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mardi, 13 septembre 2016

The Importance of Solzhenitsyn: Tom Sunic Interviews F. Roger Devlin

The Importance of Solzhenitsyn: Tom Sunic Interviews F. Roger Devlin

lundi, 12 septembre 2016

La politique des Etats-Unis par rapport à leurs voisins des Amériques du 19e au début du 20e siècle

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Histoire : La politique des Etats-Unis par rapport à leurs voisins des Amériques du 19e au début du 20e siècle

par Eric Toussaint

Ex: http://www.cadtm.org

A partir de 1823, le gouvernement des États-Unis adopte la doctrine Monroe. Tirée du nom d’un président républicain des États-Unis, James Monroe, elle condamne toute intervention européenne dans les affaires « des Amériques ». En réalité, la doctrine Monroe va servir à couvrir une politique de conquête de plus en plus agressive de la part des États-Unis au détriment des nouveaux États latino-américains indépendants, en commençant par l’annexion d’une grande partie du Mexique dans les années 1840 (Texas, Nouveau Mexique, Arizona, Californie, Colorado, Nevada, Utah). Rappelons que les troupes nord-américaines occupèrent la capitale Mexico en septembre 1847. Il faut aussi souligner que le gouvernement des États-Unis a tenté d’exterminer tous les peuples natifs, les « peaux rouges », qui refusaient de se soumettre. Ceux qui se soumettaient ont été également victimes d’atrocités et ont fini dans des réserves.

 

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Territoires perdus par le Mexique au profit des États-Unis en 1848

En 1898, les États-Unis déclarent la guerre à l’Espagne et prennent le contrôle de Cuba et de Puerto Rico.

En 1902, en contradiction avec la doctrine Monroe, Washington ne prit pas la défense du Venezuela alors qu’il subissait une agression armée de l’Allemagne, de la Grande-Bretagne, de l’Italie et de la Hollande qui avait pour but d’obliger ce pays à rembourser la dette. Ensuite, les États-Unis intervinrent diplomatiquement afin que Caracas reprenne le paiement de la dette. Cette attitude de Washington a donné lieu à une grande controverse avec différents gouvernements latino-américains et en particulier avec le ministre des Affaires étrangères argentin, Luis M. Drago, qui a déclaré : « Le principe que je voudrais voir reconnu est celui selon lequel la dette publique ne peut donner lieu à une intervention armée, et encore moins à l’occupation physique du sol des nations américaines par une puissance européenne. ». C’est ce qui sera connu par la suite comme la doctrine Drago. Les débats entre gouvernements donnèrent lieu à une conférence internationale à La Haye qui aboutit notamment à l’adoption de la convention Drago-Porter (du nom de H. Porter, militaire et diplomate des États-Unis) en 1907. Elle prévoyait que l’arbitrage devait être le premier moyen pour résoudre des conflits : tout État partie à la convention devait dès lors accepter de se soumettre à une procédure d’arbitrage et d’y participer de bonne foi, sinon l’État qui réclamait le remboursement de sa créance retrouvait le droit d’utiliser la force armée pour arriver à ses fins.

En 1903, le président Theodore Roosevelt organise la création artificielle du Panama qui est séparé de la Colombie contre la volonté de celle-ci. Il s’agissait de pouvoir ensuite construire et faire fonctionner le canal de Panama sous le contrôle de Washington.

En 1904, le même président annonce que les États-Unis se considèrent comme le gendarme des Amériques. Il énonce ce qu’on appelle le corollaire Roosevelt à la doctrine Monroe : « L’injustice chronique ou l’impuissance qui résulte d’un relâchement général des règles de la société civilisée peut exiger, en fin de compte, en Amérique ou ailleurs, l’intervention d’une nation civilisée et, dans l’hémisphère occidental, l’adhésion des États-Unis à la doctrine de Monroe peut forcer les États-Unis, à contrecœur cependant, dans des cas flagrants d’injustice et d’impuissance, à exercer un pouvoir de police international » |1|.

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Theodore Roosevelt (au centre, à gauche) et les « Rough Riders » à Cuba, 1898

En 1915, les États-Unis envahissent Haïti sous prétexte de récupérer des dettes et occupent le pays jusqu’en 1934. L’écrivain uruguayen Eduardo Galeano écrit : « Les États-Unis occupèrent Haïti pendant vingt ans, et dans ce pays noir qui avait été le théâtre de la première révolte victorieuse des esclaves, ils introduisirent la ségrégation raciale et le régime des travaux forcés, tuèrent mille cinq cents ouvriers au cours de l’une de leurs opérations de répression (selon une enquête du Sénat américain, en 1922) et lorsque le gouvernement local refusa de convertir la Banque nationale en succursale de la National City Bank de New York, suspendirent le paiement des indemnités habituellement versées au Président et à ses ministres pour les contraindre à réfléchir. » |2|.

D’autres interventions militaires des États-Unis ont eu lieu à la même époque : envoi, en 1909, de troupes d’occupation au Nicaragua ; occupation du port de Veracruz au Mexique en 1914 pendant la révolution ; occupation de la République dominicaine en 1916 ; expédition dans le nord du Mexique contre la révolution et en particulier les troupes de Pancho Villa. Cette liste n’est pas exhaustive.

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Interventions militaires des États-Unis en Amérique Latine, 1898 - 1939

Ce bref résumé de l’intervention et de la politique des États-Unis aux Amériques au 19e et au début du 20e siècle permet de comprendre les motivations réelles de Washington dans la répudiation des dettes à Cuba en 1898 (voir La répudiation par les États-Unis de la dette réclamée à Cuba par l’Espagne en 1898 : Quid de la Grèce, de Chypre, du Portugal, etc. ?) et au Costa Rica dans les années 1920 (voir En quoi la répudiation des dettes par le Costa Rica devrait inspirer d’autres pays).

usam-5.jpgLe général Smedley Butler, auteur du livre "War is a Racket"

En 1935, le Major Général Smedley D. Butler, qui participa à bien des expéditions états-uniennes aux Amériques, résumait à sa manière, alors qu’il était à la retraite, la politique de Washington : « J’ai passé trente- trois ans et quatre mois comme militaire dans la force la plus efficace de ce pays : l’infanterie de marine. J’ai franchi tous les échelons de la hiérarchie, du grade de sous-lieutenant à celui de général de division. Et, durant toute cette période, j’ai passé la plupart du temps comme sicaire de première classe pour le haut négoce, pour Wall Street et les banquiers. En un mot, j’ai été un tueur à gages au service du capitalisme... Par exemple, en 1914, j’ai aidé à ce que le Mexique, et plus spécialement Tampico, soit une proie facile pour les intérêts pétroliers américains. J’ai aidé à ce que Haïti et Cuba deviennent des lieux convenables pour le recouvrement des rentes de la National City Bank... En 1909-1912, j’ai aidé à épurer le Nicaragua pour la banque internationale Brown Brothers. En 1916, j’ai apporté la lumière à la République Dominicaine au nom des intérêts sucriers nord-américains. En 1903, j’ai aidé à pacifier le Honduras, au bénéfice des compagnies fruitières nord-américaines. » |3|

Notes

|1| https://fr.wikipedia.org/wiki/Corol...

|2| Eduardo Galeano. 1971. Les Veines ouvertes de l’Amérique latine, Plon, Paris, 2015, p. 151.

|3| Publié dans Common Sense, novembre 1935. Voir Leo Huberman, Man’s Wordly Goods. The Story of the Wealth of Nations, New York, 1936. Cette traduction de la citation provient de Eduardo Galeano, op. cit., p. 150. À noter qu’une base militaire américaine située à Okinawa porte le nom du chef militaire Smedley D. Butler. Son témoignage fait immanquablement penser à celui de John Perkins, Les confessions d’un assassin financier. Révélations sur la manipulation des économies du monde par les États-Unis, AlTerre, 2005.

Eric Toussaint

Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, est porte-parole du CADTM international et est membre du Conseil scientifique d’ATTAC France. Il est auteur des livres Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014, Procès d’un homme exemplaire, Editions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet du livre AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège Dernier livre : Bancocratie ADEN, Brussels, 2014. Il est coordonnateur de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015.

Ellen Kositza und "Der Weg der Männer" von Jack Donovan

jack-donovan_der-weg-der-m-nner.jpgEllen Kositza und "Der Weg der Männer" von Jack Donovan

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Zum elften Mal stellt die »Sezession«-Literaturredakteurin Ellen Kositza bemerkenswerte Literatur vor. Diesmal geht es um »Der Weg der Männer« des US-Autoren und Maskulisten Jack Donovan, übersetzt von Martin Lichtmesz. Donovans Weg der Männer ist der Weg zurück zu selbstbewußter, starker Männlichkeit – eine klare Absage an Gender-Schwachsinn und den Babysitter-Staat!

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Sur l' «amende» imposée à Apple

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Sur l' «amende» imposée à Apple

L'Europe se donne des verges pour se faire battre
 
par Jean-Paul Baquiast
 
Ex: http://www.europesolidaire.eu

Le ministère des finances américain (US Treasury) se dit "très préoccupé" par la décision de la Commission européenne « CE » imposant à Apple une amende fiscale de plusieurs milliards pour dissimulation de revenus. Elle ouvre, dit-il, un dangereux précédent à partir duquel d'autres multinationales ( ndlr: principalement américaines) seraient elles-aussi « redressées ».

"L'Union européenne exerce une autorité supranationale qui bafoue les décisions fiscales prises dans chacun des Etats membres" reproche-t-il à la CE dans un courrier adressé à Bruxelles. "Le Trésor américain envisage des réponses dans le cas où la Commission européenne persévérait dans cette voie" ajoute-t-il. Autrement dit il appelle à des mesures de rétorsion permettant de ne pas appliquer la décision de la CE et de punir en contrepartie les rares entreprises européennes qui se risquent à travailler aux Etats-Unis...
Barack Obama est allé plus loin, sortant sans hésiter de ce qui devrait être une réserve diplomatique. Ainsi, a-t-il fait adresser à la CE un « Livre blanc » de 26 pages transmis à Bruxelles par l'intermédiaire de Jack Lew, secrétaire au Trésor américain, et reprenant les termes cités ci-dessus.

Pour Barack Obama, les choses sont simples. L'UE ne peut pas s'en prendre à Apple tout simplement parce qu'elle ne peut pas bafouer les lois de ses pays membres. Ces propos ne sont pas sans rappeler ceux tenus par le Président des Etats-Unis lorsqu'il s'agissait de défendre Google et Facebook il y a quelques temps.

Il déclarait alors :

"Pour défendre Google et Facebook, la réponse européenne est parfois dictée davantage par des intérêts commerciaux qu'autre chose. [...] Leurs entreprises – les fournisseurs de services qui, vous savez, ne peuvent pas rivaliser avec les nôtres – essaient essentiellement d'empêcher nos entreprises de fonctionner efficacement . Nous avons possédé Internet. Nos entreprises l'ont créé, développé et amélioré de telle manière que l'Europe ne puisse pas lutter. Et fréquemment, ce qui est décrit comme des prises de positions nobles est en fait juste une manière de placer leurs intérêts commerciaux."

Peut-on espérer une réponse globale de l'Union européenne?

Il ne faudrait pas se limiter à rappeler le droit fiscal appliqué en Europe. Il faudrait rappeler à l'Amérique qu'elle s'est donné un monopole quasi absolu sur la société de l'information, ses acteurs et ses usagers. Il ne faudrait pas citer seulement les GAFA, mais les industries de l'informatique et des communications, civiles et militaires. Partout, les entreprises américaines ont éliminé toute concurrence par des manoeuvres relevant d'une véritable guerre économique et politique. On est loin de la simple application des principes libéraux auxquels Obama se réfère.

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Mais les Européens ne sont-ils pas en premier lieu responsables de ce qui leur arrive? Ayant dès l'origine cédé à la pression américaine, ils se sont refusé à tout investissements susceptibles de développer des alternatives à l'offre américaine. Pourtant les ressources purement européennes ne manqueraient pas.

Encore plus grave a été le refus des Etats européens, toujours sous la pression américaine, de s'organiser en véritable Etat fédéral, reposant en priorité sur une harmonisations des lois fiscales et douanières. Accepter que coexistent en Europe des Etats « normaux », comme la France et l'Allemagne, et des Etats « voyous » comme l'Irlande, ne peut qu'inciter les brigands économiques américains à en profiter. Si on laissait toutes les portes de son appartement ouvertes, faudrait-il s'étonner que des voleurs en profite?

Peut-on espérer refondre entièrement l'Union européenne dans le sens d'un véritable Etat fédéral fort? Faut-il au contraire accepter d'en sortir pour se protéger par des politiques industrielles nationales, au sein de frontières adéquates? Pour nous, la réponse ne fait pas de doute

Pour en savoir plus
http://europa.eu/rapid/press-release_IP-16-2923_en.htm

 

Julius Evola - Tom Sunic & E. Christian Kopff

Julius Evola - Tom Sunic & E. Christian Kopff

 

Tom Sunic interviews renowned educator, classicist and writer Dr. E. Christian Kopff. Topics include:

- How Tradition get passed down through the generations
- The mind of Julius Evola and what he meant by “revolting against the modern world.”
- Evola’s thoughts on the “masses.”
- Evola’s thoughts on Western Tradition
- Evola’s thoughts on masculinity
- Evola’s relevance for Americans and the rest of the modern West
- Evola’s criticism of Communism and its comparison to Capitalism
- The spiritual life vs. racial science; the State vs. the People
- Ezra Pound
- Aleksandr Solzhenitsyn

Recorded April 20, 2010

dimanche, 11 septembre 2016

«Le nouveau Moyen Âge»: Nicolas Berdiaev dans les pas de Joseph de Maistre

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«Le nouveau Moyen Âge»: Nicolas Berdiaev dans les pas de Joseph de Maistre

Si l’influence de Dostoïevski sur la pensée de Berdiaev est connue, celle de Joseph de Maistre l’est un peu moins. Pourtant, l’apport du Savoyard sur le travail du philosophe russe est considérable dès lors qu’il s’agit de penser le phénomène révolutionnaire. En effet, Berdiaev reprend à son compte les conclusions formulées dans les Considérations sur la France : les révolutions sont par essence sataniques et providentielles.

NB-1.jpgLe Nouveau Moyen Âge de Nicolas Berdiaev est à la Révolution russe ce que les Considérations sur le France de Joseph de Maistre sont à la Révolution de 1789. Les deux hommes partagent une même lecture théologique et providentialiste des événements historiques. Et Berdiaev n’hésite pas à rappeler tout ce qu’il doit au Savoyard. « Joseph de Maistre et le mouvement romantique du début du XIXe siècle fut une réaction contre la Révolution française et les lumières du XVIIIe siècle, mais c’était un mouvement créateur en avant qui a fécondé toute la pensée du siècle suivant », écrit-il.

Si la pensée de Maistre est réactive, elle n’est pas à proprement parler « réactionnaire ». Berdiaev dénonce d’ailleurs le caractère spécieux de certaines étiquettes politiques : « Essayez d’appliquer aux époques de l’histoire universelle vos critères de la réaction ou de la révolution, de la droite ou de la gauche. Alors apparaissent tout le ridicule de ces critères, tout le provincialisme pitoyable de la pensée qui s’infiltre dans ces catégories. » Comme l’auteur des Soirées de Saint Pétersbourg, il sait que le nouveau Moyen Âge ne pourra être un retour en arrière car il a conscience du caractère tragique et irréversible de l’Histoire.

Après la Révolution d’octobre, Berdiaev renverse la perspective en affirmant que la volonté de conservation de l’idéal des Lumières en décomposition constitue le véritable visage de la réaction. Le monde d’hier, celui qui se meurt et vers lequel il ne peut y avoir de retour, c’est celui de l’histoire moderne. La Révolution française, elle-même héritière de l’Humanisme de la Renaissance, entérinait le déclin du Moyen Âge, organisé de manière théocratique et aristocratique. La Révolution de 1917 marque la fin des principes philosophiques qui se sont imposés au XVIIe puis au XVIIIe siècle.  « L’ancien monde qui s’effondre […] est aussi le monde de l’histoire moderne avec ses lumières rationalistes, avec son individualisme et son humanisme, avec son libéralisme et son démocratisme, avec ses brillantes monarchies nationales et sa politique impérialiste, avec son monstrueux système d’économie industriel capitaliste, avec sa puissante technologie, ses conquêtes et ses succès extérieurs, avec sa concupiscence sans retenue et effrénée de la vie, avec son athéisme et son apathie, avec sa lutte furieuse des classes et avec le socialisme comme couronnement de toute la voie de l’histoire moderne », martèle Berdiaev.

Le communisme est le signe de l’échec des valeurs du monde moderne

NB-2.jpgBerdiaev, comme Maistre, pense la révolution sur le modèle du châtiment et de la purification. Mais la Russie possède un statut particulier et son destin historique n’est pas analogue à celui de la France. « La Russie n’est jamais définitivement sortie du Moyen Âge, de l’époque sacrale, et elle est en quelque sorte presqu’imméditament passée des restes de l’ancien Moyen Âge, de l’ancienne théocratie, au nouveau Moyen Âge, à la nouvelle satanocratie », précise l’écrivain. La Russie a connu une modernisation partielle et tardive avec Pierre le Grand qui accéda au trône en 1682. Son régime politique est resté aristocratique jusqu’à la Révolution de 1917 et la société est demeurée structurellement inégalitaire jusqu’à l’abolition du servage en 1861. La Russie n’a pas connu de grands mouvements d’émancipation philosophique et individuelle comparables à ceux qui eurent lieu en France ou en Angleterre. La bourgeoisie, et l’idéologie qui l’accompagne, ne s’est pas imposée en tant que classe dominante comme ce fut le cas à l’ouest du Vieux Continent. En d’autres termes, la sécularisation de la société russe n’a pas eu lieu et le matérialisme qui est la matrice conceptuelle du communisme est tout imprégné de sacré. Pour Berdiaev, le monde moderne a enfanté deux monstres : le capitalisme et le communisme. Si le premier a pour volonté d’affaiblir le spirituel en l’homme par la négation, le second poursuit le même dessein mais sur le mode de l’inversion. « Le communisme […] annule le principe autonome et séculier de l’histoire moderne, il exige une société “sacrale”, une culture “sacrale”, la soumission de tous les aspects de la vie à la religion du diable, à la religion de l’Antéchrist », souligne l’auteur de L’Esprit de Dostoïevski.

NB-3.gifAux yeux de Berdiaev, le communisme est le signe de l’échec des valeurs du monde moderne. C’est tout particulièrement l’individualisme qui est mis en cause car il a montré toute la vacuité d’un concept de liberté anthropocentrique. « Il est impossible de libérer l’homme au nom de la liberté de l’homme, l’homme lui-même ne peut-être le but de l’homme », assure le philosophe. Or le communisme a un mérite incontestable : il réunit les hommes. Et pour Berdaiev « la Vérité est réunion et non désunion et démarcation ». De même, le bolchévisme se caractérise par son rejet virulent de la démocratie « liée à la suprématie de la couche bourgeoise » et « au système capitaliste industriel ». Pour reprendre l’analogie avec Maistre, la Révolution russe est donc un Mal – elle est à proprement parler satanique – mais elle est également providentielle dans la mesure où elle permet l’avènement du nouveau Moyen Âge, bien qu’elle n’en soit pour l’instant que son expression négative.

Le nouveau Moyen Âge éclairé, celui que Berdiaev appelle de ses vœux, renversera les valeurs qui avaient fondé le monde moderne. À l’individualisme, il substituera la communion des hommes ; au matérialisme, il substituera l’amour pour les choses de l’esprit ; au rationalisme, il substituera la théosophie et le retour aux sciences occultes ainsi qu’à la magie ; à la démocratie, il substituera la monarchie. Le progrès sera quant à lui regardé comme une idole dangereuse, comme le Dieu illégitime d’une époque révolue.

Erdogan ou Janus, le dieu aux deux visages

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Erdogan ou Janus, le dieu aux deux visages

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Apparemment Moscou attendait beaucoup d'un rapprochement avec Erdogan. Comme nous l'avions montré dans des articles précédents, Poutine espérait détacher la Turquie de l'Otan et de l'influence américaine, ceci au profit d'une nouvelle alliance Syrie, Turquie et Iran soutenant la présence russe en Syrie. Nous mêmes ici y avions cru, parlant naïvement d'un recul peut-être décisif de l'influence américaine au Moyen-Orient, tout au moins dans la partie chiite.
 
Mais il semble aujourd'hui que Erdogan, plus sultan que jamais, soit en train  selon l'expression familière, de rouler tout le monde dans la farine, Moscou, Ankara, Damas et sans doute aussi Washington. Il a obtenu d'eux qu'il laisse faire l'offensive turque à Jarabius en Syrie et au delà. Or, loin de s'en prendre à Daesh, comme initialement affirmé, cette offensive elle dirigée essentiellement contre les Kurdes, eux-mèmes adversaires déclarés de Daesh. Bien plus, elle vise la mise en place le long de la frontière turco-syrienne d'une zone d'exclusion, aérienne mais aussi terrestre, qui serait interdite aux Kurdes et aux soutiens qu'ils pourraient recevoir d'autres pays.

On ne voit pas aujourd'hui ce que gagne la Russie en fermant les yeux sur cette offensive turque, sinon s'attirer l'hostilité, non seulement des kurdes eux-mêmes mais de tous ceux, notamment en Europe, pour qui les revendications kurdes à l'autonomie représentent un facteur d'équilibre au Moyen-Orient et un élément important de la lutte contre l'islamisme radical.

Après avoir rencontré brièvement Poutine au G20 à Hangzou, Erdogan a longuement discuté avec Obama de la possibilité d'une opération militaire conjointe visant à libérer Raqqa, dans le nord de la Syrie, de la présence de l'Etat islamique. La démarche ne serait pas critiquable en soi, sauf qu'elle est manifestement dirigée contre l'Iran et la Russie. Elle vise sinon à éliminer, du moins sensiblement atténuer leur présence militaire dans la région. Comme la nature a horreur du vide, ce seraient les Etats-Unis et leurs alliés, notamment l'Arabie saoudite, qui assureraient la relève. Dans le même temps, Erdogan confirmerait, aux yeux du monde entier, y compris de l'Europe, le caractère incontournable de son influence au Moyen Orient et même auprès des Etats du Caucase.

Les Russes devraient dans ces conditions mieux tenir compte des avertissements de Téhéran leur conseillant de rester prudents avec Erdogan. Les Iraniens, d'après ce que l'on sait, avaient averti Moscou du fait que Erdogan, maître du double jeu, avait certainement un agenda (selon le mot à la mode) qu'il cachait de Poutine. Dans celui-ci figure la volonté de rester actif à l'Otan, ce qu'a confirmé la toute récente visite à Ankara du secrétaire général de celle, Jens Stoltenberg. Le ministre des affaires étrangères saoudien Adel al-Jubeir doit se rendre également à Ankara. L'un et l'autre veulent, selon les informations, négocier avec la Turquie un nouveau plan pour chasser Bashar al Assad. Dans le même temps, il semblerait que la Turquie, se prévalant de ses bonnes intentions occidentales, se prépare à relancer son entrée dans l'Union européenne et dans l'immédiat, l'obtention de visas pour les voyageurs turcs.

De l'observation des experts militaires, Moscou et Damas n'ont plus d'autres choix que chasser définitivement Daesh d'Alep, quelles que soient les pertes collatérales. Sans cela, ce sera la Turquie qui prétendra faire le travail, pour le meilleur bénéfice de son allié renouvelé, l'Amérique – sans pour autant renoncer aux aides diverses qu'elle a toujours prodigué, non sans contreparties financières, à ce même Daesh. 

The Global De-dollarization and the US Policies

The Global De-dollarization and the US Policies

Ex: http://journal-neo.org

In its quest for world domination, which the White House has been pursuing for more than a century, it relied on two primary tools: the US dollar and military might. In order to prevent Washington from establishing complete global hegemony, certain countries have recently been revising their positions towards these two elements by developing alternative military alliances and by breaking with their dependence on the US dollar.

Until the mid-twentieth century, the gold standard was the dominant monetary system, based on a fixed quantity of gold reserves stocked in national banks, which limited lending. At that time, the United States managed to become the owner of 70% of world’s gold reserves (excluding the USSR), therefore it pushed its weakened competitor, the UK, aside resulting to the creation of the Bretton Woods financial system in 1944. That’s how the US dollar became the predominant currency for international payments.

But a quarter century later this system had proven ineffective due to its inability to contain the economic growth of Germany and Japan, along with the reluctance of the US to adjust its economic policies to maintain the dollar-gold balance. At that time, the dollar experienced a dramatic decline but it was saved by the support of rich oil exporters, especially once Saudi Arabia began to exchange its black gold for US weapons and support in talks with Richard Nixon. As a result, President Richard Nixon in 1971 unilaterally ordered the cancellation of the direct convertibility of the United States dollar to gold, and instead he established the Jamaican currency system in which oil has become the foundation of the US dollar system. Therefore, it’s no coincidence that from that moment on the control over oil trade has become the number one priority of Washington’s foreign policy. In the aftermath of the so-called Nixon Shock the number of US military engagements in the Middle East and other oil producing regions saw a sharp increase. Once this system was supported by OPEC members, the global demand for US petrodollars hit an all time high. Petrodollars became the basis for America domination over the global financial system which resulted in countries being forced to buy dollars in order to get oil on the international market.

Analysts believe that the share of the United States in today’s world gross domestic product shouldn’t exceed 22%. However, 80% of international payments are made with US dollars. As a result, the value of the US dollar is exceedingly high in comparison with other currencies, that’s why consumers in the United States receive imported goods at extremely low prices. It provides the United States with significant financial profit, while high demand for dollars in the world allows the US government to refinance its debt at very low interest rates.

Under these circumstances, those heding against the dollar are considered a direct threat to US economic hegemony and the high living standards of its citizens, and therefore political and business circles in Washington attempt by all means to resist this process.This resistance manifested itself in the overthrow and the brutal murder of Libyan leader Muammar Gaddafi, who decided to switch to Euros for oil payments, before introducing a gold dinar to replace the European currency.

However, in recent years, despite Washington’s desire to use whatever means to sustain its position within the international arena, US policies are increasingly faced with opposition. As a result, a growing number of countries are trying to move from the US dollar along with its dependence on the United States, by pursuing a policy of de-dollarization. Three states that are particularly active in this domain are China, Russia and Iran. These countries are trying to achieve de-dollarization at a record pace, along with some European banks and energy companies that are operating within their borders.

The Russian government held a meeting on de-dollarization in spring of 2014, where the Ministry of Finance announced the plan to increase the share of ruble-denominated contracts and the consequent abandonment of dollar exchange. Last May at the Shanghai summit, the Russian delegation manged to sign the so-called “deal of the century” which implies that over the next 30 years China will buy $ 400 billion worth of Russia’s natural gas, while paying in rubles and yuans. In addition, in August 2014 a subsidiary company of Gazprom announced its readiness to accept payment for 80,000 tons of oil from Arctic deposits in rubles that were to be shipped to Europe, while the payment for the supply of oil through the “Eastern Siberia – Pacific Ocean” pipeline can be transferred in yuans. Last August while visiting the Crimea, Russia’s President Vladimir Putin announced that “the petrodollar system should become history” while “Russia is discussing the use of national currencies in mutual settlements with a number of countries.” These steps recently taken by Russia are the real reasons behind the West’s sanction policy.

In recent months, China has also become an active member of this “anti-dollar” campaign, since it has signed agreements with Canada and Qatar on national currencies exchange, which resulted in Canada becoming the first offshore hub for the yuan in North America. This fact alone can potentially double or even triple the volume of trade between the two countries since the volume of the swap agreement signed between China and Canada is estimated to be a total of 200 billion yuans.

China’s agreement with Qatar on direct currency swaps between the two countries are the equivalent of $ 5.7 billion and has cast a heavy blow to the petrodollar becoming the basis for the usage of the yuan in Middle East markets. It is no secret that the oil-producing countries of the Middle Eastern region have little trust in the US dollar due to the export of inflation, so one should expect other OPEC countries to sign agreements with China.

As for the Southeast Asia region, the establishment of a clearing center in Kuala Lumpur, which will promote greater use of the yuan locally, has become yet another major step that was made by China in the region. This event occurred in less than a month after the leading financial center of Asia – Singapore – became a center of the yuan exchange in Southeast Asia after establishing direct dialogue regarding the Singapore dollar and the yuan.

The Islamic Republic of Iran has recently announced its reluctance to use US dollars in its foreign trade. Additionally, the President of Kazakhstan Nursultan Nazarbayev has recently tasked the National Bank with the de-dollarization of the national economy.

All across the world, the calls for the creation of a new international monetary system are getting louder with each passing day. In this context it should be noted that the UK government plans to release debts denominated in yuans while the European Central Bank is discussing the possibility of including the yuan in its official reserves.

Those trends are to be seen everywhere, but in the midst of anti-Russian propaganda, Western newsmakers prefer to keep quiet about these facts, in particular, when inflation is skyrocketing in the United States. In recent months, the proportion of US Treasury bonds in the Russian foreign exchange reserves has been shrinking rapidly, being sold at a record pace, while this same tactic has been used by a number of different states.

To make matters worse for the US, many countries seek to export their gold reserves from the United States, which are deposited in vaults at the Federal Reserve Bank. After a scandal of 2013, when the US Federal Reserve refused to return German gold reserves to its respective owner, the Netherlands have joined the list of countries that are trying to retrieve their gold from the US. Should it be successful the list of countries seeking the return of gold reserves will double which may result in a major crisis for Washington.

The above stated facts indicate that the world does not want to rely on US dollars anymore. In these circumstances, Washington relies on the policy of deepening regional destabilization, which, according to the White House strategy, must lead to a considerable weakening of any potential US rivals. But there’s little to no hope for the United States to survive its own wave of chaos it has unleashed across the world.

Vladimir Odintsov, political commentator, exclusively for the online magazine “New Eastern Outlook”
http://journal-neo.org/2015/02/02/rus-dedollarizatsiya-i-...

