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jeudi, 24 décembre 2020

La pire des violences est celle des élites qui défendent leur domination

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La pire des violences est celle des élites qui défendent leur domination

Michel Maffesoli nous a accordé une interview sur le bilan d'une année hypocondriaque, passée à parler de maladie, et à la craindre. Il s'exprime notamment sur la stratégie de la peur, qui déploie la violence des élites pour conserver le contrôle de la société.
www.lecourrierdesstrateges.fr
 
 

La fin des rites, la fin de l'homme

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La fin des rites, la fin de l'homme

Par Riccardo Paccosi

Ex: https://www.ariannaeditrice.it

Le monde "durable" qui se matérialise sous nos yeux, apporte avec lui la fin des danses, la fin des chants choraux, la fin des cinémas, la fin des théâtres, la fin des concerts de rock.

Mais aussi la fin des fêtes religieuses, la fin des foires agricoles, la fin du tourisme de masse, la fin des rituels sportifs.

Elle s'accompagne également de l'interdiction des enterrements en certains lieux et à certaines périodes, de l'effondrement quantitatif des baptêmes, de la chute exponentielle des mariages, de la diminution des rassemblements familiaux pendant les vacances.

Tout élément rituel, ludique ou artistique-culturel qui pourrait, en somme, servir de lien entre l'individu et la communauté, cesse d'exister, les arts abdiquent leur rôle de célébration collective de la pólis pour s'adapter, sans opposer de résistance, à un destin de jouissance exclusivement individuelle et domestique.

En évoquant la relation entre les arts et la pólis, nous rappelons comment la naissance de l’art découle de cette culmination de la sphère collective que sont les rites.

Sacrificielle, saisonnière, propitiatoire ou apotropaïque, la dimension rituelle a toujours représenté - comme le soutiennent Durkheim, Malinowski, Frazer et bon nombre d’anthropologues - le principe originel et fondateur de la communauté et du contrat social.

Mais le rituel ne réalise pas seulement la reconnaissance de chaque homme individuel par rapport à sa communauté : il réalise aussi, de manière spéculaire, la reconnaissance de l'espèce humaine par rapport à l'univers.

L'existence finie et mortelle de l'homme, en fait, face à la substance infinie de la nature et du cosmos environnant, se trouve dans ce qu'Ernesto De Martino appelle « une crise de présence ». Les rites répondent donc à cette crise et la transmuent en une conscience de la relation, générant ainsi un sentiment et une sensation de connexion entre l'espèce humaine et le cosmos.

Cette conscience d'un univers extérieur et la célébration rituelle et collective de cette prise de conscience ont caractérisé l'espèce humaine depuis bien avant la découverte de la roue.

De ce point de vue, on peut donc dire que la société de la distanciation permanente, en annihilant toute forme de rituel collectif, aliène les humains du sens et du sentiment de leur connexion avec les autres humains et de leur connexion avec la nature et le cosmos environnants.

En conséquence, on peut conclure que la société de la distanciation aliène également l'homme de ce qui le définit comme espèce et de tout ce qui est inscrit dans la catégorie de l'humanité.

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mercredi, 23 décembre 2020

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Evola et l'espace germanophone

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Evola et l'espace germanophone

Alberto Lombardo

Ex : http://www.centrostudilaruna.it/

L'Allemagne et, en général, le monde de la culture allemande ont eu une importance centrale pour Evola. Dès son plus jeune âge, il apprend l'allemand afin d'aborder les œuvres de la philosophie idéaliste ; sa doctrine philosophique doit beaucoup à l'idéalisme, mais plus encore à Nietzsche, Weininger et Spengler. En 1933, il fait son premier voyage en Autriche ; tout au long des années 1930 et 1940, il continue à se tenir au courant des productions littéraires et philosophiques allemandes en lisant des essais scientifiques sur les différents sujets qu'il traite lui-même : de la Rome antique (Altheim) à la préhistoire (Wirth, Günther), de l'alchimie (Böhme) à la raciologie (Clauß, Günther encore), de la théorie politique (Spann, Heinrich) à l'économie (Sombart), etc. En général, compte tenu de l'appareil de notes, des références culturelles, et dans un équilibre qui tient compte de toutes les contributions, je ne pense pas du tout exagérer en affirmant que le poids des études publiées en allemand est au moins égal à celui des études italiennes dans l'ensemble de l'œuvre d'Evola.

41Dk9HPOYoL._SY445_QL70_ML2_.jpgTout cela est très révélateur de l'influence de la culture allemande sur l'œuvre d'Evola. Mais il faut ajouter d'autres données : en rappelant ici ce qui a été mentionné dans la biographie d’Evola, au premier chapitre, je me souviens de l’évocation des longs séjours d'Evola en Autriche et en Allemagne, des nombreuses conférences qui s'y sont tenues, de ses relations avec les représentants de la tradition aristocratique et conservatrice d'Europe centrale et de la révolution conservatrice, etc. En outre, dans les pays germanophones, Evola jouissait, au moins jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, d'une notoriété différente de celle qu'il avait en Italie, car il y fut reçu comme l'exposant d'un courant particulier de la pensée italienne, et cela depuis 1933, année de la publication de Heidnischer Imperialismus. Voici l'opinion d'Adriano Romualdi sur le sujet : "L'action d'Evola en Allemagne n'était pas politique, même si elle a contribué à dissiper de nombreux malentendus et à préparer une entente entre le fascisme et le national-socialisme. Elle a investi le sens de ces traditions qui, en Italie et en Allemagne, ont été évoquées par les régimes, comme le symbole romain et le mythe nordique, le sens du classicisme et du romantisme, ou des oppositions artificielles, comme celle entre la romanité et le germanisme".

À partir de 1934, Evola tient des conférences en Allemagne : dans une université de Berlin, à la deuxième Nordisches Thing de Brême, et au Herrenklub de Heinrich von Gleichen, représentant de l'aristocratie allemande (il était baron) avec lequel il noue une "amitié cordiale et fructueuse". Evola a rappelé cette expérience importante en 1970 : « Chaque semaine, une personnalité allemande ou internationale était invitée à ce club de Junkers. Je dois dire, cependant, que si nous nous étions attendus à voir des géants blonds aux yeux bleus, la déception aurait été grande, car pour la plupart, ils étaient petits et ventrus. Après le dîner et le rituel des toasts, l'invité devait donner une conférence. Pendant que ces messieurs fumaient leurs cigares et sirotaient leurs verres de bière, j'ai parlé. C'est alors qu'Himmler a entendu parler de moi ».

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Il est en effet très probable que l'attention des milieux officiels pour Evola soit née après ses premières conférences en Allemagne. Ses relations avec le national-socialisme étaient ceux d’une collaboration externe, et surtout avec divers secteurs de la SS, dont l'Ahnenerbe ; Evola a exprimé des paroles très positives à l'égard de "l'ordre" dirigé par Himmler, même dans l'après-guerre, ce qui lui a valu, d'une part, la critique prévisible de ses détracteurs et, d'autre part a conduit à une réinterprétation - dans l'historiographie et le même "sentiment mondial" de la droite radicale d'après-guerre - du national-socialisme en tant que mouvement populaire dirigé par une élite guerrière-ascétique. Des nombreuses données d'archives publiées aujourd'hui, il ressort une image d'Evola qui a été prise en considération mais toujours soigneusement observée par les milieux officiels allemands.

Après la guerre mondiale, la renommée d'Evola dans les pays germanophones a diminué; son immobilité physique semble l'avoir empêché, entre autres, de poursuivre ses voyages à l'étranger. Ce n'est qu’au cours de ces dernières décennies qu'Evola a fait l'objet d'une sorte de redécouverte, grâce surtout à Hans Thomas Hansen, qui a traduit (et retraduit) une bonne partie de ses œuvres, avec le consentement d'Evola lorsqu'il était encore en vie, et qui est considéré à juste titre comme l'un des plus grands connaisseurs de la pensée et de la vie d'Evola. Outre la revue fondée et animée par Evola, Gnostika (qui, comme son titre l'indique, a des intérêts essentiellement ésotériques), ces dernières années, diverses activités sont nées qui s'inspirent de diverses manières de l'œuvre d'Evola, parmi lesquelles méritent d'être mentionnées les revues allemandes Elemente et Renovatio Imperii et surtout la revue autrichienne Kshatriya, dirigée par Martin Schwarz (auteur de la bibliographie la plus complète d'Evola à ce jour), avec une empreinte "d’orthodoxie évolienne" plus marquée. En outre, des conférences sur le penseur et des traductions de ses autres œuvres commencent s’organiser.

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En outre, le centenaire de la naissance d'Evola, en 1998, a été l'occasion pour diverses publications allemandes de se souvenir de lui avec de nombreux articles, parmi lesquels ceux qui ont été publiés dans la revue Nation & Europa (qui a été publié pendant un demi-siècle, et auquel Evola lui-même a collaboré au début des années 50), Criticon et la prestigieuse Zeitschrift für Ganzheitforschung, autre revue à laquelle Evola a contribué (au début des années 60) et qui a été fondée et dirigée pendant longtemps par Walter Heinrich (jusqu'à sa mort en 1984), qui était un grand ami d'Evola. Par curiosité, nous tenons à signaler que pour l'occasion, de nombreux groupes et ensembles musicaux allemands et autrichiens ont consacré un disque à l'écrivain traditionaliste, intitulé Riding the Tiger.

* * *

Bien que certains éléments politiques de l'histoire de l'Italie et de l'Allemagne semblent similaires (le processus d'unification nationale dans la seconde moitié du XIXe siècle, la participation commune à la Triple Alliance, l'Axe Rome-Berlin), Evola identifie dans la "tradition germanique" des traits qui différencient clairement - dans un sens positif - les pays germanophones de l'Italie. Ainsi, tout d'abord, "on peut dire qu'en Allemagne, le nationalisme démocratique de masse de type moderne n'a fait qu'une apparition fugace. […]. Le nationalisme en ce sens, sur fond démocratique, n'a pas dépassé le phénomène éphémère du parlement de Francfort de 1848, en liaison avec les soulèvements révolutionnaires qui, à cette époque, faisaient rage dans toute l'Europe (il est significatif que le roi de Prusse Frédéric Guillaume IV ait refusé l'offre, qui lui avait été faite par ce parlement, de devenir le chef de toute l'Allemagne car en l'acceptant, il aurait également accepté le principe démocratique - le pouvoir conféré par une représentation populaire – l’obligeant à renoncer à son droit légitime, même s'il était limité à la seule Prusse). Et Bismarck, en créant le second Reich, ne lui a pas du tout donné une base "nationale", voyant dans l'idéologie correspondante le principe de désordres dangereux pour l'ordre européen, tandis que les conservateurs du Kreuzzeitung accusaient le nationalisme d'être un phénomène "naturaliste" et régressif, étranger à une tradition et à une conception supérieures de l'État". En marge de cette forme "naturaliste" de nationalisme, les pays germanophones ont cultivé un esprit différent, celui du Volk, qui a animé l'esprit pangermanique. Le courant Völkisch, qui a également joué un rôle considérable dans la genèse du national-socialisme, trouve ses racines dans les discours de Fichte à la nation allemande, dans Arndt, Jahn et Lange et surtout dans le Deutschbund et la Deutsche Bewegung . C'est dans cette diversité d'origines que nous avons le premier écart entre l'Italie et l'Allemagne.

unnamedjessd.jpgMais les différences, du point de vue de l’environnement, sont beaucoup plus marquées. Dans son essai sur le Troisième Reich, qui décrit les courants culturels complexes et souvent irréductibles qui ont coopéré à sa genèse, Evola écrit : "Après la Première Guerre mondiale, la situation en Allemagne était nettement différente de celle de l'Italie. [...] Mussolini a dû créer presque tout à partir de rien, en ce sens qu'au moment de combattre la subversion rouge et de remettre l'État sur pied, il ne pouvait pas se référer à une tradition au sens le plus élevé du terme. Tout bien considéré, ce qui était menacé n'était que l'extension de l'Italie démocratique du XIXe siècle, avec un héritage du Risorgimento influencé par les idéologies de la Révolution française, avec une monarchie qui régnait mais ne gouvernait pas et n’avait pas d’articulations sociales solides. En Allemagne, les choses étaient différentes. Même après l'effondrement militaire et la révolution de 1918, et malgré le marasme social, il y avait encore des vestiges profondément enracinés dans ce monde hiérarchique, parfois encore féodal, centré sur les valeurs de l'État et de son autorité, faisant partie de la tradition précédente, en particulier du prussianisme. […]. En fait, en Europe centrale, les idées de la Révolution française n'ont jamais pris autant d'ampleur que dans les autres pays européens" .

A une occasion bien précise, Evola mentionne la théorie juridique du droit international de Carl Schmitt. Le philosophe politique allemand avait exprimé l'idée de l'effondrement du droit international coutumier européen (ius publicum europaeum), qui s'est produit, approximativement, après 1890, et l'affirmation conséquente d'un droit international plus ou moins formalisé. Ici, cependant, nous ne sommes pas entièrement de l'avis de Schmitt", écrit Evola, expliquant que "contrairement à l'opinion de beaucoup, en ce qui concerne l'action menée par Bismarck, tant en Allemagne qu'en Europe, tout n'est pas "en ordre". […]. Plus que Bismarck, il nous semble que Metternich a été le dernier "Européen", c'est-à-dire le dernier homme politique qui ait su ressentir le besoin d'une solidarité entre toutes les nations européennes qui ne soit pas abstraite, ou dictée uniquement par des raisons de politique "réaliste" et d'intérêts matériels, mais qui fasse également référence aux idées et à la volonté de maintenir le meilleur héritage traditionnel de l'Europe". Contrairement à Baillet, Evola était donc plutôt critique à l'égard de Bismarck, qui n'avait pas, selon la vision traditionnelle des évoliens, le courage de s'opposer de manière systématique et rigoureuse au monde moderne et à la subversion (sous sa forme économico-capitaliste), mais devait dans certains cas s'y résoudre.

411o7TsazkL.jpgLa même Allemagne de Frédéric II puis de Guillaume II, tout en conservant les structures et l'ordre d'un État traditionnel (Obrigkeitsstaat), dans lequel la même bureaucratie et le même appareil d'État apparaissaient presque comme les organes d'un ordre, contenait les germes de la dissolution, due aux idées des Lumières qui avaient commencé à filtrer - de façon plus subtile qu'ailleurs - dans les différentes instances. Si le jugement d'Evola sur le code de Frédéric, préservant l'ordre divisé en Stände est positif, c'est parce que, pour l'époque où il a été créé, ce code a mieux préservé que tout autre les structures féodales et hiérarchiques précédentes. Celles-ci, à travers la tradition prussienne, s'enracinent dans l'Ordre des Chevaliers Teutoniques et leur reconquête des terres baltes : un ordre ascético-chevaleresque formé par la discipline et une organisation hiérarchique stricte. Ainsi, dès son plus jeune âge, Evola pressent l'absurdité de la "guerre civile européenne" qu'il va devoir néanmoins mener, en tant que très jeune officier, à la frontière austro-italienne, celle du Karst : l'Italie prend parti contre ce qui reste de la meilleure tradition européenne. "En 1914, les Empires centraux représentaient encore un vestige de l'Europe féodale et aristocratique dans le monde occidental, malgré des aspects indéniables d'hégémonie militariste et quelques alliances suspectes avec le capitalisme présent surtout dans l'Allemagne wilhelminienne. La coalition contre eux était ouvertement une coalition du Troisième pouvoir contre les forces résiduelles du Deuxième pouvoir [...]. Comme peu d'autres dans l'histoire, la guerre de 1914-1918 présente toutes les caractéristiques d'un conflit non pas entre États et nations, mais entre les idéologies de différentes castes. Les résultats directs et attendus ont été la destruction de l'Allemagne monarchique et de l'Autriche catholique, les résultats indirects l'effondrement de l'empire du tsar, la révolution communiste et la création, en Europe, d'une situation politico-sociale si chaotique et contradictoire qu'elle contenait toutes les prémisses d'un nouvel embrasement. Et ce fut la Seconde Guerre mondiale" .

Comme mentionné ci-dessus, Evola a exprimé une opinion nettement positive sur la tradition autrichienne. La ligne dynastique continue des Habsbourg a joué un rôle important dans cette évaluation (Evola s'était exprimé en termes très positifs envers Maximilien Ier) ; dans la période où il vivait à Vienne, Evola a respiré ce qui restait de l'ancienne atmosphère de la Felix Austria (de « l’Autriche heureuse », et il est entré en contact avec ce climat culturel et spirituel et surtout avec des hommes chez qui, pour reprendre les mots d'Ernst Jünger, "la catastrophe avait certes quitté ses ombres [...], mais elle s'était limitée à en effacer la sérénité innée sans la détruire. On pouvait parfois voir [...] une patine de cette souffrance que l'on pourrait appeler autrichienne et qui est commune à tant de vieux sujets de la dernière vraie monarchie. Avec elle, on a détruit une forme de plaisir de vivre qui était inimaginable dans d'autres pays européens depuis des générations, et les traces de cette destruction se font encore sentir chez les individus. […]. Ici, dans le Reich, si l'on ne tient pas compte de l'épuisement général des forces, on commence tout au plus à constater la disparité des couches sociales ; ici, en revanche, les différences entre les différentes ethnies s'ouvrent comme des gouffres".

fotografia(6)95.jpgDans cet humus historique des années de l'entre-deux-guerres, dans lequel les liens sentimentaux et éthiques de beaucoup avec la tradition impériale précédente étaient encore forts - la monarchie des Habsbourg d'Autriche avait au moins formellement conservé, jusqu'au Congrès de Vienne, la propriété du Saint Empire romain - Evola a également eu l'occasion de percevoir directement l'attachement populaire généralisé à la monarchie, et de l'expliquer en ces termes : "Sans exhumer des formes anachroniques, au lieu d'une propagande qui "humanise" le souverain pour captiver les masses, presque sur le modèle de la propagande américaine pour les élections présidentielles, il faut voir dans quelle mesure les traits d'une figure caractérisée par une certaine supériorité et dignité innées peuvent avoir une action profonde, dans un cadre approprié. Une sorte d'ascétisme et de liturgie du pouvoir pourrait jouer un rôle ici. Précisément ces traits, s'ils renforceront le prestige de celui qui incarne un symbole, devraient pouvoir exercer sur l'homme grossier une force d'attraction, voire une fierté à l'égard du sujet. En outre, même à une époque assez récente, nous avons eu l'exemple de l'empereur François-Joseph qui, tout en plaçant entre lui et ses sujets le vieux cérémonial sévère, sans pour autant imiter du tout les rois "démocratiques" des petits États du Nord, jouissait d'une popularité particulière, non vulgaire". Dans la même veine, en 1935, écrivant sur la possibilité d'une restauration impériale en Autriche, Evola rapporte ce que les représentants de la pensée conservatrice et monarchique dans ce pays préconisaient : "Le postulat, quant à lui, est celui auquel tout esprit non encombré de préjugés peut également adhérer, à savoir que le régime monarchique, en général, est celui qui peut le mieux garantir un ordre, un équilibre et une pacification intérieure, sans avoir à recourir au remède extrême de la dictature et de l'État centralisé, à condition qu'il subsiste chez les individus la sensibilité spirituelle requise par tout loyalisme. Cette condition, selon ces personnalités, serait présente dans la majeure partie de la population autrichienne, ne serait-ce que pour la force d'une tradition et d'un mode de vie pluriséculaire".

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Le problème de l'Anschluss, de l'annexion de l'Autriche à l'Allemagne nationale-socialiste, a été, dans les années qui l'ont précédé, au centre d'un vaste débat international. Les juristes et les hommes politiques l'ont abordée sous des angles différents ; Evola n'était pas d'accord sur ce point avec son ami Othmar Spann, qui, écrit Evola, n'était apprécié ni en Autriche ni en Allemagne pour la courageuse cohérence de ses idées. En parlant du sociologue viennois, Evola a déclaré : "Les Autrichiens ne lui pardonnent pas ses sympathies pour l'Allemagne, tandis que les Allemands ne lui pardonnent pas les critiques qu'il a formulées à l'encontre du matérialisme raciste". Elargissant son regard à l'école organiciste viennoise et au monde culturel autrichien, Evola a exposé ses vues en ces termes : "On ne peut pas se résigner à abaisser une nation, qui a la tradition que l'Autriche a eue, au niveau d'un petit Etat balkanique. Ce n'est pas une simple question d'autonomie politique, c'est essentiellement une question de culture et de tradition. Historiquement, la civilisation autrichienne est inséparable de la civilisation germanique. Il n'est pas possible aujourd'hui pour l'Autriche de s'émanciper à cet égard et de commencer à suivre sa propre voie. C'est précisément parce qu'elle est paralysée, réduite à l'ombre de son ancien moi, qu'elle est obligée de se lier le plus étroitement possible à l'Allemagne, de s'appuyer sur elle, d'en tirer les éléments qui peuvent garantir l'intégrité de son patrimoine allemand". Evola a poursuivi en affirmant que, du côté positif, l'Autriche aurait à son tour beaucoup à transmettre à l'Allemagne en termes de tradition culturelle. Mais au-delà du niveau purement intellectuel, "Dans le domaine des traditions politiques, l'antithèse est encore plus visible. Il faut demander à ces intellectuels germanophiles ce qu'ils entendent par tradition germano-autrichienne. La tradition autrichienne était une tradition impériale. Héritier du Saint-Empire romain, le Reich autrichien, du moins formellement, ne pouvait pas se dire allemand. En droit, elle était supranationale, et en fait elle négligeait un groupe de peuples dont la race, les coutumes et les traditions étaient très différentes, un groupe dont l'élément allemand ne constituait qu'une partie. Il n'est pas non plus nécessaire de dire que la direction de l'Empire autrichien avait néanmoins un caractère allemand et était dirigée par une dynastie germanique. Du point de vue des principes, cela compte aussi peu que le fait que les représentants du principe supranational de l'Église romaine étaient en grande partie italiens. Si l'on doit parler d'une tradition autrichienne, conclut Evola, c'est à une tradition impériale qu'il faut se référer. Maintenant, qu'est-ce qu'une telle tradition peut avoir à faire avec l'Allemagne, si l'Allemagne signifie aujourd'hui le national-socialisme" . Francesco Germinario a écrit à ce propos que pour Evola "une Autriche liée à ses racines catholiques, et dans laquelle, surtout, la mémoire des Habsbourg est restée vivante, était beaucoup plus proche des valeurs de la Tradition qu'une Allemagne submergée par la nouvelle vague de modernisation promue par le nazisme".

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Les positions critiques d'Evola à l'égard du nazisme s'exprimaient déjà en ces termes en 1935, dont le philosophe traditionaliste accusait les excès populistes, sociaux et gauchistes. Le ton est particulièrement critique dans ce cas, car la comparaison est avec l'Autriche, en laquelle Evola a vu précisément l'héritière spirituelle de la plus haute tradition européenne. D'autre part, c'est une ligne d'interprétation et d'historiographie appréciable, et qu'Evola a maintenue même dans l'après-guerre, tendant à séparer les différents éléments et les divers courants qui opéraient dans le national-socialisme pour les juger séparément. Il a conclu sa lecture politique de la situation internationale en déclarant : "Si l'on ne veut pas se résigner à la perte de l'ancienne tradition supranationale d'Europe centrale, l'Autriche devrait tourner son regard non pas tant vers l'Allemagne que vers les États qui lui succéderont, en ce sens qu'elle devrait voir dans quelle mesure il est possible de reconstruire une conscience commune d'Europe centrale comme base non seulement pour la solution de problèmes économiques et commerciaux très importants mais éventuellement [...] aussi pour la formulation d'un nouveau principe politique unitaire de type traditionnel".

En ce qui concerne la Seconde Guerre mondiale, dont l'issue est sans doute considérée par Evola comme la dernière phase de l'effondrement de la civilisation européenne, l'écrivain traditionaliste dénonce les fautes morales des puissances occidentales : "Himmler a été responsable d'une tentative de sauvetage in extremis (considérée par Hitler comme une trahison). Par l'intermédiaire du comte Bernadotte, il a transmis une proposition de paix séparée aux Alliés occidentaux afin de pouvoir poursuivre la guerre uniquement contre l'Union soviétique et le communisme. On sait que cette proposition, qui, si elle avait été acceptée, aurait peut-être pu assurer un destin différent à l'Europe, en évitant la "guerre froide" qui a suivi et la communisation de l'Europe au-delà du "rideau de fer", a été clairement rejetée sur la base d'un radicalisme idéologique aveugle, tout comme l'offre de paix faite par Hitler, de sa propre initiative, à l'Angleterre en des termes raisonnables dans un célèbre discours de l'été 1940, lorsque les Allemands étaient le camp vainqueur.

71g63lXeJ6L.__BG0,0,0,0_FMpng_AC_UL320_SR218,320_.pngMême après la Seconde Guerre mondiale, Evola a gardé un œil sur les pays germanophones. Sa vision était celle d'une admiration pour la nouvelle résurrection économique opérée par les Allemands après être sortie du champs de ruines qu’elle était dans la seconde période de l'après-guerre ("cette nation a pu se relever complètement d'une destruction sans nom. Même sous l'occupation, elle a surpassé les nations victorieuses elles-mêmes sur le plan industriel et économique et a repris sa place de grande puissance productrice"). et pour le courage avec lequel la République fédérale avait banni le danger communiste de sa politique ("Les Allemands font toujours les choses avec cohérence. Donc aussi dans le jeu de la conformité démocratique. Ils ont mis en place une démocratie modèle comme un système "neutre" - nous dirions presque administratif, plutôt que politique - à la fois équilibré et énergique. Contrairement à l'Italie, l'Allemagne, précisément du point de vue d'une démocratie cohérente, a proscrit le communisme. La Cour constitutionnelle allemande a statué ce qui correspond à l'évidence même des choses, à savoir qu'un parti qui, comme le parti communiste, ne suit les règles démocratiques que dans une fonction purement tactique et de couverture, ayant pour objectif final déclaré la suppression de tout courant politique opposé et l’avènement de la dictature absolue du prolétariat, ne peut être toléré par un État démocratique qui ne veut pas creuser sa propre tombe") . Mais, malgré cela, la guerre avait alors produit un vide, un vide spirituel qui n'était plus comblé : "Contre tout cela, il est surprenant, en République fédérale, l'absence de toute idée, de tout "mythe", de toute vision supérieure du monde, de toute continuité avec l'Allemagne précédente". Toujours dans le domaine de la culture, Evola constate un glissement général, une sorte d'"échec" général aux positions courageuses et avant-gardistes des intellectuels allemands dans les années - selon Evola, très prospères et rentables sous le profil culturel - du Reich national-socialiste. Dans son jugement négatif, Evola prend comme exemple de cet effondrement Gottfried Benn et Ernst Jünger (tombant avec cela dans des erreurs de vue assez grossières).

* * *

Extrait de Via della Tradizione 125 (2002), pp. 37-50.

Cet article a été republié sans les notes de bas de page.

Sans Leopardi, Nietzsche serait resté wagnérien

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Sans Leopardi, Nietzsche serait resté wagnérien

Le génie, né à Recanati, athée et matérialiste, reste un géant inconfortable donc largement ignoré par la culture italienne actuelle

par Paolo Isotta*

Friedrich Nietzsche avait probablement une connaissance plus large que ces philosophes, très importants, improprement appelés les "présocratiques" : pensons simplement aux géants que furent Empédocle et Démocrite, ce dernier étant à compter parmi les fondateurs de la science moderne. Mais il ne se serait pas autant concentré sur eux, dans son travail de destruction définitive de la métaphysique occidentale, s'il n'y avait pas eu Spinoza. C’est incontestable. Dans la perspective mondialiste du mauvais festival permanent que nous offrent les stars des "massmedias", la culture italienne est devenue quelque chose d'assez marginal, alors que jadis les hommes cultivés connaissaient tous notre langue, qui était apprise en même temps que le latin et le grec. Comment peut-on enseigner la philosophie (je ne veux pas dire "être un philosophe") sans pouvoir lire Galileo Galilei (Galilée) dans le texte original ?

9782081491274_1_75.jpgRevenons à Nietzsche et à Spinoza. Il y a une troisième figure sans laquelle la destruction ultime de la métaphysique n'aurait pas été accomplie par le philosophe allemand : elle s’appelle Leopardi, qui a eu une influence fondamentale sur la philosophie de Nietzsche. Car le "comte" de Recanati (qui ne connaissait pas l'allemand -mais il n'en avait pas besoin- car il possédait les langues anciennes comme le plus expert des philologues classiques, et ce dès son adolescence). Friedrich Nietzsche le connaissait bien. Et, chose que l'on oublie parfois, il est non seulement l'un des plus grands poètes du XIXe siècle - en italien, le plus grand, mais au sommet de tous les poètes de notre continent - mais aussi le plus grand philosophe italien du XIXe siècle, et l'un des plus grands d'Europe. Il ne faut pas oublier qu’il a fait largement usage d’une forme et d’un style qu'il partage avec Nietzsche : sa façon de penser par aphorismes. Hegel s'est lancé dans une divagation sur des systèmes d'une incroyable lourdeur et il a été le recréateur d'une théodicée moderne à laquelle nous devons, conjuguée à d'autres éléments, le nazisme. Le Zibaldone di pensieri de Leopardi semble être une suite d'aphorismes d'une concision latine apparemment désordonnée. Il possède cependant une formidable cohérence interne qui se fond avec la poésie de son auteur (même la poésie non "philosophique" : tout le monde peut comprendre que le Canto notturno di un pastore errante dell'Asia, ou La ginestra, sont de la philosophie chantée en vers sublimes, ou comprendre l'Operette morali et l'Epistolario. Et Friedrich Nietzsche était un connaisseur et un admirateur attentif de Leopardi. Sans lui, il serait resté prisonnier de la métaphysique wagnérienne.

C'est ce que nous rappelle un livre d'une importance énorme, au style limpide et rigoureux, qui est actuellement commercialisé par une petite et courageuse maison d'édition napolitaine, « La scuola di Pitagora » : Il pensiero di Leopardi de Mario Andrea Rigoni, pp. 385, 30 euros. Je peux sans hésiter l'appeler "le livre d'une vie". Pour plusieurs raisons. Pour m'avoir accompagné, dans ses métamorphoses croissantes, pendant des années : et avoir exercé sur ma formation une influence comparable à peu d'autres. Et pour avoir été le livre de toute une vie de l'auteur lui-même, qui a continué à le repenser et à le réécrire jusqu'à la forme monumentale actuelle, qui est maintenant, à mon avis, la forme définitive. Je voudrais répéter deux choses sur Mario Andrea Rigoni qui nous aideront à mieux le comprendre : il était l'un des plus proches amis, traducteurs et introducteurs en Italie d'Emil Cioran, l'un des plus grands philosophes du XXe siècle ainsi qu'un chanteur du Néant : c'est-à-dire le fils de Leopardi et de Nietzsche, mais il est encore plus maudit pour avoir été un anticommuniste apatride solitaire. Ensuite, pour l'attention particulière portée à la pensée de Sade. Je le connais très peu, j'ai lu ses principaux ouvrages il y a des décennies (j'étais peut-être encore à l'école), mais, surtout, je n'imaginais pas qu'il possédait une authentique stature philosophique. Si Rigoni le dit, c'est certain ; et la relation de Sade avec Leopardi est expressément indiquée par lui.

9782914493352-475x500-1.jpgRigoni connaît chaque virgule du Zibaldone, chaque ligne poétique, chaque épître du Contino ; chaque repli des Operette morali, qui sont un des sommets de la prose italienne et, venant du matérialisme français du XVIIIe siècle et de Fontenelle (auteur des Dialogues des morts), ils ont trouvé un Style Grotesque qui est soudé à l'ancien nihilisme, si je puis dire, de Lucian de Samosata. Même ses pages, ostensiblement un recueil d'essais successifs dans le temps (il a même l'habitude de dater chacun des essais), possèdent une formidable unité. Y a-t-il des livres qui ont été écrits par eux-mêmes ? En voici une. Les pages sont nées, recherchées et ensuite soudées.

