devenu l’outil fédérateur de toutes les forces de l’E-D traditionnelle.
Mais là où le FN s’est construit comme le dernier sursaut de l’Empire et des valeurs des vaincus anti-modernes des dernières grandes guerres civiles de la nation française il va nous falloir œuvrer dans une perspective européenne et dans un cadre qui fait fi des clivages traditionnels de classe tout en prônant le politique d’abord face au tout économique des « libéraux ».
Et c’est là qu’intervient l’impact d’une tradition, issue du mouvement ouvrier mais ayant dépassé les simplismes et les messianismes. Tradition se déployant autour de clercs de valeur qui  bénéficient d’une aura certaine. Clercs qui redynamisent la fonction de l’intelligentsia face aux pouvoirs des média et des politiciens, simples porte-parole du capital financier.
Continuer à nous ouvrir vers d’autres courants issus comme nous de la matrice européenne –relevant donc de notre identité- est le seul moyen de surmonter le syndrome des vaincus de 1945. Syndrome par exemple dépassé en son temps par les défenseurs de l’Algérie Française par exemple, mais dans lequel nous avons replongé à cause et de la dynamique de cette ultime défaite et par la politique habile de l’adversaire.

4-Leçon de chose et méthode :


Voilà quelle serait la leçon que nous pourrions tirer de cette ultime phase des grandes guerres civiles européennes qu’ont constitué les années 68 et alii :
A- Considérer celle-ci  comme une étape de notre histoire, étape constitutive donc de notre identité.
B- Comme dans toute guerre civile il n’y avait pas les bons contre les mauvais.
C- Toute guerre civile se termine et est dépassée non pas par la victoire d’un camp mais par une reconfiguration du topos politique.
D- Ce qui est le plus intéressant, expression et en même temps moteur du dépassement c’est l’évolution dans chaque camp des membres les plus « dynamiques ». Ce dynamisme se déploie dans l’exercice de valeurs.
E- Ces valeurs sont elles-mêmes mises en perspective, retravaillées, dépassées en synthèse avec d’autres valeurs parfois portées par l’ex camp adverse.

 Concrètement : la référence à diverses fractions de l’imaginaire européen permet une relance et une recomposition de cet imaginaire européen. Synthèse de dépassement du meilleur des parcours pratiques et idéologiques des individus qui ont fait montre dans leur trajectoire militante et simplement existentielle des meilleures dispositions ; à savoir la capacité à se remettre en question en permanence sans sombrer ni dans le découragement, ni le relativisme, ni la culpabilité (pour les « erreurs » passées) avec le détachement, la persévérance et la joie face à tous les mauvais prophètes de la grande lassitude et de la haine de soi.
Il va de soi (nous avons cité plus haut Eric Zemmour qui est issu de la droite traditionnelle) que la liste des courants et personnalités qui pourraient apporter leurs talents à une redynamisation de l’esprit européen n’est pas limitée au courant anti-totalitaire et à l’extrême droite réfléchie…

Hommage à H. Diwald

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Robert STEUCKERS:

Hommage à Hellmut Diwald (1924-1993)

 

Né le 13 août 1924 dans le pays des Sudètes, plus précisément à Schattau en Moravie méridionale, le professeur Hellmut Diwald a quitté la vie le 26 mai 1993. Fils d'ingénieur, il s'était d'abord destiné à suivre les traces de son père: il suit les cours de l'école polytechnique de Nuremberg et y décroche son premier diplôme. Mais c'est à l'université d'Erlangen qu'il trouvera sa véritable vocation: l'histoire, l'événémentielle et celle des religions et des idées. De 1965 à l'année de sa retraite, il a enseigné l'histoire médiévale et moderne dans l'université qui lui avait donné sa vocation. Auparavant, il avait travaillé sur les archives d'Ernst Ludwig von Gerlach, un homme politique conservateur et chrétien de l'époque de Bismarck, avait rédigé une monographie sur le philosophe Dilthey et publié plusieurs études, notamment sur Ernst Moritz Arndt, père de la conscience nationale allemande (mais qui a eu un grand retentissement en Flandre également, si bien qu'il peut être considéré à Anvers, à Gand et à Bruxelles comme un pater patriae), et sur l'évolution des notions de liberté et de tolérance dans l'histoire occidentale.

 

Ces premiers travaux scientifiques permettent de comprendre quel homme fut Hellmut Diwald, quelle synthèse il a incarnée dans sa vie intellectuelle et militante: homme de progrès dans le sens où il s'inscrit dans la tradition émancipatrice des Lumières et de la Prusse, il ne conçoit pas pour autant cette émancipation comme un pur refus de tout ancrage historique et politique, mais au contraire, à l'instar du romantique Arndt et du conservateur von Gerlach, comme la défense d'un ancrage précis, naturel, inaliénable, dont l'essence est de générer de la liberté dans le monde et pour le monde. Cet ancrage, ce sont les nations germaniques, nations d'hommes libres qui se rebiffent continuellement contre les dogmes ou les institutions contraignantes, contre les coercitions improductives. Cette notion germanique de l'homme libre a donné la réforme, les lumières pratiques du XVIIIième siècle frédéricien ou joséphien, ou, chez nous, le mythe d'Uilenspiegel. Elle est donc à la base du progressisme idéologique, avant que celui-ci ne deviennent fou sous l'impact de la révolution française et du messianisme marxiste.

 

Hellmut Diwald doit sa notoriété à un ouvrage paru en 1978: une «histoire des Allemands» inhabituelle, où notre auteur inverse la chronologie en commençant par l'histoire récente pour remonter le cours du temps. Cette originalité n'est pas une simple facétie de professeur. En effet, les historiens allemands de notre après-guerre n'ont cessé de juger l'histoire allemande comme le préliminaire à l'horreur nationale-socialiste. Tous les événements de cette histoire étaient immanquablement jugés à l'aune du national-socialisme, ramenés à l'une ou l'autre de ses facettes. Reductio ad Hitlerum: telle était la manie, lassante, répétitive, morne, de tous les zélotes de la profession qui travaillaient à réaliser une seule obsession: tenir leur peuple à l'écart de l'histoire qui se jouait désormais à Washington ou à Moscou, à Pékin ou à Tel Aviv. Tout retour de l'Allemagne sur la scène de l'histoire réelle aurait signifié, pour ces savants apeurés, le retour d'une tragédie à l'hitlérienne. On peut évidemment comprendre que les Allemands, après deux défaites, aient été échaudés, dégoûtés, rassis. Mais ces sentiments sont justement des sentiments qui ne permettent pas un regard objectif sur les faits historiques. En inversant la chronologie, Diwald se voulait pédagogue: il refusait d'interpréter l'histoire allemande comme une voie à sens unique débouchant inévitablement sur la dictature nationale-socialiste. S'il y a pourtant eu ce national-socialisme au bout de la trajectoire historique germanique, cela ne signifie pas pour autant qu'il ait été une fatalité inévitable. L'histoire allemande recèle d'autres possibles, le peuple allemand recèle en son âme profonde d'autres valeurs. C'est cela que Diwald a voulu mettre en exergue.

