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samedi, 05 novembre 2016

La démocratie vacille

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La démocratie vacille

Caïn Marchenoir
Ex: http://www.lesobservateurs.ch

Lorsqu’un individu reçoit une part de pouvoir lui permettant d’imposer ses vues à autrui, le risque existe qu’il en veuille de plus en plus. Plus il cumule de pouvoirs, plus la probabilité que ceux-ci soient pris sur les libertés de ceux qu’il doit théoriquement aider à évoluer dans l’harmonie est grande. Cette volonté de puissance, si elle dépasse certaines limites, peut tendre vers la dictature, la tyrannie ou même le totalitarisme. Elle peut conduire jusqu’à la suppression pure et simple de la liberté d’exister de certains groupes dans le cas des génocides. L’histoire regorge de cas où, pour satisfaire leur envie de pouvoir, des dirigeants s’en sont pris aux peuples qu’ils devaient servir.

L’idée de la démocratie est apparue, je pense, dès lors que les êtres humains ont compris qu’on ne peut déléguer à autrui le pouvoir de gouverner sans qu’il ne soit tenter d’augmenter massivement ce pouvoir au détriment d’autrui. Il s’agit donc d’une parade pour se prémunir des tentations du pouvoir. Sa finalité ne consiste pas tant à permettre à la majorité de gouverner que de protéger les peuples des excès de ceux qui possèdent le pouvoir.

La démocratie, une question de limites

Chaque démocratie a ainsi développé son propre arsenal d’outils permettant de limiter le pouvoir consenti à ceux qui prennent en main le destin de la communauté.  Afin d’éviter des dérapages durables, elles ont mis sur pied le principe de périodicité des élections. Une personne n’est élue que pour un certain temps et si elle ne correspond pas aux attentes de la population, qu’elle cherche à acquérir trop de pouvoir, alors elle peut être sanctionnée d’un non-renouvellement du mandat. Cette crainte de voir une tyrannie se prolonger dans le temps est si présente qu’un deuxième mécanisme, à savoir celui de la limitation du nombre de mandats consécutifs que peut exercer un individu, s’est développé dans de nombreux pays.

Un deuxième resserrement des possibilités des dirigeants s’est effectué au sujet du type des pouvoirs qu’ils peuvent exercer. On a pris soin de ne plus laisser dans les mêmes mains le législatif, l’exécutif et le judiciaire. Comme d’ailleurs le temporel et le spirituel.

Les textes fondamentaux tels que les constitutions ou la déclaration des droits de l’homme ont quant à eux pour rôle de délimiter clairement les rapports entre les individus et le pouvoir, de protéger une sphère de liberté autour des premiers et de borner les possibilités du second à leur égard. Dans le cas de la Suisse, cette délimitation s’est même doublée d’une capacité offerte à la population d’altérer les décisions et silences de l’autorité ne lui semblant pas convenables par le biais des référendums et initiatives.

La zone physique sur laquelle le pouvoir a le droit de s’exercer est elle aussi définie. Les frontières ont la tâche de permettre aux diverses communautés démocratiques d’établir clairement la limite territoriale qu’elles assignent à leur pouvoir tout comme à celui des pouvoirs voisins. Dans un ordre d’idée similaire, l’intérieur du territoire de notre pays est lui aussi divisé et scindé en échelons communaux, cantonaux et fédéraux.

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La leçon des totalitarismes

Promouvoir une culture démocratique consiste donc à se protéger des dérives des régnants en restreignant au maximum l’exercice de leurs prérogatives et fixant un espace de liberté dans lequel chacun doit être au maximum préserver de leur intrusion.

Bien entendu, les régnants ne voient pas toujours d’un bon œil les bornes qui leur sont imposées. Surtout si leur soif de pouvoir est grande.  Ils peuvent donc tenter de repousser les limites. Cela peut être conscient comme inconscient. Les pires de tous ont même réussi à s’affranchir d’à peu près toutes les restrictions. Ils sont à l’origine des régimes totalitaires dont la spécificité a été justement de ne plus laisser une bribe de libertés aux individus.

Comme la force ne suffit pas et que les hommes n’admettent que difficilement de se soumettre corps et âme à autrui, il leur a fallu ruser. Ils y sont arrivés par le biais d’une astuce, à savoir camoufler leur irrépressible envie de domination derrière la promotion d’idéaux, la défense de grandes valeurs. Ce n’est qu’à cette condition-là qu’il leur fut possible de convaincre leur peuple de baisser plus ou moins totalement la garde. Les soviétiques ont mis des foules entières à leurs pieds en se servant d’un prétexte égalitaire alors que les nazis, eux, se sont appuyé sur la défense de valeurs plus traditionnelles. L’inadéquation totale des règnes des uns comme des autres avec ce qu’ils prônaient doit nous servir de leçon et nous faire comprendre que la défense de grands principes peut n’être que poudre aux yeux en vue d’acquérir un pouvoir plus grand.

Cet apprentissage est d’autant plus impératif que nous vivons une curieuse et inquiétante période dans laquelle les gardes fous mis sur pied par les authentiques démocrates sont mis à rude épreuve.  Il n’est point ici question de la Syrie ou d’une autre terre lointaine mais bien de notre chère Helvétie. Tout comme de nos proches voisins. En y regardant de plus près, sans se laisser berner par le discours sur les valeurs, un constat s’impose : les protections mises sur pied pour protéger les faibles des puissants reculent. Et cet effacement se fait bien souvent sous couvert de défendre des valeurs supérieures.

Une séparation des pouvoirs qui commence à devenir floue

S’il ne semble pas y avoir actuellement d’assaut mené contre la périodicité des élections, en revanche on a pu voir dernièrement certaines individualités (Anne Catherine Lyon par exemple) tenter de s’opposer à la limitation des mandats auxquels ils avaient droit. Pour le moment, le principe semble toutefois tenir la route. Mais il n’est pas certain que cela dure éternellement.

La séparation des pouvoirs est un des principes clés de la démocratie. Pourtant, les frontières entre les uns et les autres ne sont pas toujours aussi nettes que l’on pourrait croire. Et cette distinction a même tendance à devenir de plus en plus incertaine. La croissance de l’administration fédérale a engendré une situation dans laquelle son poids est de plus en plus important en matière d’impulsions législatives. Toujours plus nombreuses sont les lois proposées par l’exécutif et ses services. Une prérogative qui devrait pourtant plus ressortir du domaine du législatif. Mais ceci reste encore dans des limites acceptables.

Plus contestable est la situation au niveau européen. On ne le dit pas assez, mais la Commission Européenne, sorte d’exécutif continental, est titulaire d’un monopole en matière d’initiative législative. Ce qui signifie que le parlement européen ne propose aucune loi. Il peut s’opposer, voir amender les différents textes, mais la seule instance capable de créer des lois est l’exécutif. La séparation de ces deux pouvoirs n’existe donc pas au niveau européen. Et, par ricochet, comme les accords entre la Suisse et l’Union européenne sont de plus en plus contraignants et nombreux, notre parlement se voit dans l’obligation d’avaliser toute une série de décisions ne provenant plus de notre pôle législatif mais bien d’un exécutif hors sol !

Les textes fondamentaux vacillent et sont retournés contre ceux qu’ils doivent protéger !

Plus nette encore est l’évolution des textes fondamentaux ces dernières années. Initialement des garde-fous pour empêcher le pouvoir d’abuser de ses prérogatives, ils sont aujourd’hui utilisés pour mettre au pas les peuples récalcitrants ! Grâce au prétexte-étendard de la lutte contre les diverses discriminations, les droits de l’homme sont instrumentalisés pour mener la chasse à ceux qui s’opposent à certaines évolutions sociétales contestables voulue par le pouvoir. Et ce alors que leur rôle initial consiste, au contraire, à protéger ces mêmes individus des incursions du pouvoir dans leur sphère de liberté (d’expression notamment).

Notre constitution nationale est également sévèrement bafouée. Ses dernières évolutions (datant du 9 février 2014) ne sont tout simplement pas respectées. Certains vont jusqu’à vouloir la mettre en conformité avec ce que décident parlement et gouvernement (bilatérales notamment) ! Dans n’importe quel état de droit, c’est l’inverse qui prévaut : ce sont les lois qui doivent être en conformité avec la loi fondamentale et pas le contraire ! Entre de vulgaires accords commerciaux et un texte fondamental, aucun réel démocrate ne tergiverse ! Mais nous, nous en sommes à un point où le gouvernement se permet même de signer de nouveaux accords internationaux (traité de libre circulation avec la Croatie) alors qu’ils sont interdits par la constitution.

schtrouph.jpgCertains (par exemple, Robert Cramer) tentent de justifier cela en prétextant que nous vivons une situation un peu particulière et que c’est dans l’urgence que le pouvoir doit agir en attendant de pouvoir modifier la constitution (RASA et son/ses éventuel(s) contre-projet(s)). Pour ceux qui préfèrent que les choses soient dites concrètement, cela signifie que nous vivons un moment dans lequel une partie de la constitution est suspendue, que nos autorités disposent d’une situation de plein pouvoirs en la matière. Cela porte un nom : « dictature » même si personne n’ose le dire clairement.

Cette opposition radicale à la constitution constitue également une réduction massive du pouvoir imparti à la population de s’opposer aux (non) décisions du pouvoir et signifie que peu importe ce que celle-ci désire, le pouvoir décide en définitive. Cette tendance va s’accentuant ces dernières années puisque des propositions concrètes de réduction du droit d’initiative populaire sont apparue dans la sphère publique. Soit en augmentant le niveau d’exigences à remplir soit par un contrôle préalable de leur applicabilité par les instances de pouvoir. Ici aussi, les droits de l’homme sont brandis pour faire taire les populations qui ne veulent pas du modèle que leur propose le pouvoir. Et ce alors que, répétons-le, les droits fondamentaux sont en principe une protection pour les populations contre l’arbitraire des régnants !

Les bornes physiques

Les bornes physiques ne sont pas non plus épargnées. Tant au niveau communal qu’au niveau cantonal, une tendance à la fusion a fait son apparition. Et qui dit fusion dit 1) augmentation du pouvoir de ceux qui dirigent la nouvelle entité 2) diminution de la multiplicité des pouvoirs. Le plus étrange dans tout cela est vraisemblablement l’argument selon lequel il faut agir ainsi parce que le monde se complexifie. Or, en faisant de la sorte, la complexité de la situation à gérer augmente encore plus. Tout raisonnement sain voudrait, au contraire, que si complexification il y a, alors une simplification de la quantité des affaires à gérer par un même pouvoir s’impose !

L’effacement des frontières avance encore plus nettement. Ceux qui ne se satisfont pas de leur pouvoir martèlent un discours agressif basé sur des valeurs d’ouverture et autre tolérance afin de camoufler leurs réelles intentions. Etre réaliste à ce propos consiste à passer outre ce qui est dit et constater que ce décloisonnement induit une augmentation massive de la zone (du Portugal jusqu'au fin fond de la Grèce) où s’exerce un pouvoir unique. Lorsque la Suisse accepte de céder ses prérogatives en matière de gestion migratoire ou des frontières, c’est l’étendue du pouvoir de l’UE qu’elle augmente. Un pouvoir de plus en plus absolu, de moins en moins borné. Dans le même temps, c’est le nombre d’individus soumis à sa propre influence que le pouvoir suisse accroit. Avec les ressources qui vont avec. Il s’agit donc d’un échange Win Win entre deux entités en recherche d’un pouvoir plus grand. Cela l’est d’autant plus que le séant de nos dirigeants semble irrésistiblement attiré par la douceur des fauteuils bruxellois.

Un petit mot sur l’islam

Ce rapide et inquiétant tour d’horizon de la situation de la démocratie suisse ne serait pas complet sans dire quelques mots au sujet de l’islam. Il s’agit là d’une religion dont la philosophie est totalement inverse à celle de la démocratie ici même décrite. L’islam a pour ambition de réunir la planète entière sous sa bannière. Un étendard qui n’admet aucune distinction entre pouvoir spirituel et temporel. De manière générale, il n’y a point de limitation démocratique à avoir pour les disciples d’Allah puisque le Coran a pour ambition de régler l’ensemble de nos existences.

Dès lors que cette grille d’analyse est adoptée, l’islamophilie radicale de nos dirigeants s’éclaire et devient limpide.  L’islam est l’allié idéal de quiconque cherche un pouvoir absolu et sans aucune limite puisque son ADN est de la même nature. A la nuance près qu’au final il ne pourra rester qu’un dominant : l’islam ou nos zélites. Celles-ci sont si prétentieuses et imbues d’elles-mêmes qu’elles ne voient pas ce qui se profile à l’horizon…

Pour lesObservateurs.ch, Cain Marchenoir, le 3 novembre 2016

L'idée choc étudiée en Islande: et si on retirait aux banques la capacité de créer de la monnaie?

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L'idée choc étudiée en Islande: et si on retirait aux banques la capacité de créer de la monnaie?

Auteur : Romaric Godin

Ex: http://zejournal.mobi

Un rapport parlementaire islandais suggère de donner à la seule banque centrale le monopole de la création monétaire. Une vraie révolution, si l'idée était appliquée...

Décidément, l'Islande est le pays de la créativité financière. Après avoir montré, en 2009, qu'il existait bien une alternative au transfert de la dette bancaire vers la dette publique, l'île nordique pourrait s'apprêter à réaliser une grande expérience monétaire.

Le 31 mars dernier, en effet, le président du comité des affaires économiques de l'Althingi, le parlement islandais, Frosti Sigurdjonsson, a remis un rapport au premier ministre, Sigmundur Gunnlaugsson, sur la réforme du système monétaire islandais. Et c'est une véritable révolution qu'il propose.

L'absence de maîtrise de la banque centrale sur le système monétaire

Le rapport cherche en effet à réduire le risque de bulles et de crises dans le pays. En 2009, l'Islande a connu une crise très aiguë qui a fait suite à une explosion du crédit alimenté par un système bancaire devenu beaucoup trop généreux dans ses prêts et beaucoup trop inconscient dans sa gestion des risques.

Ni l'Etat, ni la Banque centrale islandaise (Sedlabanki) n'ont pu stopper cette frénésie. « Entre 2003 et 2006, rappelle Frosti Sigurdjonsson, la Sedlabanki a relevé son taux d'intérêt et mis en garde contre une surchauffe, ce qui n'a pas empêché les banques d'accroître encore la masse monétaire ».

Comment fonctionne le système actuel

Dans le système actuel, ce sont en effet les banques commerciales qui créent l'essentiel de la masse monétaire, en accordant des prêts à discrétion. La banque centrale ne peut que tenter de décourager ou d'encourager, par le mouvement des taux ou par des mesures non conventionnelles, cette création. Mais la transmission de la politique monétaire aux banques n'est jamais une garantie.

Malgré la hausse des taux de la Sedlabanki, la confiance et l'euphorie qui régnait en Islande au début des années 2000 a soutenu le processus de création monétaire. Lorsque la demande existe, rien ne peut empêcher les banques de prêter. Lorsqu'elle disparaît, rien ne peut les contraindre à le faire. Et souvent, ces mouvements sont excessifs, ce qui créé des déséquilibres, puis des corrections par des crises où l'Etat doit souvent venir au secours des banques. Et lorsqu'il faut faire repartir l'activité, les banques centrales ont souvent des difficultés à être entendue.

Le cas de la zone euro en est une preuve. Il a fallu que la BCE use de moyens immenses, l'annonce d'un QE de 1.140 milliards d'euros, pour que le crédit commence à se redresser dans la zone euro et encore, de façon fort limitée pour l'instant.

Une idée ancienne

D'où cette idée centrale du rapport de Frosti Sigurdjonsson : ôter aux banques le pouvoir de création monétaire. Comme le souligne l'ancien président de l'autorité financière britannique, Aldair Turner, qui préface le rapport, « la création monétaire est une matière trop importante pour être laissée aux banquiers ».

Cette idée n'est, en réalité, pas neuve. Après la crise de 1929, des économistes étatsuniens avaient proposé en 1933 le « plan de Chicago » qui proposait d'abolir la capacité des banques à créer par elle-même de la monnaie. Il avait eu un grand succès, mais pas de traduction concrète véritable.

En 1939, l'économiste Irving Fischer, un de ceux qui avaient examiné de plus près la crise de 1929, avait proposé de transférer le monopole de la création monétaire à la banque centrale. James Tobin, Milton Friedman et d'autres ont également réfléchi sur ce sujet. Mais la proposition islandaise, que Frosti Sigurdjonsson présente comme « une base de discussion » pour le pays, est la première proposition de passage à un autre système qu'il appelle le « système monétaire souverain ».

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Décider de la création monétaire dans l'intérêt de l'économie

Quel est-il ? Le rapport indique que l'Islande « étant un Etat souverain avec une monnaie indépendante est libre de réformer son système monétaire actuel, qui est instable et de mettre en place un système monétaire de meilleure qualité ». Dans ce système, seule la Banque centrale aura le monopole de la création monétaire, aucune couronne ne pourra circuler si elle n'a pas été émise par la Sedlabanki à l'origine.

Cette dernière pourra donc faire évoluer la masse monétaire en fonction de ses objectifs « dans l'intérêt de l'économie et de toute la société ». Frosti Sigurdjonsson propose qu'un « comité indépendant du gouvernement prenne des décisions sur la politique monétaire de façon transparente ».

La Banque centrale créera de la monnaie en accordant des prêts aux banques commerciales pour qu'elles prêtent ensuite des sommes équivalentes aux entreprises et aux particuliers, mais aussi en finançant des augmentations de dépenses publiques ou des exemptions d'impôts, ou encore par le rachat de dettes publiques. Pour empêcher la création monétaire par le système bancaire, deux types de comptes auprès de la banque centrale seront créés.

Comptes de transactions et d'investissements

Les premiers seront les « comptes de transactions ». Ces comptes représenteront les dépôts des particuliers et des entreprises. Les banques commerciales administreront ces comptes, mais ne pourront pas en modifier les montants. L'argent déposé sur ses comptes ne rapportera pas d'intérêt, mais sera garantie en totalité par la banque centrale.

Un deuxième type de comptes, les « comptes d'investissements », sera créé en parallèle. Les agents économiques pourront transférer des fonds des comptes de transaction vers les comptes d'investissements. L'argent placé sur ses comptes seront investis par les banques et seront bloqués durant une période déterminée.

Les banques pourront alors proposer à ceux qui placent leur argent dans ces fonds différents types de produits, notamment des produits risqués à haut rendement. Il s'agit concrètement de séparer autant qu'il est possible l'argent du crédit. Le risque lié au crédit ne disparaît pas, mais il est limité par l'obligation de ne prêter que l'argent déposé sur ces comptes d'investissements.

Plus de Bank Runs

Pour Frosti Sigurdjonsson, ce système permettra une gestion plus réaliste de la masse monétaire non plus dans l'intérêt des agents privés, mais dans celui de la collectivité. La garantie sur les dépôts permettra d'éviter une course aux guichets (Bank Run), sans réduire, du reste, la responsabilité de ceux qui auraient investi dans des produits à risque.

Avec ce système, une séparation bancaire entre banque d'investissement et banque de dépôts n'est pas nécessaire, puisque l'activité de banque de dépôts sera garantie par la banque centrale. Du reste, la garantie implicite de l'Etat dont bénéficient les grandes banques disparaîtra d'elle-même.

armoiries_ISLANDE (2).gifGérer la transition

Pour la transition, Frosti Sigurdjonsson propose de transférer les dépôts détenus dans les banques commerciales vers les comptes de transaction. Ce transfert se fera par l'émission d'une créance sur les banques qui sera détenue par la Sedlabanki et qui sera payée sur plusieurs années par les banques.

Ce « passif de conversion » s'élèverait à 450 milliards de couronnes islandaises, soit 3,05 milliards d'euros. Cet argent issu des banques commerciales sera donc progressivement remplacé par de l'argent issue de la banque centrale. Dans cette phase de transition, les sommes versées par les banques pourraient servir soit à réduire la dette publique, soit à réduire, si besoin, la masse monétaire, par l'annulation d'une partie des fonds versés.

Les problèmes posés

Cette proposition ne règlera certes pas tous les problèmes. Certes, les prêts seront sans doute moins importants et la croissance de l'économie sans doute moins forte. Mais le projet est d'avoir une économie plus stable et, sur le long terme, tout aussi performante. Plutôt que de voir l'économie croître de 5 % par an, puis de corriger de 3 % ; on pourrait avoir une croissance stable de 2 % par an sans à-coup...

L'indépendance du comité de la Banque centrale sera très hypothétique, car l'Etat sera une courroie naturelle de la création monétaire et un risque d'excès n'est pas, ici, à exclure, même si l'Etat peut aussi bien prétendre représenter l'intérêt général que ce comité indépendant.

Mais une ambiguïté peut ici être problématique. Les liens avec les autres systèmes monétaires classiques pour une petite économie comme l'Islande sont encore à explorer. Matthew Klein, dans le Financial Times, a souligné également que ce nouveau système ne réduit pas le risque de financement d'investissements à long terme par des investissements à court terme qui avait été à l'origine de la crise de 2007-2008.

Enfin, il ne s'agit là que d'une proposition. Le premier ministre a bien accueilli le rapport. Mais ira-t-il jusqu'à lancer un tel chambardement de grand ampleur ? Les Islandais seront-ils prêts à franchir le pas ? La discussion est, du moins, lancée.

Lire (en anglais) le rapport du parlement islandais ici.


- Source : La Tribune

vendredi, 04 novembre 2016

Soft power, hard power et smart power: le pouvoir selon Joseph Nye

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Soft power, hard power et smart power: le pouvoir selon Joseph Nye

Recension:
The Future of Power
Éditeur : PublicAffairs
320 pages / 12,97 € sur
 
Résumé : Avec ce nouvel ouvrage, l'internationaliste américain poursuit sa réflexion sur la notion du pouvoir étatique au XXIe siècle. Après avoir défini le soft et le smart power , comment Joseph Nye voit-il le futur du pouvoir ?
 
Ex: http://www.nonfiction.fr

Nye.jpgEn Relations Internationales, rien n'exprime mieux le succès d'une théorie que sa reprise par la sphère politique. Au XXIe siècle, seuls deux exemples ont atteint cet état : le choc des civilisations de Samuel Huntington et le soft power de Joseph Nye. Deux théories américaines, reprises par des administrations américaines. Deux théories qui, de même, ont d'abord été commentées dans les cercles internationalistes, avant de s'ouvrir aux sphères politiques et médiatiques.

Le soft power comme réponse au déclinisme

Joseph Nye, sous-secrétaire d'Etat sous l'administration Carter, puis secrétaire adjoint à la Défense sous celle de Bill Clinton, avance la notion de soft power dès 1990 dans son ouvrage Bound to Lead. Depuis, il ne cesse de l'affiner, en particulier en 2004 avec Soft Power: The Means to Success in World Politics. Initialement, le soft power, tel que pensé par Nye, est une réponse à l'historien britannique Paul Kennedy qui, en 1987, avance que le déclin américain est inéluctable . Pour Nye, la thèse de Kennedy est erronée ne serait-ce que pour une raison conceptuelle : le pouvoir, en cette fin du XXe siècle, a muté. Et il ne peut être analysé de la même manière aujourd'hui qu'en 1500, date choisie par Robert Kennedy comme point de départ de sa réflexion. En forçant le trait, on pourrait dire que l'Etat qui aligne le plus de divisions blindées ou de têtes nucléaires n'est pas forcément le plus puissant. Aucun déclin donc pour le penseur américain, mais plus simplement un changement de paradigme.

Ce basculement de la notion de puissance est rendu possible grâce au concept même de soft power. Le soft, par définition, s'oppose au hard, la force coercitive, militaire le plus généralement, mais aussi économique, qui comprend la détention de ressources naturelles. Le soft, lui, ne se mesure ni en « carottes » ni en « bâtons », pour reprendre une image chère à l'auteur. Stricto sensu, le soft power est la capacité d'un Etat à obtenir ce qu'il souhaite de la part d'un autre Etat sans que celui-ci n'en soit même conscient (« Co-opt people rather than coerce them » ).

Time to get smart ?

Face aux (très nombreuses) critiques, en particulier sur l'efficacité concrète du soft power, mais aussi sur son évaluation, Joseph Nye va faire le choix d'introduire un nouveau concept : le smart power. La puissance étatique ne peut être que soft ou que hard. Théoriquement, un Etat au soft power développé sans capacité de se défendre militairement au besoin ne peut être considéré comme puissant. Tout au plus influent, et encore dans des limites évidentes. A l'inverse, un Etat au hard power important pourra réussir des opérations militaires, éviter certains conflits ou imposer ses vues sur la scène internationales pour un temps, mais aura du mal à capitaliser politiquement sur ces « victoires ». L'idéal selon Nye ? Assez logiquement, un (savant) mélange de soft et de hard. Du pouvoir « intelligent » : le smart power.

Avec son dernier ouvrage, The Future of Power, Joseph Nye ne révolutionne pas sa réflexion sur le pouvoir. On pourrait même dire qu'il se contente de la récapituler et de se livrer à un (intéressant) exercice de prospective... Dans une première partie, il exprime longuement sa vision du pouvoir dans les relations internationales (chapitre 1) et s'attache ensuite à différencier pouvoir militaire (chapitre 2), économique (chapitre 3) et, bien sûr, soft power (chapitre 4). La seconde partie de l'ouvrage porte quant à elle sur le futur du pouvoir (chapitre 5), en particulier à l'aune du « cyber » (internet, cyber war et cyber attaques étatiques ou provenant de la société civile, etc.). Dans son 6e chapitre, Joseph Nye en revient, une fois encore, à la question, obsédante, du déclin américain. La littérature qu'il a déjà rédigée sur le sujet ne lui semblant sûrement pas suffisante, Joseph Nye reprend donc son bâton de pèlerin pour nous expliquer que non, décidément, les Etats-Unis sont loin d'être en déclin.

Vers la fin des hégémonies

Et il n'y va pas par quatre chemins : la fin de l'hégémonie américaine ne signifie en rien l'abrupte déclin de cette grande puissance qui s'affaisserait sous propre poids, voire même chuterait brutalement. La fin de l'hégémonie des Etats-Unis est tout simplement celle du principe hégémonique, même s'il reste mal défini. Il n'y aura plus de Rome, c'est un fait. Cette disparation de ce principe structurant des relations internationales est la conséquence de la revitalisation de la sphère internationale qui a fait émerger de nouveaux pôles de puissance concurrents des Etats-Unis. De puissants Etats commencent désormais à faire entendre leur voix sur la scène mondiale, à l'image du Brésil, du Nigeria ou encore de la Corée du sud, quand d'autres continuent leur marche forcée vers la puissance comme la Chine, le Japon et l'Inde. Malgré cette multipolarité, le statut prééminent des Etats-Unis n'est pas en danger. Pour Joseph Nye, un déclassement sur l'échiquier n'est même pas une possibilité envisageable et les différentes théories du déclin américain nous apprendraient davantage sur la psychologie collective que sur des faits tangibles à venir. « Un brin de pessimisme est simplement très américain » ) ose même ironiser l'auteur.

Même la Chine ne semble pas, selon lui, en mesure d'inquiéter réellement les Etats-Unis. L'Empire du milieu ne s'édifiera pas en puissance hégémonique, à l'instar des immenses empires des siècles passés. Selon lui, la raison principale en est la compétition asiatique interne, principalement avec le Japon. Ainsi, « une Asie unie n'est pas un challenger plausible pour détrôner les Etats-Unis » affirme-t-il ). Les intérêts chinois et japonais, s'ils se recoupent finalement entre les ennemis intimes, ne dépasseront pas les antagonismes historiques entre les deux pays et la Chine ne pourra projeter l'intégralité de sa puissance sur le Pacifique, laissant ainsi une marge de manœuvre aux Etats-Unis. Cette réflexion ne prend cependant pas en compte la dimension involontaire d'une union, par exemple culturelle à travers les cycles d'influence mis en place par la culture mondialisée . Enfin, la Chine devra composer avec d'autres puissances galopantes, telle l'Inde. Et tous ces facteurs ne permettront pas à la Chine, selon Joseph Nye, d'assurer une transition hégémonique à son profit. Elle défiera les Etats-Unis sur le Pacifique, mais ne pourra prétendre porter l'opposition sur la scène internationale.

