vendredi, 11 avril 2008
R. Steuckers: intervention au colloque d'Eurorus
Intervention de Robert Steuckers lors du colloque « Euro-Rus » de Termonde, 15 mars 2008
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, chers amis et camarades,
Rassurez-vous, je ne serai pas long et je ne répéterai pas, en d’autres termes, les arguments et les faits qui ont été évoqués par mes prédécesseurs à cette tribune. En guise de préambule, je répondrai toutefois à la question récurrente qui nous est si souvent posée, lorsque nous évoquons la possibilité et la nécessité d’un tandem euro-russe sur l’échiquier international. Cette question récurrente est la suivante : Comment cela se fait-il que vous adoptiez cette position favorable à la Russie, alors que, naguère, cette option a généralement été celle des gauches, tandis que vous passez pour les héritiers de la « révolution conservatrice » ? Cette question, que je n’hésite pas à qualifier d’inepte, reflète la confusion incapacitante qui a été sciemment mise dans la tête des Européens de l’Ouest pendant les quatre décennies de la Guerre Froide. Avant cette parenthèse et avant celle du pouvoir bolchevique à partir de 1917, la Russie était considérée comme le bastion de la ‘réaction’ contre les idées de la révolution française en Europe, c’est-à-dire contre les effets dissolvants de l’idéologie libérale, y compris dans sa version anglo-saxonne, smithienne et manchesterienne. Arthur Moeller van den Bruck, figure de proue de la révolution conservatrice allemande après le Traité de Versailles de 1919, traducteur de Dostoïevski et partisan d’une alliance germano-russe suite aux accords de Rapallo entre Rathenau et Tchitchérine (1922), avait écrit que le bolchevisme, en dépit de ses aspects déplaisants, incarnait la même attitude anti-libérale que la Russie tsariste et traditionnelle, mais sous d’autres oripeaux. Ces oripeaux ont été réduits en lambeaux au fil de sept décennies de communisme, jetés aux orties sans état d’âme, si bien que la Russie est redevenue aujourd’hui un bastion de résistance contre l’idéologie libérale de l’américanosphère.
Pour venir au vif du sujet de cet après-midi, abordons maintenant la question du Sud-Est européen. Jean Parvulesco, au beau milieu de la crise balkanique de 1999, me disait que les régions sud-orientales de l’Asie et de l’Europe étaient vitales pour le développement de ces deux continents. L’Indochine, où les principaux fleuves venus du cœur de l’Asie himalayenne viennent se jeter dans l’Océan Pacifique, et les Balkans, entre le cours inférieur du Danube et l’Egée, sont des territoires tremplins, permettant à la principale puissance centre-européenne, comme hier l’Empire d’Alexandre, l’Empire romain, l’Autriche puis l’Allemagne, de se projeter, militairement ou pacifiquement, vers le Proche-Orient, le Golfe Persique, l’Egypte (et le Nil), la Mer Rouge et l’Océan Indien. Pour Parvulesco, il n’y a pas de développement naturel et harmonieux de l’Europe sans une maîtrise pleine et complète de l’espace balkanique, comme il ne pourrait y avoir d’indépendance asiatique réelle sans une maîtrise pleine et complète des cours inférieurs des fleuves qui jaillissent du flanc oriental de l’Himalaya, pour se jeter dans le Pacifique face à l’archipel indonésien, riche en caoutchouc et en pétrole et anti-chambre de l’Australie. Dans son langage vert et rabelaisien, Parvulesco disait textuellement : « S’ils tiennent le sud-est, ils nous tiennent par les couilles ! ». L’histoire nous l’enseigne : il n’y a pas d’Europe puissante possible si des « raumfremde Mächte », des puissances étrangères à notre espace, occupent ou contrôlent, directement ou indirectement, l’ensemble balkanique.
L’Empire ottoman a tenu l’Europe en échec aussi longtemps qu’il a tenu les Balkans. Mais l’occupation ottomane a eu au moins un mérite : celui de donner un sens et un objectif à l’Europe combattante. De Jean Sans Peur, Duc de Bourgogne et Comte de Flandre, aux nationalistes balkaniques des guerres de 1912 et 1913, en passant par le Prince Eugène de Savoie-Carignan, l’Europe, à l’exception de la France, a ressenti comme un devoir de croisade et de reconquista la nécessité de bouter l’Ottoman hors de la péninsule balkanique.
L’Empire ottoman considérait la maîtrise des Balkans comme une étape en vue de conquérir l’Europe entière, à commencer par la « Pomme d’Or », Vienne, que ses armées assiègeront deux fois, en 1529 et en 1683. En vain. Le sursaut, in extremis, a été chaque fois admirable et nous ne sommes pas devenus turcs. L’objectif ottoman était de remonter le Danube, de Belgrade à Budapest et de Budapest à Vienne, puis, sans doute, de Vienne à Linz et au cœur de la Bavière pour faire tomber l’ensemble de l’Europe dans son escarcelle. Aujourd’hui les Etats-Unis installent leur principale base militaire sur le site même de la victoire ottomane de 1389, soit au Kosovo, à partir duquel les Turcs avaient commencé leur conquête de l’Europe.
Les Balkans sont donc un tremplin géostratégique de première importance depuis le Macédonien Alexandre le Grand, depuis les Romains dans leur marche vers l’Anatolie, corps territorial constitutif majeur de l’actuelle Turquie. Dans la perspective actuelle, qui est toujours celle du géopolitologue britannique Halford John Mackinder, théorisée en 1904, la maîtrise des Balkans permet la maîtrise de l’Anatolie, qui permet à son tour de maîtriser le Croissant Fertile et, partant, le Golfe Persique et la Mer Rouge et d’obtenir ainsi une fenêtre de premier ordre sur l’Océan Indien. La maîtrise des Balkans équivaut de ce fait à joindre solidement la « Terre du Milieu » à l’ « Océan du Milieu ». Cette volonté, qui est aussi celle de joindre l’Europe romano-germanique, la Russie néo-byzantine, la Perse et l’Inde, dans un sorte de « chaîne d’Empires » sur le « rimland » méridional de l’Eurasie, a été l’objectif de toutes les « grandes politiques » de l’histoire européenne : de César, qui le théorise avant de succomber sous les coups des Sénateurs romains aux Ides de Mars de 44 av. J. C., de Trajan qui le concrétise près de deux siècles après, de Julien dit l’Apostat qui ira mourir au combat en Mésopotamie, aux Croisades d’Urbain II et Godefroy de Bouillon à l’idée secrète de l’Ordre de la Toison d’Or créé par Philippe le Bon.
A la fin du 19ième siècle, les Européens, dont les Serbes, triomphent enfin de la présence ottomane en Europe orientale. Malheureusement, bien vite, les vainqueurs se déchireront entre eux, créant des animosités inter-européennes qui n’ont cessé de perdurer et qu’exploiteront habilement tous ceux qui voudront contrôler les Balkans, après 1914. Quant aux Turcs, ils essaieront toujours de revenir dans les Balkans, par le biais de l’OTAN, en soutenant les minorités musulmanes de Bulgarie, de Bosnie, d’Albanie et du Kosovo, en créant, comme on l’apprend, des réseaux de lycées turcs en Bosnie. C’était le rêve de Türgüt Özal, qui voulait faire émerger un pôle panturc de l’Adriatique à la Muraille de Chine. C’est le rêve d’Erdogan qui cherche à réaliser les mêmes objectifs mais cette fois par le biais d’un panislamisme dominé par la Turquie. Son discours récent, en février 2008, à Cologne, est très révélateur des intentions d’Ankara. Ne confondons toutefois pas le kémalisme et le pantouranisme. Le Général Mustafa Kemal, que les Turcs surnommeront affectueusement « Atatürk », le « Père de tous les Turcs », se voulait, au départ, sincèrement Européen, dans la mesure où il voulait imposer un mythe hittite à la Turquie défaite et dépecée, qu’il souhaitait par ailleurs désislamiser et désarabiser. Ce mythe hittite faisait explicitement référence à un peuple indo-européen, ayant vécu à la charnière de la proto-histoire et de l’histoire, venu d’Europe, via les Balkans, pour faire face à un environnement non européen en Anatolie et pour pousser sa puissance en direction du ‘dos’ du Croissant Fertile, aux confins septentrionaux de l’actuelle Syrie. De ce mythe, il reste, à Ankara, un impressionnant « Musée hittite », fondé par Atatürk lui-même. Outre ce musée, le mythe hittite de Mustafa Kemal n’a laissé aucune trace dans les projets politiques et géopolitiques de la Turquie contemporaine.
Le pantouranisme exalte une autre orientation géostratégique, si bien qu’on ne peut du tout le confondre avec le kémalisme. Dans le mythe pantouranien, l’Etat turc n’est pas posé comme l’héritier des Hittites qui avancent de l’Egée vers le Croissant Fertile mais l’héritier des hordes seldjoukides venues du fin fond de l’Asie pour s’élancer vers l’Egée, l’Adriatique et le Danube. Le pantouranisme prend forme, au niveau intellectuel, dès le début du 20ième siècle mais atteint son apogée pendant la seconde guerre mondiale, en 1942, quand une large fraction de l’élite politique et militaire turque croit à une victoire prochaine de l’Allemagne hitlérienne en Russie, victoire qui apportera, croit-elle, l’indépendance aux peuples turcophones de l’Asie centrale soviétique. Parmi les jeunes officiers séduits à l’époque par ce pantouranisme ou panturquisme, nous trouvons le futur leader MHP, le Colonel Türkes, dit le « Bazboug », le chef. Les pantouraniens, qui plaçaient leurs espoirs en une victoire allemande, seront jugés en 1945, quand la Turquie, qui avait senti le vent tourner, s’alignait sur les Etats-Unis. Jugement purement formel : quelques semaines après leurs lourdes condamnations, les panturquistes rentrèrent au foyer.
Les mythes hittite et pantouranien ne sont pas des vues de l’esprit, des coquetteries intellectuelles sans grande consistance. Elles reflètent des intentions politiques et stratégiques essentielles, suivies d’effets toujours bien concrets. Ainsi, dans ses multiples ouvrages, essais et articles, Zbigniew Brzezinski, grand stratégiste américain contemporain, auteur du livre programmatique « Le Grand Echiquier », cherche à mâtiner l’idéal pantouranien et un idéal « mongoliste », où il maintient en quelque sorte deux fers au feu : il utilisera le pantouranisme pour séduire les Turcs et détacher le cœur central de l’Asie de l’hégémonie russe, de le balkaniser et de le satelliser pour séparer la Russie de l’Iran et de l’Inde, où pour créer une unité éphémère, ‘gengiskhanide’, toujours remise en question de par sa mobilité incessante et de par les querelles d’héritage, une unité fragile, plutôt une instabilité chronique, qui aurait eu pour fonction de neutraliser les anciens empires de la région, à commencer par le persan ; mais dans cet espace, ce ne sera ni un étatisme ottoman ni un étatisme kémaliste qui devra avoir, in fine, le dessus, mais un « mongolisme », non pas tant animé par la sagesse de Gengis Khan, mais à la façon très négative de Tamerlan, fossoyeur de la Perse si fascinante des 12ième, 13ième et 14ième siècles. L’Asie centrale, faute d’être pleinement satellisable par les Etats-Unis, devra devenir un espace de chaos, un espace « tamerlanisé » ad infinitum, déstructuré faute d’être structuré par une idée impériale solide, visant la durée, la pérennité, à la romaine ou à la persane, à la Witte ou à la Stolypine. C’est une façon de réactualiser les stratégies d’un Richelieu et d’un Vauban, qui avaient cherché tous deux à ‘démembrer’ les frontières de leurs adversaires impériaux ou espagnols ou à plonger ‘les Allemagnes’ dans le chaos, entre une France stabilisée d’une main de fer par le nouvel absolutisme, après la Fronde et la répression des révoltes populaires, et son allié ottoman, bien campé sur le cours du Danube. Dans la perspective actuelle, il s’agit de plonger dans le chaos un vaste espace, correspondant peu ou prou au territoires dominés jadis par Gengis Khan, entre une Union Européenne stable mais ouverte et pénétrée sur le plan commercial et une Chine mise dans l’impossibilité de se trouver des alliés sur la masse continentale eurasienne et prête, dès lors, à accepter à terme une ouverture au commerce américain (projet bien concocté depuis 1848, quand la guerre du Mexique laissait prévoir le statut bi-océanique des Etats-Unis, pierre angulaire de leur puissance planétaire).
A cette imitation, mutatis mutandis, de la stratégie ‘démembrante’ de Richelieu par Brzezinski en Asie centrale correspond la stratégie américaine équivalente dans les Balkans, à l’époque du tandem Clinton/Albright, qui ont créé de toutes pièces les questions bosniaque et kosovare ; cette dernière rebondit aujourd’hui avec la proclamation unilatérale d’indépendance de Thaçi à Pristina. Le Kosovo est la région qui se trouve exactement au milieu de l’ouest de la péninsule balkanique, à l’ouest du massif des Monts Rhodope ; plus exactement de l’ensemble formé par l’Albanie, la Serbie et le Monténégro ; qui tient cette région, comme les Ottomans l’ont tenue, tient l’ensemble de la péninsule et contrôle les routes qui mènent à Belgrade et au Danube, via les vallées de l’Ibar (à Mitrovica) et de la Morava, plus à l’est. Exactement comme la puissance qui tient sous sa coupe la Bosnie tient, à terme, la côte adriatique, qu’elle surplombe, menace l’Italie et domine le cours de la Save qui mène aux frontières de l’Autriche et de la Vénétie. La stratégie américaine a donc réussi à créer, en pariant sur le fondamentalisme musulman et sur certains réseaux mafieux albanais, deux entités politiques hostiles à -et en marge de- leur environnement slave, grec et chrétien-orthodoxe, deux entités à la dévotion des Etats-Unis, de la Turquie et de leurs financiers saoudiens. L’atout stratégique qu’aurait pu constituer des Balkans unis est ainsi perdu pour l’Europe, avec, rappelons-le, la bénédiction d’une intelligentsia médiacratique (et médiocratique…) parisienne, qui, à l’époque de la crise bosniaque, professait un multiculturalisme irréaliste en faveur d’une Bosnie pluri-confessionnelle, posé comme le futur modèle incontournable de l’Europe entière ; en débitant ces discours, cette brochette d’intellos creux camouflait le fait, pourtant patent pour qui sait déchiffrer la ‘novlangue’ des fabriques d’opinion, qu’elle prenait ses ordres, en réalité, de Washington, pour briser, par matraquage médiatique, la solidarité spontanée pour la Serbie qui aurait animée la France.
Dans le Kosovo, la firme Halliburton, où Dick Cheney a de solides intérêts, a construit la plus grande base américaine d’Europe, ce qui confirme bien la volonté américaine de s’y maintenir pendant longtemps. L’objectif est de contrôler les oléoducs et gazoducs qui transitent ou transiteront dans la région ou à proximité, en provenance des rives de la Mer Noire et en direction de l’Adriatique, donc de l’Italie, Etat fondateur de la CEE, pour que gaz et pétrole soient distribués partout dans l’UE. La coopération euro-russe en matière énergétique serait ainsi soumise à une épée de Damoclès permanente. Le Kosovo se trouve légèrement en surplomb par rapport à la vallée de la Morava, entre la ville serbe de Nis et la capitale macédonienne Skopje, à mi-chemin entre Belgrade sur le Danube et Thessalonique sur l’Egée. Les vallées de la Morava (de Skopje à Belgrade) et de l’Axios (de Skopje à Thessalonique) forment donc la voie terrestre la plus courte entre le Danube et l’Egée, donc entre la Méditerranée orientale et l’Europe centrale. Cette zone est donc de la plus haute importance stratégique : une puissance planétaire se doit dès lors de la contrôler pour tenir ses éventuels concurrents en échec. L’enjeu consiste donc à contrôler les oléoducs et les gazoducs et cette ligne Belgrade-Thessalonique, comme le firent les Ottomans dans les siècles passés. Ce n’est pas un hasard s’ils ont évacué cette ligne au tout dernier moment : en 1912 quand ils avaient affaire et aux peuples balkaniques et à l’Italie. Le double contrôle de la ligne des oléoducs et gazoducs et de la ligne Belgrade-Thessalonique : tels sont donc les buts réels. Et c’est justement dans les Balkans, donc en Europe et contre l’Europe, que les Etats-Unis enregistrent aujourd’hui le meilleur succès dans leurs stratégies, avec des alliés musulmans, alors que l’islam combattant est présenté partout ailleurs comme l’ennemi de l’Occident américanisé. Les naïfs, y compris dans certains mouvements identitaires, croient benoîtement, que le Kosovo musulman ne peut en aucun cas être téléguidé par les services américains puisqu’il est tout simplement musulman, donc posé erronément comme allié aux auteurs réels ou présumés des attentats du 11 septembre 2001 à New York. C’est cette fable que croient et ânonnent les canules atlantistes, grand Béotiens en matière d’histoire, laquelle est effacée de leurs têtes, et en géographie, car apparemment aucun d’entre eux n’est capable de déchiffrer une simple carte physique d’école primaire, contrairement à leurs maîtres américains.
Ailleurs, les Etats-Unis ne rencontrent pas le même franc succès. Dans cette Asie centrale que Brzezinski voulait satelliser et ‘tamerlaniser’, Russes et Chinois, qui ont clairement perçu le danger, ont mis sur pied le « Groupe de Shanghai », alternative heureuse au chaos artificiel qu’avaient espéré et programmé les experts du Pentagone. Le « Groupe de Shanghai » est aujourd’hui la principale entrave à l’expansion planétaire des projets de Washington. Il rend caduque la volonté de Brzezinski de plonger cet espace, occupé par les ex-républiques soviétiques à majorité musulmane, dans un chaos à la Tamerlan.
Dans le Caucase, la tentative de former une série de sécessions en chaîne n’a pas entièrement réussi, comme dans les Balkans, même si le problème tchétchène est loin d’être résolu, reste un abcès purulent collé au flanc caucasien de l’espace géopolitique russe. Si le Kosovo se trouve au milieu d’une péninsule située entre l’Adriatique et la Mer Noire, la Tchétchénie se trouve, elle, au milieu d’un large isthme, forcément à double littoral, entre la Mer Noire et la Caspienne, où doivent logiquement passer les oléoducs et gazoducs amenant le brut des gisements de Bakou en Azerbaïdjan et des nouveaux champs de pétrole et de gaz du pourtour de la Caspienne. Le sécessionnisme tchétchène, lit-on dans la presse, a été animé, dès son éclosion, par des nationalistes locaux mais aussi par un djihadiste venu de Jordanie. Pourquoi de Jordanie ? Parce que dans ce pays arabe vit depuis un exode de Tchétchènes, fuyant l’avance des armées russes au 19ième siècle, une forte minorité de ceux-ci, dite « circassienne », ayant conquis bon nombre de postes importants dans l’armée et l’administration du royaume hachémite, ancien satellite britannique. Ce djihadiste arabisé n’a fait qu’un retour au pays de ses aïeux, pour aller y pratiquer les habituelles « guerres de base intensité » ou « stratégies lawrenciennes » -notamment celle qui a donné naissance au Royaume de Transjordanie- dans les zones pétrolifères que souhaitent contrôler les « Sept Sœurs », soit les grands consortiums britanniques ou américains des hydocarbures (sur l’apport démographique tchétchène, lire : Yo’av Karny, « De Kaukasus », Uitgeverij Atlas, Amsterdam/Antwerpen, 2003-2005).
En conclusion, les entités étatiques « indépendantes », que veulent imposer à la communauté internationale les puissances thalassocratiques, financières et pétrolières anglo-saxonnes, en pariant sur tribus dissidentes, mafias locales, sécessionnistes douteux, zélotes religieux, etc., ne sont pas acceptables dans la situation actuelle, surtout qu’elles concourent à installer des abcès de fixation musulmans, des enclaves islamisées, au cœur de territoires européens, avec, qui pis est, une dimension mafieuse et narco-trafiquante, pourtant dûment dénoncée par bon nombre d’institutions internationales. Ces enclaves musulmanes ne peuvent qu’aviver ou conforter le « choc des civilisations », annoncé dès 1993 par Samuel Huntington. Comme le soulignait récemment le Dr. Koenraad Elst dans les colonnes de « ‘t Pallieterke », le Kosovo n’est jamais qu’un instrument des Américains, qui, in fine, contrôlent tout le processus indépendantiste, et des Wahhabites saoudiens, qui visent une reconquista de toutes les terres qui furent, à un moment ou un autre de l’histoire, islamisées. Ni l’une ni l’autre de ces options ne vont dans le sens des intérêts de l’Europe.
La première étape d’une révolution métapolitique, qui ouvrirait les yeux des Européens afin qu’ils se rendent compte des manipulations médiatiques orchestrées depuis quantité d’officines d’Outre Atlantique (le « soft power »), serait de se doter d’une élite capable de lire des cartes et d’utiliser des atlas historiques (comme ceux de l’Ecossais Colin McEvedy). Cette lecture de carte, permettant de saisir d’un simple coup d’œil, les dynamiques de l’histoire, toujours récurrentes, a été l’un des objectifs de « Synergies Européennes ». J’invite tout un chacun à poursuivre ce travail, pour donner vigueur à toutes nos initiatives européistes et identitaires.
Robert Steuckers.
00:23 Publié dans Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : géopolitique, histoire | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Pourquoi les civilisations s'auto-détruisent-elles?
Pourquoi les civilisations s'autodétruisent-elles?
(WHY CIVILIZATIONS SELF-DESTRUCT)
Analyse d'un livre écrit par Elmer Pendell, édité aux Etats-Unis en 1977. Pour informations s’adresser à : Howard Allen Enterprises, Inc., Box 76, Cape Canaveral FL 32920. Etats-Unis.
La partie du livre qui nous intéresse ici, est celle qui couvre strictement la thèse développée par l’auteur : POURQUOI LES CIVILISATIONS S’AUTO-DÉTRUISENT. L’avant-dernier chapitre du livre traite des mesures préconisées pour corriger ce phénomène d’auto-destruction aux Etats-Unis. Comme ce chapitre ne fait pas partie de l’argumentation soutenant la thèse, son contenu n’a pas été considéré ici.
L’auteur est présenté en ces termes : «Elmer Pendell, est un des experts en populations de premier plan; détenteur de la ‘’Purple Heart’’ et de la ‘’Distinguished Service Cross’’, il est diplômé B.S. de l’Université de l’Oregon, M.A. de l’Université de Chicago, L.L.B. de l’Université George Washington, et Ph.D. à Cornell.
Le Dr. Pendell a enseigné aux Universités du Nevada, de l’Arkansas et de l’Oregon, ainsi qu’à l’Université de l’État de Jacksonville et à Cornell. Durant toute sa vie, son intérêt s’est porté sur les taux de propagation humaine et de son influence sur l’environnement. En qualité de co-auteur de Society Under Analysis, Population Roads to Peace or War et, Human Breeding and Survival, et auteur de Population on the Loose, The Next Civilization ainsi que Sex VERSUS Civilization, il a œuvré longtemps et brillamment pour trouver des solutions, aussi bien à court terme qu’à long terme, aux problèmes de population.
Dans ce dernier livre —certainement le plus significatif— le Dr. Pendell a consacré beaucoup d’efforts au problème démographique crucial de notre temps: le déclin accéléré de nos institutions et de notre mode de vie, causé par le taux élevé de reproduction, de ceux qui devraient se reproduire le moins. Sa contribution sans doute la plus importante à l’esprit moderne —une contribution qui ressort fortement dans ce volume— est le lien qu’il établit entre les pulsions sociales innées des individus, et la tolérance universelle, étendue aux taux différentiels de naissances socialement intolérables».
* * *
Voici donc dans les grandes lignes, la thèse développée dans ce livre. (Le texte ci-dessous pourrait être mis presque entièrement entre guillemets, car il reflète fidèlement le contenu de l’ouvrage. Pour des raisons pratiques, cela n’a toutefois été fait que pour des citations spécifiques, et traduites de l’anglais.)
Ce qui est fascinant dans la marche des civilisations, c’est leur nature rythmique et cyclique. Elles naissent, se développent, atteignent de hauts niveaux d’accomplissements et puis disparaissent. Le plus souvent sans grands soubresauts, mais comme atteints d’une grande torpeur. Lord Byron disait dans Childe Harold’s Pilgrimage : D’abord la Liberté et puis la Gloire. Viennent ensuite la Richesse, le Vice, la Corruption, et à la fin la Barbarie.
Des auteurs et historiens réputés ont donné des explications multiples, souvent complexes et hypothétiques sur la disparition des civilisations. Les causes invoquées sont toujours d’ordre environnemental. C’est l’originalité de Pendell, d’avoir investigué le facteur hérédité. Mais il reprend d’abord, l’opinion de quelques auteurs, historiens, ou chercheurs.
Voltaire: Lorsque les peuples s’amollissent ils invitent à leur conquête.
Louis Wallis: (An Examination of Society) La concentration de la propriété foncière affecte défavorablement le sens moral.
Eric Fisher: (The Passing of European Age) Les vieilles cultures ne peuvent s’adapter aux nouvelles conditions.
Tom B. Jones : (Ancient Civilizations) Comme en architecture ou tout autre domaine, l’achèvement d’un modèle conduit à une seule orientation possible: vers le bas.
Et aussi : Les matériaux bruts sont d’abord exportés, puis utilisés à l’intérieur, ensuite importés jusqu’à ce qu’on n’aie plus les moyens de se les procurer.
W.C. Lowdermilk : (Conquest of the Land Through Seven Thousand Years) Lorsque l’agriculture échoue, la civilisation échoue.
Brooks Adams : (The Law of Civilization and Decay) La concentration du pouvoir et de la prise de décisions blesse mortellement l’organisation sociale.
Willis J. Ballinger : (By Vote of the People) Il partage l’opinion de B. Adams.
Oswald Spengler : (The decline of the West) Les civilisations sont comparées à un organisme qui évolue selon les quatre saisons. Au printemps éclôt l’agriculture, lorsqu’arrive l’automne, les énergies sont largement consacrées à la production industrielle, et à la construction d’immenses vides culturels dénommés Villes Universelles. Ensuite vient l’hiver, et c’est la fin.
Carle Zimmerman : (Family and Civilization) Lorsque les liens familiaux se relâchent, la civilisation tombe en décadence.
J.D. Unwin : (Anthropologue social britannique) (Sex and Culture) Pour une civilisation, des mœurs permissives se traduisent par une perte d'énergie et ses réalisations diminuent.
Pendell traduit cela en ces termes: «Dans le contexte actuel, cela veux dire que nos pulsions innées pour la recherche de nourriture, sexe, attention, etc., peuvent être quelque peu apaisées par un intérêt pour des réalisations sociales. Cependant, lorsque ces ‘pulsions innées’ sont immédiatement satisfaites, il ne reste plus d’envie, de dynamisme pour les relations sociales».