 

Du coup, pris en flagrant délit de non-objectivité, les compères de la profession, ont crié haro sur Diwald: en écrivant son histoire des Allemands, il aurait «banalisé» le national-socialisme, il l'aurait traité comme un fragment d'histoire égal aux autres. Pire: il ne l'aurait pas considéré comme le point final de l'histoire allemande et aurait implicitement déclaré que celle-ci demeurait «ouverte» sur l'avenir. Pendant deux ans, notre historien a subi l'assaut des professionnels de l'insulte et de la délation. Sans changer sa position d'un iota. Meilleure façon, d'ailleurs, de leur signifier le mépris qu'on leur porte. Mesquins, ils ont voulu «vider» Diwald de sa chaire d'Erlangen. Ils n'ont pas obtenu gain de cause et se sont heurtés au ministre de l'enseignement bavarois, Maier, insensible aux cris d'orfraie poussés des délateurs et des hyènes conformistes.

 

Diwald n'a pas cessé de travailler pendant que ses ombrageux collègues vitupéraient, complotaient, s'excitaient, pétitionnaient. En 1981, avec Sebastian Haffner, un homme de gauche éprouvé et un anti-fasciste au-dessus de tout soupçon, et Wolfgang Venohr, historien et réalisateur d'émissions télévisées, il participe en 1981 à la grande opération de réhabilitation de l'histoire prussienne, dont le point culminant fut une grande exposition à Berlin. Parallèlement à cette série d'initiatives «prussiennes», Diwald travaillait à un sujet qui nous intéresse au plus haut point dans le cadre de notre souci géopolitique: une histoire de la conquête des océans. Deux volumes seront les fruits de cette recherche passionnante: Der Kampf um die Weltmeere  (1980) et Die Erben Poseidons. Seemachtpolitik im 20. Jahrhundert  (1987). Conclusion de Diwald au bout de ces sept années de travail: l'Allemagne a perdu les deux guerres mondiales sur l'Atlantique, parce que sa diplomatie n'a pas compris le rôle essentiel de la guerre sur mer.

 

Au cours de toute sa carrière, Diwald, auteur classé arbitrairement à droite à cause de son nationalisme d'émancipation, n'a jamais perdu la réunification allemande de vue. Cet espoir le conduisait à juger très sévèrement tous les ancrages à l'Ouest qu'essayait de se donner la RFA. Chacun de ces ancrages l'éloignait de sa position centre-européenne et des relations privilégiées qu'elle avait eu l'habitude de nouer avec la Russie. Diwald était donc un critique acerbe de la politique du Chancelier Adenauer, dont l'objectif était l'intégration totale de la RFA dans la CEE et dans le binôme franco-allemand. Inlassablement, Diwald a critiqué le refus adénauerien d'accepter les propositions de Staline en 1952: neutralisation de l'Allemagne réunifiée. Ce refus a conduit au gel des positions et condamné la RDA à la stagnation communiste sous la houlette d'apparatchiks pour lesquels le Kremlin n'avait que mépris.

 

La vie exemplaire de Diwald, clerc au service de sa patrie, nous lègue une grande leçon: l'historien ne peut en aucun cas faire des concessions aux braillards de la politique. Sa mission est d'être clairvoyant en toutes circonstances: dans l'euphorie du triomphe comme dans la misère de la défaite. Pour l'un de ses amis proches, venu lui rendre visite peu de temps après le diagnostic fatidique qui constatait la maladie inéluctable, Diwald a prononcé cette phrase qui fait toute sa grandeur, qui scelle son destin de Prussien qui conserve envers et contre tout le sens du devoir: «Pourvu que je puisse régler toutes les affaires en suspens qui traînent sur mon bureau avant de m'en aller». Hellmut Diwald, merci pour votre travail.

 

Robert STEUCKERS.

 

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dimanche, 21 septembre 2008

Citation de Louis-Ferdinand Céline

Cassez vos télévisions

 

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C'est un prodigieux moyen de propagande. C'est aussi, hélas! un élément d'abêtissement en ce sens que les gens se fient à ce qu'on leur montre. Ils n'imaginent plus. Ils voient. Ils perdent la notion de jugement et ils se prêtent gentiment à la fainéantise. La TV est dangereuse pour les hommes. L'alcoolisme, le bavardage, et la politique en font déjà des abrutis. Etait-il nécessaire d'ajouter encore quelque chose?

Louis-Ferdinand Céline

G. Faye: le choc des conceptions du monde

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Le choc des conceptions du monde

 

par Guillaume FAYE

 

La pensée métaphysique, issue du monothéisme et qui s'achève dans l'humanisme, a voulu définitivement nommer l'être, le «connaître», et, par là fixer les valeurs. La métaphysique, rompant avec la philosophie grecque pré-socratique, a pensé l'être-du-monde comme un acquis, comme une valeur suprême. Elle a envisagé l'être comme Sein  (Etre-en soi) et non comme Wesen (Etre-Devenir). Le mot français «être», ne rend pas ce double sens. Rechercher   —et prétendre trouver—  l'être comme Sein (einai en grec), c'est le dévaluer, c'est commencer une "-«longue marche vers le nihilisme». La philosophie de l'Esprit (Geist;  le noús  platonicien) prend le pas sur la philosophie de la vie et de l'action, sur la «création», la poiésis.  Toute une anthropologie en découle: pour la conception-du-monde de la tradition métaphysique et humaniste, l'humain est un être achevé puisqu'il participe de valeurs suprêmes (Dieu, notamment, ou des «lois», des «grands principes moraux») elles-mêmes achevées, connaissables, stables, universelles. «Il n'y a plus de mystère dans l'être» dit alors Heidegger. Enfermé dans les essences et les principes, l'humain perd son mystère: c'est l'humanisme précisément. Toute possibilité de dépassement de l'humain par l'homme doit être abandonnée. Les «valeurs» humaines, prononcées une fois pour toutes, courent alors le risque de la sclérose ou du tabou.

 

D'où la séparation, qui s'est toujours remarquée dans l'histoire, entre les valeurs proclamées avec emphase par les philosophies monothéistes et humanistes, et les comportements auxquels elles donnaient lieu. Sur le plan religieux, l'enfermement de l'action humaine dans des «lois», et le caractère infini mais fini à la fois du Dieu suprême, que l'on sait être définitivement omnipotent, tend a transformer le lien religieux en relation intellectuelle, en logos,  compromettant à la longue la force des mythes. Spinoza, Leibniz, Pascal et Descartes offrent des exemples de cette transformation de la métaphysique religieuse en logique; il faut se souvenir de l'amor intellectualis dei  de Spinoza, de la déduction des attributs de Dieu chez Leibniz, de l'intelligibilité de Dieu pour toute raison, affirmée par Descartes, ou, allant encore un peu plus avant dans le nihilisme religieux, du paradigme marchand du pari sur le divin de Pascal. Bernard-Henri Lévy avait parfaitement raison, en proclamant conjointement son biblisme et son athéisme, dans Le Testament de Dieu,  de se dire fidèle à la religion métaphysique hébraïque, creuset des autres monothéismes, la première à avoir formulé la préférence du logos  sur le muthos.

 

Perpétuel interrogateur

 

Au rebours, la tradition grecque qui commence avec Anaximandre de Samos et Héraclite, et qui serpentera, en tant que conception-du-monde implicite dans toute l'histoire européenne jusqu'à Nietzsche, se refuse à nommer l'être. Celui-ci est pensé comme Wesen  (être-en-devenir) comme gignesthai  (devenir transformant), mais n'est jamais défini. Le mot grec pour «vérité», nous explique Heidegger, est alèthéia,  ce qui signifie «dévoilement inachevé». La vérité n'y est point celle du Yahvé biblique, «Je suis l'Un, je suis la Vérité». Est vérité ce qui est éclairé par la volonté humaine, cette volonté qui soulève le voile du monde sans jamais faire advenir au jour la même réalité.

