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samedi, 23 août 2008

Les avatars chrétiens de Wodan après la conversion des Germains

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Les avatars chrétiens de Wodan après la conversion des Germains

d'après Otto Rudolf Braun

Wodan était l'une des principales figures divines au temps de la christianisation des Germains. Il était le dieu qui donnait la sagesse aux hommes. Il était aussi le dieu des guerriers et des héros tombés au combat. Son importance était grande parmi les Germains comme le prouve la formule d'abjuration que les convertis devaient prononcer avant de recevoir le baptême. En effet, les Germains, comme tous les païens, avaient d'innombrables dieux et la formule n'en reprend que trois: Donar (Thor), Ziu (dieu primordial indo-européen; Zeus et Ziu ont la même racine) et Wodan lui-même.

Précisons que, pour les premiers Chrétiens de Germanie, les dieux ancestraux n'étaient pas perçu comme des superstitions mais comme des forces ennemies, maléfiques, qu'il s'agissait de combattre. Le spécialiste de la question Erich Jung nous l'explique: «Pendant longtemps, l'Eglise germanique primitive n'a pas nié l'existence et l'action des dieux ancestraux, mais a combattu ces derniers comme des esprits maléfiques, des monstres, des démons. Donc, pour eux, Wodan gardait toute son influence sur les âmes non baptisées. Son Armée (Heer), sa horde, était principalement composée d'âmes d'enfants morts».

C'est la raison pour laquelle l'Eglise demandait aux anciens Germains d'abjurer leurs dieux ancestraux. Mais cette injonction ne fut pas immédiatement suivie d'obéissance: le peuple continuait d'honorer ces anciens dieux. L'Eglise fut donc obligée de changer de politique et de les christianiser, d'en faire des saints. Wodan est par conséquent le dieu qui a connu le plus d'avatars chrétiens.

Il a été transformé en archange Michel, que l'on représente tantôt avec l'attribut de Ziu (l'épée), tantôt avec l'attribut de Wodan (le manteau). A son propos, Cäsarius von Heisterbach (1180-124?), chroniqueur médiéval, cite une légende allemande, où Wodan, très manifestement, entre en scène. C'est la légende du Chevalier Gerhard von Holenbach. Un jour, le diable lui apparaît, déguisé en pélerin. Il frappe à la porte du Chevalier et lui demande l'aumône. Comme il faisait froid, le Chevalier le fit entrer et, pour la nuit, lui offrit son manteau en guise de couverture. Au petit matin, le pélerin avait disparu avec le manteau. Peu après, le Chevalier décide d'entreprendre un pélérinage au tombeau de St. Thomas en Inde. Avant de partir, il brise son anneau en deux morceaux et en donne un à sa femme, afin qu'elle conserve un signe de reconnaissance. S'il ne revient pas avant cinq ans, elle sera libre. Mais le Chevalier n'atteint le tombeau de St. Thomas qu'au jour où il aurait dû rentrer chez lui. C'est alors qu'apparaît le diable vêtu de son manteau qui, en un tour, le ramène d'un coup chez lui. Gerhard retrouve sa femme en train de célébrer son repas de fiançailles avant un autre Chevalier et lance son anneau dans une coupe. Sa femme le reconnaît et le Chevalier reprend sa place.

Le Diable joue ici très nettement le rôle de Wodan. Cäsarius von Heisterbach a sans doute transformé une vieille légende wotanique. Plus tard, au 15° siècle, la chronique suisse des Seigneurs von Stretlingen, de la région du Thurnersee, remplace, dans la même légende, le Diable par l'Archange Michel.

La Sainte Lance est, elle aussi, un ancien attribut de Wodan et même l'un des principaux. Avec sa lance, Wodan désignait les guerriers les plus braves, avant que les vierges-pages ne viennent les chercher pour les conduire au Walhall. Cette sainte lance fit partie, plus tard, des insignes de la cérémonie du couronnement des Empereurs du Saint-Empire, sous le nom de Lance de St. Maurice. A la bataille du Lechfeld contre les Hongrois, on apporta à l'Empereur Othon I la lance dite de St. Michel. La Sainte Lance joua encore un rôle décisif lors d'une bataille de la première croisade quand, en 1098, devant Antioche, les guerriers francs et normands, découragés, minés par la fatigue, ne se relancèrent à l'assaut qu'après l'apparition de la Sainte Lance.

Wodan était le protecteur de Siegfried, lorsque ce dernier terrassa le dragon. Dans la Saga de Wolfdietrich, c'est St. Georges qui reprend ce rôle. Plus tard, St. Georges lui-même tue le dragon, de la même façon que St. Michel. St. George (dont l'existence historique n'est pas prouvée) est devenu ultérieurement le protecteur des armuriers et des guerriers. Son amulette protégeait contre les coups de lance malencontreux.

Les anciennes églises dédiées à St. Michel se situent toutes au sommet de montagnes ou de collines, lieux de résidence privilégiés par Wodan. C'est particulièrement patent dans le cas du Michelsberg près de Kleebronn en Allemagne. Avant que l'on ne parle de Wodan, c'est-à-dire avant la germanisation, il y avait déjà là un lieu de culte celtique. Wodan a tout simplement remplacé la divinité celtique et, après la christianisation, St. Michel a pris le relais. Wodan et St. Michel sont tous deux des détenteurs de lances miraculeuses. Tous deux tuent des dragons et servent de guide aux âmes. Les paysans de la région nomment toujours le Michelsberg de son ancien nom: Gudinsberg ou Wudinsberg, selon les variations dialectales.

L'ethnologue Gößler précise: «Cette persistance des cultes païens s'observe partout où il y a des monts ou collines portant le nom de Michel, surtout s'il s'agit de hauteurs occupées depuis la nuit des temps, comme, par exemple, sur le fameux Michelsberg près de Bruchsal, où l'on a découvert des poteries typiques de la préhistoire, poteries qui ont permis de déterminer la civilisation préhistorique indo-européenne du Michelsberg. Idem pour le Michelsberg près de Gundelsheim, le Heiligenberg de Heidelberg et le Michelsberg-en-Zabergäu».

L'histoire du Heiligenberg près de Heidelberg signale effectivement un passage direct de Wodan à St. Michel. Un acte de Konrad I, d'août 912, en parle comme d'une colline sainte, dédiée à un archange "tout-puissant". Or, pour l'église chrétienne, les archanges ne sont jamais "tout-puissants". Cet adjectif trahit la transposition...

St. Martin est aussi un avatar de Wodan. Souvent on le représente flanqué d'une oie, l'oiseau dont le sacrifice plaisait à Wodan. M. Ninck écrit: «La transposition des traits wotaniques a dû être facilitée par l'étymologie même du nom de Martin, signifiant en fait «guerrier de Mars». St. Martin est en effet Chevalier servant et, plus tard, un exorciste qui parcourt les campagnes. Sous sa forme chevaleresque, il porte un manteau, comme tous les chevaliers, mais le caractère particulièrement sacré de son manteau prouve nettement les origines wotaniques de son culte».

Les légendes prouvent, elles aussi, le rapport étroit qui existe entre Wodan et St. Martin. Dans la région de Coblence, l'homme qui blesse une cigogne (dans la symbolique païenne, animal qui équivaut au cygne, oiseau dédié à Wodan), est menacé de la Lance de St. Martin. En Bavière, lors des moissons des dernières semaines de l'été, les paysans laissent une gerbe pour le cheval de St. Martin, comme jadis ils en laissaient une pour le cheval de Wodan. Au Tyrol, la «Chasse Sauvage» s'appelle la Martinsgestämpe et l'on dit aussi que, derrière la Horde Sauvage, trotte une oie difforme, animal lié à St. Martin.

St. Martin est aussi magicien et sa fête, le 11 novembre, est célébrée à une époque de l'année où, jadis, on fêtait Wodan. Cette fête a repris à son compte bon nombre de traits du culte wotanique. Elle se célèbrait de nuit, avec des feux. On tuait des oies et l'on buvait la Minne de Wodan, comme on boit aujourd'hui la Minne de St. Martin.

Lors de la bénédiction des chiens à Vienne, célébration qui remonte au 10° siècle et est également une transposition d'un vieux rite wotanique, on évoque St. Martin comme patron protecteur des chiens (car Wodan, jadis, était accompagné de loups ou de chiens). A Bierdorf dans le Westerwald, se trouvent des tumuli germaniques, autour d'une colline nommée Martinsberg, jadis vouée à Wodan.

St. Oswald est sans doute aussi un avatar de Wodan, dont l'un des surnoms était précisément Oswald. Le passage du dieu païen au saint chrétien (?) est facilement repérable: une colonne de la nef principale de l'église abbatiale d'Alpirsbach dans le Württemberg nous montre encore Wodan accompagné de ses deux corbeaux Hugin et Munin. Une gravure sur bois datant de 1500 environ, nous présente, elle, St. Oswald avec deux corbeaux...

St. Cuthbert de Durham est représenté avec la tête tranchée d'Oswald: autour de lui, des cygnes, animaux wotaniques. Rappelons-nous que Wodan, dans l'Edda, enmenait toujours avec lui la tête tranchée de Mimir. Les cygnes sont, eux, inséparables des Walkyries, les vierges-pages de Wodan.

Mais l'avatar le plus aimé de Wodan est sans conteste St. Nicolas, qui offre des cadeaux aux enfants. Sa fête, le 6 décembre, n'a pratiquement rien à voir avec le saint historique, un évêque d'Asie Mineure. St. Nicolas est un saint qui a même réussi à résister au protestantisme dans le Nord des pays germaniques. Dans certains régions, il est assimilé à la vieille figure de Knecht Rupprecht (le «Gaillard Robert»), dans lequel on reconnaît sans difficulté Wodan. St. Nicolas porte souvent, comme lui, un bonnet de fourrure, une longue barbe soyeuse et il voyage dans un traîneau tiré par des rennes. Dans les régions catholiques, il est encore habillé comme un évêque, avec une mitre et une crosse et il accompagne Krampus, avatar du Diable.

L'Eglise chrétienne a donc pratiqué deux politiques à l'égard de Wodan: d'une part, elle a conservé son souvenir sous les oripeaux d'une quantité de saints; d'autre part, elle en a fait un diable et un méchant démon. Son surnom glorieux des temps païens, der Rabenase (L'Ase aux corbeaux), est devenu une injure, Rabenaas (carogne). Wodan est devenu le meneur de la terrible chasse sauvage, le seigneurs des démons. Dans quelques régions d'Allemagne, on brûle des effigies de Wode, Gode ou Gute lors du solstice d'été, devenu, sous l'impulsion de l'Eglise, les feux de la St. Jean. Mais Wodan, dans l'âme du peuple, a résisté à toutes les tentatives de christianisation.

Otto Rudolf BRAUN.

(Source: Germanische Götter - Christliche Heilige. Über den Kampf der Christen gegen das germanische Heidentum, Verlag Hohe Warte, Pähl/Obb., 1979; adaptation française: Robert Steuckers).

 

vendredi, 22 août 2008

Brèves réflexions sur l'oeuvre de H. G. Wells

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Werner OLLES:

 

Brèves réflexions sur l’oeuvre de H. G. Wells

 

Incontestablement,  Herbert George Wells est l’un des plus intéressants écrivains du 20ème siècle, à facettes multiples. Son oeuvre complète comprend près de cent volumes et va de la théorie (en biologie, en histoire contemporaine, en philosophie et en politique) à ces romans et récits devenus si célèbres dans le monde entier. Toutes ces créations littéraires sont des exemples de perfection en matière de littérature fantastique et utopique: de véritables classiques de la narration contemporaine. Wells est entré dans l’histoire intellectuelle de notre monde comme le père fondateur de la littérature de science-fiction et comme l’un des plus géniaux écrivains de ce genre.

 

H. G. Wells est né le 21 septembre 1866 dans la petite ville de Bromley dans le Comté de Kent en Angleterre. Son père était jardinier; plus tard, ses économies lui permirent d’ouvrir un petit commerce d’étoffes mais sa carrière de commerçant ne fut guère brillante. Le foyer parental était petit bourgeois, bigot, ce qui limitait les perspectives du jeune Wells. De cette époque de jeunesse date également son antipathie profonde à l’encontre du catholicisme qu’il abhorrait véritablement, l’accusant d’être une pensée pré-bourgeoise. La haine intense qu’il cultivait pour le culte “romain”, accusé d’être contre-révolutionnaire et médiéval, hostile à la modernité, l’amena même à plaider, pendant la seconde guerre mondiale, pour une destruction complète de Rome par les bombardiers alliés. Cette violente position anti-catholique le mettait pourtant en porte-à-faux par rapport à de nombreux intellectuels et écrivains anglais de son époque mais ne le dérangeait pas outre mesure: beaucoup d’écrivains anglicans en effet, comme Graham Greene, Evelyn Waugh, G. K. Chersterton ou Julien Green se convertirent au catholicisme.

 

Déjà dans ses premiers ouvrages, comme “La machine à remonter le temps”, un récit fantastique où un inventeur s’envole vers le futur, il se percevait lui-même en héros. De manière parfaitement prosaïque, il décrit un petit paradis où débarque son “voyageur à travers le temps”; y vivent les “Eloïs”, des créatures affables qui vivent en dehors de tous soucis. Mais bien vite, l’inventeur et voyageur remarque que cette société, en apparence si paisible, est pourtant soumise à la terreur le plus brutale. Les “Eloïs”, en effet, sont rançonnés et exploités par les Morloks, des monstres souterrains qui les massacrent sans pitié.

 

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Dans “L’Ile du Dr. Moreau”, le héros est un scientifique expulsé d’Angleterre qui mène des  expériences dans une île du Pacifique Sud, afin de transformer des animaux en demi-êtres à la suite d’opérations chirurgicales précises. Moreau, vivisectionniste démoniaque, est simultanément un Prométhée et un dieu punisseur. Les parallèles avec le récit de la Genèse sont flagrants: l’homme est toujours menacé de glisser à nouveau vers l’état de la bête et, à l’instar des créatures fabriquées par Moreau, les hommes, eux aussi, sont condamnés à la souffrance.

 

Wells s’était engagé dans la “Fabian Society”, une association de socialistes britanniques mais ce ne fut que pour une courte durée. Ses rêves sociaux-révolutionnaires se sont assez rapidement évanouis et il se tourne alors vers la métaphysique. Dans “La guerre des mondes”, il décrit comment des extra-terrestres réduisent l’Angleterre en cendres. Dans les années 30, Orson Welles fit de ce récit un reportage radiophonique qui semblait si vrai que des dizaines de milliers  d’Américains prirent la fuite, en panique devant cette invasion imminente de Martiens. Dans “Les géants arrivent”, il pose la question: les hommes, comme jadis les dinosaures, sont-ils condamnés à disparaître?

 

A la fin de sa vie, l’évolution de la politique et le développement des technologies firent de lui un pessimiste (voir son essai: “L’esprit est-il au bout de ses possibilités?”). H. G. Wells meurt le 13 août 1946 à l’âge de 79 ans à Londres.

 

Werner OLLES.

(article paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, n°33/2006; trad. franç.: Robert Steuckers).

Die Memoiren von Jaruzelski

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Die Memoiren von Jaruzelski: bemerkenswerte Notizen über die Rolle des Staatsmannes

 

Analyse: Wojciech Jaruzelski, Hinter den Türen der Macht. Der Anfang vom Ende einer Herrschaft,  Militzke Verlag, Leipzig, 1996, 479 S., ISBN 3-86189-089-5.

 

Im Frühsommer 1992 publizierte der polnische General Jaruzelski ein Buch, wo er seine politische Erinnerungen darstellte. Er schilderte die Ereignisse in Polen ab dem 13. Dezember 1981, wenn das Kriegsrecht ausgerufen wurde. Moskau fürchtete, daß das destabilisierte Polen das sowjetische Herrschaftssystem wankeln ließ. Deshalb sollte die kommunistische Moskau-treue Ordnung wiederherstellt werden. Jaruzelski hatte als Aufgabe bekommen, sein Land sowjettreu zu erhalten, eben durch Mittel der Gewalt, wenn nötig. Die Kapitel seines Buches enthüllen wenig bekannte Sachlagen der polnischen Zeitgeschichte in den Jahren 1980-1985. Obwohl “Sozialist” und Anhänger des damals “realexistierenden” Sozialimus sowjetischer Prägung, erscheint uns nach diesen tumultvollen Ereignissen der Militär Jaruzelski als eine Art konservativer “Katechon”, d. h., um die Definition von Carl Schmitt zu wiederholen, als ein Staatsmann, der als Aufgabe hat, die Ordnung zu herstellen und sein Staatswesen vom Chaos und Zerfall zu retten.

 

Selbstverständlich bleibt in unseren Augen der Kommunismus ein Fremdkörper am Leibe der polnischen Nation und die Solidaritätsbewegung Walesas ein spontaner Ausdruck des Volkzornes. Nichtdestoweniger muß heute der neutrale Beobachter doch wohl annehmen, daß fremde Geheimdienste “Solidarnosc” manipuliert haben, genau um das schon morsche Sowjetsystem zu sprengen, am Ort wo es am weichsten war, d. h. zwischen dem sowjetischen Großraum und der DDR (Thüringisches Bollwerk und Speerspitze der Warschauer-Pakt-Verbände). Konservative und militärische Kräfte innerhalb des Sowjetsystems konnte eine solche zwar demokratische aber doch “abenteuerische” Entwicklung in den damaligen Kräftenverhältnissen nicht dulden. Jaruzelski wurde als Retter der Lage eingesetzt: als Militär hat er den Befehlen seiner politischen Vorgesetzten gefolgt. Die Geisteshaltung von Jaruzelski wird im Buch deutlich dargelegt. Sie kann eigentlich als konservativ-erhaltender bzw. katechonischer (im Schmittschen Sinn) Art betrachtet werden. Folgende Aussagen zeugen davon: “Geschichte und Geographie sucht man sich nicht aus. In meiner Generation findet man kaum Menschen, die aus einem Stück Holz geschnitzt sind. Das Leben hat uns aus den Splittern des Schicksals und den Abschnitten des Weges geformt. Wir waren Kinder unserer Zeit, unseres Milieus,  unseres Systems. Jeder ist auf seine Weise aus diesem Rahmen ausgebrochen. Nicht jeder, dem das schnell gelang, verdient Achtung. Und nicht jeder, dem das erst später gelang verdient Verachtung. Das Wichtigste ist, wovon der einzelne Mensch sich leiten ließ, wie er das tat, was er tat, und was für ein Mensch er heute ist”  (S. 8).

 

“Als Soldat weiß ich, daß ein militärischer Führer und überhaupt jeder Vorgesetzte für alles und alle verantwortlich ist. Das Wort ‘Entschuldigung’ mag nichtssagend klingen, aber ein anderes Wort kann ich nicht finden. Ich möchte deshalb um eines bitten: Wenn es Menschen gibt, bei denen die Zeit die Wunden nicht geheilt, den Zorn nicht zum Erlöschen gebracht hat, dann mögen sie diesen Zorn vor allem gegen mich richten, nicht aber gegen diejenigen, die unter den gegebenen Bedingungen, erhlich und in gutem Glauben, viele Jahre lang ihre ganze Arbeitskraft dem Aufbau unseres Vaterlandes geopfert haben”  (S. 9).

In seinem Schluß, äußert sich Jaruzelski in einem klaren “katechonischen” Stil: “Außergewöhnliche Situationen und Maßnahmen führen oft zu Blutvergießen. Wir wissen, daß in vielen Ländern der Ausnahmezustand Tausende und Abertausende von Menschenleben gekostet hat. Wir dagegen trafen diese dramatische Entscheidung eben deshalb, damit es nicht zu einer solchen Tragödie komme. Dies ist uns in hohem Maße gelungen. Hunderprozentig leider nicht. Im Bergwerk “Wujek” kam es zum Schußwaffengebrauch, neun Bergleute kamen ums Leben. Dieses schmerzliche Ereignis wirft bis heute seinen Schatten auf die Gesamtbewertung der damaligen Vorgänge”  (S. 465). 

 

Seine nüchtere Beobachtung der menschlichen Kräfte in der Politik erweisen sich erstaunlich dem konservativ-katechonischen Gedankengut von Denkern wie Donoso Cortés, Joseph de Maistre oder Constantin Franz nah: “Im Machtapparat gab es viele nachdenkliche, gebildete und erfahrene Menschen. Leider führt eine Summe von klugen Köpfen nicht automatisch zu einem Zuwachs an Klugheit. Oftmals wird man von den Dümmeren hinabgezogen, die durch Fanatismus, Demagogie und Schneid dafür sorgen, daß selbst die besten Absichten mit falschem Zungenschlag vorgetragen werden. Sowohl aus objektiven als auch aus subjektiven Gründen ließ sich die Regierungsbasis nicht wesentlich erweitern. Sehr viele wertvolle Menschen, die sich auf keiner der beiden Seiten klar engagieren wollten, gerieten ins Abseits”  (S. 466).

 

Der Unterscheid zwischen Mythologie und Pragmatismus in der Politik sieht der polnische General auch klar: “Die Mythologie ist ein untrennbarer Bestandteil des Gesellschaftsleben. Diese Färbung hat auch der Begriff “Ethos der ‘Solidarnosc’”, obwohl er heute schon merklich an Lebenskraft verliert. Wahrscheinlich war es Pilsudski, der gesagt hat, daß die Polen “nicht in Tatsachen, sondern in Symbolen denken”. Der Pragmatismus hat in der Politik ungeheure Vorteile und sollte eigentlich Wegweiser für alle Führungsmannschaften sein. Aber Pragmatismus allein reicht nicht. Er ist dürr und grau, wenn seine Vertreter nicht gleichzeitig an die emotionalen Grundlagen des kollektiven und des individuellen Bewußtseins appellieren” (S. 469).  Skeptisch bleibt Jaruzelski, wenn er die totale Wirtschafts-Liberalisierung der ehemaligen Ostblokstaaten observiert: “Ich fürchte, daß verschiedene Racheparolen, die zur “Dekommunisierung” aufrufen, unsere Aufmerksamkeit von den wesentlichen Zielen ablenken und zu einer Zersplitterung der Anstrengungen unserer Gesellschaft führen könnten. Das wäre für Polen im wahrsten Sinne des Wortes mörderisch. Es kann den Interessen unseres Landes nur schaden, wenn man sich in dieser von Rivalität, Wettlauf und Konkurrenz geprägten Welt Ersatzziele sucht und die Energie der Gesellschaft darauf verschwendet”  (S. 470).