Pour Unwin, lorsqu’une nation réussit, elle devient de plus en plus sexuellement permissive, avec pour résultat, la perte de sa cohésion, de son élan et de sa détermination. Il nous prévient aussi : «Aucune société et aucun groupe à l’intérieur d’une société n’a jamais toléré la monogamie pendant longtemps. Chaque société qui l’a adoptée, a soit abandonné la monogamie, ou bien a constamment révisé sa méthode de régulation des relations entre les sexes; et au cours de cette révision —parfois semble-t-il sans intention consciente— l’opportunité sexuelle a été étendue».
Harold H. Smith dans une chronique du Saturday Review (8 janv. 1955), estime que la complexité et les connaissances croissantes ont un effet de ‘Tour de Babel’. L’opinion de Smith est que : «Entre une multiplication des inventions et une structure qui se ‘pyramidalise’, l’individu est confronté à un étalage de problèmes de plus en plus complexes. Sous les torrents d’informations qui lui tombent dessus, l’évaluation de la signification de chaque élément devient de plus en plus superficielle. Il en résulte que la personne typique comprend de moins en moins les faits réels, tandis que l’idée qu’elle se fait du monde extérieur devient impressionniste et souvent chaotique».
Pour Nathaniel Weyl et Stephan Possony (The Geography of Intellect), la surpopulation a causé la disparition de certaines civilisations, particulièrement celles dépendant de l’irrigation. Le danger de surpopulation dans une région donnée avait également été reconnu par Guy Irving Burch et l’auteur dans Population Roads to Peace or War. W.B. Pitkins dit qu’une vaste population freine les réalisations individuelles.
Hérédité, génétique et chute des civilisations
Ce qui est curieux constate Pendell, c’est que nulle part n’est mentionné le facteur "hérédité", c’est que personne avant lui n’ait fait référence à la part jouée par la génétique humaine dans la chute des civilisations. Pendell ne prétend ni ne suggère, que la détérioration de l’hérédité constitue la seule et unique cause de la destruction des civilisations. Plusieurs causes —et celles citées ci-dessus en font partie— doivent être considérées. Parfois même, l’hérédité est tout à fait étrangère au désastre. Il n’en demeure pas moins que, pour Pendell, «chaque civilisation possède normalement un mécanisme intérieur d’auto-destruction qui assure que la moitié la moins capable de chaque génération devient génitrice de plus de la moitié de la génération suivante». Et c’est à cela, c’est-à-dire à la submersion des classes les plus évoluées par une masse de gens intellectuellement moins avancés, qu’il faut attribuer la mort des civilisations, nonobstant l’existence ou non de nombreux autres facteurs. Ce point de vue constitue l’idée centrale de ce livre.
A partir des premières civilisations connues, soit, la sumérienne, les phases successives de celle d’Égypte, de la Vallée de l’Indus ainsi que celles de Babylone, d’Assyrie et de Perse, celles de la Chine, des Olmèques, des Mayas, Aztèques, Incas, jusqu’à celles de Grèce, de Rome, ou de l’Empire Britannique, ce que toutes ces civilisations ont en commun, dit-il c’est que: «les personnes de haute intelligence ont des intérêts tellement variés et intenses, absorbant tellement de leur énergie, que cela limite le nombre de leurs enfants, et donc, réduit l’intelligence disponible pour le maintien de la civilisation. Conséquemment, tandis que le segment le moins favorisé de la population prolifère, chaque civilisation dissipe le génie de ses organisateurs».
A propos de Rome par exemple, l’auteur cite Charles Dewing, expert en démographie qui écrivit: «Il y a quelque chose de régulier dans ces anciennes civilisations, le timing est remarquablement similaire... La cité en expansion attirait l’attention d’autres peuples qui n’avaient pas construit de cité; elle était perçue comme une montagne dans le désert. Plusieurs de ces peuples migraient vers la cité. Étant donné que cette immigration persistait, bien sûr, les talents qui établissaient la cité allaient bientôt être dilués et ensuite subordonnés... La civilisation de la cité devait baisser. La chute allait donc être due à quelque chose de très apparenté à ce peu aimable mot: ‘dégénérescence’».
Sur l’effondrement de l’Empire Britannique, l’analyse du Dr. Robert Gayre, éditeur de Mankind Quarterly dans Rise and Fall of Nations : Genetic Impoverishment est due à l’effet que: «Pendant des siècles, le service d’outre-mer avait été dysgénique, puisque ses effets adverses avaient frappé de façon disproportionnée l’élite des nations formant le Royaume-Uni. Ceci était particulièrement le cas à partir du dix-neuvième siècle... Au cours des multiples campagnes menées, non seulement une génération était-elle virtuellement exterminée, mais cela s’est fait d’une façon sélective, touchant le commandement dans toutes les classes».
Pour montrer l’importance de l’hérédité dans la désintégration —mais aussi dans la naissance— des civilisations, le Dr. Pendell a cette belle image: «Quiconque essaie de comprendre la naissance ou la chute des civilisations sans porter attention à l’évolution biologique, s’engage dans un labyrinthe sans ‘indications ni épée’» (without a clue or a sword).
Réagir à l'intolérance des behavioristes
Pendell parle de l’existence d’un mécanisme génétique, d’abord créateur, et qui devient ensuite destructeur des civilisations. Ce mécanisme, il le démonte pièce par pièce, et tous ses rouages sont scrutés un à un à la lumière des exigences de l’évolution du vivant. Cependant, il reconnaît aussi que, si dans ce livre, l’emphase est mise sur l’hérédité, «il faut comprendre cela comme une réaction constructive et nécessaire à l’intolérance des behavioristes qui ont presque réussi a rendre illégale l’étude scientifique de l’hérédité».
L’état d’une civilisation —disons sa mise au monde, sa croissance et aussi son déclin— dépend en grande partie de l’esprit des individus pense Pendell qui dit aussi: «la structure de notre esprit est tout autant un produit de l’évolution que nos os, glandes et muscles. L’esprit et le corps ont évolué ensemble et ils travaillent ensemble». Une grande partie du livre est justement consacrée au processus évolutif, c’est-à-dire à savoir comment l’homme est devenu ce qu’il est, et plus particulièrement au point de vue de sa structure mentale.
Ego et "appétit social"
C’est ainsi que nous apprenons comment il se fait que l’esprit humain est divisé entre les motivations glorifiant l’ego d’une part, et les dispositions sociales que Pendell appelle aussi ‘l’appétit social’, d’autre part. Chacune de ces motivations a été nécessaire pour la survie de notre espèce. Elles sont d’ailleurs déjà présentes parmi de nombreuses espèces animales.
Concernant l’ego, Pendell développe très largement le concept de la conscience de soi, "siège de notre auto-importance.". Le niveau de conscience dépend de l’intelligence. La conscience consiste dit–il, à «organiser, organiser, organiser». Elle est héréditaire et une partie de sa tâche est accomplie par le subconscient. La conscience et l’instinct semblent avoir été reliés dès les débuts de l’évolution organique. La perception de l’inconfort et de la douleur auraient déclenché ce que nous appelons aujourd’hui l’instinct. Sans instinct, aucun organisme n’aurait survécu. L’orientation auto-centrée engendre les quatre désirs suivants: désir de sécurité, désir de reconnaissance (considération de la part des pairs), désir d’efficacité (besoin d’obtenir des résultats), et désir de domination. A propos de ce dernier désir, Vance Packard (The Status Seekers) dit: «La stratification existe partout dans notre société». Ce qui, reconnaît Pendell, n’est pas du tout conforme à la doctrine égalitaire américaine.
Enfin, on peut constater, «qu’en plus de veiller à nos besoins égocentriques et corporels les plus immédiats, la conscience se limite pour certains à ce que toute leur attention soit monopolisée strictement sur le déroulement de leur vie, tandis que pour la plupart, elle est de donner plus de sens à leur vie.’’
Les dispositions sociales elles, sont nées du besoin de compagnonnage et sont, elles aussi, héréditaires. Les chances de survie individuelle sont fortement accrues par l’unité du groupe, surtout lorsque les conditions de vie sont difficiles, tandis que les sentiments altruistes aident à la survie du groupe. Des standards de vie en groupe se sont développés durant 200 millions d’années, et des sentences de mort furent appliquées par le groupe contre les individus qui déviaient trop du modèle admis par le groupe. Ces dispositions sont profondément imprimées dans notre code génétique; elles étaient là depuis des millions d’années, et seuls ceux imprégnés de cet ‘appétit social’, devenu une part intégrale de la condition humaine, ont survécu.
La vie tribale avait été le berceau de l’appétit social. Celui-ci, se limitait toutefois au groupe; une amitié étendue à toute l’humanité n’aurait eu aucune valeur de survie pour des êtres qui évoluaient par groupes. Comme l’intelligence allait croissant —de plus en plus de problèmes se trouvant résolus— les hommes comprirent les avantages qu’il y avait à utiliser chacun aux tâches qui lui convenaient le mieux, d’où la division du travail et autres pratiques qui sont à la base d’une civilisation. Dans une grande partie du monde, la civilisation mit ainsi un terme à la vie tribale.
La loi de la dynamique des populations
Le constat de Pendell, c’est que les peuplades tribales qui ont créé leur civilisation, ont su tirer profit de la cruelle et longue sélection naturelle. C’est au moment de la naissance d’une civilisation, que l’efficacité générale est à son maximum. Une fois la civilisation bien en place, le processus évolutif faiblit, et il le fait dans la mesure où la civilisation s’impose. De la lecture du passé, Pendell tire que la détérioration accompagne la prolifération, c’est dit-il la ‘loi de la dynamique des populations’
Cette loi repose sur des constatations ayant trait au processus évolutif biologique d’une part, et aux instincts sociaux d’autre part.
Le point de vue biologique d’abord :
1. L’évolution tend à éliminer dans une proportion quelque peu plus grande, les individus inefficaces par rapport aux individus efficaces.
2. Une augmentation considérable de la population humaine dans une région, annonce une application plus limitée du processus de séparation. Cela est dû par exemple, à une amélioration de l’habitat ou de l’habillement, ou à de meilleures méthodes d’entreposage.
3. Lorsqu’un groupe prolifère, les survivants comprennent des individus situés plus bas dans l’échelle de l’efficacité.
4. Lorsque la croissance d’un groupe s’accélère soudainement, cela se traduit par moins de mortalités par mille naissances que d’habitude, et donc, par moins de rejets (weeding out) que d’habitude.
5. Puisque les naissances sont normalement plus nombreuses parmi la moitié la moins efficace de n’importe quel groupe spécifique, il y a une plus grande proportion de survivants parmi la moitié la moins efficace lorsque le groupe augmente en nombre.
Selon les travaux de Robert Klark Graham (The Future of Man) cette loi de la dynamique des populations, était déjà à l’œuvre dans les temps préhistoriques. Graham suggère que le point tournant dans l’évolution de l’espèce humaine se situe à l’époque des peuples Cro-Magnon. «Ce point tournant fondamental, c’est le moment où la sélection naturelle fût affaiblie au point où les influences détériorantes commencèrent à prédominer sur les influences améliorantes». Il faut noter que contrairement au discours usuel, Graham parle ici de l’espèce et non de l’individu.
La dynamique des populations vue sous l’angle cette fois des instincts sociaux se résume dit Pendell comme suit :
1. L’appétit social encourage la coopération.
2. La coopération peut être suffisamment élaborée et intense pour former une civilisation.
3. La division du travail cache l’importance ou l’inutilité d’individus dans leurs rôles variés.
4. Certains individus ne possèdent pas la capacité de participer utilement au processus de production.
5. L’incapacité peut être physique et/ou mentale.
6. L’appétit social des capables permet aux incapables de bénéficier du "produit national brut".
7. Lorsque la civilisation est jeune, le fardeau du partage n’est pas lourd
8. Ceux qui ont relativement peu d’intérêts et relativement peu de sentiments de responsabilité auront vraisemblablement un contrôle plus limité de leurs instincts, et auront donc une progéniture plus nombreuse.
9. Dans une civilisation en déclin, un taux de mortalité plus élevé des personnes capables constitue un type de désordre fonctionnel.
10. La prépondérance des moins compétents sur les plus compétents produira éventuellement des interférences avec les procédures et les processus fondamentaux de la civilisation, jusqu’au point où celle-ci cessera de fonctionner.
Un parallèle avec la seconde loi de la thermodynamique
Pendell observe —comme d’autres l’ont souvent fait dans l’étude des questions humaines— un intéressant parallèle entre la loi de la dynamique des populations et la seconde loi de la thermodynamique. Cette dernière peut être énoncée simplement en ces termes :
«Tout système isolé, et libre de le faire, passera toujours d’un état plus organisé à un état moins organisé, jusqu’à ce qu’il atteigne éventuellement et demeure dans l’état de désordre maximum possible, qui est l’état d’équilibre thermique».
Or, la civilisation exprimée en termes de la deuxième loi de la thermodynamique est un système isolé dit Pendell. Lorsque le processus évolutif échoue à maintenir le nécessaire niveau d’intelligence, le système passe d’un état de plus grande organisation à un état de moindre organisation, car les individus les moins intelligents forment une plus grande proportion de la population.
Appliquant cette thèse à la réalité historique, Pendell décrit brièvement plusieurs cultures en commençant par celle de Neandertal, puis celle de Cro-Magnon, qui toutes deux ont démontré des hauts niveaux d’intelligence a leur début. La prolifération de ces peuples fut accompagnée de leur détérioration. A propos de ces peuples anciens, Robert Klark Graham explique : «Nous savons que la grosseur du cerveau et l’intelligence tendaient à augmenter sous l’effet des conditions sévères de sélection naturelle imposées par la cueillette et la chasse. Nous savons que cette augmentation cessa apparemment avec l’apparition de l’agriculture mixte. Il n’est pas difficile de voir pourquoi cela s’est passé ainsi, puisque la production de la nourriture permettait à des millions ayant de plus faibles cerveaux de survivre alors qu’ils ne se seraient pas qualifiés pour la survie sous la sélection plus rigoureuse durant la phase chasseresse».
Pendell considère que l’histoire des villes anciennes de Jarmo dans le Nord de l’Irak, ou de Çatal Hüyük en Anatolie, représente en miniature la croissance et la chute d’une civilisation. Une des plus anciennes civilisations connues fleuri voici plus de 8000 ans, dans cette ville très cultivée et très développée de Çatal. Sa durée s’étendit sur 32 générations, dont les dix dernières témoignent d’un manque de créativité, jusqu’à ce qu’elle disparaisse. Çatal peut être considérée dit-il, comme une application très ancienne du principe d’auto-destruction. Un archéologue a dressé à lui seul, 66 villes et villages similaires à Çatal, en Anatolie seulement. «Le fait que des douzaines voire des centaines —en tous cas beaucoup— de civilisations ont pris le même chemin de l’oubli devrait éveiller quelque suspicion sur le modèle qu’elles ont suivi. La suspicion que, nous aussi, qui suivons la même route, puissions faire quelque chose d’erroné, avec des conséquences mortelles».
Sommes-nous devenus les serviteurs des "faux-bourdons"?
Suit une description avec de nombreuses références, sur la situation de l’éducation aux Etats-Unis. La conclusion peut se résumer à l’opinion émise par le Dr. Max Rafferty, Doyen de l’École de l’Éducation de l’Université Troy State et ex Principal du Département de l’Éducation de Californie: «les examens standardisés présentés aux élèves des écoles primaires portent à soutenir la thèse selon laquelle les différentielles de naissance causent une détérioration du Q.I. national».
Comme on pouvait s’y attendre, dit Pendell, toutes les théories avancées pour trouver les causes de ce déclin ont été relatives à l’environnement, mais dit-il, «ces capacités d’apprentissage en baisse pourraient faire partie d’une histoire plus grande et plus tragique, dans laquelle la biologie joue un rôle dominant». Il termine cette analyse de l’éducation dans son pays par ces mots: «Il n’y a pas de forme plus mortelle d’auto-destruction que de forcer les éléments valables d’une civilisation à devenir les serviteurs des ‘faux-bourdons’ (drones)».
Le monde, dit plus loin le Dr.Pendell «a connu bien plus de civilisations que celles dévoilées par Arnold Toynbee dans A Study of History. Si nous combinions nos nouvelles connaissances au sujet du nombre de civilisations qui ont été exterminées, avec nos nouvelles connaissances au sujet de la mécanique de détérioration génétique, peut-être pourrons-nous imaginer des mesures qui feront que notre propre civilisation ne suive le chemin pris par toutes celles passées».
* * *
Chapitres du livre :
1 L’individu sur la scène centrale.
2 Le legs de l’instinct.
3 L’appétit social.
4 La parole : l’outil de la sociabilité.
5 Contraintes sur l’appétit social.
6 La mort – servante de la vie.
7 L’évolution à l’époque glaciaire.
8 L’appétit social versus l’évolution.
9 La chute des civilisations.
10 Le facteur héréditaire.
11 Le gaspillage du génie.
12 Le principe de l’auto-destruction à l’œuvre aux Etats-Unis.
13 Un cric pour la reproduction.
14 L’auteur rencontre ses commentateurs critiques.
(résumé de Vincent Andriessen).
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jeudi, 10 avril 2008
Quête spirituelle: au coeur du labyrinthe
Christophe Levalois: «Au cœur du labyrinthe». Méditations sur la Quête spirituelle
Fort élégant et sobre, dans le sens traditionnel de ces termes, tant par la présentation que par le choix de la typographie, c'est un substantiel volume de poèmes que nous offre Christophe Levalois, qui a déjà publié plusieurs remarquables études, traduites en plusieurs langues, sur différents aspects des doctrines traditionnelles.
Retenons principalement: un petit ouvrage d'une rayonnante clarté sur le symbolisme du Pôle (Nord) (l), et l'origine mythique d'une terre correspondante, dans les expressions du divin d'Orient ou d'Occident. Plusieurs études sur la royauté (2) dans son acception la plus élevée, une participation passionnante à une Enquête sur la Tradition aujourd'hui (3), un ouvrage capital par sa densité et sa concision sur la crise du monde moderne (4) à l'aune des principes des diverses formes du Sacré, et un volume sur les mythes et traditions du loup (5) où la rigueur de l'exposition des données historiques ne le cède en rien à celui de la connaissance des coutumes, des légendes et des symboles de cet animal noble, solidaire et courageux qui, nous dit l'auteur, «servit de modèle aux redoutables confréries guerrières indo-européennes».
Notre époque a bien du mal à apprécier la poésie, sans doute parce qu'elle a autant de difficulté à appréhender de façon orthodoxe l'intériorité des doctrines traditionnelles. Préférant leur substituer soit de laborieux exercices de langage, soit les fadaises du New Age . Rien de cela ici, et nous n'irons pas par quatre chemins pour dire ce que nous avons ressenti à la lecture méditative de ces pages magnifiques où se mêle avec bonheur la moelle de l'authenticité du message au miel harmonieux du style et du choix des mots. Cette quête, telle un rayon solaire immanent à la Vérité, rejoint le centre du flamboiement et étincelle par les arabesques qu'elle tisse sur l'être et l'univers.
Questionnement du Sphinx
Précipitez-vous auprès de l'éditeur, car comme bien des recueils de poésie le tirage est limité, et nous ne saurions trop insister sur la belle et nue qualité de ces textes, qui vous feront entrer dans le prochain millénaire, un peu plus serein et avec, chevillé au cœur, la sensation d'avoir franchi comme un pont sur l'invisible. Quatre parties, qui sont comme les balises du travail alchimique, respectivement intitulées, «I, Retournement, II, Mort et rectification, III, Cheminement, et IV, La lumière du cœur », l'ensemble couronné par une ouverture ou un «portique», —à l'image du célèbre questionnement du Sphinx—, et des citations des plus beaux écrits de mystiques, pour entrer en douceur dans la quête spirituelle et au cœur de «ce» labyrinthe.
Comme l'avait écrit Frithjof Schuon dans un hommage au Shaykh Ahmad al-Alawî décédé: «Il arrive parfois, à notre époque où le doute et l'esprit utilitaire s'étendent en une couche uniforme toujours plus envahissante, que nous ayons des contacts avec des mondes dont la vie coule encore, semblables aux lourds fleuves d'Asie, selon des rythmes séculaires» (6). Le poème «L'Anneau d'or » par exemple, nous mets en relation immédiate avec ces mondes dont Schuon nous parle, tout en secouant l'acédie, le relâchement qui sans cesse nous guette, cf., «Naître une deuxième fois», «Recomposer dans l'harmonie», et appeler à notre vigilance autant qu'à notre sens du discernement entre l'Absolu de Dieu et la relativité de notre humaine condition. Or le rythme «séculaire» ou pérenne, est le lieu possible où se déploie la parole, levain de la langue parce que nativité du Réel intégral. Il y a ici une alternance des modes qui métamorphose le «métal» du mental dans l'or de la quête où se transfigure l'être profond.
Devenir un souffle
Pour franchir la porte —entre toute au cœur du labyrinthe— quatrième et qui clôt (momentanément) le livre, une citation en provenance du Mahâbhârata: «Là nul n'était supérieur aux autres, tous avaient même luminosité (...)». Comment acquérir cette luminosité? Dans «Ici et là» l'auteur nous murmure qu'il faut: «Avoir des certitudes qui meurent, Et se renouvellent à chaque instant. Se débarrasser de l'être, Il finit par encombrer. Devenir un souffle».
Il n'est pas assuré, avec le nivellement du mode de vie moderne, que tous comprennent la signification d'une pareille sentence, comme nous l'enjoint le Mahâbhârata, et selon l'expression miroitée et métaphorique de Christophe Levalois. Peut-être pourrait-on se risquer au commentaire suivant: c'est par leur participation originelle à la dimension proprement miraculeuse de l'existence que «les créatures, quelles qu'elles soient, sont rigoureusement égales. L'existence, ou encore, comme dit Frithjof Schuon, la non-inexistance, constitue une différentielle radicale d'avec le néant. De ce point de vue, il n'y a pas de plus ou de moins» (7). Néanmoins, il est de la nature de l'homme de transcender l'œuvre au noir dont il est composé, et c'est ce que confirme le poème «Du visible à l'invisible », qui nous propose «d'Etre un pont», afin que «Rayonne un anneau d'or, (...) soigneusement déposé, (...) [que] l'on ne regarde pas avec l'œil du premier corps» («L'Anneau d'Or»), [mais] «Par les ailes de l'esprit, Où il n'y a finalement plus rien» («Du cœur de l'être»), et où l'on peut, «Rassembler le tout, Et le laisser. Pour un presque rien, Qui est plus que tout» («Rassembler ce qui est épars»).
Bien des sons et des accents de ces poèmes, gorgé de magie polaire, de la tendresse simple et altière des sous-bois, nous ont rappelé le grand écrivain norvégien Tarjei Vesaas et son Palais de glace (8).
Ce petit volume étincelant, s'achève (ou s'ouvre à nouveau?) sur ce splendide extrait d'une des Odes mystiques de cet Éveillé qu'était Djalâl-od-Dîn Rûmî: «Quand tu auras transcendé la condition de l'homme, tu deviendras, sans nul doute, un ange. Alors, tu en auras fini avec la terre; ta demeure sera le ciel. Dépasse même la condition angélique; pénètre dans cet océan, afin que ta goutte d'eau puisse devenir une mer».
Supplément au n°4, de la revue Tradition, ce volume est à commander auprès du Cercle «SOL INVICTUS», c/o, M. Arnaud Guyot-Jeannin, 1 rue du Bois-de-Boulogne, F-92.200 Neuilly-sur-Seine, France. Prix: FF 60.- frais d'envoi en plus.
© Olivier DARD, Genève, décembre 1999.
(1) Voir La Terre de lumière, le Nord et l'origine, Bordeaux, Éditions PCL, 1985.
(2) Entre autre, Symbolisme de la décapitation du roi, Éditions Guy Trédaniel, Paris, 1992; Principes immémoriaux de la royauté, Éditions Le Léopard d'Or, Paris, 1989.
(3) Publiée sous la direction d'Arnaud Guyot-Jeannin, Enquête sur La Tradition aujourd'hui, Éditions Guy Trédaniel, Paris, 1996.
(4) Les temps de confusion: essai sur la fin du monde moderne, Éditions Guy Trédaniel, Paris, 1991. Par ses citations extraites des meilleures sources, ce livre met utilement et avec une bienheureuse efficacité les «pendules à l'heure», dans la perspective ouverte par René Guénon, Julius Evola ou Ananda K. Coomaraswamy, en ce qui concerne toutes sortes de divagations et d'erreurs dans lesquelles sont tombées les sociétés occidentales depuis l'avènement de «l'Age sombre» encore appelé Kali-Yuga par les Hindous.
(5) Le loup, mythes et traditions, Éditions Le Courrier du Livre, Paris, 1997.
(6) ...Rahimahu Allah («Qu'Allah lui soit miséricordieux!») in: revue Les Cahiers du Sud, août-septembre 1935.
(7) Jean Borella, «Logique du Non-Dualisme», page 20, in: Connaissance des religions, Vol. III/n°4, mars 1988.
(8) Traduit du norvégien par Élisabeth Eydoux, introduction et chronologie par Régis Boyer, Editions Garnier-Flammarion, n°423, Paris, 1985.00:49 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
De Machiavel à Clausewitz
L'art de la guerre de Machiavel à Clausewitz
Les Presses Universitaires de Namur ont publié un beau livre de Bruno Colson sur L'art de la guerre de Machiavel à Clausewitz. René Noël écrit dans sa préface: «Somptueuse est la galerie des traités, mémoires militaires, ouvrages de doctrine de cette époque que les collections de la Bibliothèque universitaire Moretus Plantin offrent à visiter. Machiavel l'ouvre avec éclat par le nombre et la qualité des éditions anciennes qui le représentent. Sa pensée tranche: la guerre compte dans les actes de gouvernement. Lui-même n'en a pas fait profession, mais les quinze années qu'il a passées au service de la république de Florence l'ont convaincu de sa nécessité pour qui commande un Etat. Sa lucidité d'acier a fait le reste. Un prince —terme générique et approximatif— veut durer? Il a besoin de clairvoyance et de force: "Etre renard pour connaître les pièges et lion pour effrayer les loups". Parmi les moyens à sa disposition, la guerre, à condition de la réussir et, pour cela, de la conduire "en bonne discipline". Ce qui exige un talent de chef et des qualifications acquises par l'expérience comme dans les hauts métiers —les artes— de Florence. La pratique ne suffit pas. Doit s'y ajouter l'étude des principes et de l'organisation militaires: un "exercice de l'esprit" que seule assure la lecture des anciens. A l'autre bout de la galerie, un Prussien du début du XIXe siècle, Clausewitz, déplace le point de vue. Ses références vont aux stratèges modernes et ses exemples proviennent surtout de l'histoire récente. Si la guerre doit rester "une continuation de la politique", elle se mène avec d'autres moyens, depuis que la Révolution et Napoléon ont armé le peuple et l'ont jeté au combat en mobilisant des passions. Mais comment les "mouvements de pensée" qui devraient régir les conflits pourront-ils fonctionner désormais?» (P. MONTHÉLIE).