Après l'avoir lu, on comprend mieux pourquoi Leopardi est toujours resté, en fait, une figure inconfortable pour l'ensemble de la culture italienne. L’Italie, elle a été soit catholique, soit idéaliste, soit fasciste, soit marxiste, avec des passages très nonchalants de l'un à l'autre, sans parler des syncrétismes. Bien sûr, chez les Pères de la Patrie ; bien sûr, sublime parolier. Mais que penser de quelqu'un qui aimait tant l'Antiquité et l'héroïsme de l'Antiquité, à une époque où, selon lui, la vie vivante avait été remplacée par la réflexion sur soi-même ? Qu'en est-il d'un matérialiste absolu et d'un athée intégral (ce ne sont pas des pensées éparses, comme le montre Rigoni) qui montre même qu'il n'est en aucune façon possible de prouver l'existence de Dieu, prouvant au contraire sa non-existence ? Et, encore une fois, considère-t-il l'univers comme éternel et non créé ? Au point d'attribuer une forme de pensée à la matière brute, comme l'ont fait Nerval et Baudelaire ? Aujourd'hui, la science la plus avancée considère qu'il est de plus en plus difficile de trouver une frontière entre la matière animée et inanimée. L'idéalisme de Platon a effacé tout ce qui le précédait et était contemporain de lui. Mais il existe une autre philosophie, qui part des "présocratiques" et arrive à Nietzsche. Ce n'est pas un hasard si Leopardi a en même temps, et avec la même intensité, adoré et détesté Platon : qui est toujours le plus grand écrivain grec de prose.

D'autre part, mettez ce travail entre les mains d'un professeur d'université moyen : il ne le comprendra pas. Ensuite, il n'aura pas le temps de le lire : il doit réfléchir à sa carrière et faire de la lèche à ses étudiants.

Source : www.paoloisotta.it

*Extrait du Libero Quotidiano du 8.12.2020

Le Sahara occidental est extrêmement important pour la cause anti-impérialiste

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Le Sahara occidental est extrêmement important pour la cause anti-impérialiste

Andrew Korybko

Ex : https://www.geopolitica.ru

La plupart des gens n'ont jamais entendu parler du Sahara occidental jusqu'à ce que Trump reconnaisse unilatéralement les revendications du Maroc sur cette région contestée du Maghreb, début décembre 2020, en échange de l'acceptation d'un accord de paix avec "Israël". En réalité la question du Sahara occidental est extrêmement importante pour la cause anti-impérialiste car sa position est similaire à celle de la Palestine et du Cachemire aux yeux du droit international.

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La reconnaissance unilatérale par Trump des revendications du Maroc sur cette région contestée du Maghreb qu’est le Sahara occidental en échange de la formalisation par Rabat de ses liens anciens et pas si secrets avec Tel-Aviv a pris par surprise de nombreux observateurs peu familiers avec ce conflit non résolu. La Palestine et le Cachemire occupent une place beaucoup plus importante dans le monde en raison de l'implication de puissances nucléaires et des efforts de certains pour se concentrer davantage sur l'angle interreligieux de ces conflits que sur leurs origines juridiques internationales. Le Sahara occidental ne répond à aucun de ces deux critères "passionnants", et a donc été largement oublié dans le vaste monde depuis que la question est apparue pour la première fois dans la politique internationale au milieu des années 1970.

Le processus de "décolonisation" dans l'Espagne de Franco a vu le pays caudilliste refuser d'accorder l'indépendance au Sahara occidental, le divisant plutôt entre le Maroc et la Mauritanie voisins contre la volonté du peuple sahraoui indigène représenté par le Front Polisario. Ce groupe a à son tour proclamé la République arabe sahraouie démocratique avec le soutien de l'Algérie voisine, qui entretient une rivalité historique avec le Maroc et a également sympathisé avec des causes socialistes comme celle des Sahraouis durant l'ancienne guerre froide. La Mauritanie a fini par abandonner ses revendications sur la région contestée et, après plus d'une décennie de lutte, le Maroc et le Sahara occidental ont conclu en 1991 un accord soutenu par l'ONU pour organiser un référendum sur le statut politique de la région.

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Le vote n'a jamais eu lieu car les deux parties impliquées dans le conflit n'ont pas pu se mettre d'accord sur qui pouvait voter, le principal problème étant l'insistance du Maroc à laisser les colons marocains participer au scrutin. Le Sahara occidental a été divisé de facto par « un mur de sable » que l'armée d'occupation marocaine a construit pour consolider son contrôle sur environ 80 % du territoire. Avec la reconnaissance unilatérale par Trump de la revendication de Rabat sur l'ensemble de la région (qui pourrait éventuellement être suivie par d'autres comme "Israël"), ainsi que la décision ultérieure de son gouvernement d'aller de l'avant avec un accord sur les armes d'un milliard de dollars, il est extrêmement peu probable que la fin, le mois dernier, du cessez-le-feu, qui a duré 29 ans, se traduise par des progrès sérieux pour le Front Polisario.

La Russie a dénoncé la décision politique américaine comme illégale au regard du droit international, ce qui est tout à fait exact, mais cela ne devrait avoir aucun effet tangible sur la modification de la dynamique du conflit. Seule l'Algérie pourrait avoir un impact potentiel, mais ses problèmes politiques internes permanents depuis presque deux ans l'ont forcée à se replier soudainement sur elle-même au lieu de poursuivre sa politique traditionnelle consistant à se présenter comme un leader régional. En outre, le projet d'accord sur les armes avec les États-Unis pourrait en fin de compte modifier de manière décisive l'équilibre régional des puissances, en particulier si "Israël" s'implique également, ou du moins déclencher une nouvelle course aux armements entre le Maroc et l'Algérie, cette dernière se tournant vers la Russie et la Chine pour obtenir un soutien militaire plus important en réponse.

Au milieu de tout cela, les anti-impérialistes ne devraient jamais oublier l'importance juridique internationale de la cause du Sahara occidental. Quoi que l'on pense de la légitimité des revendications de l'une ou l'autre des parties impliquées dans ce conflit, il s'agit néanmoins d'un différend reconnu par le Conseil de sécurité des Nations unies qui est censé être résolu par un référendum. Le précédent de l'abandon unilatéral par les États-Unis de leurs obligations juridiques internationales est inquiétant et peut-être aussi déstabilisant, bien qu'ils le fassent manifestement pour leurs propres intérêts nationaux tels qu'ils les comprennent subjectivement. Le problème, cependant, est que cela pourrait encourager d'autres demandeurs sur différents territoires contestés reconnus par le Conseil de sécurité des Nations unies dans le monde entier à doubler leurs positions maximalistes, rendant ainsi beaucoup plus difficile la résolution de ces questions.

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Un autre point important est que le droit international existe non seulement pour des raisons "morales", comme le prétendent ses partisans les plus passionnés (puisqu'il est manifestement imparfait), mais aussi pour des raisons pratiques liées à la nécessité de disposer de moyens prévisibles pour résoudre les différends internationaux afin d'éviter une escalade involontaire qui pourrait rapidement évoluer vers des conflits plus vastes et plus incontrôlables. Les revendications maximalistes unilatérales d'une partie sont problématiques, mais sont encore aggravées lorsqu'elles sont soutenues par des acteurs extérieurs intéressés qui peuvent également avoir une arrière-pensée pour diviser et gouverner la région en question, comme le font clairement les États-Unis au Maghreb, au Moyen-Orient et en Asie du Sud en ce qui concerne le Sahara occidental, la Palestine et le Cachemire.

La cause du Sahara occidental est donc inextricablement liée à la cause de la Palestine et du Cachemire aux yeux du droit international, c'est pourquoi les partisans de ces deux causes doivent être solidaires de leurs homologues sahraouis. La question ne peut être légalement résolue que par un référendum selon les critères définis par le Conseil de sécurité des Nations unies, indépendamment des opinions personnelles que l’on pourrait avoir sur le conflit, mais comme cela ne s'est pas encore produit et pourrait bien ne jamais se produire, après que le soutien diplomatique et militaire combiné de Trump aux revendications du Maroc, n'ait pas incité Rabat à se conformer aux règles, les observateurs ne peuvent s'empêcher d'être inquiets. La seule façon de rester cohérent avec le soutien à la Palestine et au Cachemire est de soutenir le droit à un référendum reconnu par le Conseil de sécurité de l'ONU au Sahara occidental.

Traduit en espagnol pour Geopolitica.ru

Source originale : http://oneworld.press/

 

L'Arctique est le prochain théâtre de l'Amérique pour le double endiguement de la Russie et de la Chine

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L'Arctique est le prochain théâtre de l'Amérique pour le double endiguement de la Russie et de la Chine

Par Andrew Korybko

Ex : http://oneworld.press

L'Arctique, c'est l'Amérique

La doctrine "Avantage en mer" récemment dévoilée par la marine américaine identifie l'océan Arctique comme le prochain théâtre de la tentative américaine de double endiguement de la Russie et de la Chine. À cette fin, le document propose que Washington recoure à des moyens désespérés tels que le déploiement délibéré de ses forces navales à des fins supposées de "désescalade" qui risquent en fait de provoquer une guerre nucléaire.

La doctrine de « Avantage en mer » de l'Amérique

La date du 17 décembre 2020 a été un jour très important pour plus d'une raison. Alors que le monde entier regardait la conférence de presse de fin d'année du président Poutine, la marine américaine a dévoilé sa doctrine "Avantage en mer". Cette dernière a attiré l'attention de la RT pour avoir identifié la Russie et la Chine comme les principaux rivaux des Etats-Unis, mais n'a depuis lors pas réussi à générer une réponse significative dans la Communauté Alt-Media. C'est une erreur, car le document est un must pour tous ceux qui veulent mieux comprendre la stratégie navale américaine pour le siècle à venir. Après tout, les tout premiers mots de son avant-propos se lisent de façon inquiétante : "Nos actions au cours de cette décennie vont façonner l'équilibre des forces maritimes pour le reste de ce siècle", soulignant ainsi la signification stratégique suprême de cette doctrine. De nombreux aspects de cette doctrine peuvent et doivent être analysés, mais le plus prometteur d'entre eux concerne peut-être la tentative américaine de double endiguement de la Russie et de la Chine dans l'océan Arctique.

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La concurrence polaire

Le texte ne dit pas grand-chose à ce sujet, mais il est tout à fait clair que cette région deviendra le prochain théâtre de cette stratégie jusqu'ici vouée à l'échec. Les deux grandes puissances multipolaires y ont des intérêts quasi identiques en ce qui concerne l'utilisation de ce que la Russie considère comme la route maritime du Nord et que la Chine considère comme la « route polaire de la soie » comme un raccourci pour faciliter le commerce maritime avec l'Europe. Elles sont également toutes deux très intéressées par les énormes gisements d'hydrocarbures de la région. L'Amérique est donc naturellement obligée d'interférer avec ces deux objectifs afin de retarder le plus longtemps possible la disparition de son hégémonie unipolaire. Elle rend son intention transparente en écrivant ce qui suit dans le texte :

"Nous ne pouvons pas céder notre influence dans des domaines où la concurrence quotidienne se fait jour, y compris dans les eaux régionales américaines et dans l'Arctique. Les décennies à venir apporteront des changements dans la région arctique qui auront un impact significatif sur l'économie mondiale, étant donné l'abondance de ses ressources naturelles et sa situation stratégique. La Chine considère cette région comme un maillon essentiel de son initiative "One Belt One Road". Les nations arctiques rouvrent d'anciennes bases, déplacent des forces et revigorent les exercices régionaux. Ces tendances vont persister dans les décennies à venir. Nous devons continuer à aller de l’avant et à positionner nos forces de manière appropriée".

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Les autres très rares références à la région concernent l'impact géostratégique du recul des glaces océaniques dans cette région, la construction par la Chine de brise-glaces polaires et d'autres navires "à une vitesse alarmante", et les prétendues ambitions de Pékin d'exploiter son initiative "Belt & Road" (BRI) dans le but de "permettre à ses forces d'opérer au plus loin de ses côtes que jamais, y compris dans les régions polaires". Il y a aussi une brève mention de l'acquisition prévue du "Polar Security Cutter" par les garde-côtes, mais ce sont les seules fois où l'Arctique ou les régions polaires sont mentionnés dans la doctrine. Néanmoins, elles sont suffisantes pour prouver qu'il s'agit d'un théâtre émergent de la rivalité entre grandes puissances.

Proposition provocatrice

Ce qui est particulièrement inquiétant dans tout cela, c'est que la doctrine "Avantage en mer" fait une proposition très provocante sur le positionnement naval des Etats-Unis dans le monde, y compris dans l'Arctique, en envisageant son inclusion dans le document. La plus inquiétante concerne l'observation selon laquelle "les activités qui ne sont pas des guerres peuvent avoir des effets stratégiques", qui est utilisée comme base pour affirmer que "le fait de déployer nos forces navales loin en avant - au péril de la vie et dans des environnements contestés - augmente les risques pour les rivaux qui envisagent la voie de l'escalade et empêche la crise de dégénérer en guerre". Cette affirmation est censée contrecarrer de manière préventive la "tentative probable de la Russie et de la Chine de s'emparer d'un territoire avant que les États-Unis et leurs alliés ne puissent mettre en place une réponse efficace, ce qui les mettrait devant le fait accompli", mais elle crée en réalité les conditions d'une guerre nucléaire dans le pire des cas, c'est-à-dire dans le cas où cette manœuvre imprudente conduirait à une guerre nucléaire par erreur de calcul.

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Biden : une politique de la corde raide

Le président élu Biden héritera donc de ce qui pourrait bien être la doctrine militaire la plus dangereuse que les États-Unis aient jamais connue, à savoir celle de mettre délibérément leurs forces navales en danger dans le but supposé d'"empêcher qu'une crise ne dégénère en guerre". En d'autres termes, il cherche à insérer de manière provocante les forces navales américaines au centre d'une crise en espérant que personne n'osera tirer sur elles, sinon elles risqueraient de déclencher une guerre nucléaire. Cette stratégie est extrêmement dangereuse et peut théoriquement se jouer n'importe où dans l'océan, mais son apparition potentielle dans l'Arctique pourrait très facilement impliquer les deux rivaux nucléaires des États-Unis, étant donné que c'est le seul endroit au monde où leurs intérêts se chevauchent de très près, comme cela a été expliqué précédemment. Comme certains pensent que les États-Unis sont déjà très en retard sur ce front, ils pourraient donc recourir à des mesures aussi désespérées dans le but de forcer leurs rivaux à faire des concessions ou de risquer une guerre nucléaire.

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Réflexions finales

La doctrine "Avantage en mer" de la marine américaine n'est pas de bon augure pour la paix mondiale, surtout si l'on considère le fait qu'elle propose une politique de ce que l'on ne peut qualifier que de « bravade nucléaire de facto », en insérant délibérément ses forces au centre d'une crise avec la Russie et/ou avec la Chine dans un but supposé de "désescalade". L'océan Arctique est le point de convergence des intérêts navals des trois parties, ce qui en fait donc le théâtre où cette politique pourrait avoir l'effet le plus déstabilisant. S'il est vrai que les États-Unis pourraient l'employer dans la mer Baltique, la mer Noire ou la mer de Chine méridionale, aucun de ces endroits ne risquerait d'impliquer ses autres rivaux eurasiens, donc de provoquer une véritable crise mondiale, comme si cela se produisait dans l'Arctique. L'Amérique pourrait même donner la priorité à cette question si elle pense que son bluff de guerre nucléaire pourrait conduire à la régulation des forces militaires dans l’Arctique, puisque, là, sur ce théâtre, les Etats-Unis sont si loin derrière la Russie et ont donc le plus à gagner d'une rétro-ingénierie belliciste dans ces eaux glacées.

mardi, 22 décembre 2020

Antonin Artaud, toujours ardoyant

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Antonin Artaud, toujours ardoyant

par Luc-Olivier d'Algange

Les plus profonds enseignements nous viennent sans doute des œuvres qui, adressant à notre entendement une mise-en-demeure radicale, se refusent à être édifiantes. Une défaillance, un refus, voire un effondrement, ou la conscience d'un effondrement collectif, sont alors la mesure, en précipices, de la plus haute exigence qui s'irise, comme en neiges éternelles, des hauteurs de l'âme, et interdit la réduction de l'écrit au rôle subalterne d'objet artistique.

« Nous ne sommes pas encore au monde », nous dit Antonin. Nous ne pensons pas encore dans une âme et un corps. Pire encore, nous pensons moins que nous ne pensions; une force, une lucidité ont été perdues et toutes les évaluations, sciences, religions réduites à leurs écorces mortes, à leurs superstitions, travaillent encore à rendre impossible l'advenue du ressac de cette pensée entrevue par la brèche qu'Antonin Artaud décrit dans L'Ombilic des limbes et dans ses premières lettres à Jacques Rivière.

Ce que sa pensée ne peut faire, - c'est-à-dire réduire son langage à l'édification d'une forme littéraire convenue - sera le principe de la puissance, d'une magie concrète qui débute par la conscience de l'œuvre-au-noir et dont le « théâtre alchimique » sera l'instrument de connaissance, non en termes scientifiques, mais rituels, selon l'ordre abyssal d'un sacré originel qui transparaît en feux noirs et feux de roue, selon la formule alchimique , à chaque ligne écrite.

Le livre que Françoise Bonardel vient de publier aux éditions Pierre-Guillaume de Roux, Antonin Artaud ou la fidélité à l'infini, se tient à la hauteur de cette mise-en-demeure. Plus encore que de parler de la vie et de l'œuvre d'Antonin Artaud, ce qu'elle fait admirablement, Françoise Bonardel nous parle de ce dont il est question dans cette vie et cette œuvre, « l'honneur vital » qui s'y trouve engagé, fidélité à l'infini.

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Au-delà d'une analyse strictement universitaire qui prétendrait à une explication à partir d'analyses, l'auteur s'engage, et c'est ce qui rend ce livre passionnant, dans une interprétation, une herméneutique orientée vers une implication dans l'œuvre et dans la pensée agissante de l'œuvre, échappant ainsi au double écueil du mimétisme et de la distanciation.

Le diagnostic que fait Antonin Artaud est clair, sa critique du monde moderne, radicale. L'Occident moderne s'est effondré: « Nous vivons des temps tragiques et plus personne n'est à la hauteur de la tragédie ». Nous avons cessé de penser et d'être. Un envoutement pénombreux nous tient dans une abstraction restreinte, fallacieuse et mortifère, nous avons perdu « la culture cuivrée du soleil ». Seul, nous dit Antonin Artaud, « un homme en marche depuis toujours » peut dire la sapience perdue. A tant dénier la mort, et la dimension tragique qu'elle impose à chaque être et à chaque moment, l'Occident moderne a renié la Vie: « Réaliser la suprématie de la mort, n'équivaut pas à ne pas exercer la vie présente. C'est mettre la vie présente à sa place, la faire chevaucher divers plans à la fois, éprouver la stabilité des plans qui font du monde vivant une grande force en équilibre. »

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L'Occident moderne est apostasie, reniement de ses ressources européennes, triste régression vers un état larvaire de docilité, « règne de l'On » comme disait Heidegger, ou du « dernier des hommes » dont parlait Nietzsche. De Nietzsche à Artaud, au demeurant, se tissent des affinités. « Quand le corps est blessé, écrit Artaud, c'est là qu'on trouve l'âme, l'Aigle et le Serpent ; totems protecteurs dont nous recevrons, ou non, la force de tout perdre ou de tout gagner, - ce qui est peut-être la même chose.

Antonin Artaud dépossédé de tout, - à commencer par l'usage utilitaire ou décoratif du langage, - s'empare du « tout », tellurique et ouranien, car ce « rien » qui lui reste n'est autre que la langue redevenue Soleil-Logos, puissance héliaque, fulgurance d'Apollon. On comprend mieux l'intérêt d'Artaud pour Apollonios de Thyane, Héliogabale ou le néoplatonisme solaire de l'Empereur Julien par lesquels il songera, je cite, à « retrouver et ressusciter les vestiges de l'antique culture solaire ».

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Bien au-delà de la simple polémique antimoderne, la guerre d'Artaud est ontologique: « Ne jamais discuter, frapper avec ma richesse, ça se taira ». Le dénuement total est la richesse absolue. Tout est dans l'acte d'être qu'il faut révéler par une suite d'épreuves, au sens vrai initiatiques. La conscience aiguë de l'Hors d'atteinte de la pensée et de la défaillance du langage, la vision abrupte, fatale, de cet effondrement central, seront ainsi le principe de la reconquête, mot par mot, geste par geste, d'une intégrité et d'une pureté perdue par une civilisation d'individus que plus rien ne relie à un ordre supérieur. Civilisation envoûtée de l'intérieur par la représentation qu'elle se fait d'elle-même et qui la condamne à être tenue à distance, déportée, exilée à l'intérieur de l'exil lui-même, - là où la servitude volontaire nous installe, dans ce « partout-nulle-part », déraciné, où plus rien ne symbolise avec rien.

Françoise Bonardel, dans ce livre magistral, nous rappelle à cette évidence: si Antonin Artaud n'est pas « homme de Lettres », si sa vie est, en soi, une insurrection et un cri, son œuvre ne saurait se réduire à un « cri » et s'avère être celle d'un très-grand écrivain français. Etre « toujours ardoyant » dans le creuset philosphal où s'animent l'Aigle et le Serpent, tel fut le dessein gnostique d'Antonin Artaud, qui renouvelle à certains égard celui de Maurice Scève, en ses blasons et cosmogonies.

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L'ouvrage de Françoise Bonardel approfondit magistralement ce dessein que l'on peut dire gnostique et alchimique, ce « voyage vers Tula », qui est aussi la mythique Thulée hyperboréenne, - autrement dit, le voyage vers ce qu'Antonin Artaud, nomme la Vie, avec une majuscule, Mercurius alchimique. La Vie, pour Artaud, est magnétisation, émanation, irisation des dieux « qui jouent aux quatre coins sonnant du ciel, aux quatre nœuds magnétiques du ciel. »

Contre l'abstraction conceptuelle, Antonin Artaud ravive le spirituel concret dans la tradition de Paracelse, Böhme, Novalis, Hamann et Franz von Baader. La guerre est ouverte contre la pensée calculante, restrictive, pensée d'usure et de pénurie, capitalisante et profanatrice qui nous réduit à l'état de spectre dans les « cavernes de l'être ». Pour Antonin Artaud, rien n'est plus concret que le suprasensible: « J'ai de l'esprit une idée matérielle bien que j'aie une philosophie anti-matérialiste de la vie ». La magie est concrète et d'une exactitude « cruelle ».

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Se déprendre de ce qui désincarne nos présences en représentations, de ce qui dégrade nos « actes d'être » en concepts abstraits, de ce qui avilit la tradition (qui est transmission ardente, transfusion) en coutumes bourgeoises, c'est enfin, pour Antonin Artaud, retrouver, en même temps, l'intensité et l'exaltation, les longitudes et les latitudes de l'âme et du monde, sans lesquelles les corps sont sans esprit et les esprits sans corps. La Thulée de l'âme est cette contrée murmurante, ce « voyage à travers son propre sang », comme l'écrit Françoise Bonardel, ce « Styx rutilant de tous les feux nocturnes » qui « nous invite à entreprendre dès ce monde-ci, l'ultime navigation vers et dans l'au-delà. »

L'œuvre sera cette « lame d'obsidienne », éclat solaire porté à la jonction des mondes qui donnera à Antonin Artaud le droit d'écrire: « Mais moi, je suis un être vrai, sans rien de phénoménal, et je me manifeste à tout instant, mort et vivant »

Luc-Olivier d'Algange.

Les amoureux de la fin du monde : le mouvement chrétien sioniste

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Les amoureux de la fin du monde : le mouvement chrétien sioniste

Introduction au livre « Les amoureux de la fin du monde ». Sur le mouvement chrétien sioniste

par Francisco José Fernàndez-Cruz Sequera

"Je bénirai ceux qui te béniront, et je maudirai ceux qui te maudiront ; et en toi seront bénies toutes les familles de la terre ».

Genèse 12:3.

Une croyance, c’est un modèle mentalement produit au départ d'un fait, réel ou imaginaire, qui cherche simultanément à satisfaire un désir, parfois perçu comme un besoin par l'individu, modèle pour lequel une explication rationnelle est inconnue ou inacceptable. Les individus qui partagent une croyance ou un modèle idéal, rendent bien compte de cette définition. Cela donne lieu à la naissance de dogmes, posés comme s'il s'agissait de faits réels. Ces dogmes élaborent des normes morales conséquentes, nécessaires pour les maintenir dans la durée.

Cette croyance irrationnelle donne lieu à l'apparition de formes de pensée que nous appelons « pensée magique » et « pensée religieuse », qui se situent au même niveau en ce qui concerne leur vérification empirique. La magie [1] et la religion [2] sont des modi operandi d’une pensée, qui se connecte à un type de connaissance sans fondement rationnel, en prétendant que la pensée religieuse a son origine dans une connaissance révélée par une divinité. Par conséquent, ce type de pensée place son origine dans un mystère, compris comme englobant toute réalité qui dépasse les possibilités humaines de leur compréhension. Julio Caro Baroja[3] a déclaré que la religion et la magie dans le monde ancien faisaient partie d'un seul et même système, dans lequel les rites religieux étaient souvent liés à des actes magiques, et que chaque groupe de croyances religieuses avait sa propre magie particulière. Cela étant, on peut affirmer que la pensée magique consiste en un mode de pensée et de raisonnement qui conduit à tirer des conclusions ou des idées basées sur des hypothèses non justifiées empiriquement, souvent de nature surnaturelle, en attribuant une relation de cause à effet, soit un lien logique de cause à effet, entre elles, pour expliquer un phénomène extérieur à la personne elle-même.

La pensée magique est une forme de raisonnement, dans laquelle la logique déductive rationnelle est utilisée pour expliquer une réalité extérieure, pour expliquer le fonctionnement de celle-ci, sans aucun support empirique. Comme on dirait vulgairement, c'est "tricher dans la solitude"... pour toujours gagner. Ainsi, la pensée magique projette les propriétés de son expérience psychologique sur une réalité biologique ou inerte, avec un but ou une intention prédéterminée. Elle consiste à croire que les pensées personnelles en soi peuvent avoir des effets sur la réalité en dehors de la personne ou du groupe, ou que penser à quelque chose équivaut à le faire. Il s'agit donc d'un type de raisonnement causal qui cherche des coïncidences entre des actes et des événements, ce qui génère la croyance erronée que ses propres pensées, paroles ou actions vont causer ou éviter un fait concret, d'une manière qui défie les lois naturelles de cause à effet communément acceptées par la logique et la science. S'inscrit également dans la pensée magique, le transfert de concepts issus de l'observation biologique, sur la manière dont fonctionnerait la nature inanimée. La conséquence de ce qui précède est que le sujet ou le groupe social dans lequel il est intégré, attribue des relations causales entre des actions et des événements qui ne sont pas rationnellement liés entre eux, ou dont le lien de causalité logique n'est pas empiriquement démontrable, et que le consensus scientifique n'accepte pas comme valables.

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Cette façon de penser est prédominante en matière de religion, de religiosité populaire et de superstition, car dans ces formes de pensée, on part d'un présupposé qui met en relation les rituels religieux, les prières, les sacrifices ou l'observance d'un tabou ou les croyances non critiques dans les dogmes, avec certaines attentes de sanction, de bénéfice et de récompense dans la réalité matérielle actuelle, ou dans une hypothétique réalité future ou parallèle de caractère surnaturel. En psychologie clinique, elle peut amener un patient à éprouver la peur d'accomplir ou de s'abstenir d'accomplir certains actes, ou d'héberger certaines pensées, en raison de sa croyance dans la corrélation entre ce comportement et son résultat souvent désastreux pour lui-même.

A tout moment et en tout lieu, la pensée magique a pris une forme religieuse pour tenter d'expliquer, par son eschatologie, l'origine et la fin du monde. Il y a toujours eu des groupes religieux qui, à partir d'une croyance irrationnelle, ont fixé la date, le jour et l'heure de la fin du monde ou de la « fin des temps » ; mais, au moins jusqu'au moment d'écrire ces lignes, celle qui annonçait la fin des temps ou du monde, n'est pas arrivée.

Les chrétiens n'ont pas été étrangers à cette vision magique de l'existence, héritée dans leur cas des juifs dont sont issues leurs croyances. Dans le judaïsme, les différentes écoles rabbiniques associées à des traditions différentes, associent l'arrivée d'un "sauveur" du peuple "choisi" par leur Dieu, le Messie, comme un signe eschatologique, qu'elles attendent depuis des milliers d'années comme un événement historique, variant notamment de l'une à l'autre, sans préjudice du fait que toutes partagent leur origine dans les prophéties du Tanakh, ou canon hébreu de la Bible, et fondent leur croyance sur des interprétations consolidées dans la littérature rabbinique. Il en va de même pour l'idée de la restauration du Temple de Jérusalem, ou pour celle du retour du peuple d'Israël sur la "Terre promise", qui sont également comprises et interprétées comme des prophéties eschatologiques ou des événements historiques futurs d'occurrence inexorable. Et cette diversité de croyances et d'interprétations ayant le même fondement, s'étend à des questions telles que la résurrection des morts, le jugement final, la création ou le gouvernement divin. Il n'est donc pas surprenant que l'eschatologie chrétienne soit si proche de celle du judaïsme, puisqu'elle se fonde sur les évangiles du premier siècle qui reflètent la tradition juive et sur les enseignements des théologiens ultérieurs basés sur cette tradition.

Les premiers chrétiens attendaient avec impatience la seconde venue du Christ[4], et cette croyance avait sa raison d'être dans les revendications mêmes de Jésus, le rabbin à l'origine du mouvement chrétien. Selon les textes de ses propres disciples, il a annoncé son retour après sa propre mort : "En vérité, je vous le dis, il y en a ici qui ne mourront pas avant d'avoir vu le Fils de l'homme venir dans son royaume" (Mt. 16, 28).

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Mais les chrétiens de l'Église primitive, après les premières décennies sans le retour de celui qu'ils reconnaissaient comme le fils de Dieu, ont réalisé que l'histoire pouvait durer beaucoup plus longtemps qu'ils ne le pensaient initialement, ce qui a amené certains à s'interroger sur l'accomplissement de la prophétie du Nouveau Testament, en disant

"Qu'est-il advenu de la promesse que le Christ viendrait, car depuis la mort de nos ancêtres, tout est resté le même depuis que le monde a été fait ?" (2 Pet. 3:4) [5]

Et l'apôtre Pierre leur répondit : "Frères, n'oubliez pas que pour le Seigneur, un jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un jour. (2 Pet. 3:8).

À partir du cinquième siècle, le christianisme a dû faire face à la concurrence d'autres religions ou d'initiatives philosophiques comme le mithraïsme, qui a donné lieu à des pratiques de sortilèges et d'incantations, en plus de l'astrologie ; ou à des doctrines d'un niveau spirituel excentrique comme le néoplatonisme, contre lequel le christianisme, par le biais de la controverse philosophique, s'est battu. L'aspect le plus important de ce débat est peut-être la différenciation ultérieure entre la theurgia, magie cérémonielle, propre à une vision du monde donnée ; et la goeteia, qui en vient à être la "magie inférieure", peut-être associée par la suite à la "magie noire".

Une fois le monde antique détruit par le christianisme, et établi comme seule religion pouvant être professée, déjà au cours du Moyen Age et de la Réforme protestante, la théologie chrétienne a traité des quatre derniers états de l'être humain : la mort, le jugement, l'enfer et la gloire ; qui s'expliquent à partir de l'eschatologie chrétienne, en partant de la prophétie des événements qui sont censés se produire, de la Grande Tribulation, dans laquelle le rôle de l'Antéchrist deviendra prépondérant, à la Parousie, "glorieuse venue" ou seconde venue de Jésus-Christ, puisque la première se serait produite entre l’an 6 av. J.C. et la fin de l'existence de Jésus, coïncidant avec la "fin des temps".