Jaruzelski hat einen sowjetgeprägten Staat verteidigt und gerettet, ohne anscheinend ein Anhänger der kommunistischen Ideologie zu sein. Warum hat er dann so gehandelt? Kapitel 28 des Buches gibt uns eine sehr detaillierte und interessante Antwort. Hauptsache für den General ist es, die Souveränität Polens zu bewahren: “Gab es für Polen nach dem Zweiten Weltkrieg die Chance, als vollkommen unabhängiger Staat zu existieren, ohne sowjetischen Einfluß? (...) Teheran, Jalta und Potsdam gehören zu jenen Knotenpunkten in der neuzeitlichen Geschichte, über die die Historiker endlos diskutieren werden. (...) Die Mehrheit der damaligen Politiker mußte das Abkommen von Jalta wohl oder übel als gegebene Realität (...) hinnehmen (...). Die existierende Ordnung zwang auch Polen ihre Spielregeln auf und bestimmete seinen Handlungsspielraum. Als Militär konnte ich nicht so tun, als ob ich das nicht wüßte”  (S. 302-303).

Jaruzelski erinnert seine Leser an einen Brief, den er an seine Mutter und seine Schwester 1945 geschrieben hatte: “Ich bin verpflichtet für Polen zu dienen und zu arbeiten, ganz gleich, wie Polen auch aussehen mag und welche Opfer von uns auch gefordert werden mögen”  (S. 304). Der junge damalige Offizier wollte sein Land als ein real-existierende polnischer Staat, für Polen “wie es auch aussehen mag”, und dieses Pflicht allem anderen überordnen. Die nationalen Deutsche werden sehr wahrscheinlich eine solche Bekenntnis als dubiös und unhaltbar betrachtet, sie ist trotzdem wihl oder übel eine typische Haltung des polnischen Offizierentum, wo Dienst und Pflicht wichtiger erscheinen als etwa ethnische oder historische Fakten oder ideologische Konstruktionen. Jaruzelski skizziert in diesem 28. Kapitel die Auseinandersetzungen zwischen den Londoner-Polen um General Anders und den Moskauer-Polen.

 

Die westliche Mächte haben die neue Westgrenzen Polens nie garantiert, im Gegenteil zu Moskau. In den Augen Jaruzelskis, erscheint also die Sowjetunion als ein treuer Garant und ein fester Bundgenosse. Nur Moskau garantierte dem polnischen Staat eine feste und klare Gestalt. Die Londoner-Polen wollten die Grenzen von 1939, was die Sowjets nie akzeptiert hätten, weil Polen Riesengebiete Weißrußlandes und der Ukraine 1921 annektiert hatte, so lief Polen die Gefahr, an der Gestalt des früheren Kongreß-Polen reduziert zu werden, d. h. ein Land, das zergliederte Grenzen gehabt hätte, die nicht zu verteidigen waren.  So wurde das Schicksal der Ostdeutschen besiegelt: das mit der Sowjetunion verbündete Polen mußte seine eigene Ostgebiete abgeben und nach Westen als Kompensation erweitert werden.

Die Feinde Jaruzelskis betonen, Polen war im Warschauer Pakt versklavt. Dazu antwortet der General, daß es zwei Formen der Souveränitätsbeschränkung gibt: 1) Die freiwillige Beschränkung im Interesse des Staates oder einer verbündeten Staatengruppe; 2) Die Beschränkung, die Protektoratscharakter hat. Jaruzelski gibt zu, Polen war ein Protektorat bis 1956, danach war seine Souveränität nur “beschränkt” im Rahmen des Warschauer-Paktes. Funktionsfähigkeit des Staates und Vermeidung des sozialen und wirtschaftlichen Chaos sind die beiden Hauptaufgaben, die Jaruzelski sich gesetzt hatte.

Jaruzelski zitiert noch die Appelle von den Kanzlern Kreisky und Schmidt, die Ordnung zu retten, damit Polen seine vertragliche Verpflichtungen gegenüber anderen Staaten erfülle, und Vernunft und Mäßigung zu pflegen. Weiter finden man den kompletten Wortlaut eines Berichts des polnischen Außenministers Jozef Czyrek über seinen Besuch beim Papsten (S. 353-354), und auch einen Bericht des General Kiszczaks über die sowjetischen, ostdeutschen und tschechischen Manöver an den polnischen Grenzen in Herbst 1981 oder durch Mittel von Geheimdienst-Agenten innerhalb der polnischen Grenzen selbst. Hätte Jaruzelski das Kriegsrecht nicht am 13. Dezember 1981 ausgerufen, wären die Warschauer-Pakt-Verbündeten am 16. einmarschiert, um Polen “vom Wurg der Konterrevolution” zu retten. Genauso wie in Prag 1968.

Die Aktion Jaruzelskis war also, wie der amerikanische antikommunistische “Falke” Zbigniew Brzezinski es geschrieben hat, die Übergang vom “kommunistischen Autoritarismus” zum “postkommunistischen Autoritarismus”. Solidarnosc ist nicht verboten worden, wie auch der Papst es Czyrek gebeten hatte, sondern einfach gezügelt, damit man Polen von einer sowjetischen Invasion, von Chaos und Bankrott bewahren konnte. Man kann skeptisch bleiben, aber die Lektüre dieses Buches ist hoch interessant, nicht weil es uns die Gedankenwelt eines sowjetfreundlichen polnischen Generals, sondern weil es sehr genau das Pflichtbewußtsein eines Militärs in der Politik enthüllt. Militärs, Katholizismus, Russophilie und Kommunismus mischen sich erstaunlicherweise in den Memoiren Jaruzelskis. All diese Ingredienten sind letzter Hand eine unstabile Mischung und entsprechen ganz genau die real-existierende polnische Identität (Robert STEUCKERS).

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jeudi, 21 août 2008

Guerre du Caucase: entretien avec A. Rahr

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Guerre du Caucase: entretien avec Alexander Rahr

Propos recueillis par Moritz Schwarz

 

Alexander Rahr est le directeur du programme “Russie/Eurasie” auprès de la “Société allemande de politique étrangère” (Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik) à Berlin. Il est un spécialiste de réputation internationale pour toutes les questions eurasiennes.

 

Q.:  Monsieur Rahr, à quoi pensait, dans le fond, le Président Saakachvili en poussant ses troupes à entrer en Ossétie du Sud

 

AR: Votre question est pertinente. Car lundi, après seulement deux jours de guerre, il a capitulé. Toute l’opération s’est révélée un parfait désastre, comme c’était à prévoir. Saakachvili a tout raté, sur toute la ligne.

 

Q.: Manifestement, Saakachvili n’a pas cru à une intervention russe. Etait-ce une position réaliste?

 

AR:  Non. Ou bien cet homme est totalement stupide ou bien il a été inspiré par des dilettantes. Voici les faits: la Géorgie veut devenir membre de l’OTAN le plus vite possible. Bush a déjà promis l’adhésion à Saakachvili, mais, si Obama devient président, cet objectif sera bien plus difficile à atteindre. La condition posée pour une adhésion rapide, c’est qu’il n’y ait plus de conflits inter-ethniques, car l’Aliance atlantique cherche à les éviter. Saakachvili a voulu régler le problème par une politique à la hussarde. Manifestement, il est parti du principe que l’intervention russe serait moins totale, plus ponctuelle; il pensait gagner du temps pour entraîner les Etats-Unis dans le conflit.

 

Q.: Là, il a pratiquement réussi son coup...

 

AR: A peine. Les réactions agressives de Bush démontrent plutôt son désarroi. Toutes les ONG, téléguidées par les Etats-Unis, qui ont tenté, au cours de ces dernières années, de mettre sur pied, avec la Géorgie, une “Alliance de la Mer Noire” alignée sur l’atlantisme et dont les objectifs auraient été d’éloigner au maximum les Russes de la région maritime pontique, sont désormais devant des ruines, leurs efforts n’ayant conduit à rien.

 

Q.: Dans les sphères de l’UE, beaucoup rêvaient aussi de faire de la Mer Noire une nouvelle mer intérieure européenne...

 

AR: Tous ces rêves se sont évanouis, ce qui rend un tas de gens furieux. En ce qui concerne la Géorgie, les Etats-Unis sont allés beaucoup trop loin au cours de ces dernières années. Maintenant, ils ne peuvent plus laisser leurs alliés dans le pétrin. Mais, par ailleurs, ils sont suffisamment intelligents pour ne pas se laisser entraîner. Les Etats-Unis ont besoin de la Russie en plusieurs domaines: dans le dossier de la non prolifération des armes non conventionnelles, dans la lutte contre le terrorisme, dans la stratégie de l’endiguement de l’Iran et de la Chine, etc. Toutes ces questions sont bien plus importantes que les humeurs de Saakachvili. Malgré toute la colère et toute la déception qui affectent les cercles stratégistes de Washington, personne aux Etats-Unis n’est prêt à déclencher une troisième guerre mondiale pour lui. En outre, bon nombre de responsables à Washington doivent être furieux contre Saakachvili car il a mis les Etats-Unis dans une posture fort embarrassante.

 

Q.: Comment, à votre avis, s’achèvera le conflit?

 

AR: Les Géorgiens ne parviendront sans doute plus jamais à recomposer leur pays. Le conflit va geler vraisemblablement. Pour Moscou, ce serait là la meilleure solution. Ainsi, le rôle de la Russie en tant que puissance génératrice d’ordre demeurera tel, à l’arrière-plan.

 

Q.: Saakachvili survivra-t-il à cette défaite, en politique intérieure géorgienne?

 

AR: Il s’est probablement posé la question lui-même. Car, à l’avance, il ne pouvait pas sortir gagnant de cette opération, qui a coûté inutilement la vie à une grande quantité de soldats géorgiens.

 

Q.: Les Russes se frottent-ils les mains parce qu’ils ont eu l’occasion de faire une démonstration de force ou se sentent-ils blessés dans leur propre sphère d’intérêt?

 

AR: Les cris de triomphe se font entendre partout en Russie, c’est évident, car on attendait cette heure depuis de longues années: dans les années 90, les Russes devaient constater, sans pouvoir agir, comment l’Occident réorganisait à sa guise les Balkans; maintenant, ils peuvent montrer dans le Caucase que l’Occident est désormais à son tour dans le rôle du spectateur impuissant, tandis que la Russie agit. Il y a trois ans, la Russie avait obtenu que les bases militaires américaines quittent l’Asie centrale; maintenant, les Russes ont remis les Américains à leur place dans le Caucase. Il est possible que l’Allemagne récupère bientôt son rôle d’intermédiaire. Berlin a de bonnes relations avec la Russie et peut influencer plus profondément le nouveau président russe Medvedev que n’importe quel autre Etat de l’UE.

 

(entretien paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, n°34/2008;  trad. franç.: Robert Steuckers).

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Géorgie: les intérêts américains et russes se télescopent dans le Caucase

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Günther DESCHNER:

Géorgie: les intérêts américains et russes se télescopent dans le Caucase

A peine les premiers obus de la “Guerre d’août” dans le Caucase avaient-ils explosé que Mamouka Kourachvili expliquait ce qui se passait, en termes passablement nébuleux: l’armée géorgienne aurait ainsi lancé une grande offensive “pour rétablir l’ordre constitutionnel dans la province séparatiste d’Ossétie du Sud”. Le président géorgien Mikhail Saakachvili n’a ni rappelé son général à l’ordre ni démenti ses dires.

 

Le conflit pour l’avenir de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud n’avait cessé de s’amplifier au cours de ces dernières années, entre la Géorgie, tournée vers l’atlantisme, et la Russie. Les deux camps utilisant des cartes truquées. Depuis des mois, on sentait venir la guerre. La portée de ce conflit nous amène bien loin du Caucase. En effet, les deux républiques, qui entendent faire sécession et se séparer de la Géorgie, sont de sérieuses pommes de discorde entre les Etats-Unis et la Russie, constituent quasiment des points de rupture.

 

Depuis la fin de l’Union Soviétique et depuis que les statégistes américains avaient défini le Caucase du Sud comme appartenant à la sphère d’influence américaine, Washington avait élu la Géorgie comme son partenaire privilégié dans la région. La raison réelle de ce choix réside toute entière dans le conflit géostratégique dont les enjeux sont 1) l’accès au gaz et au pétrole de la région de la Mer Caspienne et 2) le contrôle des grands oléoducs et gazoducs. L’enjeu principal est surtout constitué par la ligne d’oléoducs BTC, longue de 1800 km, qui part de Bakou en Azerbaïdjan, pour passer par Tiflis (Tbilisi) en Géorgie et aboutir à Ceyhan en Turquie, sur la côte méditerranéenne. Washington privilégie cette voie pour faire venir le pétrole de la Caspienne à l’Ouest, car elle ne passe ni par la Russie ni par l’Iran, ce qui empêche ipso facto ces deux puissances d’intervenir sur le tracé des oléoducs et gazoducs. C’est là qu’il faut trouver la raison majeure de l’appui apporté par les Etats-Unis, depuis tant d’années, à Mikhail Saakachvili, lequel vise à aligner totalement son pays sur la politique américaine. Il veut à tout prix que la Géorgie fasse partie de l’OTAN; pour y parvenir, il a fait du contingent géorgien le troisième contingent en importance numérique en Irak dans la fameuse “coalition des bonnes volontés” de Bush.

 

L’objectif de Moscou est de déstabiliser la Géorgie et d’y installer un gouvernement qui tienne davantage compte des intérêts de son grand voisin russe. C’est clair comme de l’eau de roche. C’est la tradition de grande puissance que la Russie a réactivée depuis Poutine, ce qui a pour conséquence que Moscou s’efforce de déconstruire toutes les positions atlantistes qui se sont incrustées sur les flancs de l’ancien empire russe et/ou soviétique. Dans le cas de la Géorgie, la Russie dispose d’un bon instrument en soutenant les mouvements sécessionnistes en Abkhazie et en Ossétie du Sud.

 

L’offensive déclenchée par Saakchvili contre les Ossètes du Sud relève donc de la naïveté et de la stupidité politique. Il offrait ainsi au Kremlin un prétexte en or pour une intervention militaire musclée. Le bellâtre de la “révolutions des roses” y perdra sans nul doute ses fonctions et les deux provinces sécessionnistes risquent bel et bien d’être définitivement perdues pour la Géorgie. Près de vingt ans après l’effondrement de l’Union Soviétique, cette dernière guerre du Caucase a démontré clairement que la Russie, grande puissance renée de ses cendres, estime que ce glacis régional caucasien appartient à sa sphère d’intérêt. Aux yeux des Russes, l’action musclée était parfaitement appropriée, dotée de sens. Une réaction sciemment disproportionnée et mise en scène de la sorte, a donné une leçon au voisin, qu’il n’oubliera pas de sitôt, et démontré aux puissances occidentales que la Russie, elle aussi, a des intérêts de grande puissance, et qu’elle est bien décidée et capable de les faire valoir. Personne ne doit feindre la surprise. Tous auraient dû y penser: la reconnaissance unilatérale du Kosovo par l’Occident allait tout naturellement conduire la Russie, à la première occasion, à rendre la pareille, selon l’adage “J’agis comme tu agis”.

 

Mais la stratégie choisie par Moscou n’est pas exempte de dangers. On sait, sous les murs du Kremlin, que plusieurs foyers de conflit demeurent potentiellement virulents sur le flanc nord du massif caucasien. Moscou ne peut se permettre de voir ressurgir une escalade de violence en Ingouchie, en Tchétchénie et au Daghestan. La position géostratégique de la Géorgie, corridor en direction de la Caspienne, rend son territoire très intéressant à contrôler pour les puissances occidentales. Sans la Géorgie, les oléoducs et gazoducs devraient passer par le territoire de la Russie pour arriver en Europe occidentale ou par l’Iran (ndt : pour arriver en Asie orientale), ce qui est inacceptable pour les Etats-Unis.

 

Les intérêts stratégiques des Etats-Unis sont clairs: la Géorgie est non seulement un maillon important dans la chaîne d’Etats et de bases qui doivent parfaire l’encerclement de la Russie, mais aussi une base très bien située pour mener tout guerre future contre l’Iran fort proche. Depuis que la Turquie n’est plus qu’un acteur peu fiable pour l’atlantisme dans la question iranienne, les Américains ont parié sur la Géorgie et se sont faits les avocats de son adhésion à l’OTAN. La Géorgie offre aussi des ports en eaux profondes, dans une région hautement stratégique, où l’OTAN et les Américains pourraient installer des bases militaires et des points d’appui pour leurs forces aériennes.

 

Les Etats-Unis et l’UE auraient pu rappeler les Géorgiens à l’ordre et les empêcher ainsi de se jeter dans la gueule du loup. Ils ne l’ont pas fait. Ainsi, Moscou a profité de l’occasion que lui offrait Saakachvili, en prenant l’OTAN de court et en démontant qu’elle n’était qu’un tigre de papier. L’alliance dont les Etats-Unis sont l’hegemon perd de son pouvoir d’attraction auprès d’autres candidats potentiels. Toute politique des “doux yeux” à l’adresse de l’OTAN peut désormais s’avérer dangereuse. A Kiev, à Bakou et dans d’autres capitales, l’intervention russe en Ossétie du Sud aura eu l’effet d’un avertissement, dont il faudra impérativement tenir compte. 

 

Washinton applique la “Doctrine de Monroe” et considère que l’Amérique latine est son arrière-cour, où les Etats-Unis peuvent intervenir à leur guise; face à cette “Doctrine de Monroe”, nous voyons désormais émerger une sorte de “Doctrine de Poutine” qui veut que les Etats, se trouvant sur la périphérie de la Russie, sur ses anciens glacis, sont importants pour la politique étrangère et pour la sécurité de la Russie. Manifestement, le retour de la Russie à de tels principes géostratégiques conduit à un nouvel affrontement froid entre Washington et Moscou. Du moins dans l’optique des Russes, l’intervention en Ossétie du Sud constitue un acte de vengeance contre la politique de Washington qui, depuis des années, ne s’occupent que d’encercler la Russie au lieu de l’intégrer.

 

Dès le début, les choses étaient claires: la “Guerre d’août” au Caucase n’allait nullement être le prélude d’une guerre russe de reconquête. Elle a pour conséquence que les facteurs politiques de la région doivent être réexaminés et réévalués. Règle normale de toute Realpolitik.

 

Günther DESCHNER.

(article paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, Nr. 34/2008; trad. franç.: Robert Steuckers). 

Le grand bouleau est tombé... Hommage à A. Soljénitsyne

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“De Brave Hendrik” /  ’t Pallieterke:

Le grand bouleau est tombé...

Hommage à Alexandre Soljénitsyne (1918-2008)

Le bouleau est un type d’arbre à l’écorce blanche argentée, dont le bois est fort clair et très dur. En Sibérie et dans de nombreuses régions de l’immense plaine russe, avec ses marécages gelés et enneigés, cet arbre est familier, appartient au paysage. La barbe et les cheveux gris de Soljénitsyne, écrivain, chrétien orthodoxe que Staline n’était pas parvenu à éliminer, rappelaient, depuis quelques années déjà, les couleurs de cet arbre si emblématique, qui jaillit partout de la terre russe.

Sa vie connut un premier bouleversement en 1945, lorsque, dans une lettre à un camarade, il décrit “l’homme à la moustache” (= Staline) comme incompétent sur le plan militaire. Soljénitsyne était alors en Prusse orientale et participait aux combats pour prendre la ville de Königsberg (que l’on appelle aujourd’hui Kaliningrad, dans l’enclave russe sur les rives de la Baltique). Il est arrêté: une routine sous la terreur soviétique de l’époque. Il ne sera libéré que huit ans plus tard, en 1953, à l’époque où la paranoïa du dictateur atteignait des proportions à peine imaginables, tandis que sa santé diminuait à vue d’oeil. Staline ne voyait alors dans son entourage que complots juifs ou américains; de 1953 à 1956, Soljénitsyne, professeur de mathématiques de son état, réside, libre mais banni, au Kazakhstan. En 1956, on le réhabilite et en 1962, il amorce véritablement sa carrière d’écrivain en publiant dans la revue “Novi Mir” une nouvelle, “Une journée dans la vie d’Ivan Denissovitch”. Mais c’est en 1968 que ce dissident acquiert la  notoriété internationale, à cinquante ans, quand sortent de presse “Le pavillon des cancéreux” et “Le premier cercle”; il a réussi à faire passer clandestinement ses manuscrits à l’étranger; rapidement, ils sont connus dans le monde entier, par des traductions qui révèlent l’atrocité de son vécu de bagnard dans l’Archipel du goulag. En 1970, il est le deuxième Russe (le premier fut Ivan Bounine) à recevoir le Prix Nobel de littérature.

Celui qui veut comprendre et apprendre un maximum de choses sur la littérature russe dans l’espace linguistique néerlandophone, doit lire les écrits du grand slaviste Karel van het Reve (1921-1999), car celui-ci, mieux que quiconque, a pu, dans ses nombreux livres et essais, décrypter les mystères russes. Mais sa “Geschiedenis van de Russissche literatuur” (1) s’arrête malheureusement à Anton Tchekhov. Pour mieux comprendre la dissidence et l’intelligentsia russes, il me paraît toutefois utile de relire les travaux de ce slaviste, dont les titres sont éloquents: “Met twee potten pindakaas naar Moskou” (1970; “Avec deux pots de crème de cacahouète à Moscou”), “Lenin heeft echt bestaan” (1972; “Lénine a vraiment existé”) et “Freud, Stalin en Dostojevski” (1982; “Freud, Staline et Dostoïevski”). Dans un ouvrage posthume, paru en 2003, et intitulé “Ik heb nooit iets gelezen” (= “Je n’ai jamais rien lu”), ce grand connaisseur de la Russie, au regard froid et objectif mais néanmoins très original, émet force assertions qui témoignent de sa connaissance profonde des lettres russes. De son essai “De ondergang van het morgenland” (1990; “Le déclin de l’Orient”), je ne glanerai qu’une seule et unique phrase: “Selon le régime, en 1917, c’est la classe ouvrière, que l’on appelle également le prolétariat, qui est arrivée au pouvoir, alliée, comme on le prétend officiellement, aux paysans. C’est là une déclaration dont nous n’avons pas à nous préoccuper, si nous entendons demeurer sérieux. Surtout, ces paysans, que l’ont a tirés et hissés dans la mythologie révolutionnaire, font piètre figure, prêtent à rire (jaune): le régime a justement exterminé une bonne part du paysannat. Pour ce qui concerne les ouvriers, il est bien clair que ce groupe au sein de la population n’a quasiment rien à dire dans un régime communiste, et sûrement beaucoup moins que sous Nicolas II ou sous Lubbers et Kok aux Pays-Bas”.