Sept films à voir ou à revoir sur les Mers et océans

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Sept films à voir ou à revoir sur les Mers et océans

Ex: http://cerclenonconforme.hautetfort.com

Que Charles Baudelaire a raison de vanter les Hommes libres qui toujours chériront la mer. Eléments consubstantiellement étrangers à l'animal terrestre qu'est l'être humain, les mers et océans n'ont de cesse que de refuser de se laisser apprivoiser. Les mythologies regorgent de récits dans lesquels la Nature reprend ses droits. Ainsi de Poséidon, Dieu des mers et océans, coupable de furieuses colères. De même, les récits de raz-de-marée et de cités englouties comme l'Atlantide font se sentir l'Homme vulnérable face à l'imprévisibilité de l'élément aquatique. Elément prédominant tel que l'indique la Genèse, élément destructeur tel qu'elle apparaît dans le Déluge, la mer revêt des attributs similaires dans les religions monothéistes. Le combat entre l'homme et les mers et océans apparut dès l'organisation des premières sociétés humaines établies sur les côtes. Tout à la fois objet d'émerveillement et de terreur, l'imaginaire voyait ces vastes étendues mouvantes peuplées de créatures monstrueuses. Mare incognita, les mers furent longtemps considérées comme des fins du monde, à plus forte raison avant la révolution galiléenne affirmant la sphéricité de la Terre, amorcée par Pythagore dès le 5ème siècle avant Jésus-Christ. Les rapports de l'homme à la mer évoluent au fur et à mesure des améliorations des techniques de navigation. Au cabotage succèdent les grandes traversées maritimes. S'il est un fait acquis aujourd'hui que Christophe Colomb ne mit les pieds sur le continent américain que de nombreux siècles après les Vikings, l'anthropologue Jacques de Mahieu va plus loin en indiquant que les Hommes du Nord descendirent jusqu'en Amérique du Sud, et furent, avant eux, devancés par les Troyens. Ce sont néanmoins les Grandes découvertes qui modifièrent radicalement la perception de l'Homme aux territoires maritimes ou "merritoires" pour reprendre l'expression du géographe Camille Parrain. Indéniablement, les Grandes découvertes confirment de la manière la plus empirique la sphéricité du globe terrestre. Mais on ne dompte jamais les océans, quand bien même on les traverse. Sans évoquer les furieuses et meurtrières batailles navales des Guerres du Péloponnèse à Guadalcanal, en passant par Lépante, la mer demeure un danger constant que ne vaincra aucune technologie. Nombreuses sont les fois lors desquelles La Mer n'a pas voulu..., pour reprendre le titre de l'un des ouvrages trilogiques de Saint-Loup. L'écrivain-guerrier qui écrit justement que "Maintenant que des milliers de plaisanciers découvrent la mer, et particulièrement la navigation traditionnelle à la voile, avec plus de bonne volonté et d'enthousiasme que d'expérience, nous voyons que si les amateurs ont multiplié les bêtises de tout ordre, l'Océan n'a pas voulu en prendre acte et leur a fait crédit. " Alain Colas sur Manureva, Loïc Caradec, Eric Tabarly, mais encore Daniel Gilard, co-équipier d'Halvard Mabire, même des navigateurs parmi les plus expérimentés ne revinrent pas de leur long voyage. L'Homme ne prend jamais tout à fait la mer... Nombreux furent les peintres, écrivains et poètes à rendre hommage à la mer à travers leur art. Les cinéastes ne furent en reste et ne manquèrent pas de s'inspirer justement de Daniel Defoe, Jules Verne ou Michel Tournier. Plongée, c'est le cas de le dire, dans sept films de ce genre cinématographique.

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ALL IS LOST

Film américano-canadien de Jeffrey C. Chandor (2013)

Traverser les océans n'est pas sans danger. Tandis qu'il traverse en solitaire l'Océan indien, un navigateur découvre à son réveil que la coque sur tribord de son voilier de douze mètres a été éventrée lors d'une collision avec un container à la dérive. Privé de radio et de tout matériel de navigation, le monocoque est pris dans une furieuse tempête. C'est de justesse que le navigateur expérimenté survit. Notre marin n'en est pas pour autant tiré d'affaire. L'océan est infesté de requins et les réserves alimentaires fondent à vue d'œil sous un Soleil implacable. Seuls un sextant et quelques cartes marines permettent au navigateur de tenter de gagner une voie de navigation empruntée par des cargos et demander de l'aide...

Un seul acteur et aucun dialogue, si l'on fait exception de quelques jurons bien compréhensibles, au cours d'une centaine de minutes qui illustrent huit jours de naufrage. Un seul acteur dont on ne sait rien. Seulement, devine-t-on l'existence d'une famille à l'aide d'une photographie. Chandor séquestre le spectateur sur le monocoque malmené en ne procédant à aucun flash-back, ni scène extérieure à l'embarcation. Un tel exercice de style peine évidemment à tenir le spectateur en haleine tout au long de l'œuvre et l'on peut reprocher un certain manque d'intensité dramatique. Un seul acteur donc, mais c'est Robert Redford, monstre redoutable du cinéma, qui réalise une grosse performance scénique à 77 ans. Le film n'en est pas moins plaisant.

LE CRABE-TAMBOUR

Film français de Pierre Schoendoerffer (1977)

crabetam.jpgQuittant Lorient, l'escorteur d'escadres Jauréguiberry est chargé d'assister des chalutiers de pêche sur les bancs de Terre-Neuve pour sa dernière mission avant démilitarisation. Au cours de la traversée, le commandant, le médecin-capitaine et le chef mécanicien se remémorent Willsdorff, dit le Crabe-Tambour, un personnage qu'ils ont côtoyé naguère tandis qu'il participait aux guerres d'Indochine et d'Algérie. Partisan du maintien de l'Algérie française, le Crabe-Tambour avait rejoint les rangs de l'Organisation de l'Armée secrète. Préférant le légalisme à la clandestinité, le commandant avait été contraint de manquer à sa parole et rompre le contact avec le Crabe-Tambour, aujourd'hui patron de l'un des chalutiers escortés. Si proches après tant de temps. Et pourtant, les mauvaises conditions météorologiques empêchent le commandant de saluer l'ancien O.A.S. en personne. Le cancer du poumon qui condamne le commandant à une mort imminente est bien peu de choses face aux tourments de sa trahison à l'égard de Willsdorff...

A-t-on besoin de présenter ce splendide drame de la Marine militaire ? Il est un crime de ne pas l'avoir vu. Cinéaste militaire par excellence, Schoendoerffer ne laissa le soin à personne d'adapter à l'écran son propre roman, inspiré de la vie du lieutenant de vaisseau Pierre Guillaume qui participa d'ailleurs au tournage comme conseiller technique. Un film à l'ambiance mortifère dans lequel la Grande faucheuse rode, prête à enlever les soldats tourmentés à jamais que la France a trahi. Eux qui avaient choisi De Gaulle plutôt que leur idéal et prendre les armes au sein de l'O.A.S. Une part d'eux-mêmes est morte en Algérie et les tourments de l'honneur, bafoué ou manqué, hanteront leurs nuits jusqu'à leur dernier souffle. Quelques critiques bien-pensants se sont étranglés du portrait nostalgique et nationaliste de la France coloniale puissamment interprété par Jean Rochefort, Claude Rich, Jean Perrin et Jacques Dufilho, qui rivalisent d'une souveraine sobriété. Adieu Vieille Europe, que le Diable t'emporte ! Un chef-d'œuvre !

THE DISCIPLE

Titre original : Lärjungen

Film finlandais d'Ulrika Bengts (2013)

disciple-larjungen-recensione.jpgL'été 1939, âgé de treize ans, Karl Berg débarque sur la petite île déserte de Lågskär, perdue en pleine mer Baltique, afin d'être l'apprenti du gardien du phare, Hasselbond, accompagné de son épouse et de ses deux enfants. Jugé trop jeune, le gardien refuse son enseignement à l'apprenti, pourtant bien contraint de demeurer sur l'île, le bateau désormais reparti. Karl va s'échiner à se lier d'amitié avec Gustaf, le souffre-douleur et fils de Hasselbond. Karl se révèle entreprenant et dégourdi et est progressivement accepté du gardien-tyran, au point que ce dernier commence à favoriser l'apprenti à son propre fils. L'amitié entre les deux jeunes garçons se double bientôt d'une forte rivalité. Par-dessus tout, Hasselbond interdit tout mensonge dans son entourage. Mais lui-même ne semble pas exempt de reproches...

Un huis clos à ciel ouvert ! Aussi paradoxale que puisse paraître cette assertion, c'est bien ce tour de force que réalise la réalisatrice en situant son intrigue sur une minuscule île des 6.500 sauvages îles Aland, situées au beau milieu de la Baltique, dont la Suède et la Finlande se disputaient la souveraineté. La Société des Nations mit un terme au conflit en attribuant l'île à la Finlande malgré que le dialecte parlé par la maigre population soit rattaché au suédois. Mais parlons plutôt du film pour indiquer que Bengts dresse de magnifiques portraits de chacun de ses personnages vivant sous l'emprise d'un ombrageux gardien de phare dont la vie est dédiée au seul exercice de sa profession. Le film est intégralement filmé en lumière naturelle, offrant à la réalisation un caractère diaphane des plus envoutants. Il est également servi par un époustouflant trio d'acteurs principaux. Un bijou froid.

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FIDELIO, L'ODYSSEE D'ALICE

Film français de Lucie Borleteau (2014)

Âgée de trente ans, Alice réalise son rêve de devenir marin. Dans quelques jours, elle embarquera comme mécanicienne sur le Fidelio parmi un équipage exclusivement masculin. Aussi, doit-elle se résoudre de laisser à quai son ami Félix. A bord du navire de marine marchande, Alice apprend que l'homme dont elle vient de prendre la place vient de mourir. Egalement, Gaël, le commandant du vieux cargo n'est autre que son premier grand amour. Si la jeune femme est éperdument amoureuse de Félix, la solitude du grand large lui impose de se questionner sur la fidélité. Alice cède aux avances de son ancien amoureux, ce qui ne manque pas de se savoir très rapidement sur le navire. Une embarcation sur laquelle tout n'est pas rose. Dans sa cabine, Alice tombe par hasard sur le carnet de l'ancien mécanicien décédé qui renseigne la jeune femme sur la vie du rafiot et de l'équipage. Elle apprend également que le navire n'est pas aux normes et est habitué aux problèmes mécaniques...

Voilà un premier long-métrage maîtrisé de bout en bout ! Borleteau filme admirablement le microcosme du personnel marin dans ce film dans lequel l'on parle français, anglais évidemment mais également le roumain et... le tagalog, dialecte philippin. Les mers sont également plaisamment filmées au gré des traversées au long cours. Certes, la jeune réalisatrice possède cet art mais c'est surtout son héroïne qui retient l'attention. Un marin a une femme dans chaque port dit-on. Mais lorsque l'on est "une" marin, on peut se permettre également d'avoir un homme dans chaque bateau. Tourmentée au début et progressivement gagnée par la solitude et la mélancolie sexuelle, Alice cède à ses pulsions. Nul portrait féministe pourtant, mais celui d'une jeune femme qui a décidé d'être actrice de son destin. Ariane Labed y crève l'écran, pleine d'une sincérité troublante. A voir !

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MANINA, LA FILLE SANS VOILES

Film français de Willy Rozier (1952)

Gérard Morère est un étudiant parisien de 25 ans. Tandis qu'il assiste à une conférence d'archéologie, il apprend que l'épave d'un navire phénicien coulé au large des côtes de la Corse pendant les guerres du Péloponnèse contiendrait un trésor. Immédiatement, cette révélation fait écho à une plongée sous-marine qu'il avait effectué cinq années auparavant à proximité des Îles Lavezzi et lors de laquelle il avait pu voir des fragments d'amphores. Morère se persuade qu'il sait où se trouve le trésor de Trolius et qu'il doit partir à sa recherche. Des amis et un aubergiste acceptent de financer son entreprise. A Tanger, l'étudiant s'associe avec Eric, contrebandier de cigarettes qui le convoiera jusque sur le lieu du supposé naufrage. Parvenu en Corse, le chasseur de trésor fait la connaissance de la magnifique Manina, 18 ans et fille du gardien du phare, qui prend un bain de Soleil sur les rochers... Le contrebandier Eric s'aiguise d'autant plus l'appétit que Morère préfère compter fleurette...

Second film de Brigitte Bardot, alors âgée de 18 ans et premier grand rôle après son apparition au milieu du long-métrage. Il n'est pas le meilleur film de B.B., loin de là même..., mais les acharnés de l'icône y trouveront leur bonheur. Sculpturale dans son bikini blanc ou noir, on comprend aisément qu'un chercheur de trésor y perde son latin, son grec et ses amphores ! B.B. sauve à elle seule le film du naufrage. Point de sexisme et admettons que l'acteur suisse Howard Vernon campe également son rôle avec talent. Effroyable bluette avec des dialogues d'aucune envergure, la réalisation de Rozier offre quand même de belles images de plongée sous-marine. Un Grand bleu avant l'heure. On y entend également avec plaisir des chants traditionnels en langue corse ! Si Dieu créa la femme B.B., Rozier n'inventa pas le cinéma...

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PÊCHEUR D'ISLANDE

Film français de Pierre Schoendoerffer (1959)

A Concarneau en 1959, l'armateur breton Mével ordonne au second d'équipage Guillaume Floury, surnommé Yan, de prendre la place du capitaine blessé dans une précédente tempête après qu'il soit parvenu à ramener l'embarcation à bon port. Yan commandera le chalutier Pêcheur d'Islande pour la première fois. Qu'à cela ne tienne que ledit chalutier ait une bien mauvaise réputation. Car on le dit porter malheur. Qu'à cela ne tienne donc et ce à plus forte raison que Yan fait la connaissance dans le bureau de Mével de sa fille Gaud, récemment rentrée de Paris. Les deux jeunes adultes ne restent pas indifférents l'un à l'autre. Au large, la pêche est bien maigre. Voulant faire ses preuves, Yan l'espérait au contraire miraculeuse. Il décide de gagner les dangereuses eaux au large de l'Irlande et de pêcher frauduleusement dans les eaux territoriales. Dénoncé par Jenny, sa maîtresse jalouse de Gaud, Yan est renvoyé. La mauvaise réputation du bateau empêche Mével de trouver un nouveau successeur. Yan reprend le commandement du Pêcheur d'Islande bientôt porté disparu...

Schoendoerffer ne fut pas le premier à porter à l'écran le roman éponyme de Pierre Loti ; Jacques de Baroncelli s'y étant déjà essayé en 1924. Le réalisateur modernise l'histoire et prend de nombreuses distances avec le texte initial, notamment en incluant des scènes maritimes à la différence du roman dont l'intrigue se passe intégralement en terre armoricaine. Il n'est d'ailleurs pas sûr que ce Pêcheur soit une adaptation de Loti. Le film n'en demeure pas moins une belle réussite bien que le Schoendoerffer de 1959 ne soit pas encore le génialissime réalisateur dont le talent explose six ans plus tard avec La 317ème Section. L'intrigue est solide et les personnages bien campés ; Charles Vanel en tête. Un film intéressant sur la pêche d'Islande, aussi dangereuse que mythique dans l'univers marin, à laquelle les Flamands préféreront le terme de pêche à Islande.

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TEMPÊTE

Film français de Samuel Collardey (2015)

Âgé de 36 ans, Dominique a une vie toute consacrée à son dur métier de pêcheur en haute mer. Ce n'est que trop rarement qu'il reste à terre en compagnie de ses enfants dont il a hérité de la garde après sa séparation avec son épouse Chantal. Dom fait preuve d'une inextinguible envie de se montrer à la hauteur de la tâche malgré ses longues absences et se rêve en patron de son propre chalutier associé avec son fils Matteo. Avec sa sœur Maylis, Matteo tente de ne pas trop faire payer au père de manquer nombre d'événements au sein du foyer des Sabes-d'Olonne. Les adolescents autonomes n'en mènent pas moins leur vie. Mais les choses se compliquent lorsque l'assistante sociale et la juge menacent Dom de lui retirer la garde des enfants s'il ne passe pas plus de temps à terre. Et Maylis, seulement âgée de seize ans, doit se résoudre d'affronter seule l'avortement d'un foetus non viable. Afin de les conserver auprès de lui, Dom se résout à transformer son rêve d'affaire en réalité. Sans apport financier mais de la hargne, il dépose des dossiers auprès des banques...

Dominique, Chantal, Matteo et Maylis Leborne, quatre comédiens amateurs qui campent leur propre rôle dans ce long-métrage quasi-documentaire qui gagne son pari d'avoir la force d'un coup de poing qui se reçoit avec la tendresse d'une caresse sur la joue. Collardey offre une formidable immersion dans le quotidien professionnel et familial d'un marin pêcheur vendéen. Aux longues et harassantes campagnes de pêche succèdent de trop fugaces moments de bonheur en famille bien que le père peine à offrir une éducation et se comporte plus en grand frère immature et maladroit dans ses sentiments. Et ce foutu argent qui manque immanquablement... La représentation de la figure paternelle ne manquera pas d'offusquer les plus puritains des spectateurs. Collardey révolutionne le cinéma social français. A voir absolument que ce film enthousiasmant et généreux !

Virgile / C.N.C.

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Basarab Nicolescu : l'esprit en éveil La Lucarne et la Nuit

Basarab Nicolescu : l'esprit en éveil

 


Rencontre avec Basarab Nicolescu, théoricien de la transdisciplinarité, qui interroge le réel sur le plan de la logique, du langage, de l'imaginaire, de la philosophie, de la vie psychique, de la spiritualité, de la religion, de la société et de la vie de tous les jours.

Prônant une vision transdisciplinaire de l'être humain, Basarab Nicolescu souhaite "l'élaboration d'une approche ouverte, en permanente évolution, qui se nourrirait de toutes les connaissances humaines et replacerait l'homme au centre des préoccupations de l'homme." Cette "méta-science" inclurait la pensée symbolique traditionnelle dans la mesure où, ce que la tradition découvre dans la richesse de la vie intérieure, la science le découvre, par isomorphisme, dans la corporéité des systèmes naturels". Chercheur honoraire au CNRS, Professeur à l'Université de Cluj-Napoca (Roumanie), Membre de l'Académie Roumaine, Président-fondateur du Centre International de Recherches et Études Transdisciplinaires (CIRET), il est aussi l'auteur, entre autres, de Nous, la particule et le monde (EME éditions, 2012); Qu'est-ce que la Réalité ? (Liber 2009), L'homme et le sens de l'Univers - Essai sur Jakob Boehme (Le Félin, 1995), Théorèmes poétiques (Editions du Rocher, 1994), La transdisciplinarité, manifeste (éditions du rocher, 1996).

Dans son dernier ouvrage, René Daumal et l'enseignement de Gudjieff, (Le bois d'Orion, 2015) Basarab Nicolescu, en collaboration avec Ana Maria Wangeman, Claude Auger, Patrick Décant et Jean Pian, présente des archives inédites, conservées notamment à la Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet. Ont été rassemblés ici entre autres les lettres d'Alexandre de Salzmann à René Daumal, de mars 1933 à avril 1934, des documents rares sur son travail sur le théâtre ou l'alphabet qu'il avait créé, mais aussi le carnet dans lequel René Daumal notait ses réflexions sur l'enseignement, les lettres échangées avec Jeanne de Salzmann relatives au « travail » pratiqué dans les groupes Gurdjieff... ainsi que des études approfondies.

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samedi, 10 septembre 2016

Europe, mondialisation et «grands récits géopolitiques»

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Europe, mondialisation et «grands récits géopolitiques»

par J.C. Empereur

Ex: http://www.breizh-info.com

Haut fonctionnaire honoraire, co-fondateur de la Convention pour l’Indépendance de l’Europe, Jean-Claude Empereur a bien voulu autoriser Breizh-info à reprendre cet  article paru dans la dernière livraison de la Revue politique et parlementaire(avril-juin 2016),consacrée à » l’Europe dans la tourmente » . Une réflexion fondamentale sur l’avenir de l’Europe à l’heure de la mondialisation. 

Longtemps, pour les « Occidentaux », le concept de mondialisation fut associé à l’idée d’une hiérarchie des puissances.

Il semblait naturel que cette hiérarchie se maintienne pour des décennies. En témoigne cette idée que des Etats-continents tels que l’Inde ou la Chine ne pouvaient être que des suiveurs voire des supplétifs destinés à accompagner le développement économique et industriel de l’Occident. Leur destin ne pouvait être que « l’outsourcing » ou la « sous-traitance »  leur horizon se transformer, pour les uns en « bureau  du monde » et pour  les autres en « atelier du monde », en aucun cas de laboratoire ou de financier de la planète, ce qu’ils sont pourtant  en train de devenir.

Ces nouveaux arrivants dans l’économie mondiale ne pouvaient que se rallier docilement à cette vision apparemment rationnelle et rassurante de la mondialisation heureuse ou chacun allait pouvoir prendre sa place dans une sorte de logique chère aux théoriciens du management, celle de la chaîne de valeur globalisée  et  du « juste à temps ».

Les occidentaux étaient tombés sans s’en rendre compte dans le double piège de Ricardo et de Colin Clark, la théorie des avantages comparatifs établirait au plan mondial une sorte de principe de subsidiarité économique tandis que celle des trois secteurs, primaire, secondaire et tertiaire assurerait aux pays les plus développés la maitrise des domaines technologiquement les plus innovants , garantissant ainsi au monde une stabilité définitive et la « fin de l’histoire ».

Lisse comme une boule de billard, la sphère planétaire mondialisée et globalisée, sans cesse  polie à la double idéologie du doux commerce et des droits de l’homme, s’acheminerait sans heurts vers la paix et la prospérité.

DE LA MONDIALISATION HEUREUSE A LA MONDIALISATION RUGUEUSE

Cette vision irénique d’une mondialisation commandée par l’économie, unifiée et pacifiée par les seules forces du marché a cédé la place à celle plus agressive d’une compétition multipolaire exacerbée dans tous les domaines : économiques, technologiques, culturels et militaires entre Etats–continents animés par des visions géopolitiques qui projettent leurs ambitions bien au-delà de préoccupations purement économiques ou mercantiles.

C’est ainsi que depuis quelques années, sous l’impulsion des principaux acteurs mondiaux apparaissent, de « Grands récits géopolitiques » : Projet pour un Nouveau Siècle Américain et Grand marché Transatlantique, Route et Ceinture Maritime de la Soie, Union Eurasiatique, BRICS etc.

Plus que le concept de « fin de l’histoire », imprudemment forgé par Francis Fukuyama à la suite de la disparition de l’Union soviétique, c’est  le concept géologique de « tectonique des plaques » continentales et sa vision d’entrechoquements et de chevauchements telluriques qu’évoque la nouvelle géopolitique mondiale.

Ces « Grands récits » mobilisateurs, américains, chinois, russes, indiens, sont le résultat d’une volonté de projection dans les grands espaces et le temps long, en même temps que  d’une maîtrise accélérée de l’ensemble des technologies d’avant-garde, principal moteur de l’histoire.

Ces espaces géoéconomiques, innervés et structurés par des réseaux numériques, logistiques et financiers, sans cesse plus intégrés et ramifiés, défendus par des moyens militaires toujours plus puissants, façonnent un nouveau monde  que l’on pourrait qualifier d’ hyper-westphalien.

LE VISAGE NOUVEAU DE LA MONDIALISATION : LA CONFRONTATION DE GRANDS RECITS GEOPOLITIQUES

Le Grand récit géopolitique se caractérise par une double projection :

  • Dans le temps long
  • Sur les grands espaces

Il mobilise des masses importantes de population, parfois très diverses, dans une perspective conquérante ou défensive, l’unité de compte étant le plus souvent le milliard d’individus : jusqu’à 40 % de la population mondiale.

Il s’appuie sur une organisation multinationale ou sur un système d’alliances  entrelacées, souvent préexistantes, qui intègrent une dimension stratégique affichée: OTAN, Organisation de coopération de Shanghai, BRICS.

Il se dote d’institutions financières puissantes à fort potentiel de développement, parfois  destinées à faire pièce aux institutions existantes. Banque des BRICS, Asian Investment Infrastructure Bank.

Il projette de structurer son territoire par la mise en place d’infrastructures de transport  multimodales, ou de  communication de dimension planétaire voire spatiales.

Il fait jouer à plein la multiplicateur puissance démographique/capacité d’innovation technologique, ampleur territoriale/accès aux matières premières, profondeur stratégique/sécurité.

La finalité de ces Grands récits, est, soit dans le cas des Etats–Unis de maintenir leur hégémonie, soit pour l’ensemble des autres de contester celle-ci, voire, à terme, de la supplanter.

La conception de ces Grands récits est souvent le fruit d’un mélange de volonté gouvernementale, d’influence de lobbys  ou de forces politiques organisées mais aussi de think tanks plus ou moins indépendants et de médias influents.

La construction des Grands récits se fait par complémentarité économique, le plus souvent par contiguïté territoriale ou convergence d’intérêts géopolitiques et non par contrainte et conquête. Elle est beaucoup plus géoéconomique qu’idéologique.

Leur volonté mobilisatrice, tant de l’opinion que de la société civile, des milieux politico-médiatiques, industriels et bien entendu de défense est manifeste. Les masses qu’ils animent, les outils de transformation du monde auxquels ils font appel sont le moteur de cette géopolitique des « plaques continentales » qu’ils mettent délibérément en mouvement. (cf. interview de Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des affaires étrangères, RT 21/O2/2016).

La confrontation planétaire de ces Grands récits s’inscrit dans un monde hyper-westphalien qui n’est plus tout à fait celui de Metternich ou de Kissinger mais qui  doit néanmoins s’inspirer de leurs méthodes de résolution des conflits.

LA NOUVELLE GÉOPOLITIQUE DES GRANDS RÉCITS

Etats-Unis, Russie, Chine, Inde, Brésil, État islamique, etc.,  forgent leurs Grands récits à l’image de leur vision du monde, de leurs ambitions, de leurs craintes  mais aussi pour certains de leurs frustrations ou de leurs ressentiments.

Les Européens, dépourvus de toute vision géopolitique, semblent laisser à d’autres le soin d’écrire leur Grand récit. Pour combien de temps encore ?

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Etats-Unis. Du « Project for a New American Century » au « TAFTA » : l’hégémonie sans partage

Lorsque Madeleine Albright qualifia les Etats-Unis de « Nation indispensable » elle se référait explicitement au concept de « Manifest destiny » apparu dès 1845 sous la plume du journaliste  John O’Sullivan à l’occasion de l’annexion du Texas. C’est dans cette perspective que les néoconservateurs élaborèrent, sous la présidence de G. W. Bush, grâce à de puissants et très influents think tanks, le « Project for a New American Century » (PNAC),Grand récit très élaboré visant à la domination du monde, qui orienta  et, de fait, oriente  toujours la diplomatie américaine qu’elle soit républicaine ou démocrate.

L’administration Obama s’inspira, en effet, sans trop le dire, de cette conception dominatrice, reprenant à son compte le principe intangible et non négociable de « full spectrum dominance » emprunté au vocabulaire stratégique mais parfaitement adapté à la vision géopolitique américaine du monde telle qu’elle a été formulée depuis par John Halford Mackinder et Nicholas Spykman.

Le projet de Traité de Grand marché transatlantique (TAFTA)  négocié, dans la plus grande opacité par une Union Européenne en état de sidération géopolitique, n’a d’autre objet que d’étendre cette stratégie  de domination  à l’Europe en l’arraisonnant grâce à un système de normes techniques et juridiques irréversibles.

Chine. « La route et la ceinture maritime de la soie » : le recentrage de l’Empire du milieu

Ce projet lancé en 2014 par le président Xi Jinping, se concentre sur la connectivité et la coopération entre des pays principalement situés  en Eurasie et se compose de deux éléments principaux, l’un terrestre, la “CeintureEconomique de la Route de la Soie” et l’autre maritime, la “Route Maritime dela Soie”.Parmi les propositions phares de cette initiative soutenue par l’Organisation de Coopération de Shanghai on retrouve des projets d’infrastructures (dont une ligne de trains à grande vitesse reliant directement Pékin à Moscou, voire à Berlin) ainsi qu’une banque l’AIIB (Asian Infrastructure Investment Bank),qui s’annonce comme un concurrent direct de la Banque Mondiale sous leadership américain. Par son ampleur, ses multiples dimensions, le nombre de partenaires engagés, sa projection temporelle (le XXI ème siècle) la complémentarité qu’il affiche entre développement territorial et stratégie financière, le projet« One belt one road », qui concerne  près de 40% de la population mondiale,comporte tous les éléments d’un Grand récit géopolitique planétaire et séculaire.

Russie. L’Union économique eurasiatique : la déception européenne et la tentation asiatique

Créée  en 2014 puis élargie en 2015 cette union, assez proche dans sa conception de l’Union européenne regroupe autour de la Russie, la Biélorussie, l’Arménie, le Kazakhstan et le Kirghizistan.

A terme son potentiel est important mais elle souffre actuellement de difficultés économiques ainsi que des problèmes politiques liés notamment au conflit en Ukraine. Il lui faut trouver aussi le moyen de se coordonner avec le projet précédent initié par la Chine, beaucoup plus ambitieux, qui pourrait  à terme le tenir en lisière.

Ce projet inspiré en partie des doctrines eurasistes en exprime aussi certaines  ambiguïtés géopolitiques.

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« LES BRICS » : le contre-endiguement

Cet acronyme inventé naguère, ironie de l’histoire, par un dirigeant de Goldman Sachs associe les noms de cinq pays : Brésil, Russie Indes, Chine, Afrique du Sud. Cet ensemble rassemble 40 % de la population du monde et près de 30% de son PIB.

A la différence des projets précédents il ne dispose pas de la continuité territoriale mais, comme eux, il met l’accent, néanmoins, sur la mise en place d’institutions financières indépendantes (banque des BRICS) et la création d’infrastructures  de télécommunication notamment (organisation d’une architecture Internet indépendante et sécurisée).

Destiné à s’élargir, le projet des BRICS constitue un  Grand récit atypique par ses origines, son évolution, ses territoires. Il est sans doute celui qui suscite la plus grande inquiétude aux Etats-Unis, notamment du fait de la présence du Brésil en son sein, ceci  en totale opposition avec la doctrine de Monroe, mais aussi  à cause des perspectives d’association de l’Iran  qui pourraient, à terme, être envisagées.

Il suffit de regarder une carte pour s’en convaincre, les BRICS obéissent à une logique de « contre-endiguement » par rapport aux stratégies américaines  de « containement » du bloc eurasiatique, « pivot géographique du monde » selon la formule de Mackinder.

L’État islamique : l’extension du domaine de la Charia

Il serait imprudent d’un point de vue géopolitique de ne considérer la stratégie de l’État islamique que du simple point de vue du terrorisme.

Cette dimension est, bien entendu, essentielle. Le terrorisme doit être combattu sans relâche avec tous les moyens dont dispose la communauté internationale, mais se limiter à cet aspect des choses et se refuser à voir dans le projet de retour du califat une forme de Grand récit serait une erreur majeure.

Ce Grand récit repose sur le salafisme djihadiste, il vise à la création d’un État totalitaire dans une perspective mondiale, utilisant, pour arriver à ses fins, tout le moyen de la guerre classique, révolutionnaire ou hybride. À ce titre, il jouera un rôle essentiel dans les affrontements géopolitiques du monde à venir.

UN GRAND RÉCIT EUROPÉEN EST-IL ENCORE POSSIBLE ?

Cette nouvelle vision du monde ne semble pas préoccuper les Européens  que l’aveuglement géopolitique, l’angélisme mondialisateur et le réductionnisme gestionnaire a condamné, depuis longtemps, à oublier qu’ils sont eux-mêmes issus d’une série de Grands récits, le dernier en date étant la réconciliation franco-allemande.

Les Européens  n’ont pas encore pris conscience du fait  qu’après avoir été les instigateurs des rivalités de puissance ils en sont devenus les enjeux.

Tous ces Grands récits, qu’on le veuille ou non,  sont tous fondés sur une expression de la souveraineté et sur une vision géopolitique du monde.  Or sur ces deux plans les Européens ont abandonné la partie.

Bien plus, animés par une  consternante phobie de la puissance et de la  souveraineté, ils ont, au fil de ces soixante dernières années, construit une machine à aspirer les souverainetés nationales, sans créer en contrepartie une  souveraineté européenne originale qui serait seule capable d’affronter les bouleversements géopolitiques actuels. Coup sur coup, les crises financières, migratoires, et fondamentalistes ont mis en évidence les faiblesses de ce système et provoqué un reflux sans précédents du sentiment européen.

Ce reflux se trouve encouragé par un discours purement gestionnaire dépourvu de souffle, coercitif et culpabilisant.

Une société à ce point  inconsciente de l’ordre de ses fins et de son destin ne tarde pas à devenir, une société d’indifférence et d’autodestruction.

Inverser le mouvement  suppose la conception d’un Grand récit européen. Sa mise en œuvre, attendue par des opinions en plein désarroi est devenue un impératif de survie. Quelles pourraient  en être les grandes lignes ?