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Sur la base de ces éléments, les croyances chrétiennes divergent dans l'interprétation des textes et des prophéties évangéliques, forgeant leurs propres multiples versions de ce qui doit arriver. Mais ce sur quoi ils s'accordent, c'est qu'il y aura des signes qui précéderont la "fin des temps", bien qu'ils ne soient pas d'accord non plus sur ce que sont exactement ces signes. Mais, en général, prenons comme point de référence ceux annoncés par l'apôtre Paul, qui soulignait qu'après un temps d'attente, et avant la venue du Christ, trois choses devraient se produire :

1) La proclamation de l'Evangile doit atteindre toutes les nations : "Et ce message du Royaume sera prêché dans le monde entier, afin que toutes les nations le connaissent ; et alors viendra la fin" (Mt. 24:14).

2) A la fin de l'histoire, Israël sera réconcilié avec le Christ et sera sauvé : "Une partie d'Israël tiendra  jusqu'à ce que tous les païens soient entrés, alors tout Israël sera sauvé" (Rom. 11:25).

3) Et enfin, "l'apostasie générale", une crise religieuse mondiale dans laquelle l'Antéchrist régnera :

"Ne craignez aucun message spirituel comme si c'était le jour du Seigneur qui est déjà venu. Avant ce jour, la rébellion contre Dieu doit venir en premier, quand l'homme du péché qui sera assis dans le temple de Dieu et sera adoré apparaîtra, il viendra avec une grande puissance et avec des signes mensongers et des miracles. Il utilisera toutes sortes de maux pour tromper" (2 Thess. 2:1-12).

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La seule chose qu'un observateur objectif et impartial sait bien, c'est que si l’adepte d’une religion messianique de ce type n'aime pas une série d'événements ou de prévisions sur ce qui va se passer, il a tellement de possibilités de choisir qu'il trouvera difficilement une "heure de fin" à son goût et à sa mesure. Les avantages de la pensée magique.

Et la vérité est qu'il n'y a pas de mal à croire en ce que l'on veut, ni à se donner, seul ou en groupe, les explications de l'origine et de la fin de ce qui existe. Notre but n'est pas de nier l'existence d'une réalité surnaturelle, qui ne peut être démontrée empiriquement, puisque l'acceptation ou non d'une proposition religieuse ou d’une autre relève de la sphère très personnelle de chaque individu et de chaque communauté humaine. Il s'agit de mettre en évidence la volonté des juifs, des sionistes et des chrétiens sionistes de déduire de leurs croyances particulières un destin politique pour la planète entière, qui serait d'application générale, forcée et violente, imposée au reste de l'espèce humaine et à la planète entière en général. Et c'est ce qui s'est déjà produit avec différentes religions en différents lieux et à différents moments, c'est ce qui se produit aujourd'hui avec le mouvement sioniste chrétien évangélique comme bélier du sionisme et du judaïsme, qui tente de nous conduire à une guerre finale dans laquelle se réalisent les prophéties de son eschatologie biblique millénariste, née bien avant l'arrivée du premier juif en Europe et la contamination de la culture occidentale par la vision juive de l'existence. Un fait qui s'est produit grâce à l'influence de la communauté juive elle-même insérée en Europe, des hérésies chrétiennes du judaïsme et, enfin, du sionisme.

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Notes :

1] L'art ou la science cachée qu'il est censé produire, par certains actes ou paroles, ou avec l'intervention d'êtres imaginaires, donne des résultats contraires aux lois naturelles.

2] Le culte de l'être humain envers les entités auxquelles sont attribués des pouvoirs surnaturels, à travers lesquels on recherche une connexion avec le divin et le surnaturel, ainsi qu'un certain degré de satisfaction spirituelle par la foi ou la dévotion, afin de surmonter la souffrance et d'atteindre le bonheur.

3] Caro Baroja, Julio. Les sorcières et leur monde. Madrid. Alianza Editorial. 1961. Pages 38 à 49.

4] "Bientôt, très bientôt, viendra celui qui doit venir et ne tardera pas" (Hebr. 10, 37). "Dieu, qui est le juge, est déjà à la porte. "La fin de toutes choses est proche" (1 P. 4, 7). "Oui, venez vite, amen. Viens, Seigneur Jésus" (Apoc. 22:20).

5] La Reina Valera est l'une des traductions espagnoles de la Bible les plus fréquemment utilisées par les protestants hispanophones. L'actuelle Reina Valera est le résultat d'une série de révisions effectuées par les Sociétés bibliques unies sur l'une des premières traductions de la Bible en espagnol: la Bible de l'ours de 1569. Dans un sens plus large, elle inclut les révisions faites par d'autres entités qui se basent sur les textes de la Reina Valera. La traduction du moine espagnol con-verti au protestantisme, Casiodoro de Reina, connue sous le nom de Bible de l'Ours de 1569, a la particularité d'être la première traduction de la Bible à être faite à partir des textes en langue originale ; utilisant le Texte Masorétique pour l'Ancien Testament, et le Textus Receptus pour le Nouveau Testament. Avant la publication de l'œuvre complète de Casiodoro de Reina, les Bibles existantes (ou une partie d'entre elles) en langue espagnole étaient des traductions faites à partir de la Vulgate de Saint Jérôme de Stridon. La Bible de l'ours a été publiée à Bâle, en Suisse, le 28 septembre 1569, et son traducteur était Casiodoro de Reina, un religieux espagnol converti au protestantisme. Elle a été surnommée Reina Valera parce que Cipriano de Valera en a fait la première révision en 1602. La Reina Valera a été largement répandue pendant la Réforme protestante du XVIe siècle. Pendant plus de quatre siècles, elle a été la seule Bible en usage au sein de l'église protestante hispanophone. Aujourd'hui, la Reine Valera, avec plusieurs révisions au fil des ans (1862, 1909, 1960, 1995, 2011), est l'une des Bibles en langue espagnole les plus utilisées par de nombreuses églises chrétiennes issues de la Réforme protestante, y compris les églises évangéliques, ainsi que par d'autres groupes confessionnels chrétiens, tels que l'Église adventiste du septième jour, l'Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, l'Église de Dieu Ministère de Jésus-Christ International, le Gideons International et d'autres chrétiens protestants non confessionnels. Avant la Réforme protestante, la traduction des Saintes Écritures dans les langues vernaculaires était interdite par le décret du Concile de Trente, et les quelques traductions qui existaient devaient prendre comme base textuelle la Vulgate latine, qui était le texte officiel de l'Église catholique. Le travail de Casiodoro de Reina a la particularité d'être la première traduction complète de la Bible en espagnol faite à partir des langues originales, en utilisant, comme mentionné ci-dessus, le texte dit Masorétique pour l'Ancien Testament, et le texte dit Textus Receptus, pour le Nouveau Testament. La Bible préalpine et la Bible alphonsine (premières versions de la Bible complète en espagnol) sont des traductions faites à partir du latin. Avant la publication de la Bible de l'Ours, il n'existait que des versions partielles de la Bible des langues hébraïque et grecque en espagnol, telles que la Bible d'Albe et la Bible de Ferrare (contenant l'Ancien Testament) et les textes de Juan Pérez de Pineda et Francisco de Enzinas (Nouveau Testament). La Bible de Casiodoro de Reina reflète la beauté littéraire de ce qu'on appelle l'âge d'or de la littérature espagnole. Dans Historia de los heterodoxos españoles, le savant catholique Marcelino Menéndez Pelayo fait l'éloge de La Biblia del Oso d'un point de vue littéraire, qu'il considère comme mieux écrite que les versions catholiques de Felipe Scío de San Miguel (1793) et Félix Torres Amat (1825).

La théologie politique de la culpabilité blanche : Trump comme menace pour le narratif officiel de l'UE après la Seconde Guerre mondiale

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La théologie politique de la culpabilité blanche : Trump comme menace pour le narratif officiel de l'UE après la Seconde Guerre mondiale

par Tom Sunic, Ph.D.

La période post-électorale des présidentielles américaines qui s’observe actuellement aux États-Unis a un grand impact sur la classe politique en Europe. D'un point de vue historique, ce n'est pas nouveau. Chaque homme politique en Europe sait que tout changement politique majeur aux États-Unis aura forcément, le lendemain, un effet sur sa propre politique et sur ses décisions, déterminera probablement la durée de sa carrière. Ce mimétisme pro-américain obligatoire parmi les hommes politiques européens tourne à plein régime depuis 1945.

Il n'est donc pas surprenant que les grands médias en Europe, soutenus par de hauts fonctionnaires eurocratiques, à l'exception très timide de ceux de Pologne, de Hongrie et de Slovénie, s'appuient sur les médias américains dans un effort commun pour détrôner Trump et  rendre son héritage nul et non avenu. La classe politique allemande, avec la chancelière Merkel au sommet du système européen, est à l'avant-garde de ce mimétisme anti-Trump et pro-Biden.

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La bonne nouvelle pour certains - et probablement la mauvaise pour d'autres - est que tant aux États-Unis qu'en Europe, le fossé entre les dirigeants et les gouvernés se creuse, ce qui risque de les dresser les uns contre les autres : l’émergence de troubles civils devient un scénario très probable, en dépit de Trump ou de Biden. En Europe, non seulement les partis nationalistes de toutes tendances, mais aussi de plus en plus de citoyens ordinaires, en raison des réglementations bizarroïdes, toujours changeantes et aléatoires, en matière de confinement dans le cadre de la « pandémie » du Covid19 , se méfient de plus en plus des décrets du Système, ne prenant plus au pied de la lettre les palabres sur la tolérance et les promesses d’un avenir multiculturel radieux. Beaucoup de gens en Europe aiment les mots de Trump - par défaut certes, et non pas par leur connaissance du fonctionnement du système électoral américain.

Il faut souligner que Trump était et reste une exception américaine à la règle habituelle du système libéral mondial de l'après-guerre. Comme on pouvait s'y attendre, le fait que Trump dénigre les grands médias et son image miroir, le Deep State, ne correspond pas du tout au discours libéral ou communiste antifasciste et postcolonial de l'après-guerre auquel tous les Blancs européens et américains ont été soumis depuis 1945. Contrairement à l'Amérique, cependant, les nations européennes ont une marge de manœuvre politique très mince, ce qui est largement dû à leur ancien passé colonial, autoritaire, totalitaire et antilibéral. Par conséquent, les politiciens européens d’obédience conservatrice et/ou nationaliste ne peuvent que compenser le poids de leur passé et échapper au terme obsédant de "fascisme" en adoptant un comportement de pénitent et en ânonnant des sermons auto-flagellants sur l’hypothétique culpabilité de l'homme blanc. Cette attitude d’effacement se traduit aujourd'hui, dans la pratique quotidienne et suicidaire, par une importation massive de jeunes migrants non européens, l'Europe entière devenant rapidement un hospice géant de Blancs repentants, à genoux.

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La mentalité masochiste de l'homme blanc peut être directement attribuée à ce que l’on a appelé la « théologie politique d'Auschwitz », inaugurée dans l'après-guerre et fabriquée non seulement comme une arme idéologique dissuasive pour l'Allemagne vaincue, mais aussi comme un avertissement pour les anciens vainqueurs américains et britanniques. Dans cette optique, toute tentative d'approbation, pour des politiques du type de celle préconisée par Trump, par un quelconque haut responsable politique européen signifie qu'il court le risque d'être accusé de sympathies fascistes ou révisionnistes. C'est alors le baiser de la mort dans sa carrière.

Afin de saisir le pourquoi de la conduite obséquieuse des dirigeants européens à l'égard du Système, ou appelons-le l'État profond ancré dans la côte Est des États-Unis, il faut toujours replacer les choses dans une perspective historique plus large. Avec ses remarques critiques à l'égard des grands médias et avec sa rhétorique anti-immigration, Trump a sérieusement endommagé le narratif du Système et, en cours de route, a soulevé, sans même s'en rendre compte, des questions troublantes sur la légitimité de l'Ordre mondial établi au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

En Europe, le Système - c'est-à-dire l'État profond - a son principal appui en Allemagne. Étant le cœur de l'Europe, l'Allemagne d'après 1945 a été prédestinée à servir de modèle pour tous les futurs États membres de l'UE. Aujourd'hui, le gouvernement allemand fonctionne donc comme le porte-parole le plus bruyant de la rhétorique anti-Trump et pro-Biden. Étant donné la névrose fondatrice qui est à la base de la construction de l'État allemand après la Seconde Guerre mondiale, un tel comportement pénitent se comprend et s’explique. L'Allemagne a été conçue comme le nouvel exemple emblématique d'une ingénierie sociale et raciale de type multiculturel sociale réussie et alliée-au mouvement antifa. Ce qui a donné naissance à des centaines de milliers de politiciens et d'universitaires auto-censurés, serviles et animés par un prurit expiatoire, tous ayant une peur mortelle que le moindre souffle de dissidence dans leurs propos puisse les faire disparaître de la scène publique. Dans la politique contemporaine quotidienne, les politiciens et les universitaires allemands doivent donc être constamment en alerte et s'efforcer, métaphoriquement parlant, d'être plus catholiques que le pape, c'est-à-dire être, plus que tous les autres, les sosies germaniques de Biden, être plus Biden que Biden et son équipe. Il en va de même pour tous les hommes politiques européens non allemands, bien que dans une moindre mesure.

Les termes empoisonnants que sont « fascisme » et « racisme » servent aujourd'hui d'outils idéaux d'autocensure en Allemagne, ce qui explique également pourquoi l'Allemagne a été, au cours des dernières décennies, et plus particulièrement au cours de la dernière décennie, le plus fervent défenseur de sa politique multiculturelle autodestructrice se manifestant par l'importation constante de migrants non européens.

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Un autre exemple de l'alignement masochiste de l'Allemagne : tout récemment, le ministre allemand des affaires étrangères, Heiko Maas (photo), a publié la déclaration suivante, en adoptant le mode d'expiation préventive typiquement allemande, et afin de contrer toute spéculation selon laquelle l'Allemagne pourrait un jour s'écarter du nouvel ordre mondial de l'après-guerre : "Je vais poursuivre le venin de l'extrême droite pour le salut de notre démocratie." (Ich will gegen rechtsextremes Gift für unsere Demokratie vorgehen).

Un tel spectacle d'expiation  à l’allemande et à l’européenne est une conséquence naturelle et logique du processus de lavage de cerveau, imposé par les alliés anglo-saxons dès la fin des années 1940. Ce processus se déroule dans les médias et dans l'enseignement supérieur, non seulement à l'Est, mais aussi à l'Ouest depuis 1945. Par conséquent, si Trump continue d'accuser les grands médias et l'État profond de malhonnêteté politique parce qu’ils biaisent la couverture des événements et dissimulent l’élection volée, il soulève inévitablement la question de savoir dans quelle mesure le système tout entier et son récit historique ont été véridiques, ou plutôt faux, au cours des soixante-dix dernières années. Trump était une menace pour l'ensemble du narratif de l'après-guerre en Occident.

L'ancien dissident et écrivain anticommuniste russe Alexandre Soljenitsyne écrivit, il y a longtemps, que nous "ne devrions pas vivre le mensonge communiste". Eh bien, le temps semble être venu de poser la même question sur le mensonge du système libéral.

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Un tripoteur à la Maison Blanche

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Un tripoteur à la Maison Blanche

par Georges FELTIN-TRACOL

Ex: http://www.europemaxima.com

Viré ! Donald Trump est viré ! Les grands électeurs ont voté. Le coup d’État électoral a bien eu lieu. Principale cible pendant tout son mandat du complexe politico-médiatique, de la nouvelle industrie numérique et des factions de l’État profond, en particulier la Stasi locale, à savoir le FBI, l’homme d’affaires new-yorkais quitte la Maison Blanche, victime de fraudes électorales massives, de la participation illégale dans les fiefs démocrates d’immigrés clandestins et des défunts, et d’un vote par correspondance largement trafiqué. Toutes ces conditions grossières prouvent que les États-Unis d’Amérique demeurent une ploutocratie bananière. Il faut voir et entendre depuis plus d’un mois le ravissement non dissimulé des éditorialistes radio, la jubilation non masquée des correspondants, la satisfaction non feinte des journalistes télé pour comprendre la gravité du moment. Joseph Biden devient à 78 ans le 46e président des États-Unis d’Amérique. Quant à sa colistière, Kamala Harris, elle entre déjà dans l’histoire comme première femme de couleur d’origine tamoule et jamaïcaine à devenir vice-présidente et donc à diriger les séances du Sénat fédéral.

Ce n’est malheureusement que le début de l’ascension de cette VRP du cosmopolitisme progressiste et libéral-sécuritaire. Président le plus âgé à entrer en fonction le 20 janvier prochain, Joe Biden ne fera certainement qu’un seul mandat d’autant qu’il accusera 82 ans dans quatre ans. Il est déjà probable que dans cette perspective, Kamala Harris se présentera aux primaires démocrates de 2024 afin de faire des États-Unis le moteur de l’hyper-globalisation. Elle entend en effet imposer par la contrainte, légale ou implicite, des normes délirantes pour un « vivre ensemble » fallacieux, restreindre le port d’arme chez les honnêtes gens et limiter la liberté d’expression.

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On peut même penser qu’elle occupera plus tôt que prévu le Bureau ovale et qu’elle y restera une décennie si elle succède à Biden au premier jour de la seconde moitié de son mandat. Le coronavirus le frapperait une fois son travail effectué : écarter définitivement Donald Trump et ses partisans des cercles du pouvoir visible. Les procureurs démocrates de l’État de New-York trépignent déjà d’impatience à l’idée d’inculper un ancien chef d’État pour de troubles raisons fiscales. Deux autres paramètres peuvent par ailleurs jouer dans le départ anticipé de l’ineffable « Sleepy » Biden.

Il y a d’abord les nombreuses magouilles financières qui concernent le nouveau président US et surtout son fils, Hunter, en français « Chasseur », un prénom prédestiné. Grâce à la notoriété de son père, vice-président d’Obama pendant huit ans et sénateur du Delaware de 1973 à 2009, le fiston a su dénicher de juteuses affaires. Les pots de vin en Ukraine ne sont que la partie visible de scandales vite étouffés par des journalistes bienveillants. Le « Huntergate » se décline en divers volets aussi édifiants les uns que les autres. Outre une âpreté aux gains, le fiston, toxicomane, aurait entretenu une liaison avec sa belle-sœur, la veuve de son frère aîné, et aurait été très très très affectueux avec sa nièce à l’époque mineure… Les Biden semblent se comporter en parfaits sybarites. L’ancien vice-président de Barry – et non Barack ! – Obama présente, y compris en public, un comportement pervers à l’égard des jeunes filles. Bien des images officielles le montrent tripoter machinalement leur poitrine naissante. Le regard et le visage des adolescentes ne font aucun doute sur son attitude plus que déplacée. Le père Biden leur répète souvent une blague salace : « Pas de petit copain avant trente ans ! » Si on trouve ça drôle…

L’élection catastrophique de Biden sauve les milieux pédophiles liés à la voyoucratie démocrate et à la canaille néo-conservatrice. Les révélations autour des réseaux de Jeffrey Epstein montrent l’implication de la « Jet Set » et du « show biz » (voir les numéros 471 à 479 de l’excellente lettre confidentielle fondée par Emmanuel Ratier, Faits & Documents). Cette victoire frelatée signifie l’oubli prochain du « Pizzagate ». Non, contrairement à ce qu’affirme cette saloperie de Wikipédia, le « Pizzagate » n’est pas une invention de l’Alt Right et de QAnon. Cette sordide affaire n’éclaire que très partiellement les turpitudes courantes de l’hyper-classe globalitaire.

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On peut raisonnablement penser que Biden le Tripoteur soit tenu par des affaires de mœurs jamais évoquées par des biographies complaisantes. Ancien procureur général de Californie (2011 – 2017) et sénatrice fédérale depuis 2017, Kamala Harris connaît sûrement les penchants réels de son colistier. Son maintien à la Maison Blanche dépendra de sa docilité à l’égard de ses financiers et de ses pourvoyeurs en Lolitas (souvent les mêmes !). Occupé à tripoter des fillettes comme Clinton s’offrait du bon temps avec de mignonnes stagiaires (Monica Lewinski n’étant qu’un exemple quelque peu entaché), le nouveau président ordonnera l’envoi de soldats étatsuniens et de leurs supplétifs otaniens mourir pour les intérêts de Wall Street et de la Silicon Valley, ce que refusait avec insistance Donald Trump malgré les pressions de certains de ses conseillers dont le criminel de guerre John Bolton. Les crises internationales s’aggraveront encore plus au nom de l’hégémonisme fétide des droits de l’homme (et des poux) tandis que disparaîtra la plus modeste esquisse d’« Europe – puissance » libre, indépendante et souveraine.

Par-delà une attitude privée abjecte, Joe Biden tentera, si l’hyper-classe s’accorde sur les objectifs à atteindre, de freiner l’ascension réelle des autres puissances, à moins que son élection ne soit vraiment contestée et que les tensions perceptibles dans une société étatsunienne éclatée ne dégénèrent enfin en véritable conflit armé intérieur. Plus que jamais, America delenda est !

Georges Feltin-Tracol.

• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n° 195, mise en ligne sur TVLibertés, le 16 décembre 2020.

lundi, 21 décembre 2020

Heidegger Against the Traditionalists

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Heidegger Against the Traditionalists

Ex: http://www.counter-currents.com

1. Introduction

Those on the New Right are bound together partly by shared intellectual interests. Ranking very high indeed on any list of those interests would be the works of Martin Heidegger and those of the Traditionalist [1] [2] school, especially René Guénon and Julius Evola. My own work has been heavily influenced by both Heidegger and Traditionalism. Indeed, my first published essay (“Knowing the Gods [3]”) was strongly Heideggerian, and appeared in the flagship issue of Tyr [4], a journal that describes itself as “radical traditionalist,” and that I co-founded. This is just one example; many of my essays have been influenced by both schools of thought.

In my work, I have made the assumption that Heidegger’s philosophy and Traditionalism are compatible. This assumption is shared by many others on the Right, to the point that it is sometimes tacitly believed that Heidegger was some kind of Traditionalist, or that Heidegger and the Traditionalists had common values and, perhaps, a common project. These assumptions have never really been challenged, and it is high time to do so. The present essay puts into question the Heidegger-Traditionalism relationship.

Doing so will allow us to accomplish three things, at least:

(a) Arrive at a better understanding of Heidegger. This is vital, for my own study of Heidegger (in which I have been engaged, off and on, for over thirty years) has convinced me that he is not only the essential philosopher for the New Right, he is the only great philosopher of the last hundred years — and quite possibly the greatest philosopher who ever lived. I don’t make such claims lightly, and feel that I have only recently come to truly appreciate how much we need Heidegger. Yet reading Heidegger is extremely difficult. The present essay will help to clarify his thought by putting it into dialogue with the Traditionalists, whose writings are much more accessible, and much more familiar to my readers.

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(b) Arrive at a better understanding of Traditionalism. We will find that in important ways Heidegger’s thought is not compatible with Traditionalism. The reason for this is that from a Heideggerian perspective Traditionalism is fundamentally flawed: it is thoroughly (and naïvely) invested in the Western metaphysical tradition which, according to Heidegger, sets the stage for modernity. In other words, because Traditionalism uncritically accepts the validity of Western metaphysical categories, it buys into some of the foundational assumptions of modernity. In the end, Traditionalism has to be judged a thoroughly modern movement, an outgrowth of the very epoch reviled by the Traditionalists themselves. All this, again, becomes clear only if we view Traditionalism, and Western intellectual history, from a Heideggerian perspective. I will argue that that perspective is correct. Thus, part of the purpose of this essay is to convince those on the Right that they need to take a more critical approach to Traditionalism.

(c) Arrive at a new philosophical approach. Although I will argue that Heidegger and Traditionalism are not compatible, the case can nonetheless be made that Heidegger is a traditionalist of sorts, and that, for Heidegger, something like a “primordial tradition” does indeed exist (though it is markedly different from the conceptions of Guénon and Evola). In short, through an engagement with Heidegger’s thought, and how it would respond to Traditionalism, we can arrive at a more adequate traditionalist perspective — one that shares a great many of the values and beliefs of Guénon and Evola, while placing these on a surer philosophical footing. In turn, I will also show that there are limits to Heidegger’s own approach, and that it is flawed in certain ways. Here we achieve a perfect symmetry, for these flaws are perceptible from a traditionalist perspective, broadly speaking. What I will have to say on this latter topic will also be of great interest to anyone influenced by Ásatrú, or the Germanic pagan revivalist movement.

In the end, we will not arrive simply at a fusion of Heidegger and Traditionalism, since both are transformed through the dialogue into which I put them. We will arrive instead at a new philosophical perspective, a new beginning and a new “program” for Western philosophy, one that has rejected Western metaphysics and that seeks to prepare the way for something yet to come, something beyond the modern and the “post-modern.” This new beginning is possible because the groundwork was laid by Heidegger, Guénon, and Evola (to name only three).

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The project described above is quite ambitious, and it cannot be carried out in a single essay. Thus, the present text is the first in a series of several projected essays. (The outline of the series is presented as an Appendix, at the end of this essay.) Here, I will limit myself to a basic survey of Heidegger in relation to Traditionalism, his knowledge of Traditionalist writings, and the criticisms he would likely have leveled against this school of thought.

2. Anti-Modernism in Heidegger and the Traditionalists

The primary reason Heidegger gets associated with Guénon and Evola is that all three were trenchant critics of modernity. Heidegger and the Traditionalists hold that modernity is a period of decline, that it is a falling away from an “originary” [2] [5] position that was qualitatively different, and immeasurably superior. Further, the terms in which these authors critique modernity are often remarkably similar.

Consider these lines from Heidegger’s Introduction to Metaphysics, worth quoting at length because they sound like they could have come straight out of Guénon’s The Reign of Quantity and Signs of the Times:

When the farthest corner of the globe has been conquered technologically and can be exploited economically; when any incident you like, at any time you like, becomes accessible as fast as you like; when you can simultaneously “experience” an assassination attempt against a king in France and a symphony concert in Tokyo; when time is nothing but speed, instantaneity, and simultaneity, and time as history has vanished from all Dasein of all peoples; when a boxer counts as the great man of a people; when the tallies of millions at mass meetings are a triumph; then, yes then, there still looms like a specter over all this uproar the question: what for? — where to? — and what then? The spiritual decline of the earth has progressed so far that peoples are in danger of losing their last spiritual strength, the strength that makes it possible even to see the decline [which is meant in relation to the fate of “Being”] and to appraise it as such. This simple observation has nothing to do with cultural pessimism — nor with any optimism either, of course; for the darkening of the world, the flight of the gods, the destruction of the earth, the reduction of human beings to a mass, the hatred and mistrust of everything creative and free has already reached such proportions throughout the whole earth that such childish categories as pessimism and optimism have long become laughable. [3] [6]

In a later passage, Heidegger emphatically reiterates much of this: “We said: on the earth, all over it, a darkening of the world is happening. The essential happenings in this darkening are: the flight of the gods, the destruction of the earth, the reduction of human beings to a mass, the preeminence of the mediocre.” [4] [7] Consider also this passage:

All things sank to the same level, to a surface resembling a blind mirror that no longer mirrors, that casts nothing back. The prevailing dimension became that of extension and number. To be able — this no longer means to spend and to lavish, thanks to lofty overabundance and the mastery of energies; instead, it means only practicing a routine in which anyone can be trained, always combined with a certain amount of sweat and display. In America and Russia, then, this all intensified until it turned into the measureless so-on and so-forth of the ever-identical and the indifferent, until finally this quantitative temper became a quality of its own. By now in those countries the predominance of a cross-section of the indifference is no longer something inconsequential and merely barren but is the onslaught of that which aggressively destroys all rank and all that is world-spiritual, and portrays these as a lie. This is the onslaught of what we call the demonic [in the sense of the destructively evil]. [5] [8]

Finally, let us consider a passage from a later text, What Is Called Thinking? (1953):

The African Sahara is only one kind of wasteland. The devastation of the earth can easily go hand in hand with a guaranteed supreme living standard for man, and just as easily with the organized establishment of a uniform state of happiness for all men. Devastation can be the same as both, and can haunt us everywhere in the most unearthly way — by keeping itself hidden. Devastation does not just mean a slow sinking into the sands. Devastation is the high-velocity expulsion of Mnemosyne. The words, “the wasteland grows,” come from another realm than the current appraisals of our age. Nietzsche said, “the wasteland grows” nearly three quarters of a century ago. And he added, “Woe to him who hides wastelands within.” [6] [9]

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These passages give a fairly good summation of the essentials of Heidegger’s critique of modernity, which is worked out in much greater detail in his entire oeuvre. (Arguably, Heidegger’s confrontation with modernity is the central feature of his entire philosophy.) We may note here, especially, four major points. [7] [10] I will set these out below, along with quotations from Guénon’s Reign of Quantity, for comparison:

(a) The predominance of the “quantitative” in modernity; the triumph of the quantitative over the qualitative:

Guénon: “The descending movement of manifestation, and consequently that of the cycle of which it is an expression, takes place away from the positive or essential pole of existence toward its negative or substantial pole, and the result is that all things must progressively take on a decreasingly qualitative and an increasingly quantitative aspect; and that is why the last period of the cycle must show a very special tendency toward the establishment of a ‘reign of quantity.’” [8] [11]

(b) The cancellation of distance in the modern period; the increasing “speed” of modernity:

Guénon: “[Events] are being unfolded nowadays with a speed unexampled in the earlier ages, and this speed goes on increasing and will continue to increase up to the end of the cycle; there is thus something like a progressive ‘contraction’ of duration, the limit of which corresponds to the ‘stopping-point’ previously alluded to; it will be necessary to return to a special consideration of these matters later on, and to explain them more fully.” [9] [12]

And:

“The increase in the speed of events, as the end of the cycle draws near, can be compared to the acceleration that takes place in the fall of heavy bodies: the course of the development of the present humanity closely resembles the movement of a mobile body running down a slope and going faster as it approaches the bottom . . .” [10] [13]

(c) Modernity’s leveling effect; the destruction of an order of rank:

Guénon: “It is no less obvious that differences of aptitude cannot in spite of everything be entirely suppressed, so that a uniform education will not give exactly the same results for all; but it is all too true that, although it cannot confer on anyone qualities that he does not possess, it is on the contrary very well fitted to suppress in everyone all possibilities above the common level; thus the ‘leveling’ always works downward: indeed, it could not work in any other way, being itself only an expression of the tendency toward the lowest, that is, toward pure quantity . . .” [11] [14]

(d) Modernity’s reduction of everything to uniformity:

Guénon: “A mere glance at things as they are is enough to make it clear that the aim is everywhere to reduce everything to uniformity, whether it be human beings themselves or the things among which they live, and it is obvious that such a result can only be obtained by suppressing as far as possible every qualitative distinction . . .” [12] [15]

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In later works, Heidegger explicitly ties modernity’s will towards uniformity to the “mechanization” of human beings. The spirit of technology becomes so totalizing that finally human beings themselves are “requisitioned” (to use a Heideggerian expression) and integrated as subsidiary mechanisms within the vast machine of modernity. In this connection, consider this passage from Guénon, worth quoting at length:

Servant of the machine, the man must become a machine himself, and thenceforth his work has nothing really human in it, for it no longer implies the putting to work of any of the qualities that really constitute human nature. The end of all this is what is called in present-day jargon ‘mass-production,’ the purpose of which is only to produce the greatest possible quantity of objects, and of objects as exactly alike as possible, intended for the use of men who are supposed to be no less alike; that is indeed the triumph of quantity, as was pointed out earlier, and it is by the same token the triumph of uniformity. These men who are reduced to mere numerical ‘units’ are expected to live in what can scarcely be called houses, for that would be to misuse the word, but in ‘hives’ of which the compartments will all be planned on the same model, and furnished with objects made by ‘mass-production,’ in such a way as to cause to disappear from the environment in which the people live every qualitative difference. [13] [16]

One last quotation from Guénon: “Man ‘mechanized’ everything and ended at last by mechanizing himself, falling little by little into the condition of numerical units, parodying unity, yet lost in the uniformity and indistinction of the ‘masses,’ that is, in pure multiplicity and nothing else. Surely that is the most complete triumph of quantity over quality that can be imagined.” [14] [17]

It would be pointless to amass further such quotations from Guénon since his work is replete with them — and since many of my readers are much more familiar with Guénon’s work than with Heidegger’s. It would be equally pointless to quote the many virtually identical observations from Evola (who is probably much more familiar to my readers even than Guénon). A substantial amount of Evola’s work is occupied with elaborating and extending Guénon’s critique of modernity, to which Evola devoted entire volumes (e.g., Revolt Against the Modern World, Ride the Tiger, Men Among the Ruins, etc.). However, their positions diverge when Evola advocates that the superior man respond to modernity by “riding the tiger” (i.e., utilizing certain negative elements of the modern world, which might destroy lesser men, for the positive purpose of self-realization).