Un changement qui doit surgir de l’intérieur même du pays...

Soljénitsyne n’était pas homme à se laisser jeter de la poudre aux yeux; prophète slavophile, il a progressivement appris à détester les faiblesses spirituelles et le matérialisme de l’Occident, pour comprendre, au bout de ses réflexions, que l’effondrement de l’Union Soviétique ne pouvait pas venir d’une force importée mais devait surgir de l’intérieur même du pays. La révolution, comme on le sait trop bien, dévore ses propres enfants. Le régime soviétique, lui, avec la “glasnost”, a commencé à accepter et à exhiber ses propres faiblesses, si bien que les credos marxistes ont fini par chanceler et le régime par chavirer. Déjà en 1975, la revue “Kontinent”, épaisse comme un livre, qui était un forum indépendant d’écrivains russes et est-européens, avait amorcé un débat sur l’idéologie en URSS en se référant à la “Lettre aux dirigeants de l’Union Soviétique” de Soljénitsyne, en la commentant à fond, avec des arguments de haut niveau. Un poète fidèle au régime avait même déclaré, à propos de ce débat: “Nous avons fusillé la Russie, cette paysanne au gros postérieur, pour que le ‘Messie communisme’ puisse marcher sur son cadavre et ainsi, y pénétrer”.

Pour donner un exemple du ton de Soljénitsyne, impavide et inébranlable, courageux et solide, j’aime citer une réponse claire qu’il adressa un jour à son compatriote Sakharov, une réponse qui garde toute sa validité aujourd’hui: “Nous devrions plutôt trouver une issue à tout ce capharnaüm omniprésent de termes tels impérialisme, chauvinisme intolérant, nationalisme arrogant et patriotisme timide (c’est-à-dire vouloir rendre avec amour service à son propre peuple, posture intellectuelle combinée avec des regrets sincères pour les péchés qu’il a commis; cette définition s’adresse également à Sakharov)”. Et il y a cette citation plus humaine encore: “Cette hypocrisie ne suffit-elle pas? Comme un électrode rouge, elle a laminé nos âmes pendant cinquante-cinq ans...”.

Les meilleurs livres de Soljénitsyne sont sans doute ceux qui sont le moins connus: je pense surtout à “Lénine à Zurich” (1975) et “Les erreurs de l’Occident” (1980). Quoi qu’il en soit, cet homme a surtout eu le grand mérite d’avoir, à temps et sans cesse, ouvert nos yeux, à nous ressortissants du riche Occident, alors qu’ils étaient aveuglés ou trompés; de nous avoir apporté son témoignage sur son époque et sa patrie (l’Orient ou la “Petite Mère Russie”) dans ses livres tout ruisselants d’authenticité; de nous avoir ainsi libérés des griffes du communisme, idéologie catastrophique et inhumaine.

Il a pu être enterré solennellement dans le sol de sa patrie russe et non pas en Suisse ou en cette lointaine Amérique, ses terres d’exil. Personne ne l’aurait cru, n’aurait osé le prévoir, il y a vingt ou trente ans.

“De brave Hendrik”,

(article paru dans “ ’t Pallieterke”, Anvers, 13  août 2008, trad. franç. : Robert Steuckers).

Note:

(1) paru à Amsterdam chez van Oorschot, cinquième édition revue et corrigée, 1990.

Eerbetoon aan Castro...

Eerbetoon aan Castro...

Europa degli eroi - Europa dei mercanti

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Claudio Bonvecchio,

Europa degli eroi Europa dei mercanti

 

Settimo Sigillo, Roma 2004, pag. 94, euro 10.

Già il titolo di questo lavoro di Claudio Bonvecchio, professore di Filosofia Politica presso l’Università dell’Insubria e prolifico autore di saggi sul mito e sul simbolico, pone il lettore di fronte ad un’opzione. Europa degli eroi o Europa dei mercanti? L’interrogativo, che riprende la distinzione resa famosa da Werner Sombart, richiede una risposta perentoria e definitiva. L’autore non esita a darla, ponendosi dalla parte di chi crede in un risveglio europeo dal torpore del cosmopolitismo e del globalismo, che sembra aver precipitato il continente in una desolazione fino ad oggi sconosciuta. Ma cos’è l’Europa? Da buon studioso di simbolica politica, Bonvecchio utilizza strumenti a lui familiari per delinearne i contorni: è il mito, di cui viene ribadita l’efficacia conoscitiva e quella caratteristica di immediatezza che manca all’approccio logico-discorsivo, a venire riproposto quale chiave di lettura. Ed il mito racconta dell’unione fra la lunare Europa ed il solare Zeus, da cui nasceranno tre figli, Sarpedonte, Minosse e Radamanto, fondatore di città il primo, sovrani e legislatori i secondi. Un’unione che rappresenta, simbolicamente, una perfetta totalità, ove le diversità si armonizzano tra loro e il cui frutto richiama l’armonia e l’equilibrio. Funzione dell’Europa, racconta il mito, è l’essere punto di riferimento e appianatrice di conflitti e controversie. Ma l’Europa, e lo dimostrano i doni nuziali ricevuti da Zeus (un cane, un gigante, una lancia), è sempre bisognosa di difesa e ha nella vulnerabilità il suo tallone d’Achille. L’esegesi mitica termina quindi con un interrogativo irrisolto: da chi deve difendersi l’Europa? Da qualcun altro o da se stessa?

Per rispondere, Bonvecchio passa dalla fase mitica, alla base del sorgere dell’Europa, a quella del tramonto e della decadenza europea; si entra così nella storia che l’Europa sta vivendo: un presente, sotto gli occhi di tutti, in cui essa si abbrutisce in mancanza di punti di riferimento trascendenti, sostituiti dal culto del  profitto e del consumo. Un presente che la vede, nello scacchiere globale, assolutamente incapace di recitare un ruolo che non sia di comparsa. Non meno impietosa la diagnosi rispetto alle forme politiche che alimentano questa deriva: dalla statualità, frutto della modernità che ha finito per divorare se stessa, alla democrazia formale che si nutre di un egualitarismo acritico, produttivo di forme di raccolta del consenso sempre meno partecipative e sempre più funzionali ai poteri economici. L’Europa deve, quindi, la sua vulnerabilità all’incapacità di ritrovarsi: all’aver permesso che alla comunità, fondata sull’appartenenza e l’adesione a valori che trascendevano l’individuo, seguisse la società, in cui si sta insieme per interesse e l’individuo rimane solo con la propria sete di guadagno. Anche qui si recuperano le categorie rese famose da Tönnies per riproporle in una dimensione contemporanea e assolutamente attuale. A Bonvecchio, infatti, l’Europa dell’euro sembra il modello perfetto di una società di tipo geo-economico: c’è una banca, una moneta, persino un parlamento ma nessuna traccia di identità, nessuna radice nella quale rispecchiarsi. Eppure, afferma Bonvecchio, i possibili riferimenti identitari ci sarebbero e vanno cercati nella propria storia: ma a frenarne il riemergere ci pensa un senso di colpa e di timore che l’eredità della seconda guerra mondiale continua ad alimentare. Tutto ciò ha impedito all’Europa di resistere al modello etico, oltre che economico-politico, americano, che dimostra tutta la sua aggressività e l’incapacità di considerare il diverso da sé. A questo modello massificante ed omologante viene contrapposta la vocazione universalista di cui il Vecchio Continente è storicamente portatore.

Qui va fatta una precisazione. L’universalismo cui si riferisce Bonvecchio non può dissociarsi dall’idea di imperialità. E l’impero è concepito come l’unica forma politica e simbolica capace di unire le differenze, al tempo stesso preservandole. È inutile ricordare ai lettori di Diorama lo stesso riferimento presente nel de Benoist de L’impero interiore, che pure non perde occasione per criticare il concetto moderno di universalismo, considerato una corruzione dell’oggettività e un  grimaldello ideologico al servizio del pensiero dominante per annullare le identità e qualunque espressione di appartenenza in nome dell’astrazione più assoluta (si veda, da ultimo, il suo saggio Oltre i diritti dell’uomo). Ne sono figli la teorizzazione dei diritti umani, nonché l’idea dell’esportibilità di modelli politici quali la democrazia liberale. L’universalismo di Bonvecchio non può concepirsi se non in relazione al pluralismo culturale (si veda, a tal proposito, il volume di Chiodi, Europa. Universalità e pluralismo delle culture): esso è connesso all’idea di un’Europa quale casa comune, legata dalla spiritualità e dal sacro prima e dalla cultura poi, munita di una lingua, il latino, che oltre ad essere uno strumento di comunicazione era soprattutto l’espressione di un modo di vivere, pensare e ragionare essenzialmente europei. Questo riferimento al latino permette il raffronto con un'altra lingua, quella inglese, che pure oggi viene propugnata quale lingua universale, ma che qui viene liquidata come la lingua del commercio e della pratica del mercato, incapace di imprimere nell’anima di chi la adopera qualunque idea di appartenenza comune. L’inglese è infatti la lingua del particolarismo individualistico, di quel cosmopolitismo che per Bonvecchio è la vera malattia dell’Europa. È il cosmopolitismo a determinare il declino del Vecchio Continente: il suo momento centrale è individuato nella Rivoluzione Francese, che sostituirà alla centralità del sistema simbolico europeo, espressione di valori condivisi, il particolarismo ideologico ed il funzionalismo dello stato nazionale ad esso asservito. La chiave di volta non sarà più l’uomo, ma il denaro: l’Europa sceglierà i mercanti. Il frutto di questo processo sarà l’affermazione di un’identità cosmopolita che si pensa politicamente nella nazione ma economicamente nel mercato internazionale e mondiale: una contraddizione solo apparente, alimentata dal prevalere dell’economico sul politico, che sfocerà nei due conflitti mondiali che hanno messo in ginocchio l’Europa. La globalizzazione rappresenta, a tal proposito, la moderna forma di asservimento alla signoria del mercato, capace di avvalersi della formidabile gamma di apparati tecnici, sociali e amministrativi che deresponsabilizzano l’uomo e concorrono ad un’omologazione mortificante e massificante. Qualunque differenza e specificità viene stritolata in nome di una totalità virtuale, basata su valori troppo astratti per essere coesivi.

Come se ne esce? Bonvecchio non ha dubbi: l’Europa ha nella sua storia le armi dello spirito e della cultura che le permetterebbero, se solo volesse, di resistere. Si tratta di “passare al bosco”; l’espressione di Jünger, che la ha adottata ne Il trattato del ribelle, ben si presta alla scelta che spetta all’uomo europeo: ritrovare l’originaria partecipazione alla comunità che passa per un recupero della dignità perduta. Si devono scegliere gli eroi: viene tracciato così un’itinerario di ribellione, che da individuale si fa collettivo, e che passa per la riscoperta delle proprie radici spirituali, che affondano nel Sacro e nelle molteplici forme in cui esso si esprime, e che continua nella scelta politica di una grande Europa, imperiale, capace di riscoprire la ricchezza che proviene dall’essere differenti nell’unità. L’ultimo passo è il recupero di un’economia sociale piegata alle leggi del politico: il modello non può essere quello liberista, causa dello squilibrio che costringe l’uomo all’interno della schiavitù del mercato e della tirannia del consumo.

Volutamente provocatorio, al limite dell’utopico come lo stesso autore non ha remore ad ammettere, il testo di Bonvecchio non fa sconti al ‘politicamente corretto’. Questo ne rappresenta indubbiamente un punto di forza, a cui si accompagna una vis argomentativa altrettanto efficace, che permette più di uno spunto di riflessione. Segnaleremmo, tra questi, la riaffermazione della centralità e dell’efficacia del mito in un tempo che, di fronte ad interrogativi sempre più inquietanti,  sconta una paurosa carenza di risposte e in cui il pensiero è quasi costretto a presentarsi quale ‘debole’. Ma, soprattutto, il riferimento all’impero come forma politica ancora praticabile: già Carl Schmitt aveva rimarcato ne Le categorie del politico il carattere storico dello stato moderno, il cui declino era inevitabile; l’Europa degli stati e dei governi, quella di Bruxelles, finisce per essere l’espressione di una burocrazia e di una tecnocrazia economica e finanziaria che sfuggono ad ogni controllo e si avvalgono di un’assoluta deresponsabilizzazione. Si può convenire quindi, con Claudio Bonvecchio come con Alain de Benoist, che il modello imperiale rimane l’unica alternativa praticabile per una Europa delle culture e dei popoli.

Fabio Pagano          

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N. Danilveski: esquisse biographique

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Nikolaï DANILEVSKI: esquisse biographique

Karl NÖTZEL

Nikolaï Jakovlevitch Danilevski est né le 28 novembre 1822 dans le village d'Oberets dans le gouvernement d'Orlov. Son père, Jakob Ivanovitch, commandait à l'époque un régiment de hussards et deviendra par la suite général de brigade. Au dé­part, ce militaire était étudiant en médecine, mais, quand les Français envahissent la Russie en 1812, il s'engage comme vo­lontaire dans l'armée. Pendant la guerre de Crimée, il démissionne parce qu'on refuse l'une de ses propositions qu'il estimait urgente et importante; il meurt peu après en 1855, victime d'une épidémie de choléra. Il aurait aimé l'art et la littérature et au­rait laissé le texte d'une comédie.

 

Nikolaï Jakovlevitch passera sa petite enfance en des lieux très différents, au gré des affectations du régiment de son père. A dix ans, il vit en pension chez un pasteur allemand de Livonie. A treize ans, il fréquente une école privée à Moscou. De qua­torze à vingt ans, il étudie au lycée de Tsarskoïe Zelo. C'était un élève très doué, animé par une véritable fringale spirituelle. Ses aspirations le conduisait à aimer les sciences naturelles; ainsi , pendant quatre ans, de 1843 à 1847, il étudiera à la faculté de sciences naturelles de Saint-Petersbourg, comme élève libre, et, simultanément sert dans la chancelerie du Ministère de la Guerre. Il choisit pour spécialité la botanique. En 1849, il obtient le grade de magister pour ses travaux sur la flore dans le gou­vernement d'Orlov. A la demande de la “Société d'Economie libre”, il s'occupe de recherche dans la zone des terres noires, plus particulièrement sur la flore; dans le cadre de ces activités, il est brusquement arrêté un jour et incarcéré dans la Forteresse Pierre-et-Paul. On l'avait accusé de participation à la fameuse affaire Petrachevski, qui était également à l'origine du bannissement de Dostoïevski. Danilevski passa cent jours en prison. Au début, toute lecture lui était interdite, mais, plus tard, il eut l'immense plaisir de pouvoir lire le Don Quichotte. Il put prouver devant le Tribunal que, entièrement absorbé par ses études et ses recherches, il n'avait plus vu Petrachevski depuis des années et qu'il ne savait pas ce qui se passait là. Dans un volumineux memorandum sur le système de Fourier, il démontra clairement, avec grande précision, qu'il s'agissait là d'une doctrine purement économique, qui ne contenait rien de révolutionnaire ou d'anti-religieux. Danilevski fut acquitté, mais il dut quitter la chancelerie du gouvernement et on le déplaça, d'abord à Vologda, ensuite à Samara. C'est là qu'il épousa en 1852 la veuve d'un général-major, Véra Nikolaïevna Beklemichev, qui décéda un an plus tard. L'année suivante, il participe, à titre de statisticien, à une expédition scientifique de deux ans, destinée à “explorer l'état des pècheries sur le cours de la Volga et dans la Mer Caspienne”. Cette expédition décida de son destin futur. Le chef de l'expédition, le grand naturaliste Karl Ernst Bär, reconnut les capacités et l'ampleur du savoir de son statisticien et lui ouvrit la voie. A peine cette première expédi­tion de trois ans était-elle terminée que Danilevski obtint sa nomination de chef d'une autre expédition, cette fois pour recenser les bans de poissons de la Mer Blanche et de l'Océan Arctique. Cette expédition dura elle aussi trois ans (jusqu'en 1861). Cette année-là, il épouse la fille d'un ami qui venait de mourir, Olga Alexandrovna Mechakova. Ensuite, il participa encore à sept autres expéditions, au cours desquelles il enquête sur tous les bancs de poissons de la Russie d'Europe et en tira des conclusions toujours valables aujourd'hui. C'est au cours d'un de ces voyages que Danilevski meurt d'une maladie cardiaque à Tiflis le 7 novembre 1885.

 

En 1880, il avait constaté la présence du phylloxera en Crimée et organisé un lutte systématique contre ce fléau par l'imposition de lois et règlements. Ce travail avait rempli les dernières années de sa vie.

 

Mais le caractère saisonnier de ces expéditions scientifiques lui laissait beaucoup de temps libre: son esprit toujours en éveil se consacra à toutes sortes de travaux intellectuels dans tous les domaines possibles et imaginables. Son livre le plus cé­lèbre, Rußland und Europa  a été écrit pendant les hivers de 1865 à 1867. Un ouvrage en deux volumes sur le darwinisme est malheureusement resté inachevé.

 

Danilevski était un homme de haute taille, puissamment bâti, qui jouissait d'une santé exceptionnelle. Son caractère ouvert et honnête l'éloignait de toute forme d'orgueil personnel. C'est pourquoi il est resté assez méconnu; il n'avait pas d'ennemi, ce qui lui permit d'officier dans le conseil secret du ministère de l'agriculture. Malgré la vivacité de son esprit insatiable, il ac­complit les tâches de sa profession avec beaucoup de conscience. Il fut bon père et bon époux. Il vécut heureux dans la sim­plicité. Le seul désagrément fut d'être séparé de sa famille à cause de sa profession qui le contraignait à de longues et fré­quentes absences.

 

L'amour qu'il portait à son pays fit de lui le fondateur scientifique du panslavisme; cet amour était passionné, mais au fond sans haine d'autrui: c'est justement dans cette attitude qu'il s'est révélé un vrai Russe. Ce naturaliste professionnel a certes pu se tromper dans les faits et dans l'interprétation de ceux-ci quand il a joué le rôle de l'historien des cultures. Mais ses senti­ments demeurent au-dessus de tout soupçon. Il y a quelque chose de l'esprit des prophètes de l'ancien testament dans l'amour qu'il portait à sa patrie. En aimant son peuple, il a aimé l'humanité tout entière.

 

Karl NÖTZEL.

(préface à Rußland und Europa. Eine Untersuchung über die kulturellen und politischen Beziehungen der slawischen zur ger­manisch-romanischen Welt, 1920, réédition, Otto Zeller Verlag, Osnabrück, 1965; trad. franç.: Robert Steuckers).

mercredi, 20 août 2008

Sur les Ossètes

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Sur les Ossètes

 

 

INTRODUCTION: Le 5 septembre 2004, immédiatement après la tragédie qui a frappé l'école de Beslan en Ossétie du Nord, nous avions envoyé un long communiqué de presse, où nous faision allusion à l'histoire et la culture ossète. Voici l'extrait de notre communiqué:

 

"La tragique affaire de l’école de Beslan nous amène tout naturellement à expliquer qui sont les Ossètes, ce peuple indo-européen du Caucase, parlant une langue proche de l’iranien ancien et du patchoune actuellement parlé en Afghanistan. Les Ossètes sont les 300.000 descendants  des peuples cavaliers indo-européens de la haute antiquité, les Scythes, les Sarmates, les Sakes et les Alains, dont les sources du Bas-Empire romain font souvent mention. On sait que ces peuples cavaliers indo-européens ont été balayés par les envahisseurs hunno-turco-mongols, venu d’une région sibérienne située au nord de la Mandchourie, leur patrie initiale. Les Alains ont été repoussés vers les montagnes du Caucase, l’actuelle Ossétie du Nord ou “Alanie”. Les autres Alains ont rejoint, dans leur fuite en 370, les tribus germaniques et les ont accompagnées jusqu’en Espagne et en Afrique du Nord (cf. http://www.neohumanism.org/a/alans.html ). Leur roi Respendial est ainsi arrivé dans la péninsule ibérique. Des éléments de son peuple se sont éparpillés dans toute l’Europe occidentale, en Rhénanie et dans les Iles Britanniques, générant là-bas les légendes arthuriennes (nous y reviendrons, sur base de publications officielles et toutes récentes, émanant des armées polonaise et britannique). Après un affrontement avec les Wisigoths, la couronne des Alains passe aux Vandales, que les cavaliers alains accompagneront en Afrique du Nord. Ils introduisent également une “arme” nouvelle, les chiens de combat, que leurs descendants espagnols utiliseront contre les Maures et dans leurs guerres en Amérique. Les Ossètes, réfugiés dans le Caucase, donneront aussi à Byzance un “Magister militium”, Aspar. En 1767, ils seront libérés par les Russes. Leur langue sera codifiée par le poète Kosta Xetagurov (1859-1906). L’Académicien français Georges Dumézil sera le plus grand spécialiste des traditions et de la littérature épique des Ossètes (cf. G. Dumézil, “Romans de Scythie et d’alentour”, Payot, 1978). Toute l’œuvre de Dumézil sur les peuples indo-européens dérive de sa découverte des traditions ossètes, tant celles-ci avaient gardé intact le fonds de notre identité la plus profonde : on mesure pleinement l’importance de ce peuple en suivant la démarche et en étudiant les travaux de Dumézil. Le folklore ossète est proprement époustouflant de beauté et de charme (cf. http://www.ifrance.com/folkloriades/gr2003/ossetiedunord.htm ). C’est donc ce peuple admirable que la vermine tchétchène essaie, avec la complicité des Turcs, des Américains, des islamistes et des journalistes  comme ceux du “Soir”, de génocider, car c’est une démarche proprement génocidaire de tuer de la sorte des enfants, une démarche génocidaire qui se place dans la suite logique du génocide turc contre les Arméniens. Nous lançons un appel solennel à lutter, dans toute l’Europe, de Dublin à Vladivostock, contre ce génocide pluriséculaire perpétré contre les Indo-Européens du Caucase.