Parmi beaucoup d’autres trois priorités se dégagent :

  • Maîtriser la relation euro-africaine
  • Eviter la séparation continentale de l’Europe et renouer avec le partenariat euro-russe
  • Se désarrimer d’un atlantisme  de soumission

Maîtriser la relation euro-africaine

Il s’agit d’une priorité absolue, commandée par les évolutions démographiques. Les derniers chiffres publiés par l’ONU parlent d’eux-mêmes : 2,4 milliards d’habitants en 2050 et 4,4 en 2100.

On ne pourra s’aveugler encore longtemps sur le fait que le face à face Europe/Afrique consiste à mettre en miroir  les populations parmi  les plus démunies du globe avec les plus riches, les plus fécondes avec les plus stériles, les plus jeunes avec les plus âgées, celles à l’espérance de vie la plus courte avec celles possédant l’espérance la  plus longue.

Fort heureusement l’Afrique s’engage dans une croissance très significative de son économie mais beaucoup reste à faire et  le co-développement Europe –Afrique est une impérieuse nécessité. De ce point de vue, le projet d’Union pour la Méditerranée magnifique programme, préfiguration d’un Grand récit euro-africain  constituait un modèle malheureusement engagé trop tardivement.

Il reste encore sans doute la clef d’une grande communauté euro-africaine dont les fondements restent comme pour tous les grands récits : les infrastructures de transport, l’énergie, le développement durable et bien entendu les financements.

Refuser la séparation continentale de l’Europe

Les géopolitologues Etats-Uniens tels que George Friedman ou Zbigniew Brzezinski prônent le maintien et la consolidation de la séparation entre ce qu’ils appellent l’Europe péninsulaire c’est-à-dire l’Europe occidentale augmentée des anciennes démocraties populaires et l’Europe continentale (Mainland).

La gestion du conflit ukrainien et les avancées de l’OTAN reflètent parfaitement cette tendance obsessionnelle de la diplomatie d’outre atlantique.

Les Européens ne doivent pas tomber dans ce piège .Il est temps de sortir de cette situation et de relancer le partenariat euro-russe dans une perspective d’équilibre entre le monde atlantique océanique et le monde eurasiatique continental et  de recherche de complémentarité et de profondeur stratégique en s’appuyant sur le lien tripartite Paris Berlin Moscou.

Se désarrimer d’un atlantisme de soumission

La crise économique et financière, d’origine anglo-saxonne, aux conséquences géopolitiques de plus en plus évidentes, dans laquelle est plongé le monde, aurait dû être, pour les Européens, l’occasion d’un sursaut d’indépendance et de solidarité et leur permettre une souveraineté qu’aucun des autres acteurs du monde multipolaire n’a jamais songé à abandonner.

C’est l’inverse qui s’est produit, la crise a accru la vassalisation de l’Union Européenne dans des proportions encore jamais connue auparavant.

Le développement d’une économie numérique globale, entièrement sous contrôle américain, la perte de contrôle de fleurons de certaines industries stratégiques notamment françaises, la réactivation de l’OTAN, et la préparation d’un traité de libre-échange ;antichambre d’une future intégration  politique euro-atlantique annoncent une perte définitive d’indépendance et l’impossibilité de définir un Grand  récit européen. Il est temps de se dégager d’un protectorat asservissant pour retrouver ce qui aurait dû rester un partenariat entre égaux.

En se projetant ainsi sur trois fronts : au sud, à l’est et à l’ouest, le Grand récit géopolitique européen fondé sur une quadruple volonté de solidarité, de puissance, d’indépendance et de souveraineté, mais dépourvu de toute volonté hégémonique devrait atteindre un double objectif :

  • Rendre au sentiment européen le souffle qui lui fait défaut depuis qu’une approche purement économique et constructiviste l’a étouffé.La logique des « petits pas » chère aux Pères fondateurs est impuissante face aux grands défis.
  • Restituer à l’Europe la centralité qui fut la sienne au cours des siècles, gage d’équilibre, dans un monde soit disant globalisé mais en réalité redevenu instable et dangereux.

Il faudra pour concevoir, faire accepter et  mettre en œuvre ce Grand récit : une opinion informée et motivée, des élites imaginatives et visionnaires, des dirigeants courageux et déterminés.

Le système européen aux allures d’empire bureaucratique est-il encore capable d’organiser cette triple mobilisation ?

Le temps nous est compté.

Jean-Claude Empereur

Kampfbegriff „offene Gesellschaft“

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Kampfbegriff „offene Gesellschaft“

von Carlos Wefers Verástegui

Ex: http://www.blauenarzisse.de

Der Begriff „offene Gesellschaft“ wird besonders oft gebraucht im Zusammenhang mit der Globalisierung, europäischen Integration, dem Multikulturalismus und der „Überwindung des Nationalstaats“.

Die ursprüngliche Bezeichnung „offene Gesellschaft“ rührt vom französischen Lebensphilosophen Henri Bergson (18591941) her. Bergson bezeichnete damit einen besonderen Gesellschaftstypus, der sich in der Seele hervorragender Menschen vorgebildet fände. Dieser Gesellschaftstypus geht, jenseits des natürlichen Rahmens von intimer Gruppensolidarität sowie eng auf die Abstammungsgruppe beschränkter Gemeinschaftsmoral – der Theologe Ernst Troeltsch sprach von „Binnenmoral“ – von einem einzigen, alle Menschen gleichermaßen befassenden Menschentum aus. Grundlage der „offenen Gesellschaft“ ist die Anerkennung des Menschen als eines Höchst– und Selbstwertes. Obwohl Bergsons Sympathie mit dieser Bestimmung eindeutig bei der „offenen Gesellschaft“ lag, erkannte er durchaus die Notwendigkeit und Berechtigung ursprünglicher, also „geschlossener“ Verbände und Gemeinwesen an.

Das liberale Ideologem der „offene Gesellschaft“

Erst Sir Karl Raimund Popper war es beschieden, Bergsons im Übrigen gut gebildete analytische Kategorie „offene Gesellschaft“ zum ideologischen Transportmittel für den Individualismus und Egoismus zu machen. „Offene Gesellschaft“ wurde, dank Popper, zum Freiheitsbekenntnis des (absoluten) Individuums, im Gegensatz zu Etatismus, Nationalismus, Protektionismus sowie jeder Art von „Kollektivismus“.

Seitdem gehört „offene Gesellschaft“ als Kampfbegriff zum Grundbestand pseudowissenschaftlicher, liberalistischer Propaganda. Diese war derart wirksam, dass sogar dieselben Liberalen, die eigentlich nur auf die Täuschung Unbedarfter aus waren, von ihrem eigenen Blendwerk geblendet worden sind. Der liberale deutsche Soziologe Ralf Dahrendorf z.B. war felsenfest davon überzeugt, dass Großbritannien von alters her eine „offene Gesellschaft“ gewesen sei. Das trifft im gleichen Sinne zu, in dem man vom alten Athen mit seiner rücksichtslosen Sklavenwirtschaft, seiner andere Gemeinwesen den Boden gleichmachenden Kriegsführung und seiner grausamst betriebenen Kolonialpolitik („Kleruchien“) sagen kann, es sei eine Demokratie gewesen.

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Keine Gesellschaft, kein Pluralismus

Kritischere Liberale haben die Unhaltbarkeit der geschichtlich realisierten „offenen Gesellschaft“ schließlich bald erkannt und versucht, in der „pluralistischen Gesellschaft“ einen Ausweg zu finden. Tatsächlich aber fällt die „pluralistische Gesellschaft“ in dem Land, was ihr zum Vorbild gedient hat, den USA nämlich, mit dem zusammen, was man hier landläufig „offene Gesellschaft“ nennt.

Dabei ist wichtig festzustellen, dass der namengebende Grundzug des „Pluralismus“, eben wirklich pluralistisch zu sein, nirgends dort zu Hause ist, wo einstmals der monarchische Absolutismus für Ruhe und Ordnung sorgte. Also in fast ganz Kontinentaleuropa. Und gerade der monarchische Absolutismus war es, der das charakteristische, moderne Spannungsfeld von Individuum und Staat erst hervorgebracht hat. Das war das Zerstörungswerk seiner alles zentralisierenden Bürokratien, allem voran seines vereinheitlichenden Rechtswesens nach der neuzeitlichen Wiederentdeckung des römischen Rechtes: Zuerst vereinnahmte oder zerstörte der Absolutismus seinen natürlichen Widerpart, die „soziale Souveränität“ (Vázquez de Mella), d.h. die sich in Ständen, Gilden, Zünften, Kirchen sowie Familienverbänden darstellende organisch gegliederte Gesellschaft.

Nach dieser Auflösung der sozialen Autorität befand sich der absolutistische Staat bereits im Übergang zum Klassenstaat, wie Marx ihn später geschildert hat. Die „liberalen“ Revolutionen des 19. Jahrhunderts setzten dann das fort, was bereits der monarchische Absolutismus des 17. und 18. Jahrhunderts begonnen hatte: die Zersetzung der Gesellschaft.

Soziale Souveränität

Inwieweit sich das auf den „Pluralismus“ auswirkt, veranschaulicht ein Aphorismus Nietzsches: „Kurz gesagt – ach, es wird lang genug noch verschwiegen werden! –: was von nun an nicht mehr gebaut wird, nicht mehr gebaut werden kann, das ist eine Gesellschaft im alten Verstande des Wortes: um diesen Bau zu bauen, fehlt alles, voran das Material. Wir alle sind kein Material mehr für eine Gesellschaft …“

In den Staaten des Alten Kontinents gibt es also keine soziale Souveränität mehr. „Soziale“ Interessenvertretungen sind einfach nur „soziale“ Parteien, deren Bestand genauso zu bedauern ist wie der der politischen Parteien. Und auch die verschiedenen „Körperschaften“, „Bünde“, „Verbände“, „Genossenschaften“ sind keine vollgültigen Nachfolger der sozialen Souveränität, sondern bloß für das mehr oder minder reibungslose Funktionieren des Lückenbüßers „Zivilgesellschaft“ gute Institutionen – allesamt von Gottvater Staats Gnaden.

Alexis de Tocqueville konnte dahingegen in den USA die den Pluralismus begründende „soziale Souveränität“ mit eigenen Augen, sozusagen „am Werk“ sehen. Die Universalität und Zukunftsfreudigkeit der jungen Nation war den Amerikanern dabei mit in die Wiege gelegt worden. In Europa gab und gibt es dazu nichts Vergleichbares. Wir haben eben Vergangenheit, Wurzeln und Sinn für Tradition.

Statt Erlösung Auflösung

Im Gegensatz zum „Kosmopolitismus“ sticht bei der „offenen Gesellschaft“ der individualistische Zug so nicht mehr ins Auge. Wir haben uns an den Terminus längst gewöhnt und machen uns kaum noch die Mühe, ihn zu durchdenken. Die „offene Gesellschaft“ ist deshalb das bevorzugte Mittel, den Leuten nichts weniger als die kosmopolitische Zersetzung ihrer Gemeinwesen schmackhaft zu machen. Dahinter steckt letztendlich eine Denkweise, die, wie Troeltsch ausführte, anfangs eine Erlösung von konfessionellem, staatlichem und unterrichtlichem Zwang versprach. Seit Popper gehört dazu auch die „Erlösung“ von der „geschlossenen Gesellschaft“, von Volk, Nation und aller durch Tradition und Autorität geprägten Gemeinwesen. Das jedoch ist dann keine Erlösung mehr, sondern eine Auflösung.

Augustin Cochin, l’historien oublié de la Révolution française

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Augustin Cochin, l’historien oublié de la Révolution française

Le 8 juillet dernier, 100 ans nous séparaient de la mort glorieuse d’Augustin Cochin, historien tué à l’ennemi sur le front de la Somme lors du sinistre été 1916. Mort dans la fleur de l’âge, à 40 ans, il est aujourd’hui méconnu malgré l’importance de ses études sur la Révolution française. François Furet le considérait pourtant avec Tocqueville comme un des penseurs majeurs de cette séquence historique.

Augustin_Cochin.JPGEn France, l’identité politique des historiens de la Révolution est toujours passée au crible et leurs conclusions soupçonnées d’être biaisées par un parti pris idéologique. La polémique récente, entre Michel Onfray et Jean-Clément Martin, nous l’a rappelé. Aucune autre période ne suscite de telles controverses. Sur cette séquence, chaque chercheur est contraint de répondre à cette question posée par Danton à Robespierre dans le fameux film de Wajda sur l’homme du 10 août : « Au nom de qui tu parles ? » Longtemps dominées par les historiens républicains puis par les communistes et certains de ses mandarins universitaires comme Albert Soboul, les études du monarchiste Augustin Cochin ont rapidement été enterrées ou mal comprises par une histoire académique méfiante, en raison de ses positions conservatrices et de sa défense du catholicisme. Il  était devenu le grand oublié de l’historiographie de la Révolution avant que François Furet n’ait déterré ses travaux une cinquantaine d’années après sa mort et ne lui ait rendu hommage dans un magistral essai : Penser la Révolution.

Un historien conservateur

C’est en 1876 qu’Augustin Cochin voit le jour au sein d’une famille d’orléanistes catholiques. De son milieu, il gardera un fort attachement à cette filiation spirituelle et intellectuelle. Son père est un homme politique monarchiste rallié à la République, inscrit dans une tradition conservatrice. Son grand père fut, quant à lui, un disciple réputé de Le Play, précurseur de la sociologie française ; une discipline qui deviendra une des spécificités des travaux historiques avant-gardistes de son petit-fils. Après l’obtention d’une licence de lettres doublée d’une licence d’histoire, Augustin Cochin entre à l’École des chartes et entame peu après des recherches sur la Révolution. C’est à ce moment-là qu’il se rapproche de l’Action française sans jamais toutefois l’intégrer car il est  opposé au mouvement monarchiste sur les questions religieuses. De plus,  il est fermement hostile au positivisme maurrassien. Cependant, Charles Maurras aura toujours pour lui une sincère admiration. Les deux hommes partagent en effet les mêmes adversaires : la franc-maçonnerie, la démocratie et la République.

Pourtant, on aurait tort de s’arrêter là et de considérer que ce parti pris décrédibilise une œuvre que certains ont trop rapidement rangé dans la lignée des écrits de l’abbé Barruel. Son travail s’en distingue résolument, même si la franc-maçonnerie se trouve au cœur de l’œuvre des deux hommes. Cependant, pour Cochin, la thèse d’un complot franc-maçon, ourdi secrètement dans le mystère des loges  afin de renverser le trône et l’autel, s’oppose à sa conception de l’Histoire. Selon lui, les hommes sont exclusivement les produits de phénomènes historiques. Il s’oppose à la théorie « complotiste » soutenue par l’auteur des Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme. Il écrira ainsi qu’elle est « une forme naïve dont la conspiration de mélodrame va de Voltaire à Babeuf ». Ses conclusions vont également à l’encontre des  interprétations psychologisantes de la plupart des historiens du XIXe siècle comme Taine ou Aulard pour lesquels la volonté des acteurs est le moteur de l’histoire. Comme l’écrit François Furet dans Penser la Révolution française : « Brissot, Danton, Robespierre sont moins leaders jacobins que produits jacobins. […] Les tireurs de ficelles ne sont que des rouages, et les manipulateurs, des manipulés, prisonniers de la logique de système. »

Inspiré par la toute récente sociologie durkheimienne et par Lévy-Bruhl, Cochin opère une révolution méthodologique. Il décide de s’intéresser aux fonds d’archives provinciaux alors inexploités, au contraire des archives parisiennes qui monopolisent la recherche historique. À travers cette approche qui met l’accent sur le phénomène social, il souligne le rôle d’une sociabilité démocratique nouvelle qui s’étend sur le pays dans les années précédant la Révolution et modifie les rapports entre le pouvoir et les Français. Cette sociabilité est basée sur  ce qu’il nomme « les sociétés de pensée »  (cafés, salons, clubs, chambres de lectures, loges…) au sein desquelles la franc-maçonnerie forme l’organisation la plus aboutie. Ces groupes  incarnent une machine motrice qui amène à une accélération de l’Histoire et à la rupture révolutionnaire.  Ces sociétés – puissantes machines de création d’opinion – créent, selon lui,  une opinion artificielle. Elles forment  « une petite cité philosophique » qui impose alors ses vues à « la grande cité », c’est-à-dire au pays tout entier. Cette nouvelle sociabilité, qui s’installe en France, se base non plus sur une appartenance sociale, comme sous l’Ancien Régime, mais  sur l’adhésion à des idées communes et forme la matrice du jacobinisme qui étendra sa domination sur la France à partir de 1792.

La libre pensée

cochin1.jpgCes idées communes incarnent ce qu’il nomme « la libre pensée ». Cochin dénonce la logique nihiliste de cette esprit né des idéaux philosophiques des Lumières qui  tend à déraciner les hommes en les coupant de leurs attaches traditionnelles. Elle s’attaque violemment à l’ordre ancien sans lui proposer d’alternative. Cette philosophie fondée sur un idéal d’égalité entre les individus représente pour lui une abstraction dangereuse. Quand l’ancienne société était organique, composée d’ordres et d’états, la nouvelle société jacobine, dont on voit l’avènement sous la Révolution, est caractérisée par « l’anomie ». Le peuple devient un composé « d’atomes politiques » désorganisé et affaibli. L’historien Gérard Grunberg explique : « Pour Cochin, la Révolution est davantage l’avènement d’un nouveau type de socialisation qu’une bataille sociale ou un transfert de propriété. Elle est discours plus qu’action. » Ce phénomène se concrétise en 1789, mais il est, pour Cochin, l’aboutissement d’un travail de sape amorcé autour des années 1750.  « Avant la Terreur sanglante de 93, il y eut, de 1765 à 1780, dans la république des lettres, une terreur sèche, dont l’Encyclopédie fut le comité de salut public, et d’Alembert le Robespierre. » L’enjeu de ses recherches est ainsi de montrer la passerelle entre ce pouvoir intellectuel et le pouvoir politique.

L’étude des archives provinciales lui permet de centrer son travail sur la représentation réelle du peuple pendant la période révolutionnaire, et plus précisément sur les élections des États généraux en 1788 et 1789 et sur le gouvernement révolutionnaire de 1793 et 1794. Lors de son étude sur la rédaction des cahiers de doléance bourguignons, ses conclusions l’amènent à  percevoir l’influence décisive d’une minorité agissante sur une majorité grégaire par le biais de manipulations électorales. En Bretagne également, la bourgeoisie impose des modèles à suivre de cahiers de doléance aux paroisses paysannes qui ne font qu’en reproduire fidèlement les revendications. Cochin nie ainsi toute légitimité représentative aux institutions révolutionnaires prétendues démocratiques. Il conteste même le patriotisme de ses membres pourtant proclamé à longueur de discours.

Il évoque ainsi à leur propos ce qu’il nomme le « patriotisme humanitaire ». L’esprit jacobin qui en est issu rase les anciens corps constitués de la France d’Ancien Régime et détruit les petites patries au profit de la grande afin d’unifier la nation. Le jacobinisme souhaite créer un homme nouveau,  un même citoyen français de Dunkerque à Toulon au nom d’une égalité utopique, que l’on peut analyser avec le recul comme une forme précoce de totalitarisme. Pour Cochin, « il s’agit bien plus de tuer les petites patries que de faire vivre la grande ; la grande ne gagne rien à ces ruines au contraire… »  Et d’ajouter : «  Si leur patriotisme s’est arrêté en chemin, fixé pour un temps à l’unité française, c’est pour des raisons fortuites : parce que les provinces françaises ont cédé – que les nations étrangères résistent – à l’unité jacobine. S’il a défendu les frontières françaises, c’est qu’elles se trouvaient être alors celles de la révolution humanitaire… » Ce « patriotisme humanitaire » s’oppose aux intérêts français en voulant étendre cette conception d’un homme nouveau, né des principes révolutionnaires, à l’ensemble de l’humanité au nom d’une utopique patrie universelle.

En centrant son étude sur ces « sociétés de pensée », Cochin met en lumière à la fois le pouvoir des idées dans le processus révolutionnaire et la dynamique historique de cette période qui conduit à  la Terreur et aux exécutions politiques successives des girondins, dantonistes ou hébertistes. Ce phénomène d’exclusions politiques se retrouvera tout au long des deux derniers siècles, même si le couperet de la guillotine n’en sera plus alors la sinistre conclusion. Par ses recherches, Augustin Cochin a su ainsi nous livrer un éclairage sur la naissance de la démocratie moderne.

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Le burkini et la statuaire européenne

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Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Paul-Georges Sansonetti, cueilli sur Nice Provence Info et consacré à la question du burkini sous l'angle civilisationnel.

Spécialiste de littérature et de mythologie, Paul-Georges Sansonetti a été chargé de conférences à l’école pratique des Hautes-Etudes. Il est notamment l'auteur de Chevaliers et dragons (Porte Glaive, 1995).

Le burkini et la statuaire européenne

par Paul-Georges Sansonetti

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

L’affaire du burkini est symptomatique du choc de civilisations que nous vivons, même si cette confrontation se voit quotidiennement niée par ceux-là mêmes qui, sociologues, politiques ou agents des médias sont en première ligne pour en percevoir toute l’acuité. Comme on le sait, le burkini – vêtement de bain d’invention récente – recouvre entièrement le corps de la baigneuse musulmane, des talons jusqu’au sommet de la tête. Seuls, les pieds, les mains et le visage entrent en contact direct avec l’eau. Il s’agit de protéger le corps de la femme et, donc, sa pudeur, contre des regards supposés concupiscents ou relevant d’un voyeurisme banal sinon instinctif. C’est vrai qu’ainsi enveloppée celle qui s’avance dans la mer ne risquerait pas de provoquer un accès de lubricité chez le célébrissime loup de Tex Avery.

Si entrer dans l’eau tout habillé s’impose en tant qu’exigence incontournable d’une religion, qu’il en soit ainsi mais sa pratique ne saurait s’inscrire, surtout à des fins prosélytes (comme cela a été dit), dans les piscines publiques ou les plages. Cacher son corps au contact de l’eau énonce un fait capital : c’est une façon d’interpréter le vivant qui, indéniablement, n’a rien à voir avec l’héritage esthétique et spirituel issu de la Grèce ancienne, de Rome mais aussi de la Gaule et d’autres peuples indo-européens. En effet, la nudité, loin d’avilir l’individu à partir du moment où on lui confère une signification symbolique, nous allons y revenir, transcrit une notion d’hommage à la Création conçue par le vouloir divin. Avant d’aller plus loin, rappelons que, dans le contexte civilisationnel arabe, la représentation du corps humain n’est pas souhaitée et même déconseillée.

Il est dit qu’Allah est un musavir, autrement dit un « créateur », terme qui désigne aussi un « peintre ». D’où la crainte d’imiter Dieu en représentant un visage ou une silhouette humaine. On sait que Mahomet lui-même a détruit des idoles à la Mecque mais aurait épargné une figure de la Vierge à l’enfant. Toujours est-il que l’image ou la contemplation du corps d’une personne ne doit pas devenir un sujet d’admiration et de louanges. En un mot, on ne peut exalter ce qui est beau car ce serait faire passer cet objet avant le Créateur et, de la sorte, perçu comme blasphématoire. Pour user d’un terme à la mode dans le monde journalistique, là se trouve un clivage méritant le qualificatif d’irréductible. L’Islam écarte donc la représentation corporelle de son espace sociétal alors que, tout au contraire, l’Européen en multiplie les représentations. De par l’héritage grec, l’image d’un corps dénudé ne répond pas à on ne sait quel érotisme exhibitionniste mais à la volonté de valoriser la beauté que présente – du moins sous sa spécificité de souche européenne – l’espèce humaine. Et pourquoi rejeter la beauté inscrite dans le vivant ?

venus2.jpgD’autant plus que le corps humain est construit selon les proportions du fameux « nombre d’or » présent partout dans la nature, à croire que la Création procède d’une intelligence faisant se conjoindre mathématiques et harmonie(1).

Tout l’art grec résulte de ce principe, qu’il s’agisse d’une statue ou d’un temple.

Cette passion de la perfection qui, dans le contexte de la sacralité grecque, s’impose comme une référence au principe apollinien, poussera les sculpteurs du siècle de Périclès et, plus tard, leurs continuateurs à conférer aux visages sculptés un angle facial de 90° que ne possèdent que rarement, pour ne pas dire jamais, le représentants de notre humanité (en Europe, l’angle facial le plus rapproché avoisine 88°). Selon le Grand Larousse (édition de 1930, précisons-le), il s’agissait, par cet angle de 90°, de transcrire morphologiquement, je cite, « la majesté, l’intelligence et la beauté »(2).

Lors de la Renaissance, les artistes s’inspirèrent prioritairement de la statuaire grecque. Ainsi, l’une des plus célèbres statues de cette période, le David de Michel Ange, est un exemple de physique parfait tandis que son profil est construit à partir de l’angle de 90°.

Plus proches de nous et pour rester dans l’actualité aquatique, on pourrait mentionner de nombreuses représentations de naïades. N’en choisissons que deux. L’éblouissante « Danaïde » d’Auguste Rodin (1840-1917) (illustration à la une) et celle d’un remarquable artiste genevois, James Pradier (1790-1852), occasion de rappeler son souvenir. Sa superbe baigneuse est, en elle-même, un hymne à la féminité (voir ci-contre).

Au passage signalons que, durant notre Moyen Âge européen, le christianisme a conservé précieusement le projet grec selon lequel toute beauté procède du divin. Parfaite illustration de cela, la représentation du Christ au portail de la cathédrale d’Amiens. En découvrant sa physionomie, on comprend pourquoi il fut désigné comme « le Beau Dieu ».

Pour nous résumer disons que les peuples (indo-)européens ont toujours fait en sorte que la recherche passionnelle du beau et sa réalisation soient parties prenantes de leur environnement et reçoivent le statut d’intermédiaire entre l’humain et le divin(3). Or cette perception du beau passe par la physiologie ; et ce, d’autant plus que la maîtrise d’un territoire et la défense qu’il nécessite ne peuvent s’accomplir durant tant de générations – s’accumulant sur des millénaires – sans une somme d’efforts modelant le corps. L’individu qui, de façon continue, se confronte musculairement à la matière, finit par acquérir une plastique impeccable. Il devient ainsi lui-même une œuvre d’art… inépuisable sujet d’inspiration pour le sculpteur ou le peintre.

Briana-Dejesus-Topless-6.jpgL’homme et, bien entendu, la femme sont omniprésents dans l’ornementation du cadre de vie des Européens. Du reste, les musées mais aussi les lieux publics en témoignent abondamment. Avant que l’art contemporain, sous l’effet d’une pathologie équivalente au « Grand Remplacement », se mette à rejeter l’harmonie corporelle, l’être occidental a multiplié les chefs d’œuvres magnifiant, sous le triple signe de la force, de l’élégance et de la grâce, l’ensemble anatomique nous constituant.

De telles réalisations ne pouvaient évidemment éclore en terre d’Islam. Il ne s’agit pas, on l’aura compris, de porter une critique envers ce courant de civilisation mais de constater qu’existent des perceptions totalement différentes du monde et qu’il faut renoncer au plus vite à tenter de faire cohabiter et même, comme le souhaitent certains humanistes « hors sol », à pousser à la fusion, des sociétés aussi antinomiques(4). Pareil projet relève de l’utopie ou d’une irresponsabilité frôlant la maladie mentale(5). Ces jours-ci, on parle beaucoup, du côté de Bordeaux, d’« identité heureuse ». Mais les identités ne seront « heureuses » et se respecteront mutuellement – ce que nous souhaitons tous ! – que lorsque chaque peuple pourra retrouver ou, plus exactement, aura spirituellement reconquis, l’homogénéité de son ethno-culture.

Paul-Georges Sansonetti (Nice Provence Info, 30 août 2016)

Notes

(1) On pourra se référer à ce propos à notre éditorial intitulé « L’appartenance, la forme et le centre » du 26 novembre 2014.
(2) Article précisément intitulé « angle facial ». Dans l’édition du Petit Larousse de 1988 on pouvait encore lire (p. 401, au mot « facial », cette fois) que cet angle « est plus ou moins ouvert selon les groupes humains ». Mais plus rien (ni à « angle », ni à « facial ») dans l’édition de 2003.
(3) Outre le monde indo-européen, signalons que dans l’ésotérisme hébraïque, le mot Tiphéreth, signifiant « Beauté », prend place au cœur d’une structure médiatrice entre le domaine (limité par la matière et le temps) de l’humain et celui, infini, du divin.
(4) Le nouveau maire musulman de Londres, Sadiq Khan, s’est empressé de tenter de faire interdire dans le métro de la capitale les affiches représentant des femmes au corps « irréalistes » selon lui. En fait toute représentation de la femme. Bizarrement la classe politique bien pensante au complet qui avait applaudi l’élection de ce maire musulman, s’est tue lors de cette décision.
(5) Jugement déjà formulé dans notre article « Les bachi-bouzouks et Toutatis » du 7 août 2016.

vendredi, 09 septembre 2016

Fernand Braudel et la Grammaire des civilisations (1963)

Ex: http://www.espacetemps.net

Sauf indiction contraire, les numéros de page renvoient à : Le Monde actuel. Histoire et civilisations, Paris, Belin, 1963.

grammaire-des-civilisations.jpg« Atteindre et comprendre notre temps […] à travers l’histoire lente des civilisations » (p. 143) tel est l’objectif central de cet étonnant manuel de classes de terminales publié par les éditions Belin en 1963, intitulé Le monde actuel. Histoire et civilisations, et signé par S. Baille, F. Braudel et R. Philippe. L’ouvrage de Fernand Braudel que nous appelons aujourd’hui Grammaire des civilisations est la partie centrale de ce manuel (des pages 143 à 475). C’est sous ce titre particulièrement fécond – qui reprend le titre générique des chapitres 13 à 15 du manuel de 1963 – que les éditions Arthaud publieront le texte en 1987, deux ans après la mort de Fernand Braudel.

Grammaire des civilisations est donc un objet étrange. Il est lu aujourd’hui comme s’il avait le même statut que les autres textes de Braudel ; et il est même de plus en plus considéré comme le troisième grand texte de Braudel avec La Méditerranée (1947-1949) et Civilisation matérielle, économie et capitalisme (1967-1975) (voir encadré 1). Pourtant oublier que Grammaire des civilisations est issu d’un manuel scolaire dont l’objectif était de transformer radicalement les approches de l’histoire des classes de terminales – au moment même où s’ouvrait le chantier de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (Ehess) fondée en 1962 – c’est passer à côté d’éléments essentiels à sa lecture et à sa compréhension, et c’est manquer les objectifs que Fernand Braudel s’était fixé en rédigeant ce livre.

Car, depuis le milieu des années 50, Braudel est fortement impliqué dans la réforme du système éducatif. Et, il vient de subir un échec important : il a été contraint de quitter la présidence du jury de l’agrégation d’histoire, institution centrale dans la formation des enseignants du secondaire et étape importante dans la formation intellectuelle des futurs chercheurs des universités. Son implication dans les nouveaux programmes des lycées qui se mettent alors en place n’en est que plus forte. Et à la fin des années 50 Fernand Braudel remporte plusieurs victoires sur ce terrain.

Comment former les élèves et les étudiants à la compréhension du monde ?

Le Bulletin Officiel du 19 juillet 1957 propose une refonte radicale des programmes d’histoire du lycée. Jusqu’alors l’objectif principal était de mettre en valeur le récit historique en découpant la chronologie en tranches : de la sixième (Mésopotamie et Égypte) aux classes de terminales (de 1851 à 1939). Sous l’impulsion de Braudel, la réforme proposée est radicale : garder le récit chronologique de la sixième à la première, et étudier durant toute l’année de terminale « les principales civilisations contemporaines ». L’étude des six « mondes » prévus (occidental, soviétique, musulman, extrême-oriental, asiatique du Sud-Est, africain noir) sera précédée d’une introduction qui « devra tout d’abord, définir la notion de civilisation, mais elle soulignera, en l’expliquant, la forme à donner à l’étude envisagée, qui comportera, pour chacun des ensembles envisagés […] trois éléments essentiels : fondements, facteurs essentiels de l’évolution, aspects particulier actuels de la civilisation ».