De la stratégie de puissance au XXIe siècle

Si la fin des alternances hégémoniques, et tout simplement de l'hégémonie, devrait s'affirmer comme une constante nouvelle des relations internationales, le XXIe siècle ne modifiera pas complètement la donne en termes des ressources et formes de la puissance. La fin du XXe siècle a déjà montré la pluralité de ses formes, comme avec le développement considérable du soft power via la culture mondialisée, et les ressources, exceptées énergétiques, sont pour la plupart connues. Désormais, une grande puissance sera de plus en plus définie comme telle par la bonne utilisation, et non la simple possession, de ses ressources et vecteurs d'influence. En effet, « trop de puissance, en termes de ressources, peut être une malédiction plus qu'un bénéfice, si cela mène à une confiance excessive et des stratégies inappropriées de conversion de la puissance » ).

softpoweer14DUBNWQEL.jpgDe là naît la nécessité pour les Etats, et principalement les Etats-Unis, de définir une véritable stratégie de puissance, de smart power. En effet, un Etat ne doit pas faire le choix d'une puissance, mais celui de la puissance dans sa globalité, sous tous ses aspects et englobant l'intégralité de ses vecteurs. Ce choix de maîtriser sa puissance n'exclue pas le recours aux autres nations. L'heure est à la coopération, voire à la copétition, et non plus au raid solitaire sur la sphère internationale. Même les Etats-Unis ne pourront plus projeter pleinement leur puissance sans maîtriser les organisations internationales et régionales, ni même sans recourir aux alliances bilatérales ou multilatérales. Ils sont voués à montrer l'exemple en assurant l'articulation politique de la multipolarité. Pour ce faire, les Etats-Unis devront aller de l'avant en conservant une cohésion nationale, malgré les déboires de la guerre en Irak, et en améliorant le niveau de vie de leur population, notamment par la réduction de la mortalité infantile. Cohésion et niveau de vie sont respectivement vus par l'auteur comme les garants d'un hard et d'un soft power durables. A contrario, l'immigration, décriée par différents observateurs comme une faiblesse américaine, serait une chance pour l'auteur car elle est permettrait à la fois une mixité culturelle et la propagation de l'american dream auprès des populations démunies du monde entier.

En face, la Chine, malgré sa forte population, n'a pas la chance d'avoir de multiples cultures qui s'influencent les unes les autres pour soutenir son influence culturelle. Le soft power américain, lui, a une capacité de renouvellement inhérente à l'immigration de populations, tout en s'appuyant sur « [des] valeurs [qui] sont une part intrinsèque de la politique étrangère américaine »(« values are an intrinsic part of American foreign policy » (p.218))). Ces valeurs serviront notamment à convaincre les « Musulmans mondialisés »  de se ranger du côté de la démocratie, plutôt que d'Etats islamistes. De même, malgré les crises économiques et les ralentissements, l'économie américaine, si elle ne sert pas de modèle, devra rester stable au niveau de sa production, de l'essor de l'esprit d'entreprise et surtout améliorer la redistribution des richesses sur le territoire. Ces enjeux amèneront « les Etats-Unis [à]redécouvrir comment être une puissance intelligente » ).

Le futur du pouvoir selon Joseph Nye

L'ouvrage de Joseph Nye, s'il apporte des éléments nouveaux dans la définition contemporaine de la puissance, permet également d'entrevoir le point de vue d'un Américain - et pas n'importe lequel... - sur le futur des relations internationales. L'auteur a conscience que « le XXIe siècle débute avec une distribution très inégale [et bien évidemment favorable aux Etats-Unis] des ressources de la puissance » ). Pour autant, il se montre critique envers la volonté permanente de contrôle du géant américain. Certes, les forces armées et l'économie restent une nécessité pour la projection du hard power, mais l'époque est à l'influence. Et cette influence, si elle est en partie culturelle, s'avère être aussi politique et multilatérale. Le soft power prend du temps dans sa mise-en-œuvre, notamment lorsqu'il touche aux valeurs politiques, telle la démocratie. Ce temps long est gage de réussite, pour Joseph Nye, à l'inverse des tentatives d'imposition par Georges Bush Junior, qui n'avait pas compris que « les nobles causes peuvent avoir de terribles conséquences » ).

Dans cette quête pour la démocratisation et le partage des valeurs américaines, la coopération interétatique jouera un rôle central. Pour lui, les Etats-Unis sont non seulement un acteur majeur, mais ont surtout une responsabilité directe dans le développement du monde. La puissance doit, en effet, permettre de lutter pour ses intérêts, tout en relevant les grands défis du XXIe siècle communs à tous, comme la gestion de l'Islam politique et la prévention des catastrophes économiques, sanitaires et écologiques. Les Etats-Unis vont ainsi demeurer le coeur du système international et, Joseph Nye d'ajouter, « penser la transition de puissance au XXIe siècle comme la conséquence d'un déclin des Etats-unis est inexact et trompeur [...] L'Amérique n'est pas en absolu déclin, et est vouée à rester plus puissant que n'importe quel autre Etat dans les décennies à venir » ).

Comment dès lors résumer le futur des relations internationales selon Joseph Nye ? Les Etats-Unis ne déclineront pas, la Chine ne les dépassera pas, des Etats s'affirmeront sur la scène mondiale et le XXIe siècle apportera son lot d'enjeux sans pour autant mettre à mal le statut central des Etats-Unis dans la coopération internationale. Dès lors, à en croire l'auteur, le futur de la puissance ne serait-il pas déjà derrière nous ?

 
Théo CORBUCCI, Pierre-William FREGONESE

Une histoire de la NSA par Claude Delesse

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Une histoire de la NSA par Claude Delesse

L’auteure qui enseignait à la BEM Management School Bordeaux, est une spécialiste des sciences de l’information et de la communication. Elle a déjà exploré le sujet en étudiant le système Echelon (1). Une histoire de la NSA des origines à nos jours comble un vide car il y a bien peu d’écrits en langue française. L’analyse, dense de la richesse de la documentation basée sur des sources ouvertes, occupe la majeure partie du livre, une autre étant consacrée aux notes et aux annexes.

nsa-delesse.jpgL’étude replace toujours l’action de l’agence dans le contexte historique tant international qu’étatsunien avec, en creux, une critique de la politique hégémonique des Etats-Unis. Comme elle l’avait fait dans son livre précédent avec Echelon (2) , l’auteure se penche sur les stratégies de domination technologique et informationnelle de la NSA et montre sans détour combien la maîtrise de l’information est un enjeu fondamental de suprématie pour des Etats-Unis de plus en plus concurrencés en tant que puissance mondiale. Et au XXIe siècle, l’enjeu est de garder la main dans le nouveau champ qu’est le cyberespace. La guerre globale contre le terrorisme au nom de la défense des valeurs démocratiques et de la sécurité des Etats-Unis n’est alors qu’un prétexte à maintenir un leadership mondial de plus en plus contesté. Détentrice du pouvoir de renseigner, la NSA constitue l’un des instruments de la puissance américaine et de la sauvegarde d’intérêts de plus en plus menacés.

L’analyse est méthodique et comprend quatre parties. La première rappelle quels furent les précurseurs de ce service de renseignement tourné vers les écoutes électromagnétiques. La NSA fut créée en 1952 afin d’intercepter, de collecter par les moyens clandestins et de déchiffrer les transmissions étrangères d’origine électromagnétique. La mission consiste à pénétrer le renseignement des signaux, le SigInt pour les Signals Intelligence mais aussi à protéger les communications et les systèmes de l’Etat indispensables à la sécurité des Etats-Unis (p 15). Cette entité gouvernementale relève du département de la Défense, elle apporte une aide à la décision aux dirigeants politiques, particulièrement au président des Etats-Unis et aux chefs militaires devenant une machine à produire du renseignement pour les trois armées et le corps des marines. Elle agit aussi pour l’ensemble de la communauté américaine du renseignement : CIA, FBI….ce qui n’empêche pas leur cloisonnement, leur manque de communication, leur compétition interne et leurs jeux d’influence. Elle est restée une puissance de l’ombre jusqu’aux révélations vite oubliées de deux anciens analystes, à la fin des années 1950 renouvelées par nombre de lanceurs d’alerte jusqu’à celles dévoilant le système Echelon à la fin des années 1990 et enfin celles d’Edouard Snowden, en 2013.

Dès sa création et durant toute la période de la guerre froide, elle alimente en informations le gouvernement sur les crises en cours, elle ne cesse de chercher à casser les systèmes cryptographiques soviétiques et à repérer d’autres menaces ce qui l’oblige à une course technologique permanente à la recherche de méthodes d’interception et de traitement des informations sophistiqués ainsi que d’équipements informatiques les plus performants. Etant un service secret, elle s’affranchit des règles internationales telles que le survol des espaces aériens. Elle est aussi à l’origine de manipulations et de contre-manipulations, d’information et de désinformation. La fin de la guerre froide provoque une mutation du renseignement au profit de l’intelligence économique qui est l’espionnage économique car les rapports des forces mondiaux et les enjeux ont changé.

La deuxième partie décortique le fonctionnement, l’organisation, le budget colossal et les ressources humaines de l’agence elles aussi en constante croissance. Son quartier général situé à Fort Meade dans le Maryland ressemble à une véritable ville : SigInt City ou Crypto City (p 103). Il est au cœur d’une gigantesque toile d’araignée avec des centres régionaux, des stations et des moyens mobiles d’interception mais surtout la coopération avec ses alliés. Bien que la NSA les espionne aussi ce qui est la règle dans le monde du renseignement, les Etats-Unis ont constitué plusieurs cercles d’alliances dont le premier est celui des Five Eyes issu de l’accord secret BRUSA de 1943 entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne étendu aux membres du Commenwealth (3) par l’accord UKUSA en 1946 qui fait des agences anglo-saxonnes les « Second Party Nations » (p 37, 171). Un cercle très fermé qui se répartit le renseignement SigInt en zones planétaires. Le fonctionnement implique des relations avec le Congrès qui a le droit de contrôler les activités de l’Exécutif considérées comme secrètes tout en ayant la responsabilité de protéger les secrets de la défense nationale quitte à limiter les pouvoirs de l’agence laquelle doit respecter les lois protégeant les libertés individuelle et la vie privée garanties par le 4e commandement de la Constitution. Son rôle est en réalité très ambiguë fait d’intransigeance et de connivence du fait du jeu des lobbies.

Enfin, afin que l’agence détienne la puissance de calcul et domine l’infosphère, elle est engagée dans une course technologique en mobilisant la communauté des chercheurs dans les domaines de pointe car le pôle RD de la NSA ambitionne de dominer les réseaux informatiques et de communication au niveau mondial et de transformer la surinformation en avantage stratégique (p 205). Pour y parvenir, elle noue des partenariats avec des laboratoires universitaires et cherche à attirer les meilleurs experts et les étudiants prometteurs.

La troisième partie porte sur les dérives et les paranoïas de l’agence. Pour cela, l’auteure revient sur les limites du renseignement électromagnétique tactique, les échecs puis les relations avec les partenaires industriels, les opérateurs télécoms et les fournisseurs d’accès à Internet très motivées par le patriotisme et l’appât du gain bien que, depuis les révélations d’Edouard Snowden, certains résistent. Sont dévoilés les mensonges, les manipulations et les infractions de la haute autorité de l’agence et enfin les compromissions des commissions parlementaires souvent présidées par de fidèles partisans de la NSA. Elle montre l’habillage pseudo-démocratique de la Présidence y compris du président Obama justifiant les transgressions de la Constitution et des libertés civiles au nom de la sécurité nationale. Elle s’appuie sur sa promesse faite en 2013 de réforme du US Patriot Act et d’un meilleur encadrement des activités de surveillance de la NSA par la loi US Freedom Act de 2015 qui n’apporte guère de changement. Et l’auteure de conclure à une violation délibérée des libertés et de la vie privée qui a fini par provoquer critiques et résistances des citoyens. Les médias soutenant les autorités ou défendant les libertés afin de préserver la démocratie menacée à l’ère numérique.

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La dernière partie est tournée vers les relations étrangères et les guerres secrètes actuelles menées dans le cyberespace. Hormis le pilier des Five Eyes, les Tier A avec lesquels l’agence partage des procédures communes, des données et des opérations militaires tout en imposant sa domination, elle calibre ses relations avec d’autres pays : le groupe Third Party. La collaboration est ponctuelle et ciblée lors de programmes spécifiques encadrés par des accords où chacun trouve un avantage. Sur la trentaine, une vingtaine constitue le Computer Network Operations. La NSA entretient des coopérations limitées avec des partenaires de troisième rang comme la France et Israël. Parmi les partenaires de la NSA, certains collaborant entre eux en fonction d’intérêts géographiques ou stratégiques comme les membres de l’OTAN qui discutent des questions SigInt au sein du NATO Advisory Committee on Special Intelligence :NACSI. Et depuis Londres, siège du SigInt seniors Europe : SSEUR, le groupe des Five Eyes s’est ouvert à des Européens dont la France au sein des 14-Eyes en vue d’une coalition contre-terroriste européenne en matière de renseignement électromagnétique militaire. Ce fut le cas pour l’Afghanistan. Il existe une coalition similaire pour l’Asie-Pacifique : les 10-Eyes.

Il reste un dernier niveau autour de coopérations exceptionnelles avec des pays plus ou moins hostiles aux intérêts américains et classés de « l’amical » au « neutre ». A l’heure de la guerre froide digitale, toute cette architecture est tournée contre les pays cibles : Chine, Russie, Iran, Venezuela, Syrie, Corée du nord. Les généralités posées, l’auteure détaille les ententes ambigües avec Israël et la France. A ce propos, l’étude aurait gagné à ajouter aux sources ouvertes un entretien avec le vice-amiral Arnaud Coustillière qui, à l’EMA, est l’OGCyber. Elle passe en revue un certain nombre de tensions comme celles liées à l’affaire Snowden et met l’accent sur les défis liés au cyberespace du point de vue de la gouvernance d’Internet qui pose la question de la souveraineté numérique. Le cœur du chapitre montre comment la NSA adapte son organisation en créant un US Cyber Command dans le seul but de gagner les guerres numériques futures afin de contrôler le cyberespace par la domination technologique et la maîtrise de l’information. Car depuis la création de la NSA, en 1952, son objectif n’a pas varié : espionner sans retenue afin de dominer, de répandre les valeurs américaines dans le monde tout en protégeant les intérêts américains.

  1. Echelon et le renseignement électronique américain, Editions Ouest-France, collection espionnage, 2012, 175 p.
  2. Il s’agit d’un système intégré de surveillance et d’espionnage planétaire des télécommunications, placé sous l’égide de la NSA, en collaboration avec les agences de renseignement électromagnétique des alliés du premier cercle UKUSA.
  3. Canada, Australie et Nouvelle-Zélande.
  • Claude Delesse, NSA, Tallandier, 2016.

Martine Cuttier

Der Dollar als Leitwährung - Ein unverschämtes Privileg

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Der Dollar als Leitwährung
Ein unverschämtes Privileg
 
von Thomas Fuster 
Ex: http://www.nzz.ch
 
Seit Jahrzehnten kommt dem Dollar die Rolle einer internationalen Leitwährung zu. Für die USA hat dies handfeste Vorteile. Ist ein Ende des Privilegs absehbar?

Dank der weltweiten Akzeptanz des Dollars können sich die USA zu günstigeren Konditionen verschulden.

Wer auch immer das Rennen um das Weisse Haus für sich entscheiden wird: Sie – oder er – wird sich von anderen Staatschefs zumindest in einem Punkt abheben können: Nur in den USA wacht der Präsident über ein Land, deren Heimwährung zugleich die internationale Leitwährung ist. Diese Besonderheit bringt Vorteile, die im Ausland oft für Irritationen und Verärgerung sorgen. Eher undiplomatisch formulierte diesen Unmut in den 1960er Jahren der damalige französische Finanzminister Valéry Giscard d'Estaing: Er attestierte Amerika ein «exorbitantes Privileg».

Grösste Flagge im Wind

Wie exorbitant ist dieses Privileg tatsächlich? Allein mit Statistiken lässt sich die Frage kaum beantworten. Denn eine Währung ist ein nationales Symbol, ähnlich einer Flagge. Und wenn eine einzelne Flagge auf weit grösserem Tuch im Wind flattert als alle anderen, nagt dies am Selbstbewusstsein der übrigen Fahnenträger. In Debatten zur Rolle des Dollars ist denn auch oft von Hegemonie oder monetärem Imperialismus die Rede. Es fallen Begriffe, die eher wenig mit Ökonomie zu tun haben. Dünnhäutig agieren dabei vor allem jene, die mit ihrer Währung ebenfalls ins Scheinwerferlicht drängen, etwa die Machthaber Chinas.

Kurz, der Neid auf den Dollar ist gross – und dessen Dominanz ebenso. Laut der Bank für Internationalen Zahlungsausgleich (BIZ) ist die amerikanische Währung an 88% aller Devisentransaktionen beteiligt. Für den Euro gilt dies nur bei 31%, und der chinesische Renminbi liegt mit 4% lediglich auf dem achten Platz der am häufigsten gehandelten Währungen. Auch bei den Devisenreserven ist die Sachlage klar: 63% aller beim Internationalen Währungsfonds gemeldeten Devisenreserven lauten auf Dollar, nur 20% auf Euro. Das globale Finanzsystem dreht sich vor allem um den Greenback.

Subventionierter Lebensstil

Für Amerikas Regierung hat diese Dominanz handfeste Vorzüge: Sie kann sich zu tieferen Zinssätzen verschulden, da ihre Schuldpapiere weltweit von Notenbanken zu Reservezwecken gehalten werden. Weil der Emittent der Leitwährung allein kraft seiner Grösse als sicher empfunden wird, tätigen auch andere Investoren einen Grossteil ihrer Anlagen im Dollar. Entsprechend liquid ist Amerikas Kapitalmarkt. Dies drückt die Renditen zusätzlich und erlaubt es den USA, zu günstigeren Kosten ein höheres Handelsbilanzdefizit finanzieren zu können als andere Staaten. Damit subventioniert das Ausland indirekt die Zwillingsdefizite (Handel und Haushalt) der USA und deren schuldenfinanzierten Lebensstil, so der oft artikulierte Groll ausserhalb Amerikas.

Doch subventioniert wird nicht nur der Staat. Gleiches gilt für Amerikas Unternehmen. Ihnen bleiben teure Absicherungsgeschäfte erspart, da ein Grossteil des Handels und die meisten Rohstoffe (etwa Erdöl) ohnehin in Dollar fakturiert werden. Währungsschwankungen spielen für sie daher eine weit geringere Rolle als für ausländische Konkurrenten, was einen Wettbewerbsvorteil begründet. Auch geht mit dem Privileg, im Herkunftsort der Leitwährung zu operieren, ein gewisser Versicherungsschutz gegen finanzielle Schocks einher: Selbst nach Krisen, die von den USA ausgehen – etwa der Kollaps von Lehman Brothers im Herbst 2008 – fliesst erfahrungsgemäss weiterhin viel Geld in den Dollar, da es den Investoren schlicht an ähnlich liquiden Alternativen mangelt.

Kein Ende absehbar

Nicht zu unterschätzen ist auch der pekuniäre Vorteil eines höheren Gewinns aus der Geldschöpfung (Seigniorage); gemeint ist damit die Differenz zwischen den Produktionskosten und dem Nennwert einer Geldeinheit. So kostet es die USA laut Fed derzeit nur 14,3 Cents, um eine 100-Dollar-Note zu drucken. Andere Länder müssen hingegen Güter oder Dienstleistungen im Wert von 100 Dollar anbieten, um einen solchen Geldschein zu erhalten. Da von einer Leitwährung naturgemäss auch im Ausland grosse Mengen zirkulieren, fällt dieser einmalige Gewinn entsprechend grösser aus. So schätzt das Fed, dass derzeit die Hälfte bis zwei Drittel aller im Umlauf sich befindlichen Dollar im Ausland gehalten werden.

Ist ein baldiges Ende des Dollar-Privilegs absehbar? Eher nicht. Zwar wird die Weltwirtschaft mit dem Aufstieg von Schwellenländern wie China oder Indien immer multipolarer – ein Trend, der anhalten dürfte. Dennoch sind keine Währungen erkennbar, die dem Dollar die Führungsposition in absehbarer Zukunft streitig machen könnten. Am ehesten in Frage kämen der Euro und Renminbi. Doch der amerikanische Ökonom Barry Eichengreen bringt in seinem Buch «Exorbitant Privilege» die Nachteile dieser zwei Rivalen in knappen Worten auf den Punkt: Der Euro ist eine Währung ohne Staat – und der Renminbi eine Währung mit zu viel Staat.

Bonus des Amtsinhabers

Was heisst das? Gerät der Euro-Raum in eine Krise, existiert keine handlungsfähige Regierung, die Gegensteuer geben kann. Das beschämende Hickhack nationaler Regierungen seit Ausbruch der Euro-Krise zeigt dies deutlich. Dem Vertrauen in Europas Einheitswährung war dies wenig förderlich. Chinas Regime hingegen beharrt auf einem Zuviel an Handlungskompetenz und pocht auf Kapitalverkehrskontrollen. Man tut sich schwer damit, den heimischen Finanzmarkt für ausländische Akteure vollständig zu öffnen. Die zwei zentralen Voraussetzungen für eine Leitwährung – Vertrauen in die Stabilität des Währungsraums und Existenz eines reifen Kapitalmarkts mit frei konvertierbarer Währung – erfüllen daher weder der Euro noch der Renminbi.

Wie bei politischen Wahlen kommt dem Dollar der Bonus des «Amtsinhabers» zugute. Es ist also für den Dollar bei der Verteidigung seines internationalen Führungsanspruchs von gewichtigem Vorteil, die Führung bereits beanspruchen zu können. Dies deshalb, weil es sich für Exporteure oder Anleger meist lohnt, dieselbe Währung zu nutzen wie andere Exporteure oder Anleger. Dieser Netzwerkeffekt, der den Status quo stärkt, ist vergleichbar mit dem Nebeneinander konkurrierender Computerprogramme. Wer sicher sein will, dass sein per Email verschicktes Dokument vom Empfänger problemlos gelesen werden kann, tut gut daran, das am Markt führende Programm zu benutzen. Nicht anders ist es mit dem Dollar – er bleibt die wichtigste Software der Weltwirtschaft.

 

Sylvain Tesson: Sur les chemins noirs

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Sylvain Tesson: Sur les chemins noirs

Ex: http://cerclenonconforme.hautetfort.com

Sylvain Tesson est géographe, aventurier et écrivain. Aucun de ces trois termes n'est usurpé pour le qualifier.

Géographe, Sylvain Tesson l'est par ses diplômes – un DEA de géographie – mais aussi, et peut-être surtout, par son regard sur le monde.

Aventurier, car il a fait un pas de côté pour se rendre dans les confins du monde : la Sibérie, les altitudes de l'Himalaya et bien d'autres territoires inaccessibles.

Ecrivain, avec une vingtaine d'ouvrages dont le dernier, Sur les chemins noirs, paru en 2016 chez Gallimard, que nous allons présenter.

Sylvain Tesson a perdu sa mère et aussi l'équilibre, se fracassant huit mètres plus bas du toit où il faisait le pitre. Les deux événements, tragiques, vont agir sur lui comme un révélateur. Perdre sa mère et une partie de ses facultés quand on est un cœur aventureux, voilà deux épreuves que l'on doit surmonter. Si le deuil est inévitable, les limites physiques, elles, peuvent être repoussées. C'est ainsi qu'à sa sortie de l'hôpital, Sylvain Tesson se décide à une aventure assez banale pour un aventurier du bout du monde : traverser la France du sud-est (aux alentours du Mercantour) vers le nord-ouest (la presqu'île du Cotentin, en Normandie).

tessoncouv.gifPendant deux mois et demi, du 24 août au 8 novembre, Sylvain Tesson va parcourir ce qu'il nomme les chemins noirs, d'après le titre du livre de René Frégni, Les chemins noirs. S'appuyant sur un très sérieux rapport traitant de « l'hyper-ruralité », il va bâtir sa route grâce aux précieuses cartes IGN au 1/25000e. Une façon au passage de nous rappeler que nos cartographes ont effectué de très notables progrès depuis la guerre de 1870... Il pourrait paraître étonnant que notre écrivain baroudeur ne se soit pas aventuré sur la route du sud-ouest au nord-est, la fameuse « diagonale du vide » aujourd'hui appelée « diagonale des faibles densités », mais il n'en est rien car son objectif est de rallier la Manche pour terminer son périple du haut des falaises surplombant l'horizon maritime.

Le regard de Sylvain Tesson sur la France est, fait rare chez lui, empli de nostalgie. Témoin impuissant d'une France rurale et enracinée qui disparaît sous les coups de boutoir de l'aménagement du territoire, de l'Union européenne et de la mondialisation, ce périple constitue un témoignage nécessaire autant que cynique. Agrémenté de nombreuses réflexions personnelles et de quelques développements que ne renieraient pas la géographie libertaire des éditions l'Echapée, puisant ses références dans un panel varié de philosophes et d'auteurs comme Xénophon, Jünger, Maurras, Braudel ou Vidal de la Blache, cheminer avec Sylvain Tesson est riche d'enseignement et ne peut laisser insensible le lecteur.

Bien qu'assez court, 142 pages, on ne sait pas dire en refermant le livre si on en voudrait plus ou pas. Peu de mots suffisent parfois à capturer une réalité complexe et Sylvain Tesson est passé maître dans l'art de faire fuser ses phrases comme des balles. Véritable géographe du sensible, il porte un regard acéré sur le monde, faisant sienne une philosophie qui puise dans la géographie. Celle de Tesson a une âme, elle n'est pas la discipline parfois rébarbative des bancs de l'école ou celle des Commissaires au plan, des gestionnaires ou des économistes.

A la lecture du livre, pour ceux qui en doutent on mesure que la France n'est pas juste un territoire qui doit être compétitif et que « l'hyper-ruralité » ce concept terrible, n'est pas une malédiction ? Les croyants en la religion du progrès peuvent-ils vraiment comprendre cela ? Comprennent-ils la France éternelle ? La lecture de Sylvain tesson sonnera sûrement comme une sentence : ceux qui refusent cette France des ZAC, des ZUP, des périph' et autres stigmates sont de la confrérie des chemins noirs.

« Certains hommes espéraient entrer dans l'Histoire. Nous étions quelques-uns à préferer disparaître dans la géographie. »

Un livre à lire et à offrir, pour que les chemins noirs de la littérature ramènent nos contemporains dans le réel. Une ode à la redécouverte de notre pays et au dépassement de soi. Un signe des temps.

Jean / C.N.C.

Note du C.N.C.: Toute reproduction éventuelle de ce contenu doit mentionner la source.

 

Laurent Obertone à Lille

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jeudi, 03 novembre 2016

Die Manipulation der Massenmedien

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Die Manipulation der Massenmedien

 

Eine Podiumsdiskussion mit Rico Albrecht, Daniele Ganser, Michael Friedrich Vogt, Wojna und Thomas Cassan: zum Thema "Manipulation der Massenmedien" in Lustenau.

Am 17.06.2016 waren Dr. Michael Friedrich Vogt, Dr. Daniele Ganser und Rico Albrecht Lustenau. Der fünfte Gast auf der Bühne ist Wojna von der "Bandbreite" http://www.diebandbreite.de/

Am Ende der Impulsvorträge gab es eine kurze, aber recht interessante Podiumsdiskussion zum Thema Manipulation der Massenmedien.

Diskutiert werden beispielsweise Feindbilder die die Mainstremmedien im kollektiven Bewußtsein erfolgreich installieren, die Mechanismen von Trennung und Spaltung, die Destabilisierung Europas mittels der Migrationswaffe und die Machtelite.

Die Podiumsdiskussion widmet sich aber auch den Lösungen zu, also konkreten Vorschlägen und Möglichkeiten was jeder einzelne tun kann.

Veranstalter war die Gruppe "Die Vorarlberger".

http://www.dievorarlberger.at/
"Die Vorarlberger - Verein zur Förderung der Bewusstseinsbildung"
Lachenmahd 17a
A-6850 Dornbirn
info@dievorarlberger.at
Telefon: +43 (0)660 78 22 377

Carl Schmitt is Right: Liberal Nations Have Open Borders Because They Have No Concept of the Political

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Carl Schmitt is Right:
Liberal Nations Have Open Borders Because They Have No Concept of the Political

Before World War II liberal rights were understood among Western states in a libertarian and ethno-nationalistic way. Freedom of association, for example, was understood to include the right to refuse to associate with certain members of certain ethnic groups, even the right to discriminate in employment practices. This racial liberalism was still institutionalized right up until the 1960s. The settler nations of Australia, Canada, United States, and New Zealand enjoyed admission and naturalization policies based on race and culture, intended to keep these nations “White.”