 

A la tenacité turco-tchétchène dans ses entreprises de mort, il convient d’opposer des principes stratégiques clairs : dire par exemple que le Caucase dans son ensemble est soit aborigène (Ibériens, Géorgiens) soit indo-européen (Ossètes, Alains, Arméniens), soit de religion native soit de religion orthodoxe. Les autres peuplements et confessions y sont illégitimes. Cela ne signifie pas que nous refusions le droit de vivre à ces peuplements et confessions; nous affirmons haut et clair qu’ils n’ont tout simplement aucun droit à y déterminer la politique ou à y imposer d’autres lignes de projection géostratégiques et géopolitiques que celles, éternelles, des Scythes, de Rome, de Byzance, des Arméniens, des Croisés et des Tsars russes. Les poussées géopolitiques doivent s’élancer là-bas du Nord vers le Sud et non du Sud vers le Nord ou de l’Est vers l’Ouest. Pour les peuples européens, c’est une question de vie ou de mort : ceux qui, parmi nous, disent le contraire sont des traîtres ou des fous. Parce que le triomphe d’une géopolitique turque impliquerait l’étouffement définitif des Européens dans leur presqu’île ou des Russes dans la zone peu écouménique des forêts et des toundras. En tant qu’Européen, on ne peut être à la fois sain d’esprit et vouloir cet étouffement, cette mort lente".

Vandaag Zuid-Ossetië, morgen Vlaanderen?

Vandaag Zuid-Ossetië, morgen Vlaanderen?

Refuser le mensonge: hommage à A. Soljénitsyne

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J.K.: ’t Pallieterke :

Refuser le mensonge: hommage à Soljénitsyne

“C’est justement ici que se trouve la clef, celle que nous négligeons le plus, la clef la plus simple, la plus accessible pour accéder à notre libération: ne pas participer nous-mêmes au mensonge! Le mensonge peut avoir tout recouvert, peut régner sur tout, ce sera au plus petit niveau que nous résisterons: qu’ils règnent et dominent, mais sans ma collaboration!”.

Ces phrases sont tirées d’un essai de Soljénitsyne, intitulé “Ne vis pas avec le mensonge!”. Elles caractérisent parfaitement l’écrivain russe, décédé début août 2008. Il avait été le plus célèbre des dissidents et Prix Nobel de littérature. Il n’a pas participé au mensonge, effectivement, ce qui lui permit de donner une impulsion à la résistance contre le régime soviétique, impulsion qui, à terme, a conduit à l’effondrement de l’Etat totalitaire alors que, jadis, il avait semblé si invincible. 

“Ce fut Alexandre Soljénitsyne qui ouvrit les yeux du monde sur la réalité du système soviétique. C’est pourquoi, son vécu a une dimension universelle”, a déclaré le président français Sarközy après avoir appris la mort de l’écrivain. Les réactions officielles post mortem n’ont généralement rien de bien substantiel. Quoi qu’il en soit, en France, le pays de Sarközy, l’oeuvre littéraire de Soljénitsyne avait provoqué un gigantesque retournement des esprits. Gramsci, marxiste italien, savait que toute société est dirigée par ceux qui influencent la pensée. En France, dans le sillage de mai 68, fourmillaient les “compagnons de route”, souvent des intellectuels bien intentionnés, qui voyaient dans l’Etat soviétique la réalisation du paradis sur la Terre. La publication de “L’Archipel Goulag”, oeuvre littéraire monumentale où Soljénitsyne règle ses comptes avec le régime de terreur communiste, ouvre les yeux à de nombreux intellectuels français. C’est le début de la fin pour le communisme, en France et en dehors des frontières de l’Hexagone. Plus que n’importe quel autre écrivain, Soljénitsyne dévoila la vérité quant à l’oppression subie par son peuple sous la dictature communiste. Parce qu’il ne voulait pas participer au mensonge.

Qui connait encore Soljénitsyne?

La biographie de Soljénitsyne a été révélée dans ses grandes lignes dans notre presse flamande. Soldat de l’Armée Rouge, il est fait prisonnier par sa propre hiérarchie et déporté en Sibérie parce qu’il avait émis des critiques contre Staline dans une lettre à un ami; il fut condamné à huit années de camp de travail et ensuite à cinq années de bannissement intérieur. Auteur d’ouvrages critiques à l’endroit du régime, il oeuvre dans un premier temps avec l’accord de Khrouchtchev, leader du parti, qui espère tirer un profit personnel en autorisant certaines critiques contre Staline. Plus tard, contre l’avis des autorités soviétiques, Soljénitsyne obtint le Prix Nobel de littérature; il n’ira pas lui-même le chercher de crainte de ne pouvoir rentrer en Russie; il sera malgré tout banni du pays après la publication en Occident de “L’Archipel Goulag”. Pendant des années, il vivra reclus aux Etats-Unis, dans une propriété enneigée et plantée de pins dont les allures lui rappellaient la Russie. Réhabilité après la chute du communisme, il revient en Russie en 1994, où il se posera, une fois de plus, comme un critique non conformiste, hostile aux pouvoirs établis.

La presse flamande n’a pas raconté beaucoup d’autres choses à la suite de son décès. “La Libre Belgique” en a fait son grand titre, exactement comme “Le Monde” à Paris et d’autres quotidiens de qualité ailleurs en Europe. Chez nous, seulement de brefs articulets, quelques analyses toutes de platitude dans les pages intérieures des journaux. Rik van Cauwelaert fit exception dans les colonnes de l’hebdomadaire “Knack”, où un éditorial bien ficelé fut entièrement consacré à Soljénitsyne.

D’où question: nos journalistes ne connaissent-ils plus Soljénitsyne? L’ont-ils jamais lu? Ou bien, l’appellation de “fossoyeur du régime soviétique”, dont on l’a si souvent gratifié, les effraie-t-elle? La Flandre a démontré, la semaine dernière, sa petitesse.

Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi dans nos régions. “Le premier cercle” contenait, en page 202 de son édition néerlandaise, un phrase caractéristique: “Il y a toujours eu l'une de ces idées pour fermer la bouche à ceux qui voulaient crier la vérité ou monter sur la brèche pour la justice”. “Le pavillon des cancéreux”, “Lénine à Zurich”, “La Russie sous l’avalanche”, “La fille d’amour et l’innocent”, “Flamme au vent”, “Pour le bien de la cause”, “Août 1914”, “Une journée dans la vie d’Ivan Denissovitch”, “L’Archipel Goulag”, “Le chêne et le veau”, “Lettre ouverte aux dirigeants de l’Union Soviétique”, “Discours américains”, etc., tous furent rapidement traduits en néerlandais et connurent de réels succès éditoriaux. Les éditions successives se bousculaient à un rythme constant.

Aujourd’hui, on ne peut plus acheter neuf qu’”Une journée dans la vie d’Ivan Denissovitch” en librairie.  Même “L’Archipel Goulag” est épuisé.

Le mensonge en lui-même

Partout dans le monde, l’intérêt pour l’auteur et ses idées s’est rapidement estompé après son bannissement à l’Ouest. Pour les clans de la gauche, Soljénitsyne resta suspect, alors que, pourtant, l’Amérique libérale, à son tour, était devenue la cible de ses critiques. La prise du pouvoir par les communistes, il l’a toujours considérée comme une “importation occidentale” (Marx était allemand) qui, par voie de conséquence, s’opposait diamétralement aux ressorts de l’âme russe. Le capitalisme était pour lui une horreur. Mais après la chute du communisme, il ne ménagea pas ses critiques à l’encontre de Gorbatchev et surtout d’Eltsine, qui, selon lui, vendaient le pays aux plus offrants et le transformaient en un marécage sordide où dominait une culture glauque, décadente, sans contenu réel.

En 1999, Soljénitsyne écrit “L’effondrement de la Russie”, une synthèse de toutes les idées qui ont émaillé son oeuvre. Il règle ses comptes avec l’idéologie de la privatisation et déplore le déclin du patriotisme. La nouvelle norme est hélas devenue la suivante, elle se résume en une question: “Qu’est-ce que cela rapporte?”. Pour Soljénitsyne, le patriotisme est un sentiment organique, “la conviction que l’Etat vous protège dans les moments difficiles”. La patrie jouait un grand rôle pour Soljénitsyne. Mais Dieu aussi. Et Dieu disparaît également, ou alors on n’écrit plus son nom qu’avec un “d” minuscule.

La ligne de démarcation

Il est clair que Soljénitsyne ne visait pas le succès auprès des détenteurs du pouvoir. Mais les intellectuels contemporains, ceux qui se targuent d’être dans le vent, n’aiment pas  davantage ce conservateur fondamental, avec sa tête et son visage comme taillés dans du bois de chêne. “Il est dépassé”: tel est sans doute le commentaire le plus courant et le plus aimable qu’on a entendu à son propos. La plupart le rejetait en ne tenant compte que de la caricature que l’on avait faite de lui.

Il a survécu à l’Union Soviétique mais est revenu dans une Russie où toutes les non valeurs, comme la corruption, le matérialisme, la superficialité et la décadence étaient omniprésents.

Dans une recension remarquable, aux arguments solides comme l’acier, Hubert Smeets, dans les colonnes du “NRC-Handelsblad” (15 janvier 1999), évoque Wayne Allensworth qui était, dans les années Clinton, analyste auprès du “Foreign Broadcast Information Service”, une officine gouvernementale américaine qui suit la presse non anglophone du monde entier. Wayne Allensworth y défendait Soljénitsyne contre tous les critiques américains et étrangers. Selon Allensworth, en effet, Soljénitsyne était logique avec lui-même, suivait toujours sa même piste: la lutte contre LE mensonge, “contre la croyance en la possibilité qu’aurait l’homme de transformer sa propre nature, de manipuler l’univers et de créer un paradis sur la Terre”. C’est dans ce grand mensonge-là que se retrouvent, tous ensemble, les communistes, les capitalistes, les révolutionnaires et les libéraux.

“Ce que les Occidentaux, convaincus de la supériorité du capitalisme, devraient comprendre, c’est que Soljénitsyne ne perçoit pas les racines de la misère économique et écologique de la Russie dans le socialisme en soi, mais dans le manque d’humilité de l’humanité moderne”.

Pour Allensworth, on ne peut dès lors pas considérer Soljénitsyne comme un slavophile, simple héritier et imitateur des slavophiles russes du 19ème siècle, ni comme un idéologue “Blut-und-Boden” (à la mode allemande) mais comme un personnaliste contemporain, se situant dans la tradition d’Edmund Burke, James Burnham ou Christopher Lash.

Concluons en citant Soljénitsyne lui-même: “La ligne de démarcation entre le bien et le mal ne passe pas entre les Etats, les classes ou les partis, mais à l’intérieur même de chaque coeur d’homme”. Le coeur de Soljénitsyne, lui, s’est arrêté de battre à 89 ans.

J. K.

(article paru dans “’t Pallieterke”, Anvers, 13 août 2008; trad. franç.: Robert Steuckers).

Le concept d'aristocratie chez Nicolas Berdiaev

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Le concept d'aristocratie chez Nicolas Berdiaev

 

Pierre MAUGUÉ

 

Par son livre La philosophie de l'inégalité  (1), Berdiaev (2) s'inscrit dans la grande tradition des écrivains contre-révolution­naires. Bien qu'il ait été écrit dans le chaos de la révolution russe, et tout imprégné qu'il soit du mysticisme propre à l'orthodoxie, ce livre recèle en effet un message de portée universelle. Par delà le temps et le fossé culturel qui sépare l'Europe latine du monde slave orthodoxe, les analyses de Berdiaev rejoignent celles de Maistre et de Bonald; elles mettent non seulement en lumière les racines communes à la révolution jacobine et à la révolution bolchevique, mais concluent à la primauté des principes sur lesquels reposent les sociétés traditionnelles.

 

Comme Joseph de Maistre (3), Berdiaev voit dans la révolution une conséquence de l'incroyance et de la perte du centre or­ganique de la vie. «Une révolution, quelle qu'elle soit, est anti-religieuse de par sa nature même, et tenter de la justifier reli­gieusement est une bassesse... La révolution naît d'un dépérissement de la vie spirituelle, de son déclin, et non de sa cois­sance ni de son développement intérieur». Mais la révolution ne s'attaque pas seulement à la religion en tant qu'elle relie l'homme au sacré et à la transcendance, mais aussi dans la mesure où elle établit un lien entre les générations passées, pré­sentes et futures. Comme le note Berdiaev, «il existe non seulement une tradition sacrée de l'Eglise, mais encore une tradition sacrée de la culture. Sans la tradition, sans la succession héréditaire, la culture est impossible. Elle est issue du culte. Dans celle-ci, il y a toujours un lien sacré entre les vivants et les morts, entre le présent et le passé... La culture, à sa manière, cherche à affirmer l'éternité».

 

Berdiaev ne peut donc que s'insurger contre la prétention des révolutionnaires d'être des défenseurs de la culture. S'adressant à eux, il écrit: «Vous avec besoin de beaucoup d'outils culturels pour vos fins utilitaires. Mais l'âme de la culture vous est odieuse». Ce que Berdiaev leur reproche, c'est aussi leur mépris des œuvres du passé: «La grandeur des ancêtres vous est insupportable. Vous auriez aimé vous organiser et vous promener en liberté, sans passé, sans antécédents, sans relations», et il se voit obliger de rappeler que «la culture suppose l'action des deux principes, de la sauvegarde comme de la procréation».

 

Le principe conservateur dont Berdiaev se fait le héraut n'est donc pas opposé au développement, il exige seulement que celui-ci soit organique», que l'avenir ne détruise pas le passé mais continue à le faire croître». L'antimarxisme de Berdiaev n'en fait pas pour autant un défenseur inconditionnel du libéralisme. Bien qu'il reconnaisse, avec Tocqueville, qu'«il y a dans la liberté quelque chose d'aristocratique» et qu'il considère que «les racines de l'idée libérale ont une relation plus étroite avec le noyau ontologique de la vie que les idées démocratiques et socialistes», il n'en estime pas moins que, dans le monde actuel, le libé­ralisme «vit des miettes d'une certaine vérité obscurcie».

 

Berdiaev relève ainsi que l'individualisme libéral sape la réalité de la personne, à laquelle il entendait donner la première place, du fait qu'il détache l'individu de toutes les formations historiques organiques. «Pareil individualisme», dit-il, «dévaste en fait l'individu, il lui ôte le contenu super-individuel qu'il a reçu de l'histoire, de sa race et de sa patrie, de son Etat et de l'Eglise, de l'humanité et du cosmos». Quant au libéralisme économique, il lui paraît avoir plus d'affinités avec une certaine forme d'anarchisme qu'avec la liberté aristocratique. «L'individualisme économique effréné, qui soumet toute la vie écono­mique à la concurrence et à la lutte d'intérêts égoïstes, qui ne reconnait aucun principe régulateur, semble n'avoir aucun rap­port nécessaire avec le principe spirituel du libéralisme».

 

En définitive, Berdiaev considère que la philosophie de l'état et des droits naturels, prônée par les libéraux, est superficielle, car «il n'y a pas et il ne peut y avoir d'harmonie naturelle». Pour lui, «la foi libérale» n'est donc pas moins fausse que «la foi socialiste».

* *  *

La «philosophie de l'inégalité» se présente comme une suite de lettres traitant chacune d'un thème bien précis. Hormis la première lettre, qui traite de la révolution russe, toutes les autres lettres abordent des sujets qui ne sont pas spécifiquement liés à la situation de la Russie. Partant d'une analyse «des fondements ontologiques et religieux de la société», Berdiaev va nous parler de l'Etat, de la nation, du conservatisme, de l'aristocratie, du libéralisme, de la démocratie, du socialisme, de l'anarchie, de la guerre, de l'économie, de la culture, et, pour conclure, d'un sujet qui n'intéresse généralement pas les polito­logues: du royaume de Dieu.

 

La lettre sur l'aristocratie est peut-être celle qui retient le plus l'attention, car elle ose faire l'apologie d'un principe que, depuis deux siècles, l'on s'est plus non seulement à dévaloriser, mais à désigner à la vindicte populaire. Aujourd'hui, note Berdiaev, il est généralement considéré qu'«avoir des sympathies aristocratiques, c'est manifester soit un instinct de classe, soit un es­thétisme sans aucune importance pour la vie».

 

La vision réductrice de l'aristocratie que l'on a tout fait pour imposer depuis la Révolution française est battue en brèche par Berdiaev en partant d'un point de vue spirituel. Pour lui, l'aristocratie a un sens et des fondements plus profonds et plus essen­tiels. Alors que «le principe aristocratique est ontologique, organique, qualitatif», les «principes démocratiques, socialistes, anarchiques, sont formels, mécaniques, quantitatifs; ils sont indifférents aux réalités et aux qualités de l'être, au contenu de l'homme». La démocratie, dépourvue de bases ontologiques, n'a au fond qu'une nature “purement phénoménologique”; elle ne serait finalement rien d'autre que le régime politique correspondant au “règne de la quantité”, à l'“âge sombre”, dont parlent les représentants de la pensée traditionnelle, notamment René Guénon.

 

Mais Berdiaev ne met pas seulement en valeur la supériorité du principe aristocratique du point de vue spirituel. Comme Maurras, il voit en lui un élément fondamental de l'organisation rationnelle de la vie sociale; il rappelle que tout ordre vital est hiérarchique et a son aristocratie. «Seul un amas de décombres n'est pas hiérarchisé» et «tant que l'esprit de l'homme est en­core vivant et que son image qualitative n'est pas définitivement écrasée par la quantité, l'homme aspirera au règne des meil­leurs, à l'aristocratie authentique».

 

Berdiaev refuse de croire que la démocratie représentative ait, comme elle le prétend, la capacité d'assurer cette sélection des meilleurs et le règne de l'aristocratie véritable. «La démocratie», estime-t-il, «devient facilement un instrument formel pour l'organisation des intérêts. La recherche des meilleurs est remplacée par celle des gens qui correspondent le mieux aux intérêts donnés et qui les servent plus efficacement».

 

La démocratie, le pouvoir du peuple, ne sont pour Berdiaev qu'un trompe-l'oeil. «Ne vous laissez pas tromper par les appa­rences, ne cédez pas à des illusions trop indigentes. Depuis la création du monde, c'est toujours la minorité qui a gouverné, qui gouverne et qui gouvernera. Cela est vrai pour toutes les formes et tous les genres de gouvernement, pour la monarchie et pour la démocratie, pour les époques réactionnaires et pour les révolutionnaires». Cette vue de Berdiaev n'est pas sans rappe­ler Pareto et sa théorie de la circulation des élites. Mais à la question de savoir si c'est la minorité la meilleure ou la pire qui gouverne, berdiaev ne donne pas la même réponse que Pareto (4). Il considère en effet que «les gouvernements révolution­naires qui se prétendent populaires et démocratiques sont toujours la tyrannie d'une minorité, et bien rares ont été les cas où celle-ci était une sélection des meilleurs. La bureaucratie révolutionnaire est généralement d'une qualité encore plus basse que celle que la révolution a renversée».

 

Pour Berdiaev, la réalité est qu'«il n'y a que deux types de pouvoir: l'aristocratie et l'ochlocratie, le gouvernement des meil­leurs et celui des pires». Vue peut-être un peu trop manichéenne dans la mesure où la médiocratie, ou gouvernement des médiocres, paraît être aujourd'hui la forme de pouvoir la plus répandue, et qu'elle est d'autant plus forte qu'elle se trouve en accord quasi parfait avec l'esprit même du monde moderne.

 

L'aristocratie est quant à elle en porte-à-faux avec les idées modernes parce qu'elle suppose la sélection et la prise en compte du temps. Pour Berdiaev, l'aristocratie s'inscrit dans l'histoire, elle présuppose une filiation et le lien ancestral. «La formation sélective des traits nobles du caractère s'effectue avec lenteur, elle implique une transmission héréditaire et des coutumes familiales. C'est un processus organique».

 

Il faut, dit Berdiaev, qu'il y ait dans la société humaine des gens qui n'ont pas besoin de s'élever et que ne chargent pas les traits sans noblesse de l'arrivisme. Les droits de l'aristocratie sont inhérents, non procurés. Il faut qu'il y ait dans le monde des gens aux droits innés, un type psychique qui ne soit pas plongé dans l'atmosphère de la lutte pour l'obtention des droits».

 

Mais à ce privilège correspondent des devoirs qui ne peuvent précisément être remplis qu'en raison même de ce privilège originel. «L'aristocratie véritable peut servir les autres, l'homme et le monde, car elle ne se préoccupe pas de s'élever elle-même, elle est située suffisamment haut par nature, dès le départ, elle est sacrificielle». Vue extrêmement exigeante pour la­quelle «l'aristocratie doit avoir le sentiment que tout ce qui l'élève est reçu de Dieu et tout ce qui l'abaisse est l'effet de sa propre faute», alors que le propre de la psychologie plébéienne est de considérer «tout ce qui élève comme un bien acquis et tout ce qui abaisse comme une insulte et comme la faute d'autrui».

 

Du fait que «l'aristocrate est celui auquel il est donné davantage» et qu'il peut ainsi «partager son surcroît», il est appelé à jouer un rôle de médiateur entre le peuple et les valeurs supérieures. Berdiaev tient ainsi à rappeler que, dans toute l'histoire, «les masses populaires sortent de l'ombre et qu'elles communient avec la culture par l'intermédiaire de l'aristocratie qui s'en est distinguée et qui remplit sa tâche». C'est la raison pour laquelle les valeurs aristocratiques doivent demeurer prédominantes, car «c'est l'aristocratisation de la société et non pas sa démocratisation qui est spirituellement justifiée». Berdiaev tient d'ailleurs à rappeler que l'attitude méprisante envers le menu peuple n'est pas le fait de l'aristocratie, mais qu'«elle est le propre du goujat et du parvenu».

 

* *  *

 

Tout en affirmant les principes qui forment la trame des valeurs aristocratiques, Berdiaev n'ignore pas que, «dans l'histoire, l'aristocratie peut déchoir et dégénérer», qu'«elle peut facilement se cristalliser, se scléroser, se clore sur elle-même et se fermer aux mouvements créateurs de la vie». Elle trahit alors sa vocation et, «au lieu de servir, elle exige des privilèges». Pour Berdiaev, les conséquences qu'entraîne cette décadence sont les mêmes que celles qu'envisage Joseph de Maistre. «Lorsque les classes supérieures ont gravement failli à leur vocation et que leurs dégénérescence spirituelle est avancée, la révolution mûrit comme un juste châtiment pour les péchés de l'élite».