Cette révolution (le mot n’est pas trop fort) est à comprendre dans cet immense effort de reconstruction de la société française de l’après-guerre. Il s’agit de former des hommes capables de comprendre le monde dans lequel ils vivent : à un moment où les enfants du baby-boom commencent à entrer massivement dans le secondaire, à un moment où le monde est lancé dans une série de changements qui donnent l’impression d’une accélération considérable de l’histoire, l’éducation doit donner les moyens intellectuels, les outils de pensée et les visions d’ensemble permettant la compréhension du monde. Parmi les cinq premières références données dans les « Notes et documents » qui terminent chacun des chapitres du manuel (notes qui ne sont pas reprises dans les éditions actuelles) on trouve les ouvrages de Daniel Halévy, Essai sur l’accélération de l’histoire (1948) – c’est la première des références ! – et de Jean Fourastié, Histoire de demain, « Que Sais-je ? » célèbre publié en 1956.

FB-2.jpgEn juin 1959, lorsque le programme définitif officiel est publié, Braudel a dû mettre de l’eau dans son vin, mais l’essentiel est passé : le premier trimestre de la classe de terminale est certes consacré à « la naissance du monde contemporain (de 1914 à nos jours) », mais les deuxième et troisième trimestres vont permettre d’étudier « les civilisations du monde contemporain » et se terminent par une étude des « grands problèmes mondiaux du moment ». Cette refonte complète de l’année de terminale serait encore révolutionnaire aujourd’hui. On imagine facilement ce que ce nouveau programme a été au début des années 60. Maurice Aymard (voir « À lire ») se rappelle qu’« évacuer l’événement de l’enseignement de l’histoire, ou du moins le reléguer au second plan, même pour une seule année : la réforme était trop brutale pour être acceptée telle quelle, et les résistances ne tardèrent pas […]. “Les faits” d’un côté, “le bavardage” ou “l’abstraction” de l’autre. Les auteurs des nouveaux manuels […] n’hésitent pas à confesser leur perplexité, sinon leur méfiance ». D’où l’importance du manuel publié par les éditions Belin… où l’on attend Fernand Braudel au tournant.

Une « Grammaire des civilisations » ?

« Les événements d’hier expliquent et n’expliquent pas, à eux seuls, l’univers actuel. En fait, à des degrés divers, l’actualité prolonge d’autres expériences beaucoup plus éloignées dans le temps. Elle se nourrit de siècles révolus, même de toute “l’évolution historique vécue par l’humanité jusqu’à nos jours”. Que le présent implique pareille dimension du temps vécu ne doit pas nous paraître absurde bien que, tous, nous ayons tendance, spontanément, à considérer le monde qui nous entoure dans la seule durée fort brève de notre propre existence et à voir son histoire comme un film rapide où tout se succède ou se bouscule guerres, batailles, entretiens au sommet, crises politiques, journées révolutionnaires, révolutions, désordres économiques, idées, modes intellectuelles, artistiques… […]. Ainsi, un passé proche et un passé plus ou moins lointain se mêlent dans la multiplicité du temps présent : alors qu’une histoire proche court vers nous à pas précipité, une histoire lointaine nous accompagne à pas lents » (p. 3 et 4).

Entrer dans cette histoire de la « longue durée » (p. 4) passe d’abord par l’obligation de mobiliser « l’ensemble des sciences de l’homme » (p. 145). Sur ce point, Fernand Braudel est également un novateur. Après s’être longuement interrogé sur l’histoire du mot « civilisation » (voir encadré 2), Braudel affirme qu’à un premier niveau, une civilisation se définit par au moins quatre réalités fondamentales : « les civilisations sont des espaces […], des sociétés […], des économies […], des mentalités collectives » (sous-titres du chapitre 2, p. 152-159) ; l’ensemble de ces éléments et de leurs interactions forment une « grammaire » (p. 143). « C’est, en effet, un langage, une langue plutôt, avec laquelle il importe de se familiariser » (p. 143). Et cette grammaire, Fernand Braudel n’hésite pas à la développer longuement : alors que les autres manuels ne présentent qu’une introduction méthodologique très limitée (le manuel Nathan par exemple, rédigé sous la direction de Jean-Baptiste Duroselle, se contentant de moins de cinq pages), Braudel étoffe largement cette introduction pour présenter ses idées à la fois sur la nécessaire unité des sciences de l’homme, et sur l’analyse de la longue durée pour comprendre le monde actuel.

FB-3.jpgMais il ne s’arrête pas là. Si les civilisations sont des structures spatiales, sociales, économiques et mentales, elles sont également autre chose : « les civilisations sont des continuités » en ce sens où « parmi les coordonnées anciennes (certaines) restent valables aujourd’hui encore » (p. 161). C’est là que Fernand Braudel place le rôle central de l’histoire à la fois comme science mais aussi comme ré-interprétation et re-construction permanente par les sociétés présentes de leur propre passé : « tout ce par quoi passé et présent se court-circuitent souvent à des siècles et des siècles de distance » (p. 161). Alain Brunhes a raison d’insister sur l’importance de ce court-circuit dans le raisonnement braudélien (voir « À lire »). C’est bien lui qui permet de donner du sens à l’ensemble de l’édifice : « une civilisation, ce n’est donc ni une économie donnée, ni une société donnée, mais ce qui, à travers des séries d’économies, des séries de sociétés, persistent à vivre en ne se laissant qu’à peine et peu à peu infléchir […]. La multiplicité évidente des explications de l’histoire, leur écartèlement entre des points de vue différents, leurs contradictions mêmes s’accordent, en fait, dans une dialectique particulière à l’histoire, fondée sur la diversité des temps historiques eux-mêmes : temps rapide des événements, temps allongé des épisodes, temps ralenti et paresseux des civilisations » (p. 167 et p. 5).

La longue durée comme limite à la compréhension du monde actuel.

Une fois tout ceci posé, c’est bien sûr « à l’étude des cas concrets qu’il convient de s’attacher pour comprendre ce qu’est une civilisation ». Et c’est là que Fernand Braudel se révèle décevant. Après une introduction d’un tel niveau, on s’attendait à un exposé d’une grande efficacité pour comprendre le « monde actuel ». Or, ce n’est pas le cas, loin s’en faut. L’ampleur et la qualité de la pensée de Braudel ne sont pas en cause. Au contraire, la description des civilisations est d’une grande virtuosité intellectuelle. Les passages consacrés à l’Islam et au monde musulman, à la Chine ou encore à l’unité de l’Europe sont brillants. Mais il faut bien le dire, ces chapitres ne sont plus lus aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que, paradoxalement, ils ne permettent pas de penser le monde actuel. Malgré leur intérêt, les approches civilisationnelles de Braudel sont limitées pour au moins deux raisons.

D’abord parce qu’en insistant sur la « longue durée », sur les permanences et le temps ralenti des civilisations, Braudel minimise largement les changements et les ruptures. Or, pour reprendre l’expression de Jürgen Habermas, la Seconde Guerre mondiale constitue une « rupture civilisationnelle » ; et on peut appliquer aux temps des civilisations ce que Habermas dit à propos de l’ensemble du 20e siècle : « les continuités […] qui défient les césures […] calendaires, ne nous apprennent qu’insuffisamment ce qui caractérise le 20e siècle en tant que tel. Pour l’expliquer les historiens s’attachent aux événements plutôt qu’aux changements de tendance et aux transformations structurelles […]. Or, ce faisant, on fait disparaître la singularité de l’unique événement qui non seulement divise chronologiquement le siècle, mais encore représente une ligne de partage du point de vue économique, politique et surtout normatif » (Jürgen Habermas, Après l’État-nation, 2000, p. 13 et p. 22-23). L’analyse en termes de longue durée, en privilégiant les grandes continuités historiques, passe donc à côté des ruptures importantes et, plus encore, ne permet pas de voir cette rupture fondamentale qu’est 1945 dans la compréhension du monde actuel.

Ensuite parce que l’analyse des civilisations prises une par une minimise également ce qui n’est pas propre à ces civilisations particulières : bien sûr, à de nombreux moments de son ouvrage (et évidemment particulièrement lorsqu’il travaille sur l’Europe et sur les États-Unis), Braudel insiste sur les processus de décloisonnement des sociétés, mais son découpage par aires civilisationnelles l’empêche en fin de compte de penser les processus englobant. C’est en fait lorsqu’il travaille dans les tout premiers paragraphes sur les liens entre les civilisations et la civilisation (voir encadré 2) qu’il approche, mais sans les analyser finement ni les développer, les problématiques qui sont les nôtres aujourd’hui… et qui étaient déjà au centre de certains travaux au début des années 60. Si l’expression « village global » proposée par McLuhan en 1962 a eu un tel impact – et ce malgré les limites de son ouvrage La Galaxie Gutenberg – c’est qu’elle faisait émerger l’idée que le monde doit être approché aussi comme un tout, et non pas seulement comme la somme de ses échelles inférieures, États ou civilisations.

Aujourd’hui : de la Grammaire des civilisations à la géographie politique.

La rénovation très ambitieuse des programmes d’histoire par Fernand Braudel sera finalement un échec. A partir de 1970 le manuel Belin (dont une deuxième édition très légèrement modifiée avait été publiée en 1966) est retiré de la vente. Mais, comme le rappelle Maurice Aymard, 3le problème n’était pas […] celui d’un livre : il était bien plus profondément celui de l’enseignement de l’histoire3. Quarante ans plus tard, cette phrase est encore en partie vraie : le programme d’histoire des classes de terminales insistent encore et toujours sur la chronologie détaillée – et fort peu problématisée – de la Guerre Froide par exemple.

Mais la bonne surprise est venue de la géographie. En prenant en charge l’intelligence des processus d’émergence des espaces mondiaux, et particulièrement des espaces politiques mondiaux, le programme de géographie des classes de terminales tente de répondre en fin de compte à l’injonction de Fernand Braudel : comprendre le “monde actuel” en faisant appel aux sciences sociales.

Note 1 – Fernand Braudel (1902-1985).

« Né en 1902, agrég d’histoire en 1923, il enseigne dix ans en Algérie, puis en 1935-36, à São Paulo ; en 1937, il intègre l’École Pratique des Hautes Études. Cette période de formation est située dans le sillage de Lucien Febvre, son directeur de thèse. Il lui succède en 1946 à la direction des Annales et en 1949 au Collège de France. L’influence de Febvre et des géographes qui l’ont formé dans les années 1920 font de Braudel un héritier direct de l’influence de Paul Vidal de La Blache.

Cette genèse explique le choix, alors profondément novateur, de prendre pour sujet de thèse un espace. La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, soutenue en 1947 et publiée en 1949, restera sans conteste le grand œuvre de Braudel et un monument de l’historiographie du 20e siècle […].

Braudel fut également le bâtisseur d’un empire institutionnel, en marge de l’université française, l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (Ehess), fondée en 1962 […]. Là, il organise, autour de l’histoire, un travail pluridisciplinaire de recherches et de publications qui pesa très lourd dans l’ensemble de la réflexion sur les sociétés dans la seconde moitié du 20e siècle en France.

Ce n’est qu’une trentaine d’années après son premier ouvrage lourd qu’il publia sa seconde œuvre importante : Civilisation matérielle, économie et capitalisme 15e siècle – 18e siècle, […]. Sur la fin de sa vie, consacré « pape de la nouvelle histoire » (élu à l’Académie française en 1984, honoré par un colloque consacré à son œuvre à Châteauvallon en 1985), il se lance dans la rédaction d’une volumineuse histoire nationale, L’identité de la France, dont paraîtrons seulement, posthumes, les trois premiers tomes […].

Le travail de Braudel […] ne peut être réduit à une vision déterministe de l’histoire et à quelques notions-clefs, dont celles de la triple temporalité et de l’économie-monde. Comme toute pensée riche, son œuvre a contribué à structurer le champ des sciences de la société, puis à bloquer de nouvelles perspectives ».

Note 2 – Les civilisations et la civilisation.

« En vérité c’est le pluriel qui prévaut dans la mentalité d’un homme du 20e siècle et qui, plus que le singulier, est directement accessible à nos expériences personnelles […] : passer le Rhin, ou la Manche, atteindre la Méditerranée en venant du nord, autant d’expériences inoubliables et claires qui, toutes, soulignent la réalité du pluriel de notre mot. Il y a indéniablement des civilisations. Si on nous demande alors de définir la civilisation, nous sommes assurément plus hésitants […]. Au singulier, civilisation ne serait-ce pas aujourd’hui, avant tout, le bien commun que se partagent […] toutes les civilisations, « ce que l’homme n’oublie plus » ? Le feu, l’écriture, le calcul, la domestication des plantes et des animaux ne se rattachent plus à aucune origine particulière ; ils sont devenus les biens collectifs de la civilisation.

Or ce phénomène de diffusion de biens culturels communs à l’humanité entière prend dans le monde actuel une ampleur singulière […]. « Nous sommes à une phase écrit Raymond Aron, où nous découvrons à la fois la vérité relative du concept de civilisation et le dépassement nécessaire de ce concept […]. La phase des civilisations s’achève et […] l’humanité est en train, pour son bien ou pour son mal, d’accéder à une phase nouvelle », celle en somme d’une civilisation capable de s’étendre à l’univers entier.

Cependant la « civilisation industrielle » exportée par l’Occident n’est qu’un des traits de la civilisation occidentale. En l’accueillant, le monde n’accepte pas du même coup, l’ensemble de cette civilisation. Au contraire. Le passé des civilisations n’est d’ailleurs que l’histoire d’emprunts continuels qu’elles se sont faits les uns aux autres au cours des siècles, sans perdre pour autant leurs particularismes, ni leurs originalités […]. Pour longtemps encore, le mot de civilisation gardera un singulier et un pluriel. Sur ce point, l’historien n’hésitera pas à être catégorique ».

Bibliographie

Maurice Aymard, « Braudel enseigne l'histoire », in Fernand Braudel, Grammaire des civilisations, Paris, Flammarion, Coll. « Champs » 1987, p. 5-18.

Alain Brunhes, Fernand Braudel. Synthèse et liberté, Paris, Éd. Josette Lyon, 2001.

Pierre Daix, Braudel, Paris, Flammarion, 1995.

Christian Grataloup, « Braudel », Dictionnaire de la géographie et de l'espace des sociétés, in Jacques Lévy, Michel Lussault (dir.), Paris, Belin, 2003 ; article complet en ligne sur EspacesTemps.net.

Résumé

« Atteindre et comprendre notre temps […] à travers l’histoire lente des civilisations » (p. 143) tel est l’objectif central de cet étonnant manuel de classes de terminales publié par les éditions Belin en 1963, intitulé Le monde actuel. Histoire et civilisations, et signé par S. Baille, F. Braudel et R. Philippe. L’ouvrage de Fernand […]

René-Éric Dagorn

Historien et géographe, enseigne au lycée Jean de la Fontaine à Château-Thierry (Aisne) et à l'Institut d'Études Politiques de Paris. Il prépare une thèse sur les diverses conceptions de la mondialisation dans les sciences sociales. Il est responsable des Brèves et du Livre du mois.

Pour faire référence à cet article

René-Éric Dagorn, "Fernand Braudel et la Grammaire des civilisations (1963).", EspacesTemps.net, Livres, 06.10.2003
http://www.espacestemps.net/articles/fernand-braudel-et-la-grammaire-des-civilisations-1963/

Frédéric II, nouveau regard biographique de Gouguenheim

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Frédéric II, nouveau regard biographique de Gouguenheim

Ex: http://www.toutelaculture.com

Le médiéviste qui créa la polémique il y a quelques années livre en cette rentrée une biographie érudite de l’empereur Frédéric II de (Hohen)Staufen qui régna sur une grande partie de l’Europe de la première moitié du XIIIe siècle mais qui connut de douloureuses dernières années. Alors qu’il collectionnait les fiefs, les honneurs et les couronnes, il finit isolé à la suite de son affrontement avec une papauté. Celle-ci ne pouvait accepter une prééminence temporelle sur la Chrétienté. La défaite de Frédéric II détermine l’abaissement du rêve de restauration de l’Empire romain qui dominait jusque-là. Le portrait dressé, d’une très bonne tenue, néglige cependant quelques pistes.

Frédéric, acteur clé du Moyen Age européen

fede-2.JPGL’empereur Frédéric II est, comme le rappelle à plusieurs reprises l’auteur, l’un des derniers, dans la lignée de Charlemagne, à tenter une restauration (Restitutio) de l’Empire romain. Héritier au deuxième de degré de Frédéric Ier Barberousse, empereur germanique, il est surtout un enfant quand son père Henri VI meurt. En ces premières années du XIIIe siècle, il est donc un enfant placé sous la tutelle de sa mère Constance, qui occupe la régence du royaume de Sicile (incluant alors tout le Sud de l’Italie en plus de la grande île), mais aussi sous celle du pape. Ce dernier souhaite maintenir une suzeraineté sur le royaume de Sicile. En effet, Frédéric est par ses héritages roi de Sicile mais aussi prétendant à la dignité impériale : il peut de jure encercler les villes d’Italie du Nord (logiquement comprise dans un royaume de Pavie devenu fictif depuis le XIIe siècle) et la papauté (appuyant son indépendance sur le fameux faux intitulé « Donation de Constantin »). Voilà donc dès son enfance les forces profondes qui vont s’opposer à son autorité : les bourgeoisies urbaines en plein essor (que ce soit dans les royaumes et fiefs constitutifs de l’Empire, en Germanie notamment, ou en Italie), les grands princes d’Empire (qui ne veulent pas se laisser dicter une centralisation, voire même une hérédité à la dignité impériale) et surtout Rome.

Quels sont les grands mouvements du règne qui s’étend donc jusqu’à sa mort en 1250 ? Le jeune roi s’impose d’abord face à la guerre féodale permanente (les faides) qui domine pendant la régence de sa mère (années 1200). Les années 1210 sont consacrées à la prise en main du Saint-Empire romain germanique : en s’appuyant sur les clans princiers, les réseaux ecclésiastiques et les oppositions royales, il fait destituer Otton IV, il est élu roi de Germanie avant de devenir empereur. Pour cela il sait bénéficier de la défaite que la France inflige à Otton IV à Bouvines et d’un apaisement de ses relations avec la papauté. Sans elle, il ne peut être sacré. Il ne cesse donc de donner des gages à Rome : il laisse le pape nommer des évêques, il lâche des libertés ou feint de les lâcher à l’égard des villes d’Italie du Nord, il promet surtout de partir en croisade pour reprendre Jérusalem récemment intégrée au royaume de Saladin. Les années 1220 sont celles d’une prise en main toute relative de l’Empire. Si l’héritier Staufen restaure les châteaux et l’autorité dynastique sur ses fiefs, s’il sait s’allier de nouveaux domaines en donnant des libertés à tel prince ecclésiastique, tel prince laïc ou telle ville, il ne peut jamais centraliser un Empire s’étendant du royaume d’Arles jusqu’à la Baltique et le duché d’Autriche. Que retenir de cette décennie passée dans l’Empire et de son retour à la fin des années 1230, période à laquelle il réduit la révolte de son premier fils Henri VII qu’il avait fait nommer successeur ? Au fond, Gouguenheim le rappelle, Frédéric II gouverne en dispensant des bienfaits avec contreparties, il ne peut jamais imposer une centralisation dans un ensemble fédéral traversé par des intérêts bien trop nombreux et divergents. Même l’élection d’un autre de ses fils Conrad IV comme « roi des Romains et futur empereur » en 1237 par les princes électeurs ne peut faire croire à une réelle instauration d’hérédité. Il innove donc peu dans sa gestion de l’Empire et doit se contenter de réprimer les révoltes (villes, fils rebelle…), disposant de trop peu de ressources pour dominer complètement. Il faut dire que toute sa vie, une part de ces mêmes ressources, essentiellement tirées de son royaume de Sicile, servent tantôt à ménager, tantôt à affronter une papauté irrémédiablement opposée à lui. Cette dernière ira jusqu’à l’excommunier une première fois puis surtout le déposer en 1245, déterminant de sombres dernières années pour son règne, même si elle ne l’a jamais vaincu militairement.

Entre temps, et l’auteur insiste sur ce point, Frédéric II passe de nombreuses années en son royaume du Sud de l’Europe où il peut bénéficier d’une centralisation ancienne. En cela il est héritier des Normands et des Byzantins. Sa « méthode de gouvernement » s’en inspire nettement : dignité royale – impériale reprenant la pompe byzantine (il est basileus dans les tenues comme dans le monnayage), nomination et contrôle régulier des gouverneurs de districts rigoureusement découpés, extension d’un système de mise en valeur rationnel de la campagne et de ses richesses (la massarie)… Surtout, il participe de la remise en ordre et de la rationalisation d’un système juridique jusqu’alors encore féodal. Cette remise en ordre incarnée par le Liber Augustalis du début des années 1230 est un effort de mise en cohérence des droits existants (avec des traces normandes) avec la renaissance du droit romain, notamment développé par le Studium de Naples, véritable « université royale » destinée à former les fonctionnaires du pouvoir. Cependant, ces efforts ne pourront être pleinement aboutis, la fin des années 1230 et surtout les années 1240 voyant les affrontements se multiplier entre l’Empereur proclamant clairement une recherche de souveraineté universelle et la papauté, aidée pour l’occasion par tout ce qui pouvait l’abattre. Rappelons qu’entre temps, à la fin des années 1220, après avoir ajourné longtemps celle-ci, Frédéric II partit en croisade car il était devenu roi de Jérusalem par mariage, ville et lambeau de royaume qu’il obtient non par l’affrontement mais par la négociation avec les arabes, summum de l’opprobre pour un croisé !

Au final Gouguenheim insiste très clairement sur le fait que l’empereur a bénéficié des forces de son royaume du Sud mais ne pouvait que les épuiser pour tenter de gouverner le Nord et contenir le Centre (Italie du Nord, papauté). Son empire si vaste, depuis Gand jusqu’à la Baltique et Jérusalem qu’il n’a au final jamais commandée, ne pouvait se maintenir après sa mort. Effectivement, la désagrégation intervient rapidement : les papes et leurs alliés éliminent ses héritiers, les Anjous venus de France prennent le royaume de Naples et la Sicile et l’Empire échoit, après un « grand interrègne » causé par ce vide dynastique, à des nouveaux venus, les Habsbourg.

Le choix d’une biographie « impressionniste »

La biographie n’est pas pleinement classique en ce qu’elle n’est pas entièrement chronologique. Divisée en quatre parties, la première est une sorte de résumé politique de l’œuvre de Frédéric II. Ensuite, on s’attache à ce qui serait une « pensée politique » que l’auteur a du mal à résumer clairement. Plus évident est le regard porté sur les constructions durables que l’empereur a suscitées. La dernière partie revient, à tous les moments de son existence, sur les représentations du personnage et sur son écho dans les siècles suivants.

L’avantage de cette construction est assez évident. On peut, comme dans le cadre d’articles précis, voire une question bien détaillée. L’auteur insiste beaucoup, en se positionnant notamment par rapport aux écrits de Kantorowicz, sur la politique de l’image développée : elle passe par des représentations idéalisées sur les documents impériaux et royaux, elle s’affiche sur les bulles mais aussi jusque dans le paysage urbain et rural avec de nombreuses forteresses qui viennent ponctuer les routes du royaume de Sicile. L’exemple le plus éclatant en est le Castel del Monte, château octogonal incongru entièrement voulu par le roi et dans lequel il ne séjourna pas réellement. Ce château est un peu à Frédéric II ce que Chambord fut à François Ier, un rêve de sa personne et de sa monarchie. Autre exemple, la Porte de Capoue, détruite par le vandalisme révolutionnaire des Français en 1799. Cet édifice reprenait les modèles de l’Empire constantinien et affirmaient d’une part la place de l’Empereur comme souverain à prétention universelle, d’autre part la place incontournable de la justice dans le royaume et enfin la Chrétienté de l’ensemble. Une forme de trinité… Si on appuie ceci sur le système de l’Aquinate, on peut penser que cette porte était un véritable manifeste politique, d’ailleurs un pendant à opposer à celui des libertés municipales mis en images un peu plus tard par la Commune de Sienne (Patrick Boucheron y consacra récemment l’ouvrage Conjurer la peur).

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Mais cette démarche par touches pour permettre de saisir le personnage pose parfois problème. Plusieurs événements sont abordés à plusieurs reprises sans qu’on en saisisse vraiment la portée parce qu’ils ne sont qu’un contexte pour la démonstration du passage. Ainsi la bataille de Cortenuova et la place de Milan, le rapport aux voisins (la France de Louis IX et la Hongrie surtout)… ne sont jamais pleinement convoqués alors qu’ils sont des aspects importants pour comprendre l’évolution du règne. En même temps et sur d’autres points, cette démarche force à des répétitions, particulièrement sur l’affrontement avec la papauté (il est difficile pour celui qui connaît mal la période de remettre en perspective celui-ci et de comprendre son évolution). La querelle des investitures (des ecclésiastiques) peut donc être mal comprise de même que le plus important au fond, la bataille pour la prééminence sur la Chrétienté entre Frédéric (Hohen)Staufen et le pape Grégoire notamment. Plusieurs aspects ont donc rendus difficiles d’approche par cette démarche non chronologique.

Un dernier regret peut être formulé et découle sans doute de cette construction. La remise en perspective n’est pas toujours évidente. L’auteur discute des aspects importants de la figure de Frédéric II : c’est un roi qui cherche une première modernisation par rationalisation du droit, il fixe des règles sur les représentations du pouvoir, il dispose d’un premier corps de fonctionnaires dévoués et non ecclésiastiques, il affronte la papauté mais en même temps ne cesse de s’attribuer une dimension religieuse. Sur tous ces plans on pourrait le comparer aux autres souverains du temps, particulièrement à la France capétienne de Saint-Louis ou de Philippe Auguste et Philippe Le Bel : les mêmes traits sont attribuables à leur règne. Un simple exemple : Pierre de la Vigne, logothète de Frédéric II est bien comparable aux légistes de France (dont Guillaume de Nogaret)… Pourquoi ne pas avoir cherché à montrer, parmi ces traits communs aux souverains d’Occident, ce qui distinguait (ou pas) Frédéric II ?

La fin des polémiques

Frederick_II_and_eagle.jpgParadoxalement, enfin, la biographie de ce personnage plus que controversé du Moyen Age est assez détachée des polémiques qui ont ponctué les publications de Sylvain Gouguenheim. En effet l’universitaire avait suscité des clivages particulièrement violents à l’occasion de son Aristote au mont Saint-Michel il y a quelques années. Sur les rapports de Frédéric II au monde arabe, l’auteur semble avancer à pas de loup. Il faut dire qu’il avait fait débat comme l’objet de son livre… Frédéric fut en effet voué aux gémonies par ses contemporains pour avoir obtenu par la négociation et non par le combat la souveraineté sur quelques parcelles des Etats latins perdus quelques années auparavant. Il a en effet obtenu par le traité de Jaffa quelques places, mais rien de bien viable pour maintenir durablement la présence croisée au Levant. Effectivement, les Etats latins ne durèrent pas. Sur les rapports savants, intellectuels qui étaient au cœur de ses précédentes réflexions sur la Renaissance des idées en Occident, l’auteur conclue en s’appuyant sur la faiblesse des sources sur le fait qu’il a pu y avoir influence, mais que celle-ci est difficilement quantifiable. On se reportera au récent ouvrage qui pourra renseigner précisément sur quelques aspects de la Sicile comme plaque tournante des échanges culturels entre Nord et Sud de la Méditerranée (Héritages arabo-islamiques dans l’Europe méditerranéenne), l’auteur se concentrant uniquement sur la ville de Lucera, cas inédit d’une population musulmane concentrée en une ville pouvant demeurer musulmane au cœur même de l’Italie chrétienne.

Enfin, pour comprendre cette biographie de Frédéric II, il nous semble utile de noter le rapport ambigu de l’auteur à Ernst Kantorowicz qui écrivit une des plus impressionnantes biographies de l’empereur en 1927 (un deuxième tome fut publié, mentionnant les sources, en 1932). A de très nombreuses reprises l’auteur s’y réfère, se positionne dans sa lignée (le plus souvent), mais il ne consacre plusieurs pages à Kantorowicz et à son rapport au personnage et à la biographie expliquée dans son contexte qu’en fin d’ouvrage. Gouguenheim aurait pu faire apparaître ces pages en début d’ouvrage tant l’ombre du grand penseur s’impose au fil des pages… On peut cependant concevoir le choix définitif de l’étudier avec les échos historiographiques de Frédéric II. Ce dernier fut en effet convoqué pendant des siècles comme épouvantail (pour les néo-guelfes, nationalistes italiens ou allemands…) ou modèle (autres nationalistes allemands partisans d’un fédéralisme dans un GrossDeutschland, opposants au pouvoir pontifical…). Il n’en reste pas moins que domine longtemps une image négative, celle du renégat qui tenta de se faire plus puissant que le pape.

L’ouvrage, s’il souffre parfois de redites et d’absence de contextualisation, reste une biographie qui fera date d’un spécialiste des sources du Moyen Age, qui les utilise abondamment et à bon escient. Frédéric II y apparaît comme celui qui chercha avec pragmatisme mais détermination à mettre en place une relative centralisation sur un espace trop vaste pour ses ressources. Il se heurte à une papauté encore centrale dans le jeu européen mais préfigure déjà l’Europe des Etats et des frontières.

 Sylvain Gouguenheim, Frédéric II, un empereur de légendes ,   Perrin ,  Août 2015,  428 p.   24 euros

L’implosion du politique

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Pierre Le Vigan

L’implosion du politique

    La politique ne passionne plus. Elle fait sourire, ou pitié ou bien encore, elle fait entrer en colère. Saine réaction. Il y a de quoi. Quelle est la réalité  de notre vie politique ? De fausses gauches succèdent à de fausses droites avec une régularité de métronome depuis, en France, l’instauration du quinquennat.

   Chirac, néo-gaulliste en politique extérieure et radical-socialiste en politique intérieure mais sans l’épaisseur historique de ce courant historique de la IIIe République a laissé la place à Nicolas Sarkozy, qui a pu faire illusion pendant la campagne de 2007 grâce aux beaux discours transversaux droite et gauche d’Henri Guaino, mais a achevé de nous faire réintégrer l’OTAN, et a  mené une politique extérieure catastrophique, déstabilisatrice au Proche Orient et en Libye.

    La fuite en avant vers le mondialisme et la financiarisation s’est poursuivie. La désindustrialisation et la délocalisation de notre économie se sont accélérées. La France a plus que jamais été considérée comme une entreprise, l’ « entreprise France » sommée d’être compétitive, et non comme un héritage et un projet à qui insuffler une âme. L’immigration a de moins été maîtrisée et est devenue de plus en plus envahissante.  

   La déception des années Sarkozy, après le grand sommeil des années Chirac, a donc été cruelle. L’agitation ne faisait décidément pas une politique. Enfin, François Hollande, habile politicien mais piètre homme d’Etat a emporté l’élection par rejet du sarkozisme. Tout cela ne faisait pas une politique différente, et on l’a bien vu. On espérait Hollande « normalement président ». Il a cru qu’un homme normal pouvait être président. Erreur de diagnostic.

   Dans le même temps, la porosité entre les milieux politiques, ceux de la presse et les communicants n’a jamais été aussi forte. Si le politique, c’est le jeu auquel se livre nos gouvernants, on comprend l’écoeurement du peuple. Ce spectacle de nains révolte ou écoeure. Au choix.