3. The Evola Quotation in Heidegger’s Nachlass

The foregoing has hopefully demonstrated to the reader that Heidegger and Guénon held strikingly similar views on modernity. Although Heidegger knew individuals who respected Guénon (e.g., Carl Schmitt and Ernst Jünger), no evidence has emerged that Heidegger actually read Guénon’s work. Very recently, however, evidence has emerged that Heidegger read Evola. However, far from supporting the idea that Heidegger was influenced by Evola or sympathetic to him, an examination of this evidence will demonstrate exactly where Heidegger parts company with Traditionalism. [15] [20]

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Amongst Heidegger’s Nachlass (the papers left behind after his death) a handwritten note has been found in which the philosopher quotes a passage from Friedrich Bauer’s 1935 German translation of Revolt Against the Modern World (Erhebung wider die moderne Welt). Here is the passage as Heidegger copied it out:

Wenn eine Rasse die Berührung mit dem, was allein Beständigkeit hat und geben kann — mit der Welt des Seyns — verloren hat, dann sinken die von ihr gebildeten kollektiven Organismen, welches immer ihre Größe und Macht sei, schicksalhaft in die Welt der Zufälligkeit herab.

And here is a translation:

When a race has lost contact with what alone has and can give it permanence [or “stability,” Beständigkeit] — with the world of Beyng [Seyns] then the collective organisms formed by it, whatever be their greatness and power, are destined to sink down into the world of contingency.

For comparison, here is the entire passage from Bauer’s text:

Wenn eine Rasse die Berührung mit dem, was allein Beständigkeit hat und geben kann — mit der Welt des “Seins” — verloren hat, dann sinken die von ihr gebildeten kollektiven Organismen, welches immer ihre Größe und Macht sei, schicksalhaft in die Welt der Zufälligkeit herab: werden Beute des Irrationalen, des Veränderlichen, des “Geschichtichen,” dessen, was von unten und von außen her bedingt ist. [16] [21]

We immediately notice two things when Heidegger’s handwritten version is compared to the original. First, Heidegger has rendered Sein as Seyn. [17] [22] Second, Heidegger replaces a colon with a period and omits the last part of the sentence entirely. The part after the colon can be translated as follows: “[to] become prey to the irrational, the changeable, the ‘historical,’ of what is conditioned from below and from the outside.” Why did Heidegger make these changes? Fully answering this question will allow us to see that Heidegger actually rejects Evola’s Traditionalism in the most fundamental terms possible.

First of all, it is likely that this undated note comes from sometime in the 1930s. During this time, Heidegger began utilizing Seyn, an archaic German spelling of Sein (Being). [18] [23] But why? What did this signify? It was not simply eccentricity on Heidegger’s part. By Seyn, Heidegger meant something distinct from Sein, which refers to the Being that beings have (“Being as such”). Seyn instead refers to what Heidegger calls elsewhere “the clearing” (die Lichtung). This metaphorical expression refers to a clearing in a forest, which allows light to enter in and illuminate what stands within the clearing. Thomas Sheehan describes Heidegger’s clearing as “the always already opened-up ‘space’ that makes the being of things (phenomenologically: the intelligibility of things) possible and necessary.” [19] [24] The clearing is what “gives” Being.

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Heidegger writes in “The End of Philosophy and the Task of Thinking” (1964):

The forest clearing is experienced in contrast to dense forest, called Dickung in our older language. The substantive “opening” [Lichtung] goes back to the verb “open” [lichten]. The adjective licht “open” is the same word as “light.” To open something means: to make something light, free and open, e.g., to make the forest free of trees at one place. The openness thus originating is the clearing. . . . Light can stream into the clearing, into its openness, and let brightness play with darkness in it. But light never first creates openness. Rather, light presupposes openness. However, the clearing, the opening, is not only free for brightness and darkness, but also for resonance and echo, for sounding and the diminishing of sound. The clearing is the open region for everything that becomes present and absent. . . . What the word [opening] designates in the connection we are now thinking, free openness, is a “primal phenomenon” [Urphänomenon], to use a word of Goethe’s. [20] [25]

Consider a simple example. I approach an unfamiliar object sitting on my doorstep. I cannot place it; try as I might it remains a mystery. But as I approach closer still, all is revealed: I see now that it is an Amazon box. In this moment, what has occurred is that the Being of the object — what it is, what its meaning is — becomes present to me. [21] [26] In order for this to be possible at all, I must bear within me a certain special sort of “openness,” within which the Being of something makes itself known or makes itself present. [22] [27]

Contrary to how empiricists tend to conceive things, I don’t actually experience myself as hanging a label onto the object or slotting it within a mental category. This is an analysis after the fact of experience, not what I actually experience. If we are truer to the phenomenon than the empiricists (i.e., if we are good phenomenologists) we have to report that the experience is actually one in which the Being of the thing seems to “come forth,” or to display itself as we explore the object. But, again, this is only possible because of the “openness” referred to earlier. In this openness, Being displays itself; it is “lit up” within the space of the metaphorical “clearing.”

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Thus, for Heidegger it is possible to speak of something deeper or more ultimate than Being itself (hence, an Urphänomenon): that which allows our encounter with the Being of beings in the first place; the open clearing. When Heidegger famously refers to “the forgottenness of Being” (Vergessenheit des Seins) he is actually referring to the forgottenness of the clearing. [23] [28] The clearing is forgotten in the sense that we have forgotten that in virtue of which Being is given to us. As I will discuss later, Heidegger holds that the Western metaphysical tradition, beginning with the Pre-Socratics, systematically forgets the clearing, and he traces all of our modern ills to this forgetting. He writes: “In fact, the history of Western thought begins, not by thinking what is most thought-provoking, but by letting it remain forgotten.” [24] [29]

Now, by contrast, when Evola speaks of “the world of being” (Welt des Seins; mondo di essere) in this passage and elsewhere, he is referring to a Platonic realm of timeless essences that are the true beings, in contrast to the changeful, impermanent terrestrial beings we encounter with the five senses. Traditionalism is heavily dependent on this Platonic metaphysics. Consider, for example, Evola’s words from the very beginning of Revolt:

In order to understand both the spirit of Tradition and its antithesis, modern civilization, it is necessary to begin with the fundamental doctrine of the two natures. According to this doctrine there is a physical order of things and a metaphysical one; there is a mortal nature and an immortal one; there is the superior realm of “being” and the inferior realm of “becoming.” Generally speaking, there is a visible and tangible dimension and, prior to and beyond it, an invisible and intangible dimension that is the support, the source, and the true life of the former. [25] [30]

Not only does Heidegger reject this Platonic metaphysics, he sees it as the first major stage in the decline of the West. Its inception is essentially identical with the “forgottenness” of the clearing spoken of a moment ago. All the aspects of modernity Heidegger was quoted earlier as deploring are ultimately traceable, he believes, to Platonic metaphysics. Thus, Heidegger completely rejects the idea that a “race” declines when it has “lost contact” with being, in the Platonic sense of “being” meant by Evola. Quite the reverse: a race — our race — has declined precisely through its turn toward Platonic metaphysics, and its turn away from the clearing. Thus, when Heidegger swaps Sein for Seyn, he is entirely changing the meaning of what Evola is saying. He is rewriting the passage so that it agrees with his own position: the decline of the West stems from its forgottenness of Seyn (the clearing) and its embrace of the Platonic Sein of the Western metaphysical tradition.

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Heidegger omits the last part of Evola’s sentence for similar reasons. Let us look again at those words. Evola tells us that when a race has lost contact with “the world of being” it will “become prey to the irrational, the changeable, the ‘historical,’ of what is conditioned from below and from the outside.” Heidegger omits these words because he rejects Evola’s dichotomy between “being” and “the historical.” Heidegger argues, in fact, that Beyng/the clearing is inherently historical (geschichtlich), and changeable (veränderlich). The Being of things actually changes as culture changes. This is the same thing, fundamentally, as saying that the meaning of things changes over time.

But could the Being/meaning of the Amazon box on my doorstep ever change? Of course. Imagine a future world without Amazon, or one in which Amazon has been declared a monopoly and broken up into a number of different, competing entities. No more Amazon boxes on doorsteps. When you do see them, you see them in museums and you no longer see them simply as utilitarian objects. You no longer think, on glimpsing one, “Oh, my copy of Being and Time has arrived,” or some such. Instead, the Amazon box takes on a new meaning: as a symbol of a dark time we are, happily, well beyond; a time in which we allowed companies like Amazon not only to corner the market and put all smaller competitors out of business, but to shape the information we have access to through censorship and the banning of books [31].

Thus, if the Being or meaning that things have for us changes over the course of history, as culture and circumstances change, then, contra Evola, Being is inescapably “changeable” and “historical.” Evola also says that a race which loses contact with his idea of being falls prey to “the irrational” (das Irrational, in the German translation). Would Heidegger endorse this as well? Is his idea of Being “irrational”? Well, Heidegger does argue that historical-cultural shifts in Being/meaning are not fully intelligible to human beings. The reason for this is that it is always within Beyng/the clearing that things are meaningful or intelligible to us. It therefore follows that Beyng/the clearing itself is not ultimately intelligible. In a highly qualified sense, we could thus describe it as “irrational.” That Evola implicitly endorses the equation of being with “the rational” in this passage is extremely ironic. As we will see in a later installment, Heidegger argues that this equation is a key feature of the modern inflection of the Western metaphysical tradition, and that all the modern maladies Evola decries are ultimately attributable to it.

imagesMHpenser.jpgHeidegger would have regarded Guénon and Evola as philosophically naïve—for several reasons. First, they uncritically appropriate the Western metaphysical tradition in the name of combating modernity. Yet, as I have already mentioned, Heidegger argues that that tradition is implicated in the decline of the West. Second, the Traditionalists naïvely assert that this metaphysical tradition is “perennial” or timeless. They take Platonism as preserving elements of a primordial tradition that antedates Plato by millennia. They hold that the time of Plato belongs to the Kali Yuga (the fourth age, the decadent “Iron Age”), but they take Plato (and other ancient philosophers) to be preserving an older, indeed timeless wisdom. However, this is pure speculation, for which there is no solid scholarly evidence. [26] [32]

A further Heideggerian objection to Traditionalism may be considered at this point, and it is an extremely serious one. Both Heidegger and the Traditionalists decry rootless modern individualism. However, Heidegger’s critique goes much further. Recall that for the philosopher Being is inherently historical and changeable. What things are for us, or what they mean, is determined in part by our historical situation. Human Dasein is always embedded in a set of concrete historical, cultural circumstances. Heidegger writes: “Only insofar as the human being exists in a definite history are beings given, is truth given. There is no truth given in itself; rather, truth is decision and fate for human beings; it is something human.” [27] [33] This does not, however, mean that truth, as human, is something “subjective”:

We are not humanizing the essence of truth: to the contrary, we are determining the essence of human beings on the basis of truth. Man is transposed into the various gradations of truth. Truth is not above or in man, but man is in truth. Man is in truth inasmuch as truth is this happening of the unconcealment of things on the basis of creative projection. Each individual does not consciously carry out this creative projection; instead, he is already born into a community; he already grows up within a quite definite truth, which he confronts to a greater or lesser degree. Man is the one whose history displays the happening of truth. [28] [34]

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As a result of this stance, Heidegger rejects both the Enlightenment ideal of a “view from nowhere,” as well as rootless, modern cosmopolitanism.

Consider, however, the following lines from The Reign of Quantity. Guénon writes disapprovingly of “those among the moderns who consider themselves to be outside all religion” —  i.e., freethinking individualists. He asserts that such men are “at the extreme opposite point from those who, having penetrated to the principial unity of all the traditions, are no longer tied to any particular form.” This latter position, of course, is that of Guénonian Traditionalism itself. In a footnote, he then approvingly quotes Ibn ‘Arabî: “My heart has become capable of all forms: it is a pasture for gazelles and a monastery for Christian monks, and a temple for idols, and the Kaabah of the pilgrim, and the table of the Thorah and the book of the Quran. I am the religion of Love, whatever road his camels may take; my religion and my faith are the true religion.” [29] [35]

Though Guénon contrasts the position of the modern freethinker to the Traditionalist, Heidegger would doubtless argue that there is a fundamental identity between them. The freethinker imagines that he has freed himself from any cultural-religious context and become a kind of intellectual or spiritual cosmopolitan. Yet the Traditionalist thinks the exact same thing. The only difference is that the freethinker believes he has cast off religion or “spirituality” itself, whereas the Traditionalist imagines that he adheres to a decontextualized, ahistorical, and universal spiritual construct called “Tradition.” This standpoint too is fundamentally modern.

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One might object, however, that Guénon’s decision to convert to Islam and “go native” in Cairo, where he spent the last twenty years of his life, indicates that he was aware that tradition could not be a free-floating abstraction, and that to be a true Traditionalist one had to choose a living tradition and immerse oneself in it. This is true, as a statement of Guénon’s views. But the very idea that one can choose a tradition buys into the modern conception of the autonomous self who may, from a standpoint of detachment from any cultural or historical context, survey the different traditions and select one. It is no use here to point out that all Muslims must, in a sense, “choose” Islam, as it is not an ethnic religion but a creedal one, whose faith all adherents must profess, and to which anyone may convert. This is a valid point, but a superficial one. Islam emerged from a cultural and historical context quite alien to the West, and which no Westerner may ever truly enter.

4. Conclusion

Let us now consider a couple of objections to this Heideggerian critique of Traditionalism.

First, defenders of Traditionalism might respond that Guénon and Evola are primarily grounded in the Indian tradition, and not in Western metaphysics at all. There are essentially two pieces of evidence for this claim. The first is Guénon and Evola’s endorsement of the Hindu cyclical account of time, of the yugas, which is indeed quite ancient. Both seem to accept this teaching in very literal terms, right down to the traditional Hindu calculations of the time span of each yuga (which strike most modern readers as arbitrary inventions). Second is the primacy granted by both thinkers to Vedanta. Both Guénon and Evola regard the teachings of the Upanishads as an expression of a very ancient ur-metaphysics, which constitutes a “perennial philosophy.”

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The dependence of the Traditionalists on the Indian tradition is very real. The trouble, however, is that they interpret the Indian materials in terms of the categories and terminology of Western metaphysics. Indeed, this is especially true of Guénon, who shows no signs of recognizing that there is anything problematic about understanding the Upanishads in terms derived from Platonic and Aristotelian philosophy. For example, right at the beginning of The Reign of Quantity, Guénon discusses the duality of Purusha and Prakriti using the categories of “essence and substance” — then, a page later, he appeals to “form and matter,” then to “act and potency.” [30] [38] This is all Aristotelian terminology. Moreover, there is no attempt on Guénon’s part to recover the “originary” sense of these terms in Aristotle. Instead, he unhesitatingly adopts the medieval scholastic understanding of these distinctions.

It may be that Guénon thought it was valid to discuss Vedanta in Platonic-Aristotelian terms because he regarded the Platonic tradition as itself an expression of the perennial philosophy. Thus, he simply decided a priori that Vedanta and Platonism are two streams flowing from the same source: primordial Tradition. But, again, this is pure speculation. The bottom line is that Guénon and Evola do accord special primacy to the Indian tradition over Western metaphysics — but they see the former almost entirely through the lens of the latter. Thus, despite their interest in Indian thought, they are still thoroughly beholden to Western metaphysics.

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It remains to consider a further, much more significant, objection to these Heideggerian critiques of Traditionalism. The primary objection I have raised against Guénon and Evola is that they are thoroughly committed to Western metaphysics. This is a problem because Heidegger argues that the Western tradition is not only a falling away from a more primordial encounter with Being, it actually makes possible the modern decadence that Traditionalists rightly reject. But why we should follow Heidegger in any of this? Why should we accept Heidegger’s negative evaluation of Western metaphysics? Why should we accept the thesis that Platonic metaphysics made modernity possible? The next essay in this series will be devoted to addressing just these questions. It will be the first of several essays offering a compressed summary and commentary on Heidegger’s history and critique of metaphysics, demonstrating that the claims he makes are both plausible and profound. Heidegger is right in thinking that Western metaphysics lies at the root of modernity. We will begin with Heidegger’s critique of Plato.

What did Heidegger have to say about tradition? In “The Age of the World Picture” (1938) He warns us against “merely negating the age” and writes that “The flight into tradition, out of a combination of humility and presumption, achieves, in itself, nothing, is merely a closing the eyes and blindness towards the historical moment.” [31] [39] But Heidegger also argues that the turn toward metaphysics is a turn away from a more authentic way of encountering Being. It is in this latter conception that we find what may be the equivalent of “primordial tradition” in Heidegger’s thought. One of the conclusions that will be defended in this series of essays is that while Heidegger is clearly not a Guénonian or Evolian Traditionalist, he is actually more traditionalist than the Traditionalists.

Appendix. Outline of the Series:

Part One (the present essay): Why Heidegger and Traditionalism are not compatible; major errors in Traditionalism from a Heideggerian perspective.

Part Two: Heidegger’s history of metaphysics, focusing on his critique of Platonism. This account will deepen our understanding of why Heidegger would regard Traditionalism as a fundamentally modern movement, as well as deepen our understanding of modernity.

Part Three: The continuation of our account of Heidegger’s history of metaphysics, from Plato to Nietzsche. Among other things, Part Three will discuss Evola’s problematic indebtedness to German Idealism, especially J. G. Fichte, whose philosophy (I will argue) is like a vial of fast-acting, concentrated modern poison.

Part Four: From Nietzsche to the present age of post-War modernity, which Heidegger characterizes as das Gestell (“enframing”). Part Four will deal in detail with this fundamental Heideggerian concept, which is central to his critique of technology.

Part Five: How Heidegger proposes that we respond to technological modernity. His project of a “recovery” of a pre-metaphysical standpoint; his “preparation” for the next “dispensation of Beyng.” His phenomenology of authentic human “dwelling” (“the fourfold”), and Gelassenheit.

Part Six: A call for a new philosophical approach, building upon Heidegger and the Traditionalists, while moving beyond them. Three primary components: (1) The recovery of “poetic wisdom” (to borrow a term from G. B. Vico): Heidegger’s project of the recovery of the pre-metaphysical standpoint now applied to myth and folklore, and expanded to include non-Greek sources (e.g., the pre-Christian traditions of Northern Europe); (2) Expanding Heidegger’s project of the “destruction” of the Western tradition to include the Gnostic and Hermetic traditions, Western esotericism, and Western mysticism; (3) Finally, social and cultural criticism from a standpoint informed by the critique of metaphysics, critique of modernity, and recovery of “poetic wisdom.”

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Notes

[1] [40] I will capitalize the “t” in Traditionalism to indicate the school of Guénon, Evola, et al., as opposed to “traditionalism” in the looser, broader sense of the term. This device is necessary, as I will be using the term in both senses. I should also note that it is primarily the Traditionalism of Guénon and Evola that I am concerned with here. I am comparatively less interested in the “softer” Traditionalism of figures like Coomaraswamy, Schuon, Huston Smith, etc. Most of the objections raised against Guénon and Evola herein would apply to these authors as well.

[2] [41] “Originary” (ursprünglich) is a term frequently used by Heidegger.

[3] [42] Martin Heidegger, Introduction to Metaphysics, trans. Gregory Fried and Richard Polt (New Haven, CT: Yale University Press, 2000), 40-41. This was originally a lecture course given by Heidegger in 1935. It was published for the first time in German in 1953. The material in square brackets was added by Heidegger when the lecture course was published in 1953.

[4] [43] Fried and Polt, 47.

[5] [44] Fried and Polt, 48-49. Bracketed phrase added by Heidegger for the 1953 edition.

[6] [45] Martin Heidegger, What is Called Thinking?, trans. J. Glenn Gray (New York: Harper Perennial, 1968), 30.

[7] [46] One point is omitted from the discussion below, one which my readers might expect me to discuss: “the flight of the gods.” What Heidegger means by this, however, is complicated, and far from obvious. I will discuss this issue in a later essay.

[8] [47] René Guénon, The Reign of Quantity and the Signs of the Times, trans. Lord Northbourne (Hillsdale, NY: Sophia Perennis, 2001), 43.

[9] [48] Reign, 42

[10] [49] Reign, 43. For similar remarks see Julius Evola, Meditations on the Peaks, trans. Guido Stucco (Rochester, Vermont: Inner Traditions, 1998), 45-46.

[11] [50] Reign, 51-52.

[12] [51] Reign, 48.

[13] [52] Reign, pp. 60-61. Compare this to some remarks by Alexandre Kojève: “Hence it would have to be admitted that after the end of history men would construct their edifices and works of art as birds build their nests and spiders spin their webs, would perform their musical concerts after the fashion of frogs and cicadas, would play like young animals and would indulge in love like adult beasts.” See Introduction to the Reading of Hegel, ed. Raymond Queneau and Allan Bloom, trans. James H. Nichols, Jr. (Ithaca, NY: Cornell University Press, 1969), 159 (footnote).

[14] [53] Reign p. 194.

[15] [54] The discovery of the note in 2015 received some attention in the German press. Writing in the Frankfurter Allgemeine Zeitung [55], Thomas Vasek claims that “textual comparisons suggest that Heidegger had not only read Evola, as this note indicates, but was also influenced by his ideas from the mid-thirties on, from his critique of science and technology, his anti-humanism and rejection of Christianity, to his ‘spiritual’ racism.” This is a completely baseless, and, indeed, ludicrous assertion, as I will shortly demonstrate. See Greg Johnson’s analysis of the Heidegger note, and Vasek’s article, here [56].

[16] [57] Julius Evola, Erhebung wider die moderne Welt, trans. Friedrich Bauer (Stuttgart: Deutsche Verlags-Anstalt, 1935), 65. The translator actually leaves out portions of Evola’s text, but since Heidegger only read the translation and not the original, these omissions do not concern us here. For the full passage in English translation, see Julius Evola, Revolt Against the Modern World, trans. Guido Stucco (Rochester, VT: Inner Traditions, 1995), 56-57.

[17] [58] The “s” at the end of Seins/Seyns in the passage simply indicates the genitive case. The nominative is Sein/Seyn.

[18] [59] Anglophone translators of Heidegger have adopted the convention of rendering Seyn as “Beying.”

[19] [60] Thomas Sheehan, Making Sense of Heidegger: A Paradigm Shift (Lanham, MD: Rowman and Littlefield, 2015), 20.

[20] [61] Martin Heidegger, Basic Writings, ed. David Farrell Krell (New York: Harper and Row, 1977), 384-385. This essay was translated by Joan Stambaugh; italics added.

[21] [62] Sheehan argues at length that, for Heidegger, Being and meaning are identical.

[22] [63] This way of expressing things should be understood as figurative, and preliminary. Actually, Heidegger wants to entirely avoid a “subjective” treatment of the clearing as some sort of “faculty” or Kantian a priori structure that I “bear within me.” The reason, at root, is that this treatment of the clearing is phenomenologically untrue. I do not, in fact, experience the clearing as something “in me” that is “mine.” Still less do I experience it as something over which I have any kind of influence or control. There is thus no real basis for “subjectivizing” the clearing; for locating it “within the subject.” Indeed, Heidegger critiques the subject/object distinction prevailing in philosophy since Descartes, which locates certain “properties” as “within” a subject, as if this subject is a kind of cabinet in which we dwell, removed from an “external world.” See Heidegger, Being and Time, trans. Joan Stambaugh, rev. Dennis J. Schmidt (Albany, NY: State University of New York Press, 2010), 60-61.

[23] [64] Generally speaking, this is correct. Unfortunately, Heidegger is inconsistent with his use of Sein/Seyn, sometimes referring to Being, sometimes to the clearing that gives Being.

[24] [65] What is Called Thinking?, 152.

[25] [66] Revolt, 3.

[26] [67] The Traditionalists are in much the same position as the Renaissance “Hermeticists” who falsely believed that the Corpus Hermeticum contained an Egyptian wisdom that far antedated Plato and the Greeks, and from whom those philosophers had taken their basic doctrines. In reality, the Corpus Hermeticum was no older than the first century BC, and it derived its doctrines, in large measure, from Plato and his school.

[27] [68] Martin Heidegger, Being and Truth, trans. Gregory Fried and Richard Polt (Bloomington: Indiana University Press, 210), 134. Italics in original.

[28] [69] Being and Truth, 136. Italics in original.

[29] [70] Reign, 62-63.

[30] [71] Reign, 11-12.

[31] [72] Martin Heidegger, Off the Beaten Track, trans. Julian Young and Kenneth Haynes (Cambridge: Cambridge University Press, 2002), 72.

 

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[3] Knowing the Gods: https://counter-currents.com/2020/10/summoning-the-gods-essays-on-paganism-in-a-god-forsaken-world/

[4] Tyr: https://arcanaeuropamedia.com/collections/journal/products/tyr-myth-culture-tradition-vol-1

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[55] Frankfurter Allgemeine Zeitung: https://www.genios.de/document?id=FAZ__FNUWD1201512304749384%7CFAZT__FNUWD1201512304749384

[56] here: https://counter-currents.com/2016/02/notes-on-heidegger-and-evola/

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Le monde : un malade en phase terminale

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Le monde : un malade en phase terminale

par Pierre-Emile Blairon

J’écris ces lignes le 19 décembre 2020 ; le monde est dans la plus complète absence de repères quant à son avenir immédiat ; les populations de la planète s’apparentent à des zombies qui n’ont plus aucune espèce de jugement critique, exécutant machinalement toutes les directives que leurs dirigeants leur transmettent, certains mêmes réclamant de plus grandes contraintes qui les mèneront inévitablement à la mort ou à un statut d’esclave ou de robot qu’il n’est pas bien difficile à imaginer quand on a gardé un minimum de lucidité. Le monde entier est sous l’emprise d’une peur irraisonnée et injustifiée savamment instillée dans les cerveaux défaillants de 99% de l’humanité.

La planète Terre est devenue un immense asile d’aliénés à ciel ouvert où ne sont effectivement enfermés dans les hôpitaux psychiatriques que les rares personnes qui ont conservé une bonne santé mentale.

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Prémonitions

Evola, lorsqu’il énonçait les phrases qui vont suivre imaginait-il qu’elles seraient vérifiées en état paroxystique en 2020 ?

« A l'opposé de ce que pensent psychiatres, psychanalystes et « assistants sociaux », dans une société et une civilisation comme celles d'aujourd'hui et, spécialement, comme celles d'Amérique, il faut voir en général l'homme sain dans le rebelle, dans l'asocial, dans celui qui ne s'adapte pas. Dans un monde anormal, les valeurs se renversent : celui qui apparaît anormal par rapport au milieu existant, il est probable que c'est justement lui le « normal », qu'en lui subsiste encore un reste d'énergie vitale intègre ; et nous ne suivons en rien ceux qui voudraient « rééduquer » des éléments de ce genre, considérés comme des malades, et les « récupérer » pour la « société ».

Le très érudit Michel Deseille, dans l’une de ses excellentes vidéos datée du 3 janvier 2020, avait dressé le thème astral du monde pour l’année 2020 ; il avait appelé cette année à venir « l’année terrible » ; on se souvient de « l’annus horribilis » évoquée par la reine d’Angleterre pour 1992. Deseille avait insisté sur les bouleversements qui allaient agiter l’Amérique, et qui allaient se répercuter sur la planète, en précisant à la fin de son intervention que, selon les préceptes de la Tradition primordiale, les hommes ne pourraient pas arrêter les manifestations ultimes du cycle qui allait voir s’effondrer toutes les valeurs qui avaient maintenu pendant des siècles la structure même du monde. Il faut reconnaître que ses prédictions étaient exactes.

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Pour commander: http://www.ladiffusiondulore.fr/home/781-chroniques-d-une-fin-de-cycle-les-enfers-parodisiaques.html

J’avais recensé dans mon dernier livre, Chroniques d’une fin de cycle, paru en décembre 2019, il y a donc tout juste un an, les signes avant-coureurs du tsunami - préparé avec soin et méthode par l’oligarchie planétaire - qui allait déferler sur le monde quelques mois après, sans avoir eu la moindre idée de l’ampleur qu’allait prendre cette catastrophe et, surtout, de la rapidité et de la facilité avec lesquelles allait se mettre en place cette dictature « sanitaire » planétaire.

Ce livre présentait une sorte d’état des lieux mettant l’accent sur les méthodes utilisées par la gouvernance mondiale pour manipuler et conditionner les peuples, soulignant la vulnérabilité naïve de certains types sociologiques d’individus et certains comportements insouciants, liés à la « mode » par exemple, qui permettaient plus facilement l’intrusion et la mise en place de ces outils d’asservissement à l’intérieur même de nos propres corps[1].

Autre exemple de ces signes prémonitoires : l’insistance avec laquelle on a cru bon, ces dernières années, de promouvoir, en la présentant elle aussi comme une mode branchée, festive et incontournable, la consommation d’insectes vivants ou morts (par exemple à l’apéritif) ; c’est que la gouvernance mondiale sait déjà comment nourrir à peu de frais les masses d’esclaves qu’elle s’apprête à exploiter ; il est probable que ces insectes fournissant les éléments nutritionnels nécessaires à la survie de cette foule innombrable seront présentés sous forme de pilules afin d’atténuer la répugnance qu’un esprit traditionnel pourrait « encore » conserver à l’égard de ces charmantes bestioles ; c’est tout à fait symbolique : on peut faire avaler n’importe quelle horreur à des masses savamment conditionnées[2].

Dans tous mes livres et dans toutes mes interventions, je me suis attaché à expliquer ce qui est le cœur même de ce qu’on a appelé improprement le « paganisme » : le système cyclique et la Tradition primordiale.

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Toutes les anciennes traditions nous enseignent que nous sommes à la fin d’un grand cycle, ce que les Hindous appellent le Kali-Yuga, l’âge sombre, et comme le temps est cyclique, après cet âge de fer, ainsi dénommé par les anciens Grecs, reviendra l’âge d’or.

Mes explications ne contentaient pas tout le monde ; notamment ceux qui, dans le système des cycles, ne retenaient que le plus agréable : l’âge d’or. Il était difficile de faire admettre que, tant que les trois aiguilles de la montre n’étaient pas arrivées toutes les trois sur le 6 (666), c’est-à-dire en bas, au nadir, elles ne remonteraient évidemment pas ; on me pressait de donner une date, au moins une approximation : dans deux ans, dans cinq ans, dans dix ans, dans cent ans ? Je répondais invariablement que je n’étais pas Nostradamus. Pourtant, me répliquait-on, nous sommes bien en plein déclin, on ne peut pas faire plus horrible ! quarante ans que je l’entends, celle-là ! Et tous les ans, il fallait bien constater avec stupeur, ou résignation, que c’était pire ! Pour les rassurer, je leur expliquais que, en phase terminale, la chute s’accélère brutalement, ce n’est désormais pas tous les ans que l’on peut vivre de terribles événements que l’on croyait impossibles, c’est tous les jours qu’une nouvelle encore plus stupéfiante que celle qui nous avait chamboulés la veille vient nous bouleverser à nouveau ; le chaos devient triomphant, impérieux, impérial ! Je leur disais aussi que, s’ils étaient pressés, il fallait aider à abattre le mur qui était en train de s’effondrer (en étant du bon côté, bien sûr…)

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Armageddon

Cette situation a duré jusqu’en 2019 ; 19, comme le Covid, plus exactement jusqu’en décembre 2019, date de la parution des Chroniques, date de l’apparition du Covid.