Bruno COLSON, L'art de la guerre de Machiavel à Clausewitz, Presses Universitaires de Namur (Rempart de la Vierge 8, B-5000 Namur), 1999, 280 pages abondamment illustrées.
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mercredi, 09 avril 2008
A.Mohler, disciple de Sorel
Dr. Karlheinz WEISSMANN:
Armin Mohler : disciple de Sorel et théoricien de la vie concrète
Le “mythe” ou la “peinture d'une bataille”, naît spontanément et exerce un effet mobilisateur sur les masses, leur insuffle une “foi” et les rend capables d'actes héroïques, fonde une nouvelle éthique: telles sont les pierres angulaires de la pensée de Georges Sorel (1847-1922). Ce théoricien politique, par ses articles et ses livres, publiés avant la première guerre mondiale, a exercé une influence dérangeante tant sur les socialistes que sur les nationalistes. Toutefois, son intérêt pour le mythe et sa foi en une morale ascétique ont toujours été —et restent encore malgré le temps qui passe— des pierres d'achoppement pour la gauche, dont il se revendiquait. On peut encore lire cette réticence dans les ouvrages publiés sur Sorel à la fin des années 60. Tandis que certains courants de la nouvelle gauche se sont revendiqués expressément de Sorel et considéraient que son apologie de l'action directe et ses conceptions anarchisantes réclamant l'avènement de petites communautés de “producteurs libres” étaient des anticipations de leurs propres visions, la majorité des groupes de gauche ne voyait en Sorel qu'une tête folle se réclamant de Marx à mauvais escient et apportant à la gauche dans son ensemble plus de déboires que de bienfaits. Jean-Paul Sartre, évidemment, se comptait ainsi parmi les adversaires de Sorel, leur apportant la caution de sa notoriété et donnant ipso facto du poids à leurs arguments.
Lorsque Armin Mohler, entièrement en dehors des débats agitant les gauches, a affiché son grand intérêt pour l'œuvre de Sorel, ce n'est pas parce qu'il voyait en lui le “prophète des poseurs de bombes” (Ernst Wilhelm Eschmann), ni parce qu'il croyait, comme Sorel l'espérait dans le contexte de son époque, que le prolétariat détenait une force de régénération ni parce qu'il estimait que cette vision messianique du prolétariat avait encore une quelconque activité. Pour Mohler, Sorel était un exemple à méditer dans la lutte contre les effets et les vecteurs de la décadence. Mohler voulait utiliser le “pessimisme puissant” de Sorel contre un “pessimisme faible”, répandu dans les rangs de la bourgeoisie.
Très tôt, Mohler a critiqué la “conception jardinière du conservatisme”. En relisant Sorel, il a compris qu'il est parfaitement absurde de vouloir tout “conserver”, alors que les situations ont partout changé. La droite intellectuelle ne doit pas se contenter de prêcher simplement le bon sens contre les excès d'une certaine gauche, ni de prêcher les Lumières aux partisans de l'idéologie des Lumières; non, elle doit se montrer capable de forger elle-même sa propre idéologie, de comprendre les procès de décadence qui se déploient en son propre sein, et de s'en débarrasser, avant d'ouvrir véritablement la voie à une traduction concrète de ses propres positions.
Une aversion commune contre les excès de l'éthique de la conviction
Quand Mohler croque son premier portrait de Sorel dans les colonnes de la revue Criticón en 1973, il écrit sans ambiguïtés que les conservateurs allemands devraient prendre ce Français hors du commun comme modèle pour organiser la résistance contre la “désorganisation par l'idéalisme”. Mohler partageait l'aversion de Sorel contre les excès de l'éthique de la conviction. On a vu celle-ci exercer ses ravages dans la France des années 1890 à 1910, avec le triomphe des Dreyfusards et l'incompréhension des Radicaux pour les véritables fondements de la Cité et du Bien Commun; on l'a vue aussi à la fin des années 60 dans la République Fédérale, lors de la grande fièvre “émancipatrice”, assortie de la volonté de jeter bas tout continuum historique en criminalisant systématiquement le passé allemand, toutes tares qui ont également touché le “centre” de l'échiquier politique.
Outre ces nécessités du moment, Mohler avait d'autres raisons, plus essentielles, pour redécouvrir Sorel. L'anti-libéralisme et le décisionnisme de Sorel avaient impressionné Mohler, plus encore que l'absence de clarté qu'on reproche à la pensée sorélienne. Mohler pensait au contraire que cette absence de clarté était le reflet exact des choses elles-mêmes, ce qui n'est jamais le cas, finalement, quand on use d'une langue trop descriptive et trop analysante. Surtout “quand il s'agit de saisir des éléments ou des évènements très divergents les uns des autres ou de capter des courants contraires, souterrains et porteurs”. Sorel a formulé pour la première fois une idée qui ne se laisse que très difficilement conceptualiser: les pulsions de l'homme, surtout les plus nobles, ne s'expliquent que difficilement, car les solutions conceptuelles toutes faites et toutes proprettes, que l'on propose généralement, faillissent dans leur application; les modèles explicatifs du monde, qui ont la prétention d'être absolument complets, ne poussent pas les hommes en avant, mais, au contraire, ont un effet paralysant.
Ernst Jünger, disciple allemand de Georges Sorel
Mohler s'est également senti attiré par le style de la pensée de Sorel, par la puissance associative de ses explications. Il était aussi convaincu que ce style était inséparable de la “chose” mentionnée. Il a tenté de définir cette pensée sorélienne avec plus de précision à l'aide de concepts comme la “construction organique” ou le “réalisme héroïque”. Ces deux nouveaux concepts révèlent l'influence d'Ernst Jünger que Mohler compte parmi les “disciples allemands” de Sorel. Chez Sorel, Mohler a retrouvé ce qu'il avait antérieurement découvert chez le Jünger des manifestes nationalistes et de la première version du Cœur aventureux: la détermination à surmonter les pertes endurées et, en même temps, à oser quelque chose de nouveau, à faire confiance à la force de la décision créatrice et de la volonté de donner forme à l'informel, contrairement aux utopies des gauches. Dans un tel état d'esprit, en dépit de l'enthousiasme débordant des acteurs, ceux-ci restent conscients des conditions spatio-temporelles concrètes et opposent à l'informel ce que leur créativité a formé.
L'“affect nominaliste”
Ce qui agissait en filigrane, tant chez Sorel que chez Jünger, Mohler l'a appelé l'“affect nominaliste”, c'est-à-dire l'hostilité à toutes les “généralités”, à tout cet universalisme de quatre sous, qui veut toujours être récompensé pour ses bonnes intentions, l'hostilité à toutes les rhétoriques ampoulées et amphigouriques, qui n'ont plus rien à voir avec la réalité concrète. C'est donc l'“affect nominaliste” qui a éveillé l'intérêt de Mohler pour Sorel. Jamais plus Mohler n'a cessé de se préoccuper des théories et des idées de Sorel.
En 1975, Mohler fait paraître un petit ouvrage bref, considéré comme une “bio-bibliographie” de Sorel, mais contenant aussi un court essai sur le théoricien socialiste français. Mohler a utilisé l'édition d'un fin volume dans une collection privée de la Fondation Siemens, consacré à Sorel et dû à la plume de Julien Freund, pour faire paraître ces trente pages (imprimées de manière si serrée qu'elles sont difficiles à lire!), présentant pour la première fois au public allemand une liste quasi complète des écrits de Sorel et de la littérature secondaire qui lui est consacrée. A cette liste s'ajoutait une esquisse de sa vie et de sa pensée.
Dans ce texte, Mohler a d'abord voulu présenter un synopsis des phases successives de l'évolution intellectuelle et politique de Sorel, pour pouvoir bien mettre en exergue la position idéologique excentrée de cet auteur. Ce texte avait été conçu à l'origine pour devenir une monographie de Sorel, où Mohler aurait mis en forme l'énorme documentation qu'il avait rassemblée et travaillée. Malheureusement, il n'a jamais pu terminer ce travail. Finalement, Mohler s'est décidé à couler le résultat de ses investigations dans un essai assez complet, qui est paru en trois parties dans les colonnes de Criticón en 1997. Les résultats de l'analyse mohlérienne peuvent se résumer en cinq points.
Une nouvelle culture qui n'est ni de droite ni de gauche
◊ Quand on parle de Sorel comme d'un des pères fondateurs de la Révolution conservatrice, on reconnaît son rôle de premier plan dans la genèse de ce mouvement intellectuel, qui, comme son nom l'indique clairement, n'est “ni de droite ni de gauche”, mais tente de forger une “nouvelle culture”, qui prendra la place des idéologèmes usés et galvaudés du 19ième siècle. Par ses origines, ce mouvement révolutionnaire-conservateur est essentiellement intellectuel: il ne peut pas être compris comme rejetant simplement le libéralisme et l'idéologie des Lumières.
◊ En principe, on considère que les fascismes romans ou le national-socialisme allemand ont tenté de réaliser ce concept, mais ces idéologies sont des hérésies, qui omettent de prendre en considération l'un des aspects les plus fondamentaux de la “Révolution conservatrice”: la réticence à l'endroit des idées qui évoquent la bonté naturelle de l'homme ou croient en la “faisabilité” du monde. Cette réticence de la RC est un héritage provenant du vieux fond de la droite classique.
◊ La fonction de Sorel était en première instance une fonction catalytique, mais, dans sa pensée, on retrouve tout ce qui a été travaillé ultérieurement dans les diverses familles de pensée de la RC: le mépris pour la “petite science” et la valorisation extrême des pulsions irrationnelles de l'homme, le scepticisme à l'égard de toute abstraction et l'enthousiasme pour la concrétude, la conscience qu'il n'existe rien d'idyllique, le goût de la décision, la conception que toute vie paisible ne vaut rien et le besoin de “monumentalité”.
Il n'y a pas de “sens” qui existe par lui-même
◊ Dans ce même ordre d'idées, nous trouvons aussi cette conviction que l'existence est dépourvue de sens (sinnlos) ou, mieux: la conviction qu'il est impossible de reconnaître avec certitude le sens de l'existence. De cette conviction découle l'idée qu'on ne fait jamais que “trouver” le sens de l'existence en le forgeant graduellement soi-même, sous la pression des circonstances et des aléas de la vie ou de l'histoire, et qu'on ne le “découvre” pas comme s'il était toujours déjà là, caché derrière l'écran des phénomènes ou des épiphénomènes. Dès lors, le sens n'existe pas par lui-même, car seules quelques rares et fortes personnalités sont capables de le fonder, et seulement à de rares époques charnières de l'histoire. Le “mythe”, lui, constitue toujours le noyau central d'une culture et la compénètre entièrement.
◊ Tout dépend finalement de la conception que Sorel se fait de la décadence —et tous les courants de la droite, aussi différents soient-ils les uns des autres, en ont unanimement conscience— conception qui diffère des modèles habituels, qui sont l'idée d'entropie ou celle de la cyclicité du temps, la doctrine classique de la succession constitutionnelle ou l'affirmation du déclin organique de toute culture. Dans Les illusions du progrès, Sorel affirme: “C'est de la charlatanerie ou de la naïveté de parler d'un déterminisme historique”. La décadence équivaut toujours à la déperdition de la structuration intérieure, à l'abandon de toute volonté de régénération. Sans aucun doute, la présentation de Sorel, que nous a donnée Mohler, a été rendue plus mordante par son esprit critique.
Une théorie de la vie concrète immédiate
Pourtant, des pans entiers de la pensée sorélienne n'ont jamais intéressé Mohler. Notamment les lacunes de la pensée sorélienne, pourtant patents, surtout quand il s'est agi de définir les processus qui auraient dû animer la nouvelle société prolétarienne portée par le “mythe”. Mohler a également omis d'investiguer la plurivocité de bon nombre de concepts utilisés par Sorel. Mais Mohler a découvert chez Sorel des idées qui l'avaient lui-même préoccupé: on ne peut donc pas nier le parallèle entre les deux auteurs. Les affinités intellectuelles existent entre les deux hommes, car Mohler comme Sorel, ont cherché “une théorie de la vie concrète immédiate” (pour reprendre les mots de Carl Schmitt).
Dr. Karlheinz WEISSMANN.
(article tiré de Junge Freiheit, n°15/2000; http://www.jungefreiheit.de ; Le Dr. Weissmann est historien et directeur des études dans un lycée. Le texte ci-dessus est une version abrégée d'une étude qu'il fera paraître ce prochain automne dans le volume d'Armin Mohler, Georges Sorel. Perspektiven, Ed. Antaios, Frankfurt a. M.).
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USA et Afro-Maghrébins de France
NOVOPRESS - C’est un fait nouveau, mais d’autant plus inquiétant pour les européens de souche : les Etats-Unis cherchent à former et à tisser des liens avec les “futurs leaders noirs et arabes “en Europe et particulièrement en France. Cette information a été rapportée par le journal Suisse “L’Hebdo” et mis en ligne sur le site très politiquement correct Bondy Blog. Le gouvernement des Etats-Unis cherche à tisser depuis quelques années des “liens étroits avec les minorités musulmanes en Europe”. (…) Chaque ambassade américaine sur le Vieux Continent compte au moins un collaborateur dévolu à cette mission.“La France, avec un pourcentage de sa population estimée à 10 % de confession qui se déclare musulmane (voire 30 % chez les moins de 15 ans), retient l’attention du département d’Etat de Condoleezza Rice. Le responsable du programme créé en 2005, Dan Fried, directeur des Affaires européennes au Département d’Etat, a profité de la visite de Nicolas Sarközy aux USA en novembre dernier, pour rencontrer une délégation essentiellement composée de maghrébins et de noirs de France à l’ambassade des Etats-Unis à Paris. Parmi les présents, Ali Laïdi, spécialiste du renseignement économique et du terrorisme islamique à l’IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques), Saïd Branine, responsable du site Internet musulman oumma.com, Hervé Mbouguen, également animateur d’un site Web, grioo.com, dédié aux Noirs, Fayçal Douhane, du conseil national du Parti socialiste, en charge des questions de diversité et un membre du BondyBlog. Le but est clair, comme le confie James L. Bullock, ministre conseiller aux Affaires publiques de l’ambassade américaine, “c’est notre intérêt que ça se passe bien ici. Nous voulons aider les Français à trouver une voie paisible pour leurs minorités “. L’ambassade américaine à Paris n’a pas attendu les émeutes de 2005 pour approcher les minorités françaises. Selon le journal suisse l’Hebod,” il y a trois ans et demi, le cap a été mis sur la banlieue, avec l’envie de « comprendre »“. Comme le confirme Laura Berg, attachée culturelle de l’ambassade des Etats-Unis, au journaliste de l’Hebdo, l’ambassade des USA dispose d’un budget annuel pour aider des projets culturels ou sociaux menés dans les banlieues françaises avec la bienveillance du gouvernement français. L’ambassade a ainsi apporté un soutien financier au Festival Blues sur Seine de Mantes-la-Jolie, dans les Yvelines. Laura Berg préfère taire les noms des associations aidées par les Etats-Unis, certaines œuvrant au dialogue judéo-musulman. L’Amérique ne se contente pas d’aller dans les banlieues françaises. Elle invite aussi des acteurs de la diversité à se rendre chez elle. En trois ans, une cinquantaine d’entre eux, conviés par le Département d’Etat, ont eu droit à cette forme de reconnaissance. Cette année, Fayçal Douhane, Amirouche Laïdi, le président du Club Averroes qui milite pour la diversité dans les médias, et Stéphane Pocrain, ex-porte-parole des Verts, s’y sont rendus. Ali Laïdi, frère d’Amirouche, en revient. En avril 2008, Mohamed Hamidi, du Bondy Blog, et Karim Zéribi, homme politique et responsable associatif de Marseille, y effectueront un voyage de trois semaines. De même que Patrick Lozès, le président du CRAN (Conseil représentatif des associations noires), un groupe de pression mis en relation avec son grand frère américain, le NAACP, grâce aux bons soins de l’ambassade US à Paris. Cette ouverture vers les futurs leaders africains de la France, du fait de la substitution de population que connait l’Hexagone, est un condensé de la politique américaine : objectifs économiques, protection de ses intérêts et messianisme religieux. Comme le confiera Laura Berg, attachée culturelle de l’ambassade des Etats-Unis, au journaliste suisse de l’Hebdo : “Nous les juifs, dit-elle en parlant aussi de Dan Fried, avons le devoir, durant notre passage sur terre, de rendre le monde meilleur. Il est absurde de penser que les juifs, qui sont eux-mêmes une minorité, veulent écraser les autres minorités. Je suis mariée à un Tunisien musulman. Je crois qu’il y a de l’altruisme dans le gouvernement américain. Mais cela ne veut pas dire que nous prenions toujours les bonnes décisions. En France, nous voulons promouvoir une vision positive de la diversité.” [cc] Novopress.info, 2006, Dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine [http://lyon.novopress.info/] |
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mardi, 08 avril 2008
Andreas Mölzer: Keine Gegenseitigkeit !
Hier werden Minaretten gebaut, dort Christen verfolgt
Während die hierzulande lebenden Moslems immer lauter den Bau von Minaretten fordern, werden Christen in der islamischen Welt oftmals als Menschen zweiter Klasse behandelt, wie das Beispiel der Türkei zeigt. So ist den Christen, insbesondere den Katholiken, die Abhaltung von Gottesdiensten nur in Privathäusern oder ehemaligen Industrieanlagen möglich, und immer wieder kommt zu Angriffen auf Geistliche. Doch die Europäische Union, die dieses außereuropäische Land offenbar um jeden Preis aufnehmen will, schweigt zu dieser krassen Mißachtung grundlegender Menschenrechte.
Wenn Ankara in der Frage der freien Religionsausübung ein positives Zeichen will, dann ist Ministerpräsident Erdogan gut beraten, der Bitte des Kölner Kardinals Meisner nachzukommen und den Bau einer Kirche in Tarsus, der Geburtsstadt des Apostels Paulus, zu unterstützen. Daß die Türkei die Errichtung von Kirchen – die nicht notwendigerweise einen Turm haben, aber doch nach außen hin als christliche Gotteshäuser erkennbar sein müssen – zuläßt, ist das mindeste, was von diesem Land zu verlangen ist. Schließlich war die heutige Türkei als Teil des Byzantinischen Reiches rund 1500 Jahre lang christlich gewesen und erst die osmanischen Eroberungen verbreiteten den Islam in Kleinasien.
Ein besonderes Problem bei der Errichtung religiöser Bauten ist die fehlende Gegenseitigkeit in Europa und der islamischen Welt. Während dem politisch korrekten Polit-Establishment die Errichtung von Moscheen mit Minaretten nicht schnell genug gehen kann – schließlich müsse die religiöse und kulturelle Vielfalt ja „im öffentlichen Raum sichtbar werden“ – verhält es sich in den islamisch dominierten Ländern genau umgekehrt. Hier wird der Bau von Kirchen strikt unterbunden, und jene Christen, die sich offen zu ihrer Religion bekennen, sind in vielen Fällen ihres Lebens nicht mehr sicher.
Wenn nun Kardinal Schönborn fragt, wo beim Bau von Minaretten das Problem sei, dann ist ihm als Katholik zu antworten: Das Problem ist die falsch verstandene Toleranz mancher Kirchenfürsten gegenüber dem Islam. Im Gegensatz zu Schönborns Aussagen sind die klaren und mutigen Worte des Vorarlberger Bischofs Elmar Fischer begrüßenswert. Wenn dieser Kirchenmann Moscheen mit Minaretten als Provokation und als krasse Gefährdung des sozialen Friedens bezeichnet, dann ist das ein Zeichen von Weitblick, allzumal die Moslems in Österreich bekanntlich keine autochthone Minderheit sind.
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Maroc: paradis artificiel?
Christian MAROT:
Le Maroc : un paradis artificiel ?
Le Maroc dispose de deux “ vaches à lait ”, la drogue et les émigrés, lesquels rapatrient au pays une partie des devises gagnées en Europe. Ce sont ses deux principales ressources.
Chiffres… hallucinants
En ce qui concerne la drogue, les chiffres sont, sans mauvais jeu de mots, hallucinants ! Qu’on en juge : Le Maroc est le premier exportateur mondial de haschisch, le premier fournisseur de cannabis du marché européen. Les surfaces consacrées à la production de cannabis ont été multipliées par 6 en dix ans. Le kilo de haschisch acquis 200 $ au producteur est revendu sur le marché européen 13 000 $, si ce n’est davantage. Sachant qu’un hectare produit 60 kg de haschisch, et que dans le Rif, et principalement dans la vallée de Ketama, au moins 80 000 ha sont dévolus à la culture du cannabis, il est facile de calculer que le rapport total est de l’ordre, au moins, de 62 milliards de dollars ! En fait, c’est très probablement davantage. Plus d’un million de Marocains, au pays ou en Europe, vivent grâce à la drogue ; au pays, ce sont plus de 200 000 personnes qui se partagent près d’un milliard de dollars, ce qui leur procure en moyenne à chacun un revenu annuel de l’ordre de 5 000 $, alors qu’en 1997, le PNB par habitant n’était, en moyenne, que de 1241 $ ! Et il n’est question ici que du seul cannabis. Nous verrons plus loin que le Maroc ne dédaigne pas d’autres substances, comme l’héroïne et la cocaïne. On peut dire que le Maroc est la plaque tournante des trafics de drogues à destination de l’Europe. Près des deux tiers du cannabis, et, globalement, 50%, de la drogue, consommés en Europe ont été produits ou ont transité par le Maroc. Ces chiffres découlent de ceux fournis par les Douanes, en fonction de l’origine des cargaisons de drogue saisies par leurs services.
On pourrait imaginer, compte tenu des problèmes de santé publique causés par la drogue, que les pays européens, réagissent vigoureusement, et exercent sur le Maroc de fortes pressions. En fait, en la matière, la politique européenne à l’égard du Maroc se limite à des aides financières pour promouvoir les cultures de substitution, qui, bien que très importantes en absolu, sont en fait dérisoires par rapport à l’amplitude du marché.
L’Europe contre la drogue ?
Je place ici un point d’interrogation car on peut se poser certaines questions quant à la volonté des pays européens de vraiment lutter contre la drogue. Il n’est question que de dépénaliser, de libéraliser, de tolérer. Seule de tous les pays européens, la France semble se montrer plus ferme, mais nous verrons plus loin que les motifs de cette attitude sont moins honnêtes qu’il n’y paraît ! Aux Pays-Bas, le commerce et la consommation de haschisch sont légalement encadrés, sans que cela n’ait d’effets particulièrement positifs sur le trafic et le cortège de délinquances diverses qu’il entraîne, d’une part, ni sur la toxicomanie, avec les conséquences individuelles et sociales néfastes d’une telle pratique, d’autre part. En Belgique, les directives gouvernementales sont assez floues pour que la possession et la consommation de cannabis demeurent, en pratique, à l’abri de toute répression Cette démission généralisée de nos gouvernements n’est pas acceptable.
En effet, bien qu’il ne soit pas dans le sujet de cet article de détailler tous les inconvénients de la consommation fréquente et, a fortiori, habituelle, de cannabis sous ses différentes formes, il nous semble quand même utile der rappeler les effets dévastateurs des drogues, y compris de celles abusivement dites “ douces ” comme celles provenant du cannabis. On sait en effet que la consommation de ce produit provoque des troubles sexuels, nuit à la fécondité, entraîne la naissance d’enfants d’un poids inférieur à la normale chez les femmes qui s’y adonnent ; par ailleurs, le cannabis fumé est 70 fois plus cancérigène que le tabac, et, globalement, le premier est 40 fois plus nuisible que le second ! Surtout, sa consommation conduit à des détériorations psychologiques (perte de mémoire, difficultés d’attention, apathie, démotivation, etc.) pouvant aller jusqu’à de graves problèmes relationnels et même à la schizophrénie. Lorsqu’en 1986, la navette Columbia explosa, entraînant la mort des six membres de son équipage, l’on s’aperçut que l’accident était dû à un enchaînement d’erreurs humaines dont les responsables étaient une équipe de techniciens, fumeurs habituels de marijuana. D’ailleurs, lors d’expériences effectuées sur des simulateurs de vol, on d’est rendu compte que les sujets ayant préalablement consommé du haschisch commettaient de graves erreurs de pilotage. Enfin, si, fort heureusement, tous les adeptes du cannabis ne finissent pas victimes d’autres drogues dites “ dures ” encore plus dangereuses, il est incontestable que tous les “ accros ” de ces substances fort nuisibles ont commencé par le “ joint ”.
Pour des raisons diverses, de politique internationale, voire électoralistes, dans lesquelles la santé publique apparaît davantage comme prétexte que comme souci premier, les pays européens ont cependant décider de lutter contre la drogue à la source, c’est-à-dire dans les pays producteurs. La culture de plantes dont on peut extraire de la drogue étant une activité très rémunératrice, ils ont mis au point des programmes d’aides financières censées permettre la mise en œuvre de cultures de substitution sans que les agriculteurs ne soient trop lésés.
C’est ainsi que le 8 septembre 1993, la Communauté Européenne a lancé un plan pour l’éradication des cultures de cannabis au Maroc, en application des décisions prises lors de différents sommets, à Rome en 1990, à Lisbonne, en juin 1992, et, six mois plus tard, à Edimbourg. A ce titre, des sommes considérables ont été allouées pour la mise en place de cultures de substitution, soit, par exemple, de 1993 à 1995, 2,5 milliards de dollars. Or, le 30 octobre 1998 force était de constater que, malgré les sommes englouties, le plan avait subi un échec cuisant ; presque aucune culture alternative n’avait été entreprise. Mieux (ou pis !) les surfaces consacrées à la culture du cannabis n’avaient cessé d’augmenter. De 1986 à 2001, au Maroc, ces superficies sont passées de 11 500 hectares à plus de 80 000 et font vivre désormais plus de 200 000 personnes. Et encore ! D’après la Guardia Civil espagnole et la Fiscalia Italiana, ces chiffres pourraient être multipliés par cinq !
Cela n’a pas empêché les Européens de continuer de payer ! 580 millions d’euros en 2002, et il est encore prévu une rallonge de 70 millions d’euros pour atteindre 2004 !
Notons que les Européens sont seuls dans ce combat. En effet, l’administration Clinton avait refusé de faire figurer le Maroc sur la liste noire américaine, et il ne semble pas que sur ce point, l’administration Bush ait envie de changer de politique. Le Maroc, en effet, n’exporte pas de drogue vers les Etats-Unis, et ne gêne donc pas ce pays ; bien au contraire, en déversant sur l’Europe 80% de sa production, il contribue à affaiblir ce continent en corrompant sa jeunesse et en minant sa santé publique !