    Les Français, le peuple français, qui vaut mieux que ses élites, ne s’y trompe pas. Les Français ne veulent pas des habiles, des malins, mais voudraient sentir une vision historique, un sens de la France et de l’Etat. Une hauteur de vue. Un amour de notre pays. Une exigence qui vaille la peine de s’engager, la peine d’y croire. Une raison d’admirer ceux qui sont à la tête de notre pays. Il a suffit que Macron donne l’impression de comprendre un peu cela – une nostalgie monarchique en un sens, mais aussi bonapartiste – pour qu’il passe pour un grand penseur. Avec, il est vrai, un soutien peu avare des médias.

*

    La fin de la croyance dans le politique trouve à vrai dire ses origines dans une histoire longue. C’est l’histoire de l’assomption de l’économie et du déclin du politique.

    Depuis 3 ou 4 siècles, l’âge du commerce a substitué l’horizontalité des échanges à la verticalité de la chaine du commandement. La communication horizontale a remplacé la transmission verticale. Depuis la Régence, le nouvel impératif qui devint dominant en Europe fut l’intérêt, ou encore le calcul, la pesée individuelle des joies et des peines. « Ne nous emportons point contre les hommes en voyant leur dureté, leur ingratitude, leur injustice, leur fierté, l'amour d'eux-mêmes, et l'oubli des autres: ils sont ainsi faits, c'est leur nature. » écrit La Bruyère[1]. C’est la montée de deux principes : le libéralisme et l’ individualisme. Le libéralisme repose sur deux piliers : la société est fondée sur l’intérêt, et chacun est le meilleur juge de son propre intérêt. L’ordre ancien voyait les choses de haut et donc de loin, l’ordre nouveau les voit de près. Dans l’ordre nouveau, on voit mieux les détails, mais on voit moins comment une partie est intégrée dans un tout. L’économisme c’est le court terme, par définition même.  C’est aussi le « moi d’abord », c’est-à-dire l’individualisme possessif.   

    Chateaubriand forgera l’expression des « intérêts matériels et moraux »[2] des membres de la société. Bien entendu, le nouvel impératif du calcul ne fait pas disparaître les passions, les actes gratuits, le patriotisme, le sentiment de la fierté bafouée, la colère. Mais il prime sur ceux-ci.

Montesquieu_1.jpg

L’héroïsme distingue et sépare, au contraire, le commerce unifie et égalise. « Le commerce est la profession des gens égaux », notait Montesquieu[3]. Le commerce suppose une égalité de départ et de principe. Il produit certes l’inégalité, mais c’est une inégalité seulement économique. Face à cela, il y a eu une tentative de rompre radicalement avec cette domination du libéralisme et de l’économie. Elle a été tellement maladroite qu’elle a donné de beaux jours au libéralisme. Cette tentative, ce fut le communisme du XXe siècle.

    Qu’a été le communisme ? Une tentative de sortir de la logique du commerce en revenant à la logique du commandement. Comment ? En mettant en œuvre une forme d’autoritarisme extrême, mais en sauvegardant l’égalité. Laquelle ? Une égalité économique dans une hiérarchie de commandement. L’échec du communisme a laissé comme seule horizon le triomphe du libéralisme, de la sujétion à l’économie, l’individualisme et l’économie de profit.

    Dés lors, le capitalisme a cessé d’être national – ce qui ne le rendait pas bénéfique pour autant mais plus maitrisable –, il s’est retourné contre les nations.

    Le politique veut et suppose les frontières, le commerce veut leur allègement au maximum. L’essence du libéralisme, c’est la libre circulation des personnes et des biens. A l’horizon ultime, Montesquieu peut écrire : « Les effets mobiliers, comme l’argent, les billets, les lettres de change, les actions sur les compagnies, les vaisseaux, toutes les marchandises, appartiennent au monde entier, qui, dans ce rapport, ne compose qu’un seul Etat, dont toutes les sociétés sont les membres : le peuple qui possède le plus de ces effets mobiliers de l’univers, est le plus riche »[4].

    Le caractère anonyme de la domination de la logique du commerce, et ses dégâts, explique que l’on ait cherché à rendre visible ce qui était invisible. Cela explique en grande partie l’antisémitisme moderne, forme simplifiée et imagée de l’anticapitalisme, le « socialisme des imbéciles » a-t-on dit. (faut-il préciser que, pour autant, tout anticapitalisme n’est pas porteur d’antisémitisme ?).

    Mais le commerce apporte-il (au moins) la paix, comme le clament les libéraux ? Certes, le commerce n’est pas la guerre. Mais le commerce peut être une forme de l’affrontement entre les nations et un instrument de la politique. C’est pourquoi Carl Schmitt a évoqué avec raison la différence entre puissances maritimes et puissances terrestres, les premières ayant tendance à utiliser le commerce comme forme de guerre (y compris ses dérivés comme le blocus car la guerre commerciale, c’est aussi l’interdiction du commerce pour les autres), les secondes, puissances terrestres, ayant tendance à privilégier la lutte armée directe[5].

     L’essentiel est de comprendre qu’aussi bien les puissances de la terre que les puissances de la mer recherchent la puissance, mais par des moyens différents. « Qui tient la mer tient le commerce du monde ; qui tient le commerce tient la richesse ; qui tient la richesse du monde tient le monde lui-même » notait Walter Raleigh dès la fin du XVIe siècle.

    De ce point de vue, la pensée libérale est du côté du commerce et des puissances maritimes. Elle privilégie la morale et l’économie par rapport au politique et à l’Etat. « Dans la pensée libérale, le concept politique de lutte se mue en concurrence du côté de l’économie, en débat du côté de l’esprit ; la claire distinction de ces deux états différents que sont la guerre et la paix est remplacée par la dynamique d’une concurrence[6] perpétuelle et de débats sans fins. L’Etat devient Société et celle-ci, vue sous l’angle de l’éthique et de l’esprit, sera une image de l’Humanité, inspirée d’une idéologie humanitaire ; vue sous l’autre angle, elle constituera l’unité économique et technique d’un système uniforme de production et de communication. La souveraineté et la puissance publique deviendront propagande et suggestion de foules dans le champ d’attraction de l’esprit, elles se mueront en contrôle dans celui de l’économie  » écrit Carl Schmitt[7].

     L’essentiel est dit : domination du commerce d’une part, de la morale et de l’émotion d’autre part au détriment de la froideur analytique et du sens de la décision incarnés par le politique et par l’Etat.

    Libre commerce et idéologie des droits de l’homme — qui ne ne se donne pas pour une idéologie mais pour une évidence morale — fonctionnent, souvent ensemble, pour permettre de nouvelles dominations, essentiellement au profit des puissances maritimes, les puissances anglo-saxonnes. Rathenau avait dit : « l’économie c’est le destin »[8].  En fait, c’est la politique qui est toujours notre destin mais elle se fait de plus en plus par le biais de l’économie. Le règne de l’économie n’est en effet pas gagnant-gagnant, comme on veut nous le faire croire. Le commerce est bon… pour les nations douées pour le commerce.

     Ce n’est pas le cas pour toutes ; Montesquieu lui-même le notait : « Ce ne sont point les nations qui n’ont besoin de rien qui perdent à faire le commerce ; ce sont celles qui ont besoin de tout. Ce ne sont point les peuples qui se suffisent à eux-mêmes, mais ceux qui n’ont rien chez eux, qui trouvent de l’avantage à ne trafiquer avec personne »[9].

    Montesquieu établit un lien de cause à effet entre la douceur des mœurs et le développement du commerce. « Le commerce guérit des préjugés destructeurs et c’est presque une règle générale que, partout où il y a des mœurs douces, il y a du commerce ; et que partout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces. Qu’on ne s’étonne donc point si nos mœurs sont moins féroces qu’elles ne l’étaient autrefois. Le commerce a fait que la connaissance des mœurs de toutes les nations a pénétré partout : on les a comparées entre elles, et il en a résulté de grands biens »[10].

    Montesquieu poursuivait : « On peut dire que les lois du commerce perfectionnent les mœurs, par la même raison que ces mêmes lois perdent les mœurs. Le commerce corrompt les mœurs pures : c'était le sujet des plaintes de Platon; il polit et adoucit les mœurs barbares, comme nous le voyons tous les jours. »

     Jean-Jacques-Rousseau-832.jpgRousseau tirait de ces propres observations une conclusion inverse à celle de Montesquieu quant aux bienfaits du commerce. « La douceur est aussi quelquefois une faiblesse de l’âme », remarque-t-il[11]. Il y a bien un lien entre commerce et mœurs, mais ce sont, expliquait Rousseau, les pires des mœurs qui sont favorisés par le commerce.         

    « Quand j’ai dit que nos mœurs s’étaient corrompues, je n’ai pas prétendu dire pour cela que celles de nos aïeux fussent bonnes, mais seulement que les nôtres étaient encore pires. Il y a parmi les hommes mille sources de corruption ; et quoique les sciences soient peut-être la plus abondante et la plus rapide, il s’en faut bien que ce soit la seule. La ruine de l’Empire Romain, les invasions d’une multitude de Barbares, ont fait un mélange de tous les peuples, qui a du nécessairement détruire les mœurs et les coutumes de chacun d’eux. Les croisades, le commerce, la découverte des Indes, la navigation, les voyages de long cours, et d’autres causes encore que je ne veux pas dire, ont entretenu et augmenté le désordre. Tout ce qui facilite la communication entre les diverses nations porte aux unes, non les vertus des autres, mais leurs crimes et altère chez toutes les mœurs qui sont propres à leur climat et à la constitution de leur gouvernement. Les sciences n’ont donc pas fait tout le mal, elles y ont seulement leur bonne part ; et celui surtout qui leur appartient en propre, c’est d’avoir donné à nos vices une couleur agréable, un certain air honnête qui nous empêche d’en avoir horreur »[12].

    En d’autres termes, ce que pressent la critique de Rousseau[13], c’est le risque de l’homogénéisation du monde par le règne de la marchandise. C’est une critique qui anticipe sur le thème de la fin des cultures diversifiées et des langues, noyées dans la société de consommation de masse et le « globish ».

     Rousseau est ici visionnaire. De fait, la logique du commerce amène à chercher chez les hommes le plus petit dénominateur commun, c’est-à-dire la recherche du plaisir à court terme et l’intérêt. La réponse de Rousseau consiste au contraire à valoriser les spécificités de chaque communauté politique, les spécificités partageables entre citoyens d’un même lieu et d’un même peuple.

    « La première règle que nous ayons à suivre, c’est le caractère national : tout peuple a, ou doit avoir, un caractère national ; s’il en manquait, il faudrait commencer par le lui donner »[14]. Chacune de ces tendances, celle de Rousseau et celle de Montesquieu a ses possibles excès (notons que Montesquieu reste lucide sur la contrepartie du commerce pour les âmes pures qu’elle corrompt).

    A l’heure actuelle, nous voyons bien que l’excès est du côté de l’oubli de toutes les spécificités des cultures humaines au profit d’une culture mondialisée que les esprits  polémiques nomment sous-culture. Jean Baudrillard notait : « La mondialisation triomphante fait table rase de toutes les différences et de toutes les valeurs, inaugurant une (in)culture parfaitement indifférente. Et il ne reste plus, une fois l’universel disparu, une fois faite l’impasse sur l’universel, que la technostructure mondiale toute-puissante face aux singularités redevenues sauvages et livrées à elles-mêmes »[15].

    L’homme est homme et il est citoyen. Il lui faut trouver un équilibre entre ces deux états de fait. Mais l’homme étant un être politique, ne faut-il pas aller plus loin ? Ne faut-il pas dire que l’homme est homme en étant citoyen, dans cette mesure même ? C’est la thèse de Rousseau[16]. « Nous ne devenons pleinement homme qu’après avoir été citoyen »[17] Ne faut-il pas dire que le premier droit de l’homme est d’être citoyen ? C’est sans doute ainsi que l’on peut dépasser la contradiction apparente entre les droits de l’homme et les droits du citoyen.

*

    Nietzsche souligne que, pour être créateur, l’homme a besoin de limiter son horizon. Il écrit : « Ceci est une loi universelle : tout ce qui est vivant ne peut devenir sain, fort et fécond que dans les limites d’un horizon déterminé. Si l’organisme est incapable de tracer autour de lui un horizon, s’il est d’autre part trop poussé vers des fins personnelles pour donner à ce qui est étranger un caractère individuel, il s’achemine, stérile ou hâtif, vers un rapide déclin. La sérénité, la bonne conscience, l’activité joyeuse, la confiance en l’avenir – tout cela dépend, chez l’individu comme chez le peuple, de l’existence d’une ligne de démarcation qui sépare ce qui est clair, ce que l’on peut embrasser du regard, de ce qui est obscur et hors de vue, dépend de la faculté d’oublier au bon moment aussi bien que, lorsque cela est nécessaire, de se souvenir au bon moment, dépend de l’instinct vigoureux que l’on met à sentir si et quand il est nécessaire de voir les choses au point de vue historique, si et quand il est nécessaire de voir les choses au point de vue non historique »[18].

    Claude_Lévi-Strauss.jpgClaude Lévi-Strauss, pour sa part, exprimait la même idée en affirmant : « Toute création véritable implique une certaine surdité à l’appel d’autres valeurs, pouvant aller jusqu’à leur refus, sinon même leur négation »[19].

    L’homme doit donc voir moins large (moins grand angle) mais en quelque sorte voir plus loin. Savoir se concentrer et savoir oublier ce qui n’est pas essentiel. Or, l’échange généralisé tend à élargir tous les horizons, à supprimer tous les compartiments de la vision, et même tous les axes de la vision. Or, tout voir, c’est ne rien voir. Un horizon est toujours dans une seule direction à la fois. Il n’y a pas d’horizon de toutes les directions à la fois. On peut formuler cela sous une autre forme : dans une société de communication totale, il n’y plus rien à échanger, et plus aucun horizon à partager par les communautés humaines. Donc plus de communautés humaines autre que l’humanité.

***

    On nous rebat les oreilles avec le culte de la diversité. Mais notre monde est-il divers ? Il est en fait faussement divers. Le mouvement actuel des choses – appelons cela l’hypermodernité mais sachons qu’elle contient des éléments de postmodernité – tend à détruire toutes les communautés particulières. Quand la différence devient un des droits de l’homme, ce n’est plus une différence, c’est encore une manifestation de l’extension de l’idéologie des droits de l’homme. D’autant que la vraie différence n’est pas garantie par un droit mais par le sentiment d’un devoir. Les gens qui meurent pour leur patrie ou pour leurs idées ne le font pas parce qu’ils en ont le « droit » mais parce qu’ils pensent en avoir le devoir. Même les gens qui revendiquent pour leurs droits le font en fait parce qu’ils estiment avoir le devoir de défendre ce qu’ils pensent être leur droit. Le devoir est toujours premier.

    Les droits de l’homme ont toujours soulevé des objections. Pour l’Eglise, l’objection est simple : les droits de l’homme peuvent-ils primer sur les devoirs envers Dieu[20] ? La réponse ne peut être que négative de son point de vue. L’Eglise s’est pourtant ralliée aux droits de l’homme, en revendiquant même la paternité, et expliquant qu’il n’y avait aucune contradiction entre d’une part ces droits et d’autre part l’amour et le service de Dieu.     

      De fait, c’est le christianisme qui a rendu possible la notion de droits de l’homme en Occident. « La notion que tout homme a des droits sacrés est profondément chrétienne. L’Antiquité grecque ne l’a pas connue », remarque Bertrand de Jouvenel[21]. Pour autant, si l’Eglise a toujours accordé une importance aux droits de l’homme et à la liberté comme constitutive de ces droits, c’était comme moyen de parvenir à la vérité. Or, pour elle, cette vérité ne peut être que l’existence de Dieu.

    Les droits de l’homme ont toujours aussi fait l’objet d’une critique politique. Elle s’appuie sur le réalisme et l’expérience. Cela n’a en effet pas grand sens de déclarer que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Ils naissent en fait dans des conditions inégales, sont élevés dans des conditions inégales, et ne font pas les mêmes choses de ce qu’ils ont reçu (quand bien même auraient-ils reçu le même patrimoine matériel et culturel). Bref, les hommes naissent différents et évoluent différemment. Voilà ce que nous dit le réel, et qui nous éloigne fort de l’égalité de départ. Ce que l’on peut et doit affirmer, c’est que tous les hommes doivent être respectés.  

    Sur un autre plan, Edmund Burke opposait les « droits des Anglais » ou ceux d’autres peuples aux droits de l’homme[22].  « En vérité, dans cette masse énorme et compliquée des passions et des intérêts humains, les droits de l'homme sont réfractés et réfléchis dans un si grand nombre de directions croisées et différentes qu'il est absurde d'en parler comme s'il leur restait quelque ressemblance avec leur simplicité primitive. »

    Mettre l’accent sur les droits de l’homme, selon les critiques des conservateurs, ou des « réactionnaires », c’est vouloir transformer la société en chaos de « corpuscules élémentaires », la ramener à l’état de nature, c’est-à-dire à la vulnérabilité.

    Qu’est-ce qui caractérise la déclaration des droits de l’homme et, d’une manière générale, la doctrine des droits de l’homme ? C’est tout d’abord le fait que c’est l’homme qui déclare ses propres droits[23]. Ce qui nous parait évident ne l’était pas. Kant affirmait : « Les Lumières, c’est la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle [on traduit parfois par ’’état de minorité’’– PLV] dont il est lui-même responsable. L’état de tutelle est l’incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d’un autre. On est soi-même responsable de cet état de tutelle quand la cause tient non pas à une insuffisance de l’entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s’en servir sans la conduite d’un autre. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières »[24].

    La nature de l’homme est de grandir et, ainsi, de devenir libre. La critique conservatrice, en soulignant que dès sa naissance, l’homme est héritier de cadres particuliers, qui fait qu’il n’y a pas d’égalité, a raison, mais elle a – comme Pierre Manent le dit[25]  – inutilement raison. En effet, la déclaration des droits de l’homme part, sans doute, de postulats illusoires, mais elle transforme, en faisant lever une espérance, réellement le réel. La passion de l’égalité devient en un sens le moteur de l’histoire. En effet, l’égalité est « une notion politique et sociétale autant qu'économique. Elle concerne le commun autant que le juste »[26].

    Il y a une critique sociale, et socialiste, et notamment marxiste des droits de l’homme qui reprend certains éléments de la critique conservatrice de Burke (ou de Maurras) mais qui va plus loin. « Les droits dits de l’homme, par opposition aux droits du citoyen, ne sont rien d’autre que les droits du membre de la société bourgeoise, c’est-à-dire de l’homme égoïste, de l’homme séparé de l’homme et de la collectivité »[27].

    Karl_Marx_001.jpgSelon Marx, les droits de l’homme dans la société bourgeoise consistent à se mouvoir librement tant que l’on n’interfère pas avec la liberté d’autrui. Marx précise : « A chaque homme elle fait trouver en l’autre homme, non la réalisation, mais au contraire la limite de sa liberté. […] Aucun des droits dits de l'homme ne dépasse donc l'homme égoïste, l'homme tel qu'il est comme membre de la société bourgeoise, c'est-à-dire l'individu replié sur lui-même, sur son intérêt privé et son bon plaisir privé, et séparé de la communauté. »

     Les droits de l’homme sont ainsi – Marx fait écho à Rousseau – le contraire des droits du citoyen. Ce sont des droits soustractifs, ou encore une liberté « négative », le droit de « ne pas être gêné par », et non des droits d’intervenir, de participer, d’interagir, de coopérer avec. 

    Ces droits de l’homme selon Hobbes et Locke (dans la lignée des droits naturels de Grotius), mêmes étendus à la société civile, renforcent la séparation entre celle-ci et l’Etat. Marx, au contraire, souhaite réunifier ces deux instances. La société doit se réaliser dans le politique et non voir les querelles entre ses ayants-droits arbitrées par le politique, conception bourgeoise[28] qui a finalement triomphé.

    Claude Lefort a critiqué l’interprétation de Marx de la déclaration et de la doctrine des droits de l‘homme. Il lui a reproché de ne pas voir qu’elle pouvait aussi être porteuse d’autonomie[29]. Marx voit dans la déclaration des droits de l’homme une doctrine de séparation entre société civile et politique, entre possédants et prolétaires, tandis que Claude Lefort insiste sur un droit de se lier aux autres qui serait la conséquence de la déclaration des droits de l’homme. L’analyse de Claude Lefort est malheureusement totalement anhistorique. En effet, de manière concomitante à la déclaration des droits de l’homme, les décrets d’Allarde et le Chapelier ont justement interdit les associations corporatives, exemple même du « droit de se lier »  si cher à Claude Lefort. C’est clairement Marx qui a raison sur ce point et non Lefort.

    Il y a pourtant un moment où Claude Lefort voit juste : c’est quand il souligne que chacun est à la fois « sujet et objet, auteur et bénéficiaire des droits, de tous les droits. Bref, il y a dans notre société une indétermination et une circulation du droit qui suscitent sans cesse de nouvelles revendications de droits. »    

    Claude Lefort précise sa pensée : « L’État démocratique excède les limites traditionnellement assignées à l’État de droit. Il fait l’épreuve de droits qui ne lui sont pas déjà incorporés, il est le théâtre d’une contestation dont l’objet ne se réduit pas à la conservation d’un pacte tacitement établi, mais qui se forme depuis des foyers que le pouvoir ne peut entièrement maîtriser ». En d’autres termes, l’idéologie des droits colonise la société au détriment de la loi. Ce n’est pas faux et ce n’est pas une bonne chose. C’est tout simplement le contraire de la démocratie comme pouvoir du peuple.

     Pour le dire autrement, le processus démocratique consiste en une production sans fin de nouveaux droits de l’homme. Le point sur lequel il faudrait insister – ce que ne fait pas Claude Lefort – c’est qu’il y a un envers à cette profusion des droits de l’homme. C’est une hémorragie sans fin des droits du citoyen. Il y a une logique de l’actuelle démocratie qui s’oppose à la vraie démocratie.

     La logique des droits de l’homme est en effet une logique séparatrice. Marx expliquait que ces droits ne peuvent concerner qu’une « monade isolée, repliée sur elle-même ». Tocqueville avait fort bien vu cette logique à l’œuvre dans les sociétés démocratiques. Il en appelait à un art [30] de la démocratie pour relier ce qui avait été délié.

    L’individualisme est le corollaire de l’égalisation démocratique. Si chacun en vaut un autre et si chacun n’a plus à se définir par rapport à sa communauté, chacun ne reconnait d’autre valeur que celle qu’il se donne à lui-même. L’individualisme, ainsi, « tarit la source des vertus publiques »[31].  Plus encore, « à la longue, il attaque et détruit toutes les autres [vertus] et va enfin s'absorber dans l'égoïsme ». Par contre, dans les siècles « aristocratiques » (c’est-à-dire antédémocratiques – et pas antidémocratiques), « la notion générale du semblable est obscure », note encore Tocqueville.

   Dans l’époque démocratique, c’est précisément parce que la notion du semblable est omniprésente que chacun cherche à affirmer sa différence, fut-elle – et en général elle l’est – une toute petite différence (« orientation » sexuelle, « orientation »  spirituelle incluant le yoga, le new age, etc).

   lefortQKL._SX195_.jpg Les sociétés aristocratiques impliquent un certain oubli de soi, ou une impersonnalité active, et une certaine indifférence aux questions humanitaires, tandis qu’est vif le sens de l’honneur, qui concerne soi-même mais aussi les autres (par exemple le respect de l’ennemi, le fait de ne pas frapper un homme à terre, etc). Les sociétés démocratiques sont, de leur côté, marquées par le souci de soi (Michel Foucault), parfois poussé à l’extrême, et par la disparition de l’altérité (la différence forte) au profit des petites différences.

    La démocratie, écrit Tocqueville, « ramène [chacun] sans cesse vers lui seul et menace de le renfermer enfin tout entier dans la solitude de son propre cœur »[32].  Comment compenser cela ? En allant au fond du meilleur de la logique démocratique, en diffusant la démocratie à tous les niveaux et sur toutes les portions du territoire de la nation. Il s’agit, note encore Tocqueville, de « multiplier à l’infini, pour les citoyens, les occasions d’agir ensemble, et de leur faire sentir tous les jours qu’ils dépendent les uns des autres »[33].

    La déliaison liée au libéralisme, à la révolution industrielle et au processus démocratique s’accompagne d’une reliaison autour de la nation. Pierre Manent résume fort justement : « Individualisme et nationalisme s’entr’appartiennent, contrairement à l’opinion commune qui en fait des contraires »[34].

    Le cas de Maurice Barrès est ici emblématique, qui passa du culte du Moi au culte de la Nation, le cercle des appartenances qu’il appelait « la famille, la race, la nation » élargissant en somme le développement de la personnalité et la canalisant tout à la fois.

    La logique de la démocratie, logique présente dès 1789, mais longtemps contrecarré par le Code Civil de Napoléon, c’est que tout repose sur le consentement. L’adhésion à la famille, à la patrie, à la religion ne se fait plus sans consentement. Autant dire, hormis en partie pour la famille, cellule en quelque sorte protectrice, que cette adhésion ne se fait plus du tout. Même pour la famille, cette adhésion se fait maintenant avant tout sur des bases protectrices, avons-nous dit, et non sur des relations  transcendantes, verticales.

    Le nom du père ne veut plus dire grand-chose. Il en est de même pour le « non «  du père quand il survient. Quand le père dit « non », ce « non » du père fait hausser les épaules aux enfants. Cette extrême déliaison de la modernité amène parfois à caricaturer les sociétés holistes pré-démocratiques. Ces sociétés sont parfois présentées comme purement hiérarchiques. Or, le consentement y avait sa part, et, justement, quand il y avait absence de consentement, il pouvait y avoir rébellion, rupture, transgression (la vraie cette fois). La différence avec l’époque actuelle est que, maintenant, même les ruptures sont molles. Est-ce un effet de la féminisation des mœurs ?

    Nous parlons de ruptures molles. Parlons des ruptures politiques. Il est frappant de voir que, aussi bien Nicolas Sarkozy en 2007 que François Hollande en 2012  n’ont finalement rien changé d’essentiel[35] alors que tous deux  avaient fait campagne sur le thème du changement[36]. La raison en est que les hommes politiques sont de plus en plus à notre image. Ils vivent dans le présent, et non dans le projet, ils font, plus ou moins bien leur « boulot », leur « job » de président ou de premier ministre, et ils ne remplissent un devoir. Ce sont des hommes ordinaires[37].

    « Le problème de la démocratie contemporaine consiste dans le défaut de convictions incarnées dans des visions du monde » constate Chantal Delsol. C’est pourquoi les objectifs de nos hommes politiques sont si extraordinairement à court terme. Il ne s’agit pas pour eux, par exemple, d’assurer la pérennité de la nation, de lui donner les moyens de sa force dans une ou deux générations, mais d’inverser les courbes du chômage (ou de la délinquance, ou de ce qu’on voudra) avant la fin de l’année.

    D’une manière générale, le choix, en démocratie (nous parlons de la démocratie actuelle), est comme la liberté dans cette même démocratie, c’est un choix et une liberté toujours neuve, toujours vierge, c’est un choix de l’instant et qui ne vaut que dans l’instant.  C’est une liberté vierge de tout héritage et (donc) de toute continuité. « D’une promesse d’élévation citoyenne passant par l’accession de tous à l’autonomie, les principes des Lumières semblent bien conduire aujourd’hui à la négation même de ce qui définit notre humanité » écrit Paul-François Paoli[38].

*

    Nous en sommes là. Nous avons dans nos démocraties des consentements de l’instant, des consentements sans espérance et sans promesse. Le consentement non renouvelé, non continué rencontre la promesse non tenue. La versatilité du peuple rencontre l’absence de fiabilité – et de solidité – des élites politiques. La confiance entre élus et électeurs n’existe plus. Voilà l’état de la démocratie qui est la nôtre.

    A force de dire à chacun qu’il faut refuser l’empreinte du passé, le poids de tous les héritages culturels et cultuels, la marque de tous les conditionnements reçus, nos sociétés ont créé des individus qui « ne se donnent pas mais se prêtent »[39] selon le mot de Montaigne.

    Etre libre peut pourtant vouloir dire être libre de s’engager, voire libre d’aliéner sa liberté apparente pour une liberté intérieure plus profonde. Mais la modernité refuse cette forme de liberté. La modernité voit l’engagé convaincu comme un aliéné. Il ne faut que des engagements de circonstances et surtout, des engagements qui n’engagent à rien.

    Rester libre, pour les modernes, c’est surtout et d’abord, ne pas exercer la liberté de se lier. D’où le caractère antipolitique de la modernité libérale. On pense à ce que dit Carl Schmitt : « Il n’y a pas de politique libérale, il n’y a qu’une critique libérale de la politique »[40].

     La liberté est difficile : il faut rappeler cette évidence première. Etre libre, c’est choisir. Mais choisir n’est pas « faire ce qu’on veut ». Ce n’est pas cela la vie ; la vie c’est choisir. Ne pas choisir, c’est aussi ce que permet la communication. C’est la nouvelle idole[41]. Or la communication, c’est la communauté sans l’appartenance. C’est le partage du moment sans l’engagement du lendemain.

    La technique réalise ainsi le rêve libéral : chacun devient une monade isolée, mais dotée de multiples droits et possibilités d’action. Le citoyen devient en fait un client de l’Etat[42], et la société devient un hôtel (selon la juste expression de Michel Houellebecq[43]) ou encore un « parc multiculturel » (Alain Finkielkraut). « Les hommes suivent leur pente. Le noble a été remplacé par le bourgeois, à qui succédera un homme sans nom, vague émanation du prolétaire et de l'agrégé. Nous serons gouvernés, ou plutôt supprimés par des gens entichés de technique »[44].

*

    Nous sommes ainsi confrontés à la question du sens des droits. Affirmer le droit de faire, ce n’est pas résoudre la question : « que faire ? ». Ce n’est pas donner du sens, c’est transférer cette question à chacun. Mais pour savoir « que faire ? » il faut aussi répondre à la question : « d’où je parle ? ». Qui suis-je, moi qui agit ? Quelle est ma légitimité pour agir ? Je ne suis plus légitime parce que je suis ou essaie d’être bon chrétien.

     Alors, d’où vient ma légitimité dans le monde moderne ? Il n’y a pas une notion du bien qui puisse m’être commune avec les autres hommes. Mais il y a des savoirs. Il y en a en fait deux. Je dois savoir ce que je puis faire légalement, et c’est la science du Droit. Je dois savoir aussi comment rechercher mon intérêt, comment faire des choses qui me soient utiles, et c’est la science de l’économie. Il reste donc l’Economie – ou le Marché – et le Droit. Voilà la seule réponse que nous offre le monde moderne. Beaucoup s’en contentent. Mais cette réponse n’est pas satisfaisante. Elle ne convient pas à des hommes qui veulent encore être acteur de leur propre histoire.

    Dans les sociétés aristocratiques, on ne se sentait semblable qu’à ses semblables. Dans les sociétés démocratiques, chacun est semblable à tout le monde, mais prêt à se dévouer pour personne. Dans les sociétés aristocratiques règne l’oubli de soi, l’impersonnalité[45], l’oubli de l’humanité mais aussi le sens de l’honneur et du sacrifice.

    Dans les sociétés démocratiques règne l’impossibilité de s’oublier, et donc l’impossibilité de s’oublier pour une grande cause, ou tout simplement pour les autres. La religion de l’humanité d’Auguste Comte est un bon raccourci de ce que poursuit dans la durée le projet libéral. Il s’agit de sortir de la politique et de la remplacer par une religion : celle des droits de l’homme.