Je ne m’attendais pas à ce que les forces négatives qui nous combattent depuis des siècles, celles qui s’opposent à l’ordre cosmique naturel, décident d’engager la grande bataille à ce moment-là, en profitant de l’heureuse opportunité d’une pandémie inattendue créée par un virus dont la Chine leur aurait vanté les effets ravageurs sur les populations. La manœuvre n’a pas réussi complètement, il n’y a pas eu de pandémie, cette grippe, sévère certes, est devenue une pandémie virtuelle car tout le monde s’est comporté comme si elle avait été dévastatrice, y compris les populations dûment lobotomisées par les médias, lesquels ont aidé les gouvernants du monde entier, soumis eux aussi à la secte mondialiste en place, à installer la peur universelle.

La grande bataille, c’est, dans la Bible, l’Armageddon, bataille finale entre les forces du bien et les forces du mal lors de « la fin du monde » ; il s’agit, pour nous, Européens, hommes de la Tradition, de la fin d’un cycle, donc plutôt la fin d’un monde et non pas du monde ; rappelons que toutes les traditions, y compris les traditions monothéistes, sont subordonnées à la Tradition primordiale.

Toujours dans la Bible, mais, cette fois, dans les textes johanniques (de Jean, l’apôtre), on trouve le récit de l’Apocalypse qui, à l’origine, désignait une révélation de Jésus et qui a pris ensuite la définition d’une catastrophe majeure ; l’Apocalypse désignant donc aussi la « fin des temps » pour les chrétiens, en même temps que l’instant de la Révélation, du renouveau.

Les « forces du mal » sont désormais bien repérées dans la mesure où, dans ces dernières années, elles ne cachaient même plus leurs buts et leurs turpitudes, persuadées qu’elles avaient déjà gagné ; c’est ainsi qu’on a pu les regrouper sous l’appellation générique de « pédo-satanistes » en fonction des activités « ludiques » auxquelles elles s’adonnaient et s’adonnent toujours sans complexes, activités qui leur ont permis d’avoir prise sur la plupart des dirigeants dans le monde qu’ils ont impliqués à leurs orgies sanglantes.

Dans ce contexte, les oligarques mondialistes s’efforcent d’organiser ce qu’ils appellent le « Grand Reset », c’est-à-dire cette Apocalypse biblique à leur sauce transhumaniste : tout détruire du passé en appuyant simplement sur un bouton comme on pourrait le faire en informatique pour supprimer toutes les données périmées, toutes les informations contenues dans un ordinateur, le remettre à zéro ( du passé faisons table rase) et tout recommencer, faire ainsi advenir le nouvel « âge d’or » selon leurs propres critères uniquement matérialistes, en gommant toutes les spécificités qui ont structuré le façonnage des peuples et des individus : l’histoire, les coutumes, le savoir-faire, le savoir-vivre, la connaissance, l’instruction, l’éducation, la langue, la spiritualité, la personnalité, etc.

Ces entités maléfiques appartiennent, comme une écume qui s’envole au vent, au cycle noir qui s’achève et seront emportées avec lui en phase ultime, comme volatilisées, a dit Guénon, car elles ne sont que les résidus de mondes disparus, sans lien solide et profond avec le monde et la vie, même si elles se présentent sous les oripeaux rutilants de la plus extrême modernité, la « modernité » étant l’un des aspects majeurs de la décadence.

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Dystopie

Ces puissances malfaisantes veulent instaurer une dystopie.

Qu’est-ce qu’une dystopie ?

Je dirais que c’est l’autre nom de l’utopie qui veut se faire passer pour son contraire, ce qui, en ces temps de confusion, ne fait qu’ajouter au chaos mental.

Le mot « Utopia » vient d’un roman de l’Anglais Thomas More qui a voulu dépeindre une société parfaite, sans défaut, où l’humanité vivrait complètement heureuse comme dans une sorte de paradis terrestre ; il s’avère que, à chaque fois que les hommes ont voulu mettre en oeuvre cet idéal rêvé par les poètes, ils n’ont réussi qu’à créer les plus monstrueuses sociétés que la Terre ait portées ; pour exemple, la Révolution française (avec son triptyque républicain Liberté, Egalité, Fraternité), le socialisme, le communisme, le national-socialisme ont été une longue suite de massacres, de terreurs, d’oppressions, de tortures, de génocides.

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L’enfer est pavé de bonnes intentions.

Les auteurs, qu’on a ensuite classés dans la catégorie « science-fiction », constatant que les idées de leurs aînés pouvaient s’avérer dangereuses au vu des réalisations qu’elles avaient suscitées, ont adopté la position inverse qui consistait à décrire une société qui se pensait délibérément totalitaire et qui agissait en conséquence. Le pouvoir qui se met en place ne cherche pas du tout à faire le bonheur des populations, mais uniquement celui des dirigeants qui composent ce pouvoir, quelque soit le type de bonheur auquel ils veulent accéder, y compris s’il est caractérisé par la plus extrême perversité.

L’auteur qui décrit une dystopie aboutissant donc inévitablement à une société de cauchemar, veut évidemment prévenir les populations pour qu’elles se gardent de ce type d’oppression en analysant quelques aspects des méthodes qui sont communes à tous les autoritarismes.

Les romans dystopiques sont nombreux, certains célèbres comme en 1895, La Machine à explorer le temps de H.G. Wells,

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La Peste écarlate en 1912 de Jack London, qui relate l’apparition d’une véritable pandémie qui éradique la presque totalité de la population planétaire, Nous autres du Russe Ievgueni Zamiatine qui décrit, en 1920, une société où l’Etat s’est introduit dans l’intimité des habitants du pays qui sont, de facto, privés de toute liberté, puisque la moindre de leurs activités est minutieusement conditionnée par une réglementation et si étroitement surveillée que les citoyens sont obligés de vivre dans des maisons de verre ; tout le monde connaît le roman-culte de George Orwell, 1984, en 1948 et le non moins célèbre roman d’Aldous Huxley, Le meilleur des mondes, écrit un peu plus tôt en 1932[3].

Nous retiendrons encore, en 1985, La Servante écarlate de Margaret Atwood et Globalia de Jean-Christophe Rufin en 2004.

On peut consulter sur internet une longue liste exhaustive des films mettant en scène une dystopie (wikipedia), dont certains restent des chefs-d’oeuvre : Orange mécanique, Mad Max, Blade Runner, par exemple.

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La dystopie qui se met en place, qui regroupe les passages les plus croustillants de ces livres et de ces films (et qui va se réaliser si rien ne vient contrecarrer ses projets, ce qui semble le plus probable) présente quelques intéressantes particularités :

  1. la caste pédo-sataniste au pouvoir n’a jamais rien caché de son projet de mettre en place un gouvernement mondial sur la base de la disparition préalable de la plupart des structures traditionnelles, économiques, culturelles, etc.
  2. la population mondiale qui est destinée à être privée de toutes ses libertés fondamentales est pleinement consentante.
  3. Cette population a été conditionnée depuis des dizaines d’années, voire des siècles, de telle manière que les avertissements des éveilleurs et des lanceurs d’alerte ne puissent pas les atteindre et donc les mettre en garde.
  4. Une infime minorité de personnes lucides va supporter tout le poids mental, spirituel et peut-être physique de l’abomination qui se prépare, la quasi-totalité de la population mondiale ayant renoncé volontairement à son libre-arbitre.

Dans l’immédiat, c’est-à-dire dans les prochaines semaines à venir, les derniers soubresauts de ce monde agonisant ne s’achèveront que dans l’horreur et la terreur à moins d’un retournement de la situation politique aux Etats-Unis qui verrait le président Trump reprendre ses fonctions. Cela pourrait alors signifier au moins une halte dans le processus de décomposition, tout comme il y a dans les périodes de refroidissement glaciaire de courts épisodes de réchauffement (une hypothèse qui plaît bien à Greta).

Enfin, il me faut encore signaler que les fins de cycle sont toujours constituées d’une convergence de catastrophes et que, donc, s’il est aisé de prévoir les comportements humains, il est carrément impossible de savoir si le monde périra par l’eau, par le feu, d’un déplacement brutal des plaques tectoniques ou de la collision avec une comète trainant romantiquement sa queue enflammée.

J’espère que ce scénario d’un film -catastrophe qui sortira l’année prochaine vous a plu.

Joyeux Noël.

Pierre-Emile Blairon

Note:

[1] La mode : les manipulations physiques de la subversion mondiale, in Chroniques d’une fin de cycle, Les éditions du Lore, p.177, article paru dans Nice-Provence-Info le 29 août 2018.

[2] Voulez-vous manger des cafards ? in Chroniques d’une fin de cycle, Les Editions du Lore, p.122, aricle paru dans Nice-Provence-Info le 6 novembre 2015

[3] Ce roman qui, donc, dénonce une société totalitaire, a été écrit en France en quatre mois, à Sanary-sur-Mer ; c’est avec un petit sourire narquois que je rappelle-ironie du destin-que le maire actuel de Sanary s’est distingué, parmi les apprentis-dictateurs, pour interdire à ses concitoyens de s’aventurer au-delà de 10 mètres de leur pas de porte et de ne pas aller chez le boulanger pour n’acheter qu’une seule baguette. Voir l’article Les apprentis-dictateurs, paru le 20 mai 2020 sur Nice-Provence-Infos.

Boris Nad : préface à son livre The Reawakening of Myth

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Boris Nad : préface à son livre The Reawakening of Myth

(Éditions PRAV, 2020)

https://pravpublishing.com/the-reawakening-of-myth/

indexbnreaw.jpgLe livre qui vous est présenté, The Reawakening of Myth, est la suite de deux ouvrages : The Return of Myth et The Awakening of Myth. Le premier, The Return of Myth, a été publié en Serbie en 2010. Le livre initialement intitulé The Awakening of Myth a été, pour diverses raisons, intitulé par l'éditeur Towards the Post-History of the World et publié à Belgrade en 2013. The Return of Myth était un ouvrage assez volumineux, comptant plus de trois cents pages, composé de plusieurs livres de différents genres littéraires, comprenant aussi un recueil de poésie. Le deuxième livre était une sélection d'essais explorant et abordant divers topoi mythiques. Au risque de se donner un satisfecit, on pourrait dire que, dans ces derniers livres, l'auteur a exploré des domaines très divers : de la géographie et de l'histoire sacrée à l'histoire de l'art, de la géopolitique à la mythologie, de la "théorie hyperboréenne" à la technocratie, de "l'idée du centre" et de la notion que ce centre représente réellement quelque chose qui est maintenant perdu, à l'opposition moderne entre l'Orient et l'Occident. Towards the Post-History of the World se termine par un survol de l'Apocalypse chrétienne.

L'idée fondamentale Boris Nad à travers ces travaux, c’est qu'aujourd'hui (contrairement à la préhistoire ou à la post-histoire) nous vivons dans un monde historique, un monde dont les forces mythiques se sont retirées - mais jamais entièrement. D'une manière mystérieuse, le mythe se répète dans l'histoire, que nous en soyons conscients ou non. Max Weber a discerné que nous vivons dans un "monde désenchanté" et que nous sommes condamnés à vivre dans une "cage de fer". Ce "mode de vie", qui est un signe d'éloignement du sacré et de négation de l'existence même du sacré, dont le mythe lui-même est une expression, est ce qui constitue le fondement même de l'ère moderne. Pourtant, ce constat n'est que partiellement vrai : les forces mythiques se retirent et se sont effectivement retirées, mais elles reviennent aussi et reviennent dans le monde historique, et toujours de manière inattendue. La "démythologisation" et la "re-mythologisation" sont des processus qui se produisent constamment, parfois en même temps : certains mythes disparaissent pour être remplacés par de "nouveaux" (parfois sous la forme des "anti-mythes" de l'ère moderne). Ceux-ci peuvent être "nouveaux" dans leur forme mais pas dans leur contenu, qui appartient toujours au monde des archétypes profondément enracinés. Un exemple en est le début de l'ère chrétienne, lorsque les anciens mythes ont été remplacés par de "nouveaux" mythes sur le Sauveur, dans lesquels les théologiens et les Pères de l'Église ne voyaient pas le mythe mais l'histoire littérale et véritable et, en fait, l'événement central de l'histoire (tel qu'il est enregistré et décrit dans les Evangiles).

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Une nouvelle vague de démythologisation a commencé avec le siècle des Lumières, mais ce "nouvel âge de la raison", dans lequel l'homme, pour le moins, revendique et semble avoir assumé pour lui-même l'autorité et le statut divins, n'était lui-même "qu'un mythe" - le mythe de "l'homme éclairé", peut-être celui de Prométhée, "celui qui pense vite", ou plus sinistrement, le mythe des Titans qui assaillent l'Olympe (le Ciel), le monde des dieux, et même le "père des dieux et des hommes" (Zeus).

Dans tous les cas de figure, parler de "retour du mythe" à l'époque moderne peut sembler anachronique. En effet, à l'"âge de la raison", le mythe est relégué à une place très modeste : il peut être l'objet d'études (marginales), un objet de ridicule, de mépris ou de moquerie comme s’il relevait de la "superstition" des "sauvages", comme s’il était une tentative simpliste d'"explication du monde", ou simplement une histoire amusante des temps passés qui, bien que non dépourvue d'imagination et de poésie, n'est au fond que du "délire de primitifs". La raison est censée éclairer le mythe de sa lumière froide. L'essence du mythe, cependant, échappe à la raison. Le mythe n'est ni l'histoire ni une superstition, mais une réalité intemporelle, une réalité qui n'est peut-être "jamais arrivée du tout ou nulle part", mais qui se répète constamment dans l'histoire et, de plus, est une réalité qui détermine et définit l'histoire. Un mythe n'a pas besoin d'avoir eu lieu de la manière dont il est décrit, et il n'a en fait jamais eu lieu de cette manière, mais il aurait pu avoir lieu et il a eu lieu dans une certaine mesure. Comme l'a fait remarquer Novalis dans son oeuvre : "Seul ce qui n'est jamais arrivé nulle part est vrai."

55613299._SY475_.jpgLe XXe siècle n'a pas manqué d'érudits lucides et pénétrants du mythe. Il suffit de mentionner ici deux d'entre eux : le penseur et écrivain roumain Mircea Eliade, qui a surmonté le faux dualisme du sacré opposé au profane, car "il n'y a pas d'existence profane", et l'écrivain allemand Ernst Jünger, qui réfléchissait constamment au rapport entre les mondes mythique et historique. Rappelons quelques points de référence importants d’Eliade. Selon Eliade, les images, les symboles et les mythes qui ont été oubliés ou supprimés en Occident depuis le XIXe siècle nous révèlent les modalités les plus cachées de l'être humain. Le rôle spirituel des œuvres littéraires à l'époque moderne ? Elles ont préservé et transmis de nombreux mythes, bien que parfois sous une forme dégradée. Eliade a également souligné le fait que le regain d'intérêt pour le symbolisme et le mythe en Europe occidentale a coïncidé temporellement avec l'entrée des peuples asiatiques sur la scène historique, à commencer par la révolution de Sun Yat-sen. Par ailleurs, nous devons également au XXe siècle la découverte que toute connaissance "objective", "scientifique" n'est, en réalité, pour citer Alexandre Douguine, qu'"une variation particulière de la mythologie", et que "le développement et le progrès ont un caractère cyclique". En d'autres termes, le progrès - cette invention des modernes - n'est qu'illusoire. L'humanité, malgré tous les changements qu'elle a subis, reste essentiellement "telle qu'elle a toujours été". L'ère du positivisme et du matérialisme optimistes est terminée pour l’essentiel : "À sa place est venue une nouvelle compréhension des constructions mythologiques" et "la réhabilitation de ces diverses disciplines et sciences qui ont été trop hâtivement classées comme dépassées et primitives". Cette prise de conscience fait également s'effondrer le sentiment de suprématie ou de scepticisme à l'égard del’antique héritage de l'humanité et des civilisations du passé lointain (la soi-disant préhistoire). Notre époque n'est pas privilégiée par rapport aux autres époques de l'histoire humaine qui l'ont précédée. Ce serait plutôt l'inverse : nous sommes en présence d'une involution et d'un déclin spirituel patent.

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Après tout, nous ne connaissons pas le passé ancien de l'humanité, ou nous ne le connaissons pas suffisamment, car "l'histoire officielle", comme l'a noté René Guénon, ne va nulle part au-delà des six mille dernières années, une période qui est négligeable par rapport à la durée totale de l'existence de l'homme sur Terre. Une obscurité dense s'abat sur tout le reste. Devant toutes nos tentatives de connaître le passé lointain, un mur mystérieux et impénétrable émerge. Il n'est pas accessible à la "raison" (à la connaissance scientifique), car la portée de la "raison" (les connaissance et recherche rationnelles) est tout à fait modeste ; la raison a ses limites évidentes. Cela ne signifie pas pour autant que la "raison" doive être bannie, tout comme l'ère positiviste a tenté de se débarrasser de toutes ces forces qu'elle qualifiait d'"irrationnelles" et de "choses relevant du passé mort". L'écrivain allemand Jünger a proposé une approche différente et probablement beaucoup plus difficile et exigeante : l'utilisation simultanée des deux optiques, de deux angles d'observation, des méthodes de connaissance "rationnelles" et "irrationnelles". La lune, par exemple, est à la fois un corps physique et cosmique qui fait l'objet d'observations et de mesures scientifiques, ainsi qu'un fait mythologique ou même une entité métaphysique ; la lune n'est pas simplement un objet mort pour la connaissance scientifique, "objective", qu'un scientifique peut aborder "froidement" et sans préjugés.

Boris Nad n'est pas un scientifique ou un érudit, mais seulement un écrivain. Cela lui donne une plus grande liberté, une plus grande accessibilité, tout en le libérant de l'obligation de suivre la méticulosité scientifique. Le mythe, cependant, est un topos auquel, en tant qu'écrivain, il est souvent revenu. Sa première œuvre littéraire, publiée dans son pays natal, a été un court roman "épique-fantastique" intitulé The Feast of the Victor (2005). En gros, cette histoire mythique se déroule à un moment où différentes perspectives temporelles et spatiales se croisent. En fait, cette histoire, bien que suscitée par des événements immédiats (la guerre dans le pays qui s’appelait la Yougoslavie), se déroule dans un lieu intemporel ou "uchronie". Cette approche présente des similitudes avec celle employée par Jünger dans sa nouvelle Sur les falaises de marbre (1939). Cette comparaison ne concerne bien sûr que l'approche, et non la valeur de l'œuvre littéraire. Son livre The Silent Gods (2008), qui est un recueil de nouvelles, de notes et de prose, et le recueil de récits fantastiques intitulé The Invisible Kingdom (2016) étaient centrés sur des thèmes mythiques et sur mes propres variations d'intrigues mythiques bien connues.

51q4qC48j5L._SX342_BO1,204,203,200_.jpgLe livre qui s’offre maintenant aux lecteurs est une sorte de sélection d'écrits par le biais de laquelle Boris Nad se présente au public anglophone de manière plus complète que jamais. En fait, ce livre se compose de trois ouvrages, dont le premier est l'édition anglaise abrégée de The Return of Myth, publié à l'origine en 2016 à Melbourne, en Australie, par Manticore Press. Ce texte a été réédité et partiellement retraduit pour l'occasion et annexé à un texte non traduit auparavant, The Golden Fleece. La deuxième partie est un court roman, A Tale of Agartha, c'est-à-dire un récit du royaume souterrain qui a, pendant des milliers d'années, influencé de manière invisible et mystérieuse les événements à la surface de la Terre, l'histoire et le monde des nations. C'est l'un des grands mythes de l'Orient que l'auteur aborde de la  manière caractéristique d'un écrivain : sous la forme d'un conte fantastique. La troisième partie de ce livre, Sacred History and the End of the World, complète les deux premières, comprenant des textes qui ont été laissés de côté dans l'édition anglaise précédente de Return of Myth ainsi que d'autres textes, non traduits et non publiés auparavant, dans lesquels il aborde des sujets connexes d'une manière extrêmement libre, à la façon d’un essayiste. Ces sujets comprennent, entre autres, la notion d'histoire sacrée, l'apparition de l'Antéchrist et la seconde venue du Christ (qui est d'une importance particulière pour le christianisme oriental), et les relations entre l'Orient et l'Occident. Cette dernière partie ne concerne pas seulement la crise de l'Occident, mais aussi la crise dans laquelle les sociétés (et civilisations) orientales sont de plus en plus impliquée dans une phase descendante - des crises qui, sans aucun doute, ont essentiellement la même racine spirituelle. Aujourd'hui plus que jamais, il est nécessaire que l'Est et l'Ouest se rapprochent plutôt que, comme cela a été le cas au cours de l'ère moderne (contrairement à certaines périodes historiques antérieures), de s'éloigner davantage l'un de l'autre et de se diviser. La première et nécessaire condition pour cela est que l'Est et l'Ouest se connaissent mieux et engagent enfin le dialogue (sinon, ils ne cesseront d’être en guerre).

Pourtant, ici, dans les pages de ce livre, ce n'est pas l'Est et l'Ouest qui se rencontrent, mais surtout le lecteur et l'écrivain. L'ambition de l'écrivain n'est pas d'expliquer ou d'interpréter quoi que ce soit ; il ne cherche pas à persuader, mais plutôt à poser des questions, à parler simplement de ce qui est important pour lui avec sa propre voix et en suivant le flux de ses propres pensées. Il n'est pas nécessaire que le lecteur et l'écrivain soient toujours d'accord sur tout, mais il est nécessaire qu'il y ait une certaine affinité entre eux. Ce sont les désaccords et les disputes qui rendent le dialogue souhaitable et possible. Le rôle du lecteur n'est pas moins exigeant que celui de l'écrivain, car c'est au lecteur de faire revivre l'œuvre de l'écrivain. Si ce livre facilite cela, ne serait-ce qu'au niveau symbolique, alors il aura atteint son but. Après tout, tout ce qui est important se passe d'abord au niveau des symboles, dans le domaine où l'esprit règne souverainement, et ne provoque qu'ensuite des conséquences dans le monde que nous appelons si maladroitement "matériel".

Boris Nad,

Serbie, août 2020.

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Notes sur Villiers de L’Isle-Adam

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Luc-Olivier d’Algange:

Notes sur Villiers de L’Isle-Adam

Pour quelques écrivains qui sont aussi poètes et métaphysiciens, l'Œuvre, au sens alchimique, coïncide avec la création littéraire. Le dédain où divers « praticiens » tiennent la littérature est la preuve de leur profonde méconnaissance des vertus transfiguratrices et initiatiques du langage.

Le langage, selon qui en use, peut être la chose la plus banale, la plus bassement profanée, mais aussi la plus resplendissante des expériences humaines. Or, il est une constante en philosophie hermétique: l'aboutissement ultime, glorieux, a pour origine la matière la plus commune qui soit. Telle est aussi la parole humaine, sans cesse dispensée pour ne rien dire, voire pour ne rien entendre (et nous ne parlons souvent que pour n'être pas mis en demeure d'écouter notre semblable) mais quelquefois saisie d'une fureur sacrée, d'une luminosité imprévue qui nous gagne et suscite en nous cet enthousiasme, cette allégresse qui nous annoncent que soudain notre existence va trouver son sens, c'est-à-dire, son essor. De tout ce qui nous importe vraiment, il n'est rien, dans le tréfonds de nos âmes et aux confins de notre conscience dont la destinée ne fût essentiellement liée à l'envol, à l'élévation, à la légèreté et d'une façon ou d'une autre, au Ciel. La souveraineté de l'Esprit est avant tout la reconnaissance en nous d'un intarissable désir de nous joindre au Souffle, à cette prodigieuse liberté qui, croyons-nous, règne dans les Hauteurs. Or, de ces Hauteurs, dont nous hante la nostalgie, palpite le reflet dans les abysses même du langage: images, icônes, blasons dont naquirent tous les mots et toutes les phrases et dont nous retrouvons les figures simples dans les œuvres les plus savantes et les plus nobles; l'extrême science ne cessant de sertir plus somptueusement ces pierres primordiales, sans âge, que notre enfance aimait déjà et dont nous emporterons avec nous, dans la mort, l'ultime et versicolore consolation.

91VlNZqqm6L.jpgDe ces nostalgies et de ces pressentiments l'œuvre de Villiers de l'Isle-Adam magnifiquement témoigne, la création littéraire étant pour lui identique à l'Œuvre alchimique par laquelle l'individu se délivre à la fois du monde et de lui-même. Toutefois, l'état général du monde étant à la déchéance et à la trahison, cette délivrance ne pouvant plus s'accomplir que par exception, elle sera désormais limitée à cette élite ultime dont la sagesse implique une lucide révolte contre le monde moderne et « l'hypnotisme du Progrès » qui, ainsi que nous le montrent L'Affichage céleste et La Machine à analyser le dernier soupir, sont allés jusqu'à profaner le Ciel et la Mort !

Dès lors, Villiers va fondre en l'exigence de l'Auteur les diverses possibilités créatrices du Mage et du Poète, de celui qui maîtrise la part invisible du monde et de celui qui la réalise. « Ta vérité sera ce que tu l'auras conçue: son essence n'est pas infinie, comme toi ! Ose donc l'enfanter la plus radieuse, c'est-à-dire la choisir telle... car elle aura déjà précédé de ton être tes pensées, devant s'y appeler sous cette forme où tu l'y reconnaîtras! Conclus enfin qu'il est difficile de devenir un Dieu,- et passe outre: car cette pensée même si tu t'y arrêtes devient inférieure: elle contient une hésitation stérile. »(1) Cet appel, que Maître Janus adresse à Axël, résume assez bien ce sens de la grandeur, cette magnanimité intérieure que la Délivrance désirée exige de l'Adepte. Choisir de toutes les illusions la plus grande et la plus belle, tel sera le dessein de l'Auteur conscient de ses privilèges. « L'Initiation, écrit Raymond Abellio, est l'éveil de la conscience à sa propre conscience de soi transcendantale. Elle est intériorisation des ténèbres et transmutation radicale de celles-ci en même temps que de l'être tout entier. » (2) Cette citation d'Abellio éclaire non seulement le propos de Villiers concernant l'essence de l'homme, elle donne aussi une idée des diverses épreuves à travers lesquelles Axël d'Aüersperg devra passer, épreuves de l'enténèbrement par l'or et d'obscuration par la passion, avant d'atteindre à l'infini qu'il porte en lui, de toute éternité, et précédant de son être, ses pensées.

L'Auteur d'Axël ne se contente pas d'un quelconque « travail du texte » pas davantage qu'il n'envisage de réduire sa fonction à distraire son lecteur, et son éventuel spectateur. Le dessein de l'œuvre est magnifique,- au sens que Saint-Pol-Roux donnera à ce mot dans un mouvement qui se voudra « symboliste comme Dante » et s'intitulera le Magnificisme. L'Auteur est le « prophète de la grandeur »" et son œuvre est l'autobiographie spirituelle de cette quête de l'immensité et de la transparence. Aux journalistes qui l'interrogent sur Axël d'Aüersperg, Villiers de L'Isle-Adam donne la seule réponse ingénue et magnifique: « Vous y verrez la promenade à travers toute existence, toute apparence, toute pensée, du héros accompli de corps et d'âme, en qui j'ai mis toutes mes complaisances. Et je veux que telle soit la conclusion qui s'impose à ceux qui sortiront de cette lecture: Illusion pour illusion, nous gardons celle de Dieu, qui seule donne à ses éternels éblouis la lumière et la paix. »(3)

51fAaspej8L._SX297_BO1,204,203,200_.jpgA la différence d'autres œuvres qui ne sont « initiatiques » que par analogie lointaine, si ce n'est par abus de langage, un usage ornemental des symboles religieux ayant abusé les exégètes, l'œuvre de Villiers mérite d'autant mieux d'être dite initiatique, et initiatrice, qu'elle se définit telle, et de façon fort guerroyante, à  l'encontre du monde moderne, profane et bourgeois. Dans l'introduction à son livre Initiation, rites, sociétés secrètes, Mircéa Eliade définit en effet le monde moderne comme étant précisément un monde qui se caractérise par son absence d'initiation: « D'une importance capitale dans les sociétés traditionnelles, l'initiation est pratiquement inexistante dans la société occidentale de nos jours. Certes, les différentes confessions chrétiennes conservent, dans une mesure variable, des traces d'un Mystère initiatique. Le baptême est essentiellement un rite initiatique; le sacerdoce comporte une initiation. Mais il ne faut pas oublier que le christianisme n'a justement triomphé et n'est devenu une religion universelle que parce qu'il s'est détaché du climat des Mystères gréco-orientaux et s'est proclamé une religion du salut accessible à tous. D'autre part, a-t-on encore le droit d'appeler chrétien le monde moderne en sa totalité ? S'il existe un homme moderne, c'est bien dans la mesure où il refuse de se reconnaître dans l'anthropologie chrétienne. L'originalité de l'homme moderne, sa nouveauté par rapport aux sociétés traditionnelles, c'est précisément sa volonté de se considérer un être uniquement historique, son désir de vivre dans un cosmos radicalement désacralisé. » (4) Ce pourquoi, dans l'œuvre de Villiers, l'exigence du cheminement initiatique se fonde sur une préalable réfutation de toutes les valeurs du monde moderne, réfutation d'autant plus héroïque que ces valeurs sont dominantes et fermement résolues, semble-t-il, à ne rien laisser survivre qui ne leur fût docile. En témoigne ce propos, rapporté par Victor Emile Michelet: «  Axël n'a pas pour théâtre l'espace céleste. C'est un aigle prisonnier dans une cave, mais il s'y démène avec une telle furie, un tel fracas d'aileron que le bruit percera les épaisses voûtes et l'on entendra au dehors les clameurs de l'aigle blessé. »(5)

Encore que l'on puisse y discerner une analogie avec la caverne platonicienne, la « cave » n'est ici rien d'autre que la modernité que Villiers ne prétend nullement pouvoir frapper d'inconsistance par les seules vertus de sa révolte ou de sa sagesse. La souveraineté de la connaissance, la gnose la plus pure ne peuvent à elles seules effacer la déchéance où se trouve le monde. Dans l'oubli des principes divins, l'humanité est condamnée à une vie qui est en-deçà de la vie. Elle subsiste, ayant rompu avec les messages des Hauteurs, dans cet inframonde figuré par les caves, alvéoles souterraines où, par définition, la contemplation des vastitudes célestes est impossible. Ce pourquoi l'Initiation débute par la révolte, la blessure, le cri, ces instances du monde tragique. Avant même d'entrer dans le cycle des épreuves, Axël débute son initiation par un meurtre, comme si l'Age Noir, ayant étendu son règne sur toute chose, on ne pouvait, sans violence, se détacher de l'ordre profane. Le Commandeur qu'Axël exécute à la fin de la troisième partie, Le Monde tragique, peut apparaître comme une figure inverse du Don Juan de Mozart où le meurtre du Commandeur est une transgression de la morale chrétienne. Alors que Don Juan défie le sacré, Axël, lui, défie les normes profanes. De ce fait, Axël n'est point englouti dans les enfers comme Don Juan, pas davantage qu'il ne semble éprouver le moindre repentir de son geste. Toutefois si l'exécution du Commandeur n'apparaît pas comme une faute morale (le Commandeur, au demeurant, s'étant rendu assez odieux dans les scènes précédentes pour ne pas apitoyer davantage le spectateur) elle s'inscrit dans le destin d'Axël comme une sorte d'erreur magique. Désormais le meurtrier, en vertu d'une mystérieuse loi de sympathie, va hériter des caractères de sa victime, et jusqu'à un certain point, devenir semblable à elle.