 

Dans la philosophie grecque, comme chez Heidegger, des mots innombrables sont utilisés pour «penser l'être». On ne pourra jamais répondre à la question de l'être, comme on ne pourra jamais connaître 1'«essence du fleuve», perpétuellement changeant, qui coule sous le pont. Le monde, dans son être-devenir, reste alors toujours l'«Obscur», et l'homme, un perpétuel interrogateur, un animal en quête constante de l'«éclairement». L'hominité, nous dit Heidegger, est caractérisée par le deinotaton, l'«inquiétance»: inquiéter le monde, c'est le questionner éternellement, le faire sortir et se faire sortir soi-même de la quiétude, cette illusion de savoir où l'on est et où l'on va.

 

Cette conception-du-monde se représente l'humain, perpétuel donneur de sens, en duel avec le monde, qui se dérobe à ses assauts, et qui demande, pour se laisser partiellement arraisonner, toujours de nouvelles formes d'action humaine, de nouveaux sens, de nouvelles valeurs, qui seront à leur tour transgressées.

 

Sacré et ouverture-au-monde

 

La mythologie grecque qui nous offre le spectacle de combats entre des dieux inconstants et des guerriers humains jamais découragés, toujours ardents dans leur passion de violer les lois divines pour préserver leur vie ou les lois de leur communauté, constitue l'aurore de cette conception européenne du monde. Une fin de l'histoire, par la réconciliation avec le divin métaphysique, enfin connu, lui est profondément étrangère. Cette conception-du-monde est la seule qui autorise à envisager la fondation d'un surhumanisme: l'humain, passant de cycles historiques de valeurs en cycles historiques de valeurs, transforme à chaque étape épochale la nature de sa Volonté-de-Puissance selon le processus de l'Eternel Retour de l'Identique. Le cosmos reste un mystère, il est 1'«obscur en perpétuel devoilement», comme, de manière singulièrement actuelle, l'envisage aussi la physique moderne. Le mythe reste présent au cœur du monde; cette impossibilité voulue et acceptée de connaître et de nommer l'être du monde, confère à celui-ci un caractère aventureux et risqué, et à l'action humaine la dimension tragique et solitaire d'un combat éternellement inachevé. Le sacré, au sens le plus fort, peut alors surgir dans le monde: il réside dans cette distance entre la volonté humaine et la «dérobade» du monde, bien visible d'ailleurs dans les entreprises scientifiques et techniques modernes. Le sacré n'est pas réservé à un principe (moral ou divin) ou à un attribut substantiel de l'être (un dieu), mais il habite par le fait de l'homme, le monde. Le sacré s'apparente à un sens donné par l'humain à son entour: le monde, nous dit Hölderlin, est vécu alors comme «nuit sacrée». Il n'y a plus lieu de se rassurer en recherchant 1'«essence de l'être», prélude à la fin de l'histoire, puisque l'homme de cette conception grecque du monde désire l'inquiétude. Il s'assume ainsi comme pleinement humain, c'est-à-dire toujours en marche vers le sur-humain, puisqu'il se conforme à son ouverture-au-monde ( la Weltoffenheit  dont parlait Gehlen) inscrite dans sa physiologie et éprouvée par la biologie moderne.

 

La recherche de l'être comme Sein, quête de l'absolu métaphysique et moral, peut s'envisager alors comme une entreprise in-humaine, et l'humanisme qui en découle philosophiquement comme une idéologie proprement non-humaine, plus exactement maladive. C'est dans l'historicité (Geschichtlichkeit)  et la mondanité (Weltlichkeit),  ce que les grecs appelaient le to on (l'étant) et les latins l'existentia, que réside le chemin que nous pouvons choisir de suivre ou de ne pas suivre.

 

Le suivre, s'enfoncer dans le Holzweg, la sente de bûcheron qui ne mène «nulle part» sinon «au cœur de la forêt sacrée», dont nous parle mystérieusement Heidegger, voilà ce qui est renouer avec l'aurore de la Grèce: reprendre le fil coupé par le christianisme et «la sortir de l'oubli». La sente ne mène pas vers un bourg, celui où les marchands se reposent, mais, inquiétante, elle s'enfonce vers l'aventure. L'«aventure», c'est-à-dire   l'advenir, ce qui, au détour du chemin «surgit du futur»: l'histoire.

 

Voici donc le sens fondamental de l'entreprise de Nietzsche, puis de Heidegger, et après lui sans doute de bien d'autres: réinstaller, en Europe, à l'époque technique, cette conception-du-monde incomplètement formulée, inachevée par certains grecs, mais le faire sous une forme différente, auto-consciente en quelque sorte, en sachant que même ce travail sera à recommencer. Nous, hommes du soir, de l'Hespérie (Abend-land), (par rapport à cette Grèce des pré-socratiques qui a voulu être l'Aurore d'une conception du monde) un travail nous attend, qui n'a rien de philosophique, au sens intellectuel du terme: rendre auto-consciente, au sein de l'Europe de la civilisation technique, une forme transfigurée de cette conception-du-monde, ou de cette religion-du-monde de l'aube grecque, tirée de l'oubli par Nietzsche et Heidegger.

 

Guillaume FAYE.

 

samedi, 20 septembre 2008

Citation de Gonzague de Reynold

Même avec des bottes de sept lieues...

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On ne vit pas sans s'anémier en dehors de son climat. Vous m'objecterez, vous, hommes de progrès, qu'aujourd'hui le moteur a raccourci les distances physiques : je vous répondrai qu'il a augmenté les distances morales. Vous ajouterez que l'homme contemporain vit d'une manière autrement indépendante de sa terre que l'homme d'autrefois : je vous répondrai que cet homme a fait passer sa terre dans sa conscience, qu'il a reconnu toute l'influence du milieu, qu'il y a des atavismes collectifs, que les origines naturelles ont imprimé à chaque peuple des caractères indélébiles et lui ont assigné une direction initiale et que, même si nous avons des bottes de sept lieues, nous emportons toujours notre sol natal aux clous de nos souliers.

Gonzague de Reynold, Défense et Illustration de l'esprit suisse

Les oppositions américaines à Roosevelt

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Les oppositions américaines à la guerre de Roosevelt

 

 

Robert STEUCKERS

 

Analyse : Ronald RADOSH, Prophets on the Right. Profiles of Conservative Critics of American Globalism, Free Life Editions, New York, 1975 (ISBN : 0-914156-22-5).

 

L’histoire des oppositions américaines à la seconde guerre mondiale est très intéressante. Elle nous initie aux idées des isolationnistes et neutralistes des Etats-Unis, seuls alliés objectifs et fidèles que nous pouvons avoir Outre-Atlantique, mis à part, bien en­tendu, les patriotes d’Amérique hispanique.

 

Aborder ce sujet implique de formuler quelques remarques préliminaires.

-          L’histoire contemporaine est é­valuée sous l’angle d’une propa­gande. Laquelle ? Celle qui a été orchestrée par les bellicistes a­mé­ricains, regrou­pés autour du Président Roosevelt. La tâche de l’his­toire est donc de retrouver la réalité au-delà du rideau de fumée propagandiste.