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Si on veut dégager le principe spirituel à l’origine de la pensée des droits de l’homme, on rencontre l’amour d’autrui et d’une manière générale l’amour de l’humanité. C’est la pensée d’Auguste Comte. « L’Amour pour principe, l’Ordre pour base, le Progrès pour but »[46].  Le principal reproche que lui faisait Nietzsche (qui l’admirait) est que l’homme ne visait rien d’autre que lui-même et son propre bonheur. Sans but qui amène l’homme à se dépasser, la terre devient trop petite. Nietzsche écrivait : « La terre alors devenue exigüe, on y verra sautiller le dernier homme qui rapetisse toute chose »[47]. L’homme est ainsi passé du chant à l’ironie, de la danse au sautillement.

    Nous sommes à l’époque de ce que Jean Baudrillard appelait la « réalité intégrale » qui est avant tout une réalité immédiate, où tout est déjà là, « à disposition », où il n’y a plus aucune distance, aucune transcendance. Il n’y a pas de commune mesure entre ce monde du dernier homme et le monde d’avant. 

    « Il ne s’agit donc pas d’un ‘’choc de civilisations’’, mais d’un affrontement, presque anthropologique, entre une culture universelle indifférenciée et tout ce qui, dans quelque domaine que ce soit, garde quelque chose d’une altérité irréductible. Pour la puissance mondiale, tout aussi intégriste que l’orthodoxie religieuse, toutes les formes différentes et singulières sont des hérésies. A ce titre, elles sont vouées soit à rentrer de gré ou de force dans l’ordre mondial, soit à disparaître. La mission de l’Occident (ou plutôt de l’ex-Occident, puisqu’il n’a plus depuis longtemps de valeurs propres) est de soumettre par tous les moyens les multiples cultures à la loi féroce de l’équivalence. Une culture qui a perdu ses valeurs ne peut que se venger sur celles des autres. Même les guerres — ainsi celle d’Afghanistan — visent d’abord, au-delà des stratégies politiques ou économiques, à normaliser la sauvagerie, à frapper d’alignement tous les territoires. L’objectif est de réduire toute zone réfractaire, de coloniser et de domestiquer tous les espaces sauvages, que ce soit dans l’espace géographique ou dans l’univers mental », notait Baudrillard[48]

     La religion de l’amour – la seule qui subsiste – aboutit ainsi à une vie aseptisée. « Ils auront abandonné les contrées où la vie est dure, car on a besoin de la chaleur. On aimera encore son prochain et l'on se frottera contre lui, car il faut de la chaleur. La maladie, la méfiance leur paraîtront autant de péchés ; on n'a qu'à prendre garde où l'on marche ! Insensé qui trébuche encore sur les pierres ou sur les hommes ! Un peu de poison de temps à autre, cela donne des rêves agréables ; beaucoup de poison pour finir, afin d'avoir une mort agréable. On travaillera encore, car le travail distrait. Mais on aura soin à ce que cette distraction ne devienne jamais fatigante »[49].

    « Jadis tout le monde était fou, diront les plus malins en clignant de l’œil », écrit encore Nietzsche. Les plus malins sont bien entendu souvent les plus cultivés des Derniers Hommes.   Tout le monde était fou. Nietzsche veut dire : tout le monde pensait qu’au-dessus de l’homme, il y avait quelque chose, qu’au-dessus de la vie de l’homme il y avait des biens encore plus précieux : la communauté, la lignée, le destin, l’honneur, la patrie. Tout le monde était fou : cela veut dire que tout le monde croyait encore à quelque chose, que le monde n’avait pas encore rétréci, que le nihilisme n’avait pas encore tout noyé dans les eaux du « à quoi bon » ou du « calcul égoïste ».

    renaud-camus-hannah1.jpgRenaud Camus remarque : « Sans doute pouvons-nous encore dire ’’nous’’, mais c'est à la condition expresse que ce nous soit en permanence ouvert, qu'il n'ait pas d'assise dans l'être, qu'il n'ait pas d'assise tout court, pas de fondation, pas de passé ; et que tous les ’’vous’’ et tous les ’’eux’’ puissent à tout moment s'y agréger à volonté, qu'aussitôt ils soient ’’nous’’. Or, ce ’’nous’’-là, ce ’’nous’’ nouvelle manière, est-ce que je suis le seul à trouver qu'il n'a plus beaucoup l'air d'un ’’nous’’ ? Ou plutôt qu'il n'en a que l'air, que c'est un cadavre de ’’nous’’, une dépouille, une coquille vide, un nom, sans vibration poétique dans l'air, sans épaisseur d'histoire et de culture, bien sûr, mais aussi sans consistance d'humanité. Car, si il n'y a plus de ’’nous’’, ou seulement ce ’’nous’’ de convention pure, il n'y a plus de ’’vous’’, et il n'y a plus d'’’eux’’. Les pronoms personnels ont toujours servi à nous définir et à nous constituer par rapport à l'autre. S'il n'y a plus de ’’nous’’, il n'y a plus d'autre. S'il n'y a plus d'ailleurs, il n'y a plus d'ici. S'il n'y a plus d'autochtone, il n'y a plus d'étranger, et s'il n'y a plus d'étranger, il n'y a plus d'habitant de la terre. L'homme n'a plus de lieu. Étant chassé du ’’nous’’, il est chassé de lui. Il va errant loin de ses morts, armé d'un pauvre petit ’’je’’ chaque jour vidé de son passé, et que tous les matins il faut réinventer »[50].

    Les traces de l’histoire ne sont plus un héritage, c’est du tourisme. Ce que notait Nietzsche, et qui a depuis été relevé par de nombreux observateurs contemporains, tels Jean-Claude Michéa, Alain Finkielkraut, Serge Latouche, Jean-Pierre Le Goff et quelques autres, c’est que le Dernier Homme croit à sa supériorité par rapport aux hommes des générations précédentes qu’il regarde avec condescendance. C’est d’ailleurs pour cela qu’il manifeste aussi une certaine condescendance vis-à-vis des hommes et des peuples du Tiers-monde car il voit en eux, soit « des hommes non encore entrés dans l’histoire » soit des hommes « moins avancés »[51] [que nous, sur la route du Progrès[52] et de la Démocratie occidentale].

     C’est pourquoi les intellectuels de la pensée dominante, les fonctionnaires de la pensée unique,   pensent, non seulement que tout le monde peut devenir français, mais que tout le monde doit souhaiter le devenir, devenir citoyen du « pays des droits de l’homme » donc de la seule patrie qui n’est pas une patrie, qui ne se veut plus une patrie. Un pays transgenre, en somme. Ils ont pour le coup raison puisque, être français au sens actuel du terme, cela veut dire : être membre de « la patrie de la sortie de toutes les patries ». C’est le comble de l’hypermodernité (ou archimodernité), et, par là même, c’est le comble de l’humanité. Pourquoi ? Parce que c’est là le stade suprême du dessaisissement de soi, de la rupture avec tous les attachements. C’est la victoire du présentisme intégral.

     Face à cette folie, la double question qui se pose à nous, c’est justement, quel « nous », quelle communauté ? La région, la nation, l’Europe ? Tout cela ensemble avec un lien fédéral ? Et aussi, dans ces communautés, quelle lien entre nous. Il est clair que ce lien ne peut plus être la seule économie. Ce ne peut être d’abord l’économie. Alors, le bien commun ? A nous de le définir ensemble.

PLV

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Notes:

[1] Les Caractères, 1688.

[2] « Enfin, sous la date du 5 décembre 1818, le Conservateur contenait un article sérieux sur la morale des intérêts et sur celle des devoirs : c'est de cet article, qui fit du bruit, qu'est née la phraséologie des intérêts moraux et des intérêts matériels, mise d'abord en avant par moi, adoptée ensuite par tout le monde. », Mémoires d’outre-tombe, 1849.

[3] De l’esprit des lois, V, 8. Il ajoutait logiquement : « il est contre l'esprit de la monarchie que la noblesse y fasse du commerce ».

[4] De l’esprit des lois, XX, 23 (« A quelles nations il est désavantageux de faire le commerce »).

[5] Terre et mer, Le Labyrinthe, 1985. Les figures opposées de Léviathan et de Béhémoth illustrent ce thème.

[6] La concurrence a partie liée avec le refus de croire à des inégalités de nature. C’est parce que je crois que les hommes sont égaux que j’essaie de me hisser au même niveau que mon concurrent (mon rival) et même si possible de le dépasser.

[7] La notion de politique. Théorie du partisan, 1932, Calmann-Lévy, 1972.

[8] 1921. A quoi Moeller van den Bruck répondait : « La politique, c’est le destin ».

[9] De l’esprit des lois, XX, 23. Montesquieu  prend la Pologne comme exemple de pays qui aurait intérêt à ne pas faire de commerce.

[10] De l’esprit des lois, XX, 1.

[11] Dernière réponse à M. de Bordes, 1752.

[12] Préface à Narcisse, 1753.

[13] Rousseau était à la fois constructiviste et partisan de l’authenticité, ce qui rend difficile parfois de suivre sa pensée. Voir son opposition à la théorie des métamorphoses de Diderot. La figure de la sphynge de Sophocle lui inspirait-elle la même détestation qu’à Augustin en tant que figure d’instabilité ?

[14] Rousseau, Projet de constitution pour la Corse, 1765.

[15] Le paroxyste indifférent, Grasset, 1997.

[16] Voir André Charrak, « La révision du concept de citoyenneté dans Rousseau », Erythéis, revue électronique, n° 1, mai 2005.

[17] Rousseau, Manuscrit de Genève, 1778, in Œuvres complètes, Gallimard, tome III.

[18] Deuxième considération inactuelle. De l’utilité et de l’inconvénient de l’histoire pour la vie.

[19] Le regard éloigné, Plon, 1983.

[20] Maurras allait plus loin en affirmant que la déclaration des droits de l’homme du 26 août 1789 représentait l’affirmation des « droits divins de l’individu » (Réflexions sur la révolution de 1789). Luc Ferry dit en somme la même chose, sauf qu’il le connote positivement (L’homme-Dieu ou le sens de la vie, Grasset, 1996).

[21] Les passions en marche, Le Portulan, 1947. De fait, la notion de droits humains a été développée au XVIe siècle par Francisco de Vitoria, Antonio de Montesinos, Bartolomé de Las Casas, Francisco Suarez.

[22] Réflexions sur la Révolution de France, 1790.

[23] Les droits de l’homme, c’est en ce sens un aspect du projet prométhéen d’auto-institution de soi.

[24] Réponse à la question : qu’est-ce que les Lumières, 1784.

[25] Cours familier de philosophie politique, Gallimard, 2001.

[26] Pierre Rosanvallon, entretien avec le Nouvel Observateur, 5 septembre 2011.

[27] La question juive, 1844, Aubier, 1971.

[28] C’est maintenant une conception que l’on pourrait nommer petite bourgeoise plus que bourgeoise qui triomphe, car la prétention bourgeoise d’être porteuse d’une certaine universalité s’est perdue entretemps.

[29] L’invention démocratique, 1981, Fayard, 1994.

[30] Un art plutôt qu’une procédure, voilà qui était bien vu mais contrecarrait le scientisme qui était dominant à l’époque (et qui l’est toujours).

[31] Tocqueville, De la démocratie en Amérique, tome II.

[32] De la démocratie en Amérique, tome II.

[33] ibid.

[34] Cours familier de philosophie politique.

[35] Si ce n’est s’adapter toujours plus aux exigences de la mondialisation et de l’hyperclasse mondiale.

[36] Tandis que la société ne cessait de changer sous de Gaulle et Pompidou qui pourtant faisaient largement campagne sur le thème de la continuité de la France.

[37] On se rappelle la formule de François Hollande : je veux être un président « normal ». Mais un « président normal » n’est justement pas un homme normal car la fonction en question excède la normalité.

[38] Paul-François Paoli, Malaise de l’Occident. Vers une révolution conservatrice ?, P-G de Roux, 2014.

[39] « Mon opinion est qu’il faut se prêter à autrui et ne se donner qu’à soi-même" » dit Montaigne (Essais III).

[40] La notion de politique.

[41] Jean Laloux, « La communication comme idéologie », Krisis, n°9, 1991.

[42] Le client ou « usager » de l’Etat acquiert ainsi un état d’esprit du type  « satisfait ou remboursé ».

[43] « Un pays c’est un hôtel » confirme Jacques Attali (22 avril 2011).

[44] Jacques Chardonne, Le ciel de Nieflheim, 1943.

 

[45] « Je ne suis rien, c’est ce que je représente qui compte ».

[46] Système de politique positive, II, 1854.

[47] Ainsi parlait Zarathoustra, prologue, 1885.

[48] Jean Baudrillard,  Le Monde diplomatique, Manières de voir, n° 75, juin-juillet 2004.

[49] Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra.

[50] Renaud Camus, Du sens, POL, 2002.

[51] C’est l’idée de Seymour Martin Lipset, idée comme quoi la démocratie est le couronnement du développement économique.

[52] « La décadence générale est un moyen au service de l’empire de la servitude; et c’est seulement en tant qu’elle est ce moyen qu’il lui est permis de se faire appeler progrès » Guy Debord, Panégyrique, ed. G. Lebovici, 1989.

Francis Cousin sur l’histoire de l’argent et sa dynamique aliénatoire

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jeudi, 08 septembre 2016

Zoroastrismo, modernidad y Nietzsche

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Zarathustra par Nicolas Roerich (1931)

Zoroastrismo, modernidad y Nietzsche

Ex: http://hiperbolajanus.com

Irán es un país lejano, tanto en el ámbito geográfico como en aquel de las mentalidades, y más respecto a un Occidente moderno totalmente carente de empatía hacia cualquier realidad que sobrepase el marco de «valores» y mentalidades convencionalmente aceptados. En el contexto de la geopolítica mundial atlantista Irán representa uno de los males absolutos a abatir, al que combatir con toda clase de armas, desde la desinformación y la propaganda negra hasta la difamación y las visiones más grotescas. La revolución islámica de Jomeini cambió las perspectivas de Occidente respecto a este país, especialmente en el momento en el que dejó de ser un títere de los americanos para recuperar la integridad de su soberanía. Pero más allá de estos conflictos y visiones de nuestros días, ¿qué sabemos realmente de Irán? ¿Qué sabemos de su sistema de creencias más allá de la fe islámica ahora dominante sobre un extenso territorio y casi 80 millones de habitantes? Hoy nos gustaría destacar la importancia de ciertas creencias preislámicas que, desarrolladas en suelo iranio, han tenido una importancia, que no conviene infravalorar, en la configuración de las grandes religiones monoteístas.

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En primer lugar, habría que reconocer a este extenso país el mérito de haber sido el origen del sincretismo y sistematización de algunos conceptos que son parte inestimable de las grandes religiones abrahámicas, y entre los elementos más destacables están la articulación de un sistema dualista a nivel cosmológico, religioso y ético o de los valores de las grandes religiones del desierto. No en vano, de estas concepciones dualistas surgió la idea del «bien» y del «mal» que forman parte del juicio moral que estas concepciones religiosas hacen del mundo, y son parte inextricable de su cosmovisión. Otros mitos recurrentes y asociados a formas de profetismo, así como la idea de resurrección de los muertos encontraron también sus primeras teorizaciones en tierras iranias. Sin embargo, cuando buscamos el origen de estas ideas y su formulación doctrinal el enigma y el misterio vuelve a aparecer ante nosotros, y en este caso la figura de Zoroastro o Zaratustra se nos presenta como una incógnita que entre el mito, la leyenda y la realidad, pero frente al cual ciertos especialistas en la religión y espiritualidad iranias tratan de arrojar algo de luz: por un lado se habla de un Zaratustra histórico y vinculado a una función revolucionaria, como reformador de las concepciones religiosas y espirituales de los pueblos iranios. Otra vertiente duda de la función de profeta e historicidad de la figura de Zaratustra para destacar aquello que éste representa desde la perspectiva de las creencias espirituales de los antiguos pueblos de Irán.
 
Más allá del debate historiográfico acerca de la veracidad histórica del personaje, su función arquetípica dentro de un universo simbólico y espiritual es inestimable. Algunos han fechado su existencia entre el 1000 y el 600 a,c, aunque se ha podido concretar que pudo vivir entre el 628 y el 551 a.c y se dice que pudo vivir en el este de Irán, probablemente en Jorasmia o Bactriana. Según la tradición fue zaotar, que se correspondería con la figura de un sacerdote sacrificador, vinculado a la ejecución de los ritos, y cantor, y sus escritos sagrados, sus gathas, se inscribirían en una vieja tradición indoeuropea vinculada a la poesía sagrada. Pertenecía al clan Spitama, de criadores de caballos y su padre se llamaba Purusaspa. Se sabe que Zaratustra estuvo casado y que tuvo dos hijos, de los que incluso se conocen los nombres. El contexto en el que Zaratustra difundió su mensaje era el de una Comunidad sedentaria de pastores, fuertemente pertrechada por valores étnico-religiosos y sacerdotales, en la que nuestro Profeta representó un factor revolucionario desde el punto de vista espiritual al poner en duda a las autoridades sacerdotales, y de hecho en su ataque a esta casta saderdotal invocó a Ahura Mazda, a la divinidad tribal. Como consecuencia de estos ataques a la ortodoxia religiosa vigente, Zaratustra se vio obligado a huir de la Comunidad y refugiarse en los dominios de otro grupo tribal, de la tribu Fryana, donde consiguió convencer y convertir a su nueva fe al jefe de la tribu, Vishtaspa, que, desde ese momento, se convertiría en su principal valedor y protector. Sin embargo, sus enemigos continuaron en su empeño de defenestrarle, tanto a él como a su familia. En los gathas también se conserva el testimonio de las actividades misioneras de Zaratustra, de la extensión de su palabra y de los numerosos adeptos y discípulos que se agruparon en torno a él. Este texto sagrado, que refleja un sentido de la existencia sobrio, tono pedreste o la sequedad en la narración, también refleja las enseñanzas zoroastrianas bajo la forma de las parábolas, o enseñanzas a través de las que se trazan una particular cosmovisión del mundo, donde el castigo a los malvados y la recompensa a los virtuosos es una constante. Al mismo tiempo hechos milagrosos y relatos mitológicos van generando una aureola mística y salvífica del personaje, quien representa la luz sobrenatural del bien en su grado excelso frente al mal absoluto de los demonios.
 
Se ha vinculado a Zaratustra a las experiencias y técnicas empleadas por los chamanes y el uso de alucinógenos y otros estimulantes, algo que se ha contrastado históricamente entre los indo-iranios por otros pueblos coetáneos como fueron los escitas o los indios, y que en teoría habrían inspirado sus profecías, que le habrían sido transmitidas directamente por Ahura Mazda. La particularidad de esta revelación divina es que deja a la libre elección del hombre la elección del bien y el mal, y su ejercicio depende enteramente de la voluntad humana, abandonada a su libre albedrío. De modo que existe la posibilidad de que el hombre acepte el camino correcto, el que dirige a la regeneración en lo primordial, como la vía contraria, la que hunde al hombre en el envilecimiento del mal. Tanto el bien como el mal tienen su origen en Ahura Mazda, pero éste trasciende toda contradicción al acoger todas las opciones en su seno, y parece indicar que la aparición del mal estaría directamente relacionada con la condición previa de la libertad humana. Al mismo tiempo Zaratustra se opuso a una serie de ritos orgiásticos y sacrificios cruentos y otros excesos que formaban parte de la liturgia tradicional de los pueblos indo-iranios. Paralelamente en la reformulación de las antiguas tradiciones étnicas, Zaratustra trató de otorgarles un nuevo valor, y con ello revigorizarlas. Otro de los elementos que aparece en este contexto de reforma es el viaje de los muertos y la idea de juicio al final de los tiempos, un elemento especialmente recurrente en la escatología cristiana, donde los justos serán salvados y admitidos en el paraíso, mientras que los malvados formarán parte de la casa del Mal.
 
El fin último de Zaratustra no era otro que transformar la existencia, probablemente ante la idea de un inminente fin de los tiempos, y la idea de renovación, la cual tendría lugar a través de la intermediación directa de Ahura Mazda, quien representa un modelo de bondad, santidad y omnipotencia que sus adeptos deben tomar como modelo al representar éste el bien frente al mal, que sería identificado con la antigua religión. La división entre buenos y malos es lo que desemboca en una visión dualista del mundo que define dos cosmovisiones antagónicas y enfrentadas, tanto a nivel cósmico como antropológico, y una forma particular de ser y estar en el mundo.
 
Finalmente, y según nos cuentan las fuentes, Zaratustra murió asesinado a la edad de 77 años a manos del turanio Bratvarxsh en un templo del fuego. En algunas fuentes tardías se dice que los asesinos se disfrazaron de lobos, que representaban simbólicamente a las sociedades de hombres vinculadas a las antiguas tradiciones iranias, a las que Zaratustra identificaba con el Mal.
 
Hay muchos más elementos de análisis que podríamos comentar, pero que dada la naturaleza de nuestro texto no vamos a profundizar en ellos. No obstante, es importante apuntar la existencia de elementos de reflexión muy profundos, de naturaleza filosófica, y el conocimiento de la doctrina y teología de la antigua tradición indo-irania.
 

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Las referencias que tenemos en el presente del Zoroastrismo y su fundador están muy mediatizadas por el uso que el filósofo alemán Friedrich Nietzsche hizo de su figura, al que, paradójicamente, convirtió en una especie de apóstol o profeta de sus propias enseñanzas. Zaratustra proporcionó una multitud de elementos, mitos y doctrinas que, ulteriormente, servirían de vehículo de expresión, hasta llegar al terreno de los mitos, y en el ámbito teológico, para el desarrollo de las grandes religiones monoteístas, y en concreto del cristianismo, que fue precisamente la máxima expresión de la moral del rebaño, de la desfiguración y falsificación de la existencia a manos de los sacerdotes, a los que también se enfrentó el propio Zaratustra en su momento. Sin embargo, Nietzsche no buscaba moralizar el mundo, sino más bien destruir las categorías morales bajo las cuales se pretendía enmascarar la naturaleza y la Verdad, y enfrentar al hombre a sus propios miedos y al mismo abismo de la vida, en toda la magnitud de su crudeza. Zaratustra era el hombre solitario, acompañado de sus animales heráldicos, el águila y el león, que vive en una cueva, apartado del mundo, y que para transmitir su mensaje a la humanidad, su mensaje de superación, renovación y transfiguración, tiene que volver entre los hombres, y enfrentarse a sus miserias, a sus vilezas y mediocridades.
 
Zaratustra se convierte en el vehículo de los grandes conceptos de la doctrina nietzscheana, desde la voluntad de poder, el superhombre o la idea de transvaloración, y lo hace transformando la esencia de las ideas que, históricamente, había representado aunque no de ciertas actitudes, como aquellas relacionadas con la voluntad de transmutar la esencia del discurso religioso dominante, o una forma de trascendencia más directa e inmanente, y con ello más dependiente de la voluntad humana. Nietzsche tenía un conocimiento muy limitado del mundo oriental, aunque en ocasiones hacía referencias a éste, y son conocidas sus menciones del famoso Código de Manú, un antiguo texto védico en lengua sánscrita, que había servido de base a la sociedad de castas, y que destaca por su rigor y la rectitud de los principios que lo articulan, el cual es mencionado con veneración por parte del filósofo alemán.
 
La trascendencia y espiritualidad dependen enteramente de un principio de objetividad, de la existencia de unas verdades eternas e inamovibles capaces de hacer partícipes en la esencia de lo primordial a los hombres. El abandono de los preceptos espirituales o la democratización de las grandes verdades esotéricas al gran público no hace sino destruir y vulgarizar el Principio Divino, al cual no se puede someter a ningún tipo de discusión, y mucho menos ser puesto en duda por parte del hombre prometeico y racionalista moderno, quien trata de sustituir las grandes verdades de la Tradición por la falsa omnipotencia de la razón y la ciencia. Zaratustra fue un reformador y el contexto de su discurso era fundamentalmente religioso, con un afán claramente proselitista, algo es propio de las religiones del «fin de los tiempos», del Kali-Yuga, donde la formulación de aspectos personales y relacionados con la salvación tendrían una importancia decisiva frente a los mencionados aspectos de Trascendencia, de Verdades eternas o perennidad.
 

Quelques remarques sur la « French Theory »

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Quelques remarques sur la « French Theory »

par Robert Steuckers

bousquet.jpgOn me demande souvent quelle est ma position face à ce que le monde académique américain appelle la « French Theory ». Elle peut paraître ambigüe. En tous les cas de figure, elle ne correspond pas à celle qu’ont adoptée des personnalités que les maniaques de l’étiquetage placent à mes côtés, à mon corps défendant. Récemment, un théoricien néo-droitiste ou plutôt néo-néo-droitiste, François Bousquet, a rédigé un opuscule pamphlétaire dirigé contre les effets idéologiques contemporains de l’idéologie que Michel Foucault a voulu promouvoir par ses multiples happenings et farces contestatrices des ordres établis, par ses ouvertures à toutes les marginalités, surtout les plus farfelues. A première vue, le camarade néo-droitiste Bousquet, qui a accroché son wagonnet au « canal historique » de cette mouvance, a bien raison de fustiger ce carnaval parisien, vieux désormais de trois ou quatre décennies (*). Le festivisme, critiqué magistralement par Philippe Muray avant son décès hélas prématuré, est un dispositif fondamentalement anti-politique qui oblitère le bon fonctionnement de toute Cité, handicape son déploiement optimal sur la scène mondiale : dans ce contexte absurde, on n’a jamais autant parlé de « citoyenneté », alors que le festivisme détruit la notion même de « civis » de romaine mémoire. La France, depuis Sarközy et plus encore depuis le début du quinquennat de Hollande, est désormais paralysée par diverses forces délétères dont les avatars plus ou moins bouffons de ce festivisme post-foucaldien se taillent une large part.

Le paysage intellectuel français est envahi par cette luxuriance inféconde, ce qui déborde, via les relais médiatiques, dans la vie quotidienne de chaque « citoyen », distrait de sa nature de zoon politikon au profit d’un histrionisme ravageur. L’interprétation anti-foucaldienne de Bousquet peut donc s’avérer légitime quand on pose le diagnostic d’une France gangrénée par diverses forces pernicieuses dont ce festivisme inauguré par les foucaldiens avant et après la mort de leur gourou.

Cependant, une autre approche est parfaitement possible. L’Occident, que j’ai toujours défini comme un ensemble idéologique et politique négatif et vecteur de déclin, est constitué d’un complexe touffu de dispositifs de contrôle installés par des pouvoirs malsains se réclamant notamment de Descartes et surtout de Locke. Aujourd’hui, ces dispositifs cartésiens/lockiens, occidentaux au sens négatif du terme (notamment pour les penseurs russes), sont critiqués par une figure actuelle de la gauche américaine comme Matthew B. Crawford. Cet auteur est à la base un philosophe universitaire qui a rejeté ces dispositifs idéologico-philosophiques abscons et déréalisants pour devenir l’entrepreneur d’un bel atelier de réparation de motos. Il explique son choix : c’est une lecture approfondie de Heidegger qui l’a amené au rejet définitif de cet appareil philosophico-politique occidental, expression sans doute de ce que le philosophe de la Forêt Noire nommait la « métaphysique occidentale ». Heidegger, pour Crawford, est le philosophe allemand qui a essayé d’infléchir la philosophie en direction de la concrétude, de la substance palpable, après avoir constaté que la philosophie occidentale débouchait dans un cul-de-sac, sans espoir d’en sortir.

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Crawford, comme Foucault, est donc un heideggerien cherchant à retrouver la concrétude derrière le fatras idéologique occidental. Crawford et Foucault constatent, suite à une lecture attentive des écrits de leur maître souabe, que Locke, figure emblématique de la pensée anglo-saxonne et, par suite, de la pensée politique dominante dans toute l’américanosphère, rejetait la réalité dans tous ses aspects comme un médiocre ensemble de trivialités. Cette position de Locke, père fondateur d’un libéralisme aujourd’hui dominant sur la planète, conduit à considérer tout contact avec les réalités concrètes, tangibles et substantielles comme non philosophique voire anti-philosophique, donc comme une démarche dépourvue d’importance voire grosse de perversités à oublier ou à refouler.

Foucault, avant Crawford, avait souligné la nécessité de se débarrasser de cet appareil conceptuel oppresseur bien qu’en lévitation perpétuelle, cherchant délibérément à rompre tout contact avec le réel, à détacher hommes et peuples de tout ressourcement dans la concrétude. Dans ses premiers écrits, que Bousquet ne cite pas, Foucault a montré que les dispositifs de pouvoir inaugurés par les Lumières du 18ème siècle ne constituent nullement un mouvement de libération, comme le veulent les propagandes occidentales, mais, au contraire, un mouvement subtil de mise au pas des hommes et des âmes destiné à dresser l’humanité, à l’aligner sur des schémas rigides et à l’homogénéiser. Dans cette optique, Foucault constatait que, pour la modernité des Lumières, l’hétérogénéité, constitutive du monde, soit les innombrables différences entre peuples, religions, cultures, « patterns » sociaux ou ethniques, devait irrémédiablement disparaître. Claude Lévi-Strauss, pour sa part, en tant que philosophe et ethnologue, avait plaidé pour le maintien de tous les schèmes ethno-sociaux afin de sauver l’hétérogénéité du genre humain parce que c’était justement cette hétérogénéité qui permettait à l’homme de pouvoir poser des choix, d’opter, le cas échéant, pour d’autres modèles si les siens, ceux de ses héritages, venaient à faillir, à s’affaiblir, à ne plus s’avérer capables de faire front dans les combats pour la vie. L’option de Lévi-Strauss était donc ethnopluraliste.

Foucault, lui, a choisi une autre voie pour échapper, croyait-il, à l’emprise des dispositifs inaugurés par les Lumières et visant l’homogénéisation totale et complète de l’humanité, toutes races, ethnies et cultures confondues. Pour Foucault, interprète audacieux de la philosophie de Nietzsche, l’homme, en tant qu’individu, devait « se sculpter soi-même », faire de sa personne une nouvelle sculpture au hasard de ses caprices et de ses désirs, en combinant autant d’éléments possibles, choisis arbitrairement pour changer son donné physique et sexuel, comme le suggèreront en force, et jusqu’à la folie, les théories du genre après lui. C’est cette interprétation-là du message nietzschéen que Bousquet, dans son nouveau pamphlet néo-droitiste, a fustigée copieusement. Mais, indépendamment de cette audace polissonne de Foucault et de tous les foucaldiens qui l’ont suivi, la pensée de Foucault est également nietzschéenne et heideggerienne quand elle entend susciter une méthode « généalogique et archéologique » pour en arriver à comprendre le processus d’émergence de notre cadre civilisationnel occidental, aujourd’hui rigidifié.

akm-mf.gifJe pense que Bousquet aurait dû tenir compte de plusieurs refus de Foucault pour ne pas demeurer au stade du pur prurit pamphlétaire : la critique foucaldienne de l’homogénéisation des Lumières et du rejet lockien du réel comme insuffisance indigne de l’intérêt du philosophe (cf. Crawford), la double méthode archéologique et généalogique (que la philosophe française Angèle Kremer-Marietti avait mise en exergue jadis dans un des premiers ouvrages consacrés à Foucault). En ne tenant pas compte de ces aspects positifs et féconds de la pensée de Foucault, Bousquet fait courir un risque à son landernau néo-droitiste parisien, celui de réintroduire en son maigre sein une rigidité conceptuelle dans les stratégies métapolitiques alternatives qu’il entend déployer. L’anti-foucaldisme de Bousquet a certes ses raisons mais il me paraît inopportun d’opposer de nouvelles rigidités à l’apparatus actuel constitué par les nuisances idéologiques dominantes. Foucault demeure, en dépit de ses multiples giries, un maître qui nous apprend à comprendre les aspects oppresseurs de la modernité issue des Lumières. La faillite des établissements politiques inspirés par le fatras lockien conduit aujourd’hui les tenants de ce bataclan démonétisé à faire appel à la répression contre tous ceux qui, pour paraphraser Crawford, feraient mine de vouloir retourner à un réel concret et substantiel. Ils tombent le masque que Foucault avait, après Nietzsche, essayé de leur arracher. La modernité est donc bel et bien un éventail de dispositifs oppresseurs : elle peut dissimuler cette nature foncière tant qu’elle tient un pouvoir qui fonctionne vaille que vaille. Cette nature revient au galop quand ce pouvoir commence à crouler.