This liberal racial ethos was socially accepted with a good conscience throughout Western society. As Robert H. Jackson has observed:

Before the war prevailing public opinion within Western states — including democratic states — did not condemn racial discrimination in domestic social and political life. Nor did it question the ideas and institutions of colonialism. In the minds of most Europeans, equality and democracy could not yet be extended successfully to non-Europeans. In other words, these ideas were not yet considered to be universal human rights divorced from any particular civilization or culture. Indeed, for a century or more race had been widely employed as a concept to explain the scientific and technological achievements of Europeans as compared to non-Europeans and to justify not only racial discrimination within Western states but also Western domination of non-western peoples. Racial distinctions thus served as a brake on the extension of democratic rights to people of non European descent within Western countries as well as in Western colonies. [Robert H. Jackson, “The Weight of Ideas in Decolonization: Normative Change in International Relations,” In Ideas and Foreign Policy: Beliefs, Institutions and Political Change, ed. Goldstein and Keohane, Cornell University Press, 1993, p. 135]

Even in the case of denazified Germany, governments after 1945 endorsed, as a matter of common sense, and well into the 1970s, an ethnic conception of German nationality, accepting migrants only as temporary “guest workers” on the grounds that Germany was “not an immigrant country.” European nations took for granted the ethnic cohesion of their cultures and the necessity of barring the entry and incorporation of people from different cultures categorized as a threat to the “national character.”

Why, then, did the entire Western liberal establishment came to the view that European ethnocentrism was fundamentally at odds with liberal principles a few decades after WWII?

I argued in a paper posted at CEC over a month ago (which I have withdrawn because it was flawed) that a new set of norms (human rights, civic nationalism, race is a construct) with an in-built tendency for further radicalization suddenly came to take a firm hold over Western liberal nations in response to the Nazi experience, and that once these norms were accepted, and actions were taken to implement them institutionally, they came to “entrap” Westerners within a spiral that would push them into ever more radical policies that would eventually create a situation in which Western nations would come to be envisioned as places always intended to be progressing toward a future utopia in which multiple races would co-exist in a state of harmony.

Carl Schmitt

Was there something within the racialist liberalism of the pre-WW II era that made it susceptible to the promulgation of these norms and their rapid radicalization thereafter? Why did Western leaders succumbed to the radicalization of these norms so easily? The answer may be found in Carl Schmitt’s argument [2] that liberal states lack a strong concept of the political. I take this to mean that liberals leaders have an inherent weakness as political beings due to their inability to think of their nation states as a collectivity of people laying sovereignty claim over a territory that distinguishes between friends and enemies, who can belong and who cannot belong in the territory. Liberals believe that their nation states are associations formed by individuals for the purpose of ensuring their natural right to life, liberty, and happiness. They have an imaginary view of their liberal states as associations created by isolated individuals reaching a covenant, a contract or agreement, amongst themselves in abstraction from any prior community. They have a predilection to whitewash the fact that their liberal states, like all states, were forcibly created by a people with a common language, heritage, racial characteristics, religious traditions, and a sense of territorial acquisition involving the derogation of out-groups.

cs-r-gehoert-bei-chinesischen.jpgFor this reason, in the words of Carl Schmitt, liberals have an undeveloped sense of the political, an inability to think of themselves as members of a political entity that was created with a clear sense of who can belong and who cannot belong in the community. Having a concept of the political presupposes a people with a strong sense of who can be part of their political community, who can be friends of the community and who cannot be because they pose a threat to the existence and the norms of the community.

Liberals tend to deny that man is by nature a social animal, a member of a collective. They think that humans are all alike as individuals in wanting states that afford them with the legal framework that individuals need in the pursuit of liberty and happiness. They hold a conception of human nature according to which humans can avoid deadly conflict through a liberal state which gives everyone the possibility to improve themselves and society through market competition, technological innovation, and humanitarian works, creating an atmosphere in which political differences can be resolved through peaceful consensus by way of open deliberation.

They don’t want to admit openly that all liberal states were created violently by a people with a sense of peoplehood laying sovereign rights over an exclusive territory against other people competing for the same territory. They don’t want to admit that the members of the competing outgroups are potential enemies rather than abstract individuals seeking a universal state that guarantees happiness and security for all regardless of racial and religious identity. Humans are social animals with a natural impulse to identify themselves collectively in terms of ethnic, cultural and racial markers. But today Europeans have wrongly attributed their unique inclination for states with liberal constitutions to non-Europeans. They have forgotten that liberal states were created by a particular people with a particular individualist heritage, beliefs, and religious orientations. They don’t realize that their individualist heritage was made possible within the context of states or territories acquired through force to the exclusion of competitors. They don’t realize that a liberal state if it is to remain liberal must act collectively against the inclusion of non-Europeans with their own in-group ambitions.

Hegel, Hobbes, and Schmitt

But I think that Schmitt should be complemented with Hegel’s appropriation of the ancient Greek concept of “spiritedness.” Our sense of honor comes from our status within our ethnocultural group in our struggle for survival and competition with other groups [4]. This is the source of what the ancient Greeks called “spiritedness,” that is a part of the soul comprising, in Plato’s philosophy, pride, indignation, shame, and the need for recognition. Plato believed that the human soul consisted of three parts:

  1. a physically desiring part that drives humans to seek to satisfy their appetites for food, comfort, and sensual pleasure;
  2. a reasoning part that allows humans to calculate the best way to get the things they desire; and
  3. a “spirited” part that drives humans to seek honor and renown amongst their people.

Liberal theory developed in reaction to the destructive tendency inbuilt into the spirited part which was exemplified with brutal intensity during the Thirty Years War (1618-1648) and English Civil War 1642-1651). Thomas Hobbes devalued the spirited part of man as just another appetite for power, for riches, and adulation. At the same time, he understood that this appetite was different from the mere natural appetites for food and sensual pleasure, in that they were insatiable and conflict-oriented.

State of nature according to Hobbes

Hobbes emphasized the destructive rather than the heroic character of this aspect of human nature. In the state of nature men are in constant competition with other men for riches and honor, and so enmity is a permanent condition of the state of nature, killing, subduing, and supplanting competitors. However, Hobbes believed that other aspects of human nature, namely, the instinct for self-preservation, fear of death and desire for “commodious living,” were more powerful passions among humans, and that it was these passions, the fear of death in particular, which eventually led men to agree to create a strong central authority that would end the war of competing megalomaniacs, and maintain the peace by monopolizing the means of violence and agreeing to ensure the secure pursuit of commodious living by all. The “insatiable desire and ambition of man” for power and adulation would henceforth be relegated to the international sphere.

But by the second half of the seventeenth century Hobbes’s extreme pessimism about human nature gradually gave way to more moderate accounts in which economic self interest in the market place, love of money, as calculated and contained by reason, would come to be seen as the main passion of humans. The ideal of the spirited hero striving for honor and glory was thoroughly demeaned if not denounced as foolish. By the eighteenth century money making was viewed less as avaricious or selfish and more as a peaceful passion that improves peoples’ manners and “makes for all the gentleness of life.” As Montesquieu worded it, “wherever there is commerce, there the ways of men are gentle.” Commerce, it was indeed anticipated, would soften the barbaric ways of human nature, their atavistic passions for glorious warfare, transforming competition into a peaceful endeavour conducted by reasonable men who stood to gain more from trade than the violent usurpation of other’s peoples property.

hobbes.jpgEventually, liberals came to believe that commerce would, in the words expressed by the Scottish thinker William Robertson in 1769, “wear off those prejudices which maintain distinction and animosity between nations.” By the nineteenth century liberals were not as persuaded by Hobbes’s view that the state of nature would continue permanently in the international relationships between nations. They replaced his pessimistic argument about human nature with a progressive optimism about how humans could be socialized to overcome their turbulent passions and aggressive instincts as they were softened through affluence and greater economic opportunities. With continuous improvements in the standard of living, technology and social organization, there would be no conflicts that could not be resolved through peaceful deliberation and political compromise.

The result of this new image of man and political relations, according to Schmitt, was a failure on the part of liberal nations to understand that what makes a community viable as a political association with sovereign control over a territory is its ability to distinguish between friends and enemies, which is based on the ability to grasp the permanent reality that Hobbes understood about the nature of man, which is that humans (the ones with the strongest passions) have an insatiable craving for power, a passion that can be held in check inside a nation state with a strong Leviathan ruler, but which remains a reality in the relationship between nations. But, whereas for Hobbes the state of nature is a war between individuals; for Schmitt one can speak of a state of war between nations as well as between groups within a nation. Friends and enemies are always groupings of people. In our time of mass multicultural immigration we can see clearly how enemy groups can be formed inside a national collectivity, groups seeking to undermine the values and the ethnic character of the national group. Therefore, to have a concept of the political is to be aware, in our multicultural age, of the possibility that enemy outgroups can emerge within our liberal nations states; it is to be aware that not all humans are equally individualistic, but far more ethnocentric than Europeans, and that a polity which welcomes millions of individuals from collectivist cultures, with a human nature driven by the passions for power and for recognition, constitute a very dangerous situation.

It was Hegel, rather than Hobbes, who spoke of the pursuit of honor instead of the pursuit of riches or power for its own sake, as the spirited part of human nature, which is about seeking recognition from others, a deeply felt desire among men to be conferred rightful honor by their peers. We can bring this Hegelian insight into Schmitt to argue that the spirited part of the soul is intimately tied to one’s sense of belonging to a political community with ethno-cultural markers. Without this spirited part members of a community eventually lose their sense of collective pride, honor, and will to survive as a political people. It is important to understand that honor is all about concern for one’s reputation within the context of a group. It is a matter of honor for immigrants, the males in the group, to affirm their heritage regardless of how successful they may be economically. Immigrants arriving in large numbers are naturally inclined to establish their own ethnic groupings within Western nations rather than disaggregate into individual units, contrary to what liberal theory says.

Non-White ethnic groupings stand as “the other,” “the stranger,” to use Schmitt’s words, in relation to nations where Europeans still constitute the majority. The friend-enemy distinction, certainly “the Us versus Them” distinction, can be applied to the relation between non-White ethnic groupings and European national groupings in the degree to which the collective actions of non-European groups negates the heritage and overall way of life of the majority European population. Ethnic groupings that negate the way of life of European liberal nations must be repulsed if European nations are to preserve their “own form of existence.” To be cognizant of this reality is what it means to have a concept of the political in our current age of mass immigration. It does not mean that alien groupings are posing an immediate physical threat. Enemy groupings may also emerge as a major force through sheer demographic growth in a seemingly peaceful atmosphere, leading to all sorts of differences over voting patterns, accumulation of wealth and resources, ethnic hierarchies, divergent customs and religious practices, that become so pervasive that they come to threaten the way of life of the founding peoples, polarizing the nation into US versus Them.

The Leftist Interpretation of Schmitt is Wrong

But don’t Western liberals have enemies? Don’t they believe, at least many Republicans, that Islamic radicals, and nations openly opposed to “Western values,” are enemies of liberalism, against whom military violence may be used when necessary, even if Republicans negate the political in the sense that they want to bring about a situation in which humans define themselves as economic agents, or as moral crusaders dedicated to “democratic” causes? Don’t multicultural liberals believe that opponents of multiculturalism and mass immigration in Western countries are “deplorable” people who must be totally marginalized as enemies of humanity?

Academics on the left have indeed appropriated Schmitt to argue that right wing liberals have not negated the political but simply produced a highly effective smokescream over the West’s ambition to impose an American-led corporate order in the world nicely wrapped with human rights for everyone. They see Schmitt as someone who can teach us how to remove the smokescream of “democracy,” “human rights,” and “economic liberty” from Western hegemony, exposing the true power-seeking intentions behind the corporate liberal elites.

It seems to me that this appropriation of Schmitt is seriously flawed. Of course, Schmitt did not say that liberal nations as such are utterly devoid of any political existence, and of a concept of the political, since the very existence of a state supposes a sovereign right over a territory. A complete denial of the political would amount to a denial of the existence of one’s state. It is also true that for Schmitt “what has occurred [in liberal nations] is that economics has become political” in the enormous power that capitalist firms have, and in the way liberal states seek to augment, through non-economic means, their market share across the world. More than this, Schmitt emphasized how liberal states have “intensified” the enemy-friend distinction by ostracizing as enemies any state or political group disagreeing with their conception of humanity and conceptualizing liberal aggression against illiberal nations as final wars to end all wars.

There is no question, however, that Schmitt’s central thesis is that liberalism has no concept of the political and that it lacks a capacity to understand the friend-enemy distinction. Liberals believe that the “angelic” side of humans can manifest itself through proper liberal socialization, and that once individuals practice a politics of consensus-seeking and tolerance of differences, both inside their nations and in their relationships with other liberal nations, they will learn to avoid war and instead promote peaceful trade and cultural exchanges through commercial contracts, treaties, and diplomacy. Even though liberal states have not been able to “elude the political,” they have yet to develop theories of the political which apprehend this sphere of human life in terms of its defining aspect, the friend-enemy distinction. Rather, liberal theorists are inclined to think of the state as one pressure group among a plurality of political groups all of which lack a concept of the political in thinking that differences between groups can be handled through institutions that obtain consensus by means of neutral procedures and rational deliberation.

cs-cp1378163873.jpgThe negation of the political is necessarily implicit in the liberal notion that humans can be defined as individuals with natural rights. It is implicit in the liberal aspiration to create a world in which groups and nations interact through peaceful economic exchanges and consensual politics, and in which, accordingly, the enemy-friend distinction and the possibility of violence between groups is renounced. The negation of the political is implicit in the liberal notion of “humanity.” The goal of liberalism is to get rid of the political, to create societies in which humans see themselves as members of a human community dedicated to the pursuit of security, comfort and happiness. Therefore, we can argue with Schmitt that liberals have ceased to understand the political insomuch as liberal nations and liberal groups have renounced the friend-enemy distinction and the possibility of violence, under the assumption that human groups are not inherently dangerous to each other, but can be socialized gradually to become members of a friendly “humanity” which no longer values the honor of belonging to a group that affirms ethno-cultural existential differences. This is why Schmitt observes that liberal theorists lack a concept of the political, since the political presupposes a view of humans organized in groupings affirming themselves as “existentially different.”

Thus, using Schmitt, we can argue that while Western liberal states had strong ethnic markers before WWII/1960s, with immigration policies excluding ethnic groupings deemed to be an existential threat to their “national character,” they were nevertheless highly susceptible to the enactment of norms promoting the idea of civic identity, renouncing the notion that races are real, romanticizing Third World peoples as liberators, and believing that all liberal rights should be extended to all humans regardless of nationality, because they lacked a concept of the political. The racial or ethnocentric liberalism that prevailed in the West, collectivist as it remained in this respect, was encased within a liberal worldview according to which, to use the words of Schmitt, “trade and industry, technological perfection, freedom, and rationalization . . . are essentially peaceful [and . . .] must necessarily replace the age of wars.”

They believed that their European societies were associations of individuals enjoying the right to life and liberty. The experience of WWII led liberals to the conclusion that the bourgeois revolutions of the seventeenth and eighteenth centuries, which had finished feudal militarism, and which then led the Allies to fight a world war against the new militarism of fascism, were still “unfinished revolutions.” The liberal bourgeois nations were still not liberal enough, in their division and ranking of individuals along ethnic lines, with many individuals not enjoying the same rights that were “naturally” theirs. The project of the Enlightenment, “the universalist spirit of the political Enlightenment,” in the words of Jürgen Habermas, was not yet completed.

What Western liberals in the 1960s, the ones who dismantled immigration laws that discriminated against non-Whites, and introduce the notion that multiple cultures could co-exist within the same state, did not realize was that their sense of racial identity was the one collectivist norm still holding their liberal nations safely under the concept of the political. Once this last bastion of collectivism was deconstructed, liberal nations would be caught up within a spiral of radicalization wherein liberal nations would find it ever more difficult to decide which racial groups may constitute a threat to their national character, and which groups may be already lurking within their nations ready to play the political with open reigns, ready to promote their own ethnic interests; in fact, ready to play up the universal language of liberalism, against ethnocentric Europeans, so as to promote their own collectivist interests.

Source: http://www.eurocanadian.ca/2016/10/carl-schmitt-liberal-n... [6]

Article printed from Counter-Currents Publishing: http://www.counter-currents.com

URL to article: http://www.counter-currents.com/2016/10/carl-schmitt-is-right/

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[1] Image: http://www.counter-currents.com/wp-content/uploads/2013/01/carlschmitt.jpg

[2] Carl Schmitt’s argument: http://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/C/bo5458073.html

[3] Image: http://www.counter-currents.com/wp-content/uploads/2016/10/SchmittQuote.jpg

[4] in our struggle for survival and competition with other groups: https://www.amazon.ca/gp/product/0985452307/ref=as_li_tf_tl?ie=UTF8&camp=15121&creative=330641&creativeASIN=0985452307&linkCode=as2&tag=counofeurocan-20

[5] Image: http://www.counter-currents.com/wp-content/uploads/2016/10/State-of-nature-Hobbes.jpg

[6] http://www.eurocanadian.ca/2016/10/carl-schmitt-liberal-nations-have-open-borders-because-they-have-no-concept-of-the-political.html: http://www.eurocanadian.ca/2016/10/carl-schmitt-liberal-nations-have-open-borders-because-they-have-no-concept-of-the-political.html

«Résister au capitalisme dans un système capitaliste»

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Intervention de Jean Terroir à Academie Christiana:

"Résister au capitalisme dans un système capitaliste"

Ex: http://cerclenonconforme.hautetfort.com

Il s’agit d’une version adaptée à la publication écrite.Cette allocution a été donnée, de façon sensiblement modifiée, le vendredi 21 août de 21h à 22h lors de l’université d’été d’Academia Christiana à Sées.

Les références à l’Encyclique Papale Laudato Si’ qui complètent le propos sont indiquées entre crochets.

L’intervention de ce soir tournera autour du thème suivant : Résister au capitalisme dans un système capitaliste ou les alternatives au capitalisme dans un système capitaliste.

Deux façons d’aborder le sujet suivant, à savoir comment sortir de la matrice : on parlera plutôt d’opposition dynamique que d’alternative. Résister et opposer me semblent être les termes adéquats.

Sur le groupe Facebook, sous le visuel de présentation il est écrit : « Consommation, individualisme, déracinement, peut-on guérir notre société de ces maux ? Peut-on échapper à ces phénomènes ? » Je vais effectivement donner des pistes.

Débutons par un cadrage rapide. La France est un système hybride entre étatisme et capitalisme, notre propos doit donc prendre place dans le cadre national, quand bien même nous sommes dans une société marquée par la mondialisation. Mais on ne peut pas aborder en France une « résistance au capitalisme » sans aborder la résistance à l’Etat.

Si l’omnipotence de l’Etat est pour beaucoup de « libéraux » le signe que la France n’est pas vraiment un pays libéral au sens où eux l’entendent : c’est à dire la liberté complète en matière économique, qui effectivement n’existe pas en France pour la majorité des citoyens, c’est en revanche l’Etat qui a permis au capitalisme de devenir dans notre pays un fait anthropologique total. L’Etat en France, c’est en grande partie l’administration et la bureaucratie. Exemple simple : c’est l’Etat qui a contribué au développement de l’agriculture productiviste, donc de l’industrie-agro-alimentaire, donc des grandes surfaces, donc des zones commerciales, donc de la mort de la paysannerie traditionnelle et des commerces de proximité, de la sociabilité locale au profit de territoires entièrement dédiés à la consommation (et de la vente des centres villes aux enseignes comme H&M, Zara, Starbucks, Subway, Carrefour contact, etc…). Cette consommation entraîne d’importantes mobilités, et ces mobilités sont donc un élément du déracinement et de l’atomisation des rapports sociaux (via la voiture individuelle).

jtcap1.jpgPar cet exemple simple, on comprend mieux le lien entre consommation, déracinement et individualisme. On comprend mieux aussi pourquoi on parlera de « fait anthropologique total ». Le rapport à l’Etat a aussi pour conséquence de renforcer l’individualisme : puisque l’État papa ou l’État maman est là (c.a.d : la version rassurante ou répressive de l’Etat), alors quel intérêt d’entretenir des liens de solidarité ? Nous sommes « seuls ensembles ». On devient un « sujet de l’Etat » et finalement tout le monde accepte tacitement le contrat : payer ses impôts pour avoir des « droits à » mais aussi le « droit de ». La loi prend la place de la coutume (locale) ou de la décence commune (pour replacer direct du Michéa).

Le Leviathan étatique permet l’intégration de la quasi totalité de la population, d’une manière ou d’une autre, au système capitaliste : par la formation (école), par l’aménagement du territoire (routes, permis de construire, grands travaux, etc…), par la culture qui est diffusée (télé, théatre, pub, …), par (tout simplement) les modes de vie, par la consommation (on peut consommer grâce aux aides sociales) [Encyclique Laudato Si’ – VI – 203]. Personne n’échappe réellement à la matrice et l’Etat doit vérifier que rien n’échappe à la matrice. Mais cela n’est pas étonnant, puisque tout pays capitaliste a besoin de l’Etat, au moins pour deux institutions : l’armée et la police. L’armée qui sécurise l’approvisionnement, et la police qui protège la propriété privée et les appareils de production. Mais l’armée et la police ont aussi pour fonction de protéger les citoyens et donc de déplacer le rapport de force des communautés humaines vers les Etats (c’est à dire que les peuples n’entrent plus en confrontation que si l’Etat le décide).

Par conséquent, je disais dès le début que résister au capitalisme c’était résister à l’Etat, mais résister à l’Etat c’est se mettre hors la loi. C’est donc la quadrature du cercle, comment résister au capitalisme de façon légale ? A la lumière de mon introduction, on pourrait s’imaginer que c’est contradictoire. En réalité, sauf sur quelques éléments, il est possible de se soustraire légalement à l’Etat sur un certain nombre de domaines, d’utiliser une partie du système contre lui. Toute sortie intégrale d’un quelconque système que ce soit est de toute façon chimérique. Citons en ce sens Serge Latouche : « Si la rigueur théorique exclut les compromissions de la pensée, le réalisme politique suppose des compromis pour l’action ». Même les moines ont besoin des touristes qui achètent leurs bières ou leurs confitures… car l’échange, même commercial, n’est pas forcément la recherche de l’enrichissement. Partons des moines pour poser notre plan : 1) comme le moine résister c’est donc d’une part une démarche individuelle (retourner le système c’est sûrement retourner l’individu contre l’individualisme), 2) résister au capitalisme c’est constituer une communauté sur des valeurs et d’une identité communes, 3) comme le moine, résister au capitalisme, c’est s’approprier un lieu, un territoire

 1) Résister c’est agir soi-même

Démarrons par un extrait de Dominique Venner : « Etre un insoumis ne consiste pas à collectionner des livres impies, à rêver de complots fantasmagoriques ou de maquis dans les Carpates. Cela signifie être à soi-même sa propre norme par fidélité à une norme supérieure. »

Résister au capitalisme partira toujours d’une démarche individuelle. C’est bien l’intérêt d’une formation comme Academia Christiana, faire germer en chacun de vous un questionnement sur ce sujet pour qu’ensuite vous puissiez agir: seul, avec les autres et sur un territoire souvent en consommant différemment.

Être sa propre norme par fidélité à une norme supérieure, dans un contexte chrétien, cette « norme supérieure » est évidemment religieuse et biblique.

Retenons simplement ce passage de l’Evangile selon Saint Matthieu au Chapitre VI verset 24: « Nul ne peut servir deux maîtres : car ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et la Richesse. » (Mammon) [Encyclique Laudato Si’ – VI – 217]

Pour résister au capitalisme il faut donc adopter une éthique. Éthique de la responsabilité, éthique de la limite. Il faut être responsable dans l’actionet accepter la limite. Pour les chrétiens, comme pour la philosophie païenne greco-romaine, la limite est liée au divin, qu’il soit sous sa forme païenne ou sous sa forme chrétienne. On songera bien sur à l’orgueil. Chez les Grecs, l’hybris est suivi de la colère des dieux (c’est ainsi qu’Herodote explique la défaite des Perses du roi Xerxès). Dans le christianisme, l’orgueil sera rangé au rang des péchés. Mais dans une société où « Dieu est mort » pour reprendre Nietzsche, il n’y a plus de limite. Dans la religion du progrès, qui ne se limite pas au capitalisme mais aussi à certaines formes de socialisme, marquée par l’économisme et le fétichisme de la croissance, l’objectif est de toujours « repousser les limites ».

La première étape de la résistance au capitalisme et ses corollaires consiste donc à adopter cette double éthique de la responsabilité et de la limite et à décoloniser son imaginaire (lire le papier de Serge Latouche dans le dernier numéro de La Décroissance). Cette décolonisation de l’imaginaire est une étape essentielle. Pour un catholique, la Bible devrait être un moyen de décoloniser l’imaginaire de la société capitaliste marquée par le matérialisme, l’accumulation et la soif d’enrichissement. Il ne faut pas accorder d’intérêt à tout ce qui nous pousse à consommer. Il faut résister à la séduction publicitaire (à la tentation). Il faut sans cesse se questionner : est-ce responsable ? Est-ce juste ? Est-ce bon ? Il n’y a pas de résistance au capitalisme sans recul sur le monde et la société et donc une prise de distance avec ces normes. La réussite, est-ce être un homme riche ou est-ce être un homme juste et bon ?

jtcap2.jpgAutre élément qu’on pourrait citer dans la décolonisation de l’imaginaire : le rapport au temps. Une des mutations anthropologique majeure induite par le progrès technique, c’est le changement de notre rapport au temps. On ne peut aller plus vite que le cheval que depuis la fin du XIXeme siècle. La « société de la vitesse » a donc émergée et aucun régime, y compris les régimes qui voulaient lutter contre l’homme libéral, n’a été contre la société de la vitesse. Il est nécessaire qu’il y ait une part prométhéenne mais on n’en maîtrise pas toujours les conséquences. La vitesse, si elle a contribué à la « grandeur des nations », a aussi favorisé une philosophie puis une pratique néo-nomadiste. Le déplacement fait parti de notre façon d’habiter le territoire. J’y reviendrai en troisième partie. Il faudrait donc repenser notre rapport au temps, prendre le temps, faire moins de « choses » mais mieux : la « philosophie de l’escargot » des décroissants.

Une fois qu’on a entrepris cette démarche, elle peut se retranscrire dans un certain nombre de gestes quotidiens, qu’ils soient marchands ou non marchands. Dans les gestes marchands il y aura évidemment ce que nous achetons et ce que nous n’achetons pas. 1 euro qui ne part pas dans la matrice ou 1 euro qui part à soutenir un projet économique alternatif et c’est 1 euro que l’on retire du circuit économique classique. Il faudra donc viser peu à peu la désertion des grandes surfaces, le refus d’acheter certains produits (huile de palme, en raison des conditions de production, le propriétaire de telle ou telle entreprise comme Monsanto ou Coca-Cola) [Encyclique Laudato Si’ – VI – 208]. Dans les gestes non marchands, il y a tout ce qu’on peut faire au quotidien chez soi : par exemple utiliser des outils non électriques dans certaines tâches, se déplacer à pied ou à velo. [Encyclique Laudato Si’ – VI 211]. Prendre le temps pour écrire des lettres ou pour lire : la lecture demeure une activité de résistance au capitalisme (encore faut-il bien choisir ce qu’on lit et donc ne pas être sensible aux phénomènes de mode). Plus de télé (aliénation). Tendre vers la frugalité volontaire. « Un homme heureux consomme peu. » S. Latouche [Encyclique Laudato Si’ – VI – 204 et VI – 223]

Continuer d’acheter des revues et journaux papier, aller pour certains ouvrages dans des librairies indépendantes (donc pas la FNAC). Aller chez les bouquinistes. Et c’est possible aussi dans d’autres domaines comme la musique ou l’habillement. Il est possible d’aller chez les revendeurs ou les friperies (exemple : Oxfam). Privilégier la réutilisation, le rapiéçage, la revente ou le don, à l’achat dans des magasins. Selon l’ADEME chaque habitant se débarrasse de 17 kilos de textile par an dont 9 kilos de vêtements. Agir en refusant de contribuer à la société du jetable, c’est forcément passer par des petits commerces (le bouquiniste, le cordonnier, la mercerie, …). Possibilité également d’acheter dans des magasins de qualité et français comme 1083 pour les jeans ou les chaussures.