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Par cet « Œuvre-au-noir » débute le processus initiatique: « Te voici donc mûr pour l'Epreuve suprême. La vapeur du Sang versé pour de l'Or vient de t'amoindrir l'être: ses fatals effluves t'enveloppent, te pénètrent le cœur... Héritier des instincts de l'homme que tu as tué, les vieilles soifs de volupté, de puissance, d'orgueil, respirées et résorbées dans ton organisme, s'allument au plus rouge de tes veines. Or, descendu des seuils sacrés, l'ancien mortel va ressusciter dans les méconnaissables yeux de l'initié coupable ! C'est bien l'heure.- Elle aussi va venir, celle qui renonçait à l'idéal divin pour le secret de l'Or, comme tu vas renoncer tout à l'heure, à tes sublimes finalités, pour ce méprisable secret. Voici donc en présence la dualité finale des deux races, élues par moi, du fond des âges, pour que soit vaincue, par la simple et virginale humanité, la double illusion de l'Or et de l'Amour,- c'est-à-dire pour que soit fondée, en un point du devenir, la vertu d'un Signe nouveau.»(6)

La vertu du Signe nouveau est déïfiante, elle s'écarte de la banale voie du mérite: tel est le principe des idées philosophiques que développe Maître Janus dans la troisième partie d'Axël, qui s'intitule Le Monde Occulte. Que les écrits hermétistes du XIXème siècle fussent le support de ces hautes spéculations (Pierre Mariel cite un certain nombre de passages qui sont presque mot pour mot, empruntés au Dogme et rituel de la Haute-Magie, d'Eliphas Levi), cela n'empêche nullement Villiers de rejoindre des considérations qui appartiennent véritablement à la Tradition universelle, au sens guénonien, et ne doivent plus rien d'essentiel à tel ou tel auteur particulier de son siècle.

De même que Villiers, d'après Eugène Lefébure, regarde l'œuvre de Hegel comme « une explication incomplète de l'Evangile »(7) (et, par voie de conséquence en fait un usage qui s'écarte pour le moins de celui qu'en firent Marx ou Engels), sa lecture des hermétistes et des occultistes de son temps s'apparente, de la même façon, à une tentative de reconquérir, ou mieux encore, de reconstruire de l'intérieur, avec les matériaux dont il dispose, cette théosophie immémoriale qui est le cœur secret de la théologie chrétienne et dont tous les accès ont été obstrués, y compris par les dévots eux-mêmes. Hegel, la philosophie idéaliste de Fichte ou de Schopenhauer, l'hermétisme, le catholicisme sont ainsi pour Villiers autant de moyens de reconquérir la Science Sacrée, la Gnose, la Tradition dont la modernité est l'Ennemie. En cela Villiers partage l'intention affirmée de Saint-Yves d'Alveydre ou de Fabre d'Olivet mais il n'en est point l'épigone.

77_Auguste-de-Villiers-de-L-Isle-Adam.jpg« Epouse en toi la destruction de la Nature; résiste à ses aimants mortels. Sois la privation ! Renonce ! Délivre-toi. Sois ta propre victime ! Consacre-toi sur les brasiers d'amour de la Science auguste pour y mourir, en ascète de la mort des phénix. Ainsi réfléchissant l'essentielle valeur de tes jours sur la Loi, tous leurs moments pénétrés de sa réfraction, participeront de ta pérennité. Ainsi tu annuleras en toi, autour de toi, toute limite ! Et oublieux à jamais de ce qui fut l'illusion de toi-même, ayant conquis, libre enfin, l'idée de ton être, tu deviendras dans l'Intemporel, esprit purifié, distincte essence en l'esprit absolu,- le consort même de ce que tu appelles Déïté. »(8)

     En ce passage capital d'Axël, où nous pouvons reconnaître ce que Henry Corbin a nommé une « métaphysique de l'être à l'impératif », nous retrouvons cette tradition théosophique, ou gnostique, dont nous écartent à la fois la croyance littéraliste et l'agnosticisme. Dans L'Imagination créatrice dans le soufisme d'Ibn'Arabi, Henry Corbin précise ainsi la différence fondamentale qui existe entre une métaphysique de l'Etre, qui débouche sur une véritable initiation, c'est-à-dire une « renaissance immortalisant »" (la  « mort des Phénix ») et d'autres voies de connaissance, profanes ou religieuses: « Le non-gnostique, le croyant dogmatique, ignore et ne peut qu'être scandalisé si on le lui suggère, que la louange qu'il offre à celui en qui il croit est une louange qui s'adresse à soi-même. Cela justement parce que n'étant pas un gnostique, il ignore le processus et le sens de cette création à l'œuvre dans la croyance, et reste inconscient de ce qui en fait la vérité. Aussi érige-t-il sa croyance en un dogme absolu, alors qu'elle est nécessairement limitée et conditionnée. D'où ces impitoyables luttes entre croyances qui rivalisent, se rejettent, se réfutent les unes les autres. Au fond, juge Ibn'Arabi, la croyance de ces croyants n'a d'autre nature que celle d'une opinion, et ils n'ont pas conscience de ce qu'implique cette parole divine: je me conforme à l'opinion que mon fidèle à de moi. » (9)

Etre initié, c'est reconquérir l'Etre et comprendre que le Soi, qui demeure, est la seule réalité. Le monde que les positivistes réputent réel n'est que représentation, illusion, ce que la tradition hindoue nomme « le voile de May »". La Déïté est le Soi, seule réalité qui ne passe point. La connaissance de la réalité divine, seule réalité, exige donc de la part de l'Initié qu'il reconnaisse en lui sa propre nature divine, idée centrale de la philosophie néoplatonicienne. Dans les Ennéades de Plotin il est dit que « Jamais un œil ne verrait le soleil sans être semblable au soleil ni une âme ne verrait le Beau sans être belle »(10). Hors cette concordance essentielle, l'initiation s'avère impossible. En témoigne également le Corpus Herméticum: « Si tu ne te rends pas égal à Dieu, tu ne peux comprendre Dieu ». (11)

Ces quelques citations suffisent à montrer que l'idée de l'Initiation, en tant que connaissance déïfiante, loin d'être une fantaisie ou une outrance d'auteur, s'inscrit dans une tradition gnostique, dont les hermétistes du XIXème siècle sont, pour une part les héritiers, mais souvent les héritiers confus. Dans l'œuvre de Villiers, l'Initiation, loin de se perdre dans une profusion de rites et de symboles disparates, retrouve la pureté de son dessein. L'initiation, l'étymologie l'indique, suppose l'idée de renaissance. Or, pour renaître, il faut mourir. Telle est précisément la leçon d'Axël. La mort de Sara et d'Axël n'est pas une défaite mais, l'ordre du monde étant ce qu'il est, la plus belle des victoires possibles. Leur mort est la mort des Phénix, c'est-à-dire, la « mort de la mort », qui précède la renaissance immortalisante. Cette initiation peut-être dite surhumaniste en ce qu'elle implique, de la part des initiés, de vaincre en eux toute appartenance à l'espèce humaine et au monde, qui est l'illusion la plus commune de l'espèce. Tout en s'inspirant de ce qui chez les occultistes est la trace d'une tradition immémoriale, Villiers se défait des aspects folkloriques, exotiques ou ornementaux des livres d'Eliphas Levi ou de Papus. L'Idée, pour Villiers, prime tous les rites. L'acte magique, par excellence, c'est d'écrire, et ensuite, l'œuvre accomplie, de se taire. La Haute-Magie, pour Villiers, comme pour Mallarmé, se révèle dans l'abysse-miroir qui unit et sépare la Parole et le Silence.

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« Sache une fois pour toutes qu'il n'est d'autre univers pour toi que la conception même qui s'en réfléchit au fond de tes pensées;- car tu ne peux le voir pleinement, ni le connaître, en distinguer même un seul point tel que ce mystérieux point doit être en sa réalité. Si par impossible, tu pouvais, un moment, embrasser l'omnivision du monde, ce serait encore une illusion l'instant d'après, puisque l'univers change,- comme tu changes toi-même,- à chaque battement de tes veines, et qu'ainsi son Apparaître, quel qu'il puisse être, n'est en principe que fictif, mobile, illusoire, insaisissable. » (12). Illusion dans l'illusion, ténèbres à l'intérieur des ténèbres, tel est l'Apparaître. Sans doute faut-il désespérer de tout pour être enfin un Délivré. Mais cette désespérance n'est en aucune façon un consentement à la passivité ou à la résignation; c'est une désespérance ardente, impérieuse, qui rejoint les plus belles inspirations d'Angélus Silésius: « Vois, ce monde est passager... Que dis-je ? Il ne passe pas, ce n'est que l'obscurité que Dieu brise en lui. » (13). Or, de cet Apparaître fictif et trompeur, l'homme, en tant qu'il appartient à l'espèce humaine, est partie intégrante: « Où ta limite en lui, s'interroge Villiers, où la tienne en toi ? ... Il s'agit donc de t'en isoler, de t'en affranchir, de vaincre en toi ses fictions, ses mobilités, ses illusions, son caractère ! Telle est la vérité selon l'absolu que tu peux pressentir, car la Vérité n'est elle-même qu'une indécise conception de l'espèce où tu passes et qui prête à la Totalité les formes de son esprit. Si tu veux la posséder, Crée la ! Comme tout le reste ! » (14) « Ce qu'est Dieu, dit encore Angélus Silésius, on ne le sait: Il est ce que moi, toi, et toute créature nous n'apprenons jamais avant d'être devenu ce qu'Il est. »(15). Tel est aussi le sens de l'Initiation, la mort du Phénix: « Tu es ton futur créateur. Tu es un Dieu qui ne feint d'oublier sa toute-essence qu'afin d'en réaliser le rayonnement... reconnais-toi ! Profère-toi dans l'Etre ! Extraits-toi de la geôle du monde, enfant des prisonniers. Evade-toi du Devenir »(16).

A la différence d'Isis, qui eût exigé un développement beaucoup plus vaste pour pouvoir donner une idée d'ensemble du processus initiatique et à la différence de La Maison du bonheur où l'initiation est pour ainsi dire déjà accomplie, par le triomphe d'un amour heureux, Axël  est un drame qui nous montre le cheminement de l'Initié. Isis, pourrait-on dire, établit les circonstances et les conditions nécessaires de l'Initiation. La Maison du Bonheur suggère l'issue victorieuse d'un combat contre les normes profanes. Axël va montrer le passage par les épreuves.

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Certains critiques ont comparé Axël au Second Faust de Goethe, et sans doute est-il vrai que Villiers, à l'instar de Goethe, voulut, par son drame, donner une forme idéale à ses préoccupations philosophiques, morales ou religieuses. En rompant avec la morale conventionnelle, liée à l'utilitarisme bourgeois, et comme telle, morale sociale et nullement morale transcendante, Villiers ne va nullement sombrer dans une forme d'amoralisme ou de nihilisme; il va se forger, nous l'avons vu, une éthique initiatique, à certains égards surhumaniste, qui seule va pouvoir le sauver des périls qui le menacent. Ainsi que l'écrit Gérard de Sorval: « Au contraire de la destinée sédentaire du laïc, faite de passivité et de docile soumission à un magistère extérieur, la voie chevaleresque comporte nécessairement l'errance et le combat, comme conditions de la rencontre avec Dieu. C'est l'aventure vécue qui permet l'irruption dans la conscience et l'avènement dans l'âme de la présence divine. »(17)

Cette aventure et cet avènement sont, pour ainsi dire déjà écrits. Les épreuves sont d'autant plus nécessaires qu'elles sont déjà inscrites dans le destin de l'initié. On pourrait même dire que l'expression « par avance » est mal appropriée en cela que l'Initiation fait entrer l'initié dans l'Intemporel où, devenu ce qu'il était de toute éternité, l'avant et l'après n'ont plus aucun sens. Toutes les choses passées ou passives refleurissent alors dans les purs agissements d'un éternel présent. Il importe alors à travers les épreuves, les étapes, de décrypter peu à peu le chiffre du destin, ce qui nous ramène à l'herméneutique: « Comme patron des hérauts et des herméneutes, Hermès parle aussi par rébus, ou, si l'on préfère, il blasonne les énigmes du monde pour mieux induire et révéler leur déchiffrement. Les choses sont aussi éclatées qu'imbriquées; celui qui en donne le signe et le chiffre propose la clef de leur signification et de leur assemblage. C'est le maître du symbole dont la fonction est de passer le sens, en tous sens et par tous les sens de l'homme. »(18)

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Les devises et les armoiries des héros d'Axël se laissent interpréter dans le sens du drame. Voyons d'abord la devise d'Axël: « Altius resurgere spero gemmatu »s: gonflé de sève, j'espère ressusciter plus haut. La mort des Phénix sera l'illustration de la fidélité d'Axël à sa devise ancestrale. Ressusciter plus haut, ce n'est pas seulement vaincre la mort, c'est aussi, et surtout, changer d'état d'être, c'est-à-dire « atteindre à cette identité céleste que tout guerrier recherche lorsqu'il poursuit la vraie gloire » ainsi que l'écrit Gérard de Sorval. Or, la vraie gloire appartient au royaume subtil, à l'Ether lumineux, splendeur du Vrai où toute beauté se recueille. La devise ancestrale de Sara ne s'offre pas moins à une interprétation initiatique:  Macte animo ! Ultima perfulget et sola: Courage ! La seule dernière (étoile) flamboie de tous ses feux.

Cette devise s'éclaire à la description du blason lui-même: D'azur- à la tête de mort, ailée, d'argent, sur un septenaire d'étoile de même, en abyme, avec la devise courant sur les lettres du nom. Le cheminement de l'initiation, spirale prophétique qui nous entraîne vers le centre du monde, ce « point suprême » qu'évoque André Breton dans sa définition du Surréalisme, est à la fois inscrit dans le ciel, les étoiles et dans le cœur humain, en vertu des paroles attribuées à Hermès Trismégiste: « Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pour faire le miracle d'une seule chose ».

« La spirale, note Gérard de Sorval, décrit le mouvement des étoiles au firmament, inverse de la rotation de la terre. Ce qui indique que le terrain de la Quête du veneur et du guerrier est au ciel, ou, pour mieux dire, c'est la terre céleste, dont le centre est l'étoile polaire et les sept astres de la Grande Ourse ». (19) Le septénaire du blason de Sara trouve ainsi son explication, ainsi que l'étoile de la devise, symbole du Pôle, c'est-à-dire du cœur de l'être, du Soi, où règne la Déïté, où l'amant, l'aimée et l'amour lui-même se confondent en une réalité unique. « La spirale de l'Initiation, écrit encore Gérard de Sorval, tourne de l'extérieur vers l'intérieur, dans le sens inverse des aiguilles d'une montre. Ce qui veut dire dans un certain sens (entendu comme signification et orientation) qu'il faut remonter le temps. Mais non pas vers le passé, car alors on l'enfermerait dans la succession chronologique, et la spirale, au lieu de resserrer ses anneaux de l'extérieur vers l'intérieur se déroulerait au contraire indéfiniment en spires de plus en plus larges. Et l'on serait alors prisonnier des anneaux de Saturne. Bien au contraire, il s'agit de remonter le flux, vers sa source qui est intemporelle, palpable à chaque instant comme éternel présent: parvenir au moyeu de la roue pour se tenir en son axe vertical immobile »(20). Aller du cercle extérieur vers le point central, remonter de l'exotérique vers l'ésotérique, de l'apparence vers l'être,- que symbolise « l'étoile polaire qui flamboie de tous ses feux »,- telle est donc l'Initiation dont le paradoxe apparent est d'être déjà réalisée avant même de débuter.

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C'est ainsi que le meurtre du Commandeur, la révolte d'Axël contre la sagesse de Janus font partie du plan divin concernant la réalisation de cette sagesse. L'emprise du Sang et de l'Or n'est point une vaine dispersion pas davantage que la mort du Commandeur n'est un accident. Tout cela est écrit et Janus le sait. Gustav Meyrink, autre romancier initiatique, écrit dans Le Visage Vert: « Les hommes qui ont remis leur sort entre les mains de l'esprit qui est en eux-mêmes relèvent d'une loi spirituelle. Ils sont déclarés majeurs et échappent à la tutelle de la terre dont ils deviendront un jour les maîtres »(21). L'œuvre n'est rien sans les épreuves qui en précèdent l'accomplissement dans les obscurités mêmes de la forêt primitive que hantent les puissances de l'instinct.  « Toute Quête, écrit Gérard de Sorval, commence par la forêt gaste des contes arthuriens, celle qui symbolise la multiplicité opaque, sombre, menaçante, indéfinie, où l'on s'égare sans guide, où l'on se fait dévorer par les bêtes sauvages que sont nos instincts et nos passions livrées à elles-mêmes. c'est la nature de l'état déchu de l'homme, image inverse du Jardin de l'Eden, où les forces vitales, végétales et animales ne sont plus soumises à l'ancien maître du Jardin. » (22)

Pour Villiers, l'Initiation consiste donc à laisser derrière soi ce qui fait la raison ou la déraison de vivre des humains. Il faut laisser derrière soi le monde religieux, car la dévotion souvent s'y réduit à l'obéissance aveugle à la lettre morte, au détriment de l'esprit qui vivifie. Il faut laisser derrière soi le monde tragique, si possible en sortant victorieux de l'affrontement, mais sans oublier jamais que l'action importe plus que le fruit de l'action. Il faut laisser derrière soi le monde occulte, car au terme de l'Initiation le Caché doit devenir le Révélé, de même que le connaissant s'identifie avec le connu. Enfin, il faut laisser derrière soi le monde passionnel, l'Amour étant l'illusion ultime qui cède devant la connaissance de l'unité transcendante de l'Amour, de l'Amant et de l'Aimée, au terme d'une herméneutique absolue du monde. « L'Ecu héraldique, note encore G. de Sorval, constitue par sa forme même une table d'Hermès, qui dessine la figure du mercure philosophal lorsqu'il s'est fixé dans sa puissance régénératrice et transmutatrice ». En effet: «  Le bouclier, ou boucle liée, est le produit de cette coagulation, de ce lac d'amour noué: après que, dans une phase antérieure le subtil eut été séparé de l'épais, l'âme du corps, et que les deux principes eurent été purifiés dans leur propre sang, la formation du bouclier manifeste une nouvelle conjonction. Ainsi, l'apparition du blason témoigne de la venue au jour du corps subtil, fruit de cette union. » « Le blason du guerrier est médiation entre son apparence visible et son être spirituel invisible, réfraction des couleurs, ou énergies lumineuses dominantes, et des formes archétypales traduisant son identité céleste, telle qu'elle est conçue et connue de toute éternité dans la pensée divine. » (23)

Médiatrice, l'Idée de l'amour peut apparaître, dans l'œuvre de Villiers, sous une apparence paradoxale. L'Amour est à la fois ce qui perd et ce qui sauve, l'épreuve à dépasser et la puissance par laquelle il nous est donné de dépasser. L'Amour est l'illusion qu'il faut vaincre mais il est en même temps ce qui nous donne la force de vaincre toute illusion. Est-ce à dire que l'on trouverait chez Villiers une sorte de « philosophie de l'alternance », comparable, par exemple, à celle de Henry de Montherlant ? Dans l'appendice à Carnaval sacré, Montherlant écrit: « On dit qu'il m'arrive d'écrire contre moi-même. Etant tout, je suis sans cesse à l'autre bout de moi-même mais je ne puis être contre moi-même. A moins qu'un pôle soit contre l'autre pôle. » Et Montherlant ajoute, un peu plus loin: « Toujours aimer les multiples faces de chaque événement, de chaque situation. Le Zen, comme le Taoïsme, est le culte du relatif. Un Maître définit le Zen, l'art de percevoir l'étoile polaire dans le ciel méridional. On ne peut parvenir à la vérité que par l'intelligence des contraires. » (24). La connaissance intérieure de la Vérité, c'est-à-dire du Cœur, nous donne à comprendre que la logique des contraires n'est pas une logique de l'exclusion mais une logique de la complémentarité. L'amour heureux et salvateur de La Maison du Bonheur, qui protège les amants du monde extérieur, ne contredit point l'idée, développée dans Isis, que l'amour peut-être aussi un danger pour la connaissance et la sagesse. Dans La Maison du Bonheur, Paule de Luçanges et le duc Valleran de la Villethéar sont d'emblée au-delà de la vie: « Tels, ne laissant point la dignité de leurs êtres se distraire de cette pensée qu'ils habitent ce qui n'a ni commencement ni fin, ils savent grandir de toute la beauté de l'Occulte et du Surnaturel,- dont ils acceptent le sentiment,- l'intensité de leur amour. »(25)

400px-Brou_-_Resurrection_Villiers_de_l%u2019Isle-Adam.pngLa distance prise avec le monde sauve leur amour des périls auxquels il n'eût manqué de les exposer s'ils se fussent mêlés à leurs contemporains d'une façon ou d'une autre. Mais, par bonheur: « Ayant compris de quelle atroce tristesse est fait le rire moderne, de quelles chétives fictions se repaît la sagesse purement terre à terre, de quels bruissements de hochets de puérilisent les oreilles des triviales multitudes, de quel ennui désespéré se constitue la frivole vanité du mensonge mondain, ils ont, pour ainsi dire, fait ce vœu de se contenter de leur bonheur solitaire. » (26). Hors d'atteinte, les amants de La Maison du Bonheur incarnent cette possibilité de l'amour sublime qui, dans le symbolisme initiatique du Jeu de l'Oie, correspond au Cœur flamboyant. « Plus encore, pour ceux-là dont l'amour sublime concilie en un seul être toutes les puissances, a pris tout le pouvoir sur eux, et rassemble dans l'aimé tout ce qui est attendu du dehors et du dedans, une protection invisible se manifeste: d'une certaine manière, cet amour se transporte au-delà des limites humaines normales, au-dessus des lois ordinaires et de l'enchaînement des causes et des effets, hors d'atteinte du monde. Cet amour crée autour d'eux une enceinte invisible, infranchissable, un cercle de feu, un espace sacré, comme si la célébration de ce mystère engendrait de soi-même son sanctuaire protecteur. Dans cet état, toute femme est Mercure, tout homme Souffre, leur humanité charnelle est la matière de l'œuvre, et il se forme autour d'eux un athanor invisible qui préserve le feu de leur coction des influences délétères, afin de permettre au Sel de leur amour de cristalliser et de croître » (27). Mais hormis cette radieuse possibilité de l'innocence retrouvée, et gardée, il existe d'autres formes d'amour où l'initié et l'initiée doivent guerroyer  contre les enchaînements funestes de la passion.

La dualitude de l'amour est celle du feu, qui éclaire et consume, éveille la lumière au cœur des ténèbres et réduit en cendres. La science du secret, qui se fonde sur le principe de l'alliance des contraires, nous renseigne aussi quant aux vertus cachées des sentiments. Toute chose recèle son contraire. Il y a là l'ébauche de cette loi de symétrie qui, généralisée, nous restitue à l'intuition primordiale de l'interdépendance universelle. Dans la mort, germe la vie. Le visible est le manteau de l'Invisible. Dans la lumière qui ordonne, il y a le feu qui détruit. Telle est la réalité du monde d'être toujours, pour une part apparente et pour une autre, cachée. L'Unité du monde ne peut s'expliquer par un mécanisme, comme le voudraient les positivistes, elle s'éprouve et se devine dans une interprétation sans fin. Tullia Fabriana est Isis, mais Isis demeure l'exquise Tullia, destinée à séduire et à être séduite. Tullia, pourrait-on dire, est d'autant plus Isis qu'elle est davantage séduite, de même que l'existence d'un pôle renforce et précise l'existence de l'autre pôle.

Luc-Olivier d'Algange

Notes:

(1) Axël p.203

(2) Abellio dans L'Esprit moderne et la Tradition, préface à Au seuil de l'ésotérisme de Paul Sérant, ed. Grasset, p.18

(3) Propos de Villiers au journaliste H.Leroux, cité dans Portraits de cire, ed. Lecène et Ourdin.

(4) Mircéa Eliade, Initiation, rites et sociétés secrètes, ed. Idées/Gallimard

(5) Propos rapporté à V.E Michelet, dans Figures d'évocateurs, p.231

(6)J.H Bornecque, à propos des lectures que Villiers fait de Hegel dans Henri Mondor: Eugène Lefébure.

(7) Axël,p.190

(8) Axël,p. 197

(9) Henry Corbin: L'Imagination dans le soufisme d'Ibn'Arabi, ed. Flammarion,p.206

(10) Jean Brun: Le néoplatonisme

(11) Corpus Hermeticum, Association Guillaume Budé.

(12) Axël p. 203

(13) Yves-Albert Dauge: L'Esotérisme pour quoi faire.

(14) Axël p. 203

(15) Y.A Dauge ibidem

(16) Axël p. 203

(17)G. de Sorval: La Marelle ou les Septs marches du paradis p. 69

(18) ibidem p 66

(19) ibidem p 24

(20) ibidem p 34

(21) ibidem p 70

(22) ibidem p 21

(23) ibidem P 122

(24) H. de Montherlant, Oeuvres, La pléiade p 433

(25) La Maison du Bonheur p. 148

(26) ibidem p. 149

(27) G. de Sorval: ibidem p. 96-97

Spengler et le kathekon

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Spengler et le kathekon

Carlos X. Blanco

Ex: https://decadenciadeeuropa.blogspot.com

Le philosophe allemand Oswald Spengler a été, à mon avis, le grand phare du XXe siècle. Au-delà de quelques exagérations, surtout dans le domaine de ses analogies et de ses audaces poétiques, et au-delà de son allergie au rationalisme et à la pensée systématique, cet homme était, avant tout, un prophète, un esprit puissant et fin, une lumière qui nous éclaire sur la longue perspective.

Il y a un siècle, il a publié Le Déclin de l'Occident [Der Untergang des Abendlandes]. Le titre même, la polysémie (surtout pour un hispanophone) du terme Untergang, sa propre conception très originale, c'est-à-dire une conception qui veut que l'histoire ait une morphologie, qu'elle est un paysage de cultures et de civilisations plutôt qu'un flux d'événements qui peuvent être "expliqués" par des lois ... tout cela et bien d'autres choses encore ont fait que son livre était destiné au succès et, pour ou contre lui, de près ou de loin, tout le monde en parlait. Spengler est, comme son compatriote Schopenhauer, l'auteur d'"un livre". Il est vrai qu'il a fait publier d'autres textes, dont aucun n'est exempt d'étincelle féconde, d'intuition, de substance, d'intérêt historique, politique, sociologique, métaphysique. Mais Der Untergang des Abendlandes est sa cathédrale, son Magnum Opus, son sommet, d'une manière similaire à la façon dont Le monde comme volonté et comme représentation a été la carte d'entrée unique à l'Olympe de la pensée pour Arthur Schopenhauer. C'est dans ce fait là, celui d'être les auteurs d'un seul grand livre, et non dans leur « pessimisme », que je placerais la parenté entre les deux penseurs, Oswald Spengler et Arthur Schopenhauer. Je ne pense pas qu'il y ait un réel pessimisme - du moins pas chez Spengler - lorsque l'auteur nous dit que cet effondrement et cette dissolution (Untergang) sont aussi étrangers à nos sentiments et à nos désirs que l'évaporation d'une goutte du fleuve ou le lent glissement d'une couche tectonique peuvent l'être pour la galaxie tout entière. Un tel regard "cosmique", et plus que "cosmique", quasi théiste, avec lequel le philosophe de l'histoire veut se donner une vaste perspective, en vue de dépouiller le cours inexorable des événements humains de tout anthropomorphisme, rappelle notamment les prédécesseurs non reconnus de Spengler : Hegel ou Marx, que ces prédécesseurs regardent le passé avec les yeux du réactionnaire, ou qu'ils entrevoient l'avenir de façon progressiste et révolutionnaire.

Hegel et Marx, eux aussi, ont adopté dans une large mesure le "point de vue de Dieu" pour voir ce que font les rois, les sujets, les concurrents ou les paysans, les ouvriers ou les magnats, en tant que sujets encastrés dans des masses, ou à la manière des fourmis piégées dans le miel, une substance collante fourrée dans un bocal de verre sur le point de tomber en morceaux sur le sol. Que la raison suive son cours inexorable (Hegel), ou que "les forces sociales au-dessus de la volonté humaine" (Marx) déterminent les individus et les groupes dans leurs lignes de conduite, sont des schémas de pensée qui ne sont pas très éloignés du fatum spenglerien. Ce dernier nous dit que l'histoire est la biographie des cultures et que les cultures - et non les "sociétés" ou les "nations" - sont la véritable unité vitale dont le cours doit être étudié par l'historien.

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L'homme européen, et plus précisément une partie importante et déterminante de cet homme européen, l'Espagnol, vit aujourd'hui une époque sombre, à la croisée des chemins. Il y a trop de ténèbres ce soir pour savoir quel chemin prendre. Certains chemins mènent à coup sûr à une falaise dont le fond semble aussi profond que l'enfer. D'autres pistes sont incertaines et mènent à la "mort". Qui, si ce n'est Spengler, a réfléchi aussi subtilement à la mort fatale des cultures ? Les cultures, déjà anciennes et atteintes de sclérose, sont appelées Civilisations. Ce sont les grandes civilisations de la Terre, des plantes flétries de plus en plus solidifiées, presque minérales. Et leurs villes sont faites de pierre (ou d'asphalte, de béton, d'acier). Des villes disproportionnées et hautaines, "cosmopolites" et "multiculturelles" qui, en réalité, ignorent le sol dont elles sont issues et se développent contre les racines mêmes d'où cette culture, en tant que jeune progéniture, a un jour germé. Nous vivons dans une Espagne et une Europe asphaltées, à plusieurs mètres au-dessus de l'humus dont sont issus nos groupes ethniques, nos racines, nos croyances. Nous vivons, daltoniens, sans voir le sang rouge de ceux qui ont versé le leur pour que nous puissions être ici.

Aucun parti politique ne peut redonner vie au cadavre de notre Espagne et de notre culture européenne, qui est devenue une civilisation universelle pétrifiée. La peur de la balkanisation de l'Espagne, le dégoût de l'euro-bureaucratie de Bruxelles, l'horreur de l'invasion allogène, la détérioration de la famille, la dangerosité et l'impunité des criminels, les moqueries à l’encontre de notre Histoire et de nos Gloires, l'injustice économico-sociale, la montée de l'ochlocratie à l'intérieur et à l'extérieur des partis... Rien de tout cela, seul ou en synergie, ne peut aujourd'hui constituer le déclencheur du souci collectif de former un "katehon", un mouvement de résistance face à la dissolution. L'Espagne seule ne peut plus résoudre ces problèmes. Nous avons besoin d'un mouvement de résistance et d'opposition à la décadence des deux côtés de l'Atlantique, sur les rives de l'océan où nous avons encore des frères : l'Amérique et l'Europe. Une "droite", bourrée de complexes et jouant à gagner des sièges et des conseils ne nous suffit plus. En réalité, ni la gauche ni la droite ne nous sont utiles. Toute la petite affaire montée en 1978 en Espagne (le nouvel ordre constitutionnel post-franquiste) ne sert plus à rien. Nous avons besoin d'un grand pôle de rétivité populaire et d'une nouvelle sève innervée de colère. La nuit sera très sombre. C'est le moment pré-césariste que Spengler a prophétisé. C'est l'obscurité qui pénètre dans votre âme, où tout est confus, dans un bourbier où même les excréments sont avalés avec plaisir et il faut, à ce moment-là, avoir un phare dans le cerveau et voir les choses bien à l'intérieur.

Source : La Tribuna del País Vasco

dimanche, 20 décembre 2020

Stratégie Macron. Climat & Constitution Contre le Peuple

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Café Noir

Stratégie Macron. Climat & Constitution Contre le Peuple

Café Noir – Un Autre Regard sur le Monde.
Émission du Vendredi 18 décembre 2020 avec Pierre Le Vigan et Gilbert Dawed.
 