Le festivisme des post-foucaldiens n’a finalement été qu’un fin peinturlurage pour donner du bois de rallonge aux établissements « lockiens ». A ce titre, Crawford est, dans le contexte contemporain, plus pertinent et plus compréhensible que Foucault quand il explique comment les pensées soi-disant libératrices des lockiens ont éloigné l’homme du réel, jugé imparfait et mal agencé. Ce réel, par sa lourde présence, handicape la raison, pensait Locke, et mène les hommes à l’absurde. Nous avant là, anticipativement, et sur un plan philosophique apparemment raisonnable et décent, le réflexe défensif et agressif de l’établissement actuel face à diverses réactions dites « populistes », ancrées dans le réel de la vie quotidienne. Ce réel et ce quotidien se rebiffent contre une pensée politique imposée et anti-réaliste, niant les ressorts du « réel réellement existant », du « réel sans double (imaginaire) » (Clément Rosset). La pensée politique dominante et les appareils juridiques sont lockiens, nous dira Crawford, dans la mesure où le réel, où toute concrétude, toute tangibilité, sont posés derechef comme imparfaits, insuffisants, absurdes. Les tenants de ces postures arrogantes sont dans le déni, le déni de tout. Et ce déni absolu finira par basculer dans le répressif ou par sombrer dans le ridicule ou dans les deux à la fois, le temps d’une apothéose bouffonne, grimaçante. En France, le trio Cazeneuve, Valls et Hollande, et le cortège des femelles qui tournoient autour d’eux en donne déjà un avant-goût sinon une illustration. 

mf-th-inst-pen.jpgFoucault avait découvert que toutes les formes de droit instaurées depuis le 17ème siècle français (cf. son livre intitulé « Théories et institutions pénales ») étaient répressives. Elles avaient abandonné un droit, d’origine franque et germanique, qui était, lui, véritablement libertaire et populaire, pour le troquer contre un appareillage juridique et judiciaire violent en son essence, anti-réaliste, hostile au « réel réellement existant » qu’est par exemple la populité. Le comportement de certains juges français face aux réactions populaires, réalitaires et acceptantes, ou face à des écrits jugés incompatibles avec les postures rigides dérivées de l’antiréalisme foncier des fausses pensées des 17ème et 18ème siècles, est symptomatique de la nature intrinsèquement répressive de cet ensemble établi, de ce faux libertarisme et révolutionnisme désormais rigidifiés parce qu’institutionalisés.

Nous pourrions donc percevoir la « French Theory », et ses aspects dérivés de la pensée de Foucault (en ses différents aspects successifs), non comme un vaste instrumentarium visant à recréer arbitrairement l’homme et la société, tels qu’ils n’ont jamais été auparavant dans l’histoire et dans la phylogénèse, mais, au contraire, comme une panoplie d’outils pour nous débarrasser du fardeau que Heidegger désignait comme des « constructions métaphysiques » faillies qui oblitèrent désormais lourdement la vie réelle, le donné vital des peuples et des individualités humaines. Nous devons nous doter d’instruments conceptuels pour critiquer et rejeter les dispositifs oppresseurs et homogénéisants de la modernité occidentale (lockienne), qui ont conduit les sociétés de l’américanosphère dans l’absurdité et le déclin. De plus, un rejet cohérent et philosophiquement bien charpenté des appareils issus des Lumières implique de ne pas inventer un homme soi-disant nouveau et fabriqué (sculpté, dirait Foucault dans ce qu’il faut bien nommer ses délires…).

slotleben.jpgL’anthropologie de la révolte contre les dispositifs oppresseurs qui se donnent le masque de la liberté et de l’émancipation pose un homme différent de cet homme séraphinisé des lockiens secs et atrabilaires ou modelé selon les fantaisies hurluberluesques du Foucault délirant des années 70 et 80.  La voie à suivre est celle d’une retour/recours à ce que des penseurs comme Julius Evola ou Frithjof Schuon appelaient la Tradition. Les voies pour modeler l’homme, pour le hisser hors de sa condition misérable, tissée de déréliction, sans toutefois le chasser du réel et des frictions permanentes qu’il impose (Clausewitz), ont déjà été tracées, probablement aux « périodes axiales » de l’histoire (Karl Jaspers). Ces voies traditionnelles visent à donner aux meilleurs des hommes une épine dorsale solide, à leur octroyer un centre (Schuon). Les ascèses spirituelles existent (et n’imposent pas nécessairement le dolorisme ou l’auto-flagellation). Les « exercices » suggérés par ces traditions doivent impérativement être redécouverts, comme d’ailleurs le philosophe allemand Peter Sloterdijk vient récemment de le préconiser. De fait, Sloterdijk exhorte ses contemporains à redécouvrir les « exercices » d’antan pour se discipliner l’esprit et pour se réorienter dans le monde, afin d’échapper aux impasses de la fausse anthropologie des Lumières et de leurs piètres avatars idéologiques des 19ème et 20ème siècles.

Les « Gender Studies » et les gesticulations post-foucaldiennes sont également des impasses, des échecs : elles ont annoncé notre « kali yuga », imaginé par l’antique Inde védique, époque de déliquescence avancée où hommes et femmes se conduisent comme les bandarlogs du « Livre de la Jungle » de Kipling.  Un retour à ces traditions et ces exercices, sous le triple patronage d’Evola, Schuon et Sloterdijk, signifierait mettre une parenthèse définitive aux expériences bizarres et ridicules qui ont conduit l’Occident à son déclin actuel, qui ont amené les Occidentaux à déchoir profondément, à devenir des bandarlogs.

Robert Steuckers,

Bruxelles-Ville, juin 2016. 

(*) Le problème de Bousquet, c’est qu’il fustige ce carnaval grand format au départ d’un cénacle tout aussi carnavalesque, mini-format, où des figures à la Jérôme Bosch s’agitent et se trémoussent.    

La culture postmoderne

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Pierre Le Vigan

La culture postmoderne

La culture a changé. D’où bien des malentendus. Y a-t-il baisse ou non du niveau culturel, éducatif, scolaire ? Le sens de ces mots a changé de sens. Sommes-nous plus égaux qu’avant face à l’accès à la culture ? Le « culturel » n’a-t-il pas remplacé la culture ? La réponse à ces questions dépend de l’idée qu’il y aurait ou non une culture postmoderne, différente de la culture « traditionnelle », qui incluait pourtant la culture moderne. Pour y voir plus clair, une petite enquête s’impose autour de la notion de postmodernité.

Par culture postmoderne, on définit une pratique culturelle désinvestie des idéologies et des grands récits : communisme, socialisme, christianisme, etc.  La culture postmoderne n’est plus « en surplomb ».

Tout a changé. La modernité, c’était le chemin vers le progrès. Demain sera mieux qu’hier. Les postmodernes (qui sont moins de grands intellectuels que des concepteurs, des « créatifs ») disent simplement : demain sera un autre présent et seul le présent compte. Les modernes croyaient à la hiérarchie des savoirs : apprendre plus amenait à mieux comprendre le monde et à aller vers le bien, vers les Lumières, cette  philosophie à la fois allemande, française et anglaise qui avait amené au XVIIIe siècle à remettre en cause les régimes de droit divin et à mettre « la Raison » au pouvoir – et au pouvoir aussi la bourgeoisie qui portait cette valeur.

Les postmodernes n’ont, au contraire, pas de message à délivrer, ils ne croient pas que plus de sciences permettra de mieux comprendre le monde et de l’améliorer. Comprendre ne sert, pour eux, qu’à utiliser les nouvelles techniques. Ils ne croient pas au grand changement de société puisque tout est changements au pluriel, puisque tout « bouge »… et que tous zappent. Les postmodernes ont leur sport : la « glisse » plutôt que la boxe. Ils ont leur style : la latéralité plus que l’affrontement.

Culture de l’hédonisme

Chaque évolution culturelle a une histoire. Comment en est-on arrivé là ? A partir des années 60, le modèle sociétal et familial a cessé d’être autoritaire et vertical, du haut vers le bas, pour devenir horizontal. Pour le dire autrement, le père devient un « papa-grand copain », un « copain (presque) comme les autres ». Une culture de l’hédonisme  a pris le pas sur une culture du devoir.

Jean-François Lyotard est un des premiers à avoir analysé ce phénomène. Les postmodernes ne croient plus aux idéologies. Mais ils croient à d’autres choses, à des « valeurs ». Ce sont la tolérance, la liberté d’être soi, le droit à la différence. Dans presque tous les domaines, c’est la mode qui définit la postmodernité. Seul le présent a de la valeur. « La postmodernité est l’état social démocratique recyclé par la logique de la mode.  Pas la logique du vêtement mais un processus se déployant autour de trois pôles : la logique de l’éphémère et du renouvellement constant, la logique de la séduction, enfin la logique des différenciations marginales », écrit Gilles Lipovetsky.

De là s’instaure une dialectique. Le totalitarisme du présent, ou encore la dictature du présent, partout uniformise le monde (on pleure tous en même temps Michael Jackson), mais, en parallèle, la société se divise en de multiples strates ou « tribus » musicales, vestimentaires, sexuelles, etc. Il se déroule un processus de fragmentation identitaire : chacun veut affirmer son « soi ». C’est pourquoi la seule idéologie de la postmodernité ne peut être que la tolérance ou encore les droits de l’homme.

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Il arrive toutefois que la postmodernité se combine à l’ancienne modernité. Par exemple dans l’entreprise. Le culte moderne de la performance s’allie à des valeurs postmodernes : l’épanouissement, le « fun », l’écoute de l’autre. La plupart des entreprises créent des cellules « anti-stress » même si, bien entendu, dans une société du spectacle, il a fallu quelques suicides pour en arriver là. Mais c’est un signe de la postmodernité que cette prise en compte des souffrances psychiques, ignorées dans la logique purement moderne basée sur le « il ne faut pas s’écouter », « il faut tenir le coup », voire « ceux qui craquent ne sont pas de vrais hommes », etc. Deux logiques, deux mondes. Mais pourtant, l’objectif reste celui de la modernité : l’efficacité économique, la performance, l’adaptabilité compétitive.

Chacun pour soi ou le tribalisme postmoderne

Fragmentation identitaire, fin des idéaux fédérateurs, apologie de la recherche de soi, narcissisme, hédonisme, tout concorde pour décrire un nouvel âge de l’individualisme, fondé, non plus seulement sur la compétition dans le domaine du travail, mais sur l’expression de soi. Les moyens modernes, internet, télévision câblée offrant un choix de programmes presque illimité, téléphone portable y contribuent. Chacun peut être soi et être le plus singulier possible. De moins en moins de choses sont partagées par tous : il est loin le temps où chacun, le lundi matin, parlait du « film du dimanche soir ».

*

Le commerce produit la société la plus conforme aux besoins de l’expansion du commerce.  L’objectif est-il d’être soi, tout seul ? Assistons-nous au triomphe de la solitude ? Pas vraiment. C’est pourquoi a été développée la thèse d’un « temps des tribus » et d’une sortie de l’individualisme.

creux.gifAvec l’objectif affiché de « cesser de haïr le présent », le sociologue Michel Maffesoli fait à beaucoup d’égards l’apologie de ce présent. La diffusion d’un film amateur de téléphone portable sur Internet ? C’est de l’information au même titre qu’un article du journal Le Monde. C’est même la marque de la démocratisation de l’information puisque celle-ci devient en quelque sorte immanente à la société. « La culture, ce n’est pas uniquement les œuvres de la culture et pas simplement les musées, la musique de concert, etc., mais c’est la musique de tous les jours, c’est ce que j’ai appelé dans un de mes livres (Au creux des apparences, 1990) – “l’esthétisation de la vie quotidienne”. Et je crois que le mot “esthétique” est quand même l’élément essentiel de cet Actuel, de ce Quotidien »[1]. Ainsi parle Mafffesoli.

Ces nouvelles pratiques conviviales conduiraient à dire que le temps de l’individualisme est dépassé. De nouveaux regroupements communautaires auraient succédé au temps de l’individu. Telle serait la marque de la postmodernité, succédant à la modernité « progressiste, autoritaire, performative ». C’est la thèse que défend inlassablement Michel Maffesoli,  depuis Le temps des tribus, le déclin de l'individualisme dans les sociétés de masse (Méridiens Klincksieck, 1988). Mais l’objectif n’est ni de haïr le présent ni d’en faire l’apologie. Il est de le comprendre, et de nous comprendre dans ce présent.

Bien entendu, l’intérêt pour le quotidien, les choses proches (la proxémie) est la chair même de la sociologie. On peut pourtant s’y intéresser sans considérer que les réflexions sur la perte de ce qui fait une société et un peuple ne sont que des lamentations. Or, le « vivre-ensemble » complet, c’est-à-dire celui qui fait un peuple, n’est pas seulement la proxémie, c’est aussi la transmission, et le sens des hiérarchies, par exemple dans le domaine artistique. Poussons la logique du vivre ensemble jusqu’au bout. Cette logique c’est que nous ne pouvons pas vivre avec n’importe qui, et que le vrai vivre ensemble est exigeant, ce sont les exigences qui font un peuple qui veut rester un peuple. Ce sont les exigences d’un peuple qui n’admet pas ce qui le détruit.

*

La thèse du passage de l’individualisme moderne au tribalisme postmoderne est sujette à caution. Dés lors que l’adhésion aux « tribus » est temporaire, réversible et peut être plurielle (on adhère à plusieurs tribus à la fois), elle n’est pas plus porteuse de sens et d’appartenance que les autres logiques de consommation, par définition éphémères. Selon Gilles Lipovetsky, prenant le contrepied de Michel Maffesoli, nous restons dans l’individualisme, « ce qui n’a jamais signifié la fin de toute forme d’appartenance collective mais le principe d’autonomie y compris dans les appartenances de groupe. »[2]

Il y a la culture et le « culturel »

Décrire le présent sans réfléchir au sens des mutations n’avance pas à grand-chose. Ainsi, la suppression des hiérarchies dans le domaine artistique n’est pas neutre. A partir du moment où exposer un perroquet vivant est considéré comme une œuvre d’art au même titre qu’un Corot, comment faire prendre au sérieux l’éducation artistique, et d’ailleurs l’éducation tout court ?

Evidemment, hiérarchie ne veut pas dire exclusion : on peut aimer Alain Souchon sans pour autant perdre de vue que ce n’est peut-être pas aussi important dans l’histoire de la musique que Bizet, Rameau  ou Miles Davis. Une autre conséquence du choix de la non-hiérarchie entre les différentes pratiques culturelles est la fin de la valeur de la transmission. Si jouer avec une playstation ou faire des tags est aussi culturel que dessiner dans un atelier d’artistes, apprendre l’histoire de la musique, ou jouer du violon, ou apprendre la sculpture, à quoi bon respecter ceux qui ont appris, ceux qui se sont donnés du mal  pour produire une œuvre aboutie ? C’est la dévalorisation de l’effort et du travail.

C’est le règne de « l’ingratitude » dont parle Alain Finkielkraut, c'est-à-dire que l’on ne doit rien à ceux qui nous ont précédé dans l’apprentissage des savoirs. Il n’y a plus de maître. Tout vaut tout. L’apprenti vaut le vieux compagnon.

Y a-t-il par contre des aspects positifs de la postmodernité ? Très certainement. Il est fort bon que chacun puisse se laisser aller à voir une exposition sans connaitre l’histoire de l’art. Cela peut venir ensuite. Il est fort bon que chacun puisse se lancer dans la photo sans avoir une culture technique dans ce domaine dés le départ. Cela peut venir après. Disons plus précisément : cela doit venir après. Et c’est là toute la différence entre l’éducation populaire et le zapping culturel.

PLV

http://la-barque-d-or.centerblog.net/

labarquedor@gmail.com

Pour aller plus loin:

Jean-François Lyotard, Le postmoderne expliqué aux enfants, Galilée et Le Livre de poche, 1988. Voir aussi du même auteur La condition postmoderne, Minuit, 1979).

Gilles Lipovetsky, L'Ere du vide. Essais sur l'individualisme contemporain, Gallimard, 1983 et Livre de poche, 1989.

Michel Maffesoli, Le temps des tribus. Le déclin de l’individualisme dans les sociétés postmodernes, Klincksieck, 1988 et Livre de poche, 1991 ; La part du diable. Précis de subversion postmoderne, Flammarion, 1982 ; Le temps revient. Formes élémentaires de la postmodernité, Desclée de Brouwer, 2010. Aussi stimulant que discutable.

Philippe Muray, Festivus Festivus, conversations avec Elisabeth Lévy, Fayard, 2005, L’Empire du bien, Belles Lettres, 1991. « Je n'ai pas cherché à donner un tableau de notre société. J'ai fait l'analyse de l'éloge qui en est fait. »

Notes:

[1] entretien au site Internet « Sens Public », le 19 février 2006.

[2] Entretien en postface à Nicolas Riou, Pub fiction, Editions d’organisation, 1999.

Le clivage droite/gauche est-il mort?

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Le clivage droite/gauche est-il mort?

Entretien avec Arnaud Imatz

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

(Figaro Vox, 4 septembre 2016)

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

AIm-1.jpgEmmanuel Macron a présenté sa démission à François Hollande, qui l'a acceptée. L'ancien ministre de l'économie va se consacrer à son mouvement «En marche» et préparer une éventuelle candidature à la présidentielle. Il entend dépasser le clivage droite/gauche. Est-ce le début de la fin de ce que vous appelez une «mystification antidémocratique»?

À l'évidence Monsieur Macron a des atouts dans son jeu. Il est jeune, intelligent, il apprend vite et il n'est pas dépourvu de charisme et de charme. Il a en outre eu la bonne idée de créer une petite structure, En Marche ce que n'avait pas pu, su, ou voulu faire en son temps Dominique de Villepin. Mais si un «mouvement» ou -pour être plus exact - une simple association de notables peut jouer un rôle de parti charnière, et in fine obtenir un ou deux portefeuilles ministériels, je ne crois pas qu'elle puisse suffire pour positionner sérieusement un leader comme candidat crédible à la présidentielle de 2017. Sous la Ve République, seuls les chefs de grands partis, ceux qui en contrôlent les rouages, ont des chances de succès. On voit mal comment dans un parti socialiste aux mains de vieux éléphants un consensus pourrait se dégager spontanément autour de quelqu'un dont le style et les idées ne sont appréciés ni des barons, ni de la majorité des militants. Mais en politique il ne faut exclure aucune hypothèse. Macron est un politicien, sinon chevronné, du moins déjà expérimenté. Il connaît très bien la magie des mots. Il a dit et laisser dire qu'il souhaitait dépasser le clivage droite/gauche et qu'il n'était pas socialiste (après tout il semble qu'il ne l'ait été, comme membre du Parti socialiste, que de 2006 à 2009… à l'époque où il était encore banquier d'affaires). Il s'est réclamé récemment de Jeanne d'Arc flattant à peu de frais un certain électorat de droite toujours sensible aux envolées lyriques devant un des symboles de la nation. Le jour de sa démission, il a précisé qu'il n'avait jamais dit qu'il était «ni de droite, ni de gauche», ce qui d'ailleurs ne lui a rien coûté car cette double négation ne veut pas dire grand-chose. Sans doute eût-il été plus honnête et plus correct d'affirmer devant les français: «je ne suis pas simultanément de droite et de gauche». Cela dit, il s'est aussi déclaré dans le camp des progressistes contre celui des conservateurs. J'imagine sans peine que forcé de nous expliquer ce que sont pour lui les progressistes et les conservateurs, il ne manquerait pas de nous asséner quelques lieux-communs sur les prétendus partisans du progrès, de la raison, de la science, de la liberté, de l'égalité et de la fraternité face aux immobilistes, aux réactionnaires et aux populistes. Je dirai que Macron est un énième remake de Tony Blair, Bill Clinton et Gerhard Schröder. N'oublions pas que ces vedettes politiques de l'époque cherchaient à s'approprier, par-delà les clivages de droite et de gauche, la capacité de mobilisation de la «troisième voie».

Le système des primaires est-il un moyen de faire perdurer cette «mystification»?

Oui! bien évidemment. Il y a en fait une double mystification antidémocratique. Il y a d'abord celle de la division droite / gauche, à laquelle je me réfère dans mon livre. C'est celle que José Ortega y Gasset qualifiait de «formes d'hémiplégie morale» dans La révolte des masses déjà en 1929. C'est aussi celle dont Raymond Aron disait qu'elle reposait sur des «concepts équivoques» dans L'opium des intellectuels en 1955 (Je fais d'ailleurs un clin d'œil admiratif à son œuvre dans l'intitulé de mon livre). Cette dichotomie a été également dénoncée ou critiquée par de nombreuses figures intellectuelles aussi différentes que Simone Weil, Castoriadis, Lasch, Baudrillard ou Gauchet et, elle l'a été plus récemment par une kyrielle d'auteurs. Mais il y a aussi une seconde mystification antidémocratique qui affecte directement les partis politiques. Ce sont les leaders et non les militants qui se disputent le pouvoir. À l'intérieur des partis la démocratie est résiduelle, elle exclut la violence physique mais pas la violence morale, la compétition déloyale, frauduleuse ou restreinte. Il y a bien sûr des partis plus ou moins démocratiques qui parviennent à mitiger et à contrôler les effets de leur oligarchie mais s'ils existaient en France, en ce début du XXIe siècle, je crois que ça se saurait.

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L'opposition droite/gauche peut-elle vraiment se résumer à un «mythe incapacitant»? Comme le souligne Denis Tillinac, ces deux courants ne sont-ils pas, malgré tout, irrigués par un imaginaire puissant dans lequel les électeurs se reconnaissent?

Il ne s'agit pas d'essences inaltérables. Je ne crois pas qu'il y ait «des valeurs permanentes de droite» et des «principes immortels de gauche». Il n'y a pas d'opposition intangible entre deux types de tempéraments, de caractères ou de sensibilités. Il n'y a pas de définitions intemporelles de la droite et de la gauche. Denis Tillinac nous parle de deux courants qui seraient «irrigués par un imaginaire puissant». Mais un imaginaire forgé par qui? Par les Hussards noirs de la République et les Congrégations religieuses? Et depuis quand? Depuis 1870, depuis1900 voire depuis 1930 nous répondent les historiens.

Je n'ignore pas bien sûr le point de vue des traditionalistes. Je sais que pour les traditionalistes être de droite ce n'est pas une attitude politique mais une attitude métaphysique. Je sais qu'ils considèrent que la gauche s'acharne à réduire l'homme à sa mesure sociale et économique. Que pour eux la droite et la gauche sont caractérisées par deux positions métaphysiques opposées: la transcendance et l'immanence. Ils sont les défenseurs d'une droite idéale, sublime, transcendantale ou apothéotique, celle que les partisans de la religion républicaine, d'essence totalitaire, Robespierre et Peillon, vouent perpétuellement aux gémonies.

Pour ma part, en me situant sur les plans politique, sociologique et historique, je constate que les chassés croisés idéologiques ont été multiples et permanents. Je peux citer ici le nationalisme, le patriotisme, le colonialisme, l'impérialisme, le racisme, l'antisémitisme, l'antichristianisme, l'antiparlementarisme, l'anticapitalisme, le centralisme, le régionalisme, l'autonomisme, le séparatisme, l'écologisme, l'américanophilie/américanophobie, l'europhilie/europhobie, la critique du modèle occidental, l'alliance avec le tiers-monde et avec la Russie, et bien d'autres exemples marquants, qui tous échappent à l'obsédant débat droite/gauche. Il suffit de s'intéresser un minimum à l'histoire des idées pour se rendre compte très vite que les droites et les gauches ont été tour à tour universalistes ou particularistes, mondialistes ou patriotiques, libre-échangistes ou protectionnistes, capitalistes ou anticapitalistes, centralistes ou fédéralistes, individualistes ou organicistes, positivistes, agnostiques et athées ou théistes et chrétiennes. Un imaginaire puissant dans lequel les électeurs se reconnaissent? Non! je dirais plutôt, avec le marxologue Costanzo Preve, que ce clivage est «une prothèse artificielle».

Selon vous, un nouveau clivage politique oppose désormais le local au mondial, les enracinés aux mondialisés…

J'avoue que la lecture de la philosophe Simone Weil m'a profondément marqué dans ma jeunesse. Elle a su brillamment démontrer que la dyade vecteur du déracinement / soutien de l'enracinement, explique la rencontre durable ou éphémère entre, d'une part, des révolutionnaires, des réformistes et des conservateurs, qui veulent transformer la société de manière que tous ouvriers, agriculteurs, chômeurs et bourgeois puissent y avoir des racines et, d'autre part, des révolutionnaires, des réformistes et des conservateurs qui contribuent à accélérer le processus de désintégration du tissu social. Elle est incontestablement une «précurseuse». Depuis le tournant du XXIe siècle nous assistons en effet à une véritable lutte sans merci entre deux traditions culturelles occidentales: l'une, est celle de l'humanisme civique ou de la République vertueuse ; l'autre, est celle du droit naturel sécularisé de la liberté strictement négative entendue comme le domaine dans lequel l'homme peut agir sans être gêné par les autres. L'une revendique le bien commun, l'enracinement, la cohérence identitaire, la souveraineté populaire, l'émancipation des peuples et la création d'un monde multipolaire ; l'autre célèbre l'humanisme individualiste, l'hédonisme matérialiste, le «bougisme», le changement perpétuel, l'homogénéisation consumériste et mercantiliste, l'État managérial et la gouvernance mondiale sous la bannière du multiculturalisme et du productivisme néocapitaliste.

Le général De Gaulle savait qu'on ne peut pas défendre réellement le bien commun la liberté et l'intérêt du peuple, sans défendre simultanément la souveraineté, l'identité et l'indépendance politique, économique et culturelle. Passion pour la grandeur de la nation, résistance à l'hégémonie américaine, éloge de l'héritage européen, revendication de l'Europe des nations (l'axe Paris-Berlin-Moscou), préoccupation pour la justice sociale, aspiration à l'unité nationale, démocratie directe, antiparlementarisme, national-populisme, ordo-libéralisme, planification indicative, aide au Tiers-monde, telle est l'essence du meilleur gaullisme. Où voyez-vous les gaullistes aujourd'hui? Henri Guaino? qui est peut être l'héritier le plus honnête? Mais combien de couleuvres a déjà avalé l'auteur des principaux discours du quinquennat de «Sarko l'Américain»?

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La chute du mur de Berlin a-t-elle mis fin à ce clivage?

Souvenez-vous de ce que disait le philosophe Augusto del Noce peu de temps avant la chute du mur de Berlin: «le marxisme est mort à l'Est parce que d'une certaine façon il s'est réalisé à l'Ouest». Il relevait de troublantes similitudes entre le socialisme marxiste et le néo-libéralisme sous sa double forme sociale-libérale et libérale-sociale, et citait comme traits communs: le matérialisme et l'athéisme radical, qui ne se pose même plus le problème de Dieu, la non-appartenance universelle, le déracinement et l'érosion des identités collectives, le primat de la praxis et la mort de la philosophie, la domination de la production, l'économisme, la manipulation universelle de la nature, l'égalitarisme et la réduction de l'homme au rang de moyen. Pour Del Noce l'Occident avait tout réalisé du marxisme, sauf l'espérance messianique. Il concluait à la fin des années 1990 en disant que ce cycle historique est en voie d'épuisement, que le processus est enfin devenu réversible et qu'il est désormais possible de le combattre efficacement. Je me refuse à croire que la décomposition actuelle nous conduit seulement à la violence nihiliste. Je crois et j'espère qu'elle est le signe avant-coureur du terrible passage qu'il nous faudra traverser avant de sortir de notre dormition.

Arnaud Imatz, propos recueillis par Alexandre Devecchio (Figaro Vox, 4 septembre 2016)

mercredi, 07 septembre 2016

Angela Merkel vacille au Mecklembourg-Poméranie occidentale

Lors des élections pour le Parlement du Land de Mecklembourg-Poméranie occidentale de ce 4 septembre 2016, la CDU d’Angela Merkel arrive en troisième position avec 19 % des voix. Le Parti social-démocrate SPD est premier avec 30,6 % et le parti patriotique AfD (Alternative pour l’Allemagne), nouveau venu, obtient 20,8 % des voix. Les post-communistes de Die Linke sont quatrième avec 13,2 %.

Les deux faits remarquables de ce scrutin sont que l’AfD dépasse la CDU et que l’AfD obtient trois mandats directs.

Mandats directs

Les électeurs allemands disposent de deux voix. La première est accordée lors d’un scrutin majoritaire uninominal à un tour et la deuxième lors d’un scrutin de listes au niveau de l’ensemble du Land. Au sein de trois des 36 circonscriptions du Land de Mecklembourg-Poméranie, l’AfD est arrivée première malgré la présence du parti ultranationaliste NPD qui y a obtenu de bons résultats.

Une région peu prospère

Le Mecklembourg-Poméranie occidentale est un des seize Länder (États) de la République Fédérale d’Allemagne. Située dans l’est du pays sur la mer Baltique, cette très belle région attire des touristes, quasi-exclusivement allemands, en juin et juillet lorsque la météo y est clémente. Certaines années, le beau temps se fait attendre et les touristes, notamment berlinois, s’y font rares.

Durant la période de plus d’un quart de siècle qui nous sépare de la chute du communisme, le Mecklembourg-Poméranie a connu, à l’instar des autres régions de l’ancienne République Démocratique Allemande, des changements radicaux, appréciés diversement par les habitants.

Si l’afflux massif de capitaux venus de l’ouest a inondé l’Est à partir du début des années 1990, la population, qui a vu le niveau matériel de son existence s’améliorer, a dû faire face à un chômage de masse, phénomène inconnu sous le communisme, et à une modification complète de son cadre de vie. Après la réunification du pays en 1990, de nombreux travailleurs ont été contraints de partir vers l’ouest du pays afin d’y trouver un moyen d’existence.

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Si certaines zones de l’est de l’Allemagne, comme Dresde qui est la capitale du Land de Saxe, ont connu un fort développement économique au cours des dernières années, d’autres sont toujours lésées par la prospérité. Coupés de ses liens naturels avec la ville et le port de Stettin (Szczecin) devenus polonais à l’issue de la IIe Guerre mondiale, les villages et villes de l’est du Mecklembourg-Poméranie occidentale sont dans ce cas. Certaines habitations sont à l’abandon et les petites villes voient quelques-uns de leurs appartements rester vides. Le coût de l’immobilier y est relativement bas, alors que dans les métropoles du sud de l’Allemagne, telles Stuttgart et Munich, les logements sont hors de prix. C’est dans cette partie orientale du Mecklembourg-Poméranie occidentale que l’AfD obtient trois mandats directs.