Là aussi, paradoxalement, accepter dans un premier temps ses limites : vous ne pourrez pas tout faire, tout de suite, et dans certains domaines ce sera plus compliqué que dans d’autres pour x raisons. Vous serez par exemple confrontés à des réalités financières, il est possible de se nourrir bien pour pas trop cher, mais il est difficile de s’habiller bien pour pas trop cher. Par ailleurs la problématique de l’habillement nous renvoie à un autre élément qui moi me paraît central dans la société actuelle : les gens sont souvent mal habillés, la culture « sportswear » y est extrêmement développée. Là aussi c’est un signe de l’influence de la société capitaliste : le bougisme, la culture urbaine moderne, encouragent à se vêtir avec des chaussures de sport ou des vêtements de sport. Mais cela contribue souvent à l’enlaidissement et à la vulgarité de la foule. (voir un ouvrier avant et après). S’habiller correctement en ville, c’est une façon de ne pas succomber à la médiocrité et à la facilité ambiante. C’est la « tenue » chère à Dominique Venner. C’est aussi l’esthétique.

En définitive comme le dit André Gorz : « la critique de la croissance n’a de sens, et de portée révolutionnaire, qu’en référence à un changement social total. »

A l’issue de cette première partie, nous aurons vu la quasi totalité des 8 R de Serge Latouche: réévaluer, reconceptualiser, réduire, réutiliser et recycler. Il nous resterai restructurer, redistribuer et relocaliser à traiter.

2) Résister c’est agir avec les autres

Restructurer et redistribuer c’est agir avec les autres. C’est adopter de nouvelles façons d’organiser la vie sociale et économique. Zentropa a publié un article intitulé « la communauté ou le cauchemar du système ». La communauté, ce n’est pas le communautarisme. La communauté c’est l’affirmation des liens qui unissent des individus, qui favorisent l’entraide et la coopération dans une perspective d’autonomie. L’entraide est un facteur d’évolution chez Kropotkine, par opposition au darwinisme social de la loi du plus fort. La foi par exemple, ne peut pas simplement se vivre seul, elle se vit aussi dans la messe. Qu’est-ce que l’Eglise si ce n’est l’Ecclesia grecque, l’assemblée. Même le moine (du grec monos, seul), vit dans une « communauté monastique ». Ce n’est ni un ermite, ni un anachorète. Dans l’histoire du christianisme, la communauté a été prépondérante et la force de la communauté d’autant plus. Lors des persécutions, la force de la communauté a empêché l’empire romain de vaincre le christianisme. [Encyclique Laudato Si’ – VI – 219]. Aujourd’hui, pour résister à l’empire de la marchandise il faut agir en communauté. Le troc, le don, les systèmes associatifs (AMAP), les coopératives, les SEL (systèmes d’échanges locaux), les monnaies locales, les microcrédits, le prêt au sein de la communauté, l’autogestion, etc… Le Mouvement d’Action Sociale est un exemple de réponse.

Cela nous réapprend l’organisation collective, le partage, la confiance, etc… Il faut monter des ateliers : cuisine, couture, jardinage, lecture, … tout ce qui favorise le partage, la mutualisation. Il est important de prendre le temps de cuisiner, de partager un repas, sans avoir la télé qui hurle dans le salon. Faire des activités sportives ensemble: la marche, l’auto-défense. (on ne fait pas du sport simplement pour faire du sport, mais aussi pour être ensemble). Vous pouvez inventer vos propres formes de communauté. La communauté est également la garantie de maintenir vivante la norme (à laquelle sont attachés des valeurs et des principes) et de pouvoir trouver un « refuge » en cas de doute. On peut faire part de ses doutes à sa communauté. C’est aussi la nourrir, la réorienter, l’approfondir.

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Il est nécessaire de pouvoir exclure du groupe, et sanctionner (et non de punir, la sanction est éducative, pas la punition), la communauté a des règles, elle «pose le « NON ». Dans la société individualiste, c’est l’absence de règle qui devient la norme. D’où l’inversion des valeurs. L’argent permet de tout s’acheter, de tout transgresser, d’échapper à la loi, etc… La première communauté à faire vivre : c’est le couple, première sphère d’entraide, de coopération d’échange, de complémentarité, de prise de décision collective.

Il ne s’agit pas ici d’une utopie (du grec u-topos qui signifie absence de lieu) mais bien au contraire de la mise en place de quelque chose de concret, de réel, de palpable, de sensible… la communauté est-elle même un « lieu », elle a en tout cas la capacité à s’inscrire et à sa manifester dans des lieux, sur un territoire.

 3) Résister c’est agir sur un territoire

Tous les actes de la vie se déroulent dans des lieux : logement, travail, école, commerce, … Fréquenter d’autres lieux, c’est aussi résister aux « lieux du Capital ». Le choix de son logement, de son travail, de l’école de ses enfants, de là où on consomme, de là où on voyage, tout cela a une importance. Privilégier la densité du bâti à l’étalement urbain, le microfermage, l’agroforesterie, le bocage, la permaculture, etc… à l’openfield. C’est ce qu’on lit dans l’AT : « Malheur à ceux qui ajoutent maison à maison, Et qui joignent champ à champ, Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’espace, Et qu’ils habitent seuls au milieu du pays » (Isaïe 5,8)

La communauté devra s’enraciner sur un territoire dans lequel elle agit. La communauté aura donc d’autant plus de pertinence qu’elle peut agir localement. D’une façon générale le localisme est une façon de rompre peu à peu avec la matrice. La maîtrise de son propre territoire est fondamentale. Dans l’idéal il faudrait en connaître la faune ou la flore. Il faut donc se réapproprier le territoire par la marche (ou le vélo).

Paradoxalement l’urbain maîtrise mieux son territoire que le néo-rural. Le territoire c’est l’enracinement (qui peut être incomplet / imparfait). S’enraciner, ce qui suppose donc un territoire, ce n’est pas refuser les mobilités, c’est se questionner sur la pertinence de nos mobilités et sur la façon donc nous nous déplaçons sur le territoire. Bien évidemment on adoptera pas la même « stratégie » si on est au centre-ville d’une métropole ou dans un petit village de la Creuse. Mais il y a pour tous les types de territoire des façons d’agir et des questionnements à avoir. L’Église elle même a constitué un maillage territorial au sein duquel elle agit.

Dans l’histoire, toutes les communautés se sont appropriées un territoire. Au sein d’un territoire il est plus simple de définir des rôles, complémentaires. Chaque personne peut exprimer ses talents sur le territoire et trouver une place au sein de la communauté. On ne définit pas arbitrairement des rôles, on les définit en fonction des besoins, ou on agit en fonction des talents comme c’est le cas dans un réseau. Ce territoire n’est pas une forteresse bastionnée mais peut être un camp de base, un centre, un point de ralliement et un lieu à partir duquel on s’ouvre au monde. Par définition le territoire est marqué par la limite : il est délimité, et il est possible pour la communauté de définir, sur le plan géographique, ce qui peut ou non passer la limite. Par exemple, le touriste, parfois mal vu par l’autochtone, qui « transgresse son territoire quotidien ».

Transgression des distances, des limites : on ne s’en rend même plus compte. On assiste à un retour au réel dans les banlieues : ces zones de non-droit sont en réalité des zones d’un autre-droit ce qui démontre l’importance du territoire. Quels sont nos espaces d’autonomie ? Où sont nos Républiques autonomes? Où est la souveraineté populaire ? C’est ce qu’on retrouve au sein des ZAD ou au sein des BAD, quant elles ne sont pas abordées sous l’angle du survivalisme anglo-saxon du seul contre tous, mais comme précisément une BASE, AUTONOME et DURABLE. Plutôt que durable, je préférerai le terme de « collective ». Ne cherchez pas plus loin la force du capitalisme, celle des gauchistes ou des « jeunes de banlieue »: c’est leur capacité à s’approprier le territoire qui fait leur force. Les premiers par les rapports de prédation marchande et de spéculation, les deuxièmes par des alternatives et les derniers par le contrôle social, l’économie souterraine et la violence (qui peut trouver une explication sur le plan anthropologique).

Conclusion :

1a) Décoloniser son imaginaire, éthique de la responsabilité et de la limite
1b) Modifier ses habitudes quotidiennes (dé-consommation, frugalité volontaire)
1c) Faire attention à sa Tenue et à l’esthétique (image)
2a) Agir avec les autres (entraide, coopération)
2b) Monter et soutenir des projets collectifs (autonomie)
2c) Savoir dire NON (limite)
3a) Fréquenter d’autres lieux
3b) Agir sur un territoire (localisme, enracinement)
3c) Constituer des lieux et s’approprier un territoire (ZAD, BAD)

Jean / C.N.C.

Note du C.N.C.: Toute reproduction éventuelle de ce contenu doit mentionner la source.

Première publication sur academiachristiana.wordpress.com

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Bibliographie indicative:

Ouvrages :

ALLEMAND, Sylvain, ARSCHER François, LEVY Jacques, Les Sens du mouvement. Modernité et mobilités, Paris, Belin, 2005

BAUDRILLARD, Jean, La société de consommation, Paris, Denoël, 1970

CHEYNET, Vincent, Décroissance ou décadence, Vierzon, Editions « le pas de côté », 2014

COLLECTIF OFFENSIVE, Divertir pour dominer, La culture de masse contre les peuples, Montreuil, Éditions l’Échappée, 2010

DARDEL, Eric, L’homme et la Terre, Nature de la réalité géographique, Paris, Éditions CTHS, 1990

DEBRY, Jean-Luc, Le cauchemar pavillonnaire, Montreuil, L’Echappée, 2012

ELLUL, Jacques, Anarchie et christianisme, Paris, Editions de la Table Ronde, réed. 1998

ELLUL, Jacques, Le Système technicien, Cherche midi, réed. 2012

TRUILHE, Mathilde, GIBELIN, Fanny, Tour d’Europe, 6000 kilomètres à pied, Les Amis du Livre Européen, 2015

LATOUCHE, Serge, L’âge des limites, Mille et une Nuit, 2012

LATOUCHE, Serge, Le pari de la décroissance, Paris, Fayard Pluriel, réed. 2010

LUSSAULT, Michel, De la lutte des classes à la lutte des places, Paris, Grasset, 2009

LUSSAULT, Michel, L’homme spatial, Paris, Seuil, 2007

MAUSS, Marcel, Essai sur le don, Paris, PUF, réed. 2008

MICHEA, Jean-Claude, La double pensée, retour sur la question libérale, Paris, Flammarion, 2008

NAESS, Arne, Ecologie, communauté et style de vie, trad. Charles Ruelle, Paris, Editions MF, 2009

OZON, Laurent, France, les années décisives, BIOS, 2014

PAPE FRANCOIS, Loué sois-tu, Lettre encyclique Laudato Si’ sur la maison commune, Éditions Artège, 2015

TURKLE, Sherry, Seuls ensembles, De plus en plus de technologies de moins en moins de relations humaines, L’Echappée, Montreuil, 2015

VENNER, Dominique, Un Samouraï d’occident : Le bréviaire d’un insoumis, PGDR, 2013

WEIL, Simone, L’enracinement, Paris, Gallimard, réed. 2011

Articles :

LATOUCHE, Serge, LE CARBONEL, Guillaume, NAUDIN, Arnaud, « Serge Latouche : « la décroissance n’a pas à se situer sur l’échiquier politique », fr.novopress.info, 2014

LATOUCHE, Serge, « Pourquoi la décroissance implique de sortir de l’économie », La Décroissance n°121, juillet/août 2015

LE CARBONEL, Guillaume, « La décroissance pour les nuls », cerclenonconforme.hautetfort.com, 2015

LE CARBONEL, Guillaume, « Ecologie politique et combats locaux », cerclenonconforme.hautetfort.com, 2014

FELTIN-TRACOL, Georges, « Villes – banlieues, un constat accablant », europemaxima.com, 2012

Franck, « Chronique de livre : Fanny Truilhé et Mathilde Gibelin, Tour d’Europe », cerclenonconforme.hautetfort.com, 2015

GRIMAL (de), Frédéric, « Coca-Cola:entre boycott et alternatives locales », cerclenonconforme.hautetfort.com, 2014

MARTIN, Aristide, « Chronique de livre: Eric Dardel et l’homme et la Terre », cerclenonconforme.hautetfort.com, 2014

NAUDIN, Arnaud, « Chronique de livre : Thierry Paquot, désastres urbains », cerclenonconforme.hautetfort.com, 2015

Rüdiger, « Une sortie au Centre commercial », cerclenonconforme.hautetfort.com, 2012

Rüdiger, « Les vacances dont tu ne veux pas … », cerclenonconforme.hautetfort.com, 2015

Rüdiger et Ann, « Et toi, tu passes ta vie dans les bouchons », cerclenonconforme.hautetfort.com, 2013

Rüdiger et Ann, « Le goût de rien, où comment l’homme se perd », cerclenonconforme.hautetfort.com, 2014

Rüdiger et Ann, « Notre Sainte bagnole », cerclenonconforme.hautetfort.com, 2015

TERROIR, Jean, « Chronique de livre: Jean-Luc Debry, le cauchemar pavillonaire », cerclenonconforme.hautetfort.com, 2015

TERROIR, Jean, « La France du localisme. », cerclenonconforme.hautetfort.com, 2015

TERROIR, Jean, « Chronique de livre: Christophe Guilluy, La France périphérique, comment on a sacrifié les classes populaires », cerclenonconforme.hautetfort.com, 2014

TERROIR, Jean, « Chronique de livre: Laurent Ozon, France les années décisives », cerclenonconforme.hautetfort.com, 2014

TERROIR, Jean, « Chronique de livre: Vincent Cheynet, Décroissance ou décadence », cerclenonconforme.hautetfort.com, 2014

TERROIR, Jean, « Chronique de livre : Anarchie et Christianisme », cerclenonconforme.hautetfort.com, 2013

ZENTROPA, « La communauté ou le cauchemar du système », zentropa.tumblr.com, 2012

mercredi, 02 novembre 2016

Presseschau - November 2016

 

Richard Millet : « Province » ou le délitement de la France

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Richard Millet: Province ou le délitement de la France

par Louis Galibert
Ex: http://www.breizh-info.com

Richard Millet, cet amoureux fou de la langue française, est devenu un écrivain maudit après la publication en 2012 de Langue fantôme, suivi d’Éloge littéraire d’Anders Breivik. Figure des éditions Gallimard, il fût contraint de démissionner du comité de lecture, tout en restant salarié. Son récent licenciement vient de le priver de salaire et de parachever la volonté de le tuer socialement.

milletprovince.gifCela n’a pas réussi à tarir sa production littéraire, ni à le priver de son talent. D’autres éditeurs à l’esprit libre, Pierre-Guillaume de Roux, Fata Morgana, Léo Scheer, L’Orient des livres, Les Provinciales,  publient ses dernières oeuvres. Province, roman sur le délitement de la société française, est la dernière en date.

Ce roman s’inscrit, comme le dit son titre, dans la veine provinciale de Richard Millet, mais aussi dans son obsession des femmes et de leur mystère. Son personnage principal, l’écrivain parisien Saint-Roch de son vrai nom Mambre, revient dans sa ville natale d’Uxeilles. De l’aveu même de Richard Millet, il s’est inspiré d’Ussel pour créer cette ville imaginaire, métaphore de la société française contemporaine.

Uxeilles se divise en trois parties, la ville haute plus riche et bourgeoise, la ville moyenne intermédiaire et la ville basse plus populaire. C’est par cette dernière qu’arrivent les turcs, image de l’immigration de remplacement, avant de progresser dans les autres quartiers. Sa population se partage entre les  » Océaniques « , ouverts aux influences atlantiques, et, parce qu’ils font profession de s’opposer aux musulmans, les  » Lépantistes « . Uxeilles représenterait un conservatoire moribond des traditions françaises.

C’est dans ce cadre que va se dérouler la nouvelle vie de Saint-Roch – Mambre. Elle nous sera contée à travers les yeux et témoignages d’un petit milieu local, intrigué par son retour, qui l’a plus ou moins connu avant son exil parisien. Est-il là pour « baiser le plus de femmes possible » selon un mot qui fait le tour de la ville? A t-il l’ambition d’écrire le roman local toujours attendu à la manière de Jouhandeau et de damer le pion aux gloires littéraires locales?

Les discussions de ces divers protagonistes permettent à Richard Millet de décrire la vie d’aujourd’hui, tel que les ravages de la société de consommation et de l’individualisme : «  trois générations sacrifiées sur l’autel du bien-être européen et de la liberté personnelle, de l’égoïsme, du reniement de soi, de la consommation déculpabilisée des plaisirs. « . Par un groupe de jeunes, qui se baptisent les chevaliers, qui  « voulaient perfectionner un nihilisme non comme un accomplissement du narcissisme mais comme une critique, par l’absurde, de la société contemporaine« , il montre l’impasse qu’affrontent les générations montantes.

En contrepoint, nous assistons aux multiples conquêtes féminines du revenant, qui finissent par phagocyter le récit.

Au final, Richard Millet nous offre un roman au style éblouissant, comme à son habitude. Mais cette Province, qu’on peut croire le refuge de la France  profonde, n’incite pas à l’optimisme, pour l’avenir.

Louis Galibert

Province, Richard Millet, Éditions Léo Scheer, 336 pages, 19 euros (à commander en cliquant sur l’image ci-dessous) :

Joseph Rossé, Alsacien interdit de mémoire (1892-1951)

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Joseph Rossé, Alsacien interdit de mémoire (1892-1951)

par Nicolas de Lamberterie
Ex: http://www.breizh-info.com

Joseph Rossé, député alsacien, est décédé le 28 octobre 1951 au bagne d’Eysses, Lot et Garonne. Il avait été condamné en 1947 par un tribunal de l’Epuration à 15 ans de travaux forcés à l’issue d’un procès éminemment politique. Il a connu les centrales de Fontevrault et de Clairvaux. Dans celles-ci, il a rencontré d’autres épurés célèbres : Maurras, Esteva, de Laborde, Xavier Vallat ainsi que Cousteau, Rebatet, Algarron.

Pourtant, il avait été blanchi par la même Cour pour les faits intervenus avant 1940. Ceux-ci lui avaient valu, avant-guerre, une précédente incarcération dans la prison militaire de Nancy. Après l’armistice, il avait été remis aux Allemands avec seize autres « Nanziger », autonomistes alsaciens arrêtés avec lui pour suspicion d’espionnage dès le début de la seconde guerre mondiale.

Singulière fin de parcours pour ce catholique farouchement opposé au nazisme alors qu’il avait abandonné toute activité publique durant la Seconde Guerre mondiale. Il l’a passée en Alsace à la tête de sa puissante maison d’édition l’Alsatia transformée en bastion anti-nazi. Il était entré en 1943 dans le complot contre Hitler organisé par la résistance allemande.

autonomisme-212x300.jpgMais de ses contacts avérés avec le colonel von Stauffenberg, le porteur de la bombe qui devait tuer le Führer le 20 juillet 1944, la justice politique de la Libération n’en tiendra nul compte. Il ne sera pas plus porté à sa décharge l’intense activité de Rossé pour venir en aide à ses compatriotes alsaciens victimes de l’hitlérisme ou pour éditer clandestinement les auteurs chrétiens interdits dans l’Allemagne nazie.

Pour la première fois, 70 ans après les faits, une biographie apporte une vue complète sur cet Alsacien, toujours interdit de mémoire, dont le nom n’est (encore ?) porté par aucune rue, aucune place, aucune école alsacienne. Écrite par Michel Krempper à qui l’on doit également « Aux sources de l’autonomisme alsacien », livre récemment paru chez le même éditeur, elle est titrée « Joseph Rossé 1892-1951 ».

À l’encontre d’une certaine historiographie officielle – et jacobine – elle retrace en sept chapitres, documents à l’appui, l’itinéraire d’un homme politique hors-pair : enseignant sundgauvien révoqué pour ses positions autonomistes, syndicaliste chrétien à la tête de la plus puissante organisation de fonctionnaires alsaciens, pilier du groupe de l’Alsatia et de sa presse, porte-voix de la Volkspartei (le principal parti alsacien d’avant-guerre) et député de Colmar (trois fois élu), Nancéien puis Nanzinger, résistant anti-hitlérien, victime expiatoire de l’Epuration (à qui ses compatriotes feront de grandioses funérailles).

Nicolas de Lamberterie

Joseph Rossé 1892 – 1951 – Michel Krempper – 20€ – Yoran Embanner (à commander ici)

La Chute des Hommes: œcuménisme ou barbarie

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David L'Epée:

La Chute des Hommes: œcuménisme ou barbarie

Réalisatrice : Cheyenne-Marie Caron

Pays : France

Année : 2016

Ex: http://perlicules.canalblog.com

Recourir au cinéma pour parler, en contemporain, d’un phénomène grave qui retient l’attention d’une grande partie de la planète n’est pas aussi aisé que de réaliser un film historique plusieurs décennies après. Ça l’est d’autant moins lorsque le phénomène en question est le djihadisme et que le film se présente comme une œuvre engagée tout en évitant l’écueil manichéen des facilités et d’une grossière dialectique des bons et des méchants. C’est pourtant le pari tenté par Cheyenne-Marie Caron, réalisatrice atypique et prolifique qui évolue depuis un certain temps en marge de l’industrie cinématographique française, alignant les projets ambitieux et les budgets dérisoires. Engagé, le film l’est assurément dans la mesure où la cinéaste n’a jamais caché la foi chrétienne qui l’anime et en fait ici à la fois un emblème identitaire et un idéal au nom duquel refuser la barbarie. Et pourtant nous sommes loin, très loin, d’un propos islamophobe ou diabolisant, loin également d’une rhétorique simpliste de choc des civilisations. A sujet délicat, traitement tout en nuances.

chute_hommes.jpgLucie est une jeune Parisienne, fille d’un père aux convictions païennes et d’une mère chrétienne d’origine ukrainienne. Spécialiste des parfums, elle doit se rendre dans un pays oriental (dont le nom ne sera, à dessein, jamais indiqué) pour mener une recherche dans le cadre de son sujet d’étude, à savoir « l’histoire des odeurs et la mémoire des peuples ». Le thème des parfums reviendra d’ailleurs comme un leitmotiv tout au long du film, qui aurait tout à fait pu être une œuvre tournée en odorama ! Les choses ne se passent toutefois pas comme prévu et, peu après son arrivée, la jeune fille, trompée par un chauffeur de taxi, est livrée à un groupe de djihadistes qui la prennent en otage pour obtenir de l’argent de la France. L’histoire nous est racontée tour à tour selon trois perspectives : celle de Lucie, celle de Younes (le chauffeur de taxi en proie à un dilemme moral et que les difficultés économiques contraignent à se faire le complice des islamistes) et celle d’Abou (un djihadiste d’origine française qui va peu à peu être assailli de doutes sur son engagement à mesure que la situation se dégrade).

Lucie, expansive et excessivement loquace, candide jusqu’à l’inconscience, a un petit côté catholique des JMJ, évoluant constamment dans la grâce de Dieu et l’arc-en-ciel des Bisounours. Véritable moulin à paroles, sans cesse en train de se confier au premier venu, de la parfumière parisienne à qui elle raconte sa vie dans la toute première scène jusqu’au chauffeur de taxi ou à la femme qui prendra soin d’elle dans le camp où on la retient prisonnière, la jeune héroïne est à la fois sympathique (car foncièrement bienveillante et fidèle à ses principes et à son identité) et agaçante par sa naïveté et son ignorance de l’autre – la scène dans le taxi, où elle ne fait preuve d’aucune méfiance, assomme le chauffeur taciturne de son bavardage et cite Khaled comme exemple de musique orientale est à cet égard symptomatique… D’évaporée, elle prendra toutefois vite une posture plus ferme, montrant un certain courage puisqu’au prix de sa vie elle refusera, face à Abou qui lui demande de se faire parjure, d’abjurer sa foi et sa double filiation chrétienne et païenne.

Comme elle, les membres du groupe djihadiste ne sont pas traités comme des blocs, l’enrégimentement islamiste et la culture de la violence côtoyant chez eux l’humanité ordinaire. Le chef du groupe, un Arabe né en Seine Saint-Denis, insiste beaucoup sur le caractère sans-frontiériste du projet islamiste, spécificité trop rarement mise en avant lors des débats sur le sujet. Il reconstitue pour ses hommes captivés les batailles antiques de Mahomet en traçant des plans dans le sable, dans une scène qui évoque autant une partie d’échecs que des petits garçons jouant aux soldats de plomb. Mais pour eux, dans l’immédiat le péril ne vient pas des troupes « infidèles » mais bien d’un groupe djihadiste rival, qui convoite le territoire où ils ont établi leur camp…

Le déroulement de La Chute des hommes est très linéaire, ne recourant presque jamais à l’ellipse, d’où le choix du temps long pour dérouler son récit, événement après événement. La première partie, qui se déroule en France, est celle qui se charge le moins d’artifices, la musique paraissant ne faire son apparition que dans la scène où Lucie, arrivée à destination, sort de l’aéroport : les premières notes, qui donnent tout à coup un ton plus dramatique à l’atmosphère, se font entendre, plus exactement, au moment où nous la voyons descendre un escalator et se coiffer d’un voile (rose), manière de marquer le passage brusque d’un monde à l’autre. C’est aussi à partir de ce passage à la partie orientale que vont se succéder des plans aux cadrages plus horizontaux, ce qui est certainement l’élément visuel le plus marquant – et le plus réussi – du film à mon sens. Cet apport musical dont je viens de parler, qui reste discret, a toutefois une importance moindre que celle des chants (chants slaves et chants arabes entre autres) entonnés à diverses occasions par les personnages et des prières qui reviennent régulièrement, comme une psalmodie donnant une cadence au long métrage : Lucie se recueillant durant sa captivité, enfermée dans une caravane, Abou invoquant in fine la Vierge Marie, une icône orthodoxe serrée contre le cœur, après le massacre de ses camarades… Prières souvent accompagnées d’un plan montrant la lune, une image qui permet à la fois de rythmer le temps du récit et de rappeler l’antique déesse Séléné, évoquée au début du film par le père de Lucie. Une référence au paganisme qui annonce, peut-être, le prochain film de Cheyenne-Marie Caron (photo, ci-dessous), La Morsure des dieux, où ce sujet-là occupera une place de choix.

Voir un extrait

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mardi, 01 novembre 2016

Les colonnes infernales de la défaite civilisationnelle

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Les colonnes infernales de la défaite civilisationnelle

par Valérie Burgault

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Nous republions ici cet article de Valérie Burgault, paru initialement dans le Saker francophone http://lesakerfrancophone.fr/les-colonnes-infernales-de-la-defaite-civilisationnelle Certains points peuvent en être contestables, selon nous, mais l'ensemble est bien dans la ligne de notre site.

Cet article a été inspiré par une analyse du géopolitologue russe Alexandre Douguine dans laquelle il décrit les tenants et aboutissants du concept nouveau de «sixième colonne». Partant de ces constats très pertinents du côté russe, il m'est apparu utile d'en analyser les pendants du côté occidental. Le résultat de cette étude révèle bien autre chose qu'une entité, plus ou moins formelle, hostile aux peuples : elle révèle l'existence institutionnelle, en France, en Occident et au niveau mondial, de puissances d'argent dominantes, structurellement hostiles à tous les peuples du monde.

Le contexte occidental

Dans mes précédentes analyses de géopolitique économique (voir ma série d'articles publiés sur le site du Saker francophone), j'ai beaucoup insisté sur le fait que la conception française traditionnelle du droit avait été, depuis l'avènement des institutions européennes, battu en brèche au profit d'une conception anglo-saxonne, de nature économique et financière. J'ai également axé mon décryptage du système économique global sur le fait que la notion d'État était devenue, depuis le XXe siècle, une variable d'ajustement d'un modèle devenu supérieur, le modèle de l'entreprise de type capitalistique. Il résulte de mes analyses que le modèle civilisationnel anglo-saxon s'est peu à peu imposé dans tous les pays occidentaux, transformant derechef le fait politique en fait économique.

Cette évolution française et occidentale, sans accroc et accélérée au niveau mondial depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, a en réalité commencé bien avant par la captation, par les puissances d'argent, du pouvoir politique.