Je parlais tout à l’heure de la France. Ce pays a des liens économiques très étroits avec le Maroc, et l’on comprend que les gouvernements français, de droite comme de gauche, courtisent ce pays et son roi. Ainsi, la première visite à l’étranger effectuée par Jacques Chirac, fraîchement élu à la présidence de la République française, en 1995, fut pour le Maroc et son roi, Hassan II, lequel, entre parenthèses, fêta l’événement en faisant cadeau à son hôte d’une ferme située dans le Ouled Dzaïm, la région où Giscard d’Estaing, qui a de gros intérêts au Maroc, notamment dans les mines de phosphates, possède un grand domaine, mitoyen de celui du roi… Chirac promit à Hassan de lui faire obtenir une subvention supplémentaire de la part de la Communauté Européenne de 2 milliards de dollars pour, une fois encore, promouvoir les cultures de substitution… De retour à Paris, Chirac s’est lancé dans une diatribe extrêmement violente à l’encontre du “ laxisme ” su gouvernement néerlandais en matière de drogue, et, notamment, du cannabis. De mauvaises langues ont émis l’hypothèse que cette virulente sortie n’avait d’autre but que de complaire au roi, les cultures privées de cannabis qui se multipliaient aux Pays-Bas du fait de la tolérance des Autorités produisant localement un haschisch qui venait concurrencer celui venant du Maroc sur le marché ouest-européen ; il convenait donc d’essayer d’y mettre sinon un terme, du moins un frein...
Le problème du Maroc
En fait, le gouvernement marocain se heurte à un important problème politique. On sait que le Rif est une région traditionnellement insoumise, que les populations y sont rebelles, qu’elles supportent fort mal un pouvoir central “ arabe ” et féodal, alors qu’elles sont profondément enracinées dans leur culture berbère, démocratique et égalitaire, pour laquelle, d’ailleurs, elles revendiquent une plus grande place. Le pouvoir central, qui n’a jamais réussi à éliminer toute contestation de la région, craint, s’il prenait des mesures trop coercitives et trop radicales, de jeter une allumette dans le baril de poudre qu’est le Rif.
Quant aux aides financières européennes, pour importantes qu’elles soient en absolu, elles ne représentent pas plus de 1% des sommes rapportées par la drogue. Cette goutte d’eau dans l’océan nous coûte cher et ne peut qu’être inopérante, compte tenu de son montant ridicule en valeur relative. D’ailleurs, il a été prétendu qu’elles n’allaient pas aux paysans du Rif, mais tombaient directement dans l’escarcelle royale.
De l’autre côté, le Maroc est soumis, du moins apparemment, à la pression internationale, et plus particulièrement à celle des gouvernements européens. A la rigueur, les Autorités marocaines pourraient s’en moquer. Elles savent qu’elles ne courent aucun danger de ce côté-là. Néanmoins, elles ont conscience que la mauvaise réputation de leur pays en la matière nuit à son image dans l’opinion publique hors de ses frontières, ce qui, outre l’atteinte à l’orgueil national qui en résulte, peut avoir des répercussions économiques néfastes (risque de “ boycott ” touristique et économique de la part de certains Européens). D’où des discours tonitruants contre la drogue…suivis d’aucun effet ! Ainsi, après qu’en 1991, le roi Hassan II a “ déclaré la guerre à la drogue ”, la production, loin de diminuer, s’est mise à augmenter !
Comment sauver internationalement la face sans contrarier les populations du Rif ? Les Marocains ont eu une idée simple, mais, à leurs yeux, géniale : il suffit de faire concorder les appétits hégémoniques du Maroc et un fort discours anti-drogue ; ainsi, on flatte l’orgueil national en revendiquant certains territoires, possessions espagnoles, on occupe même l’une d’entre elles militairement (îlot de Persil), et on justifie cette action en prétendant vouloir ainsi mieux contrôler le détroit de Gibraltar pour être en mesure, étant sur place, de lutter plus efficacement, et contre l’émigration clandestine, et contre le trafic de drogue…tout en maintenant le statu quo dans le Rif ! On peut difficilement faire mieux en matière de cynisme !
N’oublions pas enfin qu’en France, et surtout en Belgique, pays où l’immigration marocaine est la plus importante, la “ vente au détail ” est assurée par une armée de dealers, originaires pour la plupart du Rif… Et ainsi, la boucle est bouclée…
En 1964, un accord a été passé entre les gouvernements marocains et belges au sujet de la main d’œuvre immigrée. Le roi du Maroc y a vu une formidable occasion de faire d’une pierre deux coups. D’abord, il pouvait se débarrasser à bon compte d’opposants potentiels et de sujets remuants, en expédiant prioritairement en Belgique des personnes originaires de certaines régions politiquement peu sûres, et, notamment du Rif. Ensuite – mais l’avantage n’est peut-être apparu que plus tard – il pouvait disposer sur place d’un contingent de revendeurs qui, compte tenu de leurs origines, pouvaient assurer un service, en quelque sorte, directement du producteur eu consommateur !
En fait, l’accord de 1964, qui prévoyait de nombreuses et rigoureuses restrictions (un immigré devait avoir un contrat de travail, il devait quitter le sol belge dès l’expiration de ce contrat, il ne pouvait, de plus, ne trouver à s’employer que dans certains domaines (mines, métallurgie, par exemple) et n’y exercer que certaines activités bien précises, etc.) fut très vite, dans les faits, vidé de sa substance. L’instauration du regroupement familial lui donna le coup de grâce. Actuellement, le plus souvent naturalisés belges, ces Marocains (ils conservent cependant leur nationalité d’origine) sont intouchables, et peuvent continuer d’œuvrer en toute impunité au service de leur roi… et alimenter leur pays d’origine en précieuses devises. Nous avons écrit au début de cet article que le Maroc avait deux “ vaches à lait ”, la drogue et l’émigration ; en fait, c’est inexact, le Maroc ne dispose que d’une seule “ vache à lait ”, la drogue, florissante, grâce à l’émigration. On peut penser en effet que la part la plus importantes des devises parvenant au Maroc ne sort pas de la poche des émigrés honnêtes, souvent chômeurs ou n’exerçant que des emplois subalternes, et de surcroît chargés de famille, dont le pouvoir d’épargne est forcément limité, mais provient plus certainement des colossaux bénéfices des trafics illicites, de celui de la drogue, principalement.
Les implications à haut niveau
L’Observatoire géopolitique des drogues (OGD) a établi, pour le compte des instances européennes, un rapport particulièrement explosif, dans lequel des noms étaient cités... que les bureaucrates européens, effrayés, ont aussitôt demandé de censurer !
Aux termes de ce rapport, des personnages très importants seraient impliqués dans ces trafics, jusque dans l’entourage du roi lui-même. Et le roi ? Il est propriétaire de très vastes étendues dans le Rif. C’est l’un des hommes les plus riches du monde. Gageons que dans ce pays, rien ne peut se faire sans, au moins, l’assentiment du roi, et que celui-ci n’a aucune raison de le donner sans contreparties sonnantes et trébuchantes… Nous disons “ le roi ” ; en, ce qui concerne Hassan II, les choses étaient claires ; pour ce qui est de Mohamed VI, nous avouons ne disposer d’aucun renseignements précis, mais nous avons tout lieu de croire que, dans ce domaine, rien n’a profondément changé.
Pour bien comprendre la situation, il faut connaître le système ancestral d’administration et de gouvernement toujours en vigueur au Maroc, le makhzen. Le sens premier de ce mot est “ grenier ”, “ magasin ”, “ entrepôt ”. C’est d’ailleurs de lui que vient le mot français “ magasin ”. Par extension, il a pris le sens de “ gouvernement ”. En effet, le rôle des administrateurs était avant tout de faire la collecte des impôts, souvent payés en nature, donc entreposés dans un “ makhzen ”. Le système conjugue monarchie absolue, d’une certaine manière de droit divin, et féodalité administrative. Les fonctionnaires sont liés au Palais. Ce sont les “ esclaves ” du roi. Par contre, les fonctionnaires ont tous pouvoirs sur leurs administrés, et surtout, leurs contribuables, au nom du roi, qui les nomme selon son bon plaisir, bien que, le plus souvent, le monarque se contente d’entériner le choix déjà fait, sauf à écarter une personnalité qui ne lui conviendrait pas, car les fonctionnaires se cooptent. Le système est donc clos, hermétique. Ainsi s’est constitué une féodalité très solidaire, au service du pouvoir central absolu. Toutefois, le pouvoir makhzénien a toujours connu des difficultés pour s’étendre à tout le pays. Au bilad al makhzen s’opposait le bilad al siba, c’est-à-dire le pays insoumis, voire rebelle, ou, en termes plus clairs, le pays berbère, et, notamment le Rif. Du fait que désormais leur prospérité dépend des possibilités d’écouler leur marchandise, les Rifains sont donc bien obligés de se soumettre au makhzen ; seuls, ils ne le pourraient pas. Comment, en effet, sans ces complicités au plus haut niveau, les filières d’exportation existantes, extrêmement sophistiquées, auraient-elles pu être mises en place et fonctionner ? C’est tout bénéfice politique pour le pouvoir central, qui, de plus, achète sa tranquillité au prix du cannabis !
La “ diversification ”
Depuis quelques temps, une culture, sinon de diversification, du moins de complément, est apparue au Maroc, celle du pavot.
En raison de son infrastructure et de sa proximité de l’Europe, le Maroc n’avait déjà pas attendu pour s’ouvrir aux maffias de l’héroïne et de la cocaïne, avec la bénédiction royale et l’aide su SAC français, organisme para-policier créé à l’origine pour lutter contre l’OAS, et dans lequel se côtoyaient flics et truands, ayant de plus participé à l’enlèvement et à l’assassinat de l’opposant marocain Ben Barka en 1965. On comprend que cet organisme ait pu faire sans difficulté du Maroc sa base arrière. L’un des plus hauts responsables du SAC s’appelait Charles Pasqua, futur ministre de l’Intérieur français. Lors du démantèlement de la French Connection, en 1971, le nom de Pasqua et celui de son (toujours) bras droit, Marchiani, avaient déjà été cités. Les choses seront encore plus claires lorsque l’affaire Bouquenat-Hémard éclatera.
L’affaire Bouquenat-Hémard
Ali Auguste Bouquenat, un juif franco-marocain, madame Hémard et sa fille, sont les trois seuls Français a avoir jamais obtenu le droit d’asile aux Etats-Unis, après avoir vu leur demande appuyée par le Département d’Etat, tant l’affaire semblait “ sensible ”. Madame Hémard était l’épouse de l’ancien propriétaire de Pernod, devenu un gros actionnaire de Ricard après la fusion de son entreprise avec celui-ci. Or, Pernod-Ricard servait de couverture pour des trafics de drogue au départ du Maroc. C’est ce que révèle madame Hémard dans sa demande d’asile aux Etats-Unis. Elle ajoute que, dès 1962, la famille de son mari avait contribué à la mise en place de laboratoires de transformation de la cocaïne au Maroc, et les choses n’avaient par la suite fait que croître et embellir. Or, jusqu’à son élection au Sénat en 1970, Pasqua, qui a fait toute sa carrière “ civile ” chez Ricard, s’occupait des exportations de cette marque au Maroc. Madame Hémard avait commis l’erreur de dénoncer ces faits et Bouquenat de se faire l’écho des propos de celle-ci, au moment, particulièrement mal choisi où le ministre français de l’Intérieur s’appelait Pasqua… Les menaces qu’ils reçurent leur semblèrent assez crédibles pour qu’ils craignissent pour leur vie et se réfugiassent aux Etats-Unis, avec la suite que l’on sait..
Conclusion
Le Maroc est donc bien la plaque tournante de la drogue qui infeste l’Europe, avec la complicité de la famille royale marocaine, de certains hommes politiques marocains et européens, ainsi que de l’armée de dealers, souvent originaires du Rif, qui quadrillent nos villes.
Christian MAROT.
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lundi, 07 avril 2008
Les critiques de Bassam Tibi
L'Europe sans identité
La critique de la société multiculturelle par le politologue germano-syrien Bassam Tibi
Nous avions déjà eu l'occasion de souligner l'excellence des écrits du Prof. Bassam Tibi, sur les affres de la société muticulturelle. A l'occasion de la parution d'une traduction néerlandaise de l'un de ses derniers livres, consacré à la crise de la société multiculturelle, nous soumettons au jugement critique de nos lecteurs cette recension du journaliste flamand Ludo Leen, qui situe parfaitement la personnalité de Bassam Tibi et la thématique de ses ouvrages.
«Dans une société multiculturelle, il n'existe plus de valeurs liantes, propres d'une culture-modèle; il n'y a plus que des hommes qui vivent les uns à côté des autres, dans des groupes réduits à eux-mêmes, dans des espaces réduits, ce qui revient, en fait, à juxtaposer les ghettos ethniques. Une telle Europe ne serait dès lors plus qu'une simple zone habitée, neutralisée sur le plan axiologique, sans identité propre» (Bassam Tibi).
Douter des dogmes imposés par l'église de la multiculturalité n'est pas une démarche de l'esprit exempte de tout danger. Aux Pays-Bas, on a diabolisé Pim Fortuyn pour cela, avant de s'en débarrasser de manière professionnelle. Quant au Vlaams Blok, pour le même motif, on le traîne devant les tribunaux pour délit d'opinion. Toute résistance à l'idéologie multiculturaliste est considérée comme "anti-démocratique" ou comme "raciste", et automatiquement mis en équation avec un appel à l'épuration ethnique ou avec un plaidoyer en faveur d'une Flandre monoculturelle, répondant aux canons de la pure "aryanité", peuplée uniquement de grands Germains blonds aux yeux clairs… Cette escroquerie intellectuelle, cette malveillance caricaturale, ont rendu impossible jusqu'ici tout débat rationnel sur la société multiculturelle. Or c'est justement un débat social ouvert que les tenants du beau monde onirique de la multiculture ne tiennent pas à amorcer.
L'intégration est un échec…
Jusqu'ici, Bassam Tibi a été un illustre inconnu sous nos cieux, alors qu'en Allemagne il s'est taillé une solide réputation grâce à ses articles provocateurs et bien ciselés sur l'islam et l'intégration. Bassam Tibi est un client particulièrement difficile à cerner pour les faiseurs d'opinion, adeptes de la "political correctness", surtout parce qu'il sait de quoi il parle. Son argumentation ne peut être balayée comme de "simples propos racistes de bistrot". Le Prof. Tibi est musulman, il est originaire de Syrie et naturalisé allemand. Ses racines se situent à Damas. Dans son livre intitulé "Europa zonder identiteit - De crisis van de multiculturele samenleving" (= "L'Europe sans identité - La crise de la société multiculturelle"), ce politologue germano-syrien donne un formidable coup de pied dans la fourmilière. L'intégration est un échec, dit Tibi. Immédiatement après la seconde guerre mondiale, seulement un million de musulmans vivaient en Europe. En 1998, il y en avait plus de 15 millions. Ce groupe au sein de la population globale va doubler voire tripler au cours de la première décennie du nouveau millénaire: nous ferons face à une poudrière, ajoute-t-il. L'Europe évitera-t-elle un scénario cauchemardesque à la bosniaque? Cela dépend de notre capacité à intégrer les musulmans ou non. Quoi qu'il en soit, les pronostics n'augurent rien de bon. «La société multiculturelle est loin d'être idyllique et les illusions multiculturalistes s'évanouissent comme des bulles de savon, dès qu'un problème réel se pose».
Du relativisme culturel
Bassam Tibi critique sévèrement le "relativisme culturel" qui domine la scène intellectuelle aujourd'hui en Europe, car elle repose sur un aveuglement: celui de croire à l'égalité des hommes et des cultures. L'Europe contemporaine fait comme si ses valeurs démocratiques ne se trouvaient pas loin au-dessus des idées "pré-modernes" des cultures autoritaires. «En se niant elle-même l'Europe en arrive à se haïr elle-même; ce qui doit susciter de la pitié, mais qui conduit aussi les autres à la considérer avec mépris et à se détourner d'elle», écrit Tibi, qui considère que les tenants de la multiculturalité constituent une "dangereuse combinaison de stupidité et d'ignorance délibérée" et font montre d'un haut degré d'intolérance! Tibi ne cesse, tout au long de ses ouvrages, de critiquer très sévèrement l'idée de tolérance occidentale, qui est une tolérance mal comprise, et qui conduit à accepter le voile islamique; celui-ci n'est rien d'autre que le symbole publicitaire d'un islam en marche en nos murs; pire, l'Europe accepte que des fondamentalistes algériens, qui ont assassiné des milliers de femmes et d'enfants, reçoivent purement et simplement l'asile politique en Occident, où ils peuvent continuer tranquillement à faire du prosélytisme. Tibi crache tout son mépris à l'endroit de la dictature intellectuelle qu'exerce en Europe la "political correctness", avec "son utilisation inflationniste de concepts dénaturés, hissés au rang de slogans creux, tels 'l'extrême-droite', le 'racisme' et la 'xénophobie' ". Il s'insurge enfin contre les interdits qu'érigent les intellectuels de gauche, qui font l'opinion. Ce sont eux qui sont les inventeurs du multiculturalisme.
Une idéologie de gauche…
Bassam Tibi exprime clairement son rejet des marxistes actuels, avec lesquels il se trouvait sur les barricades en mai 68: «Ces idéologues des années 60, qui rêvent tout haut, qui demeurent étrangers au monde, ont troqué leurs slogans utopiques, répétés à satiété, qui nous parlaient d'une société sans classe contre une vision multiculturelle de la société. C'est comme cela qu'ils règlent leurs comptes avec les valeurs occidentales. Leur révolution, qu'ils ont tant attendue, et qui devait se diriger contre un système haï, est restée lettre morte, tant ici que dans le tiers monde. Aujourd'hui, nous, les étrangers et les immigrés, devrions devenir leurs complices, pour que soient enfin réalisés leurs rêves éthérés et pour que le système, qu'ils abominent, soit ébranlé jusqu'en ses tréfonds». On comprendra que Bassam Tibi n'est guère apprécié aujourd'hui par ses anciens compagnons de combat…
Une culture directrice
Bassam Tibi présente à l'Europe un miroir et ce qu'il lui fait voir ainsi ne correspond pas à l'image idyllique que véhiculent les médias. Tibi plaide en faveur d'un "euro-islam", qui accepte et respecte l'identité européenne et partage les valeurs et les normes occidentales. Il estime que la culture européenne, dans ce processus, doit demeurer la culture directrice, la culture-guide, la culture sur laquelle on s'orientera. Tibi plaide pour un dialogue sans tabous. Mais pour en arriver là, il faut du courage politique et il faut "abandonner la censure qu'exercent la political correctness et le moralisme trivial et vulgaire, qui en découle, afin de pouvoir résoudre les véritables problèmes. Cela signifie surtout qu'il faut appeler un chat un chat". Et Tibi s'y emploie avec une verve incontestable. Selon lui: «L'intégration n'est possible que si nous enterrons définitivement l'idéologie multiculturaliste». Cette philippique contre le faux idéal d'une société multiculturelle et ce vibrant plaidoyer pour l'identité européenne nous viennent d'un "allochtone": ce qui en dit long, nous force à agiter nos méninges mais indique aussi, espérons-le, que le vent est vraiment en train de tourner… Les droites nationales et populistes trouveront à coup sûr dans l'œuvre de Bassam Tibi une mine d'arguments; l'auteur est indubitablement un allié féal de ces droites populistes dans leur combat pour la spécificité européenne, pour ses valeurs et ses normes. Nous demandons à tous nos lecteurs de lire attentivement l'œuvre de ce courageux politologue allemand de souche syrienne!
Ludo LEEN.
(ex : Vlaams Blok Magazine, n°11/novembre 2002; références du livre de Bassam Tibi traduit en néerlandais: TIBI, Bassam, Europa zonder identiteit. De crisis van de multiculturele samenleving, Deltas, 2002, 287 pages, ISBN 90-243753-8X).
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F. Ranson: communication / Congres Euro-Rus (15 maart 2008)
Communicatie van Frederic Ranson op het Congres van Euro-Rus (15 maart 2008)
Geachte aanwezigen,
Als wij hier vanmiddag bijeenzijn, dan is dat omdat wij het belang beseffen van Europees-Russische broederschap. Want alleen broederschap – en precies die broederschap – is in staat om toekomstige broederoorlogen voorkomen en de noodlottige gevolgen van de voorbije oorlogen uitwissen. We zijn hier echter niet bijeen om “Europa's nederlaag” (of nederlagen) te herdenken, te betreuren of te beklagen, want meer dan zestig jaar Amerikaanse bezetting van Europa mag geen reden zijn om de wonden te likken of de slagen te tellen.
Het onderwerp van deze uiteenzetting luidt dus: het eurazisme. Dat is – kort en bondig gezegd – het wezen van élke Russische geopolitiek. Rusland is door zijn geografische werkelijkheid immers een Euraziatisch land. Elk politiek regime – tsaristisch, communistisch, democratisch – is vanuit een zeker pragmatisme en realisme gedwongen met die werkelijkheid rekening te houden. Er zijn verschillende interpretaties van het eurazisme, maar in het licht van deze uiteenzetting zijn vooral het ideologische eurazisme van Alexander Doegin en het pragmatische eurazisme van Vladimir Poetin van belang. Het eurazisme is oorspronkelijk ontstaan in de jaren ’20 in kringen van Russische bannelingen. In de loop van de jaren ’30 is de ideologie echter van het politieke toneel verdwenen voor een lange tijd. Sinds de jaren ’90 is ze in een geactualiseerde vorm terug van weggeweest.
Het ideologische eurazisme is interessant voor ons, omdat het beweert een “wetenschappelijk patriottisme” te zijn. Het bouwt vooral voort op inzichten uit de Duitse en de Angelsaksische geopolitiek, want een eigen Russische geopolitiek heeft nooit echt bestaan. Geopolitiek werd in de USSR afgedaan als een “valse, imperialistische pseudo-wetenschap”. Het eurazisme vult de inzichten uit de Realistische geopolitiek aan met die uit de Traditionalistische cultuurkritiek. De dynamiek van landmachten en zeemachten wordt hierbij in een radicale zin toegepast op beschavingen. Alexander Doegin schrijft zelfs: “Alleen beschavingen van het land kunnen stabiele waardestelsels voortbrengen”. Het eurazisme ziet beschavingen als de uitkomst van een wisselwerking tussen bevolking en ruimte. De frontlijn van de “beschavingenoorlog” loopt volgens het eurazisme tussen oosterse en westerse beschavingen. Het Oosten heeft Rusland als kernland en geldt als de bakermat van de Traditie. Het Westen heeft de Verenigde Staten als kernland en geldt als de bakermat van de Moderniteit. Pal op de frontlijn ligt dus Europa. René Guénon schrijft echter: “Het is essentieel te benadrukken dat de tegenstelling van het Oosten en het Westen geen enkele bestaansreden had, toen er ook in het Westen nog traditionele beschavingen waren. Ze heeft slechts zin als het in het bijzonder gaat om het moderne Westen, want die tegenstelling is veel meer die van twee geesten dan die van twee meer of minder scherp gedefinieerde geografische entiteiten”. Het eurazisme ziet de moderne geopolitiek tot slot als de voortzetting van de traditionele “sacrale geografie”. Die laatste is de geïnduceerde kosmisch-religieuze symboliek volgens welke traditionele volkeren hun geografische ruimte zouden inrichten. De grondgedachte is dus dat ruimte – net zoals tijd – een kwalitatief en geen louter kwantitatief karakter heeft. Die gedachte vormt precies het uitgangspunt van de moderne geopolitiek.
De concrete invulling van Eurazië of Groot Europa gaat van een Euraziatische optie (Europa en Rusland, inclusief het GOS) tot een Eurosiberische optie (Europa en Rusland, exclusief het GOS). De eerste benadrukt vooral de factor ruimte (geopolitiek) en de tweede vooral de factor bevolking (biopolitiek). Pleiten voor een “Eurosiberië” (Guillaume Faye) en vooral voor een “Europa van Gibraltar tot aan de Oeral” (Charles de Gaulle) is eigenlijk pleiten voor een geopolitiek verminkt Rusland. Jean Thiriart schrijft: “Een Europa ‘tot aan de Oeral’ zou het verlies betekenen van de Russische gebieden gelegen ten oosten van de Oeral en de aanwezigheid van een supermacht, China, op een voetstap van Moskou! Als men stelt dat de roeping van Rusland Europees is, kan men geen voor de helft geamputeerd Rusland aanvaarden”. Het zou ook een ongelooflijke dwaasheid zijn om op grond van oude nationalistische vetes Turks-islamitische en Slavische-orthodoxe volkeren tegen elkaar op te zetten in Centraal Azië. Temeer daar het neoconservatieve Project for the New American Century (PNAC) pleit voor de vorming van pro-Amerikaanse en (pro-Israëlische) bruggenhoofden, zowel in het Midden-Oosten als in Centraal Azië. Die bruggenhoofden dienen volgens het PNAC – letterlijk – om alle “mogelijke rivalen of levensvatbare alternatieven voor Amerika’s visie op de vrijemarkteconomie” uit te schakelen.
Onder Vladimir Poetins bewind is het pragmatische eurazisme geleidelijk de staatsdoctrine geworden. Doegin schrijft: “Dikwijls lijkt onze maatschappij van buiten gezien hecht, hoewel de elites eigenlijk wanordelijk en afzonderlijk handelen. In de Verenigde Staten lijkt de maatschappij echter van buiten gebarsten, maar de elites handelen saamhorig en zorgvuldig. In het algemeen bezit de ware Amerikaanse elite – de WASP of zelfs de nieuwe types van de Afro-Amerikaanse elite (Condoleezza Rice) – talrijke kenmerken van een taai totalitarisme”. Europa mist – in tegenstelling tot Poetins Rusland – nog steeds “imperiale wil”, zoals Marcello de Angelis schrijft. Die laatste stelt terecht dat het Europese lichaam wordt gestuurd door Amerikaanse hersenen. Na de Koude Oorlog bedacht oud-minister James Baker dan ook de Amerikaanse strategie dat de transatlantische betrekkingen gelijke tred moesten houden met de Europese eenmaking. Kortom, het Europese lichaam heeft veel weg van een kadaver of een zombie. Julius Evola schrijft: “Zolang er een schim blijft en zolang in het bloed nog een echo weerklinkt van de handeling van het hogere element, blijft het gebouw overeind. Het lichaam lijkt nog een ziel te hebben. Het kadaver – volgens de beeldspraak van Gobineau – loopt nog en kan nog neerslaan wie het op zijn weg ontmoet. Als het laatste spoor van hogere kracht en geestesras in de afstammelingen uitgeput is, is er niets meer. Geen enkele bedding kanaliseert de stroom, die zich in alle richtingen verspreidt”. De beeldspraak met betrekking tot Europa was te mooi om u te onthouden.