La Turquie s'associe à Israël

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La Turquie s'associe à Israël

Ex : https://aurorasito.altervista.org

Rédigé le 14 décembre 2020     

Vladimir Odintsov

Ces dernières années, on trouve de plus en plus d'articles sur l'apparente volonté de la Turquie de développer et de renforcer des liens de diverses nature avec Israël. Le New Eastern Outlook a abordé à plusieurs reprises la question des relations existant entre ces deux pays, en soulevant une question en particulier : la Turquie et Israël sont-ils des ennemis ou des alliés ? Les relations entre les deux pays se sont développées par vagues successives au cours des dernières décennies, déclenchant notamment une crise en 2010 après que les Israéliens aient tué 10 militants turcs qui tentaient d'atteindre la bande de Gaza assiégée, à bord du navire Mavi Marmara pour apporter un soutien aux Palestiniens. Finalement, en mai 2018, la Turquie a expulsé l'ambassadeur d'Israël et a rappelé le sien en raison des attaques israéliennes contre Gaza et de la décision américaine de déplacer son ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem.

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Mais en même temps, ce n'est un secret pour personne que des liens économiques se maintiennent entre les deux pays et, parmi les entreprises engagées dans la construction de bâtiment pour les colonies juives sur les terres palestiniennes depuis les années 1990 figurent des sociétés turques, comme le groupe de construction Yilmazlar, qui renouvelle régulièrement ses contrats avec Israël depuis 2002. Quant à Israël, il considère la Turquie comme un pays générant d'importants flux financiers et comme l'un des centres du commerce mondial, un lieu clé et stratégiquement important pour la domination sur le Moyen-Orient. Cela explique les démarches de Tel Aviv pour accepter des contacts secrets avec la Turquie, dont une communication entre le chef du service national de renseignement turc, Hakan Fidan, et les responsables israéliens dans le cadre des efforts de normalisation des relations avec la Turquie. Ces derniers contacts, selon les sources, impliquent, entre autres, le rétablissement des relations entre la Turquie et Israël au niveau des diplomates.

Comme l'a noté le Jerusalem Post, la Turquie espère non seulement faire preuve d'une attitude amicale envers Israël et les Juifs, mais aussi obtenir des dividendes de l'administration Biden. Dans le même temps, la publication souligne que "c'est un modus operandi qui a déjà été utilisé.... Cependant, il n'est pas encore clair si Israël fera réellement la cour à la Turquie et, par suite, ignorera son soutien au Hamas. L'autre jour, Ankara a fait une autre offre de réconciliation avec Israël pour mettre fin au conflit bilatéral. Cihat Yayci, ancien amiral et professeur de sciences politiques, proche d'Erdogan, a publié un article dans le numéro de décembre de Turkeyscope, un magazine mensuel du centre Moshe Dayan de l'université de Tel-Aviv, proposant une solution au problème constitué par la frontière maritime et économique entre Israël et la Turquie. Il y envisage notamment une réduction des eaux territoriales de Chypre, avec laquelle les relations d'Ankara se sont gravement détériorées depuis les dernières tentatives d'expansion turque en Méditerranée orientale. Il est vrai que dans les commentaires de l'article, le rédacteur en chef de Turkeyscope, le Dr Hay Eytan Cohen Yanarocak, docteur en études orientales, a observé : "Afin d'accroître les relations entre Israël et la Turquie, menant à la normalisation, il est nécessaire de rétablir la confiance mutuelle, et donc, par-dessus tout, il est nécessaire de ramener ambassadeurs et consuls. L'essentiel des propositions turques consiste à établir une frontière dans la zone économique maritime entre la Turquie et Israël au détriment de Chypre et, en redessinant les zones économiques maritimes, à transférer de nombreux lots chypriotes à Israël. En annonçant de telles propositions, Ankara essayait de jouer sur le fait que les zones frontalières maritimes entre Israël et Chypre ont toujours été contestées, malgré les accords signés. Et comme il s'agit d'eaux à hauts rendements économiques potentiels, où, du côté chypriote, se trouve le gisement de gaz d'Aphrodite, d'une valeur de 9 milliards de dollars, avec 100 milliards de mètres cubes de gaz, la nouvelle délimitation de la frontière maritime est présentée par Ankara comme un cadeau précieux à Tel-Aviv, mais à une seule condition : Israël n'aura d'accords qu'avec la Turquie et absolument aucun avec Chypre, dont l'avis n'intéresse pas le moins du monde Erdogan. En même temps, Ankara ne cache pas qu'elle a des "revendications" sur Chypre, suggérant ainsi qu'Israël devrait avoir un "échange d'intérêts" en signant l'accord.

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L'amiral Cihat Yayci a conseillé à Israël de ne pas construire le coûteux gazoduc EastMed vers la Grèce via Chypre, mais de se connecter au gazoduc turc pour envoyer du gaz vers l'Europe, ce qui est plus pratique et moins cher, en faisant clairement référence au "corridor gazier sud" de l'Azerbaïdjan, qui passe par la Turquie. Il convient de noter que la Turquie avait déjà signé un accord similaire, au détriment de la Grèce, avec le gouvernement de Tripoli, ce qui a provoqué la colère non seulement d'Athènes, mais aussi de Bruxelles, du Caire et de Tel-Aviv. D'ailleurs, c'est l'ancien amiral Yaycì qui a suggéré l'idée d'un tel accord avec la Libye.

Comme les médias israéliens ont commenté la proposition de Yaycì, c'est la deuxième fois au cours des quatre derniers mois qu'Ankara a utilisé l'argument énergétique pour tenter de négocier une trêve avec Israël. Le rapprochement clairement souhaité par la Turquie est attesté non seulement par la fréquence croissante des contacts entre les représentants des services de renseignement des deux États, mais aussi par le fait qu'Erdogan lui-même n'a pas ouvertement offensé Israël ces derniers mois.

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Amiral Cihat Yayci.

Concernant l'accord sur la frontière maritime proposé à Israël par la Turquie, les observateurs israéliens l'ont qualifié de "coup turc", dans lequel Erdogan entend sacrifier une autre pièce deson jeu... Chypre, avec qui Israël doit encore se mettre d'accord sur une frontière maritime. L'accord proposé par Ankara sur la délimitation mutuellement avantageuse de la zone économique maritime a jusqu'à présent été plutôt mal accueilli par les experts israéliens. En particulier, il y a un avertissement clair que, s'il est accepté, il pourrait opposer Israël non seulement à Chypre et à la Grèce, mais aussi à son nouveau partenaire, les Émirats arabes unis, dont le souverain officiel, le prince héritier Muhamad bin Zayad, a récemment signé un traité de défense avec la Grèce. Dans le même temps, il n'est pas exclu que les tensions entre les EAU, d’une part, et Erdogan et ses partenaires au Qatar, d’autre part, puissent également conduire à un grave conflit entre Tel Aviv et Abu Dhabi. Dans ces conditions, les experts estiment qu'Israël n'acceptera certainement pas l'accord proposé par Ankara et ne trahira pas son allié Chypre, ce qui jette à son tour un doute sur le succès de la "démarche turque". Quant à la Turquie, Tel-Aviv insiste sur le fait qu'elle doit d'abord changer d'attitude envers Israël, cesser de le délégitimer aux yeux de la population turque et mettre fin à ses relations avec le Hamas. De cette façon, Israël montre que si Erdogan continue, l'État juif trouvera un moyen de restaurer la relation formelle et mutuellement bénéfique entre les deux pays qui existait dans le passé.

Vladimir Odintsov, observateur politique, en exclusivité pour le magazine en ligne "New Eastern Outlook".

La Grèce s’arme contre Erdogan

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La Grèce s’arme contre Erdogan

par Alberto Negri

Source : The Southern Daily & https://www.ariannaeditrice.it

Athènes dépense 5,5 milliards d'euros en armements, dont 18 avions de chasse français Rafale. La tension est élevée en Méditerranée orientale avec la Turquie sur les frontières maritimes de la Grèce, avec le gaz offshore mais il y a beaucoup plus : nous assistons à un jeu géopolitique impliquant la France, l'Egypte, Israël, les Emirats. L'Italie, l'Allemagne et l'Espagne sont les abonnés absents.

Un vent de guerre souffle-t-il à l'ère du Covid ? Seul l’éventualité très plausible d’un affrontement avec la Turquie peut pousser la Grèce - en pleine crise économique à cause de la pandémie - à dépenser 5,5 milliards d'euros en armements, dont les 18 Rafale français. Cela signifie que la tension dans l'est de la Méditerranée a atteint un niveau très élevé.

Le point de non-retour avec la Turquie d'Erdogan a été franchi depuis longtemps, mais les opinions publiques font comme si de rien n'était.  En Europe, elles espèrent que sous la menace de sanctions européennes, Ankara fera marche arrière. En réalité, il est difficile d'imaginer que le sultan, membre de l'OTAN, ne l’oublions pas, renoncera à ses provocations comme il le fait périodiquement en envoyant d'autres navires dans la zone économique exclusive des Chypriotes grecs, tracée selon des conventions qu'Ankara n'a jamais signées.

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Les dirigeants de l'Union européenne réunis à Bruxelles pour le sommet des 10 et 11 décembre ont décidé de sanctionner les actions "illégales et agressives" de la Turquie en Méditerranée dans les eaux territoriales de la Grèce et de Chypre. En réalité Ankara ne semble pas du tout troublé par cette menace de sanctions. Celles-ci ne sont pour l'instant que cosmétiques et Erdogan s'en est déjà moqué, comme de celles imposées par les Américains à cause de l'achat par la Turquie de systèmes antimissiles russes S-400.

Le front des sanctions dures et pures semble en fait plutôt minoritaire si l'on considère que l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie sont favorables à une ligne plus souple, tandis que la France, la Grèce et Chypre voudraient plutôt imposer des sanctions économiques sévères et un embargo sur les ventes d'armes à la Turquie. Les divisions dépendent évidemment de la prévalence des intérêts nationaux sur les intérêts communautaires.

Le cas de l'Italie en est un exemple clair. Selon l'expert turc Michael Tanchum, analyste à l'Institut autrichien d'études européennes et de sécurité, "la priorité de l'Italie en termes de politique énergétique est la Libye. L'Eni, une société détenue en grande partie par l'État italien, contrôle 45 % de la production italienne de pétrole et de gaz. Tout le gaz de la Libye, tout son gaz naturel va en Italie". Par conséquent, l'ENI et l'Italie ont tout intérêt à s'aligner sur les positions de la Turquie en Libye puisque nos intérêts nationaux en Tripolitaine sont désormais sous protectorat turc. Quant à l'Espagne, les liens avec Ankara sont plutôt économiques. L'Espagne a acheté une grande partie de la dette turque, son engagement s'élève à 63 milliards de dollars, ce qui est plus que la France, l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni réunis.

Pour la France, le discours en Méditerranée orientale est différent. Macron a forgé une alliance anti-turque avec la Grèce, Chypre, l'Égypte, Israël et les Émirats, c'est-à-dire avec les partenaires de l'éventuel gazoduc est-méditerranéen qui devrait amener les ressources gazières offshore de l'Égypte, d'Israël et de Chypre de la côte hellénique vers l'Europe.

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Cette alliance a ensuite son prolongement idéologique et géopolitique avec le pacte signé entre la France et le général Al Sisi, récemment décoré à Paris de la Légion d'honneur. Les Français sont les plus grands fournisseurs d'armes au Caire, ont soutenu le général Haftar, allié à Al Sisi en Libye, et, tout comme le général égyptien, sont sur une trajectoire de collision avec Erdogan à propose de son soutien aux Frères musulmans et à l'Islam politique. Un jeu stratégique où Israël fait partie du pacte d'Abraham alors que les monarchies du Golfe soutiennent pleinement, c'est-à-dire avec des dollars en espèces, le régime égyptien qui s'est engagé à combattre les Frères musulmans sur tous les fronts.

C'est pourquoi ce conflit entre Grecs et Turcs est si vaste et incandescent. Avec des racines historiques qui, depuis cent ans, forment, avec les intérêts économiques, un mélange explosif. 

C'est effectivement un conflit qui dure depuis près d'un siècle, depuis la naissance de la Turquie moderne après le traité de Lausanne en 1923. Entre 1958 et 1982, la Convention de Genève sur le droit de la mer (UNCLOS), signée par Athènes, mais pas par Ankara, a donné lieu à une succession de tensions presque continue entre les deux États, qui sont aujourd'hui devenues encore plus explosives. La Grèce a ratifié le traité en 1994 et a depuis lors le droit d'augmenter la limite de ses eaux nationales de 6 à 12 milles nautiques, la Turquie allant jusqu'à menacer de déclarer la guerre si Athènes appliquait ce qui avait été décidé par la CNUDM (= Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer). En fait, la Grèce n'a jamais mis en œuvre la convention. Si la limite de ses eaux territoriales était réellement augmentée de 6 à 12 milles nautiques, 71% de la mer Égée ferait partie des eaux nationales grecques et les eaux internationales seraient réduites de 48% à moins de 20%.

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La Grèce craint un affrontement avec la Turquie et a donc affecté 5,5 milliards d'euros à son programme de réarmement militaire : cela représente une augmentation de 57 % par rapport à 2019 et reflète la nécessité pour Athènes d'assurer sa sécurité dans le contexte de plus en plus tendu de la Méditerranée orientale. C'est un chiffre énorme vu le contexte de la crise déclenchée par la pandémie du Covid-19 qui, cependant, n'a pas arrêté les plans du gouvernement de centre-droit. L'une des premières démarches concrètes sera l'achat de 18 avions Rafale, produits par la société française Dassault mais aussi de chasseurs F-16 américains et de frégates françaises et américaines. La Grèce a également renforcé ses relations militaires avec d'autres pays de la région, tels que les Émirats arabes unis, l'Égypte et Israël, toujours dans le but de consolider une alliance régionale contre la Turquie.

C'est ainsi que la mer, dans notre maison commune méditerranéenne, change de configuration géopolitique. C'est une des raisons pour lesquelles la fourniture d'armes italiennes à l'Égypte - deux frégates pour 1,2 milliard d'euros et d'autres contrats pour un total de 10 milliards - est importante et doit être évaluée avec beaucoup d’attention. Pas seulement à cause de la barbarie de l'affaire Regeni et des gifles assénées par le général contre notre État de droit.

Le nouvel ordre mondial et ses bourreaux volontaires

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Le nouvel ordre mondial et ses bourreaux volontaires

par Nicolas Bonnal

La notion « d’élites hostiles » de Kevin Macdonald s’adapte aux temps apocalyptiques que nous vivons. Elle représente quelques milliers de personnes par pays, un million tout au plus dans le monde ; et ces « élites » (fric plus convictions hérétiques, au sens de Chesterton) détraquées pour tout un tas de raisons nous veulent vraiment du mal,  fonctionnaires internationaux, experts, ONG, milliardaires…  Et rappelons-nous que les politiques d’extermination totalitaire ne se mettent jamais tout de suite en place : on attend en général quinze ans (Hitler, Mao, Staline) pour les mettre en place car on a formé les bourreaux volontaires et les victimes. Nous sommes en l’an I de coronavirus. Attendez l’an quinze pour voir ce qui restera de vous.

Du point de vue socio-économique, grâce aux progrès techniques, tout pouvait bien se passer et, comme je l’ai montré dans mon texte sur le Reset qui se termine, rien ne ressemble en 2020 aux apocalyptiques opus hollywoodiens des années 70  qui promouvaient les délires du club de Rome, de la Trilatérale, des écolos. Même la technologie pourrait être utilisée pour aider l’homme au lieu de le supprimer. Cependant, comme on ne cesse de le montrer ici et ailleurs, nos Blofeld-Schwab, nos techno-nazis ou nos oligarques humanitaires  veulent leur dystopie, ils veulent leur tyrannie numérique, leur crash mondial, ils veulent leur sabotage énergétique, ils veulent la misère des jeunes ou des nations, et ils veulent imposer une mixture de terreur et de survie dont la France « orange psychiatrique » d’Alex Macron donne un avant-goût, ou pour mieux dire un avant-dégoût, au reste de l’Europe mécréante. Cet anéantissement de la nature humaine rappelle les meilleures heures du bolchevisme et du nazisme mais elle se fait cette fois aux ordres de la démocratie-marché-TINA dont on a déjà montré avec Debord ou Zinoviev le caractère néototalitaire. C’est la chute de l’URSS toujours qui a précipité notre sort de condamnés à mort…

J’en arrive à mon titre alors : combien de bourreaux volontaires auront-ils à leurs bottes pour servir leur dessein de dépopulation et d’extermination de la santé, des libertés et des économies ? Combien ? Un million, ce qui ne serait pas assez, cinq millions ou vingt millions par pays de taille moyenne comme la France ou l’Allemagne ? On vient de voir que les soignants des EHPAD ne veulent pas du vaccin : mais accepteront-ils de voir leurs patients nonagénaires mourir sous leurs yeux des effets du vaccin Gates ou Pfizer ?  Et qui les vaccinera eux ? Faudra-t-il les menacer de mort, de faim, d’expulsion, de sanctions, pour les pousser à se vacciner ? Et combien de bourreaux volontaires (pensez aux rafles de la guerre, aux gardiens de camps) le feront ? Jusqu’où peut aller une âme qui se damne, qui s’achète, ou qui joue de paresse simplement…

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On aura donc (je laisse de côté les élites car il s’agit de compter la masse des collabos cette fois) :

  • Les enthousiastes. Ils sont plus nombreux qu’on ne le croit : les antisystèmes vivent dans le monde parallèle du clic où tout le monde s’approuve en réseau, et ils ne se rendent pas compte que beaucoup de gens sont passés du côté obscur, comme dit mon ami Olivier Demeulenaere. On a les cadres, les politiciens, les administratifs sélectionnés, les féministes, les LGBTQ, les antiracistes (qui vont se régaler avec Biden et Kamala), les antichrétiens (qui ont pris le pouvoir au Vatican, voyez leur soutien officiel à Davos ou la crèche de Noël aliénigène), les personnels politiques délirants qui ont pris le pouvoir à peu près partout en Europe, même quand le vieux nom d’un parti est préservé pour tromper le consommateur-électeur ivrogne. Le rôle des universités américaines et de l’enseignement anglo-saxon encore… Dès les années soixante-dix on pouvait se rendre compte que la menace venait d’Amérique, pas du bloc communiste.
  • Les fonctionnaires : leur pouvoir est renforcé par le virus et ils seront choyés jusqu’au bout comme dans tous les régimes staliniens et pétainistes. On a ici ou là un flic ou gendarme qui se rebelle, mais les autres ? Faut bien gagner sa vie et obéir. Faut mériter sa retraite. Mais à quel prix ? La dureté des fonctionnaires municipaux parisiens m’a été rappelée par Lucien Cerise récemment. On me confirme la tragique  médiocrité caporaliste du corps enseignant. Mais qui en doutait encore ? Parmi les fonctionnaires on a les militaires. Le pouvoir mondialiste a doublé les traitements des généraux en France depuis dix ans, et on se doute que les primes et les retraites seront à la fête. La militarisation se fera aux dépens d’une épuration qui mettra les plus vils aux commandes. Voir le sort des gilets jaunes.
  • Les forcés. Prenons plusieurs exemples.  Il y a longtemps que les journalistes ont été remplacés par les putes, comme dit Alain Soral. On est passé en mode accéléré sous les hyper-présidents Sarkozy-Hollande, première mouture du pouvoir mondialiste ultime. On voit que la même recette de bâton et carotte s’applique aux médecins ; la médecine libérale disparait au profit d’une médecine soviétisée qui a recours à l’hôpital psychiatrique maintenant pour éloigner le contrevenant. De la même manière, restauration et petits commerces (dont le sort est tragique depuis la protéiforme, incomprise, prophétique révolte poujadiste des années cinquante) sont forcés de disparaître pour être remplacés par le millier de supermarchés technétroniques décrits par Vincent Held dans le livre qu’il m’a demandé de préfacer l’an prochain, si Dieu nous prête vie.
  • Les peureux. Ils sont hypnotisés par la peur du virus, des pandémies, de tout. Un lâche peut tout faire. La télévision en a fabriqué des millions avec ses chaînes de News et ses actus en bandeaux.
  • Les passifs enfin, dont le rebelle liquide fait aisément partie. Imaginez-vous que soixante personnes seulement s’étaient rassemblées pour demander la libération du professeur Fourtillan… Le reste clique.

Terminons. J’ai beaucoup parlé dans mon livre-recueil sur la servitude volontaire (PDF gratuit, à quatre euros –  prix coûtant – sur Amazon.fr) de notre soumission et de notre acédie. Je voulais évoquer un problème finalement plus brûlant. Combien de bourreaux volontaires seront prêts à se damner pour tourmenter leurs frères et obéir à Klaus Schwab et à sa clique ?

Bibliographie :

Bonnal – Si quelques résistants… ; Littérature et conspiration (Amazon.fr, Dualpha)

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Léon Bloy l'Intempestif 

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Luc-Olivier d’Algange:

Léon Bloy l'Intempestif 

« Il est indispensable que la Vérité soit dans la Gloire. »

Léon Bloy

A mesure que les années passent, avec une feinte ressemblance dans leur cours de plus en plus désastreux depuis la première parution du Journal de Léon Bloy, l'écart n'a cessé de se creuser entre ceux qui entendent cette parole furibonde et ceux qui n'y entendent rien. Certes, on ne saurait s'attendre à ce que les rééditions des œuvres de Léon Bloy fussent accueillies comme des événements ou des révélations par un milieu « culturel » qui ne cesse de donner les preuves de sa soumission à l'Opinion majoritaire, de son aveuglement et de son mépris pour toute forme de pensée originale. Une sourde hostilité est la règle et je lisais encore des jours-ci un folliculaire récriminant contre « le douloureux labyrinthe narcissique » que serait à ses yeux le Journal de Léon Bloy. Certes, labyrinthiques et préoccupés de l'Auteur, tous les journaux le sont par définition, mais au contraire du fastidieux et potinier Journal de Léautaud, devant lequel maints critiques modernes pratiquèrent une ostensible génuflexion, le Journal de Bloy est d'une vivacité électrique. L'humour ravageur, les flambées de colère, les fulgurantes intuitions mystiques, un style d'une densité et d'une musicalité prodigieuse font de ce Journal un chef d'œuvre de la forme brève, aphoristique ou illuminative. Que lui vaut donc cette disgrâce où nous le voyons ? Sans doute la pensée qui s'y affirme et s'y précise sous la forme d'une critique radicale du monde moderne, dans la lignée de Barbey d'Aurevilly et de Villiers de L'Isle-Adam.

516ZkvOCboL._SX333_BO1,204,203,200_.jpg« Tout ce qui est moderne est du démon », écrit Léon Bloy, le 7 Août 1910. C'était, il nous semble, bien avant les guerres mondiales, les bombes atomiques et les catastrophes nucléaires, les camps de concentration, les manipulations génétiques et le totalitarisme cybernétique. En 1910, Léon Bloy pouvait passer pour un extravagant; désormais ses aperçus, comme ceux du génial Villiers de L’Isle-Adam des Contes Cruels, sont d'une pertinence troublante. L'écart se creuse, et il se creuse bien, entre ceux qui somnolent à côté de leur temps et ne comprennent rien à ses épreuves et à ses horreurs, et ceux-là qui, à l'exemple de Léon Bloy vivent au cœur de leur temps si exactement qu'ils touchent ce point de non-retour où le temps est compris, jugé et dépassé. Léon Bloy écrit dans l'attente de l'Apocalypse. Tous ces événements, singuliers ou caractéristiques qui adviennent dans une temporalité en apparence profane, Léon Bloy les analyse dans une perspective sacrée. L'histoire visible, que Léon Bloy est loin de méconnaître, n'est pour lui que l'écho d'une histoire invisible.  « Tout n'est qu'apparence, tout n'est que symbole, écrit Léon Bloy. Nous sommes des dormants qui crient dans leur sommeil. Nous ne pouvons jamais savoir si telle chose qui nous afflige n'est pas le principe de notre joie ultérieure. »

Cette perspective symbolique est la plus étrangère qui soit à la mentalité moderne. Pour le Moderne, le temps et l'histoire se réduisent à ce qu'ils paraissent être. Pour Bloy, le temps n'est, comme pour Platon et la Théologie médiévale, que « l'image mobile de l'éternité » et l'histoire délivre un message qu'il appartient à l'écrivain-prophète de déchiffrer et de divulguer à ses semblables. Pour Léon Bloy, le Journal, loin de se borner à la description psychologique de son auteur a pour dessein de consigner les « signes » et les  « intersignes » de l'histoire visible et invisible afin de favoriser le retour du temps dans la structure souveraine de l'éternité.

005788180.jpgPour Léon Bloy, qui se définit lui-même comme « un esprit intuitif et d'aperception lointaine, par conséquent toujours aspiré en deçà ou au-delà du temps », la fonction de l'auteur écrivant son journal n'est pas de se soumettre à l'aléa de la temporalité, du passager ou du fugitif, mais tout au contraire « d'envelopper d'un regard unique la multitude infinie des gestes concomitants de la Providence ». Le Journal, - tout en marquant le pas, en laissant retentir en soi, et dans l'âme du lecteur ami, la souffrance ou la joie, plus rare, de chaque jour, les « nouveautés » menues ou grandioses du monde, ne s'inscrit pas moins dans une rébellion contre le fragmentaire, le relatif ou l'éphémère. Ce Journal, et c'est en quoi il décontenance un lecteur moderne, n'a d'autre dessein que de déchiffrer la grammaire de Dieu.

Là où le Moderne ne distingue que des vocables sans suite, de purs signes arbitraires, Léon Bloy devine une cohérence éblouissante, et, par certains égards, vertigineuse et terrifiante. Léon Bloy n'est pas de ces dévots qui trouvent dans la foi et dans l'Eglise de quoi se rassurer. Ces dévots modernes, bourgeois au sens flaubertien, Léon Bloy les fustige ainsi que la « société sans grandeur ni force » dont ils sont les défenseurs. Il est fort improbable, quoiqu'en disent les journaleux peu informés qui voient en Bloy un « intégriste », que l'auteur du Désespéré et de La Femme Pauvre se fût retrouvé du côté de nos actuels, trop actuels « défenseurs des valeurs », moralisateurs sans envergure ni générosité,- et par voie de conséquence, sans le moindre sens de la rébellion. Or s'il est un mot qui qualifie avec précision la tournure d'esprit de cet homme de Tradition, c'est rebelle !

Pour Léon Bloy, quel que soit par moment son harassement, le combat n'est pas fini, il y retourne, chaque jour est le moment décisif d'une guerre sainte. Léon Bloy est un moine-soldat qui va son chemin d'écrivain, non sans donner ici et là quelques coups de massue, pour reprendre la formule évolienne. Ainsi le sport, objet, depuis peu, d'un nouveau culte national est-il, pour Léon Bloy « le moyen le plus sûr de produire une génération d'infirmes et de crétins malfaisants ». Quant à la Démocratie, bien vantée, elle lui suggère cette réflexion : « Un des inconvénients les moins observés du suffrage universel, c'est de contraindre des citoyens en putréfaction à sortir de leurs sépulcres pour élire ou pour être élus. » Cette outrance verbale dissimule souvent une intuition. Tout, dans ce monde planifié, ne conjure-t-il pas à faire de nous une race de morts-vivants, réduits à la survie, dans une radicale dépossession spirituelle. Que sont les Modernes devant leurs écrans ? Quel songe de mort les hante ? Les rêveries du Moderne ne sont-elles pas avant tout macabres ? Non, la religion de Léon Bloy n'est pas faite pour les « tièdes ». C'est une religion pour ceux qui ressentent les grandes froidures et qui attendent l'embrasement des âmes et des esprits. Le modèle littéraire de Léon Bloy ce sont les langues de feu de la Pentecôte.

bc05f72b52822ad0e244d1b50009eee2.jpgLéon Bloy s'est nommé lui-même « Le Pèlerin de l'Absolu ». Chaque jour qui advient, et que l'auteur traverse comme une nouvelle épreuve où se forge son courage et son style, le rapproche du moment crucial où apparaîtront dans une lumière parfaite la concordance de l'histoire visible et de l'histoire invisible. Cette quête que Léon Bloy partage avec Joseph de Maistre et Balzac le conduit à une vision du monde littéralement liturgique. L'histoire de l'univers, comme celle de l'auteur esseulé dans son malheur et dans son combat, est « un immense  Texte liturgique. » Les Symboles, ces « hiéroglyphes divins », corroborent la réalité où ils s'inscrivent, de même que les actes humains sont « la syntaxe infinie d'un livre insoupçonné et plein de mystères. »

Cette vision symbolique et théologique du monde en tant que Mystère limpide, c'est à dire offert à l'illumination (« l'illumination, lieu d'embarquement de tout enseignement théologique et mystique ») est à la fois la cause majeure de l'éloignement de l'œuvre de Léon Bloy et le principe de sa proximité extrême. Pour le moderne, la « folie » de Léon Bloy n'est pas dans sa véhémence, ni dans son lyrisme polémique, mais bien dans cette vision métaphysique et surnaturelle des destinées humaines et universelles. Pour Léon Bloy, qui n'est point hégélien, et qui va jusqu'à taquiner Villiers pour son hégélianisme « magique », les contraires s'embrassent et s'étreignent avec fougue. La nature porte la marque de la Surnature, mais par un vide qui serait l'empreinte du Sceau. De même, l'extrême pauvreté engendre le style le plus fastueux. C'est précisément car l'écrivain est pauvre que son style doit témoigner de la plus exubérante richesse. La pauvreté matérielle est ce vide qui laisse sa place à la dispendieuse nature poétique. Car la pauvreté, pour Bloy, n'est pas le fait du hasard, elle est la preuve d'une élection, elle est le signe visible d'un privilège invisible qu'il appartient à l'Auteur de célébrer somptueusement. La richesse verbale de Léon Bloy est toute entière un hommage à la pauvreté, à sa profondeur lumineuse, à la grâce qu'elle fait à la générosité de se manifester. Celui qui donne se sauve. Le mendiant peut donc, à bon droit être « ingrat ». Son ingratitude rédime celui qui pourrait s'en offenser. Mais qu'est-ce qu'un pauvre, dans la perspective métaphysique ? C'est avant tout celui qui récuse par avance toute vénalité. Or qu'est-ce que le monde moderne si ce n'est un monde qui fait de la vénalité même un principe moral, une cause efficiente du Bien et « des biens » ? Pour le Moderne, celui qui parvient à se vendre prouve son utilité dans la société et donc sa valeur morale. Celui qui ne parvient pas, ou, pire, qui ne veut pas se vendre est immoral.

9782081330221.jpgContre ce sinistre état de fait, qui pervertit l'esprit humain, l'œuvre de Léon Bloy dresse un grandiose et intarissable réquisitoire. Or, c'est bien ce réquisitoire que les Modernes ne veulent pas entendre et qu'ils cherchent à minimiser en le réduisant à la « singularité » de l'auteur. Certes Léon Bloy est singulier, mais c'est d'abord parce qu'il se veut religieusement « un Unique pour un Unique ». La situation dans laquelle il se trouve enchaîné n'en est pas moins réelle et la description qu'il en donne particulièrement pertinente en ces temps où face à la marchandise mondiale le Pauvre est devenu encore beaucoup plus radicalement pauvre qu'il ne l'était au dix-neuvième siècle. La morale désormais se confond avec le Marché, et l'on pourrait presque dire que, pour le Moderne libéral, la notion d'immoralité et celle de non-rentabilité ne font plus qu'une. Refuser ce règne de l'économie, c'est à coup sûr être ou devenir pauvre et accueillir en soi les gloires du Saint-Esprit, dont la nature dispensatrice, effusive et lumineuse ne connaît point de limite.