Les puissances d'argent ont commencé leur captation du pouvoir politique en Occident en s'emparant de façon hégémonique du fait monétaire, qu'elles ont extirpé de tout contrôle politique au moyen de la création du concept de «banque centrale». Ces banques centrales, présentées comme des entités étatiques mais réellement sous contrôle de capitaux et d'intérêts strictement privés, sont depuis longtemps les seules régulatrices des questions monétaires, elles contrôlent la masse monétaire en circulation dans chaque pays et finalement l'évolution de l'économie desdits pays. Ces banques, dénuées de tout contrôle politique, travaillent pour les intérêts des plus grands capitalistes. L'une des prérogatives régaliennes essentielles, le fait de battre monnaie, ne ressort désormais plus des compétences de l'État, occasionnant par là même une perte sérieuse de légitimité et de souveraineté de l'État.

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Mais il y a plus, l'État lui-même est devenu, en Occident, le porte-parole des intérêts des plus grands détenteurs de capitaux. À cet égard, permettez-moi de prendre plus précisément l'exemple de la France, car tous les pays d'Europe occidentale, s'ils aboutissent au même résultat, n'ont pas suivi le même déroulement historique. En France, pays traditionnellement centralisateur, le fait politique est, depuis la troisième République, concentré autour de deux concepts : des partis politiques hiérarchisés et la «fabrique» d'hommes politiques professionnels, par des écoles et des formations plus ou moins dédiées constituant un vivier de recrutement. Ce phénomène permet une appropriation relativement aisée du pouvoir politique au moyen de la prise en main du sommet hiérarchique des «partis politiques» et de la corruption des quelques élèves sortant des fabriques à personnalités politiques. Cette corruption est d'ailleurs tout autant active que passive en raison de l'orientation idéologique du processus de formation lui-même ; l'instruction claironnée et tellement vantée s'analysant beaucoup plus en un formatage (matérialiste) des esprits qu'en une élévation de ces derniers.

Il résulte des phénomènes décrits ci-dessus qu'en France – et plus généralement en Occident – l'État s'est vu approprié par des intérêts privés sélectifs, perdant au passage sa légitimité intrinsèque. Le fait politique est devenu partie intégrante du fait économique dans la mesure où les intérêts privés des plus grands capitalistes – oligarques – ont mis la force publique résultant des institutions étatiques à leur service. Dès lors, le «fait» politique n'a plus pour vocation d'organiser, le plus sereinement possible, la vie en commun sur un territoire donné, mais a pour fonction de faire respecter, par le plus grand nombre, les intérêts financiers – homogènes – d'une caste particulière d'individus, les grands capitalistes accapareurs.

Identification de la sixième colonne dans le contexte occidental

Il résulte de l'analyse du contexte ci-dessus décrit que la sixième colonne identifiée par Alexandre Douguine n'a pas réellement d'équivalent en France et plus largement dans les pays occidentaux. Ou plutôt, ce sont les États et, plus récemment, les organisations étatiques supranationales (c'est-à-dire les institutions de l'Union européenne) qui sont eux-mêmes les porte-paroles de cette sixième colonne.

Pour revenir à la France, symbole éternel de l'évolution occidentale, l'État issu de la Révolution française a été approprié par les puissances d'argent, à savoir la bourgeoisie commerçante, devenue et mélangée à la bourgeoisie bancaire, enrichie par le commerce lié aux grandes découvertes et par la gestion des monnaies. Plus récemment, l'Union européenne a continué et accentué le processus mettant directement les institutions publiques au service de ces puissances d'argent ; en Europe occidentale les multinationales font les lois, qui s'appliquent à tous, et les «juridictions» européennes sont les garantes de cet ordre économique nouveau.

Ainsi, après 1789, la France est passée d'une monarchie, qui avait pour contre-pouvoirs tous les corps intermédiaires, à une oligarchie financière dénuée de tout contre-pouvoir, le tout sous le vocable trompeur de démocratie. La démocratie est le vêtement dont se pare le pouvoir sous le prétexte qu'existe une représentation populaire (pouvoir législatif). Mais cette représentation est, dans les faits, c'est-à-dire concrètement, catégorielle et non pas populaire parce que contrôlée par des partis politiques sous influence des puissances d'argent. L'appareil d'État (pouvoir exécutif) est par ailleurs lui-même géré par des hommes politiques issus du vivier contrôlé par ces mêmes puissances d'argent.

Il en résulte de la présente analyse qu'en Occident, c'est la structure même du pouvoir qui correspond au concept de sixième colonne identifié par Alexandre Douguine.

Aucun État occidental n'a cherché à s'affranchir de l'emprise des puissances d'argent qui donnent le «la» politique et dictent leur conduite à des États qui sont en réalité les gestionnaires des intérêts financiers des oligarchies occidentales associées. Certes, nous avons assisté en France et en Occident à des variations apparentes de politique, mais ces variations étaient entièrement dues aux choix effectués par les puissances d'argent dominantes : tantôt celles-ci étaient assez fortes, notamment en raison de leurs colonies, pour s'auto-gérer, tantôt elles ont dû s'allier à d'autres puissances d'argent ayant une conception différente de la vie en société et se plier, en conséquence, à ces nouvelles conceptions.

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D'empire continental, la France (comme l'Allemagne et toutes les anciennes puissances d'Europe) est devenue colonie de l'empire des mers. Le droit continental écrit, civilisationnellement structurant, hérité de l'Empire romain, a ainsi définitivement cédé la place au droit anglo-saxon tout entier tourné vers la prédation économique des puissances d'argent.

La disparition inéluctable de l'ordre politique continental au profit de l'ordre politique atlantiste

La raison pour laquelle la France et tous les pays continentaux d'Europe occidental ont perdu leur identité civilisationnelle était, dès le départ, inscrite dans la structure même de leur pouvoir. La force de leurs puissances d'argent s'est avérée inférieure à la force des puissances d'argent dûment organisées à la façon britannique, et plus largement anglo-saxonne. Les Anglo-Saxons ont, depuis toujours, une conception économique de la vie en société qui a grandement favorisé l'émergence d'un modèle de captation des richesses aujourd'hui internationalement déployé par les instances internationales qui font «l'ordre international». C'est précisément ce modèle qui s'est érigé en pouvoir absolu non seulement au niveau local mais aujourd'hui au niveau mondial.

Le jour, symboliquement représenté par l'avènement de la Révolution française, où la France a banni la civilisation de «l'être» pour adopter, de façon extérieure à son propre développement, la civilisation de «l'avoir», et des «avoirs», elle a perdu non seulement sa suprématie politique mais aussi et surtout sa raison d'être. Reléguée à un rôle de boutiquier financier qu'elle n'a jamais vraiment maîtrisé, la France s'est volontairement soumise à son maître en la matière : la civilisation «de la mer», dirigée par les puissances financières anglo-saxonne.

La France n'était France que parce qu'elle n'avait pas donné la prééminence aux puissances d'argent. Autrement dit, la France n'était indépendante et autonome qu'à l'époque, qui correspond à l'ordre monarchique de l'Ancien Régime, où la spiritualité chrétienne était une valeur supérieure à la détention matérielle : la France n'avait d'existence institutionnelle réelle que parce qu'elle organisait, de façon structurelle, la supériorité de «l'être» sur «l'avoir», le statut social et les réalisations des individus passant avant leurs avoirs matériels – aujourd'hui simples numéros (dématérialisés) indiqués sur des comptes en banque dont les titulaires ne sont pas propriétaires.

Les évènements, de type tectonique, ci-dessus décrits ne peuvent se voir qu'une fois leur mouvement achevé, car de telles modifications, lentes par nature, sont peu apparentes. En revanche, elles opèrent des modifications si radicales des fondamentaux civilisationnels que leur résultat final est proprement spectaculaire : il rend méconnaissable le point de départ, qui était la notion d'État souverain, juridiquement déclinée en un Souverain qui dirige un État.

L'avènement transnational du pouvoir sans racine et de l'homme sans humanité comme finalité des puissances d'argent dominantes

Le point d'arrivée de ce mouvement tectonique, «forcé» par les puissances d'argent dominantes du point de vue institutionnel mais minoritaires du point de vue démographique, n'est, par construction, pas conforme à la vocation profonde des peuples concernés. C'est précisément la raison pour laquelle ces puissances d'argent estiment aujourd'hui indispensable de briser ce qu'il reste de cohésion nationale, identifiée avec le concept d'État-nation. La victoire ne sera totale pour les puissances d'argent que le jour où il ne restera plus aucune poche de résistance civilisationnelle, c'est-à-dire le jour où la structure sociétale naturelle des peuples aura été éradiquée. Nous assistons ainsi, partout dans le monde, à une radicalisation tendant à faire disparaître le regroupement des peuples par affinités culturelles, linguistiques et historiques : ce qui se fait au moyen de guerres, de coups d'État, de migrations forcées, d'organisation de la perte de repères spirituels et religieux. Ce mouvement est naturellement mondial puisque produit par les puissances d'argent prééminentes ayant organisé l'ordre international.

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Plus généralement, il est une leçon de l'histoire que ces puissances d'argent victorieuses connaissent et redoutent : «Chassez le naturel et il reviendra au galop».

L'ordre naturel est tout entier, ab initio, le pire ennemi des puissances d'argent dominantes. Elles veulent bannir, interdire ou rendre impossible toute procréation naturelle, alimentation naturelle, soins naturels, cultures et élevages naturels, regroupement naturel d'individus, «droit naturel» et finalement toute humanité, tant il est vrai que l'humanité est une part du processus naturel qu'elles honnissent.

De leur détestation du «naturel», vient notamment le subit développement national et international de la théorie du genre. C'est également en raison de leur détestation du «fait naturel» que les puissances d'argent rêvent aujourd'hui de s'approprier physiquement la notion d'homme nouveau. Elles rêvent ainsi de créer un homme augmenté, par les pouvoirs de la science, faisant dangereusement dériver l'espèce humaine vers le transhumanisme, dont le développement technique est confié à des personnalités autistiques de type Asperger, coupées par essence du reste de l'espèce humaine par le fait qu'elles ne ressentent pas d'émotions positives les liant au groupe. Il faut d'ailleurs voir dans ce processus de recherche d'un «homme nouveau» la raison d'être, développée à partir de la seconde moitié du XXe siècle, de la hiérarchisation sociale des individus en fonction de prétendus QI (coefficient intellectuel), lesquels sont formatés pour mettre en avant les capacités «calculatoires» d'individus que l'on cherche à couper de toute réaction émotionnelle distinctive ; ces mêmes réactions émotionnelles qui ont assuré la survie de l'espèce humaine au fil des âges.

L'avènement de cet Homme nouveau-augmenté sera réservé aux puissances d'argent victorieuses. Il s'accompagnera d'un Nouvel Ordre Mondial – gouvernement mondial autoritaire, centralisateur à l'extrême, accompagné d'une religion mondiale et d'une crypto-monnaie mondiale – qu'une grande partie des populations ne connaîtra pas, vouées qu'elles sont à disparaître.

Valérie Bugault

 

Un « pivot américain vers l'Asie » de plus en plus problématique

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Un « pivot américain vers l'Asie » de plus en plus problématique

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Obama avait annoncé à grand bruit en 2009 le déplacement vers l'Asie du sud est et de la mer de Chine d'une partie des forces américaines stationnées en Europe et menaçant la Russie. L'objectif annoncé était officiellement de contenir une expansion militaire chinoise dans cette zone, expansion supposée mettre en danger les Etats de la région. Il s'agissait d'une opération appelée “pivot to Asia”.
 

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Dans la suite, les Etats-Unis avaient obtenu l'accord de la plupart de ces Etats pour notamment conduire des manœuvres aéronavales communes. Il s'agissait en premier lieu des Philippines, du Japon, de l'Australie et de la Malaisie.

Aujourd'hui, la spectaculaire visite d'Etat à Pékin du président philippin Rodrigo Duterte, faisant suite à diverses déclarations de ce dernier annonçant qu'il se séparera désormais des Etats-Unis et établira une nouvelle « relation spéciale » avec la Chine semble marquer le début de la fin du « pivot américain. vers l'Asie.

Mais Obama est confronté à d'autres défections. La Thaïlande, alliée jusqu'ici docile des Etats-Unis, a décidé de se procurer des sous-marins chinois. De son côté le premier ministre malais Najib Razak cherche le soutien officiel de Pékin, notamment face aux allégations de corruption formulées par Washington à son égard. De même le premier ministre japonais Shinzo Abe vient d'annoncer qu'il mettrait désormais un terme aux conflits diplomatiques avec la Chine, faisant suite à la guerre russo-japonaise de la seconde guerre mondiale, notamment à propos des iles Kurile.

Enfin, l'Australie, alliée fidèle entre les fidèles, refuse désormais de participer à des opérations militaires avec les Etats-Unis visant à assurer une prétendue « liberté de navigation » face aux revendications territoriales chinoises en mer de Chine Sud.

Ces diverses défections semblent provoquées par la volonté des classes dirigeantes de ces Etats de ne pas compromettre des liens commerciaux avec la Chine, qui est désormais son plus grand partenaire économique. Ceci explique par ailleurs leurs réticences à se laisser engager dans le Trans-Pacific Partnership (TPP) présenté par Obama, aux Etats-Unis, comme assurant un avenir brillant aux entreprises américaines investissant dans la zone - et dont d'ailleurs semble-t-il ni Clinton ni Trump ne voudront compte tenu des ravages sur l'emploi américain en découlant. 

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Malgré ces défections annoncées, en faisant augurer d'autres, Washington et le Pentagone n'ont pas renoncé à provoquer des conflits avec la Chine, notamment dans les iles Paracel. Ils viennent de décider l'entrée en mer de Chine de la Troisième Flotte américaine, comprenant 100 navires de guerre et 4 porte-avions. Au cas où l'ultra-militariste Hillary Clinton accédait à la Maison Blanche, ces moyens seraient mobilisés contre la Chine, provoquant des engagements militaires avec cette dernière, pouvant dégénérer en affrontements nucléaires au moins tactiques.

Pékin vient d'annoncer cependant qu'il n'a aucunement la volonté de se laisser faire. Il a prévenu qu'il riposterait « par des moyens appropriés » aux agressions américaines, sans préciser évidemment ce que seraient ces moyens. Voir à ce sujet un article du journal chinois quasiment gouvernemental Global Times, accessible par le lien ci-dessous:

http://www.globaltimes.cn/content/1013206.shtml

Elections législatives islandaises : rien de nouveau sur la glace

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Elections législatives islandaises: rien de nouveau sur la glace

par Thomas Ferrier

Ex: http://thomasferrier.hautetfort.com

Article écrit sur la base de 80% des votes dépouillés.

Tous les analystes s’attendaient à un succès des Pirates (Piratar) partisans d’une démocratie directe et d’un référendum sur l’adhésion à l’Union Européenne. Avec 14,5% des voix (+9%) et 10 députés (+7), il réalise certes un résultat correct, mais apparaît malgré tout comme un feu de paille, comme cela a été le cas en Allemagne. Certains électeurs au dernier moment ont hésité à voter pour ce mouvement nouveau.

Le Parti de l’Indépendance, principal mouvement islandais depuis 1945, continue de dominer les débats. Avec 29% des voix (+2,2) et 21 députés (+2), il augmente son résultat de 2013. Le succès du Parti de l'Indépendance et celui des Pirates se font sur le dos des autres partis, de gauche comme populistes. Toutefois, les deux partis ne sont pas en mesure de construire une coalition autour d’eux, à moins que les Pirates ne s’associent aux différentes formations de gauche.

icelandelections.pngLe parti « rouge-vert » des écologistes de gauche avec 15,9% des voix (+5.1) et 10 sièges (+3) est également un des grands vainqueurs de ce scrutin. Cela explique aussi sans doute la contre-performance des Pirates par rapport aux promesses des sondages.  De même les écologistes pro-européens de Vidreisn, nouvelle formation politique, avec 10,5% des voix et 7 sièges, rentrent au parlement où ils y renforcent la gauche. Avec les sociaux-démocrates islandais, en perte de vitesse, n’obtenant que 5,7% des voix (-7,1) et 3 sièges (-6), la gauche et les Pirates réunis n'auraient 30 sièges (sur 63). Mais il s’agirait d’une coalition certes légèrement majoritaire mais très hétéroclite.

Le Parti Progressiste, libéral mais eurosceptique, avec 11,5% des voix (-13.4) et 8 sièges (-11), s’effondre littéralement, aspiré par les Pirates et aussi par un vote utile en faveur du Parti de l’Indépendance. Il est si fragilisé que sa participation à une coalition paraît compromise. Le mouvement libéral-démocrate et pro-européen « Futur Clair » (Björt framtið), libéral et démocrate, ne réussit pas davantage, avec 7,2% des voix (-1) et 4 sièges (-2), réalise lui aussi une contre-performance et recule pour les mêmes raisons. C’est enfin le cas du mouvement Aurore (« Dögur ») qui n’obtient que 1,7% des voix (-1.8) et aucun siège. La droite pourrait gouverner, avec 33 sièges, mais à la tête d'une coalition fragile. La victoire du Parti de l’Indépendance s’apparente donc à celle de Pyrrhus, puisqu’il est le premier parti du pays mais au détriment de ses alliés potentiels.

Les mouvements de droite nationale, car pour la première fois depuis 1943 un parti nationaliste, le Front National Islandais (Islenska Þjoðfylkingin), était candidat. Il n’obtient certes que 0.2% des voix, présent dans seulement deux régions sur six. L’extrême-gauche, représentée par le Front du Peuple Islandais (Alþyðufylkingin), ne réussit guère mieux avec 0,3% des voix. Ces formations restent marginales mais leur existence est déjà le signe d’une certaine tension.

La société islandaise, un pays de 300.000 habitants dont 246.000 ont voté à cette élection, est très spécifique, puisqu’elle correspond à une conurbation de taille moyenne en France (le Grand Nancy fait 300 000 habitants). Elle se rapproche d’un modèle démocratique à échelle plus humaine. Elle est néanmoins bouleversée par des enjeux qui la dépassent, et notamment son rapport compliqué vis-à-vis de l’Europe. Cela ne sera pas tranché par ce résultat.

Thomas FERRIER (Le Parti des Européens)

A propos de Tolkien Entretien avec Nicolas Bonnal

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A propos de Tolkien

Entretien avec Nicolas Bonnal

Ex: http://www.dedefensa.org

28 octobre 2016 – Certains auteurs mérite d’être visités et revisités, et ils méritent d’être appréciés d’une manière originale en fonction d’une époque qui n’est pas la leur, et pourtant directement en connexion avec cette époque. Les plus grands auteurs du temps passé, s’ils sont vraiment grands, méritent d’être réinterprétés à l’aune de l’époque infâme et catastrophique que nous vivons. C’est évidemment le cas de Tolkien, cet Anglais qui inventa un monde extraordinaire venu d’un passé mythique dont lui seul avait la clef ;  et qui (Tolkien), par conséquent, s’adresse aussi et encore plus directement à notre époque pour nous mieux faire comprendre ce  qu’elle a d’infâme et de catastrophique.

Donc, Tolkien... Il y a quelques temps, saluant l’arrivée de Nicolas Bonnal avec ses Carnets, je présentais la préface que j’avais écrite pour son livre Le salut par Tolkien (éditions Avatar), qui est une réédition, et en fait une réécriture de son livre de 1999. J’avouais d’ailleurs ma faible connaissance de Tolkien, ce qui est une faiblesse sans aucun doute. Alors, voici quelques questions à Bonnal pour qu’il nous parle de Tolkien, de Tolkien par rapport à notre époque surtout, pour compléter cette préface qui parlait trop peu de Tolkien alors qu’elle introduisait un livre sur le sujet. Cette fois, voici l’auteur qui nous parle de Tolkien, et cela n’est pas inutile, en aucune façon.

Propos sur Le salut par Tolkien

bonnal.jpgQuestion : Pourquoi ce nouveau livre sur Tolkien ?

Nicolas Bonnal : J'aime réécrire mes livres. Je réécris dix fois un article avant de l'envoyer. C'est pour cela qu'ils sont cités et repris, et en plusieurs langues. Je l'ai fait pour Mitterrand ou pour le Graal. Mais aussi pour d'autres raisons plus eschatologiques. Nous vivons des temps affreux sur le plan intellectuel et moral. Alors je réécris Tolkien pour défier l'époque et compléter l'autre, qui parut en 1998, et fut traduit en plusieurs langues, dont le russe et l'ukrainien. Tolkien a bien dénoncé son époque dans sa correspondance, y compris et surtout les Alliés. Pour lui l'homme moderne est facilement un orque.  Il dit à son fils que l'aviation est le vrai méchant de la Guerre. Il est aussi catastrophé par la dévastation de l'Allemagne et par la  prise soviétique de Berlin, avec les quinze millions de réfugiés. Tout cela je le cite bien. Je rappelle aussi qu'il adore son pays, mais qu'il déteste l'empire britannique, le Commonwealth et l'Amérique, avec son commerce, son féminisme, sa matrice universaliste et niveleuse. Tout cela je voulais le répéter. Tolkien défend l'Europe traditionnelle contre le monde moderne, d'où mes références à Guénon qui éclaire son symbolisme crypté.

Question : Vous le rapprochez de Bédier, de Chrétien de Troyes, de Virgile ?

Nicolas Bonnal : Oui, le plan nordique ne marche pas toujours pour éclairer Tolkien. Virgile ou Ovide très bien, Chrétien de Troyes très bien. Il faisait ses discours comme ça en grec et en latin. Il y a cette influence des sagas ou du très bon Beowulf, mais j'ai voulu moi la rattacher aussi à la tradition gréco-latine. Ma femme Tatiana a trouvé un passage des Deux Tours où les hobbits sont perdus en Ithilien. Cette Ithilien est l'Italie avec sa belle végétation. Le lieu magique, la chevalerie, les chansons, tout cela je le relie bien sûr à la chanson de geste. On pourra toujours contester le procédé, pas le résultat.

Question : Vous célébrez la femme et la guérison...

Nicolas Bonnal : Oui. La femme elfique guérit le monde par son chant, ses manières, sa nourriture, ses drogues. Tolkien a sublimé l'image féminine, et j'ai trouvé important d'insister sur ce point. En même temps elle est capable d'aller au combat. Mais Tolkien dénonce aussi la femme moderne dans l'histoire de Sylvebarbe (le mot Ente est chez Chrétien de Troyes), la casse-pieds de service. J'ai repris Guénon et ses symboles de la science sacrée pour éclairer le rapport magique à la végétation. Sa vision thaumaturge de la littérature et du conte initiatique d'origine germanique et romantique rejoint cette belle image de la femme thaumaturge. D'où mes rappels de Novalis.

Question : Et son catholicisme ?

Nicolas Bonnal : Il a été catastrophé par Vatican II. Il écrit que pour lui en tant que chrétien l’histoire ne peut être qu'une continuelle défaite avant la parousie. Ce catholicisme pessimiste est le mien, et rompt bien sûr avec l’optimisme bidon qui tourne aujourd'hui à l'opérette chez les cathos bourgeois. Il sert le propos lugubre des deux grands livres, qui rejoignent la tragédie ou le Fatum. Le retour du tragique païen avait aussi été souligné par le catholique Domenach après la guerre.

Question : Pourquoi le monde de Tolkien est-il tombé si bas ?

Nicolas Bonnal : A cause de Hollywood et des effets spéciaux, qui ont tué le cinéma, disait Joe Mankiewicz. A cause du consumérisme et de la bêtise ambiante, qui adore les monstres sur fond de satanisme de masse. A cause de la pesanteur de l'homme moderne contre laquelle il s'est élevé lui, le britannique d'origine germanique de tradition catholique traditionnelle. J'ai été surpris par l'article du Monde, qui en marge de la dérive désastreuse de ce journal (qui avait toujours recensé mes ouvrages), tape sur l'exploitation et la destruction de son œuvre par le commerce, ce chancre du monde, comme dit Ferdinand. C'était prévisible. Ses monstres venus de Beowulf (voyez mon analyse via le critique Botkine) et autres avaient tout pour séduire le commerce de cette époque immonde.

Question : Un mot optimiste pour terminer ?

Nicolas Bonnal : Le salut par Tolkien !

lundi, 31 octobre 2016

Entretien avec Juan Asensio

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Entretien avec Juan Asensio

Propos recueillis par Romain Bouvier, Président du Club Roger Nimier

Juan Asensio, pouvez-vous, s’il vous plaît, vous présenter à nos lecteurs en quelques mots?

Je suis né en 1971 à Lyon, où j’ai passé les 30 premières années de ma vie. J’y ai suivi une formation, très classique, de lettres modernes et de philosophie, d’abord à l’externat Sainte-Marie jusqu’en classe de khâgne que j’ai cubée, ensuite à l’université Jean Moulin Lyon 3, y poursuivant ma formation jusqu’en thèse que j’ai abandonnée très vite. Mon directeur de l’époque, Monique Gosselin-Noat, ponte des études bernanosiennes ayant participé à la nouvelle édition des romans de Bernanos dans la collection de la Pléiade, m’avait en effet donné à traiter un sujet dont je ne voulais absolument pas (la figuration du diable dans les romans de Julien Green, François Mauriac et Georges Bernanos) et qui… avait déjà fait l’objet d’une thèse vieille d’à peine deux ou trois ans au moment où j’entamais mes propres recherches ! C’était, au mot près, le sujet qu’elle m’avait d’office demandé de traiter qui avait été disséqué en quelque deux énormes volumes. J’ai piqué une sacrée colère contre tant d’incompétence crasse, et ai écrit puis téléphoné à notre mandarine. Lorsque je lui ai fait part de ma découverte, elle m’a tout stupidement répondu que je n’avais qu’à prendre le contrepied exact de ladite thèse ! J’ai donc gardé, comme vous vous en doutez, une très piètre opinion des universitaires, censément des universitaires bernanosiens qui d’ailleurs me le rendent bien, puisqu’ils ne citent pas mes travaux dans cette nouvelle édition des romans de Bernanos. Que voulez-vous, la petitesse se venge toujours petitement… J’ai aussi passé une année, fort oubliable, au Celsa, afin de voir de l’intérieur si je puis dire à quoi ressemblait l’enseignement délivré en matière de journalisme et, ma foi, je n’ai pas été déçu quant à la médiocrité abyssale, forcément partisane (de gauche bien sûr) de cet enseignement. J’ai créé en mars 2004 Stalker, alors que je travaillais dans une salle des marchés et que Maurice G. Dantec se faisait traîner dans la boue par les journaux à prétentions humanistes habituels. Il s’agissait de trouver une façon de répondre aux invectives à moraline lui reprochant d’avoir osé échanger quelques messages avec le Bloc identitaire d’une poignée de journalistes aussi prestigieux qu’un certain Philippe Nassif (de Technikart je crois), et un de mes collègues de bureau, informaticien, me suggéra ainsi de créer un blog. Très vite, Stalker a fait des émules dans ce qui ne s’appelait pas encore la blogosphère, mais aucun de ces blogs nés en deux minutes n’a survécu plus de quelques mois, voire années pour les meilleurs. Depuis cette époque presque préhistorique à l’échelle de la Toile, mon blog est devenu riche de quelque 1 500 notes, pas toutes écrites par moi d’ailleurs, et est très lu, puisqu’il engrange entre 30 et 40 000 visiteurs uniques par mois, pour 100 à 200 000 pages vues par mois. J’ai donné la possibilité à mes lecteurs de me verser des dons via Paypal, ce qui me permet d’acheter la plupart des ouvrages que j’évoque sur mon blog, même si j’en reçois quelques-uns en service de presse, à condition que je les demande toutefois. Il s’apparente désormais à un véritable labyrinthe et c’est ainsi très vite que je l’ai surnommé la Zone, référence évidente à l’un des chefs-d’œuvre de Tarkovski. J’ai aussi réussi à publier quelques ouvrages de critique littéraire et un bouquin étrange sur Judas Iscariote, en 2010, aux éditions du Cerf. J’emploie à dessein le terme « réussi », car désormais tout le monde se fiche de la critique littéraire, à commencer par les éditeurs, puis par les journalistes, les libraires et, en bout de chaîne, le public. Il m’arrive de collaborer à quelques revues, dont Études, alors que j’ai publié des articles dans La Revue des Deux Mondes ou bien encore L’Atelier du roman. Je ne supporte plus toutefois le principe, très lourd et donc si peu rapide et agile, de ces revues, qui ne vous paient que fort rarement, et des sommes ridicules, alors qu’il faut bien souvent essuyer un refus par quelque couillon illettré appartenant, Sésame, ouvre-toi !, au sacro-saint comité de lecture.


danteccig.pngA la création de votre blog, Stalker, vous avez donc pris la défense de Maurice G. Dantec ? Serait-il un des rares auteurs contemporains qui puisse trouver grâce à vos yeux de critique acerbe ?