De oorlogen in de onderbuik van Eurazië (Balkan, Kaukasus, Mesopotamië) dienen – zoals onder meer het PNAC beweert – de mogelijke totstandkoming van een Groot-Europese of Euraziatische geopolitieke identiteit te verhinderen. Zij dienen natuurlijk de Amerikaanse en Israëlische “nationale” belangen, maar belangrijker nog: ook die van de Nieuwe Wereldorde (NWO). Dat wil zeggen: de wereldorde die de stichters van de Verenigde Naties (en voordien: de Volkenbond) voor ogen hadden, maar die door het intermezzo van de Koude Oorlog (en voordien: de Tweede Wereldoorlog) nooit kon worden verwezenlijkt. Sinds de val van de USSR is dat wel mogelijk. De uitkomst van de Koude Oorlog – einde van de bipolaire wereldorde en strijd om een unipolaire of een multipolaire wereldorde – toont aan dat het messianisme, het internationalisme en het imperialisme dat van het kapitalistische Westen uitgaat véél gevaarlijker is dan dat van het communistische Oosten ooit is geweest. Het is niet voor niets dat heel wat Joods-Amerikaanse trotskisten zich in de jaren ’70 bekeerden tot het neoconservatisme. Ze zagen dat het communisme als “emanciperende kracht” was ingehaald door het amerikanisme en verweten de USSR haar steun aan de Arabische nationalistische regimes. De échte vlag van de “permanente revolutie” is de Amerikaanse Stars en Stripes gekoppeld aan de Israëlische Davidsster. Elke keer als die revolutie een land verovert, voegt ze een ster aan haar vlag toe. Voorlopig staat de teller op vijftig. De neocons worden dikwijls “gelaarsde Wilsonianen” genoemd, omdat ze de NWO unilateraal of unipolair interpreteren. Ze vinden dus dat de actieradius van het “democratische” Amerika en het “democratische” Israël onbeperkt moet zijn om de NWO te kunnen handhaven.
De voorstelling van het “rode gevaar” (het communisme) blijkt achteraf gezien schromelijk overdreven. Even overdreven is nu de voorstelling van het “groene gevaar” (het islamisme). Beide waanvoorstellingen dienen alleen om de transatlantische betrekkingen te verstevigen. De VSA hebben geen vijanden meer. Doegin schrijft: “De ‘vijand’ is fictief. Het ware doel is een manipuleerbare structuur te scheppen”. Het spel van de huidige unipolaire (nieuwe) wereldorde – de VSA als (militaire) supermacht – is niet met de ene tegen de andere, maar het is de manipuleerbare structuur zelf. Het is die structuur die het heartland en de rimlands van Eurazië tegen elkaar uitspeelt, zoals onder meer tot uiting komt in de bevroren conflicten en de gekleurde revoluties. De VSA scheppen stelselmatig denkbeeldige vijanden, dringen die door een angst- en veiligheidspsychose aan de wereld op en lokken oorlogen uit. Ze hebben wat dat betreft een historische palmares om u tegen te zeggen. Die manipuleerbare structuur doet enigszins denken aan films als The Matrix, V for Vendetta en Wag the Dog. De enige mogelijke vijanden van de VSA zijn politieke regimes die groot en sterk genoeg zijn om hun wereldorde in vraag te stellen. Wat als Rusland, het heartland van Eurazië, groot en sterk genoeg zou zijn om dat te doen?
We zijn bijna gekomen tot de harde kern van de Amerikaanse wereldorde en het Amerikaanse “nationale” belang. Dat wil zeggen: de optelsom van de verschillende financieel-economische belangen. De VSA willen koste wat het kost de heerschappij van het “Dollar Wall Street Regime” (DWSR) handhaven. Met de dollar als belangrijkste internationale reservemunt kunnen de VSA ongestraft reusachtige tekorten (schulden) opstapelen en de rest van de wereld ervoor laten betalen. De rest van de wereld leggen ze een strenge financiële discipline op door middel van het Internationale Muntfonds en de Wereldbank. Rik Coolsaet schrijft: “De NAVO-aanval op Servië en de invasie van Irak hadden vele doelstellingen, maar één van de belangrijkste volgens [Peter] Gowan was het zaaien van strategische verdeeldheid in Europa en het zoeken naar nieuwe Europese bondgenoten, zoals Polen, Roemenië en Bulgarije om een eventuele Europees-Russische as geopolitiek af te snijden. De Verenigde Staten zijn voorlopig geslaagd in hun opzet Europa en Oost-Azië ondergeschikt te maken aan hun imperium”.
Een kleine uitweiding over het reilen en zeilen van de financieel-economische wereldorde is dus op zijn plaats. Zij is eigenlijk niets anders is dan een 300 jaar oud Ponzi-schema. Dat is te vergelijken met een piramidespel waarbij vroegere inleggers worden betaald met het geld van latere inleggers, tot er geen geld van nieuwe inleggers meer kan worden gevonden en de laatste inlegger het gelag betaalt. Er moet dus voortdurend nieuw geld in de economie worden gepompt en dat geld wordt gecreëerd door leningen van commerciële banken. Die leningen voorzien wel in het kapitaal, maar niet in de interesten die noodzakelijk zijn om hen te betalen. Aangezien centrale en commerciële banken de enige bron van nieuw geld zijn, moeten ze voortdurend nieuwe leners vinden. Nieuwe bronnen van schuld – economische zeepbellen – moeten worden aangewakkerd om nieuwe investeerders te lokken. De leenvoorwaarden worden daarom stelselmatig verlaagd. De zeepbellen spatten – zoals elk Ponzi-schema – uiteen, van zodra er een gebrek is aan investeerders. Het bankwezen is dus één grote fraude. Het kan immers dankzij “fractionele reserves” aan de lopende band onbestaand krediet verlenen. Zeepbellen of conjunctuurschommelingen worden ons echter voorgesteld alsof ze als weersschommelingen zouden zijn, terwijl ze het gevolg zijn van het lenen met fractionele reserve. De groei van de reële economie en de (onevenredige) toename van de geldhoeveelheid (inflatie) zijn noodzakelijk om de interesten te betalen en dus een schuldeneconomie overeind te houden. De laatste zeepbel die is uiteengespat, is natuurlijk de Amerikaanse vastgoedmarkt. Met de gekende gevolgen van dien (dreigende recessie en stagflatie). Veel imperialismetheoretici zien in het financiële kapitalisme de oorzaak van het geopolitieke imperialisme.
Gabriele Adinolfi schrijft: “Eens de rekeningen met onszelf vereffend zijn – in ons geweten – moeten we de tweede vijand identificeren, de vijand van allen: de internationale van de misdadigers, de multinationale maffia die de overwinning heeft behaald tijdens de Tweede Wereldoorlog en over de planeet regeert door de rationalisering van de drugstrafiek en de stelselmatige plundering van de grondstoffen, terwijl ze hongersnood, volkenmoord, wanhoop, migraties en onrecht exporteert op alle niveaus. Die maffia is sterk door drie onscheidbare elementen: de Amerikaanse militaire supermacht, de hypnotische campagnes van de planetaire medianetwerken, de lafheid van de politieke en intellectuele klassen. Die laatste hebben nooit een innerlijke revolutie uitgevoerd en zijn dus noch fier noch vrij”. De wereldeconomie staat of valt met internationale geldstromen. Adinolfi voegt aan de witte geldstromen van het bankwezen nog eens de zwarte geldstromen van de georganiseerde misdaad toe. Beide zijn de levensaders van de financieel-economische wereldorde. Zij voeden het financiële kapitalisme en het dollar-imperialisme, de instrumenten waarmee Europa en de Derde Wereld worden gewurgd. Om periodieke recessies van de Amerikaanse economie – de melkkoe van bankiers en speculanten – te voorkomen, voeren de VSA periodiek oorlog. Het financiële kapitaal vindt hierbij dikwijls een bondgenoot in het militair-industriële kapitaal. Kortom, woekeraars en wapenhandelaars slaan de handen in elkaar. Als we het “populaire” antikapitalisme en dito anti-imperialisme van hun holle frasen willen ontdoen, dan moeten we eerst en vooral weten welk kapitalisme en welk imperialisme we bestrijden. Anders spuien we dezelfde onzin als de zelfverklaarde No-Globals of New-Globals, die het Amerikaanse imperialisme in Europa een “bevrijding” en in Irak een “bezetting” noemen…
Het is de hoogste tijd dat we als Europese nationalisten de daad bij het woord te voegen. Ruim zestig jaar Amerikaans imperialisme in Europa met militaire bezetting, culturele vervreemding, financiële uitbuiting en morele verwildering van ons continent tot gevolg: het is genoeg geweest! We moeten het verzet organiseren – sociaal, nationaal, continentaal – en mogen geen kostbare tijd meer verliezen in achterhoedegevechten. Adinolfi schrijft: “Hoe dus die revolutionaire elite vormen? In feite vóór alles door op haar in te werken. Dat alles niet met zelfbevrediging tot doel, maar gericht op een antropologische mutatie. Die laatste laat toe om de achterhoede te verlaten […] om over te gaan tot de voorhoede van een revolutionair proces, zoals de macht Europa of de macht Eurazië. Een dergelijke macht zal niet kunnen worden uitgedacht – en nog minder verwezenlijkt – zonder de deelname van mensen en elites van diverse herkomst, zoals het geval is in elke revolutie. Want de breuklijn tussen links en rechts is vals. Zij bestaat slechts in de stilstand, de stagnatie”. Doegin ziet dan weer de “absolute revolutionair” – die links en rechts overstijgt – als “ascetisch, Spartaans, bijna bovenmenselijk. Dat ideaal van de beroepsmatige revolutionair – volledig gewijd aan zijn zaak – zal later worden hernomen door Sorel, Niekisch, Che Guevara en Thiriart”.
Tot besluit: de vrijheid van de Europese volkeren hangt af van die van de gehele Europese ruimte, zoals de vrijheid van de delen steeds afhangt van die van het geheel. Het zijn de kuiperijen van de VSA die de Europese volkeren en de Europese ruimte verdeeld houden en waarop veel nationalisten geen antwoord hebben. Ze verliezen zich liever in oude vetes met broedervolkeren en zijn zelden in staat om hun “tweedimensionale” wereldbeeld – de manipuleerbare structuur – te verlaten. Ze leven in Flatland en hebben geen besef van een Europese (derde) dimensie, laat staan van een Euraziatische. Het is dus onze taak om daartegenover een “driedimensionaal” wereldbeeld te plaatsen met een verticale as, die de achterhaalde tegenstellingen moet overstijgen. Groot Europa (Eurazië) moet een “imperiale wil” ontwikkelen om de uitdagingen van het derde millennium aan te kunnen. We moeten – zoals Francesco Mancinelli zegt – het volgende drieluik bewerkstelligen: “1) het Euraziatische vaderland en de idee van een Derde Rome; 2) de filosofische en culturele strijd tegen het globalistische monotheïsme en tegen de globalisering; 3) de ontvoogding en vervolgens de bevrijding vanonder het juk van het westerse Anglo-protestants-Amerikaans-kapitalistische blok”. Het leidmotief dat onze beschaving uit het slop kan halen, is de revolutie van het Eeuwige Rome en het Eeuwige Rijk. Van het Vestaalse vuur kunnen we nu nog een zwak schijnsel zien in Moskou. Maar dat zal moeten volstaan om weldra Parijs, Berlijn en alle andere Europese hoofdsteden aan te steken! Ik dank u voor uw aandacht. Carthago delenda est!
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dimanche, 06 avril 2008
Comment fonctionne la pensée racialisante en Chine?
Moestasjrik/’t Pallieterke :
Comment fonctionne la pensée racialisante en Chine
La pensée chinoise pré-moderne, quand elle aborde la question des peuples étrangers, oscille entre deux pôles : elle se présente parfois comme un ethno-racisme, la plupart du temps comme un « universalisme de civilisation ». Cet « universalisme de civilisation » est l’idéal du confucianisme : la civilisation du milieu intègre graduellement toutes les tribus de la périphérie, soit les barbares des « si yi », ou des « quatre directions (du vent) ». Cette approche des barbares s’appelait « yong xia bian yi », soit « utiliser les mœurs chinoises pour transformer les barbares ». Les minorités intérieures « hanhua », deviennent chinoises, tandis que les étrangers « laihua », vont et viennent.
Les étrangers, hors milieu, dans une telle vision, n’ont pas d’identité digne d’être mentionnée, sauf qu’ils ne sont pas chinois ou ne sont qu’au début du processus qui fera à terme d’eux des Chinois. Si tout se déroule correctement, l’ensemble de l’humanité finira par participer à la civilisation (chinoise). L’harmonie universelle sera alors un fait acquis, et chacun sera heureux. Je vous le dis directement : je trouve que ce scénario est lumineux. Mutatis mutandis, nous pourrions nous-mêmes reprendre cette approche pour résoudre la problématique de nos propres relations difficiles avec les peuples qui sont nos voisins et que nous jugeons moins civilisés, de même qu’avec nos immigrés. L’Empire romain a du reste mené une politique similaire à l’endroit des Germains, Sarmates et autres peuples cavaliers turbulents.
Le grand exemple historique d’une intégration réussie des barbares au sein de la civilisation chinoise est celui de la dynastie Zhou (du 12ième au 3ième siècle av. J. C.). Pendant le deuxième millénaire avant J. C., cette dynastie relevait d’une tribu barbare errant le long de la frontière occidentale de l’Empire chinois qui s’est progressivement sinisée en servant l’Empereur Shang ; cette tribu montait la garde sur les marges de l’Empire face aux « vrais barbares ». Dans le langage de l’Europe féodale, nous dirions que le chef Zhou était un « markgraaf », un « comte des marches ». Lorsque les Shang entrèrent en décadence, les Zhou commirent un coup d’Etat, péripétie de l’histoire chinoise qui forme l’arrière-plan du livre des oracles bien connu, le Yijing (ou « I Tjing »), ou « Livre des Transformations ». Les débuts du régime des Zhou seront considérés plus tard par le confucianisme féodal et conservateur comme l’idéal d’une société ordonnée et équilibrée.
Cependant, tous les peuples barbares ne se laissèrent pas aussi aisément domestiquer. Certains d’entre eux restèrent menaçants, pendant des siècles, le long des frontières, comme les Huns contre qui la Grand Muraille de Chine fut construite. D’autres réussirent même à occuper certaines parties de l’Empire. Deux d’entre eux purent même soumettre la Chine toute entière : les Mongols, qui formèrent par après la dynastie Yuan (1277-1367) et les Mandchous qui donnèrent la dynastie Qing (1644-1911). Ces deux peuples menèrent, en tant que castes dominantes, une sorte de politique d’apartheid à l’encontre des Chinois. Sous la République populaire, ils furent rapidement sinisés, une promotion que l’on réservait également aux Tibétains. Quand un long combat opposait la Chine à des peuples étrangers ou quand elle était occupée par ces derniers, une sorte de conscience raciale émergeait. Dans la pensée racialisante qui en découlait, on se mit rapidement à faire le lien entre l’aspect (physique) de l’étranger et son manque de culture chinoise : « S’il n’est pas de notre race, alors son cœur et son esprit sont autres », dit une chronique féodale du 4ième siècle avant J.C.
Caractéristiques et couleurs
Les barbares vivant dans la sphère d’influence chinoise sont désignés par leur propre nom ethnique, ou désignés collectivement par l’expression de « barbares cuits » ; les barbares de l’extérieur sont, eux, les « barbares crus », ou, plus habituellement, les « diables » ou les « bêtes ». Dans les idéogrammes chinois, on ajoutait à la graphie de leur nom le signe signifiant « reptile » pour désigner les barbares du sud, ou les signes signifiant « chèvre » ou « chien » pour les barbares du nord. Les Japonais et leurs collaborateurs chinois, pendant la seconde guerre mondiale, firent de même avec les caractères « Ying », pour les Anglais, et « Mei », pour les Américains. Cette façon de procéder perpétuait en fait l’habitude primitive et universelle de ne considérer que son propre peuple comme humain.
Parfois les barbares sont désignés par des caractéristiques corporelles. Pour ce qui concerne les couleurs, le blanc, pour la peau, est la couleur des Chinois, à côté du jaune solaire, couleur symbolique du « milieu ». Le noir ou toute autre couleur sombre désigne les divers peuples barbares : par exemple, les méridionaux foncés d’Indonésie et, après les importations d’esclaves par les Portugais, les étrangers venus d’Afrique. Les couleurs sombres désignent aussi les ressortissants d’Asie centrale qui sont à peine plus basanés que les Chinois, notamment les robustes Tibétains, qui leur font peur. Les étiquettes colorées, attribuées aux peuples, étaient donc fantaisistes : ainsi les peuples d’Inde méridionale et d’Arabie étaient décrits comme « violets ». Les esclaves, quelle qu’ait été leur race, qui travaillaient en plein soleil, se voyaient attribuer le terme de « faces de suie ». Les Blancs étaient décrits comme froids, grands, velus, barbus, roux, « blancs comme la cendre » et « aux yeux de couleur ». Parfois les peuples se voyaient attribuer une couleur qui n’était pas celle de leur peau, de leur aspect extérieur, mais qui faisait référence au point cardinal dont ils provenaient : ceux de l’Est étaient « verts-bleus », ceux du sud, « rouges », ceux de l’ouest, « blancs », ceux du nord, « noirs » et ceux du milieu, « jaunes ». Sans doute parce que les Mongols utilisaient le même langage pour leur propre Empire, le terme de « Russie Blanche » ou « Biélorussie », signifierait en fait « Russie occidentale ».
Mis à part les invasions militaires étrangères, l’introduction pacifique du bouddhisme indien en Chine donna lieu à des spéculations inamicales relatives aux différences raciales. D’après les exposants du taoïsme chinois, le bouddhisme était inadapté à la nature raciale des Chinois. Bouddha avait dû inventer des règles très strictes contre la violence, l’avidité et le vice parce que son propre peuple était un ramassis de sauvages et ne connaissait pas la mesure, alors que les Chinois, eux, possédaient par eux-mêmes le sens de la mesure et de l’harmonie.
En bref, comme le reste de l’humanité, les Chinois ont eu tendance, eux aussi, à procéder à des distinctions d’ordre racial. Aux 19ième et 20ième siècles, ce racisme de circonstances, dépourvu de systématicité, deviendra une pensée racialiste quasi scientifique.
Moestasjrik / ‘t Pallieterke.
(article paru dans « ‘ t Pallieterke », Anvers, 26 mars 2008, traduction française : Robert Steuckers).
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samedi, 05 avril 2008
Armée américaine: bilan noir en Irak et noyautage par les fondamentalistes religieux
M. / ‘t Pallieterke :
Armée américaine : bilan noir en Irak et noyautage par les fondamentalistes religieux
La manière dont une armée est structurée révèle bon nombre de choses quant aux priorités des dirigeants politiques de son pays : c’est vrai pour l’armée américaine, dont nous évoquerons la situation ici, comme pour toutes les autres armées du monde. L’ancien ministre américain de la défense, Donald Rumsfeld, avait une idée fixe sur les forces armées idéales du 21ième siècle. Elles devaient être peu nombreuses, disposer d’un haut degré de technologie et être capables de pouvoir intervenir rapidement, y compris dans des conflits de dimensions limitées. Le fétiche de Rumsfeld était l’avion Stealth, qu’il a promu comme un mot d’ordre. Et Rumsfeld fut exaucé. A l’avant-veille de l’invasion de l’Irak, nombreux furent les militaires qui tirèrent la sonnette d’alarme à Washington. Le problème, disaient ces sceptiques, n’allait pas être la neutralisation de l’armée irakienne par frappe militaire mais bien l’occupation d’un pays dont la surface totale est plus grande que l’Allemagne. Ce n’est pas faisable avec seulement 150.000 hommes. Il faut pour cela une armée bien plus nombreuse. Le reste de l’histoire est bien connu aujourd’hui, alors que l’on vient de « fêter » le premier lustre de l’aventure militaire américaine en Irak. Ces dernières semaines, les critiques ont fusé de partout. La situation est différente de celle de 1991, lorsque, sous Bush Senior, l’invasion de l’Irak s’est effectuée avec une armée constituée au temps de la Guerre Froide. Sous Bush Junior, l’armée américaine, en 2003, est le résultat d’une réforme générale qui a surtout visé une réduction considérable des effectifs.
Les discussions, débats et enquêtes sur les armées induisent souvent en erreur et donnent l’impression que l’on traite de quelque chose d’abstrait. Mais les soldats sont bien entendu des hommes de chair et de sang. Dans le cas de l’armée américaine, ils sont tous des volontaires. Certains d’entre eux sont mêmes des illégaux aux Etats-Unis. Ils ont choisi d’être incorporés pour servir leur futur pays, car leur engagement leur permet d’obtenir la fameuse « carte verte » (« green card »), le document sésame qui leur donne accès au territoire et au marché du travail. Une telle armée de professionnels ne nous donne évidemment pas une image exacte de la société dont elle est issue ni même des catégories d’âge qui la composent.
Première constatation : dans les forces armées américaines certaines catégories sont sur-représentées, comme les Afro-Américains, les Hispaniques et, si l’on focalise notre enquête sur la géographie des Etats-Unis, la plupart des volontaires viennent surtout du sud et des zones rurales. Et puis, il y a ceux qui reviennent à l’état de cadavre, dans les sinistres sacs du gouvernement. Proportionnellement, le nombre de Blancs, parmi les hommes tombés au champ d’honneur, est assez élevé. Cela semble étrange car le cliché de la guerre du Vietnam, qui veut que ce furent surtout les Noirs qui tombèrent au combat, reste tenace (la réalité est toutefois plus nuancée). Bon nombre d’enquêtes montrent toutefois que les soldats servant dans les unités combattantes sont plus « blancs » que ceux incorporés dans les autres unités. Cette disproportion est déjà en soi fort instructive. Sur un plan, la comparaison avec la guerre du Vietnam est pourtant intéressante. Le nombre de tués par soldat engagé en Irak est 5,6 fois moins élevé qu’au Vietnam. L’utilisation de méthodes et de techniques médicales modernes (p. ex. : aller vers le soldat blessé plutôt que l’évacuer vers l’arrière) et de gilets pare-balles y ont considérablement contribué. De cette manière, on a réussi à augmenter de 50% la moyenne des blessés qui demeurent finalement en vie, par rapport aux chiffres du Vietnam. Il n’en demeure pas moins que le nombre de tués dépasse désormais les 4000 militaires. Malgré toutes les difficultés, la guerre en Irak est la moins sanglante de l’histoire américaine.
Entre la composition d’une armée professionnelle et celle, plus large, de la société, peut exister une césure béante. Les Noirs « pauvres », les Hispaniques illégaux, tous ont leurs raisons de suivre l’appel de l’Oncle Sam. Mais, fait nouveau, les extrémistes religieux de la droite chrétienne, s’engagent, eux aussi. « Nous avons au sein de notre armée des talibans chrétiens et un Al-Qaeda chrétien », écrit Michael Weinstein, fondateur de la « Military Religious Freedom Foundation ». Le souci de voir s’accroître l’influence des chrétiens radicaux au sein de l’armée américaine amena ce Weinstein à créer cette fondation en 2005. L’engouement pour les idées chrétiennes radicales, explique-t-il, a considérablement augmenté au cours de cette dernière décennie. Il y a vingt ans d’ici, leur influence était négligeable. Aujourd’hui, jusqu’à 30% des soldats auraient des sympathies pour ce mode d’exprimer sa foi. Il en veut pour preuve l’existence de l’association « Officers’ Christian Fellowship », une amicale pour officiers qui a installé des sections dans toutes les bases d’une certaine importance. La charte de cette association ne laisse aucun doute quant à ses projets : l’armée doit être remodelée sur le plan spirituel ; les militaires doivent devenir des ambassadeurs du Christ et porter leur uniforme, là où se trouve l’Esprit Saint. Ce phénomène se développe-t-il au sein de l’armée américaine comme il s’était développé dans l’armée israélienne auparavant ? Malgré les difficultés de recrutement que rencontre l’Etat hébreu, on constate que les troupes des unités opérationnelles comptent de plus en plus d’extrémistes religieux. Notre intention n’est pas d’amplifier le phénomène mais celui-ci, objectivement, ne mérite-t-il d’éveiller notre intérêt ?
M. / ‘t Pallieterke.
(article paru dans « ‘t Pallieterke », Anvers, 26 mars 2008, traduction française : Robert Steuckers).
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vendredi, 04 avril 2008
De Hobbes aux pressions, boycotts et conspirations du silence
Pankraz :
De Hobbes aux pressions, boycotts et conspirations du silence
On les reconnaîtra à leurs paroles et mots favoris. Le terme favori, dans la sphère politique allemande d’aujourd’hui, est « pression », plus exactement « faire pression », soit « Druck » et « Druck ausüben ». On ne débat plus ensemble, on ne cherche plus à se convaincre par des arguments (réfléchis et pesés), on ne domine plus l’adversaire politique par son excellence argumentative ou rhétoricienne, non, on se borne à « faire pression », sans discontinuité, pendant de longs laps de temps. Les actualités télévisées, les informations de nos journaux fourmillent de « pressions » exercées, qu’elles soit imposées ou subies. « La pression sur la Chine dans la question du Tibet va en s’accroissant », annonçait, en début d’émission, il y a quelques jours, la speakerine des actualités quotidiennes de la chaîne ARD.
La rhétorique de la « pression exercée ou à exercer » s’est considérablement déployée et ne fait que croître chaque jour davantage, se dotant de nouvelles tournures et expressions. Jadis, on préparait toutes sortes de menaces en coulisses ; aujourd’hui, on prépare des « pressions », toujours en coulisses. Le cas échéant, la pression est accentuée systématiquement ; on ne la modère que rarement. On épuise totalement le potentiel de pression dont on pense disposer. Que ce soit l’ami ou l’ennemi qui soit visé, peu importe. Même et surtout les forces qui sont alliées au fauteur de pression ressentent la pression qu’il exerce sur elles, si besoin s’en faut. C’est certain : la pression politique, en tant que telle, est axiologiquement neutre.
Parallèlement à l’exercice de la pression augmente également la capacité de lui résister. La phrase usuelle, « Nous ne nous laisserons pas mettre sous pression », qu’elle soit prononcée sur un ton moqueur ou sur celui de l’indignation, appartient désormais au répertoire standardisé des politiciens, qui sont inévitablement mis sous pression ou tentent de se défendre contre les pressions exercées par des forces ennemies ou alliées. Pourront-ils, sur le long terme, résister à la pression ? Ou cèderont-ils, à la longue, aux multiples pressions qui s’exercent sur eux ? Ou crouleront-ils, défaits, sous le poids de celles-ci ?