Contre le monde moderne, Léon Bloy ne convoque point des utopies sociales, ni même un retour au « religieux » ou à quelque manifestation « révolutionnaire » ou « contre-révolutionnaire » de la puissance temporelle. Contre ce monde, « qui est du démon », Léon Bloy évoque le Saint-Esprit, au point que certains critiques ont cru voir en lui un de ces mystiques du « troisième Règne », qui prophétisent après le règne du Père, et le règne du Fils, la venue d'un règne du Saint-Esprit coïncidant avec un retour de l'Age d'Or. Lorsqu'un véritable écrivain s'empare d'une vision dont la justesse foudroie, peu importent les terminologies. Sa vision le précède, elle n'en précède que mieux les interprétations historiographiques. « Aussi longtemps que le Surnaturel n'apparaîtra pas manifestement, incontestablement, délicieusement, il n'y aura rien de fait. »

Luc-Olivier d’Algange

samedi, 19 décembre 2020

"Droite / gauche, histoire d'une dichotomie" de Marcel Gauchet ou l’histoire de l'éternelle dispute sur les étiquettes politiques

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"Droite / gauche, histoire d'une dichotomie" de Marcel Gauchet ou l’histoire de l'éternelle dispute sur les étiquettes politiques

L'intéressant essai du penseur français a été publié en Italie par Diana edizioni, avec une introduction du professeur Marco Tarchi

par Andrea Scarano

Ex: https://www.barbadillo.it

Les dynamiques des sociétés contemporaines ont longtemps buté sur les difficultés qu’entraînait l’usage généralisé de la dyade droite/gauche tant dans l’orbite de la représentation parlementaire que dans l'explication des phénomènes politiques, économiques et sociaux. Existe-t-il une définition appropriée et non ambiguë de ces deux catégories ? Quelles sont les caractéristiques qui ont favorisé leur succès, malgré leur taux élevé de généralité et d'abstraction ? Faut-il encore faire usage de ces concepts établis il y a plus de deux siècles en France, mais qui se sont répandus et enracinés partout en assumant les chrismes de l'universalité ?

41B2wGt7wML._SX318_BO1204203200_.jpgLa maison d'édition Diana propose la réimpression d'un essai de Marcel Gauchet "Droite/Gauche - histoire d'une dichotomie", enrichi d'une introduction de Marco Tarchi et d'une postface de l'auteur, annexe nécessaire à une publication datant déjà de 1992.

D'une part, le Dr. Tarchi, politologue toscan, fait remarquer que le débat sans fin sur le sujet, qui, toujours, annonce d’inévitables discussions et des polémiques assurées, ne conduit pas à un accord unanime dans la communauté scientifique, à la fois parce que les catégories examinées n'existent pas dans la réalité et parce que nommer signifie juger et comparer, en s'éloignant de la sphère de « neutralité axiologique » ; d'autre part, pour soutenir que la droite et la gauche sont "deux concepts suspendus entre des essences, des types idéaux et des conventions relatives" capables d'identifier une relation de continuité entre les croyances et les attitudes politiques, mais qui ne trouvent pas d'applications automatiques dans le monde de l'expérience concrète et sont forcés, par la force des choses, de mélanger des composantes distinctes, car ils ne présentent pas de caractères définitifs d’exclusion réciproque..

L'auteur retrace les étapes d'un processus - qui a débuté au moment de la Restauration en France - qui se caractérise par l'utilisation croissante de la dyade dans la pratique parlementaire ; il y a eu toutefois émergence de différences importantes, dues à l'apparition d’extrêmes et de "nuances" de centre-droit et de centre-gauche, ont immédiatement obligé les acteurs à choisir des alliances gravitant vers le centre pour permettre au système de s'auto-perpétuer.

Non utilisée par Marx, Engels ou le premier Lénine, l'opposition droite/gauche s'est consolidée grâce à quelques facteurs déterminants : l'élargissement du suffrage et la progression vers une démocratie représentative au sens contemporain du terme amis en exergue le besoin croissant d'identification des électeurs, jusqu'alors habitués à d'autres "fractures" (blanc/rouge, conservateur/républicain) dans un contexte qui a enregistré progressivement, surtout dans les années autour de l'affaire Dreyfus, l'apparition de partis socialistes et l'accentuation de la discorde sociale et civile.

L'appropriation par le public des nouveaux labels gauche/droite s’est fait parallèlement à la diffusion d'une ample désaffection de ce même public pour l'utilisation en bloc des deux termes, désaffection qui s’opérait entre ajustements et "réinventions" plutôt que par simples transferts ou passages d'un registre à l'autre. Ils sont désormais configurés comme des notions indéfiniment ouvertes, susceptibles d'enrichissement ou de renouvellement sémantique, instruments d'unification symbolique de différentes familles politiques, capables de véhiculer dans le camp qui les a créés (la gauche) des espoirs en un avenir d'harmonie et de nourrir dans le camp qui les a subis (la droite) des négations, des réserves et des soupçons, comme éléments nuisibles à la cohésion et à l'harmonie collective.

capture_decran_2016-07-07_a_11.20.09.pngLes finalités, les contenus et les programmes changent mais l'"ordre de bataille" de la politique française reste formellement inchangé : dans un mélange de conflit et de fragmentation, les modérés et les alternances du centre continuent à gouverner, laissant "libre cours" aux doctrinaires des extrêmes et à un dualisme aussi élémentaire que manichéen, virulent et implacable.

À l'époque de l'idéologisation de la lutte des classes et du choc entre fascisme et communisme, l'attraction militante est devenue encore plus virulente : si les desseins totalitaires aspirent à restaurer l'unité sociale en tant que corps - comme l'a observé Claude Lefort - l'entrée dans la modernité individualiste, historique et démocratique va dans une direction diamétralement opposée, brisant l'ordre symbolique, l'attachement au sacré et la dépendance à une source divine.

Gauchet identifie un problème structurel - essentiellement le même dans ses principales caractéristiques même après l'avènement du gaullisme et la réforme institutionnelle constitutive de la Vème République semi-présidentielle - dans la combinaison d'une division exaspérée de l'opinion publique et d'un jeu bipolaire qui multiplie les partis plutôt que de les réduire, perpétuant la pratique des accommodements de la politique efficace. La droite et la gauche prennent le parti du gouvernement ou de l'opposition en vertu du mécanisme induit par le principe de la majorité ; en même temps, le champ idéologique des "grandes familles" se divise en trois parties : le conservatisme, le libéralisme et le socialisme.

Le processus d'universalisation de la dyade, facilité par des besoins cognitifs de simplification des choix et par une adhésion effective à la compétition politique, s'inscrit dans le processus plus large de création d'un système de références qui a rendu plus clair l'ordre profond de la société et a identifié dans le principe du conflit une de ses caractéristiques constitutives fondamentales, renfermant - note Gauchet - "l'âme et la mémoire d'une manière d'être en politique". Au moment où la droite et la gauche commencent à représenter l'intégration organique d'une dualité, leur contenu original est partiellement transformé à nouveau car il ne comprend plus seulement un antagonisme impitoyable, mais est chargé d'expliquer "la coexistence ordinaire et inévitable des opposés".

Gauchet appartient pleinement à un courant interprétatif "fonctionnaliste" qui met en évidence l'importance des archétypes mentaux dans la capacité d'orientation des individus, dans l'organisation des pensées et dans la génération des idées, ainsi que les caractéristiques d'un concept défini dans l'espace et capable de stabiliser les conflits, immédiatement compréhensible et transférable d'une culture à l'autre.

MGcondpol.jpgCette approche contraste avec celle "essentialiste" (identifiable, en grande partie, dans les écrits de Norberto Bobbio), qui échappe au test empirique d'une discrimination claire entre les deux catégories et n'explique pas les transformations que le passage du temps et l'évolution des circonstances ont imposées aux pratiques des partis et mouvements politiques traditionnellement placés dans l'un ou l'autre domaine.

La succession des événements historiques contraint, en effet, les forces politiques à un mouvement continu de croisement réciproque qui justifie la perplexité de ceux qui - comme Alain De Benoist - ont récemment réfuté la validité de certaines oppositions binaires, parmi lesquelles : liberté/égalité, ordre/justice, conservatisme/progressivisme. Ces mêmes identités sociales sont d'ailleurs le fruit d'une sédimentation culturelle en constante transformation et, tout en restant au centre des objectifs de l'intégration politique, ne coïncident plus avec des blocs de valeurs monolithiques.

Gauchet souligne comment trois phénomènes principaux ont déstabilisé les repères dominants dans l'espace européen après 1945 : la pénétration de l'esprit démocratique et l'acceptation du pluralisme, avec l'évaporation consécutive du couple antifascisme/anticommunisme et le relâchement pour de nombreux citoyens d'une affiliation politique inconditionnelle ; la dissociation des blocs et le retour en vogue de l'idée libérale, associée à la mondialisation économico-financière et au processus d'individualisation de la société ; la délégitimation du projet de contrôle public de l'économie.

Bien que la fracture droite/gauche soit tombée en discrédit, la position de ceux qui pensent qu'il n'est pas possible d'émettre une hypothèse sur sa désintégration ou sa recomposition, du moins à court terme, semble être partageable - de l'humble avis de l'auteur. La redistribution des anciennes identités que l'on retrouve dans les nouvelles polarisations - l'auteur consacre un espace au populisme et à l'écologisme des deux camps - indique qu'elle conserve un rôle organisateur, bien que nettement réduit par rapport au passé.

Favorisée par la volonté des politiciens professionnels de réduire la multiplicité des conflits à deux camps et deux visions du monde schématiques, sa persistance résiduelle trouve un soutien non seulement dans les classes supérieures mais aussi dans les classes subordonnées, de plus en plus "mobiles" d'un point de vue électoral ; débarrassé de significations métaphysiques improbables, il continue en partie à fonctionner comme un intermédiaire entre l'individu et la communauté politique, en maintenant le pouvoir évocateur d'un "totem extrêmement expressif d'une société dans laquelle le fait d'avoir combiné une politisation traditionnellement forte avec des organisations politiques chroniquement faibles n'est pas la moindre des bizarreries".

Jean-Pierre Melville dans le Cercle Rouge

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Jean-Pierre Melville dans le Cercle Rouge

Un témoignage de Jean Parvulesco sur Jean-Pierre Melville

Alors que pour n’importe quel avortement mondain la grande presse prend feu et flambe comme de la paille sèche, les meneurs cachés de la désinformation générale ont décidé que la mort de Jean-Pierre Melville devait être passée sous un éclairage ultra-diminué : à quelques rares, trop rares exceptions près, cette consigne, il faut le reconnaître a été plutôt bien suivie. La tristesse glaciale et ambiguë, par ailleurs si parfaitement urbaine, prévue, ainsi, pour signaler la disparition de Jean-Pierre Melville n’a donc pas manqué de sombrer, sur commande, dans une rhétorique de circonstance, factice, conventionnelle et vide, dont l’inauthenticité patente frisait l’obscénité  peut-être plus encore que la provocation. Tout cela s’est vu, épargnons-nous, par décence envers nous-mêmes, les citations appropriées.

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L’homme seul, et si serein dans son désespoir absolu, qui, en moins de cinq ans, a su donner au cinéma français, Le Samouraï, L’Armée des Ombres, Le Cercle Rouge, c’est-à-dire ses seules armes actuelles de violence et d’action totale, l’homme qui avait su comprendre, et avec quelle discrétion hautaine, que la dernière chance d’un cinéma allant contre la mise en abjection générale était la tragédie et que la tragédie, aujourd’hui, au-delà de la politique, ne saurait plus être que morale, l’homme du dernier et suprême combat de la fatalité héroïque, qui est combat contre soi-même, ne méritait-il pas qu’on lui laissât l’honneur de s’en aller sans que l’on fasse donner, pour lui, la faquinade parisienne et ses minables chacaleries du prêt à porter sentimental, lui infligeant ainsi, sournoisement, et comme pour une dernière fois, ce qu’il avait le plus exécré, le plus haï dans sa vie ?

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Jean-Pierre Melville n’était pas, Jean-Pierre Melville n’a jamais été des leurs. Ces jeunes larves fatiguées de ne pas être qui dictent, aujourd’hui, dans le cinéma français, leur loi de subversion et de déchéance avantageuse, Jean-Pierre Melville les vomissait de tout son être, et jusqu’au vomito nero, spécialité comme on le sait, des Papes qui s’en vont en état de désespoir, et marquent leur agonie d’un signe d’épouvante et de malédiction. Il faut dire, aussi, que les autres le lui rendaient bien. Ce n’est peut-être pas qu’ils avaient déjà tellement envie qu’il s’en aille tout de suite, mais ils n’avaient pas non plus tellement l’envie qu’il s’attardât encore. Depuis quelque temps Jean-Pierre Melville commençait vraiment à être de trop.

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Mais d’où leur vint-elle donc cette haine inavouable autant qu’inextinguible, la méfiance active qu’ils n’ont pas fini d’entretenir à l’égard de l’auteur de L’Armée des Ombres, cette ségrégation à plaie ouverte qui lui a été si efficacement prodiguée le long de ces dernières années ? C’est que Jean-Pierre Melville était lucidement, et comme fatalement, un homme de droite, ainsi que le soulignait Jean Curtelin, - et si tant est que cette séparation douteuse entre la gauche et la droite puisse encore avoir, aujourd’hui, un sens autre que celui que s’acharnent à lui imposer le fanatisme halluciné, l’obscurantisme retardataire de ceux pour qui la gauche reste l’alibi d’une irrémédiable impuissance d’être en termes de destin.

D’autre part, plus qu’un homme seul, Jean-Pierre Melville était un homme séparé, un activiste forcené du vide qui sépare du monde et des autres, un fanatique glacé et serein du vide qui traduit tout en terme d’infranchissable. Le secret de sa vie tenait, tout entier, dans ce que Nietzsche appelait le pathos de la distance.

La séparation, pourtant, ni l’éloignement du monde, n’étaient, chez Jean-Pierre Melville, une forme de désertion, bien au contraire. Le monde, pour lui, il ne s’agissait pas de le fuir, mais de le changer. Car tel est l’enseignement intérieur de l’engagement pris par Jean-Pierre Melville envers sa propre vie, sa relation souterraine avec ce que Rimbaud avait appelé « la vraie vie » : ne pas changer soi-même devant le monde, mais changer le monde afin qu’il se rende conforme et s’identifie au rêve occulte, à l’image lumineuse et héroïque que l’on porte au fond de soi. Comment transfigurer, comment changer le monde si, comme le dit, toujours, Rimbaud «  le vrai monde es ailleurs ». Aux voies dites traditionnelles, Jean-Pierre Melville avait su préférer l’action directe, la vie de l’action directe, l’action occulte d’un petit nombre de prédestinés à l’accomplissement des grandes entreprises subversives du siècle, et qui, piégés à l’intérieur du Cercle Rouge, changent, pour s’en sortir, les états du monde, le cours de l’histoire et de la vie. Et c’est ainsi que Jean-Pierre Melville avait trouvé dans l’action politique, dans ses options subversives d’extrême-droite : une confrérie, une caste de combattants de l’ombre qui s’imposent à eux-mêmes une rigueur, un dépouillement terrible, indifférents aux résultats immédiatement visibles de leur action, attentifs seulement aux exigences de leur sacrifice et à la gloire cachée de leur longue rêverie activiste sur le mystère du pouvoir absolu.

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En ce qui me concerne, c’est en termes de caste spirituelle, ainsi que l’eussent fait, à coup sûr, les Treize de Balzac constitués en société secrète de puissance, que je me risque à parler de Jean-Pierre Melville comme d’autres n’ont pas su, n’ont pas voulu ou, tout simplement, n’ont pas eu le courage de le faire, la terreur conjuguée du gauchisme qui se montre trop et du grand argent qui ne se cache plus assez les tenant tous à la gorge impitoyablement. Mais moi je n’ai plus rien à perdre. Alors, pourquoi ne parlerais-je.

Un cinéma chiffré en profondeur

Ce même combat de l’ombre, Jean-Pierre Melville le retrouve, avec son cinéma le plus grand, dans l’exploration des réprouvés suicidaires de la société et de leur milieu secret, exploration qu’il poursuit, lui-même à la fois lucide et fasciné, jusque dans les derniers retranchements, de leur décision de rupture, de leur séparation originaire.

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Seulement il se fait que du Deuxième Souffle jusqu’au Cercle Rouge, ces réprouvés de la société ne sont qu’autant de projections chiffrées de ses propres phantasmes intérieurs, phantasmes qui n’ont rien à voir, en réalité, avec le monde irrespirable, intenablement atroce et vide, où évoluent les vrais truands. Bien mieux sans doute que certains autres, réputés, pourtant, et cultivés avec soin pour leurs relations supposées dans le grand mitan, le mitan dans le vent, Jean-Pierre Melville savait parfaitement à quoi il lui fallait d’en tenir quant à la soi-disant morale du milieu, qui n’en a rigoureusement aucune, et dont les seules vertus actives sont celles d’une immonde inclination aux boucheries inutiles et lâches, marque d’infamie des tarés qui en veulent congénitalement à l’ordre établi et qui se défoncent, chaque fois qu’ils peuvent se le permettre sans trop de risques, par l’étalage d’une violence que d’aucuns s’obstinent à vouloir à la noirceur exaltante, héroïque, alors qu’en réalité celle-ci n’a aucune signification autre que celle de sa bestialité intime, aucun souffle de désespoir profond ni de grandeur, fût-elle négative. Au bout du compte, et au-delà de tout romantisme imbécile, de toute fascination équivoque envers les bas-fonds, la seule attitude majeure envers le milieu reste celle d’une Roger Degueldre, qui, sous prétexte de je ne sais plus quelle « conférence au sommet » entre le grand milieu d’Afrique du Nord et l’OAS, avait réussi à rassembler les caïds de la pègre dans une ferme isolée des environs d’Alger pour un nettoyage par le vide dont on ressent encore les conséquences : trois générations de malfrats passés au fusil-mitrailleur, cela laisse quand même un trou.

Quelle est alors l’impulsion occulte, quelle est la déchirure fondamentale du cinéma de Jean-Pierre Melville, si admirablement cachés, au demeurant, l’une et l’autre, derrière les mythologies de dissimulation qui lui auront permis de dresser dialectiquement face au monde transparent et creux de la réalité extérieure, la réalité à la fois fulgurante et interdite de son propre monde intérieur ?

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Comme Joseph Buchan, comme Fritz Lang, Jean-Pierre Melville appartient à la grande race des obsédés du pouvoir absolu. Le secret de sa vie, qui est aussi le secret de son cinéma, concerne une longue et déchirante rêverie sur le mystère en soi et sur l’appropriation subversive du pouvoir total, pouvoir  total conçu à la fois comme un vertige, comme une super-centrale activiste et comme un concept absolu. Appropriation subversive d’un pouvoir politique total dont les chemins passent par l’expérience ultime de l’empire de soi-même, auquel, pour y parvenir, il faut franchir, comme dans Le Samouraï, les épreuves terribles d’une action de plus en plus voisine de l’impossible, de plus en plus ouverte sur le vide de soi-même et, finalement, sur la mort.

Mais le pouvoir total ne saurait être qu’un pouvoir caché, et, de par cela même, un pouvoir essentiellement symbolique : le cinéma de Jean-Pierre Melville est un cinéma chiffré en profondeur, tout comme l’aura été sa propre vie. Car chose certaine et claire, l’expérience des confrontations permanentes, de la permanente remise en question, - remise en question des pouvoirs de la liberté cachée et de la liberté ultime de tout pouvoir secret, expérience dans laquelle on reconnaît le problème des rapports de force auxquels se résument tous les films noirs de Jean-Pierre Melville, est aussi, de l’expérience intérieure de tout pouvoir politique en prise directe sur la marche de l’histoire. Derrière le cinéma exaltant le mystère de solitude et de vide ardent du crime, Jean-Pierre Melville s’est employé à cacher en semi-transparence le véritable discours, l’unique tourment profond de sa vie. Discours et tourment qui n’ont jamais été que d’ordre politique : dans cette perspective de clair-obscur et de vertige au ralenti, le Samouraï devient soudain autre chose, Le Cercle Rouge aussi. Tout change, tout se laisse et se donne à comprendre autrement. Mais surtout, pas par n’importe qui. Il faut y avoir accès, il faut en être, il faut en avoir été. Ce qu’il n’avait pas pu mener à bien ouvertement jusqu’au bout, Jean-Pierre Melville l’a fait, occultement, dans son cinéma. Il en va, ainsi, de toute poursuite de la grandeur tragique en France, où le terrain est depuis longtemps pourri. Si quelque chose doit se faire jusqu’au bout, il faut d’avance se résigner à passer toujours par l’épreuve de l’acceptation des ténèbres et de la dissimulation.

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Quoi de plus français, en ce sens, qu’une figure apparemment logique et très claire, où le soleil limpide de la raison luit en liberté et s’exalte de tous ses feux, mais dont l’éblouissement même en double la clarté par une nuit impitoyable et profonde comme la mort ? Dans l’œuvre de Jean-Pierre Melville, la raison apparaît et semble s’imposer avec les mécanismes intérieurs du pouvoir de la pègre, où tout est logé dans les rapports objectifs des forces en présence, alors que la nuit et ses abîmes agissent, par en-dessous, à travers la confrontation nocturne des organisations secrètes de puissance et du pouvoir absolu qui se les approprie et les détruit, l’une après l’autre, en les assumant.

Ce que des témoins non prévenus se trouveront forcés de prendre pour des règlements de compte entre truands de haut vol, représenteraient ainsi, dans le cinéma de Jean-Pierre Melville, la tragédie intérieure du pouvoir politique total, le tourbillon qui porte, toujours plus avant vers son propre centre, vers le lieu de résolution finale de leurs destinées communes, les divers secrets d’action révolutionnaire que l’on sait et que l’on ne sait pas.

Dans cette perspective, et en forçant quelque peu la note, disons que le cinéma d’action de Jean-Pierre Melville pourrait fort bien n’être, après tout, et comme au bout du compte, qu’une longue réflexion sur le CSAR, sur le « Comité Secret d’Action Révolutionnaire » d’Eugène Deloncle, ou sur toute entreprise de grande subversion du même genre. Et cette supposition, on l’aura déjà compris, n’est pas tellement gratuite. Au contraire même, peut-être.

Enfin, toutes ces choses dites, il ne reste plus que le problème de la solitude irrémédiable du héros tragique, ce que Jean-Pierre Melville appelait « la solitude du tigre ».

La solitude du Tigre

Plus que jamais, devant le monde des autres, reconnu intolérable, l’unique recours est celui de faire face, de se refuser violemment à toute forme de démission, à tout compromis et à tout oubli. La morale intime de Jean-Pierre Melville est la morale secrète du samouraï, du guerrier mystique pour qui, indifférent quant à l’issue finale de son épreuve, seul compte le combat de la  lumière invisible de ses armes. Cette morale ne s’enseigne pas, son secret ni son souffle de vie ne sont transmissibles : on n’y accède que par la prédestination, ou par l’œuvre intime, en soi, du « seigneur inconnu du sceptre et de l’épée ».

Cette morale c’est déjà le Bushîdo  de la grande solitude occidentale de la fin, la solitude du tigre lâché dans la jungle de béton, dans le monde trois fois maudit du renversement final de toutes les valeurs.

Que l’on aille donc revoir les films de Jean-Pierre Melville, et l’on comprendra peut-être quelle espérance il nous reste de retrouver, en nous, un jour.

Jean Parvulesco.                        

Ce texte a été publié précédemment dans le  Cahier Jean Parvulesco  publié aux Nouvelles Littératures Européennes, sous la direction d’André Murcie et Luc-Olivier d’Algange.

Les États-Unis veulent dominer l'espace

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Les États-Unis veulent dominer l'espace

par Manlio Dinucci

Source : Il Manifesto & https://www.ariannaeditrice.it

Le cap Canaveral en Floride, où la NASA a lancé la fusée de la mission Apollo en 1969, est devenu le siège de la force spatiale américaine, en même temps que la base Patrick, également située en Floride.

Lors de la cérémonie inaugurale du 9 décembre, le vice-président Mike Pence a annoncé : « notre force spatiale se renforce chaque jour davantage ».

L'U.S. Space Force est une nouvelle branche des forces armées américaines, créée en décembre 2019. Sa mission est de "protéger les intérêts américains et alliés dans l'espace, acquérir des systèmes spatiaux militaires, former des militaires professionnels de l'espace, développer une doctrine militaire pour la puissance spatiale, et organiser des forces spatiales à la disposition de nos commandants combattants".

La tâche centrale de la nouvelle Force, le président Trump l'a dit explicitement, en annonçant en août 2019 sa création imminente : "Assurer la domination américaine dans l'espace, prochain champ de bataille".

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Dans le sillage de la nouvelle force spatiale américaine, l'OTAN a également lancé un programme spatial militaire, préparé par le Pentagone et le leadership militaire européen étroitement lié aux principales industries aérospatiales.

L'importance de l'espace est démontrée par le fait qu'il y a aujourd’hui environ 2.800 satellites artificiels opérationnels en orbite autour de la Terre. Parmi eux, plus de 1.400 sont américains. En deuxième position vient la Chine avec plus de 380 satellites, et en troisième position, la Russie avec un peu plus de 170. La plupart des satellites, plus de 1.000, sont commerciaux. Viennent ensuite ceux destinés à un usage militaire, gouvernemental et civil (ces deux derniers types étant souvent utilisés pour des activités militaires également). En plus de ceux-ci, il y a environ 6.000 satellites qui ne fonctionnent plus et qui continuent à tourner autour de la Terre, ainsi que des millions d'objets et de fragments de différentes tailles.

L'espace est de plus en plus encombré et de plus en plus sujet à contestations. Les géants des télécommunications, les bourses, les grands groupes financiers et commerciaux y exploitent leurs satellites. Le nombre de satellites devrait être multiplié par cinq au cours de cette décennie, principalement grâce à la technologie 5G. Le réseau commercial de la 5G, construit par des sociétés privées, pourra être utilisé à des fins militaires, notamment pour des armes hypersoniques, à un coût bien moindre.

Dans ce contexte, on peut comprendre pourquoi les États-Unis ont formé cette Force spatiale. Voyant leur marge d'avantages économiques et technologiques diminuer, notamment par rapport à la Chine, la puissance américaine joue la carte de la force militaire déployée dans l'espace. L'objectif est clair : dominer l'espace afin de maintenir une supériorité non seulement militaire, mais aussi économique et technologique.

Le résultat de cette stratégie est tout aussi clair. La Russie et la Chine ont proposé à plusieurs reprises aux Nations unies, depuis 2008, un nouveau traité (après celui de 1967) qui interdit le déploiement d'armes dans l'espace, mais les États-Unis ont toujours refusé. La Russie et la Chine se préparent donc à une confrontation militaire dans l'espace, en ayant la capacité de le faire.

La création de la force spatiale américaine déclenche donc une nouvelle phase encore plus dangereuse dans la course aux armements, y compris les armes nucléaires. De l'utilisation des systèmes spatiaux pour l'espionnage, pour les télécommunications militaires, pour le guidage des missiles, des bombes et des drones, nous passons à des systèmes d'armes qui, placés dans l'espace, peuvent aveugler les satellites de l'ennemi avant de les attaquer et de détruire des cibles terrestres, comme des villes entières, directement depuis l'espace.

Tout cela est couvert par le silence des médias. Le monde politique, scientifique, universitaire et culturel n'émet aucune critique ni aucun désaccord.

Dans le même temps, les gouvernements et les industries de guerre augmentent leur financement à accorder aux instituts scientifiques et aux universités pour des recherches qui, souvent déguisées en recherches civiles, servent au développement de systèmes spatiaux militaires.

Des voix font écho à celles de la nouvelle force spatiale américaine, qui expliquent que l'espace est "essentiel pour notre sécurité et notre prospérité dans notre vie quotidienne, même lorsque nous utilisons notre carte de crédit à la station-service".

Jean Giono : pour un retour positif à la nature

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Jean Giono : pour un retour positif à la nature

Emilio Del Bel Belluz

Ex : https://www.ilprimatonazionale.it

41JtW4y4DeL.jpgL'homme qui plantait des arbres est un livre de Jean Giono dans lequel l’auteur se rend compte, comme en ces temps-ci, qu'il n’a que deux alliés qui ne le trahissent pas et qui lui sont toujours fidèles : Dieu et la nature.

La nature s'offre à l’homme dans toute sa beauté originelle, un homme qui ne pense cependant qu'à la dévier de son cours spontané. En fait, aujourd'hui, la terre est exploitée au maximum. Les fossés qui marquaient les limites entre les différentes propriétés et dans lesquels poussaient de nombreuses variétés d'arbres, abritant de nombreux oiseaux, ont disparu. Il est devenu presque impossible de voir, entre une parcelle et une autre, un espace dédié à la culture des arbres, celui des petits bois. Les agriculteurs d'autrefois plantaient des vignes, mais il y avait toujours de la place pour différents types d'arbres, y compris des arbres fruitiers qui étaient une source de richesse pour le ménage. Des arbres étaient également plantés autour de la ferme pour se reposer à l'ombre du feuillage épais. Le vert était omniprésent tout autour de la ferme, c'était de la vraie poésie.

La fuite hors des champs (l’exode rural) et l'industrialisation ont privé l'homme de cette poésie. Les maisons abandonnées sont le résultat d'une ample réduction quantitative du monde paysan. Notre monde rural, primordial, disparaît à jamais, peu de gens se rebellent contre cet arasement et il semble que tout se dirige vers la profanation généralisée de la nature. Les personnes âgées étaient assises devant leur maison et regardaient les vieux arbres qu'elles avaient elles-mêmes plantés et qui vieillissaient maintenant avec elles.

Souvent, on naissait, on vivait et on mourait dans la même maison et on respirait pleinement les souvenirs de la vie. Il était une fois des gens qui mouraient devant un crucifix, à côté du lit, il y avait le prêtre qui donnait les derniers sacrements. Aujourd'hui, avec cette pandémie qui nous affectedepuis le printemps 2020, nous nous sommes privés du naturel de mourir avec le réconfort d'un prêtre ou du moins en observant un crucifix. La pratique de la plantation d'arbres était enseignée aux enfants comme un geste et un rituel initiatique et avait une haute valeur symbolique liée au fait de savoir vivre en harmonie avec la nature.

9782070662081.jpgL'homme qui plantait des arbres, un berger provençal, personnage principal du livre, a travaillé humblement pendant 37 ans, en se penchant sur le sol pour planter des glands, même s'il savait que seuls 20 % d'entre eux deviendraient des chênes. Il a ainsi transformé des collines stériles en forêts de chênes et de hêtres. Il avait décidé d'atteindre ce but premier dans la vie sans se poser trop de questions sur sa réussite ou non. Mais la persévérance d'un homme simple, faite d'amour et de dévouement, durant toutes ces années, va conduire à révolutionner un lieu désert et abandonné en le transformant en un village orné de forêts et de ruisseaux.

De même qu'il arrive que la nature, et l'âme humaine elle-même, soient noyées et dévastées face à l'avancée imprudente de l'industrialisation et de la technologie déshumanisante. Mais le contraire peut aussi se produire grâce à une inversion de tendance, singulière, provoquée par les choix et les actions d'un homme seul, apparemment relégué dans sa petite coquille vitale, mais dont l'exemple et les œuvres laisseront des traces indélébiles. L’auteur du livre, Jean Giono, a écrit : "Pour que la personnalité d'un homme révèle des qualités vraiment exceptionnelles, il faut avoir la chance de pouvoir observer ses actions pendant de nombreuses années. Si cette action est dépourvue de tout égoïsme, si l'idée qui la dirige est d'une générosité sans pareille, si avec une certitude absolue il n'a jamais cherché de récompense, et d'ailleurs a laissé des traces visibles sur le monde, nous nous trouvons alors, sans risque d'erreur, en présence d'une personnalité inoubliable".

Emilio Del Bel Belluz.