J’ai pris sa défense, oui, car les imbéciles qui l’attaquaient, et qui n’avaient probablement pas lu une seule ligne d’un seul de ses romans, ont pour habitude de chasser en meute, comme tous les lâches. J’ai beaucoup lu Dantec, quoique tardivement, n’y étant venu qu’avec réticence car alors (nous étions en 2003), il était un auteur polémique qui faisait beaucoup parler de lui. C’est après avoir fait paraître dans La Revue des Deux Mondes un long article sur Villa Vortex, un roman monstrueux ridiculisé en deux lignes stupides (dans la rubrique Sifflets, je crois, du Nouvel Observateur) par Jean-Louis Ezine qui n’avait à l’évidence pas lu ce livre, que Dantec et moi avons commencé à échanger. L’avait en effet frappé, dans l’article en question pour lequel il me félicita très chaleureusement, le fait que j’y annonçais sa conversion au catholicisme, qui avait eu lieu quelques mois après la parution de ce texte. J’ai continué à lire Dantec, mais mon intérêt pour ses textes (les excès divers et variés du personnage m’ayant toujours laissé de marbre) a décru assez vite. Je l’ai même défendu contre la poignée de crétins mononeuronaux qui, alors, l’entouraient, et derrière le ridicule rempart de laquelle il vitupérait, assez grossièrement, contre le monde tel qu’il ne va pas. Maurice G. Dantec n’est pas un styliste de la langue française, c’est le moins que l’on puisse dire, mais il y avait toujours, même dans le plus mauvais de ses romans, des traits de fulgurance, des intuitions métaphysiques mélangées à des facilités indignes d’une rédaction d’écolier de 13 ans. M’avait alors surtout frappé son aptitude, dans les deux premiers tomes de son Journal, à évoquer des auteurs (Dominique De Roux, Ernest Hello, Léon Bloy, etc.) dont plus personne ou presque n’osait parler, et cela me frappa. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts comme on dit, et je n’ai plus de nouvelles, ni d’ailleurs ne cherche à en prendre, pour être tout à fait honnête, de Dantec, qui est du reste à ce que j’en sais assez mal en point, même si sa santé a toujours été vacillante. La dernière fois que je l’ai vu, à Paris, il était méconnaissable, et m’a serré la main en pleurant, peut-être parce qu’il avait fini par comprendre que je l’avais défendu contre vents et marée, y compris contre son propre comportement destructeur et paranoïaque. C’est du passé. Je ne suis même pas parvenu à lire plus de quelques pages de son dernier roman, Les Résidents, resté totalement inaperçu, alors que la moindre de ses déclarations, bien souvent infantiles, déclenchait des spasmes le plus souvent ridicules sur beaucoup de sites, de forums et sur les blogs au début des années 2000. En tout cas, nul ne pourra jamais me reprocher de ne pas avoir pris Maurice G. Dantec, en tant qu’écrivain, au sérieux.

Je réponds à la seconde de vos questions : beaucoup d’auteurs vivants trouvent grâce à mes yeux, qu’ils soient Français (Marien Defalvard, Pierre Mari, Christian Guillet, Guy Dupré, Jean Védrines, Serge Rivron) ou bien étrangers et là, force est de constater que la liste est tout de même plus conséquente : Roberto Calasso, Claudio Magris, Jaume Cabré ou Javier Cercas même si m’enquiquine leur côté « habiles techniciens du roman », Cormac McCarthy dont la lecture a été un choc, le très singulier László Krasznahorkai ou, disparu il y a quelques années, le génial Roberto Bolaño.


En tant que critique littéraire (et lyonnais d’origine de surcroît), que pensez-vous de cette formule que l’on prête à François Mitterrand à propos de l’œuvre romanesque de Rebatet : « Il y a deux sortes d’hommes : ceux qui ont lu Les Deux Étendards, et les autres » ?

scheveningen-35754.jpgAbsolument tous les reproches, et les plus durs, peuvent être faits à François Mitterrand, mais enfin, c’était un assez bon lettré, aimant comme vous le savez passionnément l’œuvre d’Ernst Jünger, qu’il connaissait personnellement. Je me souviens d’avoir lu qu’il reprocha un jour à un certain Alain Juppé qui joue aujourd’hui les revenants arrogants, de ne pas connaître Paul Gadenne. S’il n’y avait qu’Alain Juppé qui ignorât l’auteur de La plage de Scheveningen, l’un des plus beaux et grands romans du siècle passé ! Qui connaît encore, hélas, le profond et tourmenté Paul Gadenne ? Certainement pas le crétin hollandais, dont on se demande même s’il a jamais entendu parler d’un mot aussi bizarre et incongru que celui de « littérature » ! Quoi qu’il en soit, j’ai lu Rebatet jeune, trop jeune peut-être et, comme tant d’autres auteurs, il me faut à présent le relire, alors qu’il semble jouir d’une certaine actualité, du moins éditoriale, qui ne s’est pas encore vraiment étendue à des auteurs comme Brasillach (évoqué par Gadenne, qui fut son condisciple en khâgne, dans le roman que j’ai indiqué, sous les traits d’un personnage du nom d’Hersent), Brasillach dont il faut lire Notre avant-guerre, ou bien le pestiféré Abel Bonnard, dont Les Modérés sont une radiographie de la France politique encore pertinente. Je me souviens en tout cas d’avoir estimé, du haut de mes 14 ou 15 ans, que Les Deux Étendards, roman au titre génial, disséquait la France de l’entre-deux guerres avec une profondeur spirituelle absente des romans de Céline, et ce seul souvenir me donne envie de relire ce roman qui avait la réputation, il n’y a pas si longtemps que cela, d’être maudit. Par ailleurs, j’allais, quelques années plus tard, retrouver le nom de Rebatet sous la plume de George Steiner, qui n’a jamais cessé de clamer son admiration pour ce roman, tout en traitant son auteur de salopard. J’ai d’ailleurs commencé ma relecture des Décombres qui vient d’être réédité, après avoir aussi relu le Rebatet de Pol Vandromme et en faisant un crochet par Les Réprouvés d’Ernst von Salomon, décrivant la nécessité d’une refondation de l’Allemagne humiliée par les sanctions des alliés et rongée par la gangrène communiste que les corps francs tentent de contenir, voire d’éradiquer. Il n’est donc pas étonnant que Lucien Rebatet, de même que d’autres qui ont décrit la complexité d’une époque où la France cherchait une forme de renaissance politique tout autant que sociale, voire spirituelle, intéresse et même fascine de nouveau, y compris les jeunes si on leur apprend encore à lire, maintenant que notre pays traverse une crise qui sera mortelle si aucun sursaut, de réelle profondeur et pas cosmétique, ne le sauve. Et puis, à tout prendre, je préfère un jeune gars un peu borné nourri au petit lait de Charles Maurras, mais qui aura au moins lu, et avec passion, Bloy, Bernanos, Jünger, Von Salomon, Rebatet, Brasillach, Hansum ou Pasolini et quelques autres encore sur lesquels planent de vilains soupçons, plutôt qu’un crétin ripoliné fraîchement hypokhâgneux qui n’aura sucé que les mamelles desséchées de Gérard Genette et de Roland Barthes, l’esprit tout farci des fadaises naturalistes sans style de Maupassant et de Zola, et qui finira sous-pigiste à Télérama ou aux Inrockuptibles, à saluer le gras loukoum à orientalisme germanopratin goncourisé d’un Mathias Enard. La passion, l’excès, le courage, plutôt que ces sépulcres déjà blanchis rêvant carrière et petite épouse sage rencontrée à l’école et qui finira comme eux professeur dans le meilleur des cas, à l’âge où Jean-René Huguenin savait qu’il n’égalerait jamais Rimbaud et Carlo Michelstaedter se tirait une balle dans la tête après avoir écrit le dernier mot de sa Persuasion et la rhétorique !

Il n’en reste pas moins que François Mitterrand exagère quelque peu car enfin, il est tout autant possible d’affirmer qu’il y a deux sortes d’hommes : ceux qui ont lu La persuasion et la rhétorique justement, mais aussi ceux qui ont lu Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry, Nostromo de Joseph Conrad, Absalon, Absalon ! de William Faulkner, ou encore Monsieur Ouine de Georges Bernanos ! Et je suis absolument certain que d’autres pourraient vous dire qu’ils ne sont plus les mêmes depuis qu’ils ont lu Shakespeare, Dostoïevski, Stevenson ou bien encore Melville, ce qui est par exemple mon cas ! Et, pour finir sur une méchanceté, je n’en suis pas moins sûr que de pauvres âmes seraient prêtes à jurer qu’elles ont été appelées à une nouvelle vie après avoir découvert les textes d’Amélie Nothomb, de Yannick Haenel ou de Virginie Despentes !


Quel regard portez-vous sur l’œuvre de Roger Nimier et plus généralement sur le courant dit des « Hussards », sur lesquels, pour reprendre vos mots, planent encore de vilains soupçons dans le petit monde germanopratin ? 

grandd'espa.jpgLes Hussards sont des auteurs que je connais finalement assez peu, n’ayant lu que quelques ouvrages de Chardonne, Laurent ou Nimier, bien sûr Les Épées mais aussi Le Grand d’Espagne, qui évoque Georges Bernanos. Comme bien d’autres (je songe ainsi à Péguy, transformé, par l’opération du Saint-Esprit sans doute, en auteur et même penseur de droite), ils ont été d’une certaine façon abâtardis, journalisés par tout un tas de leurs épigones plus ou moins inspirés, revendiqués ou pas. D’ici peu, Causeur leur consacrera un dossier, si ce n’est déjà fait, et c’est ainsi qu’ils seront happés et hachés menu, puis accrochés au plafond, au milieu d’autres andouilles d’appellation et d’origine contrôlées comme Philippe Muray, devenu le saint patron de la Réaction puérile à laquelle nous assistons. Très peu pour moi que cet eczéma purement journalistique, que quelques petits Mohicans attendant les Cosaques et une paire de jolies fesses, y compris celles du Saint-Esprit, gratteront en croyant découvrir des cavernes d’originalité. Il me semble, au cas où vous me poseriez cette question, que l’esprit des Hussards a survécu plus qu’il ne survit, car il semble désormais bien mort, le temps où une seule phrase, aiguisée comme le morfil d’une dague, pouvait d’un trait précis clouer une vieille chouette radoteuse. Le dernier rétiaire de ce genre, altier et redoutable, même s’il a parfois trop donné dans un hermétisme littéraire de pacotille, était Dominique de Roux, et un livre tel qu’Immédiatement, publié aujourd’hui, vaudrait à son auteur une bonne quinzaine de procès, et une chasse à l’homme en règle, qu’il eut d’ailleurs à subir de son vivant. Je songe aussi à l’exemple tragique et lumineux de Jean-René Huguenin, mort en 1962 comme Nimier, également dans un accident de voiture. Je songe encore à Guy Dupré, hélas si profondément méconnu voire ignoré par nos élites littéraires ou ce qui en tient lieu, lequel d’ailleurs a écrit un de ses textes si subtils et profondément littéraires sur Sunsiaré de Larcône (recueilli dans Les Manœuvres d’automne), une belle femme que tout Hussard a dû tour à tour envier et maudire au moins une fois !


Pourquoi vous êtes-vous intéressé à la figuration du démoniaque dans la littérature ?
Sous le soleil de Satan a-t-il été l’ouvrage amorçant votre intérêt pour ce thème et plus spécifiquement, pour l’œuvre complète de Georges Bernanos ?

J’ai découvert Georges Bernanos, comme beaucoup de lecteurs je suppose, via l’adaptation que Maurice Pialat avait réalisée du premier de ses romans. C’est dans mon cas assez étonnant car je ne savais jusqu’alors rien de celui que Nimier surnomma le Grand d’Espagne, alors même que je me trouvais dans un établissement catholique depuis ma classe de septième. Le film de Pialat fut un choc même si par la suite, lisant le roman en question, le relisant et lisant tout ce qu’avait écrit Bernanos et tout ce qui avait été écrit sur lui, je me rendis vite compte que cette adaptation était assez infidèle, à la lettre du roman bien sûr, mais, plus grave, à l’esprit même de l’écriture bernanosienne. Peu importe du reste, car Pialat s’est montré, pour le coup, authentiquement bernanosien en levant le poing, tout le monde se souvient de ce geste crâne, face aux connards qui le sifflaient.

ouine.jpgMon intérêt pour la figuration littéraire du démoniaque n’a pu être que conforté par la découverte de l’œuvre romanesque de Georges Bernanos, qui devait culminer par la lecture de Monsieur Ouine, réputé, à juste titre, comme étant le roman le plus difficile de l’auteur et qui, du diable et du démoniaque, donne une peinture absolument fascinante. J’ai tenté d’éclairer de plusieurs façons ce roman, par exemple en le rapprochant de l’hermétisme démoniaque tel que le développe Kierkegaard ou bien en en proposant une lecture comparée avec Cœur des ténèbres de Joseph Conrad, par le biais de l’étude de la voix des personnages principaux, Kurtz et l’ancien professeur de langues, tous deux maîtres d’un langage dévoyé. Bien évidemment, aucune mention de ces travaux (et d’autres, comme l’influence plus ou moins souterraine d’Arthur Machen sur Sous le soleil de Satan, par le biais de la si belle traduction que Paul-Jean Toulet donna du Grand Dieu Pan) dans la nouvelle édition des œuvres romanesques de Bernanos en Pléiade mais, comme c’est Monique Gosselin-Noat qui a été chargée par Max Milner de l’édition de Monsieur Ouine, il ne fallait certes pas s’attendre à ce qu’elle mentionne autre chose que ses petites fadaises universitaires !

La découverte de l’œuvre de Bernanos puis, dans le foulée, de celles de Barbey, Bloy et Hello, mais aussi Huysmans et quelques autres décadents de moindre importance comme Jean Lorrain ou Remy de Gourmont, n’a pu que creuser mon questionnement sur le démoniaque en littérature, mais pas en être la source, qui doit plutôt remonter à ma découverte, assez jeune (en cinquième ou quatrième je pense) des romans de Dostoïevski, de Stevenson ou de Faulkner et, avant eux encore, de telle pièce indiciblement noire de Shakespeare, Macbeth, dont la dernière adaptation cinématographique m’a fait l’effet d’un joli clip aux lumières bien léchées. J’ajoute à ces quelques noms ceux de Rimbaud et de Baudelaire, que je n’ai jamais cessé de relire depuis que je les ai découverts.

C’est peu dire, en tout cas, que cette thématique m’a fasciné et me fascine encore, l’un des jalons de son approfondissement ayant été la lecture intensive et, je crois, intense, de Sören Kierkegaard en classe de terminale qui, vous le savez, a beaucoup médité et écrit, et puissamment comme il en va toujours avec cet horrible génie, sur le thème du démoniaque. Ensuite, puisqu’il me fallait remonter aux sources, j’ai lu tout ce que je pouvais lire concernant le démon, non seulement bien sûr les textes sacrés de la tradition judéo-chrétienne, écrits intertestamentaires et apocryphes inclus, mais tous les traités (du moins, ceux qui bénéficient d’une traduction française) de démonologie, comme le Malleus Maleficarum ou Marteau des sorcières d’Institoris et Sprenger ou encore le beau Tableau de l’inconstance des mauvais anges et démons de Pierre De Lancre. Je devais aussi rencontrer le Père Chossonnery, exorciste du diocèse de Lyon, avec lequel j’eus un long entretien.

C’est je crois cette plongée en eaux troubles qui m’a donné pour habitude d’établir des liens, que je crois la plupart du temps originaux, entre des romans qu’a priori rien ne rapproche et, en tout cas, qui me permet de lire des textes en comprenant, assez vite tout de même, leur profondeur, ou bien, a contrario, leur absence de profondeur. Un grand écrivain est d’abord un grand lecteur, certains cas, comme celui de Michel Houellebecq étant plus difficiles que d’autres à caractériser, car voici un grand lecteur qui n’est pas un grand écrivain, tout comme Dantec d’ailleurs, même si leurs styles respectifs sont fondamentalement différents. Quoi qu’il en soit, appelons cela mon péché mignon, je continue à lire tout ce qui paraît, à condition que les textes soient sérieux, sur le diable ou le démoniaque, et à relire les grandes œuvres romanesques d’un Dostoïevski ou d’un Melville, dont la grandeur même provient essentiellement du fait qu’elles proposent une vision du Mal.


Le grand lecteur que vous êtes a-t-il pour projet de devenir un jour écrivain, j’entends par là, en publiant un roman ?

Je n’ai aucun projet littéraire d’aucune sorte, surtout pas celui de devenir, comme tant d’ambitieux dont le talent est inversement proportionnel à la surface de léchage de leur langue, ceci ou cela. Publier un roman me dites-vous… Mais à quoi bon puisqu’il s’en publie plusieurs centaines lors de chaque rentrée dite littéraire et que, dans le meilleur des cas (c’est bien évidemment une hypothèse aussi loufoque qu’impossible !), je devrais accepter que mon roman soit lu, jugé même par une Virginie Despentes admise récemment au jury du Goncourt ? Je doute fort de jamais publier un roman en bonne et due forme, car je sais rester à ma place, et celle-ci est celle d’un critique littéraire. Or, la critique littéraire, naguère florissante, est un art aujourd’hui mourant, si ce n’est mort, du moins en France. Je ne parle certes pas de la critique universitaire, bien souvent totalement stérile et confidentielle, ou de la critique journalistique, résolument eunuque, consanguine et inculte, mais d’une critique d’auteur, passionnée, forcément partiale et qui, sans jamais copier les journalistes et les chercheurs, emprunte certaines de leurs techniques. Et, surtout, qui n’hésite jamais à appeler un chat un chat et une rinçure, selon le terme de Rimbaud, une rinçure, car, contrairement à nos amis journalistes, je ne dois rien à personne, je suis libre de chacun de mes propos, et je me moque des coteries qui font et défont les réputations, et même les carrières, du moins en matière d’édition et de journalisme.

patrice-trigano-l-oreille-de-lacan.jpgTenez, j’ai récemment pointé, dans un long article fouillé, les très étranges coïncidences, selon le terme pudique employé par ces temps de judiciarisation de la vie française, entre Soumission de Michel Houellebecq et le roman d’un auteur bien moins connu que ce dernier, L’Oreille de Lacan de Patrice Trigano. Pas un seul, je répète, pas un seul de nos si valeureux journalistes, pourtant si friands de polémiques parfois inventées de toutes pièces, n’a repris l’information, ne serait-ce que pour refaire à son compte ma petite enquête, l’infirmer ou la confirmer. Or, n’ai-je pas été, en l’occurrence, une espèce de lanceur d’alerte, expression à la mode écologiste, dans cette affaire ? Rien, silence total, typiquement journalistique. Puis j’ai bien trop de respect pour les romanciers, du moins les vrais romanciers, pour que je tente de les parodier, à une époque où n’importe qui, même ma boulangère et Raoul sur sa tire, Virginie Despentes et Yann Moix, peuvent être et même sont, paraît-il, des romanciers, célébrés comme tels, accueillis par tous les journalistes qui, même s’ils osent critiquer du bout de leur clavier tel ou tel aspect de leurs nullités, ne s’en tiennent pas moins à carreau. Virginie Despentes, comme je l’ai dit, vient même de rentrer dans le jury du Prix Goncourt qui, il est vrai, a récompensé sans le moindre sentiment de honte et même avec fierté je le suppose, cette année et l’année passée, deux nullités, Pas pleurer de Lydie Salvayre et Boussole de Mathias Enard. Il est vrai qu’il ne faut s’attendre à strictement rien, avec Bernard Pivot et Pierre Assouline, mais enfin, nous aurions pu estimer qu’il leur restait, à tout le moins, le sentiment du ridicule ! Moi, à mon niveau, modestement mas pas moins résolument, je remplis le rôle d’office de vigie dont parlait Sainte-Beuve, mais c’est aux romanciers, s’il en reste vraiment en France plus qu’une toute minuscule poignée, d’écrire de bons romans, pas à moi !


Parmi les auteurs vivants qui trouvent grâce à vos yeux, vous n’avez pas cité Marc-Édouard Nabe… Était-ce une omission volontaire de votre part ?

Bien sûr. Hormis Alain Zannini, aucun des textes de Nabe n’a trouvé grâce comme vous dites à mes yeux, et certainement pas celui par lequel les béjaunes ont parfois découvert Léon Bloy, Au Régal des vermines. Je ne lis plus Nabe, comme je ne lis plus Dantec, comme je ne lis plus Soral et comme je ne vais pas tarder à ne plus lire Houellebecq. J’ai en tout cas relu ce texte de gamin fort en thème ou plutôt, point trop mauvais en thème, il y a quelques années, et il m’a frappé par la remarquable platitude de ses harangues, de ses trouvailles, de ses envolées, de ses « analyses », de son commentaire de Léon Bloy. Tout pue la copie appliquée, écrite en tirant la langue, en plaçant au bon endroit les petites références incontournables de tout infréquentable qui se respecte. Nabe n’est pas grand-chose, sauf peut-être pour sa grouillante cohorte de lecteurs hystériques, qui veillent au ridicule de leur idole naine comme une vestale à la flamme d’allumette dont elle a reçu la garde mais, en tout cas, il n’est certainement pas comme il le prétend le plus fier sinon le seul continuateur de Léon Bloy, dont l’imprécation n’avait de sens que parce qu’elle indiquait une trame invisible sur laquelle elle se détachait comme un éclair de chaleur, vers laquelle elle faisait signe. Qui a poursuivi l’œuvre du Mendiant ingrat, en France ? Nabe clament en chœur les imbéciles, et même l’excellent Pierre Glaudes avec lequel je suis en désaccord total sur ce point. Le dernier continuateur de Bloy, qui a du moins compris les implications théologiques de son long cri de misère et de méchanceté, mais aussi de son formidable commentaire des textes sacrés et de leur application à l’histoire, c’est Louis Massignon bien sûr ! De sorte que Nabe n’est pas seulement un Léon Bloy pour crétin antisémite ou imbécile soralien, mais un surgeon nanométrique et excité comme une femelle en période de chaleur du Mendiant ingrat, débarrassé qui plus est de tout arrière-monde, comme disait Bonnefoy, transcendant. Enlevez à Léon Bloy sa constante ferveur religieuse, sa prodigieuse intuition exégétique, vous aurez Marc-Édouard Nabe, dont l’œuvre se situe quelque part entre les latrines et le boudoir.


Critiquer, c’est juger. D’où tenez-vous votre magistère ?

Belle question, la plus difficile sans doute. Je vous remercie pour commencer de poser une égalité entre la critique littéraire et le jugement, à une époque où plus personne n’ose juger un livre, et d’abord celles et ceux qui sont payés pour le faire, les journalistes. Cette question, il y a un siècle, aurait sans doute été évacuée d’un haussement de sourcil mais, aujourd’hui, à présent que l’autorité, comme l’aura selon Walter Benjamin, a fondu comme neige au soleil, le Christ lui-même, s’il revenait sur terre, aurait quelque mal à nous assurer qu’il détient la clé, c’est-à-dire la légitimité, de tout pouvoir. C’est du reste de son propre vivant que le Christ a été raillé, soupçonné, invectivé et pour fini crucifié, de la même façon que, quelques siècles plus tard, seront moqués, soupçonnés, invectivés et parfois, pour Louis XVI, guillotiné, les rois de France qui tenaient de Dieu leur pouvoir, leur légitimité. L’époque contemporaine est exactement concomitante avec une perte de la notion de légitimité, partant de magistère et d’autorité, comme nous l’enseignent les problématiques propres à la théologie politique, singulièrement les réflexions d’un Carl Schmitt, que nos penseurs et intellectuels contemporains feraient bien, et de toute urgence, de relire.

Revenons à mon très modeste cas : je ne suis pas plus que n’importe qui légitime pour dire de Mathias Enard que c’est un auteur sans intérêt, pour prétendre que les essais de Richard Millet ne valent rien, ou que Yannick Haenel n’a même pas le talent suffisant, c’est dire, pour tourner une seule page d’un livre inutile de Philippe Sollers. Je ne suis pas davantage légitime pour affirmer que ce qui est encensé par la presse, neuf fois sur dix, ne vaut strictement rien et que nos gloires journalistiques, par exemple un Pierre Assouline, se déshonorent en faisant d’une Virginie Despentes l’un des jurés du Prix Goncourt lequel, c’est vrai, ne sait plus rien du tout de l’honneur comme nous pouvons le constater par ses dernières récompenses. Tout autant, je ne suis pas moins légitime qu’un autre pour trier le bon grain de l’ivraie et assurer mon rôle, plutôt ingrat. Cette réversibilité est au moins le bon côté d’une époque comme la nôtre, qui nous autorise à être jésuite à si bon compte, et de renvoyer dos à dos les contempteurs et les thuriféraires de la légitimité, à vrai dire les thuriféraires et les contempteurs de n’importe quelle notion, puisque tout se vaut, une rinçure post-moderne traduite par l’ignoble traducteur et écrivain qu’est Christophe Claro et Absalon, Absalon ! de William Faulkner.

Je pourrais certes, après quelques minutes de recherche, multiplier les exemples historiques et montrer que tout critique littéraire digne de ce nom a au moins une fois été confronté à la problématique crucifiante de sa légitimité : qui es-tu donc, toi, pour oser critiquer un livre, mon livre ? Lisant votre question, cela a même été ma première tentation, mais je crois qu’il faut ici répondre franchement, comme je l’ai fait : rien ne m’autorise à prétendre que Faulkner, Conrad, Melville, Bloy, Bernanos, Gadenne, Sebald ou Broch sont de grands, parfois même de très grands écrivains et que tel ou tel est un nain dont les livres, pourtant salués par la presse consanguine, ne valent rien. Mais regardez un peu, maintenant que mon blog est vieux de 10 années, si je me suis beaucoup trompé sur la valeur des livres que j’ai évoqués ! Car c’est après tout la meilleure réponse que je puis vous donner : mon autorité, en matière de critique littéraire, s’appuie sur elle-même. Tautologie ? Non, car cette autorité, je l’ai cent fois, mille fois remise en jeu, dans chacune de mes notes, en prenant le risque de me tromper, en prenant le risque qu’un autre lecteur affirme, et prouve par-dessus le marché, que Richard Millet, lorsqu’il joue à l’essayiste martial ayant tutoyé le phalangiste chrétien durant la Guerre du Liban, n’est absolument pas ridicule et même convaincant sinon légitime, en affirmant par exemple, contre ce que j’en dis, qu’une virgule de Nabe vaut après tout une virgule de Bloy, ou que l’exotisme en carton-pâte de Mathias Enard n’est vraiment pas une plaisanterie pour attachée de presse germanopratine pensant que Moravagine est le nom d’un groupe de musique punk italien avant que d’être un magnifique roman de Blaise Cendrars.

Poursuivons. Tout bon lecteur se sera demandé pour quelle raison j’ai eu besoin d’invoquer le Christ en vous répondant. Orgueil démesuré ? Application des thèses, milles fois éventées désormais, de René Girard à ma petite personne sacrificielle ? J’ai évoqué l’exemple du Christ pour deux raisons. D’abord pour rattacher cette question extraordinairement complexe de la légitimité à son socle véritable qui implique, du moins pour un Occidental, un fondement surnaturel, un geste créateur qui commence la longue chaîne des causes entraînant les conséquences. Il faut bien, à un moment donné, que la concaténation soit brisée, sauf à devenir fou dans une vaine tentative de saisir la cause initiale, celle que rien n’explique et de laquelle tout provient. Cette cause est le Verbe, le Christ donc pour un chrétien. Le Christ s’est prétendu Dieu et Fils de Dieu, et c’est cette prétention inouïe, en fondant son magistère, qui lui a conféré une autorité à nulle autre pareille, dont le phénomène du leader charismatique analysé par le regretté Jean-Luc Evard n’est que le plus récent des surgeons, certes dévoyés.