En quoi consiste l’essentiel de l’exercice moderne de la pression ? Aujourd’hui, on n’exerce quasiment plus de pression par moyens militaires, en faisant manœuvrer des armées le long d’une frontière, en massant des troupes, etc., car pour déclencher une guerre, on dispose désormais de rampes de lancement dûment installées sur terre, sous eau ou sur orbite, qui peuvent frapper immédiatement, sans le moindre délai. Personne ne se laisse plus impressionner, mettre sous pression par ces engins télécommandés, surtout pas les grandes puissances, car elles sont prêtes à riposter efficacement à tout moment. Ce n’est pas davantage le cas des plus petites puissances car l’éventualité de se faire envahir ou mater militairement appartient à leur quotidien ; elles ne considèrent plus cela comme une pression mais comme une fatalité qui peut survenir à tout moment.
La pression économique, de manière similaire, que l’on appelle aussi le « boycott », est devenue inefficace. Les « boycottés » s’habituent assez vite à ce mode de pression et l’acceptent avec une certaine sérénité. Il suffit de songer à Cuba. Depuis cinquante ans, le boycott américain sévit contre l’île et, indubitablement, il nuit à son déploiement économique. Mais le régime cubain ne s’est jamais effondré.
Non, la véritable pression aujourd’hui -qui n’est pas seulement une pression exercée dans le cadre de la politique extérieure mais constitue surtout un instrument en politique intérieure- ne consiste pas en moyens militaires ou économiques, mais en méthodes sémantiques et en pressions sur le quotidien. Dans la vie mondaine actuelle, on appelle cela le « mobbing », vocable anglo-saxon, ou en bon vieil allemand, le « Bierverschiss », sorte de mise en quarantaine démonstrative et affirmée (ndt : en Belgique, on appelle cela le « Cordon sanitaire », que le Vlaams Belang, la NVA, Yves Leterme et certains identitaires wallons de gauche comme de droite ont subi ou subissent encore ; ajoutons que Joëlle Milquet, lors des négociations de 2007 pour la formation d’un gouvernement à utiliser toutes les ficelles du « mobbing »). On ignore ainsi consciemment et de manière ostentatoire la personne ou le groupe mis sous pression. On le réduit au silence, on lui inflige la conspiration du silence, on l’ignore, on ne le voit plus. Il ne peut plus jouer dans le jeu ou on le menace de ne plus l’autoriser à y jouer, exactement comme le font les enfants ou certains peuples primitifs quand ils ne tolèrent plus la participation au jeu social de certains membres de leur groupe ou communauté, qui se sont attirés la colère de la collectivité et doivent « être mis au pas » ou « éliminés ».
Elisabeth Noelle-Neumann est celle qui a analysé pour la première fois et de manière précise ce procédé d’exclusion dans son livre sur la « spirale du silence » (« Die Schweigespirale »). La pression née de cette exclusion, de cette quarantaine que nous appelons « Bierverschiss », est effectivement considérable et, en de nombreux cas, sinon dans la plupart des cas, très efficace parce que fort douloureuse. On ne s’y habitue qu’à grand peine ; on ne peut pas adapter avec précision son comportement sur ce mode d’exclusion, ni prévoir de manière exacte les façons dont il se manifestera à très court terme. Les directions d’où peuvent provenir ce type de pression, sont extrêmement diversifiées et exigent de celui, qui veut y résister, une attention extrême et permanente, une mobilisation pleine et entière de ses énergies. En prenant acte de ce mode de défense et de résistance, comme nous venons de le faire, on pourrait presque affirmer que ce type de quarantaine est un écolage idéal pour former une élite.
Sur ceux qui exercent cette forme de pression, celle-ci ne joue nullement un rôle formateur, capable de faire surgir une élite. La sphère politique s’infantilise et se primitivise. Ce n’est pas une élite qui émerge de cette praxis : bien au contraire, tout ce qui relève de l’ontologie humaine spécifique, c’est-à-dire des capacités à fonder la « Polis » ou l’Etat, déchoit, à vue d’œil, dans le matérialisme le plus plat. Que faut-il penser d’une « politologie » qui ramène tout à un schéma simpliste de pression et de contre-pression et ne mesure pas le carat des argumentaires et stratégies politiques à leur qualité substantielle et formelle, mais seulement au caractère purement quantitatif de la pression mécanique qui s’exerce sur des adversaires ou des compagnons de route plus ou moins récalcitrants ?
Thomas Hobbes, le grand théoricien du politique à l’aube des temps modernes en Europe, avec sa pensée rigoureusement mécaniciste, ne peut en aucun cas être mobilisé, comme figure de proue de la politologie, pour défendre une perspective aussi étroite, étriquée. Le schéma de la pression et de la contre-pression, qu’il a élaboré pour expliciter le monde organique et les « bas » instincts de la nature humaine, devait, disait-il, être résolument mis hors d’état de fonctionnement pour faire advenir le politique pur. Dans le domaine du politique pur, ce ne sont pas les pressions et contre-pressions qui doivent donner le ton, mais la volonté toute puissante du Léviathan, dans la construction politique duquel l’ensemble des autres porteurs de volonté doit ranger et soumettre ses directives, quel que soit le potentiel de pression que ses volontés et directives pourraient par ailleurs exercer.
Ou, pour parler le langage de la politique actuelle : lorsque la situation devient véritablement sérieuse, préoccupante, inquiétante, une pression vient d’en haut, de tout en haut, qui séduit chacun par le plus bel exercice de pression qui soit. Ce ne doit pas toujours être la pression du Léviathan. Pour générer la contre-pression nécessaire, la nécessité ou la misère subie hic et nunc par la patrie peut suffire ainsi que le regard conscient et offensif que portent les contestataires du désordre établi en direction des fauteurs de pression, des spécialistes du « mobbing », des experts ès-Bierverschiss, responsables de cette misère.
Jadis, les gamins de rue de Berlin, comme l’atteste une lettre de Zelter à Goethe, au temps de l’occupation napoléonienne, chantonnaient : « Druck und Stoss / Gehn in die Hos’ » (« Pressions et coups / vous vont dans la culotte »). Il n’y a pas grand-chose à y ajouter, sauf peut-être ceci : souvent les coups portent droit au cœur.
PANKRAZ.
(article paru dans « Junge Freiheit », Berlin, n°14/2008 ; traduction française: Robert Steuckers).
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jeudi, 03 avril 2008
F. Böckelmann et la perception contemporaine de l'espace
Thorsten HINZ :
Un ordre nouveau dans un monde sans frontière ?
Les réflexions du situationniste et médiologue allemand Frank Böckelmann sur la perception contemporaine de l’espace
L’essence du dernier livre de Frank Böckelmann peut se résumer en paraphrasant Goethe : la nation et l’Etat national ne veulent plus dire grand-chose aujourd’hui. Le monde (entier) est le lieu qui nous est désormais assigné. Mais pour que ce monde puisse être une partie (charnelle) pour l’Européen, tant sur le plan politique que sur le plan spirituel, il doit s’y ancrer avec modestie et sur un mode nouveau.
Les « raids de reconnaissance dans l’existence sans frontières » du médiologue Frank Böckelmann se subdivisent en six chapitres, où il disserte sur des thèmes apparemment fort disparates, tels le corps à multiples fonctions, la catastrophe urbaine, le sexe à l’ère d’internet, les droits de l’homme, la fin de l’hégémonisme américain, le retour des grands espaces (Grossräume) et, à la fin du volume, la chance que peut saisir l’Europe pour assurer sa survie en résistant. Quand on lit ce livre, ces thèmes disparates apparaissent vite liés entre eux par une logique rigoureuse, celle que Carl Schmitt a mise au point dans son essai « Land und Meer » (« Terre et Mer »), lorsqu’il traitait de la « révolution globale de l’espace ».
Cette révolution spatiale commence au 15ième siècle quand les Européens se lancent dans la navigation sur les océans de notre planète, conquièrent et mettent en valeur de nouvelles régions du monde. Cette révolution a transformé la notion des distances et la perception des ordres de grandeur ainsi que la structure du concept ‘espace’, ce qui a conduit à « une mutation générale de la politique, de l’économie et de la culture ». « Surgissent alors de nouvelles échelles de grandeur, de nouvelles dimensions de l’activité politique et historique des hommes, de nouvelles sciences, de nouveaux ordres, une nouvelle vie pour des peuples nouveaux ou renés de leurs cendres », écrivait Carl Schmitt. Au 20ième siècle, cette révolution poursuit sa course par l’avènement de la navigation aérienne, qui réduit à quelques heures de vol seulement les distances entre les continents et les points les plus extrêmes de l’Europe. Les technologies des fusées et de l’astronautique permettent aujourd’hui de surveiller n’importe quel point du globe et de l’atteindre techniquement en quelques minutes voire de le détruire, le cas échéant. Böckelmann écrit, en se référant au philosophe français de la vitesse et de la cinétique, Paul Virilio, sur les suites actuelles de cette « révolution de l’espace », cette fois en tenant compte des conditions imposées par les nouveaux médias et modes de communication. Les techniques nouvelles, qui permettent à internet de fonctionner, font en sorte qu’aujourd’hui chacun est potentiellement joignable en tous points du globe. C’est une nouvelle modification dans la perception de nos structures spatiales qui nous touche et nous saisit : l’homme lui-même cherche désormais à agencer son ego physique et psychique pour participer à la concurrence globale, avec pour but, de devenir un « soi sans soi » (« ein selbstloser Selbst »).
Dans un tel monde, les lieux en viennent à devenir partout de plus en plus semblables. Pour pouvoir exister économiquement parlant, chaque intervenant sur le marché, aussi modeste soit-il, est contraint d’être connecté au monde, d’envoyer des flux de données et d’en recevoir, d’avoir à proximité de son implantation un aéroport ou une autoroute. Ce que l’on nous demande, c’est d’avoir un signe permettant d’être reconnu partout sur la planète. Cela signifie que partout les marchandises, marques et services usuels doivent être directement accessibles ou aisément appelables, comme par exemple les distributeurs de billets ou les chaînes de restaurant. C’est la disparition du genius loci. Les lieux deviennent les filiales d’une société mondialisée. Les villes historiques ne nous révèlent plus ce qui se passe, se fait et se pense réellement derrière les murs ; elles ne véhiculent plus une spécificité vivante, ne sont plus l’écho d’une histoire ; leur signification se réduit à leur attrait touristique. Exemple actuel de cette « dé-localisation » (« Ortlosigkeit ») : le nouveau slogan publicitaire « Be Berlin » (« Sois Berlin »). Voilà donc une ville historique, qui n’est pas sans importance, mais qui, pour des raisons bien connues, se situe dans une zone marginale de l’économie globale, mendie de la sympathie et de la présence, en s’offrant comme une simple surface où chacun viendrait inscrire sa marque, sa touche personnelle.
La dévalorisation des structures traditionnelles, y compris les structures nationales et étatiques, semble inévitable, irrémédiable. Néanmoins, la petite musique emphatique qui accompagne le phénomène trahit de la naïveté. Est illusion l’espoir que ce processus conduira à un nouvel ordre mondial, où le politique, comme instance où se télescopent et fusionnent des forces concurrentes, se verrait enfin dépassé et remplacé par un ‘droit’ accepté par tous, un droit qui reposerait sur un canon de valeurs à l’origine européennes et désormais universelles (et universalistes). Le philosophe grec contemporain, hélas disparu depuis quelques années, Panajotis Kondylis en avait d’ailleurs démontré le caractère illusoire dès 1992, dans son ouvrage « Planetarischer Politik nach dem Kalten Krieg », « Politique planétaire après la Guerre Froide ». Partir du principe que la mise en réseau globale va amener une standardisation définitive des cultures et des formes de droit et de pratiquer la politique, cela a toujours été une idée fixe des « héritiers de l’Occident ». Les positions de départ et les intérêts des uns et des autres sont bien trop divergents. La « communication totale », que l’on nous annonce, ne s’opère qu’en surface et sous cette surface règne un « silence impénétrable ». Les kamikazes, qui ont frappé les métropoles occidentales, étaient des hommes cultivés selon les critères occidentaux actuels, accoutumés à toutes les finesses technologiques de l’Occident ; ils prouvent par leurs actes, et cela donne le frisson, que leur proximité violente conduit plutôt à des confrontations qu’à l’harmonie.
La mise en réseau du monde ne rend pas celui-ci plus sûr mais au contraire plus vulnérable. Une action de guerre asymétrique dans un coin perdu du monde fait l’effet d’une menace pour tous, à cause de sa rapide diffusion médiatique et plonge les économies et les Etats de la planète entière dans des zones de turbulence. Pour prévenir de telles actions, les flux de circulation et de données sont de plus en plus contrôlés. Mais qui peut exercer un contrôle réellement efficace ? Et voilà que revient à l’avant-plan la question de la puissance politique et militaire, qui avait été neutralisée par une volonté universaliste de tout ‘juridifier’. Et les Etats-Unis sont à l’avant-scène, le seul pays qui, jusqu’ici, avait profité de la globalisation et avait consolidé les atouts de sa puissance. L’existence politique des Etats-Unis avait commencé à se déployer sans aucun arrière-plan historique, comme la pure incarnation du système capitaliste et libéral. Les Etats-Unis avaient promu sans frein la « révolution de l’espace » aux 19ième et 20ième siècles ; ils avaient fait de la volonté universaliste de ce système l’équivalent des intérêts de l’Etat américain lui-même.
La situation actuelle de l’Europe correspond véritablement aux aspirations des Etats-Unis. L’Union Européenne élimine les compétences des Etats nationaux au profit d’un espace économique unitaire, sans jamais formuler les contours clairs d’une volonté politique propre et commune. Ce processus de dévolution de la puissance politique vers l’économie transnationale a lieu au moment précis où le capitalisme, en tant que mode de production (fabrication, commercialisation et vente de biens produits dans un but d’engranger des profits), se dissout sous les effets de la finance spéculatrice, sans fondement rationnel.
Simultanément, on constate que certains pays européens tiennent, têtus, à leur souveraineté : c’est purement chimérique et, à l’échelle globale, sans conséquence aucune, parce que cette souveraineté n’est plus qu’une espièglerie anachronique perpétrée sous le parapluie militaire américain. La véritable souveraineté ne peut être restaurée aujourd’hui que dans un cadre européen, vu les rapports de force sur ce globe, tant ceux qui dominent aujourd’hui que ceux qui domineront demain. La condition préalable à cette souveraineté retrouvée serait une volonté politique d’auto-préservation physique, volonté à partir de laquelle la capacité de décider réellement ré-émergera. Mais rien ne signale à l’horizon les moindres prémisses d’une telle volonté.
Les Européens se sont habitués à concevoir leur Europe comme un continent dé-territorialisé, comme un non lieu, dont l’esprit, jadis, a missionné et conquis le monde, raison pour laquelle il n’a plus besoin d’un véritable ancrage dans l’espace. Dans « Terre et Mer », Carl Schmitt nous rappelle la teneur du roman intitulé « Tancred » de Benjamin Disraeli. Celui-ci proposait que la Reine Victoria et toute sa Cour déménagent aux Indes, où les attendaient de gros revenus et une armée bien aguerrie. A l’époque, la Grande-Bretagne était la plus grande puissance de la Terre, alors qu’aujourd’hui l’Europe se présente au monde extérieur, sur les plans militaire et politique, comme une masse gélatineuse. Les messages qui émanent de ce lieu dé-territorialisé et sevré de toute puissance ne sont pas pris au sérieux ou, pire, sont réinterprétés et renvoyés à l’expéditeur pour l’abuser, le ponctionner et l’affaiblir encore davantage.
Böcklemann avance de solides arguments pour annoncer la fin prochaine de la globalisation unilatérale et le nouveau partage du monde, qui deviendra ainsi un pluriversum de grands espaces. L’Europe constituera-t-elle un de ces grands espaces autonomes ? Pour qu’elle le devienne, il faut d’abord qu’elle cesse de poursuivre sa mission universaliste, et qu’au contraire, elle recommence à souligner les différences qui existent entre elle et les autres, qu’elle redécouvre la volonté de puissance. Cette espérance de Böckelmann semble totalement incongrue vu l’état désespérant de l’actuelle élite eurocratique. Le retour de l’Europe ne dépend plus d’elle-même mais des intentions que cultivent à son égard les peuples de sa périphérie, surtout le monde islamique. Peut-être qu’un jour, les pressions deviendront totalement insupportables pour l’Europe, tant et si bien qu’elle n’aura pas d’autre alternative que de faire revivre en elle ses traditions, connaissances et anciennes vertus, qui lui donneront la force de s’affirmer et de décider. Mais personne ne peut se porter garant d’une telle issue.
Le livre de Böckelmann est fascinant. Il nous oblige à penser en termes nouveaux, à penser plus loin, à dépasser les étroitesses du présent.
Thorsten HINZ.
(recension parue dans « Junge Freiheit », Berlin, n°14/2008; traduction franç.: Robert Steuckers).
Frank BÖCKELMANN, „Die Welt als Ort. Erkundungen im entgrenzten Dasein“, Karolinger Verlag, Wien, 2007, 312 Seiten, 24 Euro.
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mercredi, 02 avril 2008
Réflexions sur le discours d'Erdogan à Cologne
Rolf KOSIEK :
Réflexions sur le discours d’Erdogan à Cologne
Maintenant, la mèche est vendue, les choses sont claires, on sait à quoi s’en tenir. Le dimanche 10 février 2008, le chef actuel du gouvernement turc Recep Tayyip Erdogan tenait un discours à la Salle Arena de Cologne devant 16.000 de ses compatriotes résidant en Allemagne ou dans les pays limitrophes. Textuellement, il a appelé ses auditeurs turcs à ne pas s’assimiler en Allemagne, à ne pas s’adapter au mode de vie allemand et à ne pas devenir citoyens allemands, mais, au contraire, à préserver leur identité turque. Il leur a surtout demandé de conserver leur spécificité culturelle et religieuse. Son discours, sans cesse entrecoupé de vivats tonitruants et d’applaudissements frénétiques, a atteint son apogée quand il a prononcé la phrase suivante : « L’assimilation est un crime contre l’humanité ».
Erdogan demande aux Turcs d’Allemagne, qui sont actuellement plus de 2,5 millions, de se maintenir comme une minorité islamique, culturellement isolée, en République Fédérale. En réclamant une telle attitude, il espère, en tant que politicien nationaliste et missionnaire religieux, que ce groupe devienne un jour, à une époque d’ores et déjà prévisible, la majorité dans le pays hôte pour pouvoir déterminer la marche des choses en Europe centrale. Il a demandé instamment à ses compatriotes de ne pas adopter le mode de vie allemand. Ils doivent, précise-t-il, conserver, en tant que groupe fermé sur lui-même, leur spécificité en terre étrangère, y constituer une colonie et subvertir substantiellement le peuple hôte. Lorsque Erdogan accepte le principe d’une intégration, il n’entend pas la dissolution des Turcs au sein du peuple qui les a accueillis, mais, en clair, une simple adaptation, purement extérieure, permettant de maintenir l’identité turque et les liens unissant les immigrés à leur ancienne patrie. Il demande surtout que la religion musulmane demeure intacte. Il faut d’abord qu’une société parallèle turque se constitue en Allemagne.
En tant que chef du gouvernement de la République turque et que pieux musulman, il œuvre depuis quelque temps à ramener son pays à un islam rigoureux, histoire de remettre les pendules à l’heure, après un bon siècle de sécularisation selon le modèle occidental. Au début du siècle qui vient de s’écouler, Mustafa Kemal Pacha avait imposé à la Turquie de se tourner vers l’Occident : sur le plan symbolique, il avait interdit le port du voile, mesure qui est rendue caduque aujourd’hui par le gouvernement Erdogan, dans une aire importante de la société turque. En effet, l’interdiction du port du voile dans les universités turques a été levée par le Parlement d’Ankara, où c’est le parti d’Erdogan qui donne le ton.
La deuxième étape sera l’islamisation de l’Europe. Les quelques dix millions de musulmans qui vivent aujourd’hui en Europe aideront à parachever ce processus. Ils devront œuvrer comme une avant-garde et remplacer lentement mais sûrement les peuples autochtones. Le recul des naissances, que l’on observe en Europe depuis les années 70, leur facilitera la tâche. Déjà, dans bon nombre d’écoles des grandes villes de la République Fédérale, les musulmans sont majoritaires.
Pour réaliser cet objectif, les Turcs qui vivent depuis deux générations en Allemagne et sont largement assimilés, doivent être ramenés à un islam strict. ‘Ceux qui ont depuis longtemps abandonné le voile et qui ont été contaminés, par le truchement de la langue allemande, par l’idéologie occidentale des droits de l’homme’, a déclaré avec force emphase Erdogan, il faut les ramener à la vraie foi et les empêcher de la renier, elle qui a été forgée par Mohammed, car le Coran interdit tout reniement. Ils peuvent certes conserver le passeport allemand comme un second atout mais doivent toujours se sentir liés à leur vieux peuple et à sa culture et ne pas se dissoudre dans la société allemande. Il faut que ces Turcs immigrés en Allemagne renouent avec l’intolérance islamique, rejettent le principe de la liberté d’opinion et de culte, continuent à pratiquer les mariages forcés et l’assassinat d’honneur et ramènent leurs femmes à leur position subalterne et, si possible, étendre ces attitudes dans toute l’Europe.
Afin que la minorité turque puisse continuer à exister en tant que groupe fermé sur lui-même, ses ressortissants doivent apprendre la langue allemande de manière satisfaisante. Erdogan a réclamé à Cologne l’introduction d’écoles turques dans la République Fédérale et la constitution d’une université turque. Ces mesures doivent servir à consolider la société parallèle turque d’Allemagne, lui donner la possibilité de mieux fonctionner et d’empêcher toute véritable intégration.
En prononçant ce discours, Erdogan a expressément attaqué la politique du gouvernement fédéral dont les buts, clairement exprimés, visent encore et toujours à intégrer au maximum les étrangers vivant sur le territoire allemand. Même si cette intégration a déjà clairement échoué depuis une dizaine d’années surtout par la volonté des Turcs, qui ne veulent pas de cette intégration, les instances de la République Fédérale ne cessent de pratiquer une politique immigrationniste reposant sur cette illusion. Elles ne veulent pas reconnaître que leur programme a été élaboré contre la volonté de ceux à qui il s’adresse, contre la volonté des immigrés, qui s’exprime dans le sens d’un refus depuis de nombreuses années ; raison pour laquelle cette politique immigrationniste est condamnée à l’échec, aujourd’hui comme demain.
On ne s’étonnera pas dès lors que tous les partis représentés au Bundestag ont apporté la contradiction à Erdogan, tant il a dénoncé et démasqué leur politique d’intégration, la posant très clairement comme irréaliste. Le Président du Bundestag, Norbert Lammert (CDU), considérait que ce discours était « lamentable sur le plan intellectuel et contre-productif sur le plan politique », qu’Erdogan « s’était, avec beaucoup d’énergie dans l’argumentation, opposé à une exigence que personne ne formule… Je pense que c’est malheureux et dommage ». Angela Merkel a déclaré, avec emphase, qu’elle était aussi la Chancelière des Turcs vivant en Allemagne. Le Président de la faction socialiste (SPD) du Bundestag, Struck, reprochait à Erdogan de favoriser l’éclosion de sociétés parallèles et a qualifié ses paroles de « totalement inacceptables ». Le Président de la fraction de l’Union démocrate-chrétienne (= CDU + CSU), Kauder, déplorait qu’Erdogan considérât ouvertement que les Turcs vivant en République Fédérale et possédant souvent la citoyenneté allemande comme des ressortissants turcs à part entière (cf. Frankfurter Allgemeine Zeitung, 13 février 2008). La chargée d’affaires à la politique d’intégration du gouvernement fédéral, Maria Böhmer, déclare, pour sa part, « avoir été totalement étonnée » du discours d’Erdogan. Elle a dit : « Car ce débat est depuis longtemps derrière nous. Nous voulons intégrer en Allemagne, ce qui signifie que nous voulons une participation de tous, avec l’égalité en droit ». Elle tentait d’attirer le client par des promesses : « Celui qui s’intègre en Allemagne, y gagne quelque chose » (Frankfurter Allgemeine Zeitung, 14 février 2008). Soit dit en passant : elle ne dit pas que ce sont les Allemands qui paieront. Quant au nouveau président de la CSU, Huber, il n’a trouvé qu’une réponse à la proposition d’Erdogan de créer en Allemagne des écoles turques : « C’est un poison pour la politique d’intégration, cela conduit à la formation de ghettos et à l’émergence d’une ‘Petite Turquie’ en Allemagne ». A ce propos, rappelons qu’en Bavière, depuis 1987/1988, existe un « cours d’initiation religieuse pour les écoliers turcs de confession islamique » pour les cinq premières années d’école primaire, cours pour lequel on opte volontairement ; ces cours sont donnés par des enseignants qui, pour la plupart, sont directement originaires de Turquie et prodiguent leurs leçons en langue turque. Il existe donc déjà bel et bien une ‘Petite Turquie’ en Bavière, terre où la CSU de Huber se présente aux électeurs (cf. Frankfurter Allgemeine Zeitung, 14 février 2008).
Les politiciens allemands, qui prennent leurs distances avec les dures réalités politiques, ne veulent tout simplement pas admettre ce que veulent vraiment Erdogan et la caste dirigeante turque. Par exemple, il ne leur viendrait jamais à l’idée de parler sur le même ton aux Allemands d’Alsace ou du Tyrol méridional qui, contrairement aux Turcs d’Allemagne, constituent, dans leur pays, la population autochtone, installée là depuis des siècles et formant la majorité. Ceux qui, en dépit de la « political correctness » qui règne en Allemagne, n’oublient quand même pas les réalités ethniques à l’instar de la caste qui donne le ton en République Fédérale, ne « dénieront pas à Erdogan tout droit moral à contester la coercition existante imposée à tous les hommes en République Fédérale de s’assimiler », comme le souligne Patrick Bahner (Frankfurter Allgemeine Zeitung, 14 février 2008). Les recettes allemandes pour l’intégration, replacées à l’avant-plan du débat suite aux déclarations d’Erdogan, conduiraient tout droit à l’égalitarisme de jacobine mouture. On reconnaîtrait encore dans l’avenir comme Turcs ceux d’entre ceux-ci qui parlent parfaitement l’allemand. « Les Turcs sont une nation fière et personne ne doit s’attendre à ce qu’ils troquent cette fierté pour un passeport ».