 

Mais quelle que soit la décadence qui peut frapper l'aristocratie, le principe qui est à son origine n'en garde pas moins une va­leur éternelle. La noblesse peut mourir en tant que classe, «elle demeure en tant que race, que type psychique, que forme plastique». Ainsi, la chevalerie, dont Berdiaev regrette l'absence dans l'histoire de la Russie, fut plus qu'une catégorie sociale et historique, elle est un principe spirituel, et «la mort définitive de l'esprit chevaleresque entrainerait une dégradation du type de l'homme, dont la dignité supérieure a été modelée par la chevalerie et par la noblesse, d'où elle s'est diffusée dans des cercles plus larges».

 

Si l'influence de la noblesse fut plus tardive en Russie, il serait injuste, estime Berdiaev, de méconnaître le rôle important qu'elle a joué dans le développement intellectuel de ce pays. «Elle a», dit-il, «été notre couche culturelle la plus avancée. C'est elle qui a créé notre grande littérature. Les gentilhommières ont constitué notre premier milieu culturel... Tout ce qui comptait dans la culture russe venait de l'aristocratie. Non seulement les héros de Léon Tolstoï, mais encore ceux de Dostoïevski, sont inconcevables en dehors de celle-ci... Tous nos grands auteurs ont été nourris par le milieu culturel de la noblesse».

 

Berdiaev, qui appartient à la noblesse, héréditaire, n'en reconnaît pas moins qu'«il n'y a pas seulement l'aristocratie historique où le niveau moyen se crée grâce à la sélection raciale et à la transmission héréditaire», mais qu'«il y a aussi l'aristocratie spirituelle, principe éternel, indépendant de la succession des groupes sociaux et des époques». Cette aristocratie spirituelle, qui se forme selon l'ordre de la grâce personnelle, n'a pas un rapport nécessaire avec un groupe social donné, elle n'est pas fonction d'une sélection naturelle. «On n'hérite pas plus du génie que de la sainteté». Mais cette «aristocratie spirituelle a la même nature que l'aristocratie sociale, historique; c'est toujours une race privilégiée qui a reçu en don ses avantages».

 

Opposer la démocratie à l'aristocratie n'est pas concevable pour Berdiaev. «Ce sont là des notions incommensurables, de qualités complètement différentes». Il voit d'ailleurs dans le triomphe de la métaphysique, de la morale et de l'esthétique dé­mocratiques «le plus grave péril pour le progrès humain, pour l'élévation qualitative de la nature humaine». «Vous niez», dit-il, «les fondements biologiques de l'aristocratisme, ses bases raciales, ainsi que celles de la grâce et de l'esprit. Vous condam­nez l'homme à une existence grise, sans qualités». Quant à la volonté affirmée de porter une masse énorme de l'humanité à un niveau supérieur, elle résulte, selon Berdiaev, non pas d'un amour de ce haut niveau, mais avant tout d'un désir d'égalitarisme, d'un refus de toute distinction et de toute élévation.

 

Se plaçant délibérément à contre-courant des idées qui ont cours à son époque et qui ont aujourd'hui acquis une valeur de dogme, Berdiaev s'adresse en ces termes aux grands-prêtres de l'idée démocratique: «Ce qui vous intéresse par-dessus tout, ce n'est pas d'élever, c'est d'abaisser. Le mystère de l'histoire vous est inaccessible, votre conscience y reste à jamais aveugle. Le mystère de l'histoire est un mystère aristocratique. Il s'accomplit par la minorité».

 

Pierre MAUGUÉ.

(décembre 1993).

 

Notes:

(1) La philosophie de l'inégalité, écrite en 1918, a été publiée à Berlin en 1923. Sous le titre De l'inégalité, une traduction en fran­çais a été éditée en 1976, à Lausanne, par les Editions L'Age d'Homme.

(2) NIcolas Berdiaev est né à Kiev en 1874 et mort à Clamart en 1948. Sa mère était une princesse Koudachev, apparentée à la famille Choiseul. Professeur de philosophie à l'Université de Moscou, Berdiaev, que l'on a parfois qualifié d'existentialiste chré­tien, s'oppose à toutes les formes modernes de matérialisme. Expulsé d'Union Soviétique en 1922, il s'établira en France, où il demeurera jusqu'à sa mort.

(3) Cf. Considérations sur la France. Cette œuvre a récemment été rééditée par “Les Editions des Grands Classiques” (ELP) (37, rue d'Amsterdam, F-75.008 Paris).

(4) Cf. Vilfredo Pareto, Traité de sociologie générale.

mardi, 19 août 2008

V. Eggermont: De Delta Optie

Uit den Ouden Doosch: Gastschrijver Vik Eggermont

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Lo politicamente correcto y la metapolitica

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Alberto BUELA (*):

 

Lo políticamente correcto y la metapolítica

En estos días nos ha llegado desde varios lados un reportaje al militar franco-ruso, ahora devenido ensayista, Vladimir Volkoff sobre lo políticamente correcto. Las respuestas que da Volkoff son acertadas pero insuficientes, pues él limita lo políticamente correcto a un problema del decir: “circula a través de nuestro vocabulario. El vocabulario políticamente correcto es el principal vehículo de contagio”.

Es cierto que lo políticamente correcto, en inglés denominado political correctness, tiene que ver con una forma de decir; por ejemplo a un negro llamarlo "hombre de color",  hablar de interrupción del embarazo en lugar de aborto, invidente en lugar de ciego. Pero hay que dar un paso más en busca de su fundamento, sino simplemente nos quedamos en la descripción del fenómeno.

Así lo políticamente correcto es todo eso que dice Volkoff: el "todo vale", el cristianismo degradado, el socialismo reinvindicativo, el freudismo antimoral, el economicismo marxista, el igualitarismo como punto de llegada y no de partida, la decadencia del espíritu crítico, lo practican los intelectuales desarraigados, confunde el bien y el mal. Pero todo ello no alcanza para asir su naturaleza, esencia y fundamento. Incluso Volkoff afirma que: es de imposible definición.

Además, está el hecho bruto e incontrovertible de que existen temas y problemas políticos de mucho peso en la historia del mundo que no son tratados por ser políticamente incorrecto hacerlo, por ejemplo: el poder judío en las finanzas internacionales y en los medios masivos de comunicación o el poder de las sectas e iglesias cristianas al servicio del imperialismo. Vemos con estos solos ejemplos como lo políticamente correcto no se limita al decir o al dejar de decir, como sostiene Volkoff.

Además hay temas y muchos, que no son tratados ni mediática ni privadamente por ser políticamente incorrectos: la jerarquía, el disenso, la disciplina, el arraigo, la pertenencia, las virtudes, el deber, el heroísmo, la santidad, la lealtad, la autoridad, etc.

Nosotros sin embargo creemos que lo políticamente correcto se apoya y tiene su fundamento en el denominado pensamiento único. Pensamiento que encuentra su justificación en los poderes que manejan y gobiernan este mundo terrenal y finito que vivimos hoy.

Podemos definir lo políticamente correcto como la forma de hacer y decir la política que se adecua al orden constituido y al statu quo reinante. Es por ello que el simulacro y el disimulo, la amplia calle de la acción y el discurso político contemporáneo, tiene en lo políticamente correcto su mejor instrumento. Hoy la política  es entendida y practicada como “un como sí” kantiano. Se piensa y se actúa “como si ” se pensara y se actuara de verdad. Es por ello que los gobiernos no resuelven los conflictos sino que, en el mejor de los casos, los administran. Nos tratan de mantener siempre en una pax apparens como agudamente ve Massimo Cacciari, el filósofo y actual intendente de Venecia.

¿Y por qué hablamos de pensamiento único? Porque hay una convergencia de intereses de los distintos poderes que manejan este mundo que necesita ser justificada y su justificación se halla en el pensamiento único, que está constituido por el pensamiento social, política y académicamente aceptado. Esto prueba como lo han demostrado intelectuales "políticamente incorrectos" como Michel Maffesoli, Massimo Cacciari, Danilo Zolo, Alain de Benoist, Günter Maschke,  y tantos otros, que existe una "policía del pensamiento" (los Habermas, Eco, Henry-Levy, Gass, Saramago -en nuestro país los Aguinis, Sebrelli, Verbisky, Feinmann, Grondona, etc.-) que determina en forma "totalitariamente democrática" quienes son los buenos y quienes los malos. A quien se debe promocionar y a quien denostar o silenciar. Es le totalitarisme doux propre des démocraties occidentales del que nos habla Mafffesoli.

Esta policía del pensamiento es una, como es uno el pensamiento único y como lo es también uno el sistema de intereses de los poderes mundiales, más allá de sus aparentes diferencias ideológicas. Perón a esto lo llamaba sinarquía, que el pensamiento políticamente correcto se encargó de negar y burlarse.

No se puede hablar en profundidad de lo political correctness sin estudiar aquello que constituye la pensée unique tan bien descripta por Alain de Benoist, Ignacio Ramonet o Vitorio Messori. Y no se puede hablar del pensamiento único sin hacer referencia a la unitaria madeja de intereses que sostiene el funcionamiento de los poderes indirectos, en muchos casos más poderosos incluso que los mismos Estado-nación. Todo ello a su vez tiene una fuerza coercitiva que es "la policía del pensamiento" que funciona en forma aceitada hasta en el último pueblito de la tierra.

Esta tenaza poderosa de dinero, poder político y prestigio intelectual es la que presiona sobre la vida de los pueblos para el logro de la homogenización del mundo y las culturas en una sola. Esta tenaza es la expresión acabada de un mecanismo perverso de alienación existencial de las naciones que pueblan la tierra. Y es en vista a la denuncia de este mecanismo perverso, donde se juntan lo políticamente correcto, el pensamiento único, los poderes indirectos y la policía del pensamiento, que buscamos hacer una observación crítica a lo sostenido por Volkoff.

La tarea de desmontaje de lo políticamente correcto es una tarea correspondiente stricto sensu a la metapolítica pues esta disciplina con el estudio de las grandes categorías que condicionan la acción política de los gobiernos de turno es la que nos brinda las mejores condiciones epistemológicas para el conocimiento de aquello que nos hace padecer lo políticamente correcto como vocero del pensamiento único impuesto a su vez por la policía del pensamiento. Lo políticamente correcto al transformar sus propuestas y temas en “el lugar común”, puede ser desarmado con el uso de la metapolítica que para Giacomo Marramao “ convierte a la divergencia en un concepto de comprensión política ”.

Con lo cual llegamos finalmente a constatar que para comprender acabadamente la política y lo político estamos obligados a desmantelar el andamiaje de este círculo vicioso conformado por lo políticamente correcto, el pensamiento único, los poderes indirectos y la policía del pensamiento que se retroalimentan entre sí en una totalidad de sentido, que en nuestra opinión produce ese gran sin sentido que caracteriza a la política mundial de nuestro tiempo.

(*) alberto.buela@gmail.com

Les stratégies des belligérants pendant la seconde guerre mondiale

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Dr. Heinz MAGENHEIMER:

 

Les stratégies des belligérants pendant la seconde guerre mondiale

 

Introduction: Le Dr. Heinz Magenheimer est historien militaire et enseigne à l’Académie de Défense Nationale à Vienne et à l’Université de Salzbourg. L’article qui suit est une présentation de son livre le plus récent, “Kriegsziele und Strategien der grossen Mächte – 1939-1945”, paru à Bonn en 2006 chez l’éditeur Osning (27 euro).

 

Contrairement aux thèses qu’affirment certains historiens, le but de guerre de l’Allemagne, immédiatement après le 1 septembre 1939, se limitait à soumettre la Pologne et à organiser la défense de l’Ouest du pays (et de la Ligne Siegfried) contre les alliés occidentaux. Il me semble passablement exagéré d’attribuer à Hitler un “plan par étapes” car la stratégie allemande dépendait entièrement des vicissitudes de la situation, que l’on ne pouvait évidemment pas prévoir. La stratégie allemande ressemble bien plutôt à de l’improvisation, car la production de guerre, à l’époque, ne suffisait pas pour faire face à une belligérance de longue durée.

 

Les puissances occidentales, elles, avaient d’abord développé une stratégie défensive sur le long terme, visant l’isolement et l’exténuation de l’Allemagne. L’exigence des alliés à l’endroit de Berlin, soit la restitution de la souveraineté de la Pologne dans ses frontières, n’avait plus de sens, après l’occupation soviétique de la moitié orientale du pays, à partir du 17 septembre 1939. Les grandes puissances extérieures, soit les Etats-Unis et l’Union Soviétique, attendaient leur heure et espéraient tirer le maximum d’avantages de la guerre en Europe occidentale. Moscou ne pouvait qu’y gagner, si les deux camps s’épuisaient mutuellement. Les Etats-Unis pourraient, eux, satelliser complètement la Grande-Bretagne et la France, si la guerre durait longtemps. Les deux grandes puissances extérieures suivaient une “stratégie de la main libre”.

 

La victoire rapide de la Wehrmacht en Europe occidentale à partir du 10 mai 1940 a certes renforcé la position du Reich mais n’a pas atteint le but de guerre espéré: forcer une paix de compromis avec l’Angleterre. Une prolongation de la guerre n’allait pas dans le sens de l’Allemagne. Les dirigeants britanniques ont rejeté toutes les propositions allemandes de paix et ont opté pour la lutte à outrance. Churchill suivait en cela une stratégie irrationnelle, car il mettait en jeu l’existence de l’Empire britannique. Son but de guerre était dès lors de briser une fois pour toutes la prépondérance allemande en Europe centrale, en ne craignant aucun sacrifice, ce qui, de manière inattendue, rendit la belligérance encore plus âpre. Le président américain Franklin D. Roosevelt soutenait la Grande-Bretagne, dans la mesure de ses moyens, mais son objectif final était d’absorber la puissance britannique aux profit des Etats-Unis et de la soumettre.

 

C’est alors que la deuxième grande puissance extérieure, l’URSS, qui n’avait pas escompté une victoire aussi rapide de la Wehrmacht, se mit à préparer la guerre contre l’Allemagne. Dans ce but, elle étendit son glacis dans le Nord-Est et dans le Sud-Est de l’Europe en juin et en juillet 1940. Staline abandonna sa politique de prudence, qu’il avait suivie jusqu’à ce moment-là, se mit à préparer la guerre à grande échelle et donna son aval à un déploiement offensif de l’armée rouge, car une guerre avec l’Allemagne lui semblait inévitable.

 

Comme la stratégie directe de l’Allemagne contre la Grande-Bretagne avait échoué, à la suite de la bataille aérienne pour la maîtrise du ciel anglais et que la liberté de mouvement dont le Reich bénéficiait sur ses arrières grâce au pacte germano-soviétique semblait de plus en plus menacée, Hitler décida, pendant l’hiver 40/41, de changer de stratégie: il ne fallait plus donner priorité au combat final à l’Ouest mais d’abord abattre l’Union Soviétique. Il y avait certes d’autres options stratégiques possibles mais elles n’auraient pas été moins risquées. C’est ainsi que l’Allemagne se sentit contrainte d’ouvrir une guerre sur deux fronts, pour échapper à un plus grand danger encore, celui d’une attaque directe de l’Armée Rouge à moyen terme. A l’Ouest, les Allemands devaient s’attendre tôt ou tard à l’intervention des Etats-Unis car Roosevelt, malgré le conflit qui l’opposait au Japon, considérait que l’Allemagne était l’ennemi principal.

L’attaque de la Wehrmacht contre l’URSS, le 22 juin 1941, ruinait tous les principes de la stratégie allemande antérieure mais offrait à Churchill une alliance avec Staline. Les dirigeants de l’Allemagne ont sous-estimé leur adversaire, qu’ils voulaient seuls et sans l’aide du Japon abattre en un bref laps de temps. C’était là une faute stratégique des Etats du Pacte Tripartite,  que Hitler a fort regretté rétrospectivement car, disait-il, les Etats-Unis ne seraient jamais entrés en guerre si l’URSS s’était effondrée.

 

Au Japon, on considérait que les Etats-Unis étaient l’ennemi principal. Après que Washington ait décrété l’embargo économique contre le Japon le 1 août 1941, l’Empire du Soleil Levant se retrouvait face à un dilemme: faire la guerre ou accepter le diktat américain. La stratégie japonaise a misé sur la destruction totale de la flotte ennemie et sur la conquête d’une solide base de matières premières dans le Sud-Est asiatique, conditions pour arriver à une paix de compromis avec les Etats-Unis. Le but de guerre de Roosevelt était d’abattre l’Allemagne et d’ôter toute puissance réelle à la Grande-Bretagne. Il prit le risque d’affronter également le Japon pour se retrouver, par une voie indirecte, en état de guerre avec l’Allemagne.

 

Avec l’enlisement de la Wehrmacht devant Moscou en décembre 1941 et avec l’attaque japonaise contre Pearl Harbour, la guerre prit des dimensions mondiales. La deuxième puissance extérieure était désormais pleinement impliquée dans la guerre mais concentrait, dans cette première phase du conflit, l’essentiel de ses efforts contre le Japon. La déclaration de guerre de l’Allemagne aux Etats-Unis résultait de l’analyse suivante: tôt ou tard le Reich se trouverait tout de même en guerre avec les Américains; pour l’instant toutefois, c’était le Japon qui subissait la pression américaine maximale. 

 

Les Etats du Pacte Tripartite commirent une deuxième erreur stratégique en 1942: ils n’ont pas coordonné leurs efforts, mais ont mené des guerres parallèles, où l’Allemagne passait à l’offensive en Russie et le Japon dans l’espace du Pacifique. Ce que l’on a appelé le “Grand Projet” de guerre maritime en février 1942, de concert avec le Japon, avait pour objectif d’attaquer les positions britanniques en Egypte et au Moyen-Orient. Mais il ne fut pas réalisé car les chefs allemands ont renoncé à déménager vers ces régions le gros de leurs forces massées sur le front principal en Russie.

 

La Wehrmacht a dû changer d’objectif à l’Est pendant l’été 1942 et passer d’une stratégie d’abattement de l’ennemi à une stratégie d’épuisement de ses forces, tandis que la stratégie japonaise n’avait quasiment plus aucune chance de concrétiser ses buts après sa défaite navale à Midway le 4 juin. Les deux pays, à partir de ce moment-là, n’ont plus fait autre chose que de lutter pour conserver leurs acquis, ce qui est l’indice d’une faiblesse stratégique. Les chefs de guerre allemands n’ont pas voulu reconnaître l’aggravation de leur situation à l’automne 1942, alors que la fortune de la guerre allait manifestement changer de camp à Stalingrad, dans le Caucase et devant El Alamein. Ils ont malgré cela envisagé des objectifs offensifs, alors que le sort leur était devenu défavorable.

 

Le but de guerre de l’Union Soviétique était simple au départ: la direction soviétique voulait tout simplement assurer la continuité du régime et de l’Etat. Ce n’est qu’après l’échec allemand devant Moscou que leurs buts de guerre se sont lentement modifiés; d’abord, on a voulu à Moscou récupérer les territoires qui avaient été soviétiques avant le 22 juin 1941. Mais on se réservait aussi l’option d’une paix séparée avec l’Allemagne, parce que les dirigeants  soviétiques estimaient que leur pays subissait à titre principal tout le poids de la guerre. Mais lorsque la situation a réellement changé au profit des Soviétiques et que les alliés occidentaux tardaient à ouvrir le fameux “second front” en Europe occidentale, Staline a clairement envisagé d’étendre ses objectifs de conquête territoriale aussi loin à l’Ouest que possible, sans tenir compte de l’avis des “nations libérées”.

 

Au début de l’année 1943, les alliés occidentaux modifient fondamentalement leurs buts de guerre, dans la mesure où ils ne visent plus à simplement affaiblir l’Allemagne et à ramener l’Europe à la situation qui prévalait avant le 1 septembre 1939 mais à soumettre et à détruire leur adversaire allemand, à le punir de manière rigoureuse. Les chefs de guerre anglo-saxons donnèrent alors à la belligérance un caractère nettement moralisant. L’exigence d’une capitulation inconditionnelle et les directives données pour mener une guerre des bombes à outrance excluaient toute possibilité d’une paix négociée. Si les puissances de l’Axe voulaient poursuivre la guerre, elles auraient alors à encaisser de terribles coups. La guerre des bombes connut effectivement une escalade à partir du printemps de l’année 1943 et tourna véritablement, en de nombreux endroits, à une guerre d’extermination contre la population civile. Le haut commandement des forces aériennes britanniques envisageait même d’infliger à l’Allemagne des destructions si terribles que les alliés pourraient gagner la guerre sans même devoir débarquer en France.

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Après la victoire des alliés dans l’Atlantique au printemps 1943 et le début de leur offensive contre la “Forteresse Europe”, on s’aperçoit clairement que les puissances de l’Axe ne sont passées que bien trop tard à la défensive. La bataille autour de la ville russe de Koursk en juillet 1943, perdue par les Allemands, ruina définitivement leurs espoirs en une victoire limitée. Malgré quelques succès défensifs, la Wehrmacht, à la suite de cette bataille de Koursk, n’a plus subi que des revers sur le Front de l’Est, si bien que toute idée de “partie nulle” devenait impossible. Les dirigeants allemands n’ont pas exploité la possibilité de conclure une paix séparée avec Staline.

 

Du côté des alliés occidentaux, on avait, au départ, des points de vue divergents quant à la stratégie à adopter. Les Américains voulaient une attaque directe contre l’Europe occidentale, en organisant un débarquement, tandis que l’état-major général britannique refusait cette option par prudence; les Britanniques plaidaient pour une invasion de l’Italie d’abord, pour un débarquement dans le Sud ensuite. Finalement, on déboucha sur un compromis en postposant le débarquement en France et en le prévoyant pour le début de l’année 1944. Compromis qui rendit plus difficiles les relations avec Staline. Le débarquement de Normandie, en juin 1944, mené avec une écrasante supériorité en forces et en matériels, et les défaites catastrophiques subies par l’armée de terre allemande à l’Est pendant l’été 1944 firent en sorte que la guerre était définitivement perdue pour l’Allemagne. Dans le Pacifique, les Américains l’emportèrent définitivement contre le Japon après la bataille des Philippines au cours de l’automne 1944.