Tout autant, ce même bon lecteur aura compris qu’il y a en somme, dans tout exercice honnête de critique littéraire, et à condition bien sûr qu’elle se sépare (sans du moins les ignorer) des petits jeux universitaires, de tout ce que Merleau-Ponty appelait les langages seconds, une dimension de risque, une « corne de taureau » à laquelle il faut s’exposer selon Michel Leiris. Pour le dire autrement, si le critique littéraire est un juge auquel il est impossible de demander d’être impartial, il est aussi celui qui assume sa responsabilité, qui prend sur lui, comme le dit cette merveilleuse expression, son propre jugement, le fonde par son autorité et son exemplarité et, d’une certaine façon point si imagée que cela, se sacrifie en fin de compte, un peu comme le héros de La Chute de Camus : juge, bourreau si l’on veut et sacrifié. Pourquoi diable se sacrifierait-il, ce critique que l’on jugera un peu trop pressé de faire partie de tous les raouts, du plus grand nombre de jurys possibles et qui, comble de l’entreléchage, écrira même des romans tout juste oubliables que ses confrères s’empresseront de saluer ? Parce que, avant de penser à lui-même, il pense à l’œuvre qu’il doit s’efforcer de servir. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le critique littéraire d’un peu de poids est celui qui jamais ne se sert en premier, mais qui sert les autres, en servant l’œuvre qu’il commente. Il s’oublie, alors que le moindre écrivaillon, aujourd’hui, oubliera sans problème ni remords la littérature depuis l’épopée de Gilgamesh, mais sera parfaitement incapable de jamais oublier ses petites souillures, sa petite personne. Le cri du monde contemporain est un immense MOI qui résonne sans fin dans le vide !

Critiquer, c’est juger bien sûr, et ce jugement s’appuie tout de même sur la lecture fine et attentive d’autant d’œuvres que possible, de toutes les œuvres qui comptent, ajouterait quelque fanatique de Borges qui aurait raison, au rebours de ce que les ânes contemporains imaginent être un véritable exercice de lecture, réduit dans leur esprit à la simple diffusion, de préférence conviviale et châtrée, d’une opinion qui, comme les goûts et les couleurs n’est-ce pas… Mais critiquer, c’est surtout s’exposer, sacrifier son petit confort intellectuel au risque d’être traité de tous les noms, et d’abord de celui d’envieux ou de raté. J’ai eu ma dose d’insultes, croyez-moi, des tombereaux de merde déversés par les thuriféraires de la clique sollersienne, de la clique nabienne, de la clique soralienne, de la clique camusienne et milletienne (c’est à peu de chose près une seule et même clique), de toutes les cliques dont j’ai ridiculisé quelque peu les prétentions littéraires et intellectuelles. J’en recevrais encore, des insultes, c’est une évidence. Cela n’est rien finalement, un peu d’abnégation contrainte et d’humilité bienvenue, versés comme un acide sur la plaie du nombrilisme et de la vanité qu’entretient si scrupuleusement notre époque, auxquels je n’échappe moi-même qu’en partie bien sûr. Ce qui compte, au travers même du mépris et des moqueries auxquels un critique pourra cependant être las de faire face (et que dire du silence auquel il s’expose, seule arme des lâches, mais ô combien redoutable !), c’est de faire découvrir à une poignée de lecteurs un Vincent La Soudière, un Robert Penn Warren, un Paul Gadenne, et de leur permettre de lire ou même relire de grands romans comme Au-dessous du volcan ou bien La Mort de Virgile. Cela seul compte. Et comptera.

 

Stalker : le blog de Juan Asensio

A LIRE : Le Questionnaire, d’Ernst von Salomon

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A LIRE : Le Questionnaire, d’Ernst von Salomon

Ex: http://www.theatrum-belli.com

Le célèbre auteur des Réprouvés, cadet prussien qui racontera sa perception presque romantique de l’histoire des corps-francs d’après-guerre et du terrorisme des groupuscules nationalistes, a également publié en 1951 un livre fameux, Le Questionnaire, que Gallimard a la bonne idée de rééditer.

Questionnaire.jpgL’architecture générale du livre s’appuie sur les quelques 130 questions auxquelles les Américains demandèrent aux Allemands de répondre en 1945 afin d’organiser la dénazification du pays, mais en les détournant souvent et prenant à de nombreuses reprises le contre-pied des attentes des vainqueurs. A bien des égards, le livre est ainsi non seulement à contre-courant de la doxa habituelle, mais camoufle également bien des aspects d’une réalité que l’Allemagne de la fin des années 1940 refusait de reconnaître : « Ma conscience devenue très sensible me fait craindre de participer à un acte capable, dans ces circonstances incontrôlables, de nuire sur l’ordre de puissances étrangères à un pays et à un peuple dont je suis irrévocablement ». Certaines questions font l’objet de longs développements, mais presque systématiquement un humour grinçant y est présent, comme lorsqu’il s’agit simplement d’indiquer son lieu de naissance : « Je découvre avec étonnement que, grâce à mon lieu de naissance (Kiel), je peux me considérer comme un homme nordique, et l’idée qu’en comparaison avec ma situation les New-Yorkais doivent passer pour des Méridionaux pleins de tempérament m’amuse beaucoup ». Et à la même question, à propos des manifestations des SA dans la ville avant la prise du pouvoir par les nazis : « Certes, la couleur de leurs uniformes était affreuse, mais on ne regarde pas l’habit d’un homme, on regarde son coeur. On ne savait pas au juste ce que ces gens-là voulaient. Du moins semblaient-ils le vouloir avec fermeté … Ils avaient de l’élan, on était bien obligé de le reconnaître, et ils étaient merveilleusement organisés. Voilà ce qu’il nous fallait : élan et organisation ». Au fil des pages, il revient à plusieurs reprises sur son attachement à la Prusse traditionnelle, retrace l’histoire de sa famille, développe ses relations compliquées avec les religions et les Eglises, évoque des liens avec de nombreuses personnes juives (dont sa femme), donne de longues précisions sur ses motivations à l’époque de l’assassinat de Rathenau, sur son procès ultérieur et sur son séjour en prison. Suivant le fil des questions posées, il détaille son éducation, son cursus scolaire, son engagement dans les mouvements subversifs « secrets », retrace ses activités professionnelles successives avec un détachement qui parfois peu surprendre mais correspond à l’humour un peu grinçant qui irrigue le texte, comme lorsqu’il parle de son éditeur et ami Rowohlt. Il revient bien sûr longuement sur les corps francs entre 1919 et 1923, sur l’impossibilité à laquelle il se heurte au début de la Seconde guerre mondiale pour faire accepter son engagement volontaire, tout en racontant qu’il avait obtenu en 1919 la plus haute de ses neuf décorations en ayant rapporté à son commandant… « un pot de crème fraîche. Il avait tellement envie de manger un poulet à la crème ! ». Toujours ce côté décalé, ce deuxième degré que les Américains n’ont probablement pas compris. La première rencontre avec Hitler, le putsch de 1923, la place des élites bavaroises et leurs rapports avec l’armée de von Seeckt, la propagande électorale à la fin des années 1920, et après l’arrivée au pouvoir du NSDAP les actions (et les doutes) des associations d’anciens combattants et de la SA, sont autant de thèmes abordés au fil des pages, toujours en se présentant et en montrant la situation de l’époque avec détachement, presque éloignement, tout en étant semble-t-il hostile sur le fond et désabusé dans la forme. Les propos qu’il tient au sujet de la nuit des longs couteaux sont parfois étonnants, mais finalement « dans ces circonstances, chaque acte est un crime, la seule chose qui nous reste est l’inaction. C’est en tout cas la seule attitude décente ». Ce n’est finalement qu’en 1944 qu’il lui est demandé de prêter serment au Führer dans le cadre de la montée en puissance du Volkssturm, mais « l’homme qui me demandait le serment exigeait de moi que je défende la patrie. Mais je savais que ce même homme jugeait le peuple allemand indigne de survivre à sa défaite ». Conclusion : défendre la patrie « ne pouvait signifier autre chose que de la préserver de la destruction ». Toujours les paradoxes. Dans la dernière partie, le comportement des Américains vainqueurs est souvent présenté de manière négative, évoque les difficultés quotidiennes dans son petit village de haute Bavière : une façon de presque renvoyer dos-à-dos imbécilité nazie et bêtise alliée… et donc de s’exonérer soi-même.

Au final, un livre qui doit être lu, car au-delà même de ce qu’il raconte de von Salomon et de l’entre-deux-guerres, il est également très éclairant sur la façon dont une partie non négligeable de la population allemande s’est en quelque sorte « auto-protégée » en 1945.

Gallimard, Paris, 2016, 920 pages. 18,50 euros.

Source : Guerres & Conflits

Hoe de fijnburgerij een rebel liquideert

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Mark Grammens:

Hoe de fijnburgerij een rebel liquideert

Ex: http://www.doorbraak.be

Trump anders bekeken

De vrienden van Amerika krijgen het zwaar te verduren. Er komen nog weinig positieve berichten uit dat land. De laatste tijd lijkt er een campagne aan de gang te zijn tegen de Republikeinse presidentskandidaat Donald Trump, waarbij hij door de media wordt voorgesteld als een geesteszieke. Hoe kan dat nu? Men associeert toch nog altijd het geestesziek verklaren van politieke tegenstanders met de tijd toen Brezjnev in de Sovjetunie aan de macht was en daar iedereen die tot de “dissidenten” behoorde, in psychiatrische instellingen werd ondergebracht. Daalt het land dat ooit een baken van vrijheid was, nu af tot dat niveau?

Het is zeer opvallend dat een blad als Elsevier, dat traditioneel kosten noch moeite spaarde om het  Nederlandse taalgebied gunstig te stemmen voor de VS, zich nu ineens zwaar beklaagt over wat de hedendaagse Amerikaanse samenleving te zien geeft. Het blad (editie 24 oktober) noemt de Amerikaanse verkiezingscampagne die thans bezig is, “de meest bizarre uit de geschiedenis”. Het schrijft: “De meeste media hebben een ware haatcampagne gevoerd tegen de Republikeinse kandidaat Trump en zijn familie.” Elsevier besluit dat de Amerikaanse media “een nieuwe dimensie hebben toegekend aan een haatcampagne, te weten haat om de haat.” Dit betekent, aldus Elsevier, dat de Democratische kandidaat Hillary Clinton de volgende president van Amerika wordt, maar dan wel de president “van een Amerika vol haat en onoverbrugbare conflicten”. De verontwaardiging moet wel zeer groot zijn want dat is een taal die we in Elsevier nog niet tegenkomen zijn als het om Amerika gaat. Straks zal men het er nog over eens zijn dat miljardairs, zakenbelangen en banken, buiten proportie geld hebben uitgegeven aan de campagne tegen de kandidaat Trump. En de  Bill Clintonstichting, zo genoemd naar de voormalige president en echtgenoot van Hillary Clinton, heeft omvangrijke giften afkomstig uit Qatar en Saoedi-Arabië naar de campagne van de Democraten doorgesluisd.

Melania Trump 09.jpgHet heeft allemaal iets akeligs en het verwondert niet dat volgens peilingen een meerderheid van Amerikanen vindt dat de verkiezingen niet helemaal correct  en eerlijk verlopen (Knack 22 oktober). Men kan er niet naast zien dat de kandidaat Trump het slachtoffer is van een soort samenzwering “die de hele elite in binnen- en buitenland” verenigt (Knack, id.). Zelfs staatsorganen als de federale recherche zijn actief in de bestrijding van de kandidaat Trump.

Wat heeft Trump gedaan om al die haat tegen zijn persoon op te roepen? Natuurlijk, hij heeft zijn wat bizarre kanten. Het is niet de man waarmee u of ik het weekend zouden willen doorbrengen, maar ironisch gezegd: hoeveel  Amerikaanse presidenten zouden dat geweest zijn? Toch zeker Richard Nixon niet, de man die als president werd afgezet wegens het Watergate-schandaal? Of Georges W. Bush, die ons probeerde wijs te maken dat Amerika en de  wereldvrede gevaar liepen doordat Irak kernwapens bezat en de raketten om ze over de hele wereld te verspreiden. Toen Bush dan Irak binnenviel om de wereld te redden, werd geen enkel spoor van een kernwapen of een raket aangetroffen. En president John Kennedy, die in Europa heilig werd verklaard, heeft tijdens de presidentsverkiezingen van 1960 met stemmen van dode kiezers de staat Illinois (Detroit) binnen gehaald, die naar zijn tegenstander had moeten gaan, en dan was Kennedy geen president geworden.

Wat wil Trump? Hetzelfde als wat blijkens peilingen 65% van de blanke Amerikanen wil (ofwel 40% van de totale bevolking), namelijk dat de immigratie stopt en dat er een muur gebouwd wordt op de grens met Mexico om verdere immigratie te verhinderen. Men kan daarover van mening verschillen, maar de mensen die zo denken, hebben evenveel recht als anderen op hun mening en op een presidentskandidaat die hun mening uitdraagt. Wat wil Trump nog? Hij wil voorrang geven aan Amerikanen bij het toekennen van banen en hij wil dat de christelijke traditie van Amerika wordt beschermd. Hij gaat openlijk door als de representant van diegenen die zich in Amerika in de steek gelaten voelen door een elite die het geld bezit, het overwaardeert en zich moreel veilig stelt door diversiteit een internationalisme te verdedigen. Trump is ook tegen vrijhandel en voor een isolationistische buitenlandse politiek. Hij is niet de eerste Amerikaanse politicus die zich afzet tegen de elite van de Oostkust (Boston, Harvard). Het populisme is ten slotte een Amerikaans politieke uitvinding, die ooit geleid heeft tot het ontstaan van een 'People's Party' aan het eind van de 19de en begin van de 20ste eeuw. Hij staat met tenminste een been in een oude, eigen Amerikaanse traditie. Moest hij daarom zo worden afgemaakt? Bespring de volgende vrouw, riep op een gegeven moment hoofdredacteur Bret Stephens hem toe inde Wall Street Journal. Dat is natuurlijk een niveau waar men het moeilijk van kan halen.

En dus wordt Hillary Clinton, van wie wordt gezegd dat ze het charisma heeft van een vrieskist, de volgende leidster van de wereld. Moeten wij ons soms niet afvragen of wij, dat zijn de inwoners van de hele wereld samen, dit verdienen, of wij moeten bestuurd worden door een “militair-industrieel complex” (Eisenhower) dat geen enkele inspraak duldt van welk volk ter wereld ook? Zien wij dan niet dat er overal, in Amerika, in Europa, in het Midden-Oosten, in Azië, in Afrika, in Latijns-Amerika, iets broeit, dat opstandige bewegingen aanhang en belangstelling krijgen, en dat er een nieuw soort populisme in opmars is? Hebben wij daar geen ander antwoord op dan te proberen het te elimineren?

Kan de wereld de rebel alleen verdragen als hij dood is of nadat hij een leven in gevangenschap heeft  doorgebracht - of nadat hij door de fijnburgerij vermalen werd tot voorwerp van spot en misprijzen?

Miguel de Unamuno: Siegen ist nicht überzeugen

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Siegen ist nicht überzeugen

von Carlos Wefers Verástegui

Ex: http://www.blauenarzisse.de

Am 12. Oktober 1936, fast drei Monate nach Beginn des Spanischen Bürgerkriegs, kam es in der Universität Salamanca zu einem Eklat.

Der berühmte Philosoph und Rektor der Universität, Miguel de Unamuno y Jugo, erklärte sich offen gegen die aufständischen Rechten und Militärs des Generals Franco. Salamanca war zum damaligen Zeitpunkt Hauptstadt der „Nationalen“ in ihrem Kampf gegen Volksfrontregierung und Zweite Spanische Republik. Der 12. Oktober, der Tag der Entdeckung Amerikas, war der spanische Nationalfeiertag. Die Begehung dieses Feiertags seitens der Rechten, die im Namen der nationalen Einheit Spaniens, des Katholizismus und überhaupt der „spanischen Sendung in der Welt“ zu den Waffen gegriffen hatten, musste, mitten im Bürgerkrieg, besonders symbolträchtig aufgezogen werden. Und tatsächlich wurde er zum Fanal in mehr als nur einem Sinne.

Kreuzzug gegen den Bolschewismus

Einer der Gründe, weshalb Salamanca als Hauptstadt in Frage kam, war die politische Stärke der dortigen Rechten: eine ruhige, ländlich geprägte Provinzhauptstadt, fast ohne Industriearbeiterschaft, und in der die lokale Oligarchie und die Kirche noch fest im Sattel saßen. Der Bischof von Salamanca, Monseñor Enrique Plá y Deniel, war es gewesen, der den Aufstand der Rechten zum „Kreuzzug“ gegen den Bolschewismus und für die christliche Zivilisation erklärt hatte. Auch er war es, der den augustinischen Symbolismus der „zwei Reiche“ der Situation anpasste: Die Republik bedeutete den weltlichen Staat, gegenüber dem die Aufständischen den Staat Gottes zu behaupten hatten. Diese Auslegung der „Zwei-​Reiche-​Lehre“ rechtfertigte theologisch als eine dringend benötigte höhere Weihe den Aufstand.

Die Universität Salamanca war als Ganzes beileibe nicht „rechts“, doch hatte sich in ihren internen Streitigkeiten der ultraklerikale Sektor immer wieder erfolgreich gegenüber den Verfechtern des „Fortschritts“ durchgesetzt. Von „linken“ und fortschrittlichen Elementen „gesäubert“ und einmal offen zu den Aufständischen übergegangen, war es ihre Aufgabe, am Nationalfeiertage ihren Beitrag zur Legitimation des frisch aus dem Bürgerkrieg hervorgegangenen Regimes zu leisten.

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Unamuno stellt sich auf Seiten der Putschisten

Ein Risikofaktor war der betagte Rektor der Universität, Miguel de Unamuno y Jugo (18641936). Wie viele andere in der spanischen Öffentlichkeit hochgestellte Persönlichkeiten hatte auch Unamuno die Republik einst begeistert begrüßt, um sich später geekelt von ihr abzuwenden. Genauso wie José Ortega y Gasset war nämlich auch Unamuno schnell von ihrem rasenden Antiklerikalismus, ihrer Pöbelhaftigkeit und ihrem freimaurerischen Fortschrittsglauben abgestoßen.

Der bei der spanischen Intellektualität vom Anfang des zwanzigsten Jahrhunderts beliebte Ruf nach einer gewalttätigen Lösung der Probleme Spaniens klang bei Unamuno nach, als dieser sich bei Ausbruch des Bürgerkriegs spontan auf die Seite der Putschisten stellte. Kurzerhand wurde er von der Volksfrontregierung vom Amt des Rektors der Universität Salamanca abgesetzt, doch währte diese Absetzung nicht lange: die Aufständischen belohnten seine Parteinahme zu ihren Gunsten flugs mit der Wiedereinsetzung.

Die Opfer des Terrors

Als der Nationalfeiertag sich näherte, hatte Unamuno sich aber bereits von den „Nationalen“ – den aufständischen Militärs sowie ihrer faschistischen Anhängerschaft von der Falange-​Partei – distanziert. Die Militarisierung Salamancas war nicht ohne Blutvergießen vonstatten gegangen: Kurz nach dem Militärputsch hatten Soldaten auf dem „Plaza Mayor“, dem weltberühmten Rathaus-​Hauptplatz, eine Gruppe Demonstranten zusammengeschossen. Fünf von ihnen kamen dabei ums Leben. Auch die politischen Säuberungsaktionen wurden vom ersten Tag an mit wahrem Übereifer betrieben: Alles, was einen „republikanischen“ Hintergrund hatte oder nicht offen zu den Aufständischen übergegangen war, hatte gute Chancen, mit oder ohne Prozess erschossen zu werden. Der politische Terror wurde für viele Menschen zum Alltag. Zu den Opfern gehörten von vornherein auch viele Freunde von Unamuno, wie der protestantische Geistliche Atilano Coco: Als junger Mann war Unamuno republikanischer Liberaler gewesen, später wechselte er zum „Sozialismus“ der Spanischen Sozialistischen Arbeiterpartei (PSOE). Diese Bekanntschaften standen jetzt alle auf der Abschussliste oder waren bereits erschossen worden.

Die neue „nationale“ Universität begeht das „Fest der Rasse“

Der Festakt der Universität Salamanca zum „Tag der Rasse“ – d.h. des Tags der welterobernden und zivilisierenden „Rasse“ der Spanier – sollte, mitten im Bürgerkrieg, eine Kampfansage und ein Bekenntnis zugleich sein. Als höchste akademische Autorität war die Teilnahme Unamunos eine Formalität, wenn auch eine bedeutungsschwere. Dass Unamuno eine Rede halten würde, war nicht eingeplant. Mit den ersten drei Rednern, die allesamt bekannte Gelehrte waren, hielten die Freund-​Feind-​Kategorien des Bürgerkriegs Einzug in den Festssaal. Dieser wurde zum Szenario der eigenen nationalen Verklärung sowie der Dämonisierung des Gegners. Besonders die zur Republik haltenden und, folglich, „von Spanien abtrünnigen“ Katalanen und Basken wurden zum Sinnbild eines krebsartigen „Antispanien“ gemacht.

Letzteres wurde Unamuno zum Stichwort. Er ergriff das Wort, um den selbsternannten Verteidigern von Christentum, Zivilisation und Spaniertum den Spiegel vorzuhalten. In Anwesenheit der sich auch ideologisch im Kriege befindenden katholischen Hierarchie fragte Unamuno nach den christlichen Werten der Gnade, der Verzeihung und der Barmherzigkeit. Danach führte er aus, dass die These, dass Katalanen und Basken das „Antispanien“ seien, dieselben Katalanen und Basken getrost so umdrehen könnten, um aus den „Nationalen“ das Antispanien zu machen. Die Aufständischen seien nämlich weder des Christentums, das der im Festsaal zugegene katalanische Bischof Plá y Deniel ihnen gelehrt hatte, noch der spanischen Sprache, die er, der Baske Unamuno ihnen gelehrt hatte, mächtig.

Unamuno rechnet mit den Aufständischen ab

Während seiner Rede kam Unamuno auf die Formel: „Siegen ist überzeugen, und was man vor allem tun muss, ist überzeugen. Nicht überzeugend ist der Hass, der dem Mitleid keinen Raum lässt, nicht überzeugend ist Hass gegen diejenige Intelligenz, die kritisch und differenziert ist, die inquisitiv-​fragend ist, aber nicht fragend im Sinne von Inquisition.“ Die versammelten Gäste, in der Mehrzahl Falangisten und Militärs, waren schon längst gegen Unamuno aufgebracht, vor allem der alte Haudegen General Millán Astray war hochgradig erregt. Dieser fuchtelte die ganze Zeit über nervös an seinem Pistolenhalfter herum, letztendlich quellte aus ihm in faschistischer Manier „Tod den Intellektuellen! Es lebe der Tod!“

Das gab Unamuno Gelegenheit, Millán Astray auf seine eigene, intellektuelle Art, und nicht ohne Gebrauch zahlreicher Sophismen, vorzuführen: Millán Astray sei nur ein armer Kriegsinvalid, ähnlich Cervantes, nur dass Cervantes bei allem persönlichen Unglück sich seinen geistigen Großmut bewahrt habe. Er, Unamuno, habe sein Leben lang Paradoxien fabriziert, doch die soeben vom General Millán Astray vorgebrachte sei ihm ekelhaft und lächerlich. „Das klingt genauso, als ob man sagen würde: Tod dem Leben!“

Darauf folgten Unamunos bewusst prophetisch gewählte Worte, die so auch in die Geschichte eingehen sollten: „Ihr werdet siegen, doch überzeugen werdet ihr nicht. Ihr werdet besiegen, weil ihr mehr als genug rohe Kraft dazu habt, aber überzeugen werdet ihr nicht, weil überzeugen überreden bedeutet. Und um zu überreden benötigt ihr etwas, was euch in diesem Kampf fehlt, und zwar Vernunft und Recht …“

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Das Eingreifen von Francos Ehefrau rettet Unamuno

Die ganze Szene hatte sich in einer von der nationalistischen Erregung extrem aufgeladenen Atmosphäre abgespielt. Das Publikum, ohnehin Unamuno feindlich gesinnt, folge Millán Astray im Chor in der rituellen Größenbekundung Spaniens: „Spanien!“ „Eines!“ „Spanien!“ „Großes!“ „Spanien!“ „Freies!“. Eine Gruppe Falangisten grüsste ein Portrait General Francos, das den Saal präsidierte, mit dem faschistischen Gruß.

Einige aufgeregte Offiziere machten es gleich Millán Astray: sie drohten Unamuno mit der auf dem Pistolenhalfter aufgelegten Hand. Namentlich der Ehefrau General Francos, Carmen Polo, ist es zu verdanken, dass Unamuno nach diesem Auftritt unversehrt blieb und sicher nach Hause gebracht werden konnte, indem sie ihn offensiv am Arm packte und aus dem Saal führte. Bis zu seinem Tode, am 31. Dezember 1936, blieb Unamuno unter Hausarrest. Bereits am 22. Oktober unterschrieb General Franco die endgültige Absetzung Unamunos als Rektor der Universität Salamanca.

Intellektuelle im Bürgerkrieg

Wie verhalten sich Intellektuelle, wenn sich die gesellschaftlichen Zustände zuspitzen? Können sie dann besonderen Einfluß nehmen oder drohen sie zwischen die Fronten zu geraten?

Allgemeingültige Antworten darauf gibt es natürlich nicht, aber einzelne Beispiele sind sehr lehrreich. Viele Intellektuellen fühlen sich von radikalen Gesellschaftsexperimenten angezogen und finden diese dann doch sehr häufig abstoßend, sobald sie umgesetzt wurden. Auf Miguel de Unamuno, sein Verhalten im Spanischen Bürgerkrieg und die mutige Rede vom 12. Oktober 1936 trifft dies auch zu. Warum das so typisch ist, erkennt man nur, wenn man sich die Lebens– und Denkwege der Intellektuellen ansieht.

Unamuno und die liberale Romantik

Unamuno entstammte dem Großbürgertum der baskischen Hauptstadt Bilbao. In seiner Jugend war er entscheidend beeinflusst von der für dieses Bürgertum typischen liberalen Romantik. Diese bezeichnete fortan seine geistige Entwicklung als ein ununterbrochenes Ringen um den Glauben. Unamuno kam so zu einem bei ihm charakteristisch ausgeprägten Mystizismus und Spiritualismus.

Diese besondere Geistigkeit Unamunos verhielt sich zu den verschiedensten Gegenständen im Sinne des „ewigen Gesprächs“ der Romantik. Im Mittelpunkt desselben konnten bei Unamuno unterschiedslos die „Essenz eines urwüchsigen Baskentums“ genauso stehen wie die alle hispanischen Völker verbindende „Hispanidad“. Seine romantische Geistigkeit erlaubte ihm zudem ein Aufgehen in einem überindividuellen „Höheren“ genauso wie einen genialen Ichkult. Als politischer Romantiker konnte er sich sowohl für die „Werte der Tradition“ erwärmen als auch für moderne sozialistische Anschauungen.

Ein Mann der Widersprüche

Anstatt nun diese höchst gegensätzlichen Positionen in sich selbst zur Versöhnung zu bringen oder sich auf eine einzige Position festzulegen, hielt Unamuno diese absichtlich aufrecht. Unamuno übernahm bald diesen, bald jenen Gegensatz, ohne Scheu vor all den Widersprüchen zu verspüren. Er verfuhr hier kasuistisch, also von Fall zu Fall, bzw. je nach Gelegenheit, „occasionalistisch“, wie es nach Carl Schmitt geradezu typisch für den Romantiker ist. Diese inneren Konflikte, die bei Unamuno nie zu einem Ende kamen, sind nun für seine „geistige Unabhängigkeit“ und, speziell im Bürgerkrieg, für seine oft bewunderte couragierte Haltung zuständig.

Wie jeder soziale Konflikt, so fordert auch der Bürgerkrieg, dass jeder Einzelne sich festlegt. Das erfordert aber wiederum, dass man sich im Frieden mit sich selbst befindet. Oder, wie der Soziologe Gabriel de Tarde ausführt, „nur wenn der individuelle Zweikampf beendet ist, beginnt der soziale“. Für Unamunos nie enden wollende geistige Entwicklung aber waren als stärkste aller Spaltungsmotive religiöse Glaubenskämpfe verantwortlich. Aufgrund dieser inneren Spaltung war es ihm deshalb nicht möglich, sich der äußeren Bürgerkriegssituation angemessen zu stellen. Diese Unfähigkeit und auch der Unwille Unamunos machen sein eigentliches Dilemma aus: sein Freiheitsstreben hätte sich niemals damit abgefunden, sich einfach in sein Schicksal zu ergeben. Letzteres hätte Unamuno als knechtischen Fatalismus empfunden, der etwas als „sein“ Schicksal annimmt, was es eigentlich nicht ist. Die Imperative des Bürgerkriegs duldeten aber keine Ausnahme.