Seuls les Allemands sont suffisamment stupides et dépourvus d’amour-propre pour axer leur politique seulement sur les besoins des étrangers. Ils laissent les Turcs s’emparer ouvertement de terrains en Allemagne depuis de nombreuses années et continuent à promouvoir une politique d’intégration ; de surcroît, ils minimisent la criminalité violente commise par des étrangers sur leur sol. Justement, parlons-en : une semaine exactement avant le discours d’Erdogan à Cologne, le ministre fédéral de l’intérieur, Schäuble, avait facilité l’importation d’époux ou d’épouses en provenance de Turquie (Frankfurter Allgemeine Zeitung, 6 février 2008) et cherché ainsi à ouvrir la porte à une nouvelle vague d’immigration. Qui plus est, toute remarque sévère et critique à l’endroit d’étrangers en Allemagne est qualifiée de xénophobie voir d’incitation à la haine entre peuples et est, subséquemment, poursuivie pénalement et punie de lourdes peines de prison, disproportionnées, tandis que les jeunes Turcs peuvent allègrement scander leurs slogans où il est question de « Scheiss-Deutsche », de « Boches de merde », sans encourir les foudres de la justice. Les manchettes des journaux turcs, publiées à la suite de la catastrophe de Ludwigshafen, où des Turcs avaient péri dans un incendie attribué erronément à des pyromanes racistes, fourmillaient de sous-entendus germanophobes fort explicites.
Erdogan avait été annoncé à Cologne comme le « Führer de la Turquie » et, faut-il le dire, a tout de même raison sur bon nombre de points. Quelques jours plus tard, revenu à Ankara, il a confirmé ses propos qui avaient suscité tant d’incompréhension et de désarroi chez les gouvernants allemands. Devant la fraction parlementaire de l’AKP, son parti gouvernemental conservateur islamisant, il a notamment déclaré : « J’ai dit en Allemagne que nous étions contre l’assimilation… Je voudrais répéter une fois de plus ici que l’assimilation est un crime contre l’humanité » (Frankfurter Allgemeine Zeitung, 13 février 2008, page 1). En prononçant ces paroles, en persistant et en signant de cette façon, il a fait ce qu’un citoyen allemand devrait faire en Allemagne, où règne la « political correctness », pour être poursuivi pour racisme et xénophobie. Qui plus est, il a répété la falsification habituelle des Turcs, qui prétendent qu’ils ont contribué substantiellement à la construction de l’Allemagne contemporaine.
La grande manifestation turque de Cologne avait été organisée par l’UETD (= « Union der Europäisch-Türkischen Demokraten » ; « Union des Démocrates Turcs d’Europe ») et aurait été pour l’essentiel financée par elle. Cette organisation a été fondée récemment par l’AKP, le parti gouvernemental d’Erdogan, parce que les associations turques qui avaient existé jusqu’ici en Europe sont considérées comme trop peu religieuses ou trop laïques par le nouveau pouvoir à Ankara. La centrale de l’UETD se trouve à Cologne, dans la « Villa Turca » dans le faubourg de Porz. Elle dispose de bureaux dans les principales grandes villes allemandes. C’est par l’intermédiaire de cette association que l’AKP au pouvoir veut désormais influencer les Turcs résidant en Europe et les mobiliser pour réaliser ses projets de politique étrangère sur le long terme. Ce n’est pas un hasard si le Parlement d’Ankara, il y a à peu près quatre semaines, a accordé aux Turcs résidant à l’étranger le droit de vote pour le Parlement turc. Dans l’avenir, nous allons assister en Allemagne aux campagnes électorales turques, selon le ton donné par Erdogan dans son discours de Cologne.
Bien qu’Erdogan et ses projets politiques se démarquent considérablement de l’idéologie occidentale, de sa conception de la liberté et de sa vision de l’homme, on continue à soutenir les efforts pour faire entrer la Turquie dans l’UE, d’ici quelques courtes années. Même s’il n’y avait rien d’autre à reprocher aux Turcs, le spectacle donné par Erdogan à Cologne devrait suffire pour guérir les Européens de leurs errements, de l’idée que la Turquie est essentiellement une partie de l’Europe et que son adhésion à l’UE serait une aubaine pour la communauté. Les autorités eurocratiques de Bruxelles feraient bien, à leur tour, de mobiliser leurs énergies pour contrer l’actuel héritier de la puissance islamique dominante, qui, pendant des siècles, a visé la conquête de l’Europe et a fini par être battue, et d’œuvrer à conserver l’identité culturelle de notre continent.
De même, il va falloir réaffirmer les intérêts vitaux de l’Europe face aux tentatives actuelles des Etats-Unis d’exciter leurs alliés turcs contre la Russie ou d’autres puissances du Proche Orient et d’essayer à tout prix de les introduire dans l’Union Européenne dans le dessein d’affaiblir politiquement l’Europe. Une telle attitude exige de se défendre énergiquement contre les prétentions croissantes des mouvements islamistes. Le discours d’Erdogan à Cologne a eu au moins le mérite de la clarté, de nous montrer sans ambiguïté la situation telle qu’elle est aujourd’hui, où se situent les clivages, les lignes de fracture. Cela n’a toutefois rien à voir avec l’amitié qu’ont toujours cultivée les Allemands à l’égard des peuples arabes, une amitié qui doit demeurer.
Rolf KOSIEK.
(article paru dans « Deutschland in Geschichte und Gegenwart », n°1/2008).
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mardi, 01 avril 2008
A. Ivanov: trois Europe, trois pays
Anatoly IVANOV :
Trois Europe, trois pays
Sur plus d’un point, je marque mon accord avec mon ami français Guillaume Faye. Nous avons effectivement besoin d’une utopie positive, d’autant plus que la définition de celle-ci correspond à celle du mythe, telle qu’elle nous a été léguée par Georges Sorel: le mythe est le but des efforts déployés. Le mythe est réalisable mais sa réalisation est difficile et exige beaucoup d’efforts pour arriver au succès dans la lutte, exige aussi le sacrifice de soi mais non pas avec cette joie triste des chrétiens dévorés par les lions, plutôt avec l’extase dionysiaque. Le mythe est une projection du pouvoir, générée par des hommes rares qui forgent une conception de l’avenir. Avant de vouloir, il faut créer un projet, susciter l’émergence d’une vision du monde.
Le mythe est donc un bon atout. Les sceptiques nous diront cependant que nos mythes n’inspirent plus que nous-mêmes. Et parmi ces mythes, il y a la conception fausse d’une Europe unie.
Il y a un siècle et demi, Nikolaï Danilevski, principal idéologue du slavisme russe, défendait, dans son ouvrage célèbre, « La Russie et l’Europe », une double thèse : Russie et Europe sont deux mondes différents et l’Europe ne connaît pas la Russie, ne peut pas la connaître et ne veut pas la connaître.
Sa thèse de la méconnaissance de la Russie par l’Europe reste actuelle. Pavel Toulaev a participé, en novembre l’année dernière (ndt : en 2006), à une conférence internationale à Madrid, d’où il nous a rapporté une affiche titrant « Ellos guian nuestra Europa » (« Ils guident notre Europe »). L’affiche reproduisait en outre trente portraits de penseurs ou d’écrivains : parmi eux, je n’ai trouvé aucun Russe, sans parler des Slaves en général. Conclusion : devons-nous distinguer ainsi LEUR Europe de NOTRE Europe ?
La seconde thèse de Nikolaï Danilevski ne correspond pas à la vérité. La présence de délégués européens à notre colloque précédent, et à celui d’aujourd’hui, prouve le contraire. S’ils peuvent et veulent nous connaître ? L’avenir le montrera.
Mais l’Europe de Danilevski est, elle aussi, une abstraction. Plekhanov ironisait à ce sujet, en disant qu’il ressemblait au gamin juif d’un récit qui divisait le monde en deux parties : la Russie et l’étranger. Il y a quatre ans, à l’époque où l’Irak était agressé, les Américains, mécontents de la position prise alors par la France et l’Allemagne, ont forgé une nouvelle dichotomie, en opposant les pays dits « énergiques » aux pays dits « passifs », ce qui me rappelle la classification raciale d’un savant allemand, Klemm, qui posait, lui aussi, une dichotomie entre races actives et races passives. Il tenait, bien évidemment dans le contexte de son époque, les Slaves pour les représentants d’une race « passive ».
Les considérations des Américains actuels ne sont pas aussi généralisantes : quelques pays slaves ont récolté leurs compliments, surtout la Pologne. Les Américains ont utilisé celle-ci pour enfoncer un coin dans l’Axe Paris-Berlin-Moscou. Il faut dire, avec regret, que cet Axe, en lequel Jean Parvulesco et d’autres ont placé de grandes espérances ne fut qu’une vision éphémère. Le changement de gouvernement en Allemagne l’a brisé et, après l’élection en France du russophobe Sarközy, il ne reste de cet Axe que des débris.
Mais il ne faut pas confondre les Etats et les peuples. Charles Maurras, qu’on a parfois appelé le « Marx de la Droite » affirme qu’il n’existe pas seulement un « pays légal », c’est-à-dire un pays officiel, mais aussi un « pays réel », ce que l’on appelle aujourd’hui la « majorité silencieuse ». Maurras a cru que cette majorité silencieuse pensait comme lui, qu’elle était au fond royaliste et catholique. Il s’est trompé : son « pays réel », en effet, était plutôt irréel, imaginé.
On peut idéaliser son peuple ; ou, au contraire, on peut désespérer de ses possibilités, de son avenir. Un exemple classique nous en est fournit par la discussion entre Tchernytchevski et Dobrolioubov.
Cette discussion nous est livrée par le roman « Le Prologue », où l’auteur s’est représenté, lui et son ami, sous les noms de ‘Volguine’ et ‘Levitski’. Dobrolioubov n’était pas d’accord avec son interlocuteur qui disait : « Le peuple est mauvais et bas dans la même mesure que le monde est beau ». Et Tchernytchevski racontait par dérision que les artisans chantaient, fin saouls : « Nous ne sommes ni voleurs ni brigands, nous sommes ouvriers de Stenka Razine ! ». Mais après le premier cri d’un policier, ces « anciens ouvriers de Razine » se dispersent tout de suite, en remerciant Dieu qu’ils ont rencontré un bon policier.
On cite souvent la piètre estime dans laquelle est tenue le peuple russe dans ce roman : « C’est une nation misérable, tous sont des esclaves, du haut en bas ». Comment cette nation, à son avis ‘misérable’ a pu vaincre Napoléon ou, du vivant même de l’auteur, libérer la Bulgarie du joug turc, ce démocrate-révolutionnaire n’a pas pu nous l’expliquer.
Nekrassov doutait aussi des capacités du peuple russe :
« Si tu te réveilleras, plein de forces…
Ou si tu as déjà fait tout ce que tu as pu :
As-tu créé une chanson qui ressemble à un gémissement
Pour t’endormir ensuite pour toujours ? ».
L’activité politique est sans aucun doute l’indice le plus important pour juger des ressources en énergie d’une nation, mais elle n’est pas le seul indice. Il y en a au moins un autre : c’est la capacité à construire un Etat. Mais un Etat qui ne doit pas se substituer au peuple. L’écrivain français Georges Bernanos écrivait dans son « Journal », au début de la seconde guerre mondiale, encore avant la défaite de la France : « On a volé la France aux Français, depuis qu’on leur a mis dans la tête que la France était uniquement l’œuvre de l’Etat, non la leur ». Et : « On a substitué au sentiment de la patrie la notion juridique de l’Etat ». Et voilà le résultat, ajoutait-il, « les Français n’ont plus de patrie » (cf. « Les enfants humiliés »). Les fruits d’une telle substitution sont toujours d’abord la stagnation, et puis l’effondrement.
L’Etat soviétique fut très fort mais tout le monde sait, aujourd’hui, quelle fut sa triste fin. Je note avec inquiétude tous les signes d’engourdissement de notre Etat et j’observe avec envie la vie politique orageuse, tempétueuse, de l’Europe orientale : Pologne, Roumanie, Ukraine. Vraiment, il y a deux Europe. La première est celle des pays où les sentiments nationaux demeurent aigus, où l’énergie non épuisée des peuples trouve à se manifester vers l’extérieur. Et puis, il y a celle où les sentiments sont émoussés, où règne l’apathie, l’indifférence et le je-m’en-fichisme.
Alors, et la dichotomie de départ ? Russie et Europe ? Il y a la Russie et les deux Europe. Où la Russie et la troisième Europe, différentes des deux précédentes mais néanmoins aussi l’Europe.
Vous dites, chers interlocuteurs, qu’il n’y en a que deux, la Russie et l’Union Européenne ? Mais l’élargissement de l’UE fait de celle-ci une instance de plus en plus instable. Perle parmi les nouvelles acquisitions de l’UE est la Pologne qui, fidèle à ses traditions, utilise son « liberum veto » envers et contre l’avis de toute l’Europe, médusée. Mais quelle raison les Européens ont-ils de s’étonner ? Il faut se souvenir de l’histoire.
La Pologne se pose comme obstacle au rapprochement mutuel entre l’UE et la Russie. Mais quelle Pologne : la Pologne légale ou la Pologne réelle ? Nous savons, par exemple, que malgré les affects anti-russes traditionnels des Polonais, plus de la moitié de la population polonaise s’oppose à l’installation des bases militaires américaines sur le territoire de sa patrie. Mais que faire, si ton peuple se tait, s’il est privé de la possibilité d’exprimer son opinion, si les autorités ‘légales’ ne s’intéressent pas à cette opinion, se contentant de ‘sondages’ falsifiés à plaisir ?
On peut imaginer que le peuple se tait à l’unisson avec toi, à la Maurras ; on peut désespérer du peuple, à la Tchernytchevski. Mais se dernier ne se perdait pas en conjonctures pour deviner comment se transformerait le peuple, seize ans après sa mort.
A part les deux pays de Maurras, le légal et le réel, il y en a encore un troisième, que j’appellerai le ‘peuple potentiel’. Nietzsche le devinait quand il disait : « Aimez le pays de vos enfants ». S. Morozov, dont je cite constamment le livre « La conspiration actuelle contre les peuples de Russie », affirme que nous traversons une période transitoire, où la vieille nation russe n’existe plus et la nouvelle nation n’existe pas encore. Mais l’image de cette nouvelle nation reste vague, y compris pour l’auteur du livre lui-même.
L’image de l’Euro-Russie, évoquée dans les milieux amis d’Europe occidentale, est encore plus vague. Gabriele Adinolfi, rédacteur auprès de la revue italienne « Orion », a prononcé un discours très important, qui est publié dans la revue espagnole « Tierra y Pueblo » (septembre 2006). Dans ce discours, Adinolfi exprime sa crainte : « Plus nous sommes immergés dans la réalité, plus nous la reflétons. Plus la sphère de notre imagination est vaste, plus ses contours seront indéfinis et nous ne pourrons les dessiner ». L’hypothèse de l’Euro-Sibérie ne se base, à son avis, que sur un espoir mal fondé. Nos pensées planent dans le domaine de la politique extérieure. Nous transférons nos propres vœux aux pays exotiques, que nous ne connaissons pas pratiquement. Cette Euro-Sibérie désirée, conclut Adinolfi, pourra s’avérer un mirage dans le désert.
Je voudrais ajouter une observation, tiré de mon expérience vitale. Quand il pleut, il semble toujours que le trottoir d’en face est plus sec, mais quand on traverse la rue, on s’aperçoit qu’il est mouillé dans la même mesure. Il y a vingt ans, Guillaume Faye plaçait ses espérances dans un réveil de l’Allemagne. En vain. Aujourd’hui, il les place dans une renaissance de la Russie. Et demain ?
Les catégories de pensée que sont l’Empire, l’Etat, etc. ne sont pas destinées à nous. Si nous sommes incapables de récolter suffisamment d’argent pour payer un billet d’avion Moscou/Paris ou pour louer une salle, nos affaires sont posément désastreuses. Mais, dans le même temps, nous songeons à construire l’Empire !
Gabriele Adinolfi compare notre situation à celle des premiers chrétiens dans l’Empire romain. A mon avis, c’est la seule comparaison adéquate, mais il saute, en la posant, par-dessus une grande étape historique nécessaire, parce qu’il nous parle des chrétiens, qui avaient déjà un canon et des structures bien organisées. Nous, nous n’avons rien.
Les chrétiens ne rêvaient pas de l’Empire, au contraire, ils le tenaient pour un ennemi. Ils cherchaient le Royaume de Dieu et on sait que ce Royaume n’est pas d’ici ou de là, il est « dedans de nous », ou, en d’autres mots, « au centre de nous-mêmes ».
Il me paraît curieux que Gabriele Adinolfi prêche la même chose. Il croit, par exemple, que le fameux choc des civilisations a lieu au-dedans de nous et que nous devons mettre en ordre notre monde intérieur avant de résoudre les problèmes mondiaux. Il doute ensuite de l’existence réelle d’une communauté spirituelle qui nous serait propre et dont les membres pourraient se référer à un « nous ». Je partage ses doutes, parce que quand on me suggère une ‘synthèse organique’ qui serait un mélange étrange de Gengis Khan et des saints chrétiens, je le dis sans circonlocutions inutiles : je ne ferai jamais partie d’un tel « nous » !
Existons-nous ? Non. Pour le moment. Mais je suis convaincu que nous existerons.
Anatoly IVANOV.
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lundi, 31 mars 2008
L'itinéraire politique de Nobusuke Kishi
L’itinéraire politique de Nobusuke Kishi
Né le 13 novembre 1896 à Yamaguchi au Japon, Nobusuke Kishi fut un homme d’Etat japonais, à l’ascendance samouraï. Le clan aristocratique, dont il faisait partie, avait favorisé le mouvement de modernisation et d’occidentalisation (technique) du Japon. Bon nombre de membres de son clan serviront donc le Japon moderne dans la marine, l’armée ou la politique. En 1917, il s’inscrit à l’Université Impériale de Tokyo et devient disciple du professeur Shinkichi Uesugi, interprète nationaliste et conservateur de la nouvelle constitution. Plus tard, Nobusuke Kishi lira le penseur nationaliste Ikki Kita, qui cherchait à établir un ordre nouveau pour la société japonaise. Devenu haut fonctionnaire de l’Empire du Soleil Levant après ses études, il travaillera à l’industrialisation de la Mandchourie, sous les auspices du Général Hideki Tojo, commandant de l’armée japonaise du Kwantung. Quand Tojo devint premier ministre en octobre 1941, Kishi rejoint son cabinet en tant que ministre du commerce et de l’industrie. Il prépare la guerre contre les Etats-Unis. Arrêté par l’occupant américain en 1945, il est interné pendant trois ans au titre de criminel de guerre dans la sinistre prison de Sugamo. Il sera libéré en 1948 sans avoir eu à subir de jugement. En prison, il se familiarisera avec les concepts de la gouvernance à l’occidentale tout en déplorant les mesures prises par les occupants.
Dès sa libération, il replonge avec enthousiasme dans la politique, devenant premier ministre en 1952. Maître dans l’art de manier les pions en coulisses, il parvient à faire fusionner les deux partis conservateurs japonais et à créer ainsi le parti libéral-démocratique, dont il devient le secrétaire général. En 1956, il est ministre des affaires étrangères, puis, quand le premier ministre doit se retirer pour raison de santé, il prend sa place en 1957. Sa ferme intention était de réviser la constitution et de réarmer le Japon (comme l’a voulu plus tard Koinuchi). Le débat était ouvert à l’époque : le Japon avait regagné confiance en lui-même : la gauche était neutraliste et refusait le stationnement de troupes américaines pour surveiller des pays tiers ou pour mater des révoltes sociales. La droite refusait les clauses du traité nippo-américain qui réduisait la souveraineté japonaise. Kishi s’envole en juin 1957 pour Washington et y obtient des Américains la promesse de retirer toutes les troupes terrestres endéans un an. Au terme de toutes ces négociations, Kishi obtient un nouveau traité, d’où les clauses prévoyant l’intervention des troupes américaines en cas de troubles intérieurs ont disparu. Pour l’opposition de gauche, ce traité, où les deux partenaires sont en théorie égaux, reste inacceptable. Des troubles éclatent dans tout le Japon au cours de l’année 1960. Le 23 juin 1960, Kishi est contraint de démissionner. Quelques jours plus tard, un nationaliste radical le poignarde mais sans lui porter un coup fatal. Retiré de la politique active, il continuera à diriger en coulisses le parti libéral-démocrate. Il meurt à Tokyo le 7 août 1987 (Robert Steuckers).
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A. Mölzer: sur le Kosovo
Andreas MÖLZER :
Réflexions sur la proclamation unilatérale d’indépendance au Kosovo
Cette manière de procéder -de proclamer unilatéralement son indépendance- peut avoir de terribles conséquences pour l’Europe, du moins pour sa portion située entre les Pays Baltes et les Balkans. Si l’on suit cette logique, la plupart des Etats doivent se dissoudre. Pourquoi les Hongrois de Transylvanie ou du sud de la Slovaquie, pourquoi les Russes des Pays Baltes, pourquoi les Allemands de Haute Silésie (actuellement polonaise) devraient-ils renoncer à cette autodétermination que s’accordent les Kosovars ? Vu sous cet angle, nous avons, en reconnaissant le Kosovo, ouvert une véritable boîte de Pandore. Les groupes ethniques, nés au cours de l’histoire, qui se sont développés sur un territoire précis pendant plusieurs siècles successifs, ont bien davantage le droit de revendiquer leur indépendance politique que les Kosovars, qui ne sont jamais qu’une nation d’immigrants.
Vu la nature explosive que revêt l’idée du droit des peuples à l’autodétermination dans ces régions multi-ethniques et bigarrées et vu les conséquences que cela pourrait entraîner, la seule alternative viable aurait été d’européaniser ces territoires. L’imbroglio ethnique et culturel que l’on retrouve en Europe orientale, et surtout dans les Balkans, et qui forme la trame de ces régions, ne peut trouver de solution pacifique que sous un baldaquin supra-national, comme au temps de la monarchie des Habsbourgs. Une perspective européenne pour l’ensemble des Balkans occidentaux serait effectivement une solution envisageable. Lorsque tous les Etats qui ont émergé de l’ancienne Yougoslavie seront devenus membres de l’UE, lorsque les marchandises circuleront librement dans un territoire sans frontières, les conflits de nationalités pourront de fait être définitivement surmontés.
Mais la situation actuelle ne nous permet pas d’être optimistes : les Balkans, semble-t-il, resteront un baril de poudre en Europe, pendant quelques générations encore. La fierté de la nation serbe a été bafouée ; l’orgeuil nationaliste des Albanais a été galvanisé ; les Croates de Bosnie n’ont trouvé aucune solution à leurs problèmes ; plus généralement, ces Etats nés de la dissolution de la Yougoslavie ne sont pas viables économiquement, ce qui rajoute encore de la poudre au baril déjà plein à ras bord.
Les autres Etats européens ne semblent pas réellement conscients de la situation : ils ne suggèrent aucune politique intelligente pour enrayer ce processus calamiteux. Dans le cas du Kosovo, ils ont aggravé la situation en voulant l’améliorer, n’ont pas contribué à apporter une solution durable. Nous réclamons une politique qui aille dans le sens des intérêts de l’Europe toute entière !
Andreas MÖLZER.
(Extrait d’un long article paru dans « zur Zeit », Vienne, n°9/2008 ; trad. fran9. : Robert Steuckers).
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dimanche, 30 mars 2008
Sur le juriste Pieter Stockmans
Sur le juriste Pieter Stockmans
Pieter Stockmans, juriste brabançon, naît à Anvers le 3 septembre 1608. Il devint professeur à l’Université de Louvain en 1632, puis Conseiller d’Etat du Brabant en 1643. En 1663, il fait partie du « Conseil Secret » et, en 1665, de la « Cour Suprême de Guerre » (« Opperkrijgsraad » / « Oberkriegsrat »). En 1666, il prend la plume pour fustiger, avec force arguments, les prétentions de Louis XIV sur la rive occidentale du Rhin. Ses arguments sont collationnés dans le « Tractatus de jure devolutionis ». Stockmans est fasciné par l’antiquité grecque et par le stoïcisme, qui entend demeurer au-dessus de la petitesse humaine. Ami du gouverneur espagnol, le Marquis de Caracena, qui exerça ses prérogatives de 1659 à 1664, il est envoyé à la Diète Impériale de Ratisbonne pour réclamer l’intervention de l’Empire contre les prétentions françaises. Il soumet à cette lamentable assemblée deux écrits : « Scriptum gallicum contra securitatem circuli Burgundici nuper in comitiis Ratisbonensis compositum » (36 pages) et « Refutatio scripti gallici contra circuli Burgundici securitatem compositi ». Il prouve et rappelle dans ces textes que le « Cercle de Bourgogne », menacé par la France, demeure une partie intégrante du Saint Empire et doit donc recevoir le soutien du Reich. Il ne sera pas écouté. La menace française devient de plus en plus pesante, surtout à partir du moment où Louis XIV énonce « les droits à la dévolution ». Stockmans y répond par une « Deductio » anonyme, en latin et en néerlandais. Ensuite, il récapitule tous ses arguments dans son « Tractatus de jure devolutionis » (1666). L’historien français Guy Joly lui répond. Stockmans rédige alors une « Pars Secunda » de son « Tractatus », puis une « Pars Tertia », qualifiant les prétentions françaises d’inepties et d’erreurs. Pieter Stockmans meurt à Bruxelles le 7 mai 1671 (Robert Steuckers).
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Du précédent bosniaque à la crise du Kosovo
Andreas MÖLZER :
Du précédent bosniaque à la crise du Kosovo
A coup sûr, nous pouvons dire que la création de la Bosnie a constitué le premier péché originel de la communauté internationale et de l’Union Européenne. Dans leurs efforts pour imposer le dogme de la viabilité et de l’excellence des entités étatiques multi-ethniques et muti-culturelles, elles ont cru, jusque aujourd’hui, qu’en Bosnie comme au Kosovo elles allaient pouvoir neutraliser les vieilles haines nationales et apaiser définitivement les conflits entre peuples qui en découlaient.
Dans le cas de la Bosnie, elles ont commencé par reconnaître, à côté des habituelles catégories ethniques, des identités religieuses. Serbes et Croates vivent là-bas dans des communautés imbriquées les unes dans les autres sur un même territoire, ce qui rendait la situation déjà extrêmement compliquée. Or, par-dessus cet imbroglio ethnique, les instances internationales n’ont rien trouvé de mieux que d’y superposer un niveau identitaire supplémentaire, d’ordre religieux et culturel, en mettant les Musulmans de Bosnie sur le même pied que les identités serbe et croate : le champ de la problématique en est devenu encore plus complexe. Le Kosovo s’ajoute aujourd’hui à un Etat bosniaque à dominante musulmane sur le sol européen, un Etat kosovar dont l’islam s’est considérablement radicalisé au cours des conflits de ces vingt dernières années. Des influences venues du Proche Orient et l’arrivée de moudjahiddins flanqués d’imams militants ont contribué à rendre fondamentaliste un islam albanais qui s’était fortement laïcisé au fil du temps. On ne s’étonnera pas, dès lors, d’apprendre que la Turquie fut le premier Etat à reconnaître le Kosovo indépendant, en y mettant beaucoup d’emphase.