La question des migrants

À côté de la faiblesse démographique et économique du Mecklembourg-Poméranie occidentale, la question de la migration a joué un rôle prépondérant lors de ce scrutin. En effet, l’afflux massif de migrants survenu en 2015 suite à l’ouverture des frontières par la Chancelière Angela Merkel a changé la structure des villes et villages de ce Land jusqu’alors non-peuplé d’étrangers. De plus, les actes de violences, attentats, agressions sexuelles et viols commis par les migrants à travers l’Allemagne, ainsi que les nombreuses agressions sexuelles dans les piscines, conduisent à un rejet de plus en plus profond, de la part d’une partie de la population, des migrants.

L’est, moins touché par la propagande du régime

Mais la différence principale entre ces zones économiquement modestes de l’est de l’Allemagne et l’ouest prospère du pays réside avant tout dans le fait que dans l’est du pays, le système actuel n’a pu mettre en place sa propagande de masse, via les médias et l’enseignement, que depuis un quart de siècle. Les personnes de plus de 45 ans n’ont pas été scolarisées sous le régime actuel.

Chez les marchands de journaux de l’est, il est courant de trouver une liasse d’exemplaires d’un quotidien communiste et, un peu dissimulée, une liasse d’exemplaires d’un journal nationaliste, alors que dans l’ouest du pays, ces organes de presse ne sont pas disponibles dans ce genre d’établissement.

Les habitants les plus âgés de l’est ont également l’habitude de la résistance à l’État. Ainsi, la ville de Dresde s’est rendue célèbre à travers le pays par les manifestations organisées par le mouvement anti-islamisation PEGIDA, qui a pu y attirer, certains lundis, plusieurs dizaines de milliers de personnes. La même organisation n’a pu rassembler dans les cités de l’ouest, telles que Munich, Nuremberg, Duisbourg ou Hanovre que quelques centaines de personnes. 

La circonscription d’Angela Merkel

La Chancelière d’Allemagne Angela Merkel a été élue député national en 2013 au sein d’une circonscription électorale située au Mecklembourg-Poméranie occidentale. Bien que la CDU arrive première dans la zone de cette circonscription, le parti est largement battu, tant par le SPD que par l’AfD, au niveau du Land Mecklembourg-Poméranie occidentale.

Qui a voté pour l’AfD ?

Les ouvriers et les chômeurs sont surreprésentés parmi les électeurs de l’AfD, ainsi que les hommes, les personnes ayant fait peu d’études, les individus d’âge moyen ainsi que les électeurs qui se sont abstenus lors du scrutin précédent. L’AfD est également allé pêcher parmi les électeurs des autres partis.

Qui siège au sein du nouveau Parlement ?

Les écologistes et les ultranationalistes du NPD ne siègent désormais plus au sein du Parlement et les libéraux-centristes du FDP n’y entrent pas. Quatre partis se partagent les 71 sièges : les sociaux-démocrates du SPD disposent de 26 sièges, les patriotes de l’AfD de 18 sièges, la CDU de 16 sièges et les post-communistes de Die Linke de 11 sièges.

Le prochain gouvernement du Land devrait être SPD-CDU, comme précédemment, ou SPD-die Linke, bien que cette dernière solution conduise le nouveau gouvernement à devoir s’appuyer sur une majorité très étroite.

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Conséquences du scrutin

Malgré cette raclée électorale au sein du Land de Mecklembourg-Poméranie qui compte seulement 2 % de la population allemande, Angela Merkel ne modifiera probablement pas fondamentalement sa politique migratoire. La contestation au sein de la CDU, même si elle existe, ne conduira pas à un soulèvement contre la chancelière car celle-ci a décapité depuis longtemps les poids lourds de l’aile conservatrice du parti.

Angela Merkel est, bien qu’elle ne l’ait pas annoncé officiellement, candidate à sa propre succession à l’issue des élections législatives de 2017. La défaite de son parti lors du scrutin au Mecklembourg-Poméranie ce 4 septembre 2016 la fragilise. Le parti-frère bavarois CSU, qui critique fortement la politique migratoire d’Angela Merkel, sort renforcé et pourrait bien vouloir imposer son dirigeant le Ministre-président de Bavière Horst Seehofer comme candidat de l’Union (CDU-CSU) à la Chancellerie.

La CSU, restant fidèle à la célèbre déclaration de sa figure de proue Franz Josef Strauß (1915-1988) « Il ne doit pas exister de parti démocratiquement légitimé à la droite de la CSU », ne peut que reprocher à Angela Merkel d’avoir, par son virage à gauche, ouvert une énorme brèche au sein de laquelle l’AfD a pu s’engouffrer. Ce parti siège désormais au sein des Länder suivants après avoir obtenu : 5,5 % à Brême, 6,1 % à Hambourg, 12,6 % en Rhénanie-Palatinat, 15,1 % au Bade-Wurtemberg, 10,6 % en Thuringe, 9,7 % en Saxe, 12,2 % en Brandebourg, 24,2 % en Saxe-Anhalt.

Le 18 septembre 2016 auront lieu les élections pour le Parlement du Land de Berlin et l’AfD devrait faire son entrée au sein de cette assemblée. Le parti patriotique siégera alors au sein de l’ensemble des parlements de l’est du pays.

Nieuwe ‘Wende’ in Duitsland nu Merkels CDU verslagen is door AfD?

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Nieuwe ‘Wende’ in Duitsland nu Merkels CDU verslagen is door AfD?

Oud CDU coryfee Willy Wimmer: Toekomstige grote coalitie CDU/CSU, SPD en Groenen zal Duitse rechtstaat en Duitse natie afschaffen


Wimmer: ‘Merkel had al in september vorig jaar moeten worden afgezet, nadat ze eigenhandig de Duitse rechtstaat ophief.’

Veel analisten in binnen- en buitenland zijn het er over eens dat de forse winst van de anti-immigratie vrijheidspartij Alternative für Deutschland gisteren bij de verkiezingen in de deelstaat Mecklenburg-Vorpommern een historisch moment is (1), en misschien zelfs wel een nieuwe ‘Wende’ betekent waarmee het Duitse volk opstaat tegen de heersende elite, die met massale moslimimmigratie probeert de oorspronkelijke Duitse cultuur en het Duitse volk uit te wissen. Dezelfde analisten denken overigens dat Merkel zich weinig zal aantrekken van het zware verlies in haar ‘thuisstaat’, en haar dictatoriale teugels over haar partij, en feitelijk over de hele politiek in Berlijn, nog strakker zal aantrekken.

De AfD schoot gisteren van 0 naar 20,8% van de stemmen, terwijl het CDU met 4% daalde naar 19%. De socialistische SPD bleef met 30,6% weliswaar de sterkste macht, maar moest wel een verlies van 5% slikken. Veruit de meeste AfD kiezers die ooit eerder stemden blijken afkomstig van de CDU van Angela Merkel (1). In de oostelijke kiesregio’s van de deelstaat werd het CDU zelfs compleet weggevaagd, en kreeg AfD ruim één derde van alle stemmen (4).

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Ook werd duidelijk dat Duitsers de ‘oplossingen’ die door linksgroen worden aangedragen, niet meer zien zitten. Die Linke kregen met 5,2% verlies een grote klap, en hebben nog maar 13,2% van de kiezers achter zich. Voor de Groenen is de teruggang met 3,9% fataal, omdat ze met 4,8% onder de kiesdrempel belanden. Die zich, zoals zo typerend is voor ‘linksgroen’, vervolgens van hun ware kant lieten zien door de inwoners van Mecklenburg-Vorpommern –de armste deelstaat van het land- ‘de domste’ van heel Duitsland te noemen (2).

AfD: Duidelijk signaal dat massale moslim immigratie moet worden gestopt

De AfD is vanzelfsprekend zeer verheugd dat het in één klap de 2e partij is geworden, en hoopt volgend jaar bij de landelijke verkiezingen een minstens zo grote overwinning te halen. Volgens de partij is gisteren overduidelijk gebleken dat de Duitsers de door Merkel in gang gezette massale immigratie van miljoenen moslims, en de daaraan gekoppelde islamisering van Duitsland (en Europa), zat zijn, en willen terugdraaien.

AfD lijsttrekker Leif-Erik Holm reageerde dan ook dat ‘wij vandaag geschiedenis hebben geschreven. Wellicht is dit het begin van het einde van het kanselierschap van Angela Merkel.’

‘Grote coalitie CDU/CSU, SPD en Groenen zal Duitsland als natie afschaffen’

Oud politicus en CDU coryfee Willy Wimmer is bang dat de sterke opkomst van de AfD tot een grote coalitie van CDU/CSU, SPD en Groenen zal leiden. ‘Voordat het deze coalitie lukt om de Duitse rechtstaat en Duitsland als natie af te schaffen, geven de burgers de heersers in Berlijn een duidelijk signaal vergelijkbaar met de rode kaart: wegwezen jullie. Om het met (Otto) Bismarck te zeggen: deze regering in Berlijn is het bot van één enkele soldaat uit het leger niet waard.’ (3)

afd-MV-16.jpgVolgens Wimmer is het CDU onder Merkel veranderd in een partij die feitelijk door de agenda van één persoon, de bondskanselier, wordt bepaald, iemand die zich overduidelijk niets aantrekt van de mening van en stemming onder het volk. Merkel oefent inmiddels totale controle over de partij uit, niet alleen in Berlijn, maar in alle onderafdelingen in Duitsland. Bij het geringste openlijke verzet tegen haar zorgt ze ervoor dat deze personen via de achterdeur worden geloosd.

‘Toen de bondskanselier in september (2015) de Duitse rechtstaat eigenmachtig ophief, had politiek Berlijn per ommegaande tegen deze coup moeten optreden en deze bondskanselier moeten afzetten. Omdat dit niet is gebeurd... werd het land via deze coup in gijzeling genomen. Via de CDU partijdag in Karslruhe... werd het probleem van een regerende coalitie het probleem van Duitsland, en van de vrede in Europa.’

Instemming uit het buitenland

De AfD winst werd door andere Europese vrijheidspartijen met instemming begroet. ‘De richting klopt!’ zei de Oostenrijkse FPÖ chef Strache. PVV leider Geert Wilders twitterde: ‘Gefeliciteerd, AfD!!’ Marine Le Pen van het Front National schreef dat ‘wat gisteren onmogelijk was, nu mogelijk is geworden. De patriotten van de AfD hebben de partij van mevrouw Merkel weggevaagd. Van harte gefeliciteerd!’ (5)

Op Zero Hedge wordt geconcludeerd dat wat in Duitsland is gebeurd, zich straks over heel Europa zal verspreiden. Belangrijkste oorzaak is dat de Europese regeringen, geleid door Brussel, de mening en het lot van hun kiezers op bijna alle gebieden aan hun laars lappen. Door het met enorme sommen belastinggeld overeind houden van de banken en de eurozone, opgeteld bij de miljarden kosten immigratie, zullen alle gewone Europeanen straks nog armer worden dan de ‘arme’ inwoners van Mecklenburg-Vorpommern. (6)


Xander

(1) N24
(2) Huffington Post
(3) Ceiberweiber
(4) Epoch Times
(5) PI-News
(6) Zero Hedge

L’école défigurée, généalogie d’un désastre et d’un crime

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L’école défigurée, généalogie d’un désastre et d’un crime

« Le professeur – au sens de l’intellectuel – n’a plus de place dans le lycée d’aujourd’hui ». Que s’est-il passé ? Qu’est-ce que l’école aujourd’hui, et que devrait-elle être ? La question n’est donc pas « pourquoi l’école fonctionne mal ». Elle est bien plus profonde. La question est : pourquoi l’école a-t-elle cessé d’être ? Ce qui rend la problématique de Robert Redeker non seulement philosophique, mais historique.

En effet, ce que l’école devrait être, elle l’a été, en tout cas pour l’essentiel, et jusqu’il y a à peine 50 ans. Etait-ce mieux avant ? Bien sûr. C’était mieux quand l’école était vraiment l’école.

Le propre de l’être humain, c’est qu’il parle. Aristote avait déjà insisté sur cette évidence. De ce fait, l’école, si elle est éducation de l’homme à devenir homme, devrait être respect de la langue et recherche du langage le plus noble. Nous en sommes loin. « Nous, on veut… », « Les Français, ils (prononcez : y) sont pas d’accord pour penser que… », « la France, elle est à l’initiative… », « c’est quoi, cette note pourrie que vous avez mis à mon fils… ». La redondance, la référence à un soi dilué dans un « on », l’approximation ont tué la langue française. Mais c’est aussi la communication qui a tué la langue/ La « pensée power point » a remplacé la dissertation. Tandis que le respect des « cultures » a remplacé la culture générale. Les « cultures d’origine » c’est-à-dire la culture comme cocon ont remplacé la culture générale, qui est la capacité d’interroger le monde, de se projeter dans le monde. Les cultures d’origine ne sont du reste respectées et admirées que dans la mesure où elles ne sont pas européennes. Dans ce dernier cas, elles sont marquées par la culpabilité et mises entre parenthèses. L’enseignement des cultures devient ainsi l’enseignement de l’existence de la diversité des origines (bien sûr que les origines sont diverses, mais la belle affaire !).

L’école passe sous silence l’essentiel. Elle est un enseignement de l’ignorance de la culture. C’est-à-dire qu’elle cesse d’enseigner la culture comme recherche de ses propres fondements dans le monde. Les Français ne seraient donc héritiers de rien. Ils devraient se construire à partir de rien. C’est-à-dire qu’ils ne peuvent tout simplement pas se construire. De leur côté, dans l’école telle qu’elle est, les enfants d’immigrés ne sauraient devenir héritiers de la France, nation littéraire par excellence. Du moins ces enfants d’immigrés ont-ils le droit d’être héritiers de leur culture d’origine, ce qui est contesté aux Européens.

Nous sommes ainsi des « inhéritiers » comme écrit Renaud Camus. Au nom de l’ouverture de l’école « sur la vie », l’école s’ouvre aux aspects les plus triviaux de la vie, que chacun aura bien le loisir de connaître, et dont l’école nous mettait, au moins un temps, à l’abri. L’école avait pour mission de montrer qu’il n’y a pas que le tiercé et les chansons de Claude François dans la vie. Elle prend maintenant pour référence les faits sociétaux les plus triviaux. Etonnant ? Pas tant que cela quand on constate que des pédagogistes expliquent que l’école n’est plus là pour transmettre et pour élever vers la culture mais a pour objet désormais de permettre le « vivre ensemble » et d’ « empêcher la guerre civile ». C’est pourquoi le contenu des matières tend à être évacué de l’école, ce qui aurait ulcéré Hegel, pour qui on réfléchit toujours à partir d’un contenu. Mais Hegel est loin. L’essentiel, désormais, n’est pas d’apprendre, c’est de « faire des choses ensemble » : un atelier radio, un dessin collectif, une pièce de théâtre sur la tolérance, etc. L’idéal de l’école contemporaine est la suppression des matières, c’est un enseignement sans contenu, ou avec un contenu le plus éclaté possible : un peu de texte, beaucoup d’images. Et des discussions, des « débats » qui précèdent l’acquisition des contenus. L’école est ainsi horizontalisée. L’instituteur s’appelle désormais « professeur des écoles ». Cela se produit justement au moment où il n’y a plus de professeur. Il n’y a plus que des « enseignants ». Ils n’existent plus d’ailleurs qu’en groupe. C’est le fameux « corps enseignant ». Les professeurs étaient d’ailleurs de grands instituteurs, au sens où ils instituaient, c’est-à-dire qu’ils mettaient debout la culture. Il s’agit au contraire désormais de mettre couché – horizontal – tout ce qui était debout. Il s’agit de faire en sorte que rien ne dépasse. Ronsard au même niveau que Claude François. L’enseignant devient un super éducateur, « proche des gosses ».

Le problème est que la fin des instituteurs, c’est aussi la fin des institutions, et c’est la fin de toute société. Kant avait souligné que l’éducation nécessite une prise de distance radicale avec le milieu familial. Aujourd’hui, au contraire, on parle de « communauté éducative » associant enseignants, parents d’élèves, et les élèves eux-mêmes. Loin de tenir à distance les trivialités de la vie quotidienne, l’école s’y englue. On « débat » de la violence, du racisme, de l’égalité entre les sexes, de la lutte contre les discriminations ou l’extrême droite (ce qui est du reste à peu près la même chose), etc.

Dans ses fondements, l’École a la charge d’initier au loisir dans le sens le plus élevé du terme : la disponibilité à être soi, à se trouver en s’éduquant par la fréquentation des œuvres de l’esprit et par la pratique de disciplines exigeantes. L’école actuelle tend au contraire à devenir un vaste centre de loisirs. Les loisirs contre le loisir. De même que le culte de la diversité a tué les vraies différences, les loisirs ont tué le loisir. Les controverses d’idées se sont abaissées au niveau des pseudos débats télévisés dans lesquels excelle la « caste palabrante ». Un amuseur généralement pas drôle du tout et d’un alignement total sur le politiquement correct plutôt que Régis Debray ou Alain de Benoist : c’est certain que c’est moins « prise de tête ».

Il suffirait, nous dit-on, de « se parler » pour conforter le « vivre ensemble », qui commence dés l’école, et même, croit-on, repose sur elle. Mais que veut dire ce « vivre ensemble » ? C’est tout simplement le contraire de la fraternité. C’est un « côte à côte » sans lien, sans regarder ensemble dans la même direction. C’est un simple « respect ». Dans une copropriété il faut du « vivre ensemble ». Mais dans une nation, il faut beaucoup plus que cela. Il faut de la fraternité.

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Le « vivre ensemble » est une valeur libérale. Il n’est que cela. Pas étonnant qu’elle soit le totem de « socialistes » ralliés, depuis 1983, au libéralisme aussi bien économique que sociétal (le second fournissant du carburant au premier). « Autant la fraternité se pensait sur le registre de l’affirmation, autant le vivre ensemble, qui pourrait en devenir le tombeau, se conçoit sur le registre du renoncement » écrit Robert Redeker. Le vivre ensemble est le renoncement à toute assimilation des immigrès à notre nation. Il va avec l’ « archipellisation » (ou balkanisation) de l’enseignement, à son adaptation aux situations locales, aux féodalités municipales, au patronat des entreprises locales, au marché local de l’emploi. Comme si l’école devait servir à « trouver du boulot ». Comme si sa mission n’était pas autre : former des hommes et donc des citoyens d’un pays. Comme si l’école ne devait pas tout simplement servir à vivre.

L’École doit servir à vivre, c’est-à-dire qu’elle doit enraciner dans une culture et dans le même temps arracher à la tyrannie du présent, à la tyrannie de l’horizontal. L’École arrache à la paroi de la caverne de Platon et nous met à l’épreuve du soleil des grandes œuvres. L’École nous fait entrer dans ce que Hannah Arendt appelle le « pays de la pensée ».

Mais l’école actuelle fait le contraire. Elle ancre dans le seul présent, un présent liquide, « un présent existentiellement flottant » (Jean-Pierre Le Goff) et feint de s’étonner du manque de repères des élèves (pardon, des apprenants).

Pour jouer le rôle qu’elle devrait jouer et qu’elle jouait – preuve que nous ne parlons pas d’une utopie – l’École n’est pas seulement gratuite, elle est la gratuité même. Le sens profond de la gratuité scolaire n’est pas seulement la gratuité financière. La gratuité, c’est aussi la non utilité immédiate de ce que l’on apprend. L’École ne doit avoir aucun lien avec le « marché du travail ». La formation professionnelle a son rôle et sa place, qui ne sont pas ceux de l’École. L’École ne doit servir qu’à nous rendre autonome, à faire du petit homme de France un jeune Français.

L’École est avant tout loisir (skholé). Non pas loisir comme divertissement mais comme temps libéré des contraintes d’utilité. Walter Benjamin avait écrit : « l’esprit de métier n’est pas l’esprit des études ». L’École, c’est tout ce que les politiques de l’école depuis 40 ans veulent nous faire oublier. Droite et gauche cumulent leurs tares pour détruire l’école. Pour la droite, l’école couterait trop cher et ne serait pas assez adaptée aux besoins des entreprises (la fameuse « employabilité »). Pour la gauche, il faut changer l’école parce qu’elle n’est pas assez égalitaire. Pour mettre tout le monde au même niveau, elle doit être évidée de tout contenu culturel. Il faut en finir avec la « violence symbolique » exercée par les grands auteurs (Molière, Racine…) et les grandes œuvres.

Droite et gauche veulent faire des élèves de simples disciples de notre époque, des « branchés » des otages de la société numérique, des suradaptés au présent, c’est-à-dire des suradaptés à l’éphémère. Et donc des inadaptés au temps long. Droite et gauche ont supprimé toute distance entre l’école et la société.

L’école n’a pourtant pas à se plier aux lubies du jour. Elle n’a pas pour objet d’assurer l’employabilité définie par les entreprises à tel ou tel moment, elle n’a pas pour objet d’acquérir des gestes éco-citoyens ou éco-responsables, ni de s’ouvrir à la « diversité » (réduite à la couleur de peau dans notre société sans imagination). L’école doit nous apprendre ce que l’on appelait les « humanités », c’est à dire qu’elle doit s’occuper de la formation de l’homme.

Soumises à la « culture du résultat » – forme moderne de l’inculture – l’école se veut performante. Alors que « éduquer, ce n’est pas rendre performant » (Robert Redeker). Elle veut faire du chiffre, et obtient des scores record d’admis au baccalauréat (88,5% en 2016). Un bac qui ne vaut plus le certificat d’étude de 1935. Au-delà même que les chiffres sont manipulés, le registre de l’école ne devrait pas être celui de la performance. Il devrait être celui de l’éducation Mais l’école est mentalement colonisée par la « culture de l’entreprise » – de même que les fils d’immigrés continuent d’être colonisés à l’envers par la « culture de l’excuse » qui les infantilisent. Il n’y a pas, il n’y a plus de séparation entre l’école et l’économie. La laïcité de l’école par rapport au monde de l’économie n’est plus respectée. C’est pourquoi le numérique envahit l’école. La « culture de l’entreprise » ne relève en effet pas de la culture mais des techniques de la communication. Le numérique est fait pour la communication, pas pour la pensée.

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L’école évide la pensée, on y apprenait des contenus, on communique maintenant des « données ». Plus personne n’a le droit d’ignorer le numérique, qui abolit la frontière entre le monde de l’école et le monde extra-scolaire. L’école oscille entre centre de loisirs et enseignement d’un catéchisme « droitsdel’hommiste », excluant tout « dérapage » et instaurant une nouvelle bien-pensance (« Les bien-pensants ne dérapent jamais, ils sont de la glace », remarquait Philippe Muray). Dans ce climat de néo-totalitarisme spongieux, le loisir – la skholé – l’école comme apprentissage d’une culture générale est oubliée. Alors que le loisir ainsi entendu est le cœur de ce que devrait être l’école.

De même que les loisirs ont remplacé le loisir, le culturel a remplacé la culture. Le culturel est l’ensemble des pratiques et signes familiers de soi. Choisir telle voiture est un acte culturel. S’alimenter bio est un acte culturel. La culture est bien autre chose. C’est une inquiétude, c’est une quête, c’est une faim jamais rassasiée. C’est un manque. Etre cultivé, c’est comprendre l’incomplétude de l’homme. Etre cultivé, c’est comprendre que nous ne comprendrons jamais tout. C’est ressentir cette incomplétude. Quand on commence à aimer les œuvres de culture, les débats d’idées, on est toujours en manque d’approfondissement, d’enrichissements, d’arguments nouveaux, de contre-arguments. Parce qu’elle est manque, la culture nous demande un décentrement, elle nous demande de ne pas penser qu’à nous. Elle nous demande d’aller du moi au soi. Elle nous demande aussi un élan. Il nous faut toujours sauter par-dessus un gouffre. Parce qu’elle est inconfort, la culture nous sort du confort du quotidien.

Dans le même temps qu’elle est manque, la culture vise à un idéal. C’est celui de l’équilibre entre le corps et l’esprit. Entre le matériel et l’âme. La culture vise à l’acquisition des humanités, et le mot d’ordre des humanités est « rien de trop » ainsi que « mieux vaut une tête bien faite que bien pleine » (Montaigne). L’idéal qui doit être celui de l’école est tout à l’opposé de l’illimitation de la société de marché et de l’idéologie publicitaire. L’école telle qu’elle doit être éduque un peuple. A l’inverse, l’école actuelle voit dans les élèves un public ou des « usagers ». Il n’y a plus de peuple.

Pour savoir ce que doit être l’école il faut savoir ce qu’est l’homme. Les pensées de la déconstruction ont démonté l’homme comme sujet. Il ne reste plus que des déterminations et des processus. Affolé par de multiples déterminations (sociologiques, culturelles, symboliques, éducatives…), noyé dans le flux du vivant (la biologie), l’homme a été déclaré mort. Cela s’est produit peu de temps après la disparition (ou la dormition) de Dieu et des dieux – ce qui n’est certainement pas un hasard. La preuve de l’homme, c’était en effet qu’il se créait des dieux. Il est bien sûr exact que l’homme connait des déterminations, des cadres de sa liberté, des limites, des héritages. Il est vrai qu’il connait, voire subi, des tendances, des pesanteurs, et, par ailleurs, il est vrai qu’il est un animal, un vivant parmi d’autres vivants. Mais l’homme n’est pas qu’un animal. Ce n’est pas un animal comme les autres (voir deux livres essentiels : Yves Christen, L’animal est-il une personne ? et Alain de Benoist, Des animaux et des hommes. La place de l’homme dans la nature). Reste que les idéologies déconstructivistes (la French theory) de la « mort de l’homme », la mort comme sujet, la mort comme porteur d’un propre de l’homme, ont abouti à une ère du vide, analysé notamment avec justesse par Karel Kosik et Gilles Lipovetsky. C’est aussi l’ère du « présent liquide » (Zigmunt Bauman), un présent qui ne donne aucune prise pour s’arrimer.

Aussi nous faut-il revenir à la question ultime de Kant. Après ses trois questions : que puis-je connaître ?, que dois-je faire ?, que puis-je espérer ?, Kant estimait que la dernière question, résumant toutes les autres, était « qu’est-ce que l’homme ? ».

Or, l’homme se peut se penser comme on regarde une photographie. « L’homme n’est pas ce qu’on voit de lui » (Robert Redeker). L’homme n’est pas que cela. L’homme est un mouvement et il est un écart. Il est toujours dans cet écart entre ce qu’il est et ce qu’il doit être. Il n’y a pas de société ni d’homme sans « idéal régulateur » (Kant). La question « qu’est-ce que l’homme » se ramène ainsi à « qu’est-ce que l’homme doit être pour rester homme ».

Croit-on que cette vision normative nous fait oublier l’observation de la réalité anthropologique ? Elle permet au contraire de la comprendre sous une autre forme. Ce que l’homme fait (ou pas) s’analyse comme un approfondissement du propre de l’homme ou un éloignement de ce propre. Car, justement, parmi ce qui est spécifique à l’homme, il y a le besoin de se donner à lui-même ses normes (auto nomos).

C’est la question de la loi morale, et c’est, au-delà même de Kant, la question du style que l’homme doit se donner. L’homme doit se mettre en forme. Son comportement doit obéir à un style – même si on le juge sans style ou si on le qualifie d’anti style. Le style, c’est l’alliance d’un fond et d’une forme. Le fond est une loi morale, la forme est une esthétique, c’est-à-dire une certaine idée de la beauté. Les deux sont liés : privilégier le Bien sur le Beau, c’est encore croire que le Bien est ce qu’il y a de plus Beau. On ne peut sortir de là : le Bien, le Beau et le Vrai ont partie liée. Ce qui est Vrai, c’est que le Bien ne peut être que le Beau.

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C’est le propre des sociétés libérales que de vouloir dissocier l’idée du beau dans un relativisme tel qu’il faut paradoxalement le qualifier de relativisme absolu. « A chacun son idée du beau ». Voilà le mot d’ordre des sociétés libérales depuis Jack Lang et ses continuateurs. De manière logique, la disparition de l’idée du beau, la disparition de l’idée d’une beauté qui pourrait s’enseigner, que l’on pourrait apprendre à aimer, cette disparition est concomitante de la disparition de l’idée de bien commun. Si on peut dire « A chacun son beau » alors on peut dire « à chacun son bien ». L’inconvénient est alors qu’il n’y a plus de société. Le commun disparait. L’idée de bien commun est remplacée par celle de « société du respect » (Najat Vallaud-Belkacem reprend bien sûr le terme).

La société du respect est le stade ultime de la déconstruction d’un peuple et de son atomisation. C’est le contraire de la fraternité. Libéraux-libertaires (de « gauche »), et productivistes croissancistes forcenés (de « droite ») se retrouvent, ici comme ailleurs, sur l’essentiel : la destruction des racines, de la transmission, de l’idée de bien commun. Il se produit alors ce que Robert Redeker appelle une « définalisation de l’existence collective ». Sans bien commun, il n’y a plus (ou pas) de culture commune.

C’est pourquoi la culture générale est progressivement vidée de son contenu et balayée des concours. Condamnée pour son « élitisme », la culture générale est remplacée par des capacités d’ « expertise » (des compétences micro sectorielles) sans vision d’ensemble. « Compétences », « talents », « aptitudes » et savoir-faire remplacent les savoirs (tout court) et le niveau général de culture.

Puisque tout est culture (la façon de se moucher ou de tenir sa cigarette) rien ne relève d’une culture qui pourrait s’apprendre et être notre horizon partagé – ce que l’on appelait les humanités. Le culturel a tué le cultivé, comme l’a remarqué Alain Finkielkraut.   Il n’y a plus de culture, il n’y a plus que des « champs » culturels. Dans ces « champs » culturels, tout égale tout. Et le meilleur égale le moins que rien (c’est « question de goût »).

La « société du respect » – qui est en fait une « dyssociété » – oblige à respecter autant le beau travail, patient et exigeant, que la « production culturelle » d’un quelconque imposteur sponsorisé par une mairie ou une DRAC. La nouvelle cléricature « bobo » (bourgeois-bohème) a fait de l’antinormativisme la nouvelle norme.

Ce qui caractérise l’antinormativisme de rigueur – la nouvelle norme – c’est qu’il se meut dans la stricte horizontalité. Toutes les transgressions sont à louer – à applaudir, car nous sommes dans une époque applaudissante – sauf celles qui nous élèveraient. Sauf les transgressions qui nous rappelleraient l’existence d’une autre dimension, la verticalité.

Nous vivons une « définalisation de l’existence collective dans laquelle il convient de repérer une suite inévitable de la liberté des Modernes », note Robert Redeker. L’horizontalité qui domine n’est pas la culture générale, qui élève, mais ce n’est pas non plus la culture populaire, qui relie. C’en est la perversion, le détournement. La culture de masse n’est pas l’habitus du peuple, de la classe laborieuse. C’est bien autre chose. C’est une culture qui vise à l’égalisation des intériorités. A leur abaissement même. Une égalisation par le bas, un affaissement, une réduction à la rigolade, à la dérision, ou à la petite compassion. C’est l’homo festivus tempéré par un peu de sentimentalité niaise. Au moment où les écarts matériels s’accroissent, un riche n’est plus qu’un pauvre avec de la thune.

La communication a tué le professorat, les élèves ont cédé la place aux apprenants. L’école n’est plus une institution. « Ses missions, transmettre l’héritage du passé, autrement dit fabriquer des héritiers, amalgamer à la Nation, instituer l’âme et conduire au pays de la pensée – ont sombré dans l’oubli ». Il reste un fantôme – celui d’une école nationale et républicaine, celle qui donnait un héritage culturel, même et surtout aux plus pauvres, aux plus modestes des enfants de notre patrie. C’est un fantôme qui appelle à une renaissance.

Robert Redeker, L’école fantôme, Desclée de Brouwer, 204 pages, 18 €