-          L’histoire contemporaine est dé­terminée par la perspective roose­veltienne où

a)       les Etats-Unis sont l’avant-gar­de, la terre d’élection de la liber­té et de la démocratie ;

b)       les Etats-Unis doivent agir de fa­çon à ce que le monde s’ali­gne sur eux.

c)       Via leur idéologie messianique, interventionniste et mondialiste, les Etats-Unis se posent comme le bras armé de Yahvé, sont appelés à unir le monde sous l’au­torité de Dieu. Leur président est le vicaire de Yahvé sur la Terre (et non plus le Pape de Rome).

 

Mais, pour s’imposer, cette idéologie messianique, interventionniste et mon­dia­liste a eu des ennemis inté­rieurs, des adversaires isolationnistes, neutralistes et différentialistes. En effet, dans les années 30, 40 et 50, deux camps s’affron­taient aux Etats-Unis. En langage actualisé, on pourrait dire que les partisans du « village universel » se heurtaient aux partisans de l’ « au­to-centrage ».

 

Quels ont été les adversaires du mon­­dialisme de Roosevelt, outre le plus célèbre d’entre eux, le pilote Lind­­bergh, vainqueur de l’Atlan­tique. Nous en étudierons cinq :

1)       Oswald Garrison VILLARD, é­di­teur du journal Nation, ancré à gauche, libéral et pacifiste.

2)       John T. FLYNN, économiste et éditorialiste de New Republic, é­galement ancré à gauche.

3)       Le Sénateur Robert A. TAFT de l’Ohio, chef du Parti Républicain, surnommé « Mr. Republican».

4)       Charles A. BEARD, historien pro­­gressiste.

5)       Lawrence DENNIS, intellectuel éti­queté « fasciste », ancien di­plo­mate en Amérique latine, no­tamment au Nicaragua et au Pérou.

 

Tous ces hommes avaient une biographie, un passé très différent. Dans les années 38-41, ils étaient tous iso­lationnistes. Dans les années 43-50, ils sont considérés com­me « con­ser­vateurs » (c’est-à-dire adversaires de Roosevelt et de l’al­liance avec l’URSS) ; de 1948 à 1953, ils refusent la logique de la Guerr­e Froide (dé­fendue par la gauche sociale-dé­mo­crate après guerre).

 

Pourquoi cette évolution, qu’on ne comprend plus guère aujourd’hui ?

-          D’abord parce que la gauche est favorable au « globa­lis­me » ; à ses yeux les isolation­nistes sont passéistes et les interventionnistes sont inter­natio­nalistes et « progres­sis­tes ».

-          Dans le sillage de la Guerre du Vietnam (autre guerre interventionniste), la gauche a changé de point de vue.

 

En effet, l’interventionnisme est synonyme d’impérialisme (ce qui est moralement condamnable pour la gauche hostile à la Guerre du Vietnam). L’isolationnisme relève du non-impérialisme américain, de l’anti-colonialisme officiel des USA, ce qui, dans le contexte de la Guerre du Vietnam, est moralement acceptable. D’où la gauche militante doit renouer avec une pensée anti-impérialiste. La morale est du côté des isolationnistes, même si un Flynn, par exemple, est devenu macchartyste et si Dennis a fait l’apologie du fascisme. Examinons les idées et les arguments de chacun de ces cinq isolationnistes.

 

Charles A. BEARD

 

Charles A. Beard est un historien qui a écrit 33 livres et 14 essais importants. Sa thèse centrale est celle du « déterminisme économique » ; elle prouve qu’il est un homme de gauche dans la tradition britannique de Mill, Bentham et du marxisme modéré. La structure politique et juridique, pour Beard, dérive de la stratégie économique. La complexification de l’éco­nomie implique une complexification du jeu politique par multiplication des acteurs. La Constitution et l’appareil légal sont donc le reflet des desidera­ta des classes dirigeantes. La complexification postule ensuite l’in­tro­duc­tion du suffrage universel, pour que la complexité réelle de la société puisse se refléter correcte­ment dans les re­pré­sentations.

 

Beard sera dégoûté par la guerre de 1914-18.

1.        Les résultats de cette guerre sont contraires à l’idéalisme wilsonien, qui avait poussé les Etats-Unis à intervenir. Après 1918, il y a davantage de totalitarisme et d’autoritarisme dans le monde qu’auparavant. La première guerre mondiale se solde par un recul de la démocratie.

2.        Ce sont les investissements à l’étranger (principalement en France et en Grande-Bre­ta­gne) qui ont poussé les Etats-Unis à intervenir (pour sauver leurs clients de la défaite).

3.        D’où le véritable remède est celui de l’autarcie continentale (continentalism).

4.        Aux investissements à l’étran­ger, il faut opposer, dit Beard, des investissements intérieurs. Il faut une planification natio­nale. Il faut construire une bonne infrastructure routière aux Etats-Unis, il faut aug­menter les budgets pour les écoles et les universités. Pour Beard, le planisme s’oppose au militarisme. Le militarisme est un messianisme, essen­tiel­le­ment porté par la Navy League, appuyée jadis par l’Amiral Mahan, théoricien de la thalassocratie. Pour Beard, l’US Army ne doit être qu’un instrument défensif.

 

Beard est donc un économiste et un théoricien politique qui annonce le New Deal de Roosevelt. Il est donc favorable au Président américain dans un premier temps, parce que celui-ci lance un gigantesque plan de travaux d’intérêt public. Le New Deal, aux yeux de Beard est une restructuration complète de l’économie domestique américaine. Beard raisonne comme les continentalistes et les autarcistes européens et japonais (notamment Tojo, qui parle très tôt de « sphère de co-prospérité est-asiatique »). En Allemagne, cette restructuration autarcisante préconisée par le pre­mier Roosevelt suscite des enthousiasmes et apporte de l’eau au mou­lin des partisans d’un nouveau dialogue germano-américain après 1933.

 

Le programme « Big Navy »

 

Mais Roosevelt ne va pas pouvoir appliquer son programme, parce qu’il rencontrera l’opposition des milieux bancaires (qui tirent plus de dividendes des investissements à l’étranger), du complexe militaro-in­dustriel (né pendant la première guerre mondiale) et de la Ligue Na­vale. Pour Beard, le programme « Big Navy » trahit l’autarcie promise par le New Deal.

 

Le programme « Big Navy » provoquera une répétition de l’histoire. Roosevelt prépare la guerre et la militarisation des Etats-Unis, déplo­re Beard. En 1934, éclate le scandale Nye. Une enquête menée par le Sénateur Gerald Nye prouve que le Président Wilson, le Secrétaire d’Etat Lansing et le Secrétaire d’Etat au Trésor Gibbs McAdoo, le Colonel House et les milieux bancaires (notamment la J.P. Morgan & Co) ont délibérément poussé à la guerre pour éviter une crise, une dépression. Résultat : cette dépres­sion n’a été postposée que de dix ans (1929). Donc la politique raison­nable serait de décréter un em­bargo général à chaque guerre pour que les Etats-Unis ne soient pas entraînés aux côtés d’un des belligérants.