 

La dernière offensive allemande dans les Ardennes mit une nouvelle fois toutes les cartes dans une seule donne, en négligeant les autres fronts. L’attaque, qui fut un échec, eut pour conséquence que l’offensive générale de l’armée rouge de janvier 1945 se heurta à un front dégarni et affaibli, qui s’effondra très rapidement, ce qui, simultanément, favorisait les plans de guerre de Staline.

 

En résumé, on peut dire, et c’est frappant, que les buts de guerre des Etats belligérants, à l’exception du Japon, se sont modifiés pour l’essentiel au fil des vicissitudes. L’attitude qui a joué le plus fut incontestablement l’esprit de résistance inconditionnelle, adopté par la Grande-Bretagne à partir de l’été 1940, attitude intransigeante qui a étendu automatiquement le théâtre des opérations. Cette extansion n’allait pas dans le sens des intérêts allemands; pour la puissance extérieure à l’espace européen que sont les Etats-Unis, cette intransigeance britannique constituait une aubaine. Beaucoup d’historiens actuels prêtent aux dirigeants de Berlin de l’époque des prétentions à l’hégémonie mondiale, alors que la stratégie allemande n’envisageait ni la destruction de l’Empire britannique ni une attaque contre les Etats-Unis.

 

Alors que la stratégie britannique avait pour objectif final de défaire complètement l’Allemagne,la stratégie allemande fit une volte-face et se tourna contre l’Union Soviétique car elle percevait une menace plus grande encore dans son dos. L’Allemagne a cherché ainsi à échapper à une double pression en déclenchant une guerre sur deux fronts, sans créer pour autant les conditions organisationnelles et matérielles nécessaires pour la mener à bien. L’arrêt de l’avancée de la Wehrmacht devant Moscou marque la fin d’une stratégie qui visait l’élimination de l’Union Soviétique. Les Allemands optèrent ensuite pour une stratégie d’épuisement de leur adversaire soviétique en conquérant d’énormes territoires en Ukraine et au-delà, en direction de la Volga et du Caucase. L’Allemagne s’est alors épuisée dans la défense de ces territoires conquis en 1942. De plus, les Allemands se sont payé le luxe de mener une “guerre parallèle” à celle de leurs alliés japonais.

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Face à cette situation, les buts de guerre des alliés occidentaux, auxquels se joignait l’URSS avec quelques restrictions, ont subi une modification essentielle: il ne s’agissait plus de forcer les Allemands à rendre les territoires qu’ils occupaient ou à payer des réparations; la guerre, dès le début de 1943, prit toutes les allures d’une croisade dont le but était la soumission totale de l’adversaire. Tous les belligérants ont commis de sérieuses erreurs stratégiques, mais celles des alliés ont été beaucoup moins prépondérantes.

 

Les Allemands ont réussi, pendant assez longtemps, à compenser leurs désavantages ou leurs revers par leur valeur militaire et par une gestion de la guerre souple au niveau opérationnel dans  l’espoir de transformer ces atouts en une victoire stratégique. Mais finalement, les décisions erronées du commandement eurent des conséquences fatidiques et la supériorité en nombre et en matériels des adversaires eut le dessus. Les décisions qui mènent à la victoire ou à la défaite se font d’abord au niveau intellectuel, bien avant qu’elles ne deviennent tangibles sur le théâtre des opérations.

 

Dr. Heinz MAGENHEIMER.

(article paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, n°23/2006; trad. franç.: Robert Steuckers).

L'Union Soviétique et l'économie allemande dans l'entre-deux-guerres

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ORIENTATIONS (Bruxelles) - Juillet 1988

L'Union soviétique et l'économie allemande dans l'entre-deux-guerres

Recension: Rolf-Dieter MÜLLER, Das Tor zur Weltmacht.. Die Bedeutung der Sowjetunion für die deutsche Wirtschafts- und Rüstungspolitik zwischen den Weltkriegen,  Harald Boldt Verlag, Boppard am Rhein, 1984, 420 S., DM 54.

L'époque qui s'étend de la révolution russe d'octobre 1917 à la signature du pacte germano-soviétique entre Hitler et Staline est l'une des plus passionnantes et des plus riches de l'histoire contemporaine. Les relations germano-soviétiques tissées pendant ces vingt années ont été le plus souvent étudiées sous l'angle de la diplomatie ou alors les historiens ont cherché à cerner l'importance que revêtait l'accord d'août 1939 dans les stratégies personnelles de Hitler ou de Staline. Ont été dès lors négligés les aspects économiques et la politique d'armement. Le travail de Müller vise à combler cette lacune, en explorant méthodiquement les archives de l'époque et en tentant de cerner les constantes de la politique allemande envers la Russie, constantes où se mêlent étroitement les ambitions impériales et les intérêts économiques. Ces constantes se sont appliquées jusqu'au 22 juin 1941, date à laquelle les armées allemandes entrent en Russie. L'objectif de ce travail d'investigation minutieux, c'est aussi d'éclairer le présent sur les éventualités d'une future politique allemande à l'Est. Müller démontre ainsi que le tandem germano-russe a pris le pas sur les projets pan-européens élaborés à l'Ouest entre 1925 et 1932 et que l'Allemagne a gardé une stricte neutralité dans le conflit anglo-russe de 1927, attitude qui favorisait la Russie. Müller étudie ensuite les variations de la politique russe du régime national-socialiste, d'abord allié à la Pologne de Pilsudski et spéculant sur un démembrement de la Russie avec l'appui de l'Angleterre et du Japon, puis lié économiquement à la Russie, laquelle ne devient plus une zone d'exploitation potentielle mais un espace détenu par un allié tacite où l'on achète des matières premières. En 1941, c'est la première option qui reprend le dessus, mais sans l'alliance anglaise. Une somme capitale pour comprendre les mécanismes d'une politique qui a déterminé l'histoire européenne.

 

(Robert STEUCKERS).

 

 

 

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lundi, 18 août 2008

Hommage à E. Delvo

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Hommage à Edgard Delvo pour son 90ième anniversaire

 

Edgard Delvo: une quête sans repos de la justice sociale

 

Peter LEMMENS

 

Dans le paysage intellectuel flamand, on rencontre peu de personnages de ce format, peu de personnalités qui, mues par une pulsion intérieure, partent en quête de la vérité sans jamais plus s'arrêter. Ce sont généralement des personnalités qui se mettent en travers de toutes les valeurs et de toutes les idoles conventionnelles, de tous les systèmes jugés éternels et de tous les concepts abstraits; elles suivent l'ordre de leur conscience en dépit de tout et de tous, elles s'avancent sur leur propre chemin. Au beau milieu d'une réalité qui ne cesse de changer, elles sont souvent obligées de redéterminer leurs positions, avec le risque de ne plus être comprises par leur entourage, doté de capacités intellectuelles moindres.

 

Parmi ces rares personnalités en Flandre: Edgard Delvo. L'idée directrice, pour laquelle il a voué sa vie entière, est l'idée de justice sociale. A partir de cette idée, Delvo a toujours cherché à donner des fondements idéologiques solides à sa pensée et à son action. Il était essentiel pour lui de faire concorder doctrine et action. Toujours, Delvo est parti du réel, hic et nunc, et su que ce réel formait toujours l'ultime pierre angulaire sur laquelle reposait l'expérience personnelle, aussi riche soit-elle.

 

Au beau milieu de ce XXième siècle effervescent, cette option pour un réel toujours mouvant l'a contraint à arpenter des che­mins très différents les uns des autres et à mener une existence des plus hasardeuses...

 

Edgard Delvo est né le 20 juin 1905 à Gand dans une famille d'ouvriers pauvres et socialistes. Son milieu familial le prédispo­sait donc à devenir, très jeune, un ouvrier, comme son père et son grand-père. Mais la nature l'a doté d'une intelligence assez vive. Avec l'aide d'une bourse pour élève doué, il peut aller au-delà de l'école primaire et, comme on le disait à l'époque, «faire ses moyennes». Plongé dès le foyer familial dans une ambiance socialiste, son enthousiasme pour cette idéologie ouvrière fut ravivé par l'homme de poigne, le génie du verbe, du socialisme gantois, Edouard Anseele. Plus tard, Delvo témoignera et dira que c'est surtout les dimensions humaines d'Anseele qui l'ont séduit et attiré. L'étape suivante dans l'évolution du jeune Delvo se déroule rapidement: au départ de ses prédispositions naturelles pour le travail intellectuel, Delvo, à partir de l'âge de 16 ans, approfondit ses connaissances du marxisme et devient un socialiste bien écolé et formé.

 

Après avoir obtenu son diplôme d'instituteur, il s'en va travailler dans l'“imprimerie populaire” (Volksdrukkerij), une entreprise appartenant au parti socialiste, qui fonctionnait pourtant pratiquement comme une pure entreprise capitaliste. Delvo s'est alors rapidement aperçu que bien que le socialisme se réclame de la doctrine marxiste (détruire le capitalisme par la lutte des classes et libérer le travailleur par le biais de la dictature du prolétariat), le socialisme belge, en pratique, visait la création, par la voie du réformisme, d'un capitalisme ouvrier, où les travailleurs seraient ipso facto transformés en de “petits bourgeois” de seconde zone. Il y avait donc une profonde césure entre la théorie socialiste et la pratique. Delvo en déduit immédiatement que les théories marxistes ne correspondent pas à la réalité sociale, comme il peut s'en apercevoir de visu dans sa propre entre­prise socialiste.

 

Mais il est encore trop tôt pour tirer toutes les conclusions de ce constat. Le jeune homme Delvo doit encore accumuler de l'expérience. Mais la direction de la Volksdrukkerij  lui donne rapidement l'occasion d'élargir ses horizons: il reçoit l'autorisation de suivre les cours de l'Université d'Etat de Gand à titre d'étudiant libre. Reconnaissant, Delvo, en autodidacte, acquiert un vaste savoir dans une quantité de sciences sociales et humaines, telles la psychologie, la pédagogie, la sociologie et aussi l'économie.

 

En même temps, Delvo s'engage à fond dans le mouvement de jeunesse socialiste. En toute connaissance de cause, il n'opte pas pour la Jonge Wacht  (la “Jeune Garde”), très inféodée au parti, mais pour la SAJ (Socialistische Arbeidersjeugd;  Jeunesse Ouvrière Socialiste), qui s'inspirait davantage des Wandervögel  allemands et prônait, dans ses programmes, une sphère indépendante de la jeunesse dans la société, l'épanouissement culturel de ses membres, un vécu communautaire so­cialiste et une sorte de retour à la nature.

 

Delvo accumule du savoir à l'Université, son intelligence vive est rapidement remarquée par les dirigeants du parti: dès 1928, il occupe le poste de secrétaire flamand de la Centrale d'Education Ouvrière. C'est la première fois qu'un homme aussi jeune  —23 ans—  est appelé à diriger l'écolage des cadres socialistes en Flandre. Une tâche dont Delvo s'acquittera parfaitement, au point d'être hissé au poste de Secrétaire général quatre ans plus tard.

 

Par son expérience quotidienne de la réalité sociale et en approfondissant sans cesse ses idées, Delvo finit par avoir des pro­blèmes de conscience; la doctrine marxiste lui apparaît de moins en moins idoine à servir de fondement idéologique à ses sentiments et ses aspirations socialistes. Heureusement, il trouve un livre qui lui permet de sortir de cette impasse: Psychologie van het socialisme (traduit en français sous le titre d'Au-delà du marxisme), ouvrage publié en 1926 par Henri De Man. Ce livre lui ouvre des perspectives entièrement nouvelles; remotive son engagement socialiste et étaye ses idées.

 

D'après De Man, le socialisme n'était rien d'autre que l'expression d'une idée éternelle de justice sociale, ancrée en l'homme, qui lui permettait d'agir selon sa propre conscience, en tant qu'être responsable, guidé par la raison, et de rechercher juste­ment cette justice sociale. De cette façon, le socialisme apparaissait comme lié indissolublement à une vision humaniste glo­bale. C'est la raison pour laquelle De Man a saisi la nécessité de dégager le socialisme de la doctrine marxiste et d'opposer au marxisme un socialisme à fondement éthique. Au lieu de considérer la question ouvrière et le socialisme comme des phé­nomènes déterminés par l'histoire et la matière, De Man et ses adeptes en viennent à la percevoir comme une problématique essentiellement d'ordre psychologique. Il ne s'agissait plus de réaliser l'émancipation ouvrière par le biais de la lutte des classes et de la dictature du prolétariat; ni de reprendre à son compte les valeurs et la culture du monde bourgeois et capita­liste, comme le socialisme politique l'avait fait en pratique. Non: l'émancipation ouvrière devait être réalisée en donnant au travailleur une valeur propre, en créant pour lui un système de valeurs qui lui soit spécifique. Il s'agissait donc de faire advenir un nouveau type humain, qui n'aurait plus rien à voir avec les vertus bourgeoises, mais développerait ses propres valeurs et ses propres normes, une culture nouvelle, comme bases d'une société socialiste. Le socialisme ne visait donc pas la pure et simple matérialité (rôle du “socialisme-beafsteak”), mais se posait essentiellement comme un souci éthique, culturel et spiri­tuel. Il ne s'agissait plus d'acquérir toujours davantage de biens matériels, mais de mettre au centre de l'éthique des travail­leurs la joie au travail.

 

A la suite de leur vision humaniste intégrale et de leur désir de généraliser la justice sociale, leur souci socialiste ne pouvait plus se limiter à une seule classe sociale, mais devait nécessairement s'élargir à toute la réalité ambiante, où vivaient les hommes de chair et de sang: c'est-à-dire embrasser l'ensemble de la “communauté populaire”. Dès qu'ils eurent opéré leur “renversement copernicien”, De Man et Delvo, sur base de leur postulat d'élargissement, commencèrent à s'intéresser au nationalisme. Cela amena De Man à publier en 1931 une brochure, Nationalisme en Socialisme,  où il accorde une valeur positive au “nationalisme de libération”, concept que nous considérerions comme synonyme de notre “nationalisme populaire” (volksnationalisme).  Mais contrairement à son maître-à-penser, Henri De Man, qui, ultérieurement, s'égarera dans les eaux du “nationalisme d'Etat” (staatsnationalisme), Delvo va approfondir ce concept au cours des années 30, ce qui le conduira à dire que tout sentiment socialiste véritable doit être indissolublement lié à une conscience nationale-populaire (et vice-versa). Sentiment socialiste et conscience nationale convergent tous deux vers un seul et unique but: la construction de la commu­nauté populaire (volksgemeenschap).

 

Delvo est également devenu un protagoniste enthousiaste et convaincu du planisme de De Man. La vision planiste impliquait que toute la vie économique devait contribuer à un équilibre entre les besoins de la consommation et les capacités de produc­tion, où il fallait tabler et utiliser toute la créativité qui résidait en l'homme. Pour les planistes, cet équilibre et ce pari pour la créativité humaine n'étaient possibles que si l'on avançait une vision beaucoup plus nuancée de la propriété que les marxistes. Au lieu de nationaliser purement et simplement les moyens de production et la propriété, il fallait, disaient-ils, partir des di­verses formes de propriété et voir si elles apportaient des avantages ou des incon­vénients au peuple en tant que communauté. Sur base de ce tri, les planistes finirent par juger que les monopoles et les puissances d'argent devaient être freinées dans leurs initiatives et leur expansion, tandis que les initiatives privées qui donnaient des avantages au peuple devaient être stimu­lées. L'idéal consistait donc à construire une économie mixte avec secteurs nationalisé et privé. Mais il était essentiel, dans la vision planiste, que l'autorité et non la propriété soit transférée à l'Etat. Le contrôle de la gestion de la propriété a donc été con­sidéré comme prioritaire par rapport à la possession de l'entreprise.

 

Pour réaliser un tel “Plan”, il fallait, pensaient les planistes, réformer de fond en comble la démocratie, afin de dégager l'Etat de l'emprise des puissances d'argent et des groupes de pression. Pour accéder au stade de cette planification rationnelle, le système démocratique manquait d'une réelle direction, d'auto-discipline et surtout de responsabilité personnelle. Les planistes formulent une série de propositions, afin d'incorporer ces “vertus” dans le système démocratique et de rendre ainsi la démo­cratie plus forte. Le résultat aurait du être, pour De Man, Delvo et les planistes belges, le “socialisme démocratique”. Bien en­tendu, les adversaires de ce planisme socialiste et démocratique n'ont pas hésité à accuser De Man et Delvo de plaider pour une “démocratie autoritaire”. Ce reproche était injuste: les deux hommes sont restés des démocrates convaincus; ils se re­connaissaient pleinement dans le principe des élections libres et du contrôle parlementaire, mais ils voulaient biffer les dys­fonctionnement et les débordements du système, afin de le sauver et non pas de le torpiller définitivement.

 

En 1934, De Man et ses collaborateurs réussissent à mettre le parti socialiste officiellement sur la ligne du planisme et du “socialisme démocratique”. Cela ne signifie pas, évidemment, que les instances du parti ont été convaincues de la justesse des thèses planistes au point de s'y convertir; plus exactement, elles ont dû avouer leurs impuissance à résoudre la crises économiques des années 30 à l'aide des recettes marxistes, devenues au fil du temps, étrangères au monde et inefficaces. Tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du parti, l'opposition au projet planiste s'est rapidement organisée pour barrer la route à toute amorce de réalisation des idées de De Man et de Delvo. Les adversaires du planisme ont, en fin de compte, réussi à empê­cher toute réforme graduelle et rationnelle de la démocratie belge.

 

Vers la fin des années 30, certains nationalistes flamands commencent à manifester un vif intérêt pour les aspirations socia­listes de De Man et de Delvo. Et ceux-ci commencent, pour leur part, à s'intéresser de plus près au nationalisme flamand. Une fraction des intellectuels nationalistes et une fraction des intellectuels socialistes se rapprochaient. A la tête des socia­listes rénovateurs et d'esprit ouvert, Edgard Delvo. En 1939, il entre en contact avec le nationaliste flamand Viktor Leemans et avec le “national-solidariste” Joris Van Severen. Ces rencontres permettent à ces hommes venus d'horizons fort différents de constater qu'au fond ils sont très proches les uns des autres. Ils envisagent de fonder une revue, à laquelle ils collaboreraient tous et où ils confronteraient leurs points de vue dans un but constructif, mais la guerre éclate et ce projet ne peut pas se con­crétiser.

 

Quand les Allemands entrent en Belgique le 10 mai 1940, le régime démocratique et la machine de propagande française suscite au sein de la population belge une psychose de terreur, en décrivant l'armée allemande comme une horde de barbares massacrant tout sur son passage, poussant des centaines de milliers de réfugiés sur les routes et les exposant aux risques de la guerre. Delvo prend cette propagande au mot et décide de combattre l'Allemagne et se présente comme volontaire, d'abord dans un bureau de recrutement de l'armée belge, puis de l'armée française. Mais Delvo ne rencontre que le chaos. Après l'effondrement des armées alliées, il s'aperçoit de la fausseté des propagandes belge et française, constate que les atrocités radiodiffusées ont été inventées de toutes pièces. Cette révélation le dégoûte des régimes démocratiques et il perd toute foi en eux.

 

Delvo décide de réaliser ses aspirations socialistes-démocratiques dans le cadre de l'“Ordre Nouveau”, plus précisément dans le giron du parti nationaliste flamand, le VNV. Deux éléments l'ont pousser à cette option. D'abord, ce fut Viktor Leemans qui le contacta en premier lieu à son retour de France. Plus fondamentalement, c'est un projet du VNV qui le séduit: celui de se transformer en un vaste mouvement d'unité flamande. Cette tentative de dépassement des étroits contingentements politiques de l'avant-guerre et de construction d'un vaste mouvement populaire surplombant les clivages politiciens en Flandre était, pour Delvo, l'occasion rêvée de concrétiser ses visions socialistes et nationales-populaires. Delvo est immédiatement intro­duit dans le “Conseil de Direction” du VNV, où il devient responsable de la formation des militants et membres, de l'école des cadres et de la propagande. Le fait que de telles responsabilités aient été déléguées à un dirigeant important du parti socialiste d'avant-guerre prouve que le VNV prenait effectivement cette opération au sérieux. Mais le projet de mouvement unitaire ne débouche pas sur les résultats escomptés. D'abord, la base, contrairement à la direction, ne souhaite pas dépasser aussi ra­pidement les clivages idéologiques d'avant-guerre et ne propose pas de nouvelle synthèse. Ensuite, les circonstances de la guerre n'autorisaient pas la réalisation d'un tel projet; les Allemands accordaient la priorité aux opérations de guerre, avant toutes autres considérations. En cas de nécessité, ils sacrifiaient d'abord les objectifs de nature idéologique.

 

Cette réticence allemande a conduit Delvo à plaider en faveur d'une collaboration inconditionnelle avec l'Allemagne. Car, à ses yeux, à ce moment-là de la guerre, seule une victoire définitive du Reich national-socialiste permettrait aux Flamands de réaliser chez eux les aspirations socialistes et nationales-populaires, théorisées par Delvo. C'est en voulant joindre les actes à la parole que Delvo s'est présenté un jour comme volontaire pour combattre sur le Front russe, après l'entrée des troupes de Hitler en URSS. Mais Staf De Clercq, chef du VNV, a estimé que la présence de Delvo était plus utile en Flandre que dans les plaines de Russie; il a donc refusé l'engagement de Delvo et l'a obligé à rester au pays.

 

En avril 1942, Delvo devient le chef de l'UTMI/UHGA (Union des Travailleurs Manuels et Intellectuels), une organisation syndicale calquée sur le modèle du “Front du Travail” allemand et destinée à devenir un mouvement syndical unitaire en Belgique selon les modèles préconisés par l'“Ordre Nouveau”. Delvo reçoit donc entre les mains un instrument potentielle­ment puissant, lui permettant de réaliser à terme ses objectifs socialistes et nationaux-populaires. La guerre l'oblige à se limi­ter et à n'ébaucher qu'idéellement la société qu'il appelait de ses vœux.