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Missverständlichkeiten aller Art

Unamunos zweifellos couragierte, einer hochgradig erregten Versammlung entgegen geschleuderte Worte „Ihr werdet siegen, überzeugen aber werdet ihr nicht!“ werden damit nur seiner persönlichen Entrüstung, nicht aber der objektiv gegebenen, der faktischen Bürgerkriegssituation gerecht. Eine solche intellektuell zu meistern ist nur mit Denkmitteln möglich, die in der machiavellistisch-​nietzescheanischen Tradition stehen. Unamuno aber stand, wenn auch über anarchistisch-​liberalistische Vermittlung, in der Tradition des Christentums.

Während sein „rechter“ Gegenüber – die klerikale Rechte, die Militärs, die Falangisten – im letzten Jahrzehnt vor dem Bürgerkrieg zumindest praktisch bei Machiavelli und Nietzsche in die Schule gegangen war, war Unamunos Auftreten, wie es bei seinem „Occasionalismus“ anders nicht sein konnte, willentlich widersprüchlich geblieben. Missverständnisse waren daher von vornherein vorprogrammiert. Und tatsächlich waren es um Unamuno wenig bekümmerte, durch den Bürgerkrieg in Rage versetzte Leidenschaften sowie ein Rattenkönig von Missverständnissen gewesen, die dafür gesorgt hatten, dass Unamuno als Rektor der Universität Salamanca wiedereingesetzt und, in dieser Eigenschaft, zu den „nationalen“ Feierlichkeiten des „Tags der Rasse“ geladen worden war. Seine vom „nationalen“ Publikum als anstößig empfundene Rede für Menschlichkeit und Nächstenliebe im Bürgerkrieg war deshalb in Wahrheit ein der Zuhörerschaft als solcher unkenntlicher Monolog und ein Glaubensbekenntnis noch dazu.

Glaube steht gegen Glauben

Heute wird Unamunos Rede oftmals interpretiert als ein Einstehen für „Intelligenz“ bzw. „Vernunft“, im Gegensatz zur Gewalt. Diese Interpretation bewegt sich aber nur im Bereich der Mittel, nicht aber der Zwecke. Denn die „Intelligenz“ bzw. „Vernunft“ war Unamuno genauso Mittel in seinem Kampf, wie die nackte Gewalt den Aufständischen ein Mittel in „ihrem“ Bürgerkrieg war. Dass aber eine unüberwindbare Kluft herrscht zwischen dem inneren Kampf, den einer in sich selbst durchmacht, und dem äußeren Kampf, der sich gnadenlos aufzwingt, ist Unamuno niemals klar geworden.

Sein Glaube wollte das nicht hinnehmen, nicht „wahr“ haben. Unamuno war zwar durchaus, wie er selbst sagte, Prophet im eigenen Land. Aber er predigte auch unzweifelhaft in der Wüste. Nicht Intelligenz und Gewalt standen sich nämlich im Großen Saal der Universität Salamanca gegenüber, sondern es stand Glaube gegen Glauben. Das ist aber das unvermeidliche Schicksal gerade des bürgerlichen Intellektuellen, bei aller Freiheitsliebe und auch geistigen Unabhängigkeit sich in den Wirbel der Ereignisse hineingesogen zu sehen, um letzten Endes nichts anderes verteidigen zu können als eben seinen eigenen Glauben.

dimanche, 30 octobre 2016

Jean Raspail et les peuples disparus. Mythe du fixisme historique ou récit désolé de la marche du monde vers sa fin?

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Jean Raspail et les peuples disparus. Mythe du fixisme historique ou récit désolé de la marche du monde vers sa fin?

par Gabriel Privat

Ex: http://www.aucoeurdunationalisme.blogspot.com

 
Avant de s'essayer au roman, Jean Raspail consacra la première partie de sa vie active à poursuivre les peuples en voie d'extinction, notamment en Amérique.
 
Raspail aux Antilles
 
secouons_le_cocotier-jean_raspail.jpgDe ces périples naquirent plusieurs recueils, notamment Secouons le cocotier, récit paradoxal de son séjour dans les îles des Caraïbes, Antilles françaises, îles néerlandaises et britanniques, îles indépendantes. Raspail s'y fit observateur et conteur d'une réalité souvent éteinte ou subsistant dans une forme dégénérée, comme chez les peuples blancs de ces îlots de la Guadeloupe, descendants des plus vieilles familles de France, vivant entre eux, reclus, pauvres parmi les pauvres depuis deux siècles. Cette évocation douloureuse prend aussi une coloration toute spéciale sous sa plume, celle de la fixité d'un temps arrêté au milieu de la course du monde. Tout en décrivant à plaisir l'irruption de la modernité aux Antilles, avec les premiers postes de télévision ou les retombées de « l'argent braguette » sur les modes de vie, il s'arrête sur ces survivances, ces témoignages de temps éteints, d'Antilles blanches révolues. C'est avec la même affection pleine d'amertume qu'il conclut son essai avec Haïti, seul pays des Caraïbes resté à peu près pur face à l'américanisation (rappelons que ce témoignage date du début des années 1960), pur face à l'occidentalisation, pur dans son africanité libérée depuis cent-soixante-dix ans alors. Mais comme cette pureté conduit l'île dans le mur, on ne peut s'empêcher de soupirer. Le temps mental des hommes de l'île s'est arrêté, pas le temps biologique, et la démographie galopante autant que la dégradation de l'habitat laissent songeur. En lisant le Raspail d'il y a cinquante ans, on se rend compte que Haïti n'a pas changé. Ici, la confrontation entre l'immobilité de l'esprit national haïtien et la marche du monde matériel haïtien rendent un résultat explosif.

Raspail et la Patagonie
 
JR-qui-vignette.php.gifCe souci de rendre témoignage de peuples lointains a trouvé, bien sûr, sa pleine expression en Patagonie. Dans Qui se souvient des Hommes ? Nous suivons pas à pas la destinée du peuple des Alakalufs, qui eux-mêmes s'appelaient les Kaweskars, les Hommes, car ils n'en connurent longtemps pas d'autres qu'eux-mêmes, dans cet univers liquide et glacé du détroit de Magellan.  Les Kaweskars, Raspail en rencontra lui-même une famille dans un canot, alors qu'il naviguait sur un bateau de guerre chilien. Il est peut-être le dernier blanc à en avoir vu. Ce peuple, authentiquement disparu, non par extermination, mais par digestion au sein des autres peuples, n'a pas laissé de traces, que quelques photos, de rares vestiges archéologiques, une poussière. Digéré va bien pour qualifier la disparition de ce peuple, plus que l'assimilation, car il s'agit de tout un processus de dégradation et de déliquescence qui a frappé ces familles au fur et à mesure qu'elles rejoignirent les civilisés en Argentine et au Chili. Certains tombèrent en telle décadence physique et morale qu'ils en moururent de langueur au milieu des prévenances empressées de toutes les charités des missionnaires, généreux en médicaments, en nourriture, en bons lits et en cabanes chauffées mais qui n'avaient plus la saveur du pays. Les Alakalufs vivaient encore à l'âge de pierre lorsqu'ils furent brutalement projetés dans la modernité occidentale qui les maltraita d'abord avant de les protéger.
 
Tout cela, Raspail en rendit compte, dans ce roman historique patagon, mais en l'élargissant à l'histoire même de la création, Dieu étant acteur passif de l'aventure. Ainsi, l'arrivée de ces Indiens sur le continent américain correspondait-elle au matin du monde, tandis que la mort du dernier Alakaluf sonnait le temps de l'apocalypse et l'entrée dans la gloire du dernier des Hommes.
 
Le fixisme historique et la nécessaire frontière entre les peuples
 
JR-Borée.jpgL'histoire des Kaweskars est éloquente ; ils sont en équilibre avec leur univers et paisibles tant que le monde les ignore et que leur société demeure statique. Mais que vienne le progrès et tout s'effondre. Raspail ne fait que constater. Mais ce constat amer de la confrontation malheureuse entre des civilisations par trop dissemblables il le transposa dans des œuvres, elles, de pure fiction ; Les Royaumes de Borée et Le Camp des saints. Dans le premier cas il s'agit de l'homme du petit peuple à la peau couleur d'écorce, vivant toujours comme au paléolithique, fuyant tout contact avec les hommes blancs, dont il connaît fort bien pourtant les agissements et dont il protège certains êtres choisis, les maîtres du bâton loup, des Pikkendorff. La raison de la protection se comprend bien d'ailleurs ; Pikkendorff respecte le petit homme et ne cherche pas à forcer ses retraites ou son territoire. Lorsqu'un des membres de la famille le tenta, il en mourut, mais d'épuisement, car cet univers n'était pas fait pour lui, et le petit homme lui donna sépulture. C'est la confrontation avec la modernité, le déboisement dans la principauté de Ragusa, puis la débandade des peuples baltiques devant les armées soviétiques en 1945 qui provoquèrent la disparition par annihilation silencieuse du petit peuple. Le dernier membre, à la recherche de ses origines, devait mourir incompris, laissant une descendance métisse ignorante des traditions que lui-même avait oubliées. Cette disparition des peuples fragiles confrontés à la modernité occidentale est un point effleuré également dans Septentrion et Le Son des tambours sur la neige.
 
Mais ce que Raspail a vu et lu sur les peuples animistes primitifs de l'Asie et de l'Amérique, il le craint également pour l'Europe. Ainsi le montre-t-il dans Le Camp des saints, où l'Europe disparaît littéralement, s'écroule sur elle-même au contact de la masse des migrants pauvres, malheureux et dont la simple présence si contraire au mode de vie européen, entraîne la disparition de la civilisation de ces derniers.
 
Les dernières cartouches des hussards de Bercheny sur les plages ou dans le réduit du mas provençal du narrateur sont aussi dérisoires, devant l'invasion, que les flèches de bois taillé des petits hommes, les javelots des Oumiates ou les harpons des Kaweskars. Le thème de la disparition de l'Occident confronté à sa propre décadence et à l'invasion extérieure est aussi évoqué dans Sept cavaliers qui n'est autre qu'un conte de la fin du monde européen. Les compagnons d'infortune, par leurs patronymes, leurs attitudes, leurs familles, leurs grades et leurs rangs militaires sont un condensé de l'Europe aristocratique. Leur monde s'écroule de l'intérieur, touché par un venin de mort, mais aussi de l'extérieur avec les invasions tchétchènes. Comme chez les Alakaloufs, ce qui a disparu ne laisse plus aucune trace derrière lui, sinon la sauvagerie inhumaine ; c'est la digestion d'une civilisation.
 
Un monde idéal ?
 
zaraJR.jpgEn parallèle, le monde européen idéal évoqué par Raspail est un univers de hiérarchies sociales strictes, d'honneurs chevaleresques, de discipline militaire, d'uniformes rutilants, de princes servis et obéis sans discuter, de vaillance conquérante, de traditions gaillardes, de cultes ancestraux païens perpétués par le truchement d'un catholicisme impeccable dans ses ornements liturgiques et son grégorien. C'est le monde de la principauté de Septentrion avant que ne commence la révolution, c'est l'univers idéal de l'enfance de Frédéric et Salvator dans Les Yeux d'Irène, c'est le panache du combat de Benoît dans L'Anneau du Pêcheur, c'est la dynastie des Pikkendorff dans Hurrah Zara !
 
Mais à y regarder de plus près ce monde est figé ; figé dans des séparations civilisationnelles strictes qu'il est bon de maintenir pour la survie des peuples auxquels la rencontre serait insupportable ; figé aussi dans des époques. Si les Kaweskars sont bien dans leur paléolithique, les Européens des romans de Raspail ne semblent jamais aussi bien que dans une belle époque fin XIXe siècle, ultime avatar d'un grand et bel occident avant le chambardement suicidaire de la première guerre mondiale. Regardez le détail des uniformes des cavaliers, celui de la décoration des trains, des salles d'apparat, de la vaisselle, des voitures, tout cela est à mi-chemin entre les derniers feux du XIXe siècle et l'extrême limite du début des années 1950. Là, nous sommes dans un idéal, figé, et pour lequel la modernité est une catastrophe engendrant la disparition sous forme de mort lente.
 
Sous la forme du roman et pour les peuples indiens d'Amérique ou de Sibérie, Raspail a un peu tenu le même rôle que Georges Dumézil dans le domaine de l'essai historique pour les peuples indo-européens, celui d'un passeur de mémoires, de chroniqueur ultime de races éteintes ou de civilisations amnésiques.
 
Mais ces récits doivent être pris pour ce qu'ils sont, des contes, des méditations littéraires et non des manifestes ou des pamphlets comme le font parfois hardiment certains lecteurs de Raspail. Prendre ces histoires pour des manifestes et non des témoignages littéraires nous amènerait à rêver d'un monde mensonger, qui n'a jamais existé, celui de divisions fixes entre des peuples bloqués dans leur évolution. Au temps de la cité grecque, où chaque peuple avait son propre culte et par cette barrière sacrée était radicalement différent de son voisin, les passerelles et les unions existaient déjà, la confrontation ou l'alliance se fit souvent et l'évolution ne cessa jamais. Il n'en est pas différent aujourd'hui.
 
Jean Raspail, romancier de génie, s'il se désole de ces disparitions, les sait inéluctables et n'en est que le témoin navré. Avec lui pleurons sur les peuples éteints comme on pleurerait sur les premiers morts d'une innombrable fratrie. Mais sachons-le, c'est un phénomène inévitable de la vie du monde.
 
Gabriel Privat
 
Du même auteur : 
 
 

L'art occidental de perdre la guerre

Ex: http://quebec.huffingtonpost.ca

Parmi les géopoliticiens contemporains, Gérard Chaliand, né en 1934, est sans aucun doute le plus marquant. Pas seulement pour sa connaissance remarquable du terrain - ce qu'il appelle le « savoir de la peau » -, pas seulement non plus pour l'ampleur et la diversité de sa culture ou son style incroyablement sobre, incisif, précis, mais surtout pour son approche résolument non idéologique des conflits et des relations internationales, sa capacité spinoziste à ne pas détester (ce que tout le monde peut faire), mais comprendre (ce qui est aussi précieux que rare).

chaliandpq.jpgDans son dernier livre, Pourquoi perd-on la guerre ? Un nouvel art occidental, Gérard Chaliand cherche à comprendre comment les Occidentaux, avec la supériorité matérielle qui est la leur, n'ont cessé, depuis le Vietnam, de multiplier les échecs sur le terrain militaire et politique, alors qu'ils avaient, lors de la période coloniale qui précède, gagné l'ensemble des guerres asymétriques ou irrégulières (malgré quelques batailles perdues).

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Le livre commence par évoquer la conquête du Mexique par H. Cortés et celle du Pérou par F. Pizarre. Gérard Chaliand rappelle, en ce qui concerne le Mexique, le rôle primordial de la Malinche, esclave indienne qui deviendra la maîtresse et l'interprète de Cortés, et grâce à laquelle les Espagnols auront accès à ce que pensent leurs adversaires, à leur conception du monde, alors que les Aztèques, de leur côté, ne sauront rien des Espagnols, ou très peu. Sans être le seul avantage de Cortés sur Moctezuma, cet élément fut décisif.

Au 19e siècle, les Occidentaux disposent d'un avantage du même ordre : les peuples colonisés les connaissent mal, ou même pas du tout. La révolution scientifique du 17e siècle, le mouvement des Lumières du siècle suivant, la Révolution industrielle au 19e siècle, tout cela est incompréhensible pour des sociétés qui n'ont pas connu le même développement historique. En revanche, du côté occidental, on exige « un enracinement du corps des officiers dans un milieu qui devient partie de l'existence et dont ils acquièrent une connaissance concrète ». Les troupes sont immergées dans la population locale et restent présentes, comme les officiers, sur le long terme.

Cette méconnaissance de l'adversaire s'accompagne aujourd'hui d'un facteur aggravant : l'adversaire, lui, nous connaît, et souvent fort bien.
 

Telle n'est plus désormais la situation sur le terrain, que les soldats occidentaux n'apprennent guère à connaître et où, de toute façon, ils sont, dans une large mesure, de passage. Robert McNamara reconnaissait déjà, à propos de la guerre du Vietnam : « Je n'avais jamais été en Indochine. Je n'en connaissais ni l'histoire ni la culture ». En Irak, en 2003-2004, Paul Bremer n'avait, lui non plus, pas la plus petite connaissance du terrain, multipliant ainsi les erreurs d'une façon qu'il faut bien - même si certaines reproduisaient celles du passé - qualifier d'exceptionnelle.

Cette méconnaissance de l'adversaire s'accompagne aujourd'hui d'un facteur aggravant : l'adversaire, lui, nous connaît, et souvent fort bien. Un adversaire comme l'État islamique sait manipuler avec brio l'opinion publique occidentale, exercer, même, une espèce de fascination, d'ailleurs inlassablement stimulée, ravivée et revivifiée par des médias davantage attirés par le spectaculaire que par la contextualisation instruite. Pourtant, « le phénomène terroriste, dans sa version islamiste, est aujourd'hui, sur le plan militaire, surévalué. Son effet majeur est psychologique : il vise les esprits et les volontés ».

Avant la Première Guerre mondiale, les opinions publiques ne savent pas grand-chose des combats qui se déroulent au loin : « Elles sont soit indifférentes, soit parfois fières des succès remportés, lorsque ceux-ci flattent l'orgueil national ». Le rapport à la guerre en Occident - et en Occident seulement - s'est profondément modifié. Lors de la première guerre d'Irak (1991), le nombre de morts du côté de la coalition menée par les États-Unis s'élevait à 350. Le nombre de morts du côté irakien n'a pas été donné (vraisemblablement entre 35 000 et 70 000). On a estimé que l'opinion publique occidentale n'encaisserait pas une telle disproportion. Nous ne sommes plus à l'époque où l'on pouvait se vanter des lourdes pertes essuyées par l'ennemi.

Gérard Chaliand conclut, de là, que l'asymétrie majeure réside finalement moins dans l'armement ou la technologie que dans l'idéologie. La victoire de Cortés sur les Aztèques a très largement été de l'ordre de l'esprit : « On craint la fin du monde chez les Aztèques avec, en face, des conquérants assurés de leur foi et de la grandeur de leur souverain ». Sur ce plan, l'intense propagande de l'Arabie saoudite à partir de la première crise pétrolière (1973-1974) pour répandre l'idéologie islamiste radicale (dans sa version wahhabite) a porté ses fruits. Le travail de sape opéré sur les populations par les Frères musulmans, rivaux de l'Arabie saoudite, a aussi largement contribué à renforcer l'islamisme radical (comme l'ont montré les élections en Égypte en 2012). Une telle mobilisation des populations par l'idéologie ne peut se comparer qu'à celle du marxisme-léninisme ou à celle de Mao en Chine.

Le succès rencontré par la France au Mali - car il y a quelques succès - s'explique justement en partie par l'incapacité des islamistes à constituer une « base de masse » en raison du fait qu'ils opèrent, au Nord-Mali, dans des zones sous-peuplées. Dans ces conditions, la supériorité technologique des militaires français redevient un avantage de poids - sans compter que la France opère ici sur un terrain qu'elle connaît bien.

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Le succès au Mali s'explique aussi par le fait que, dès le départ, on a « pensé l'après ». L'accompagnement qui s'effectue après la victoire était la donnée majeure de la période coloniale. Il faut, écrit Joseph Gallieni, « développer le plus vite possible le réseau électrique. [...] C'est certainement plus à coup de routes et de télégraphes qu'on fait la conquête d'une colonie, qu'à coup de troupes ». Hubert Lyautey, sous les ordres de Gallieni à Madagascar, reprend le principe de la « tache d'huile » au Maroc : on apporte des améliorations économiques immédiates dans la zone contrôlée et l'on s'étend. Chaliand souligne, par contraste, qu'à l'été 2003, « les forces américaines n'ont pas pris les moyens de rétablir l'électricité à Bagdad, malgré la chaleur torride de l'été ». D'une manière générale, l'après-seconde guerre d'Irak est le contre-modèle des victoires coloniales.

L'islamisme est «condamné à perdre» dans la mesure où ses objectifs sont «totalement illusoires»
 

Les Américains n'ont pas tenu compte du fait que la minorité sunnite représentait la « classe dirigeante » non pas seulement depuis Saddam Hussein, mais déjà à l'époque de l'Empire ottoman, puis pendant le mandat britannique. En renvoyant l'armée et en interdisant à tout membre du parti Baas de faire partie de la future administration, Paul Bremer marginalisait entièrement les sunnites et se condamnait ainsi à l'échec. « Jamais, comme le précise Chaliand, un État anciennement communiste n'avait rejeté ainsi en bloc tous les membres du parti ». Le prix à payer pour cette erreur fondamentale a été, depuis, particulièrement élevé. Comme on sait, les sunnites marginalisés sont passés, comme c'était prévisible, à l'opposition armée : « Finalement, le rejeton de l'intervention américaine en Irak s'appelle l'État islamique ».

Le bilan pour les Occidentaux, depuis le Vietnam, n'est pas glorieux. Et nous n'avons rien dit de la Libye, où l'on ne s'est pas davantage donné les moyens de conquérir la paix. Les problèmes qui s'annoncent sont de taille : l'instabilité de l'Afrique subsaharienne au cours des années à venir laisse présager, en Afrique de l'Ouest comme en Afrique Orientale, une propagation de l'islamisme, nouvelle idéologie de contestation après le marxisme. Un tel problème doit être anticipé et traité, d'autant que la démographie ne nous sera pas favorable. Les erreurs commises dans le passé n'ont rien de fatal, à condition d'en tirer les leçons.

À terme, selon Gérard Chaliand, l'islamisme est « condamné à perdre » dans la mesure où ses objectifs sont « totalement illusoires ». Contrairement à la Chine ou à l'Inde, on ne voit rien, dans un mouvement révolutionnaire de ce genre, qui soit porteur d'avenir. On ne se développe pas par l'ivresse identitaire, mais par le travail. Ce dont disposent les islamistes, c'est d'une capacité de perturbation, elle bien réelle et durable. Dans ce contexte, conclut Chaliand, tout succès militaire de leur part sur le terrain « constitue une dangereuse propagande par l'action. C'est pourquoi, quelle que soit l'ambiguïté de nos alliances officielles, il faut agir de telle sorte que les mouvements islamistes ne remportent pas de victoires militaires, ni en Syrie ni ailleurs ».

Zeus et Europe, une hiérogamie cachée et l'annonce d'un destin européen

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Zeus et Europe, une hiérogamie cachée et l'annonce d'un destin européen

par Thomas Ferrier

Ex: http://thomasferrier.hautetfort.com

Zeus est qualifié d’Eurôpos, c'est-à-dire « au large regard », chez Homère. En sanscrit, dans le Rig-Veda, le dieu suprême Varuna est décrit comme Urucaksas, forme parallèle de sens exactement identique. De longue date, non sans raison, Varuna et le grec ont été comparés, l’un et l’autre venant alors de la forme originelle indo-européenne *Werunos, au sens de « dieu de l’espace » (c'est-à-dire le dieu vaste). En Inde comme en Grèce, ce surnom du dieu céleste *Dyeus est devenu une divinité en tant que telle.

Les Grecs, sous l’influence probable de la théogonie hourrite ou hatti, influence indirecte due vraisemblablement aux Hittites, ont multiplié les divinités jouant le même rôle. On peut ainsi souligner qu’Hypérion, Hélios et Apollon sont redondants, de même que Phébé, Séléné et Artémis (sans oublier Hécate). C’est aussi le cas du dieu suprême qui est ainsi divisé en trois dieux séparés que sont Ouranos, Cronos et Zeus. En réalité, tout porte à croire que Zeus est le seul et unique dieu du ciel, malgré Hésiode, et qu’Ouranos n’a jamais été à l’origine qu’une simple épiclèse de Zeus. De même, Varuna a sans doute été un des aspects de Dyaus Pitar, avant de se substituer à lui, et de ne plus laisser à son nom d’origine qu’un rôle très effacé dans la mythologie védique.

Ce Zeus Eurôpos, ce « Dyaus Urucaksas », a selon la tradition grecque de nombreuses épouses. Or une déesse est qualifiée d’Eurôpê à Lébadée en Béotie et à Sicyone dans le Péloponnèse. Ce nom d’Eurôpê, dont le rattachement à une racine phénicienne ‘rb est purement idéologique, et ne tient pas une second d’un point de vue étymologie, est nécessairement la forme féminine d’Eurôpos. Or ce n’est pas n’importe quelle déesse qui est ainsi qualifiée, elle et uniquement elle, de ce nom d’Eurôpê, indépendamment de la princesse phénicienne, crétoise ou thrace qu’on appelle ainsi, et qui n’est alors qu’une vulgaire hypostase. C’est Dêmêtêr, mot à mot la « Terre-mère », version en mode olympien de Gaia (ou Gê) et peut-être déesse d’origine illyrienne, même si non nom apparaît vraisemblablement dès l’époque mycénienne.

Il existe en effet en Albanie moderne une déesse de la terre, qui est qualifiée de Dhé Motë, ce qui veut dire la « tante Terre » car le sens de motë, qui désignait bien sûr la mère, a pris ensuite le sens de tante. De même, le nom albanais originel de la tante, nënë, a pris celui de la mère. Cela donne aussi une déesse Votrë Nënë, déesse du foyer analogue à la déesse latine Vesta et à la grecque.

Le nom de Dêmêtêr, qu’il soit purement grec ou illyrien, a le sens explicite de « Terre-mère » et remonte aux temps indo-européens indivis, où elle portait alors le nom de *Đγom (Dhghom) *Mater. Ce n’était pas alors n’importe quelle divinité mais sous le nom de *Diwni [celle de *Dyeus], elle était ni plus ni moins l’épouse officielle du dit *Dyeus (le « Zeus » indo-européen). L’union du ciel et de la terre, de Zeus Patêr et de Dêô (Δηώ) Matêr donc, remonte ainsi à une époque antérieure même aux Grecs mycéniens.

Il est donc logique qu’à un Zeus Eurôpôs soit unie une Dêmêtêr Eurôpê, l’un et l’autre étant des divinités « au large regard », l’un englobant l’ensemble du ciel et la seconde l’ensemble de la terre, à une époque où celle-ci était encore considérée comme large et plate, d’où ses deux noms divins en sanscrit, à savoir Pŗthivi (« la plate »), c'est-à-dire Plataia en grec et Litavis en gaulois, et Urvi (« la large »).

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L’union de Zeus sous la forme d’un taureau avec Europe est donc une hiérogamie, une union sacrée entre le ciel et la terre, union féconde donnant naissance à trois enfants, Minos, Eaque et Rhadamanthe, chacun incarnant l’une des trois fonctions analysées par Georges Dumézil. La tradition grecque évoque d’autres unions de même nature, ainsi celle de Poséidon en cheval avec Dêmêtêr en jument, cette déesse ayant cherché à lui échapper en prenant la forme de cet animal. Dans le cas d’Europe, on devine qu’elle aura elle-même pris la forme d’une vache.

Le nom d’Europe qui désigne le continent qui porte son nom indique qu’elle est la Terre par excellence, mère nourricière du peuple grec vivant sur un continent béni par Zeus lui-même. Lui donner une origine phénicienne, à part pour des raisons poétiques bien étranges, est donc un contre-sens auquel même certains mythographes antiques se firent prendre.

Et que son premier fils se soit nommé Minôs, là encore, ne doit rien au hasard. Bien loin d’être en vérité un ancien roi de Crète, il était surtout un juge infernal et le plus important. Or Minôs n’est en réalité que le premier homme, celui que les Indiens appellent Manu, d’où les fameuses lois qui lui sont attribuées, et les Germains Manus. L’idée que le premier homme devienne à sa mort le roi des Enfers n’est pas nouvelle. Le dieu infernal Yama et son épouse Yami ayant été par exemple le premier couple mortel. Minôs est le « Manus » des Grecs, bien avant qu’Hésiode invente Deucalion. Et s’il juge les hommes au royaume d’Hadès, la seule raison en est qu’il est celui qui a établi les anciennes lois.

Ainsi l’Europe est-elle non seulement la Terre par excellence, l’épouse de Zeus en personne, dont Héra n’est qu’un aspect, celui de la « belle saison » et de la « nouvelle année » (sens de son nom latin Junon), mais elle est la mère des hommes, la matrice de la lignée des éphémères, ou du moins d’une partie d’entre eux.

Europa est ainsi la mère de Gallia et de Germania, de Britannia et d’Italia, d’Hispania et d’Hellas et désormais mère aussi de nouvelles nations comme la Polonia, la Suecia et la Ruthenia (Russie), depuis les fjords de Thulé jusqu’à Prométhée sur sa montagne, depuis la Lusitania jusqu’aux steppes profondes de Sarmatia.

Thomas FERRIER (Le Parti des Européens)