 

En 1937, Roosevelt prononce son fameux « Discours de Quarantai­ne », où il annonce que Washington mettra les « agresseurs » en quarantaine. En appliquant pré­ventivement cette mesure de ré­torsion aux seuls agresseurs, Roo­sevelt opère un choix et quitte le terrain de la neutralité, constate Beard. En 1941, quand les Japonais attaquent Pearl Harbour, le matin du 7 décembre 1941, Beard révèle dans la presse que Roosevelt a délibérément obligé le Japon à commettre cet irréparable acte de guerre. De 1941 à 1945, Beard ad­mettra la nature « expansion­niste » de l’Allemagne, de l’Italie et du Ja­pon, mais ne cessera d’exhorter les Etats-Unis à ne pas suivre cet ex­emple, parce que les Etats-Unis sont « self-suffisant » et que l’a­gressivité de ces Etats n’est pas directement dirigée contre eux. Ensuite, deuxième batterie d’argu­ments, la guerre désintègre les institutions démocratiques améri­cai­nes. On passe d’une démocratie à un césarisme à façade dé­mo­cratique.

 

Beard accuse le gouvernement américain de Roosevelt de chercher à entrer en guerre à tout prix contre le Japon et l’Allemagne. Son accusation porte notamment sur quatre faits importants :

1.        Il dénonce l’échange de destroyers de fabrication américaine contre des bases militaires et navales anglaises dans les Caraïbes et à Terre-Neuve (New Foundland).

2.        Il dénonce la « Conférence de l’Atlantique », tenue entre le 9 et le 12 août 1941 entre Churchill et Roosevelt. Elles ont débouché sur un acte de guerre au détriment du Portugal neutre : l’occupation des Açores par les Américains et les Britanniques.

3.        Il dénonce l’incident de septembre 1941, où des navires allemands ripostent aux tirs de l’USS Greer. Beard prétend que Roosevelt monte l’incident en épingle et il appuie son argumentation sur le rapport de l’Amiral Stark, prouvant l’inter­vention du navire aux côtés des Anglais.

4.        En octobre 1941, un incident similaire oppose des bâtiments de la Kriegsmarine à l’USS Kearny. Roosevelt amplifie l’événement avec l’appui des médias. Beard rétorque en s’appuyant sur le rapport du Secrétaire de la Navy Knox, qui révèle que le navire américain a pris une part active aux combats opposants bâtiments anglais et allemands.

 

Une stratégie de provocation

 

Beard conclut que la stratégie de Roosevelt cherche à provoquer dé­libérément un incident, un casus belli. Cette attitude montre que le Président ne respecte pas les institutions américaines et ne suit pas la voie hiérarchique normale, qui passe par le Congrès. La dé­mo­cratie américaine n’est plus qu’une façade : l’Etat US est devenu cé­sa­riste et ne respecte plus le Con­grès, organe légitime de la nation.

 

Il est intéressant de noter que la gauche américaine récupèrera Beard contre Johnson pendant la guerre du Vietnam. De Roosevelt à Johnson, la gauche américaine a en effet changé du tout au tout, modifié de fond en comble son argumentation ; elle était favorable à Roosevelt parce qu’il était l’im­pulseur du New Deal, avec toutes ses facettes sociales et dirigistes, et qu’il fut le leader de la grande guerre « anti-fasciste ». Elle cesse de soutenir l’option présidentialiste contre le démocrate Johnson, redevient favorable au Con­grès, parce qu’elle s’oppose à la guerre du Vietnam et à l’emprise des lob­bies militaro-industriels. En fait, la gauche américaine avouait dans les années 60 qu’elle avait été autoritaire, bouclier de l’autocratie rooseveltienne et anti-parlemen­taire (tout en reprochant aux fas­cistes de l’être !). Pire, la gauche avouait qu’elle avait été « fasciste » par « anti-fascisme » !

 

Dans une première phase donc, la gauche américaine avait été interventionniste. Dans une seconde, elle devient isolationniste. Cette contradiction s’est (très) partiellement exportée vers l’Europe. Cette mutation, typiquement américaine, fait la spécificité du paysage politique d’Outre-Atlantique.

 

Mettre le Japon au pied du mur…

 

Intéressantes à étudier sont également les positions de Beard sur la guerre américaine contre le Japon. Beard commence par constater que le Japon voulait une « sphère de co-prospérité est-asiatique », incluant la Chine et étendant l’in­fluence japonaise profondément dans le territoire de l’ex-Céleste Empire. Pour cette raison, croyant contrarier l’expansion nippone, Roo­sevelt organise l’embargo con­tre le Japon, visant ainsi son asphyxie. En pratiquant une telle politique, le Président américain a mis le Japon au pied du mur : ou périr lentement ou tenter le tout pour le tout. Le Japon, à Pearl Harbour, a choisi le deuxième terme de l’alternative. L’enjeu de la guerre américano-japonaise est donc le marché chinois, auquel les Etats-Unis ont toujours voulu avoir un accès direct. Les Etats-Unis veulent une politique de la « porte ouverte » dans toute l’Asie, comme ils avaient voulu une politique iden­tique en Allemagne sous Weimar. Dans la polémique qui l’op­pose à Roosevelt, Beard se range du côté de Hoover, dont la critique à du poids. Beard et Hoover pensent que l’action du Japon en Chine n’enfreint nullement la sou­veraineté nationale américaine, ni ne nuit aux intérêts des Etats-Unis. Ceux-ci n’ont pas à s’inquié­ter : ja­mais les Japonais ne par­viendront à japoniser la Chine.

 

Après la deuxième guerre mondia­le, Beard ne cessera de s’opposer aux manifestations de bellicisme de son pays. Il critique la politique de Truman. Il refuse la bipolarisation, telle qu’elle s’incruste dans les ma­chines propagandistes. Il critique l’intervention américaine et britanni­que en Grèce et en Turquie. Il critique la recherche d’incidents en Méditerranée. Il rejette l’esprit de « croisade », y compris quand il vise le monde communiste.

 

En conclusion, Beard est resté pen­dant toute sa vie politique un par­tisan de l’autarcie continentale amé­ricaine et un adversaire résolu du messianisme idéologique. Beard n’était ni anti-fasciste ni anti-com­muniste : il était un autarciste amé­ricain. L’anti-fascisme et l’anti-com­munisme sont des idées internationalistes, donc désincarnées et ir­réalistes.

 

Oswald Garrison VILLARD

 

Né en 1872, Oswald Garrison Vil­lard est un journaliste new-yorkais très célèbre, offrant sa prose pré­cise et claire à deux journaux, Post et Nation, propriétés de son père. L’arrière-plan idéologique de Villard est le pacifisme. Il se fait membre de la Ligue anti-impérialiste dès 1897. En 1898, il s’oppose à la guerre contre l’Espagne (où celle-ci perd Cuba et les Philippines). Il estime que la guerre est incom­patible avec l’idéal libéral de gau­che. En 1914, il est l’un des prin­cipaux avocats de la neutralité. De 1915 à 1918, il exprime sa déception à l’égard de Wilson. En 1919, il s’insurge contre les clauses du Trai­té de Versailles : la paix est in­ju­ste donc fragile, car elle sanction­ne le droit du plus fort, ne cesse-t-il de répéter dans ses colonnes. Il s’oppose à l’inter­ven­tion américaine contre la Russie so­viétique, au mo­ment où Wa­shing­ton débarque des troupes à Arkhan­gelsk. De 1919 à 1920, il se félicite de l’éviction de Wilson, de la non-adhésion des Etats-Unis à la SdN. Il apporte son soutien au néo-isolationnisme.