 

Quand les dernières troupes allemandes évacuent la Belgique, Delvo se replie en Allemagne, bien décidé à s'engager jusqu'au bout pour ses idéaux. Il trouve tout de suite une place dans le gouvernement flamand en exil, le Vlaamse Landsleiding,  où l'on tente, selon Delvo, de faire l'unité de toutes les tendances de la collaboration flamande encore prêtes à combattre aux côtés de l'Allemagne, dans l'espoir de réaliser leurs idées nationalistes, nationales-socialistes ou autres. Delvo devient le “plénipotentiaire” des Affaires Sociales et élabore un programme social, bien dans la ligne de ce qu'il avait suggéré dès le dé­part au VNV.

 

Après l'effondrement définitif du IIIième Reich, Delvo connaîtra des années fort sombres. En 1945, un tribunal militaire belge le condamne à mort par contumace. Sans cesse repéré et poursuivi, il n'avait plus qu'une solution: errer à travers l'Allemagne sous plusieurs fausses identités, séparé de sa femme et de ses enfants. Il exerça toutes sortes de petits boulots pour gagner maigrement sa vie. En 1965, il est frappé d'un infarctus, est dans l'incapacité de travailler et obligé de se livrer aux autorités allemandes. Mais comme il est persécuté pour des raisons politiques, les autorités allemandes le relâchent immédiatement et refusent de le livrer à la Belgique. En 1972, sa condamnation est ramenée à 20 ans de prison, si bien qu'il pourra rentrer au pays après 30 ans d'exil. En 1974, il est de retour en Flandre, mais sous le statut d'apatride.

 

Delvo a survécu à toutes ses années de misère, de difficultés matérielles, physiques et émotionnelles, parce qu'il a approfondi ses idées et ses réflexions, a lu, a continué à se former politiquement et philosophiquement. Le feu sacré qui brûlait dans le cœur du jeune militant socialiste de 1920 ne s'est finalement jamais éteint. Dès son retour, avec l'appui de la grande presse flamande (notamment le quotidien De Standaard), de la très sérieuse maison d'édition De Nederlandse Boekhandel,  des mi­lieux nationalistes de droite et de gauche (Voorpost, VUJO, etc.) et de l'hebdomadaire anversois 't Pallieterke, il tente une dernière fois d'éveiller l'intérêt des intellectuels flamands pour son socialisme populaire et national. Il publie coup sur coup trois ouvrages théoriques et autobiographiques. Delvo était convaincu, à son retour d'exil, que ses conceptions avaient gardé un certain degré d'actualité, tout en comprenant parfaitement que les circonstances avaient changé de fond en comble. Il est dès lors curieux de constater qu'un homme comme Delvo, qui a toujours mis l'accent sur la nécessité de bien coupler pensée et action et de se référer à la réalité actuelle, a limité ses ouvrages d'après-guerre à un regard rétrospectif sur l'histoire et ne nous a pas livré une analyse de la réalité nouvelle.

 

Mais Delvo, dans la seconde moitié des années 70 a été un conférencier fort demandé, surtout dans les milieux nationalistes flamands. Mais lorsque l'on relit aujourd'hui les textes de ces interviews et de ces conférences, on a le sentiment, un peu amer, que ce retour de Delvo dans le milieu nationaliste ou, du moins, chez les nationalistes qui avaient la volonté de suggérer un projet de société nouvelle, a finalement été peu fécond et que les formations nationalistes flamandes qui l'ont invité et écouté, n'ont pas mis à profit ses enseignements.

 

Cette année, Edgard Delvo a fêté son 90ième anniversaire. Il est devenu aveugle, mais son esprit est resté intact, toujours animé par ce formidable feu sacré. Il reste à l'écoute des grands débats par la radio, la télévision, des cassettes audio, des conversations, mais sa cécité l'empêche quand même de juger notre réalité trop changeante, trop effervescente, dans toutes ses nuances. La troisième révolution industrielle a modifié en profondeur la société dans laquelle nous vivons. Par la diminu­tion du temps de travail, par l'attention croissante que portent nos contemporains à leurs loisirs, par le changement des men­talités, le concept de “travail” a perdu bon nombre de ses significations d'antan. La mécanisation et la robotisation croissantes ont produit une nouvelle armée de chômeurs et une nouvelle société duale. Tout cela, et beaucoup d'autres choses encore, font que toute la problématique sociale doit être totalement repensée. Indubitablement, bon nombre d'idées, de méthodes et de structures que Delvo a analysées ont succombé aujourd'hui. Mais l'essentiel de la pensée de Delvo, c'est-à-dire sa volonté de lutter pour une véritable justice sociale et pour un ancrage du sentiment socialiste dans l'humus national, doit demeurer pour nous un leitmotiv. Dans notre travail de re-penser la société, la question sociale et le statut de l'ouvrier, ce fil conducteur est indispensable pour aboutir à une NOUVELLE SYNTHESE.

 

Peter LEMMENS.

(adaptation française: Robert Steuckers)

 

Bibliographie:

- Edgard DELVO, In dienst der arbeidersopvoeding. Handboek voor medewerkers van de Opvoedingscentrale, Deurne, 1937, 244 p.

- E.D., De Belgische arbeidersbeweging. Geschiedkundige studie, Deurne, 1938, 47 p.

- E.D., Hedendaagsch humanistisch streven: democratisch socialisme en zijn beteekenis voor de BWP, Antwerpen, 1939, X-91 p.

- E.D., Arbeiders, mijn Kameraden! Ons geleidt de nieuwe tijd, Brussel, [1940], 31 p.

- E.D., Arbeid en arbeider in de volksche orde, Brugge, 1941, 42 p.

- E.D., Sociale collaboratie. Pleidooi voor een volksnationale sociale politiek, Antwerpen, 1975, 266 p.

- E.D., De mens wikt. Terugblik op een wisselvallig leven, Antwerpen, 1978, 189 p.

- E.D., Democratie in stormtij. Democratisch socialisme in de crisisjaren dertig,  Antwerpen, 1983, 205 p.

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Une histoire des Juifs de Pologne

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Entre étoile de David et drapeau rouge : une histoire des Juifs de Pologne

 

Par Johannes BIEBERSTEIN

 

Le livre de Holger Michael, intitulé « Zwischen Davidstern und Roter Fahne » (Entre étoile de David et Drapeau rouge), décrit l’histoire des Juifs de Pologne au cours du vingtième siècle. Avant 1939, la minorité juive de Pologne, avec ses trois millions de ressortissants, constituait environ 10% de la population totale du pays et parlait pour l’essentiel le Yiddish. Elle s’organisait comme une vaste association religieuse, disposant de « droits dits corporatifs », permettant notamment de lever une sorte d’impôt pour le culte. A cette vaste communauté organisée appartenaient aussi les « membres non croyants de la nation juive ».

 

L’auteur du livre est un slaviste dûment diplômé de l’Université de Leipzig, ancien collaborateur de l’Académie de Berlin-Est, qui, depuis la chute du régime SED communiste, vit au Kazakhstan, où il enseigne l’allemand. Pour lui, sur le plan politique, la « force populaire », la « Volksmacht », constitue le seul ordre politique légitime, qui a été renversé par la « restauration bourgeoise », autrement dit par les « droites » en 1989/1990. Mais bien que Holger Michael s’aligne sur une position marxiste « orthodoxe », selon laquelle le nationalisme constitue les prémisses de l’antisémitisme et donc est derechef le mal principal de tout ce qui arrive, nous lirons son ouvrage avec grand profit.

 

On peut dire, en effet, qu’il aborde un sujet brûlant et important, parce que sous la dictature rouge, ni la haine à l’encontre des Juifs ni la critique légitime que l’on pourrait adresser aux Juifs communistes (ni bien d’autres critiques) ne pouvaient être articulées. Cette minorité juive, numériquement faible mais capable de marquer l’histoire, a joué un rôle spectaculaire tant en 1920 dans le cadre du « Comité révolutionnaire polonais » de Bialystok, installé par les Soviétiques, que dans le gouvernement en exil de la « Fédération des Patriotes Polonais » (le ZPP), créé en 1943, également sous le patronage des Soviétiques. Dans l’appareil stalinien polonais, dans les départements de la sécurité et dans les bureaux qui déterminaient l’idéologie à suivre, les communistes juifs étaient souvent représentés de manière disproportionnée. Holger Michael estime, pour sa part, que cette disproportion est acceptable, vu les souffrances indicibles subies par le peuple juif, mais, en l’acceptant, il en minimise les effets tragiques pour les autres et ignore les persécutions perpétrées par ce qu’il appelle la « Volksmacht ». Mais en opérant ce tour de passe-passe, Holger Michael omet de reconnaître clairement la dynamique de l’antisémitisme polonais, qu’il combat par ailleurs. Antisémitisme qui ne fit que se renforcer, même après 1945, parce que les Juifs communistes étaient perçus, en Pologne, comme les valets de l’occupant russe-soviétique cordialement détesté.

 

La valeur de ce livre réside dans la présentation objective et claire de l’histoire sociale des Juifs en Pologne, surtout pendant l’entre-deux-guerres. En s’appuyant sur des données statistiques, l’auteur explique que les 10% de la population totale, que constituait la minorité juive en Pologne, représentait également 50% de la grande bourgeoisie du pays. Les Juifs polonais étaient également surreprésentés dans les professions libérales, comme celles d’avocat ou de médecin. Dans l’armée, on trouvait aussi des rabbins militaires.

 

Le livre nous apporte également beaucoup d’informations intéressantes sur les organisations juives et non juives. Parmi les organisations juives, la plus importante était le parti « Agudat » des juifs orthodoxes. Il avait mis sur pied des écoles juives et des séminaires pour former des rabbins et parvenait à glaner jusqu’à 40% des voix lors d’élections municipales. Le « Parti Populaire Juif », plus petit, s’affirmait en revanche comme anti-clérical et représentait la bourgeoisie juive assimilée. A côté de ces deux principales formations politiques, on trouvait aussi en Pologne une pléthore de petits partis juifs socialistes, qui couvraient tout l’éventail des tendances possibles et imaginables, tout en se partageant en deux camps discernables : celui de ceux qui étaient sionistes et celui de ceux qui ne l’étaient pas.

 

Au Comité central du parti communiste polonais athée, on trouvait également un « Bureau Juif Central ». Ce parti communiste, section du Komintern, essuyait souvent les insultes des autres communistes, notamment lorsqu’on l’appelait « Judokommune », « judéo-communiste », un terme chargé de haine, équivalent à l’allemand « jüdischer Bolschewismus » (« bolchevisme juif »). Les chapitres que consacre Holger Michael aux rapports entre la société et les partis polonais, d’une part, et les Juifs, d’autre part, sont des plus intéressants, même s’ils contiennent parfois des critiques très dures à l’encontre des catholiques et des nationalistes polonais, qui, eux aussi, dans leurs cénacles les plus extrémistes, avaient réclamé l’instauration de « Lois de Nuremberg ». En revanche, Holger Michael se montre très positif à l’égard du Maréchal Jozef Pilsudski, pourtant partisan d’un gouvernement autoritaire. Pilsudski, à ses yeux, étaient un ancien social-démocrate proscrit ; il n’avait aucun profil religieux distinct, ne se souciait guère des différences entre confessions, et n’a jamais manifesté ouvertement des tendances antisémites.

 

Dans le chapitre qu’il consacre à la catastrophe d’entre 1939 et 1945, Holger Michael revient sur l’attitude controversée des Polonais à l’endroit des Juifs poursuivis et traqués par les nationaux-socialistes et glorifie la résistance juive. Les chapitres consacrés aux survivants et à ceux qui entamèrent l’épopée de l’Exodus, apportent des informations nouvelles et intéressantes. En Pologne, quelque 100.000 juifs ont survécu, auxquels il faut ajouter 200.000 personnes qui avaient pu se sauver en se réfugiant en Union Soviétique. Après l’expulsion des Allemands de Silésie, de Poméranie et de Posnanie, ces survivants se sont principalement installés en Silésie.

 

Pendant la guerre, en Union Soviétique, s’était constitué un « Comité de Libération National Polonais » (PKWN) qui fit que, pour la première fois dans l’histoire, un gouvernement polonais fut constitué, comptant en son sein des citoyens de confession israélite. Or, en dépit de cette innovation, l’époque dite stalinienne fut marquée par une importante vague d’émigration juive. La dictature communiste apparaissait aux Polonais comme la dictature d’une minorité et les partisans non communistes, toujours armés, provoquèrent une guerre civile en Pologne, qui fit rage pendant quelques années, et connut ses excès antisémites. On se souvient surtout du pogrom de 1947 à Kielce, qui fait l’objet d’âpres controverses aujourd’hui en Pologne.

 

Alors que, dès 1945, la vie culturelle et associative juive pouvait se redéployer sans frein, l’exode massif fit qu’en 1950 déjà les deux tiers des Juifs de Pologne avaient émigré en Palestine ou en Occident, ce qui eut pour effet d’éteindre complètement la vie culturelle juive.

 

Les autorités communistes ont accepté la situation et l’ont même promue, parce qu’elles ne s’intéressaient en fait qu’aux seuls communistes. On ne se souvient guère d’une évidence politique pourtant patente : Staline a soutenu au départ la création de l’Etat d’Israël contre les Britanniques impérialistes et contre les Arabes « réactionnaires ». En Silésie, les autorités communistes avaient toléré l’installation d’un camp d’entraînement de la Haganah en 1947/48, où 2500 juifs polonais subissaient une formation militaire avant de s’engager dans la lutte en Palestine. On se rappellera aussi qu’un pont aérien amenait sans cesse des armes de Prague à Tel Aviv.

 

Ce qui fut tragique et malsain dans la vie politique polonaise, c’est que tant le mouvement indépendantiste polonais que les nationaux-communistes polonais étaient animés de nettes tendances antisémites. Ce qui eut pour effet d’amener de très nombreux juifs de Pologne à émigrer, décimant du même coup les communautés des survivants d’après 1945. Ensuite, beaucoup de juifs communistes, qui avaient cru que le socialisme allait avoir la fonction d’un « médecin » qui guérirait les Polonais de leur antisémitisme, ont basculé dans le camp de la dissidence anti-soviétique. Quelques-uns d’entre eux ont contribué à la chute de la dictature marxiste en s’engageant dans les rangs de Solidarnosc.

 

Johannes BIEBERSTEIN.

(article tiré de « Zur Zeit », Vienne, n°12/2007; trad. franç.: Dimitri Severens)

Références : Holger MICHAEL, Zwischen Davidstern und Roter Fahne, Kai Homilius Verlag, Berlin, 2007.

dimanche, 17 août 2008

Poetin wil rol in Cuba terug

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Poetin wil rol in Cuba terug

MOSKOU - De Russische premier Vladimir Poetin wil dat zijn land zijn invloedrijke rol in de voormalige communistische bondgenoot Cuba weer oppakt. Dat hebben Russische media gisteren gemeld.

Er wordt druk gespeculeerd of er sprake is van een tactiek van Rusland om ook militaire aanwezigheid te krijgen op het eiland, op slechts 150 kilometer van de Verenigde Staten.

Rusland zou daarmee reageren op Amerikaanse inspanningen om een raketschild te installeren in Oost-Europa, dat volgens de officiële berichtgeving bedoeld is om aanvallen uit Iran af te weren.

'Het is geen geheim dat het Westen een bufferzone om Rusland heen creëert', zei Leonid Ivasjov, hoofd van de Russische Academie voor Geopolitieke Problemen. 'In reactie daarop breiden we onze militaire activiteiten in het buitenland mogelijk ook uit, waaronder in Cuba.'

Poetin maakte de opmerking na op de hoogte te zijn gebracht van de uitkomst van een bezoek van een Russische delegatie aan Cuba. Vicepremier Igor Sechin sprak in Cuba over samenwerking op het gebied van energie, mijnbouw, landbouw, gezondheidszorg en communicatie, meldde persbureau RIA-Novosti. Het is niet bekend of er ook over militaire samenwerking gesproken is.

http://www.standaard.be/Artikel/Detail.aspx?artikelId=DMF05082008_011&ref=nieuwsoverzicht

17:45 Publié dans Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : russie, poutine, cuba, politique, stratégie, amérique, caraïbes | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

I Giovani ed il consumismo

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I Giovani ed il Consumismo

di Claudio Risé

Questa lettera con relativa risposta del Prof.Claudio Risè, è apparsa sabato 30 novembre 2002 su "IoDonna" inserto settimanale del Corriere della Sera.
Troverete altre risposte di Claudio RIsé al sito www.claudio-rise.it

"Ho 27 anni. Tre rapporti importanti negli ultimi anni, in cui funzionava tutto piuttosto bene, ma lei non riusciva ad accettare la mia indifferenza nei confronti del denaro, delle convenzioni sociali. Non sono un fannullone, o un maleducato, ma penso che il valore sacrale del denaro e dei riti di consumo produca sofferenza in uomini e donne.
Dovremmo distanziarcene e vivere, invece, in modo più fisico: stare di più nella natura, in modo molto semplice. Meno cinema e sushi, e più boschi e minestroni in baita. Vivendo in modo più autentico é anche più facile avere delle vere esperienze spirituali (non necessariamente religiose), impossibili se sei catturato dai consumi. Anche i miei amici più vicini fanno fatica a trovare delle compagne che li seguano su questa strada.
Magari protestano contro le "cose", o il materialismo, non mangiando, e svalutando il cibo, ma in questo modo si (e ci) fanno solo del male. Come avere una vita più semplice e istintiva, senza rinunciare a una vita sentimentale?"
lettera firmata

Caro amico,
io, però, ricevo molte lettere come la sua, oltre che da ragazzi, anche da ragazze. Lamentano la superficialità dei ragazzi, incapaci di accettare la loro avversione per il consumo coatto. Chiedono affetti che condividano con loro questo "stile autentico" che sta crescendo in modo sempre più evidente, sotto la vernice modaiola e "di immagine" che i media cercano di stendere su tutto.
Dunque: come mai non vi incontrate? Come mai loro trovano solo i tipi da discoteca, e voi pure?
La prima risposta, abbastanza ovvia, é che probabilmente continuate a cercarvi nei vecchi templi del consumismo di ieri: le discoteche, le happy hours. Rappresentate un nuovo stile giovanile, ma non avete ancora creato i vostri luoghi di aggregazione. Che rimangono divisi tra quelli classici del consumismo più sdato, e quelli (anche loro lì da circa trent'anni) di un anticonsumismo molto ideologico, non molto fisico, e poco naturale. E qui siamo al punto più specifico della sua lettera. Nella galassia dell'anticonsumismo giovanile, infatti, si é sviluppata negli ultimi anni una "via" al "dopo società dei consumi", praticata da individui e piccoli gruppi ( a cui lei accenna nelle altre parti della sua lettera), che sembra più specificatamente maschile, e forse difficile per molte ragazze.
Si tratta di quel "passaggio al bosco", inteso in senso fisico e simbolico, assai più radicale dell'anticonsumismo vissuto da un'ottica ancora metropolitana. Il giovane maschio che vive profondamente quest'esperienza infatti, anno dopo anno, dando sempre più spazio e importanza al suo stare nella natura, ascoltandola, dopo un po' vive come consumo e costrizione anche il cinema o l'"evento" culturale, magari di denuncia del consumismo. Quando si fa una vera esperienza di vita naturale e autentica, insomma, l'uomo sente anche il discuterne come qualcosa che le toglie energia.
Si riaffaccia qui quel modo di essere "poco verbale" del maschio, che crea non poche difficoltà alla comunicazione tra uomo e donna nella vita sentimentale. L'uomo dimostra ciò che prova facendolo, ma la donna vuole anche parole che lo dichiarino. Nello sviluppo dello stile di vita post consumista dovrete dunque tenerne conto, cari amici amanti dei boschi e dei silenzi attorno al fuoco. Naturalmente ci sono, anche, delle vere donne selvatiche, che sono esattamente come voi.
Ma quelle , per trovarle, dovete fare come il contadino delle leggende: andare in quello spazio magico tra il bosco e le malghe alte, e aspettare di incontrarle. L'altra, la selvatica che magari lavora tre scrivanie più in là della vostra, per aprirsi, e lasciarsi portare a casa, vi chiederà qualche parola, e qualche rito di condivisione culturale. Che magari ha il suo lato consumista e modaiolo, e soprattutto ideologico. Ma, se volete una vita sentimentale più ricca, probabilmente é uno scotto che potrete pagare senza timore. Tanto, poi, il bosco vince.
Claudio Risé

Etranges conservatismes américains

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Etranges conservatismes américains

 

Par Herbert AMMON

 

En dépit des impulsions culturelles venues des Etats-Unis via Hollywood et la Pop culture, le paysage idéologique et politique de la seule puissance globale (dixit Zbigniew Brzezinski) demeure « terra incognita » pour la plupart des Européens. Les césures spécifiquement américaines, qui séparent les « liberals » des « conservatives » ne se perçoivent jamais clairement, tant et si bien qu’on les classe en Europe de manière binaire : entre une gauche et une droite. Les problèmes s’accumulent lorsque l’on cherche à établir une bonne taxinomie des écoles politiques et idéologiques américaines : les slogans et mots d’ordre sont si nombreux, reçoivent tant de définitions particulières qu’on ne s’y retrouve plus, surtout si l’on évoque une ancienne droite et une nouvelle droite, soit des paléo-conservateurs et des néo-conservateurs.

 

Pour définir les camps politico-idéologiques américains, les définitions habituelles ne sont guère de mise (sauf quand il s’agit, par exemple, du conservatisme tel que l’a défini jadis un Russell Kirk). Européens et Américains ont une expérience différente de l’histoire, nomment donc les choses politiques différemment, ce qui conduit aux confusions et quiproquos actuels. « Cum grano salis », on peut distinguer quelques différences majeures entre conservatismes européens et américains : d’abord, les conservatismes européens sont devenus sceptiques quant à l’histoire à venir ; les conservatismes américains sont nettement orientés vers le futur, sont, dans le fond, anti-historiques, dans la mesure où ils entendent maintenir l’idée fondamentalement américaine d’une société contractuelle (ils n’envisagent pas d’autres modèles). Ensuite, les conservatismes américains sont fiers de leur tradition historique continue, non brisée, que les Européens jugent « courte » ; les conservatismes européens, eux, sont contraints de tenir compte d’une longue histoire, marquée par des ruptures successives. Enfin, les conservateurs américains perçoivent de façon positive le rôle de puissance mondiale que joue leur pays, alors que les Européens se souviennent constamment du « suicide de l’Europe » (dixit Paul Ricoeur) en 1914. Et, last but not least, les conservateurs américains acceptent sans hésitation l’idée libérale d’un libre marché sans entraves, alors que les conservatismes européens critiquent tous le libéralisme.