Conséquence immédiate de la proclamation unilatérale de l’indépendance du Kosovo : les Serbes de Bosnie, ceux de la « Republika srpska », réclament, en même temps que les Serbes du Kosovo, que leurs zones de peuplement soient détachées des nouveaux Etats à dominante musulmane pour être rattachés à la Serbie. Quels arguments la communauté internationale et surtout l’Union Européenne pourraient-elles bien avancer pour rejeter cette requête ? Après qu’elles aient reconnu le Kosovo, mystère et boule de gomme !
Le projet imaginé et mis au point, il y a une bonne décennie, par le chef d’Etat serbe Milosevic et son homologue croate Tudjman, apparaît rétrospectivement bien réaliste, lui qui prévoyait, dans les zones de peuplement où Serbes et Croates vivaient imbriqués, une « épuration ethnique pacifique ». Ce projet rappelait certes les accords entre Hitler et Mussolini pendant la seconde guerre mondiale au Tyrol méridional et dans la zone du « Kanaltal » en Carinthie. Tudjman et Milosevic voulaient « désimbriquer » les zones mixtes de manière pacifique sans tenir compte du facteur islamo-bosniaque et arrondir à terme les territoires de la Croatie et de la Serbie. Mais ce projet n’a pu se réaliser. L’intervention américaine et la volonté de l’UE d’imposer son dogme de l’absolue nécessité d’Etats multi-ethniques s’y sont opposés.
Dorénavant, les frontières d’Etat pourront donc être révisées par des déclarations unilatérales d’indépendance et ces révisions seront automatiquement reconnues par la communauté internationale. Pour les Balkans, il conviendra d’imaginer et d’élaborer des projets viables sur le long terme et réellement générateurs de paix. Dans ce cas, le droit des peuples à la pleine autodétermination devra s’appliquer de manière radicale et complète. Il faudra organiser des referenda et votations populaires, ensuite procéder au détricotage des zones ethniquement bigarrées sur base du droit privé, dans la mesure où il faudra liquider et vendre des biens immeubles et mettre en œuvre le déménagement volontaire des populations qui ne veulent pas vivre sous la domination d’autres ethnies. Dans la logique qui vient de s’imposer, on devra envisager l’émergence d’un Etat pan-albanais, qui regroupera tous les territoires peuplés d’Albanais, c’est-à-dire l’Albanie, le Kosovo et les parties de la Macédoine et de la Bosnie où ils sont majoritaires. Mais ce qui est vrai pour les Albanais, doit être vrai pour les Serbes : ceux-ci doivent recevoir le droit de décider par consultation populaire, dans tous les Etats nés du démantèlement de l’ancienne Yougoslavie, s’ils veulent vivre ensemble dans un grand Etat serbe ou séparés dans plusieurs Etats. Il faudra ensuite vérifier dans quelle mesure les Monténégrins et les Macédoniens constituent ou non de véritables ethnies, avec une langue et une culture particulières, et dans quelle mesure ils sont encore ou non animés par le désir de posséder leur propre Etat.
Andreas MÖLZER.
(extrait d’un article paru dans « zur Zeit », Vienne, n°9/2008 ; trad. franç. : Robert Steuckers).
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1814: Bonaparte à Fontainebleau
30 mars 1814: Napoléon Bonaparte, aux abois, se réfugie à Fontainebleau, alors que Paris capitule après de violents combats. Les armées coalisées entrent en France, sous le commandement du Prussien Blücher et de l’Autrichien Schwarzenberg. Ceux-ci renouent avec la stratégie de Götz von Berlichingen au 16ième siècle : pénétrer l’espace des Gaules par la conquête du plateau de Langres, où la Seine, les rivières du bassin de la Seine et la Meuse prennent leurs sources. Sur le flanc oriental du plateau de Langres coule la Saône, principal affluent du Rhône, qu’elle rejoint à Lyon. Les stratégies impériales, quand elles ont été déployées contre la France, avaient une dimension hydrographique. Les Autrichiens entendaient soumettre à une occupation permanente ce plateau de Langres, de façon à :
1) contrôler le bassin de la Seine et, partant, Paris, ensuite
2) prévenir toutes manœuvres françaises en direction de la Meuse, et, simultanément de l’ensemble fluvial le plus proche à l’Est, constitué par la Meurthe et la Moselle, qui donne sur le Rhin et, enfin
3) mettre un pied dans le bassin du Rhône, pour, à bien plus long terme, ramener dans le giron impérial l’espace rhodanien, ancien royaume de Burgondie du temps de l’empereur Conrad II.
Charles-Quint, et son allié et parent Philibert de Savoie, avaient tenté des opérations similaires en Provence, façade méditerranéenne de l’espace médiéval du royaume de Burgondie. La chute de Napoléon Bonaparte n’a pas entraîné l’application de cette vieille stratégie hydrographique : Metternich préféra se ménager une France dirigée par Talleyrand (qui accède au pouvoir le lendemain 31 mars 1814) contre un danger prussien et protestant qu’il voit poindre à l’horizon. Metternich veut rétablir de la sorte l’alliance franco-autrichienne, scellée avant la révolution, par le mariage du futur Louis XVI et de Marie-Antoinette de Habsbourg-Lorraine.
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samedi, 29 mars 2008
Entretien avec S.E. Vladeta Jankovic
Entretien avec son Excellence Vladeta Jankovic, ambassadeur de Serbie auprès du Saint-Siège
L’ « Indépendance » du Kosovo : une entorse au droit international
Le quotidien romain « Rinascita » a interviewé l’ambassadeur de Serbie auprès du Saint Siège, Vladeta Jankovic. Les journalistes de Rinascita lui ont posé quelques questions sur l’avenir de la Serbie, sur les très prochaines élections politiques et administratives prévues pour le 11 mai 2008 et sur les risques qu’encourt le droit international à la suite de la proclamation unilatérale de l’indépendance du Kosovo par les séparatistes albanais.
Propos recueillis par Andrea PERRONE
Q. : Monsieur Vladeta Jankovic, Voyeslav Kostunica a démissionné de son mandat de premier ministre. La crise de la coalition au pouvoir à Belgrade a été suscitée par les débats sur l’adhésion éventuelle à l’Union Européenne et par la problématique de l’intégrité territoriale de la Serbie. Quelles sont les prévisions pour les prochaines élections ?
VJ : La démission du premier ministre était inévitable. Les divergences de vue entre les différents partenaires de la coalition portaient sur les éléments suivants : une partie du gouvernement, axée autour du Parti Démocratique de Boris Tadic, le Président serbe, était en faveur du processus d’intégration à l’Union Européenne, sans tenir compte du fait que la majeure partie des membres de l’UE avait reconnu la proclamation illégale d’indépendance du Kosovo. Les autres partenaires de la coalition de l’exécutif serbe, comme le Premier ministre, estimaient qu’il fallait geler le processus d’intégration à l’UE afin que les pays membres se déclarent tous en faveur de l’intégrité territoriale de la Serbie, telle qu’elle existait de facto avant la proclamation de l’indépendance kosovare. Ces divergences de vue portaient effectivement sur des éléments substantiels. A partir du moment où il a constaté qu’il ne pouvait plus obtenir l’unanimité, le Premier ministre a demandé au Président, en accord avec les principes de la Constitution, de dissoudre le Parlement et de fixer une date pour de prochaines élections législatives. Celles-ci ont été prévues pour le 11 mai. Le peuple se prononcera : il décidera s’il faut aller de l’avant dans les négociations avec l’Union Européenne, nonobstant le fait qu’une grande partie des Etats européens ait reconnu l’indépendance du Kosovo ou, au contraire, si Belgrade devra concentrer tous ses efforts pour conserver l’intégrité territoriale et la souveraineté de la Serbie, comme le reconnaissent par ailleurs les résolutions des Nations Unies.
Q. : Il y a un mois, Pristina s’est déclarée indépendante de Belgrade. Qu’en pensez-vous ?
VJ : Pour l’essentiel, je retiens qu’il n’y aura pas de différence, quel que soit l’équipe qui sortira victorieuse des élections du 11 mai : tous seront d’accord pour dire que l’indépendance du Kosovo est illégale et que l’idée d’un Etat kosovar indépendant est impensable. La Serbie ne le reconnaîtra jamais. Cependant, il est plus difficile de dire maintenant quelle approche sera la meilleure. Le plus important, c’est que tous les Serbes se mettent d’accord pour refuser l’indépendance du Kosovo. A l’heure actuelle, la majorité des Etats de l’UE a reconnu l’indépendance du Kosovo, ce qui fait 16 Etats sur 27.
Q. : Pensez-vous qu’un gouvernement plus fort, par exemple porté par un tandem Kostunica-Nikolic, aura une approche plus ferme sur la question de la sécession du Kosovo ?
VJ : Il me parait fort difficile de spéculer dès aujourd’hui sur les résultats des prochaines élections. Il me parait cependant impossible qu’un seul parti puisse obtenir d’emblée la majorité absolue, sans avoir besoin de partenaire.
Q. : Avec la sécession du Kosovo, c’est une boîte de Pandore qui s’ouvre…
VJ : C’est prévisible. Et c’était prévisible depuis longtemps. Et, de fait, les Albanais de Macédoine, qui forment 30% de la population macédonienne, cherchent déjà à obtenir davantage de droits pour leur minorité ; ils exigent que la langue albanaise soit reconnue comme langue officielle en Macédoine, que leur drapeau soit hissé sur les bâtiments publics, qu’une amnistie soit décrétée pour tous les Albanais qui ont participé à l’insurrection de 2001 en Macédoine. Ce pays est donc sur la voie de la fédéralisation. La partie albanophone de la Macédoine réclament aujourd’hui cette fédéralisation et finira demain par réclamer une sécession, vu que les Albanais de Macédoine ont déjà reconnu l’indépendance du Kosovo. Nous avons donc une crise sécessionniste en Macédoine et une autre en Géorgie, où les républiques indépendantistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud veulent s’unir à la Russie. Voilà donc la boîte de Pandore que vous évoquiez dans votre question… De manière analogue, la Transnistrie pourra proclamer son indépendance, de même que le Nagorno-Karabakh, où le processus est déjà à l’œuvre. On peut également prévoir que de telles sécessions auront lieu ailleurs dans le monde. A peu près vingt-six pays ont reconnu l’indépendance du Kosovo, mais d’autres ont refusé de reconnaître cette sécession parce qu’ils craignent qu’ils auront tôt ou tard à affronter un problème similaire à l’intérieur de leurs propres frontières, comme Chypre, la Slovaquie, la Roumanie et l’Espagne. En dehors d’Europe nous avons l’Indonésie et l’Inde en conflit avec le Pakistan pour le Cachemire. L’indépendance du Kosovo a mis en crise l’ensemble du droit international. On remet ainsi en question les décisions des Nations Unies et leurs résolutions. Certains Etats prétendent que le Kosovo est un cas à part, un cas sui generis. C’est faux.
Q. : Pensez-vous que le rôle de Moscou et les futures décisions russes seront vraiment importants pour trouver une solution ?
VJ : Pour ce qui concerne Moscou, la Russie a soutenu la Serbie depuis le début de la crise. Le Kosovo est virtuellement perdu pour la Serbie depuis 1999. La Fédération russe, en 1999, sous Eltsine, était très faible économiquement et politiquement. Depuis lors, tout a changé. La Fédération de Russie est devenue beaucoup plus forte et veut prouver au monde qu’elle peut exercer une réelle influence sur la question. La Russie sous Poutine est en mesure de soutenir la Serbie, de forcer la décision en sa faveur, non pas parce que les Russes sont orthodoxes et slaves mais pour une question de principes, liée au droit international qui a subi une grave entorse à la suite de la proclamation unilatérale de l’indépendance du Kosovo. La Russie est redevenue forte et soutient la Serbie à la tribune des Nations Unies, à l’OSCE et dans toutes les organisations internationales. Mais il n’y a pas que la Russie qui soutient la Serbie au niveau international ; en effet, au Conseil de Sécurité, quinze pays s’affirment en faveur de Belgrade, dont la Russie, bien sûr, mais aussi la Chine, le Vietnam, l’Indonésie, la Libye et l’Afrique du Sud, dont le soutien est ferme, car, en Afrique, les frontières des Etats sont instables, complexes et difficiles à maintenir. Les Américains exercent une forte pression sur la République Tchèque, la Grèce, la Roumanie, mais ces pays continuent à résister car, potentiellement, ils pourraient avoir les mêmes problèmes que la Serbie avec le Kosovo. En outre, rappelons-nous que le monde a une population d’environ six milliards d’âmes et que si l’on additionne les habitants de la Chine, de la Russie, de l’Inde, de l’Indonésie, de l’Afrique du Sud, nous obtenons un chiffre de quelque trois milliards et demi de personnes ; nous pouvons dire alors que la majeure partie de la population de la planète soutient la Serbie.
Q. : Je voudrais vous parler des églises, des monastères et des Serbes du Kosovo ? Quel sera leur avenir ?
VJ : Les monastères et les églises du Kosovo doivent impérativement être placés sous la protection des contingents militaires de l’UNMIK. Les monastères orthodoxes du Kosovo sont d’une valeur culturelle inestimable : ils remontent aux 12ième, 13ième et 14ième siècles. Pour l’heure, ce sont des soldats italiens très courageux qui les défendent : leur attitude est exemplaire malgré le comportement du gouvernement italien et le rappel à Belgrade de notre ambassadeur en Italie. Ces monastères et ces églises, sous la protection des troupes italiennes de l’UNMIK relèvent d’un héritage culturel important pour le monde entier. Ils sont un patrimoine pour l’humanité toute entière et figurent d’ailleurs sur la liste des sites à protéger, dressée par l’UNESCO. Les fresques que l’on trouve dans ces bâtiments historiques sont parmi les plus belles de cet art au monde. On peut comparer leur facture et leur qualité à ce que l’on retrouve dans la cathédrale de Chartres en France.
Q. : Quelle différence y a-t-il entre la mission de l’UNMIK et celle d’EULEX ?
VJ : La mission de l’UNMIK est très importante. La Serbie ne s’oppose nullement à la présence de l’UNMIK parce que celle-ci a été décidée par le Conseil de Sécurité de l’ONU. En revanche, la mission européenne EULEX ne rencontre pas l’approbation de la Serbie, parce qu’elle n’a pas été sanctionnée par une décision des Nations Unies. La différence entre les deux missions est donc de taille. La mission de l’UNMIK découle d’une résolution votée aux Nations Unies et repose sur les principes de l’ONU, voilà pourquoi la Serbie accepte pleinement sa présence sur le territoire serbe.
Q. : Quelle est la position du Saint Siège et du Pape Benoît XVI, alias l’ancien Cardinal Josef Ratzinger, à propos de l’indépendance du Kosovo ?
VJ : La position du Saint Siège repose sur la prudence et la modération. Elle s’est déjà exprimée en diverses occasions et le Saint Père l’a confirmée lors de la présentation de mes lettres de créance, il y a un mois. Le Saint Siège comprend qu’il y a péril pour toute la chrétienté, pour les milliers de réfugiés qui ont dû quitter le Kosovo en 1999 ; le Saint Siège se préoccupe surtout de la défense de la justice et des principes du droit international. La Serbie croit, elle aussi, au droit international, au droit des gens et des Etats. C’est le moment de faire montre de solidarité et de ne plus penser aux divisions au sein de la chrétienté. Les chrétiens doivent défendre les droits et principes culturels des autres peuples. C’est très important pour le Saint Siège, non seulement pour les droits de la Serbie mais aussi pour ceux de tous les autres peuples et, subséquemment, pour la paix dans le monde.
(entretien paru dans « Rinascita », Rome, 20 mars 2008 ; http://www.rinascita.info ; adresse électronique pour toute information : info@rinascita.net ).
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Citation de Montesquieu
Citation de Montesquieu
« Dans les monarchies extrêmement absolues, les historiens trahissent la vérité, parce qu’ils n’ont pas la liberté de la dire : dans les Etats extrêmement libres, ils trahissent la vérité à cause de leur liberté même, qui, produisant toujours des divisions, chacun devient aussi esclave des préjugés de sa faction, qu’il le serait d’un despote ».
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vendredi, 28 mars 2008
Citation de Nicolas Berdiaev
Citation de Nicolas Berdiaev
« Les événements se déroulent dans la réalité de l’esprit avant de se manifester dans la réalité extérieure de l’histoire ».
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Socialisme et gildes
Davide D’AMARIO :
Le projet social d’Ezra Pound : communautés et gildes
« Je sais, et non d’après une théorie mais bien par expérience, que l’on peut vivre infiniment mieux avec très peu d’argent et beaucoup de temps libre, qu’avec plus d’argent et moins de temps. Le temps n’est pas de l’argent, mais presque tout le reste… » (Ezra POUND).
Les réflexions, que je couche ici sur le papier, sont le fruit d’une lecture du très beau livre de Luca Gallesi, « Le origini del fascismo di Ezra Pound », édité auprès des Edizioni Ares. A l’évidence, cet article est tout simplement un point de départ qui me permettra de développer ultérieurement mes sentiments « extravagants » et, quelles que soient les positions que prendront les hommes que je mentionnerai dans mes interprétations, celles-ci ne pourront être ramenées ou assimilées en tous points à la structure solide et scientifique du livre de Gallesi.
Quand Marx, bien à raison, proposait l’unité de tous les travailleurs du monde, à une période historique bien précise, les capitalistes étaient divisés. Ils s’opposaient les uns aux autres dans des querelles internes, inhérentes à la division de leur camp en « capitalismes nationaux ». Rappelons aussi que Marx, à cette époque, parlait de gouvernements réduits à des « comités d’affaires » pour le compte de leurs bourgeoisies respectives. Je pense que Marx se rendait parfaitement compte que les limites territoriales opposaient les bourgeoisies capitalistes entre elles, limites dans lesquelles on retrouvait une diversité monétaire, la concurrence, le protectionnisme, de véritables barrières économiques de toutes natures qui contribuaient à limiter l’internationalisation des capitaux et généraient des tensions parmi les capitalistes.
Par ce préambule, je veux simplement arriver au constat que la réflexion de Marx est plus actuelle aujourd’hui qu’elle ne l’était hier parce que, depuis trente ans environ, les travailleurs subissent attaque sur attaque ; certes, on me rétorquera qu’ils en ont toujours subies mais, aujourd’hui plus que jamais, c’est bien pire : ils ont été totalement éliminés du jeu dans la mesure où ils ont perdu toute conscience unitaire. Dans cette situation difficile, la pensée prophétique d’Ezra Pound me semble mieux expliquer la situation de nos contemporains. Effectivement, les communautés de travailleurs ont été, à intervalles réguliers, divisées, fragmentées, disloquées ; les attaques principales contre elles se sont faites au niveau des salaires mais plus encore au niveau de leur dignité humaine. C’est ici que reviennent les fameux « comités d’affaires » de Marx. Plus que jamais, aujourd’hui, et sous les yeux de tous, les exploités sont divisés et les décideurs du monstre capitaliste s’organisent de plus en plus, s’unissent et coordonnent leurs agissements criminels.
Que le lecteur me pardonne cette petite digression, mais j’entends exprimer ici ma conviction que cette digression peut intégrer le raisonnement que je vais développer ici, justement parce que je vais parler des socialismes atypiques, utopiques et étranges, de ces socialismes que l’inquisition de certains pontes marxistes-léninistes, sans Marx ni Lénine, ont campé comme des drôleries dépourvues de sens (dans le meilleur des cas !).
Le socialisme qui trouve ses origines quasi magiques dans l’œuvre du poète-économiste Ezra Pound propose une vision du monde humain diamétralement opposée aux spéculations financières et à l’usure, qui ont perfectionné aujourd’hui leur horrible règne. Ce socialisme est communautaire et il a séduit également le génial poète irlandais William Butler Yeats, qui a lutté pour l’indépendance de sa Terre, fière et passionnée, une indépendance enracinée dans la littérature, le théâtre, la poésie, la Vie. Mieux que toutes paroles ou éloges à l’adresse à ce héraut de la liberté irlandaise : l’épitaphe gravé sur sa tombe, qui évoque l’attitude existentielle à adopter sur le chemin terrestre et difficile de chacun. « Jette un regard froid sur la Vie, sur la Mort, Chevalier, et poursuis ton chemin ».
Je vais maintenant chercher à ramener à la mémoire de mes lecteurs ces nombreux socialistes, dont les idées n’ont pas été concrétisées, ces expériences de communautariens inconscients, en leur époque, de la portée de leurs projets, de tous ces hommes dont les propositions généreuses n’ont pas été suivies d’effets, mais que nous pouvons, sans hésiter, poser comme les pionniers au cœur pur, au langage vrai, du mouvement actuel de décroissance. Et pas seulement de ce mouvement-là…
Esquissons l’historique de quelques-unes de ces tentatives ou expériences. Dans l’Angleterre, rebelle et pensante, fièrement anti-capitaliste et anti-colonialiste, une perspective révolutionnaire s’est dessinée dans les esprits, certes sur un plan plutôt théorique et nettement moins pratique, mais néanmoins digne de nos respects. Dans cette Angleterre, une culture alternative a vu le jour, très différente de l’impérialisme officiel, qui n’était que racisme hautain, exclusivisme social et économique, à des années lumière des politiques maçonniques et sectaires axées sur la violence envers les exploités : la littérature de l’époque en témoigne. Les enfants, filles et garçons, furent les premières victimes de cette violence sociale, de la monstrueuse dynamique socio-politique de cet âge du manchestérisme triomphant. On les retrouvaient par dizaines de milliers dans de sinistres orphelinats, dans d’hideuses fabriques, dans des « maisons de correction ou de redressement », sans cesse exposés au châtiment de la bastonnade, au stupre, ou furent purement et simplement tués car considérés comme inutiles ou bons à rien voire destinés à devenir simple viande de boucherie dans un futur imaginé comme complètement robotisé.
Face à ces visions d’horreurs, se constitue, sur le plan doctrinal, le « socialisme des gildes ». Il se veut une doctrine culturelle alternative, différente de l’horreur manchésterienne. Le « gildisme » a été théorisé par un historien anglais, G. D. H. Cole, puis, au fil des années, par le livre manifeste d’un architecte socialiste et chrétien, Arthur Joseph Penty (1875-1937), « The Restoration of the Gild System », paru en 1906.
Ce socialisme atypique, admirateur du moyen âge, ennemi infatigable et passionné de l’industrialisme moderne, lançait un appel au retour à l’artisanat, à un système de production à petite échelle, sous le contrôle normatif des gildes professionnelles. En suivant l’exemple du socialiste William Morris, ce socialisme refusait l’idée que la production de produits « de qualité médiocre et vendus à bon marché » constituait un avantage pour le consommateur. De cette façon, ce socialisme gildiste anticipait, avec ses idées radicales, tous les courants critiques du système capitaliste nés dans les années 70 du 20ième siècle, courants qui, au cours de ces dernières années, sont revenus à pas de colombe sur l’avant-scène idéologique mondiale. Ces critiques recèlent des rancoeurs contre un système abominable et sont perpétuellement à la recherche de solutions pour soulager les peines des travailleurs réduits à l’esclavage, y compris de solutions dans la lutte actuelle contre les caractères démoniaques de l’exploitation mentale des travailleurs. Dans cette optique intellectuelle et socialiste, l’homme ne doit pas se limiter à analyser la vie à l’intérieur des structures dominantes de la société industrielle mais, au contraire, doit s’en évader et lancer des dards empoisonnés sur le monstre « Progrès », posé comme fin en soi et qui nous broie tous aujourd’hui.
Dans le même filon, où se mêlent intérêts culturels et intérêts politiques, nous trouvons la publication « The New Age », éditée par A. R. Orage. Elle fut une revue, une tribune, qui assura le lien, la jonction, entre ce socialisme des gildes et le renouveau artistique et culturel constitué par la résistance communautarienne (avant la lettre). A cette revue contribuèrent des militants et des penseurs, des écrivains et des poètes du calibre d’un Ezra Pound, d’un William Butler Yeats, d’un G. K. Chesterton et de bien d’autres qui, ensemble, formèrent une redoute dans les années 10 et 20 du 20ième siècle en Angleterre, où germèrent des idées qui demeurent encore et toujours actuelles. Dans cette revue, on étudiait et analysait les œuvres de Nietzsche et de Marx, pour les enrichir et les dépasser, les inscrire dans des projets réalisables.
Nous avons eu affaire, là, à une culture socialiste originale et non dogmatique, qui a pris forme, a émergé à la vie en se mêlant sans remords à la religiosité véritable du peuple, sans chercher à trancher le cordon ombilical qui reliait le socialisme aux traditions populaires, sans renier des formes fortes et solidement ancrées de religiosité païenne ou chrétienne, présentes au sein du peuple.
La « Ligue des Gildes Nationales » en fut le mouvement organisé, la représentante de cette jeune communauté de pensée. Elle naquit en l’année fatale 1915, où une boucherie sans nom allait commencer, où la fine fleur de la jeunesse européenne tombera au combat ou en sortira renforcée. Dès son émergence, cette « Ligue » eut à subir les avanies des marxistes sectaires, ignorants et démagogues, qui la traitèrent de « mouvement petit-bourgeois et utopiste ». Ces socialistes communautariens et gildistes, qui avaient adhéré à la « Ligue », croyaient que la force éthique, et non le matérialisme vulgaire, devait se poser comme le noyau incandescent de la lutte socialiste parce qu’ils estimaient que la liberté individuelle devait s’épanouir à l’intérieur et en symbiose avec la communauté populaire ; ils pensaient également que la responsabilité sociale devait s’étendre au peuple tout entier, de façon à ce que la Révolution trouve dans le peuple lui-même, et non à l’extérieur de lui, une légitimité faite de sang, de chair et d’idée, prête à prendre, aux moments terribles de l’épreuve, les rênes de la cause communautaire. Pour ces militants communautariens et nationaux, la lutte contre l’esclavage et contre l’incertitude étaient les axes majeurs de l’action socialiste.
Dans leurs propositions, les gildistes de la « Ligue » réclamaient d’être libérés du spectre du chômage, d’être libres dans les usines, de bénéficier du droit au travail sous la houlette de directeurs qu’ils auraient choisis, d’éliminer du monde du travail tous les dirigeants imposés d’en haut, tant dans les entreprises privées que dans le secteur de l’Etat. Ils étaient convaincus que sans une démocratie industrielle, il ne pouvait pas y avoir de démocratie politique. Cette brève approche de l’idéologie gildiste nous permet de conclure que le « contrôle communautarien » devait venir de la « base ». Ce mouvement, non unitaire, alignait à l’évidence des personnalités diversifiées, exprimant des positions parfois contradictoires, mais, en dépit de ces divergences de surface, elles avaient toutes un projet général, qu’il serait intéressant de raviver aujourd’hui.
Davide D’AMARIO.
(article paru dans le quotidien romain « Rinascita », 19 février 2008).
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