 

De 1920 à 1930, Villard modifie sa philosophie économique. Il évolue vers le dirigisme. En 1924, il soutient les initiatives du populiste La­Follette, qui voulait que soit inscrite dans la constitution américaine l’obligation de procéder à un réfé­ren­dum avant toute guerre voire avant toute opération militaire à l’étranger. Villard souhaite également la création d’un « Third Par­ty », sans l’étiquette socialiste, mais dont le but serait d’unir tous les progressistes.

 

En 1932, Franklin Delano Roosevelt arrive au pouvoir. Villard salue cette accession à la présidence, tout comme Beard. Et comme Beard, il rompra plus tard avec Roo­sevelt car il refusera sa politique extérieure. Pour Villard, la neutralité est un principe cardinal. Elle doit être une obligation (compulsory neutrality). Pendant la Guerre d’Espagne, la gauche (dont son journal Nation, où il devient une exception) soutient les Républicains espagnols (comme Vandervelde au POB). Lui, imperturbable, plaide pour une neutralité absolue (comme Spaak et De Man au POB). La gauche et Roosevelt veu­lent décréter un embargo contre les « agresseurs ». Villard, à l’instar de Beard, rejette cette position qui in­terdit toute neutralité absolue.

 

Plus de pouvoir au Congrès

 

Les positions de Villard permettent d’étudier les divergences au sein de la gauche américaine. En effet, dans les années 30, le New Deal s’avère un échec. Pourquoi ? Parce que Roosevelt doit subir l’oppo­si­tion de la « Cour Suprême » (CS), qui est conservatrice. Villard, lui, veut donner plus de pouvoir au Congrès. Comment réagit Roosevelt ? Il augmente le nombre de juges dans la CS et y introduit ainsi ses créatures. La gauche applaudit, croyant ainsi pouvoir réaliser les promesses du New Deal. Villard refuse cet expédient car il conduit au césarisme. La gauche reproche à Villard de s’allier aux conservateurs de la CS, ce qui est faux puisque Villard avait suggéré d’aug­menter les prérogatives du Con­grès.

 

Dans cette polémique, la gauche se révèle « césariste » et hostile au Con­grès. Villard reste fidèle à une gauche démocratique et parlemen­taire, pacifiste et autarciste. Villard ne « trahit » pas. Ce clivage conduit à une rupture entre Villard et la ré­daction de Nation, désormais dirigée par Freda Kirchwey. En 1940, Villard quitte Nation après 46 ans et demi de bons et loyaux services, accusant Kirchwey de « pro­stituer » le journal. Cette « pro­stitution » con­siste à rejeter le principe autarcique et à adhérer à l’universalisme (messianique). Villard va alors con­tre-attaquer :

1.        Il va rappeler qu’il est un avo­cat du Congrès, donc qu’il est démocrate et non philo-fasci­ste.

2.        Il va également rappeler qu’il s’est opposé aux conservateurs de la CS.

3.        Il va affirmer que c’est l’ama­teurisme de Roosevelt qui a conduit le New Deal à l’échec.

4.        Il démontre qu’en soutenant Roosevelt, la gauche devient « fasciste » parce qu’elle con­tribue à museler le Congrès.

 

Ni le Japon ni l’Allemagne n’en veulent aux Etats-Unis, écrit-il, donc nul besoin de leur faire la guerre. L’objectif raisonnable à pour­suivre, répète-t-il, est de juxtaposer sur la planète trois blocs modernes autarciques et hermétiques : l’Asie sous la direction du Japon, l’Europe et l’Amérique. Il re­joint l’America-First-Committee qui affirme que si les Etats-Unis interviennent en Asie et en Europe, le chaos s’étendra sur la Terre et les problèmes non résolus s’ac­cu­mu­leront.

 

Villard n’épargnera pas la politique de Truman et la criblera de ses cri­ti­ques. Dans ses éditoriaux, Tru­man est décrit comme un « po­li­ti­cien de petite ville incompétent », monté en épingle par Roosevelt et sa « clique ». Villard critiquera le bom­bardement atomique de Hiro­shima et de Nagasaki. Il s’opposera au Tribunal de Nuremberg, aux Amé­ricains cherchant à favoriser la mainmise de la France sur la Sarre, à tous ceux qui veulent morceler l’Allemagne. Villard sera ensuite un adversaire de la Guerre Froide, s’in­surgera contre la partition de la Corée et contre la création de l’OTAN.

 

Robert A. TAFT

 

Le père de Robert A. Taft fut pendant un moment de sa vie Président de la CS. Le milieu familial était celui des Républicains de vieil­le tradition. Robert A. Taft exerce ses premières activités po­litiques dans le sillage de Herbert Hoover et collabore à son « Food Programm ». En 1918, il est élu en Ohio. En 1938, il devient Sénateur de cet Etat. Dès cette année, il s’engage à fond dans le combat pour la « non-intervention ». Toute politique, selon lui, doit être défensive. Il fustige les positions « idéa­listes » (c’est-à-dire irréalistes), des messianistes démocrates. « Il faut défendre du concret et non des abstractions », tel est son leitmotiv. La guerre, dit-il, conduirait à museler le Congrès, à faire reculer les gouvernements locaux, à renforcer le gouvernement central. Même si l’Allemagne gagne, argumente-t-il, elle n’attaquera pas les Etats-Unis et la victoire éventuelle du Reich n’arrêterait pas les flux commerciaux. D’où, affirme Taft, il faut à tout prix renforcer le « Neutrality Act », empêcher les navires américains d’entrer dans les zones de combat, éviter les incidents et décréter un embargo général, mais qui permet toutefois le système de vente « cash-and-carry » (« payer et emporter »), à appliquer à tous les belligérants sans restriction. Taft est réaliste : il faut vendre tous les produits sans exception. Nye, Sénateur du North Dakota, et Whee­ler, Sénateur du Montana, veulent un embargo sur les munitions, les armes et le coton.

 

« Lend-Lease » et « cash-and-carry »

 

Taft ne sera pas candidat républicain aux élections présidentielles car l’Est vote contre lui ; il ne bénéficie que de l’appui de l’Ouest, hostile à la guerre en Europe. Il s’opposera à la pratique commerciale du « Lend-Lease », car cela implique d’envoyer des convois dans l’Atlantique et provoque immanquablement des incidents. En juillet 1941, la nécessité de protéger les convois aboutit à l’occu­pation de l’Islande. Taft formule une contre-proposition : au « Lend-Lea­se », il faut substituer le « cash-and-carry », ce qui n’empêche nul­le­ment de produire des avions pour la Grande-Bretagne. En juin 1941, la gauche adhère à une sorte de front international anti-fasciste, à l’instigation des communistes (vi­sibles et camouflés). Taft maintient sa volonté de neutralité et constate que la majorité est hostile à la guerre. Seule une minorité de financiers est favorable au conflit. Taft martèle alors son idée-force : le peuple travailleur de l’Ouest est manipulé par l’oligarchie financière de l’Est.

 

Dans le cadre du parti Républicain, Taft lutte également contre la fraction interventionniste. Son adversaire principal est Schlesinger qui prétend que les isolationnistes provoquent un schisme à l’intérieur du parti, qui risque de disparaître ou d’être exclu du pouvoir pendant longtemps. Dans cette lutte, que s’est-il passé ? Les interventionnistes républicains, rangés derrière Wendell Willkie, chercheront l’al­lian­ce avec la droite démocratique de Roosevelt, pour empêcher les Républicains de revenir au pouvoir. De 1932 à 1948, les Républicains seront marginalisés. Une telle con­figuration avait déjà marqué l’his­toire américaine : le schisme des Whigs en 1858 sur la question de l’esclavage (qui a débouché ensuite sur la Guerre de Sécession).

 

Pour Schlesinger, les capitalistes, les conservateurs et la CS sont hostiles à Roosevelt et au New Deal, qu’ils estiment être une forme de socialisme. Taft rétorque que les ploutocrates et les financiers se sont alliés aux révolutionnaires, hostiles à la CS, car celle-ci est un principe étatique éternel, servant la cause du peuple, celui de la majorité généralement silencieuse. Les ploutocrates sont favorables au bel­licisme de Roosevelt, parce qu’ils espèrent conquérir des marchés en Europe, en Asie et en Amé­rique la­tine. Telle est la raison de leur bell­i­cisme.

 

Tant Schlesinger que Taft rejettent la responsabilité sur les capitalistes ou les financiers (les « plouto­cra­tes » comme on disait à l’époque). La différence, c’est que Schlesinger dénonce comme capitalisme le ca­pital producteur enraciné (investis­se­ments), alors que Taft dénonce le capital financier et vagabond (non-investissement).

 

Contre l’idée de « Croisade »

 

Quand les Japonais bombardent Pearl Harbour le 7 décembre 1941 et y détruisent les bâtiments de guerre qui s’y trouvent, la presse, unanime, se moque de Taft et de ses principes neutralistes. La stratégie japonaise a été de frapper le port hawaïen, où ne stationnaient que de vieux navires pour empêcher la flotte de porter secours aux Philippines, que les Japonais s’apprêtaient à envahir, avant de foncer vers les pétroles et le caoutchouc indonésiens. Taft rétorque qu’il aurait fallu négocier et accuse Roosevelt de négligence tant aux Iles Hawaï qu’aux Philippines. Il ne cesse de critiquer l’idée de croisade. Pourquoi les Etats-Unis se­raient-ils les seuls à pouvoir dé­clencher des croisades ? Pourquoi pas Staline ? Ou Hitler ? L’idée et la pratique de la « croisade » con­duit à la guerre perpétuelle, donc au chaos. Taft dénonce ensuite comme aberration l’alliance entre les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’URSS (chère à Walter Lipp­mann). A cette alliance, il faut sub­stituer des plans régionaux, regrou­per autour de puissances hé­gé­mo­niques les petits Etats trop faibles pour survivre harmonieusement dans un monde en pleine mutation d’échelle.

 

Taft s’opposera à Bretton Woods (1944), aux investissements massifs à l’étranger et à la création du FMI. Il manifestera son scepticisme à l’endroit de l’ONU (Dumbarton Oaks, 1944). Il y est favorable à condition que cette instance devienne une cour d’arbitrage, mais refuse tout renforcement de l’idéo­logie utopiste. Après la guerre Taft s’opposera à la Doctrine Truman, à la création de l’OTAN, au Plan Marshall et à la Guerre de Corée. En 1946, Churchill prononce sa phrase célèbre (« Nous avons tué le mauvais cochon », celui-ci étant Hitler, le « bon cochon » sous-entendu et à tuer étant Staline) et déplore qu’un « rideau de fer » soit tombé de Stettin à l’Adriatique, plongeant l’Ostmitteleuropa dans des « régimes policiers ». Taft, conservateur « vieux-républicain », admet les arguments anti-com­mu­nistes, mais cette hostilité légitime sur le plan des principes ne doit pas conduire à la guerre dans les faits.

 

Taft s’oppose à l’OTAN parce qu’elle est une structure interventionniste, contraire aux intérêts du peuple américain et aux principes d’arbitrage qui devraient être ceux de l’ONU. En outre, elle sera un gouffre d’argent. Vis-à-vis de l’URSS, il modifie quelque peu son jugement dès que Moscou se dote de la Bombe A. Il appuie toutefois Joe Kennedy (père de John, Robert/Bob et Ted) quand celui-ci réclame le retrait des troupes américaines hors de Corée, de Berlin et d’Europe. Taft est immédiatement accusé de « faire le jeu de Moscou », mais il reste anti-com­muniste. En réalité, il demeure fi­dè­le à ses positions de départ : il est un isolationniste américain, il con­sta­te que le Nouveau Monde est sé­paré de l’Ancien et que cette sé­paration est une donnée naturelle, dont il faut tenir compte.

 

John T. FLYNN

 

John T. Flynn peut être décrit com­me un « New Dealer » déçu. Beard et Villard avaient également ex­pri­mé leurs déceptions face à l’échec de la restructuration par Roosevelt de l’économie nord-américaine. Flynn dénonce très tôt la démarche du Président consistant à se don­ner des « ennemis mythique » pour dévier l’attention des échecs du New Deal. Il critique la mutation des communistes américains, qui deviennent bellicistes à partir de 1941. Les communistes, dit-il, tra­hissent leurs idéaux et utilisent les Etats-Unis pour faire avancer la politique soviétique.

 

Flynn était proche malgré lui des milieux fascisants (et folkloriques) américains (Christian Front, German-American Bund, l’American Destiny Party de Joseph McWilliams, un antisémite). Mais le succès de Lindbergh et de son America-First-Committee l’intéresse. Après la guerre, il critiquera les positions de la Fabian Society (qu’il qualifie de « socialisme fascisant ») et plai­dera pour un gouvernement po­pulaire, ce qui l’amène dans le silla­ge de McCarthy. Dans cette opti­que, il fait souvent l’équation « com­­munisme = administration », arguant que l’organisation de l’ad­ministration aux Etats-Unis a été introduite par Roosevelt et para­chevée par Truman. Mais, malgré cette proximité avec l’anti-commu­nisme le plus radical, Flynn reste hostile à la guerre de Corée et à toute intervention en Indochine, con­tre les communistes locaux.

 

Lawrence DENNIS

 

Né en 1893 à Atlanta en Géorgie, Lawrence Dennis étudie à la Philips Exeter Academy et à Harvard. Il sert son pays en France en 1918, où il accède au grade de lieutenant. Après la guerre, il entame une carrière de diplomate qui l’emmène en Roumanie, au Honduras, au Ni­caragua (où il observe la rébellion de Sandino) et au Pérou (au moment où émerge l’indigénisme pé­ru­vien). Entre 1930 et 1940, il joue un rôle intellectuel majeur. En 1932, paraît son livre Is Capitalism Doomed ? C’est un plaidoyer planiste, contre l’extension démesurée des crédits, contre l’exportation de capitaux, contre le non-investis­se­ment qui préfère louer l’argent que l’investir sur place et génère ainsi le chômage. Le programme de Dennis est de forger une fiscalité cohérente, de poursuivre une politique d'investissements créateurs d’em­ploi et de développer une autarcie américaine. En 1936, un autre ou­vra­ge suscite le débat : The Coming American Fascism. Ce livre con­state l’échec du New Deal, à cause d’une planification déficiente. Il constate également le succès des fascismes italien et allemand qui, dit Dennis, tirent les bonnes con­clusions des théories de Keynes. Le fascisme s’oppose au communisme car il n’est pas égalitaire et le non-égalitarisme favorise les bons techniciens et les bons gestionnaires (les « directeurs », dira Burnham).

 

Il y a une différence entre le « fas­cis­me » (planiste) tel que le définit Den­nis et le « fascisme » roose­vel­tien que dénoncent Beard, Villard, Flynn, etc. Ce césaris­me/fas­­cisme roo­seveltien se dé­ploie au nom de l’anti-fascisme et agresse les fascismes européens.

 

En 1940, un troisième ouvrage de Dennis fait la une : The Dynamics of War and Revolution. Dans cet ouvrage, Dennis prévoit la guerre, qui sera une « guerre réactionnaire ». Dennis reprend la distinction des Corradini, Sombart, Haushofer et Niekisch, entre « nations prolétariennes » et « nations capita­listes » (haves/havenots). La guer­re, écrit Dennis, est la réaction des nations capitalistes. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, nations ca­pi­talistes, s’opposeront à l’Alle­magne, l’Italie et l’URSS, nations prolétariennes (le Pacte germano-soviétique est encore en vigueur et Dennis ignore encore qu’il sera dissous en juin 1941). Mais The Dynamics of War and Revolution constitue surtout une autopsie du monde capitaliste américain et occi­dental. La logique capitaliste, explique Dennis, est expansive, elle cherche à s’étendre et, si elle n’a pas ou plus la possibilité de s’é­ten­dre, elle s’étiole et meurt. D’où le capitalisme cherche constamment des marchés, mais cette recherche ne peut pas être éternelle, la Terre n’étant pas extensible à l’infini. Le capitalisme n’est possible que lors­qu’il y a expansion territoriale. De là, naît la logique de la « frontière ». Le territoire s’agrandit et la population augmente. Les courbes de profit peuvent s’accroître, vu la né­ces­sité d’investir pour occuper ou coloniser ces territoires, de les équiper, de leur donner une infrastructure, et la nécessité de nourrir une population en phase d’explo­sion démographique. Historiquement parlant, cette expansion a eu lieu entre 1600 et 1900 : les peuples blancs d’Europe et d’Amérique avaient une frontière, un but à at­teindre, des territoires à défricher et à organiser. En 1600, l’Europe in­vestit le Nouveau Mon­de ; de 1800 à 1900, les Etats-Unis ont leur Ouest ; l’Europe s’étend en Afrique.

 

L’ère capitaliste est terminée

 

Conclusion de Dennis : l’ère capitaliste est terminée. Il n’y aura plus de guerres faciles possibles, plus d’injection de conjoncture par des expéditions coloniales dotées de faibles moyens, peu coûteuses en matières d’investissements, mais rapportant énormément de dividendes. Cette impossibilité de nouvelles expansions territoriales explique la stagnation et la dépression. Dès lors, quatre possibilités s’offrent aux gouvernants :

1.        Accepter passivement la sta­gnation ;

2.        Opter pour le mode communis­te, c’est-à-dire pour la dicta­ture des intellectuels bourgeois qui n’ont plus pu accé­der au capitalisme ;

3.        Créer un régime directorial, corporatiste et collectiviste, sans supprimer l’initiative pri­vée et où la fonction de con­trôle politique-étatique con­siste à donner des directives efficaces ;

4.        Faire la guerre à grande é­chelle, à titre de palliatif.

 

Dennis est favorable à la troisième solution et craint la quatrième (pour laquelle opte Roosevelt). Dennis s’oppose à la seconde guerre mon­diale, tant dans le Pacifique que sur le théâtre européen. Plus tard, il s’opposera aux guerres de Corée et du Vietnam, injections de con­jonc­ture semblables, visant à dé­truire des matériels pour pouvoir en reconstruire ou pour amasser des dividendes, sur lesquels on spéculera et que l’on n’investira pas. Pour avoir pris de telles positions, Dennis sera injurié bassement par la presse du système de 1945 à 1955, mais il continue imperturbablement à affiner ses thèses. Il commence par réfuter l’idée de « péché » dans la pratique politique internationale : pour Dennis, il n’y a pas de « péché fasciste » ou de « péché communiste ». L’obsession américaine de pratiquer des politiques de « portes ouvertes » (open doors policy) est un euphémisme pour désigner le plus implacable des impérialismes. La guerre froide implique des risques énormes pour le monde en­tier. La guerre du Vietnam, son en­lisement et son échec, montrent l’inutilité de la quatrième solution. Par cette analyse, Dennis a un impact incontestable sur la pensée contestatrice de gauche et sur la gauche populiste, en dépit de son étiquette de « fasciste ».

 

En 1969, dans Operational Thinking for Survival, Dennis offre à ses lecteurs sa somme finale. Elle con­siste en une critique radicale de l’A­merican Way of Life.

 

Conclusion

 

Nous avons évoqué cinq figures d’opposants américains à Roosevelt. Leurs arguments sont similaires, en dépit de leurs diverses provenances idéologiques et politiques. Nous aurions pu comparer leurs positions à celles de dissidents américains plus connus en Europe comme Lindbergh ou Ezra Pound, ou moins connus comme Hamilton Fish. Nous aurions pu également analyser les travaux de Hoggan, historien contemporain non conformiste, soulignant les res­ponsabilités britanniques et américaines dans le deuxième conflit mon­dial et exposant minutieux des positions de Robert LaFollette. En­fin, nous aurions pu analyser plus en profondeur l’a­venture politique de cet homme politique populiste des années 20, leader des « pro­gres­sistes ». Leur point commun à tous : la volonté de maintenir une ligne isolationniste, de ne pas inter­venir hors du Nouveau Monde, de maximiser le dé­veloppement du territoire des Etats-Unis. 80% de la population les a suivis. Les intellectuels étaient partagés.

 

L’aventure de ces hommes nous montre la puissance de la manipulation médiatique, capable de re­tour­ner  rapidement l’opinion de 80% de la population américaine et de les entraîner dans une guerre qui ne les concernait nullement. Elle démontre aussi l’impact des principes autarciques, devant con­duire à une juxtaposition dans la paix de grands espaces autonomi­sés et auto-suffisants. En Europe, ce type de débat est délibérément ignoré en dépit de son ampleur et de sa profondeur, l’aventure intellectuelle et politique de ces Américains non conformistes est désormais inconnue et reste inexplorée.

 

Une étude de cette problématique interdit toute approche manichéen­ne. On constate que dans la gauche américaine (comme dans une certaine droite, celle de Taft, p. ex.), l’hostilité à la guerre contre Hitler et le Japon implique, par une logique implacable et constante, l’hostilité ultérieure à la guerre con­tre Staline, l’URSS, la Corée du Nord ou le Vietnam d’Ho Chi Minh. Dans l’espace linguistique francophone, il semble que les non-con­formismes (de droite comme de gau­che) n’aient jamais tenu compte de l’opposition intérieure à Roosevelt, dont la logique est d’une clarté et d’une limpidité admirables. Navrante myopie politique…

 

Robert STEUCKERS.

(Conférence prononcée à Ixelles à la Tribune de l’EROE en 1986, sous le patronage de Jean E. van der Taelen ; texte non publié jusqu’ici).