 

Adhésion sans entraves au libre marché

 

La genèse des notions de « liberal » et de « conservative » nous ramène à l’ère Roosevelt (1933-1945). Les partisans de la politique social-réformiste et interventionniste / étatique du New Deal rooseveltien se dénommaient « liberals ». Les adversaires de Franklin D. Roosevelt venaient d’horizons divers : parmi eux, on trouvait des libéraux au sens économique le plus strict, qui se posaient comme les seuls véritables libéraux ; il y avait ensuite des critiques de la bureaucratie (du « big government »), en train de devenir pléthorique à leurs yeux. Enfin, du moins jusqu’à l’attaque japonaise contre Pearl Harbor, il y avait les défenseurs de l’isolationnisme. Murray Rothbard, un « libertarien », soit un extrémiste du marché, désigne cette coalition hostile à Roosevelt sous le nom de « Vieille Droite » (« Old Right »). D’après Rothbard, le terme « conservateur » n’était guère usité aux Etats-Unis avant la parution en 1953 de « Conservative Mind », le grand livre de Russell Kirk.

 

Les « conservateurs », qui suivaient la forte personnalité de Robert A. Taft, sénateur de l’Ohio (de 1939 à 1953) et rival républicain de Dwight D. Eisenhower en 1952, renonçaient à toute élévation du débat intellectuel en politique. Attitude qui n’a guère changé en dépit de l’émergence de courants de pensée conservateurs mieux profilés. Libéral et théoricien peu original, Peter Viereck, dans « Conservatism Revisited » (1949) s’est posé comme critique des idéologies totalitaires, le « communazisme ». Russell Kirk (1918-1994) fut donc le premier à se positionner comme explicitement conservateur et à être reconnu comme tel par l’établissement « libéral ». En se référant à Edmund Burke, le critique de la révolution française de 1789, perçue comme rupture de la Tradition, Kirk mettait l’accent sur l’origine « conservatrice » de la révolution américaine. Dans ses écrits, Kirk citait, en les comparant à Thomas Jefferson, les pères fondateurs « conservateurs », tels John Adams et les auteurs des « Federalist Papers », se référait également aux critiques européens de la révolution comme Burke ou Tocqueville. Kirk se posait également comme un conservateur écologiste, pratiquant la critique de la culture dominante, ce qui fit de lui une exception parmi les conservateurs américains, optimistes et orientés vers le futur.

 

« On pourrait, pour simplifier, résumer comme suit l’histoire du conservatisme américain : Russell Kirk l’a rendu respectable ; William Buckley l’a rendu populaire et Ronald Reagan l’a rendu éligible » (citation de J. v. Houten). En effet, les conservateurs doivent à William F. Buckley, né en 1925, d’avoir pu accroître leurs influences au sein du parti républicain et d’avoir percé pendant l’ère Reagan. Ils doivent ces succès au réseau de revues et de « think tanks » que Buckley a tissé dès les années cinquante, dont l’ « American Heritage Foundation », créé en 1973.

 

Buckley, comme le rappelle son livre « God and Man at Yale » (1951), était un catholique fervent. Il débarque un beau jour à Yale dans le bastion du « liberalism » à l’américaine, dominé par les agnostiques, les athées et les unitariens post-chrétiens, variante du protestantisme aligné sur l’idéologie des Lumières. En 1955, ce fils d’un millionnaire du pétrole fonde la « National Review », autour de laquelle se rassembleront des personnalités très diverses, toutes étiquetées, à tort ou à raison, comme « conservatrices » : des libertariens à Kirk lui-même. Dans ces années-là, où la « New Left » connaissait son apogée, le groupe « Young Americans for Freedom », lancé par Buckley, constituaient déjà un contrepoids politique. Et puisque Buckley, récemment, a critiqué les stratégies de Bush, quoique de manière très modérée, on peut le considérer aujourd’hui comme un représentant des « paléo-conservateurs ».

 

Le conservatisme américain, nous l’avons constaté, est un champ fort vaste dont les idéologèmes et les stratégies ne se sont cristallisés que depuis quelques décennies, contrairement à ce que l’on observe chez les conservateurs européens. Aujourd’hui, c’est évidemment George W. Bush qui domine l’univers conservateur américain. Bush se déclare « conservateur », plus exactement le continuateur de l’œuvre politique de Reagan que tous vénèrent en oubliant qu’il était au départ un « liberal ». Les Républicains doivent leurs succès électoraux depuis Reagan à un courant profond, agitant toute la base aux Etats-Unis, courant qui englobe le patriotisme (la fierté de s’inscrire dans une tradition de liberté) et les « valeurs » conservatrices (la famille, la religion, la morale, l’assiduité au travail, etc.).

 

Les hommes politiques qui veulent réussir en tant que « conservateurs » sont dès lors contraints de chercher le soutien de la « droite chrétienne ». Par ce vocable, il faut entendre cette immense masse d’électeurs liés aux mouvements religieux du renouveau protestant, animé par les « évangélisateurs ». Ce conservatisme théologien, partiellement fondamentaliste, rassemble des groupements où l’on retrouve les « Southern Baptists », le plus grand groupe protestant organisé, les pentecôtistes (notamment les « Assemblies of God ») et, bien sûr, les « méga-églises » des télé-évangélistes. Tous ensemble, ces mouvements évangéliques alignent quelque 80 millions de croyants, ce qui les place tout juste derrière les catholiques, qui restent le groupe religieux chrétien le plus nombreux aux Etats-Unis.

 

Certains évangélistes toutefois, et pas seulement les Afro-Américains, estiment que leur foi peut s’exprimer chez les démocrates. Religion et race se mêlent souvent : ainsi, Pat Robertson, étiqueté de « droite », et Jesse Jackson, étiqueté de « gauche », appartiennent tous deux au mouvement qui soutient les Baptistes et le sanglant « seigneur de le guerre » Charles Taylor au Libéria.

 

Malgré la très forte pression que la « droite religieuse » exerce aux niveaux locaux, voire dans certains Etats, elle n’a presque aucune influence au niveau fédéral. Ainsi, le candidat à la Présidence, Mitt Romney, appartient à la secte des Mormons, considérée comme éminemment conservatrice, ce qui ne l’a pas empêché d’être élu gouverneur du Massachusetts, Etat à majorité « libérale ». Le pentecôtiste John D. Ashcroft, représentant notoire de la « droite religieuse », fut ministre de la justice dans le premier cabinet de George W. Bush. Il serait faux, toutefois, de dire qu’après le choc du 11 septembre 2001, le bellicisme de l’actuel président américain, qui prétend être un « chrétien re-né » tout comme son adversaire Jimmy Carter, découle en droite ligne de sentiments religieux qui lui seraient propres.

 

La politique extérieure américaine est marquée depuis longtemps par les néo-conservateurs, comme on le constate sous le républicain Reagan avec Jean C. Kirkpatrick ou sous le démocrate Bill Clinton avec Madeleine Albright. Sous Bush Junior, les « neocons » tirent toutes les ficelles seulement depuis le retrait de Colin Powell. L’exécutif qui a programmé la politique moyen-orientale et déclenché la seconde guerre d’Irak alignait des hommes comme Dick Cheney, Donald Rumsfeld, Paul Wolfowitz et Richard Perle.

 

Tous ceux qui ont forgé le vocable « neocons » viennent à l’origine, comme d’ailleurs aussi bon nombre de paléo-conservateurs, du camp de la gauche (des « liberals ») ; on trouve dans leurs rangs des intellectuels de la gauche progressiste, issu des milieux juifs, qui se sont détachés du Parti démocrate au cours des années 70. Les meilleurs plumes de ce groupe furent Irving Kristol, avec sa revue « The Public Interest », Norman Podhoretz, avec « Commentary », et le sociologue Daniel Bell (« La fin des idéologies », 1970).

 

La définition usuelle du néo-conservatisme nous vient de Kristol : « Un conservateur est un homme de gauche, qui a été frappé de plein fouet par le réel ». Ce bon mot ne nous révèle que la moitié de la « réalité » : il pose le néo-conservateur, ex-homme de gauche, simplement comme celui qui n’accepte plus et critique les programmes sociaux pléthoriques lancés par les Démocrates. En fait, le néo-conservateur veut surtout une politique étrangère musclée : ainsi, le fils d’Irving Kristol, William Kristol (revue : « The Weekly Standard ») veut que cette politique étrangère américaine instaurent partout une « démocratisation », selon des critères déterminés depuis longtemps déjà par la vieille gauche interventionniste.

 

Pat Buchanan : vox clamans in deserto

 

Les « anciens conservateurs », ou paléo-conservateurs, qui avaient jadis forcé la mutation sous Reagan, entre 1981 et 1989, ont perdu depuis bien longtemps toute influence. Ainsi, Pat Buchanan n’est plus qu’une voix isolée dans le désert depuis des années, alors qu’il fut l’un des rédacteurs des discours de Nixon, puis conseiller de Reagan. Il tenta, rappelons-le, de lancer un parti réformiste et échoua dans sa candidature à la présidence en 2000. Il est redevenu républicain par la suite. En politique intérieure, Buchanan, catholique traditionnel, dont on se moque en le traitant de « conservateur paléolithique », lutte contre les « libertés » nouvelles que veulent imposer les « liberals » et les libertariens (avortement, mariage homosexuel, euthanasie).

 

Buchanan est protectionniste, s’oppose à la société multiculturelle et à l’immigration qui modifie de fond en comble le visage de l’Amérique. Sur le plan de la politique extérieure, il défend un isolationnisme modéré et s’inquiète des pièges que recèle l’interventionnisme global voulu par les « neocons ».

 

Il me reste à mentionner –et à saluer-  un combattant isolé, qui pourfend le « culte de la faute » choyé par de nombreux « liberals » (et par leurs homologues allemands), culte qui sert à promouvoir l’idéologie de la « correction politique » (les « Gender studies », les codes anti-discriminatoires de tous acabits, le multiculturel, etc.) : ce combattant n’est autre que l’historien des idées Paul Gottfried. Mais, malgré Buchanan et Gottfried, les paléo-conservateurs n’ont plus aucun influence notable, ni dans les universités ni dans les médias, a fortiori dans l’établissement politique.

 

Quelles conclusions peut-on tirer de la topographie que je viens d’esquisser ici ? Après la disparition graduelle des paléo-conservateurs, les nationaux-conservateurs allemands auront bien des difficultés à trouver des alliés Outre-Atlantique. Sans doute, seuls les chrétiens à la foi très stricte trouveront des frères en esprit pour toutes les questions morales chez les évangélisateurs ou les conservateurs catholiques.

 

Personnellement, je ne trouve, dans ce camp conservateur américain (toutes tendances confondues), aucune position qui me sied. Si je suis éclectique, je trouverai peut-être quelques points d’accord avec Russell Kirk, mais seulement quand il appelait en 1976 à voter pour le « démocrate de gauche » Eugene McCarthy. Quand je pense à l’idéologie qui domine la RFA aujourd’hui, je suis souvent d’accord avec Paul Gottfried, qui avait dû quitter, enfant, le IIIième Reich national-socialiste. Enfin, je lis toujours avec beaucoup d’intérêt les textes des intellectuels américains qui s’opposent à l’interventionnisme.

 

Vu que nous assistons à une orientalisation, soit une islamisation croissante de l’Europe occidentale les analyses clairvoyantes de nos temps présents par Samuel P. Huntington méritent que nous y consacrions toute notre attention ; Huntington nous annonce le déclin de l’Occident en général et la perte d’identité européenne des Etats-Unis. Aujourd’hui âgé de 80 ans, ce professeur de Harvard n’est toutefois pas étiqueté « conservative » mais considéré comme un représentant du « liberal establishment ».

 

S’intéresser aux relations intellectuelles transatlantiques est une bonne chose et permet de se comprendre réciproquement. Jusqu’ici, le monde universitaire s’est limité à importer en Allemagne et en Europe le prêchi-prêcha du « politiquement correct » des « liberals », y compris les expressions du mépris que vouent les gauches à Bush qui, quand elles sont satiriques, satisfont leur orgueil blessé. Une poignée de conservateurs allemands critiquent aujourd’hui l’idéologie importée des « liberals » (qui s’expriment en Allemagne sous des oripeaux «écologistes ») mais cette démarche est insuffisante. Face à l’immigration de masse qui menace directement l’existence du peuple allemand, en tant que peuple porteur d’histoire et en tant que nation historique et politique, et l’avenir même de l’Europe toute entière, nous devons, en première instance, procéder à une analyse factuelle et objective de la situation et ne pas ergoter et pinailler sur nos préférences intellectuelles ou rêver à d’hypothétiques coalitions qui ne viendront jamais.

 

La politique extérieure américaine se caractérise depuis l’immixtion des Etats-Unis dans la politique mondiale (au moins depuis 1917) par la double nature de la puissance et de la morale qu’elle révèle. La conscience qu’ont les Américains de mener à bien une « mission » inspire cette politique globale ou planétaire, et vice-versa, dans la mesure où les démarches concrètes de cette politique étayent la vision messianique que distille la religiosité américaine.

 

Henry Kissinger était une exception : il se posait comme « réaliste » et les notions de « mission » ne l’intéressaient pas vraiment. Depuis la montée en puissance des « neocons », qu’ils soient adhérents des démocrates ou des républicains, l’aspect idéologique et para-religieux de la politique extérieure des Etats-Unis est passé à l’avant-plan. Force est de constater que les assises fondamentales de la politique extérieure des Etats-Unis réconcilient, in fine, les « liberals » et les « conservatives » : il nous suffit d’énumérer les grands événements de ces quinze ou vingt dernières années, avec l’élargissement de l’OTAN aux pays d’Europe centrale et orientale, avec la politique balkanique (de Madeleine Albright), avec l’appui qu’apporte Washington à la candidature turque à l’UE, aux conflits qui ensanglantent le Proche- et le Moyen-Orient, etc.

 

Par ailleurs, la politique extérieure américaine se montre souvent fort dépendante des fluctuations de l’opinion publique intérieure. Hillary Clinton et d’autres candidats à la Présidence commencent à caresser cette opinion dans le sens du poil, en songeant à l’investiture de 2008, car, en effet, si les troupes américaines doivent se retirer d’Irak aussi peu glorieusement qu’elles se sont retirées du Vietnam, la politique extérieure américaine se trouvera confrontée à ses propres misères, aux monceaux de ruines qu’elle aura provoquées.

 

Quel rôle jouera la Turquie dans ce scénario ? Rien n’est certain. Quoi qu’il en soit, la paix entre Israël et la Palestine sera, une fois de plus, remise aux calendes grecques.

 

Herbert AMMON.

(article extrait de « Junge Freiheit », n°29/2007; trad. franç. : Robert Steuckers). 

 

Entretien avec E. Delvo

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Entretien avec Edgar DELVO, ancien secrétaire de la Centrale d'Education Ouvrière du POB (Parti Ouvrier Belge)

 

Propos recueillis par Robert Steuckers

Monsieur Delvo, vous êtes consubstantiellement socialiste; vous êtes né dans une famille socialiste, vous avez été totalement imbriqué dans la vie du mouvement socialiste jusqu'en 1945. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre famille et votre jeunesse?

 

Je suis né à Gand le 20 juin1905, dans une famille et un quartier ouvriers. Pour les gens de très modeste condition, c'était des temps difficiles: nos contemporains, et a fortiori les jeunes gens, ne s'imaginent plus combien pénibles étaient les circons­tan­ces de la vie quotidienne, même pour les bourgeois. La notion de “temps libre” n'existait pas: tout était orienté vers le la­beur, vers les corvées de tous les jours. Impossible, dans un tel contexte, d'imaginer une forme ou une autre d'épanouisse­ment lu­di­que ou culturel. Mon père était un ouvrier métallurgiste, un ouvrier qualifié qui aimait son métier et y mettait tout son cœur. Il était certes mieux payé que les simples manœuvres, mais, comme tout le monde, il avait grand'peine à joindre les deux bouts. Mon grand-père, que j'ai bien connu, était une célébrité dans les cafés de Gand et des environs, non pas parce qu'il aimait trop la bière, mais parce qu'il ne gagnait pas assez d'argent pour nourrir décemment sa ribambelle d'enfants. Il tra­vaillait dix heures par jour et, le soir, il vendait encore de la sciure de bois et du sable pour répandre sur le sol des auberges et des bistrots. Mon père était l'aîné d'une famille de six enfants: sa qualité d'aîné lui donnait quelques privilèges; c'est sur lui que se fondaient les espoirs de la famille. Le principal de ces privilèges était de recevoir une tartine complémentaire après le coucher. Ensuite, il a reçu l'autorisation d'apprendre à lire, alors que l'obligation scolaire n'existait pas encore dans le Ro­yaume de Belgique, et que mon grand-père était analphabète.

 

Savoir lire donnait des avantages énormes: on pouvait apprendre rapidement, on pouvait lire les journaux, à cette époque où il n'y avait ni radio ni télévision. La seule distraction que s'accordait les gens était de jouer au lotto à la lumière d'une chandelle: mais de telles récréations étaient exceptionnelles, un luxe rare. Mon père a été un homme heureux, il était fier de ses talents. Il avait une conscience socialiste, tout comme mon grand-père. Ils avaient abandonné l'église. Mon grand-père avait été profon­dément choqué par l'anti-socialisme et l'anti-syndicalisme de son curé, qui refusait de prendre en compte la misère ouvrière. Cette arrogance avait fait naître un sentiment d'aigreur profonde dans les familles ouvrières: «nous ne valons rien aux yeux des curés». Pourtant, mon père était fier de son travail: il façonnait des moules en argile pour couler des pièces. Il m'amenait le dimanche pour voir son œuvre et il me communiquait sa fierté. Pour nous le travail bien fait était une valeur inestimable et nous ne comprenions pas pourquoi les gens d'église le méprisaient. Mon père pourtant ne cultivait pas de ressentiment et n'était certainement pas un fanatique de la lutte des classes: quand il y avait une grève, il se retirait à la maison et élaborait des plans pour de nouveaux moules.

 

A douze ans, j'ai pu fréquenter l'“école moyenne”, alors qu'il n'y avait toujours pas d'obligation scolaire. J'emmagasinait faci­lement les matières, je travaillais bien, mais je n'oubliais pas non plus que j'étais un enfant de la rue, un enfant qui avait grandi au sein d'une communauté de voisins, solidaires et chaleureux. Malgré la misère ambiante, j'ai vécu une enfance insouciante. Mes parents, qui étaient doux et bienveillants, m'avaient accordé ce qu'ils n'avaient pas eu, eux: du “temps libre”. Mais leur tolérance avait des limites fixées à l'avance: il fallait toujours que nous gardions une attitude digne. Paradoxalement, ces so­cialistes avaient quitté l'église mais vivaient toujours selon les canons de la charité chrétienne. Ils refusaient simplement, mais absolument, la hiérarchie catholique. Pour eux, l'église était l'ennemie du peuple; elle choisissait toujours le camps des nantis et des puissants. Mes parents n'étaient pas actifs dans le mouvement socialiste, mais lisaient le journal socialiste de Gand, Vooruit (= «En avant», équivalent flamand du journal social-démocrate allemand Vorwärts). C'est ainsi qu'ils se te­naient au courant des événements du monde. L'idéologie de Vooruit  était marxiste mais modérée, déjà réformiste. Mais les querelles idéologiques importaient peu: Vooruit  avait le mérite de donner toute sa place au socialisme spontané du peuple.

 

Quand les voisins me demandaient ce que je voulais devenir plus tard, quand j'aurai quitté l'école, je répondais que je voulais devenir instituteur, maître d'école. Je le disais parce que c'était la profession que les gens de mon quartier m'attribuaient d'office: «tu es malin, tu deviendras instituteur». Je fus un des rares fils d'ouvrier à pouvoir accéder en quatrième; le directeur, un francolâtre fanatique qui haïssait tout ce qui était populaire et flamand, m'y avait accepté à contre-cœur. Cet extrémiste in­ventait mille chicanes pour les élèves flamands de condition modeste. J'ai donc conservé un mauvais souvenir de cette école, que je fréquentais grâce à une bourse. Mais j'ai tenu bon et j'ai fait ma cinquième et ma sixième; c'était au début de la pre­mière guerre mondiale; les temps étaient très difficiles. Nous étions à l'arrière du front allemand, en zone militaire et nous ne pouvions pas nous rendre à Bruxelles. Mes parents ne pouvaient plus me payer des chaussures: il a bien fallu que j'aille à l'école en sabots de bois, de beaux petits sabots qu'on m'avait décorés avec amour. J'étais géné. Mon francolâtre de directeur a fait une vie: il ne voulait pas que les élèves viennent en sabots à l'école. Ce fut un prétexte pour démontrer bruyamment son arrogance de classe. Cet incident m'a appris une chose: pour l'ouvrier, ce n'est pas l'argent qu'il gagne qui est important, c'est que l'on respecte sa dignitié.

 

J'ai donc eu de bons parents, qui m'ont éduqué dans la douceur, avec souci de l'avenir, malgré les difficultés. Il m'ont laissé beaucoup de liberté, à condition que je ne suscite pas de plaintes, que j'aie un comportement exemplaire. Ils m'ont aussi transmis le sens de la communauté. A l'école moyenne, j'étais le condisciple d'un fils de fabricant de liqueur assez aisé, qui recevait des jouets merveilleux, notamment un coffret pour faire de la chimie amusante. Ce garçon ne pouvait pas nous fré­quenter, son père le lui interdisait: il restait seul dans un coin avec ses éprouvettes, alors qu'il aurait bien donné tous ses jouets pour partir en randonnée avec nous. L'esprit de communauté est donc supérieur à l'individualisme bourgeois et à l'arrogance de classe: un grande leçon de mon enfance.

 

Comment s'est passé pour vous la première guerre mondiale?

 

A Gand, nous étions à l'arrière immédiat du front, dans ce que les Allemands appelaient l'Etappengebiet.  Pour survivre, il ne nous restait plus que la débrouille, le marché noir, ramasser des escarbilles de charbons, retourner au troc. La Croix-Rouge américaine et le Plan Hoover permettaient aux enfants pauvres de recevoir le matin du cacao et un petit pain, et le midi, une soupe avec du lard, que l'on nous servait dans les bâtiments du théâtre.

 

Nous avons vu passé les uhlans dans notre quartier. Plus tard, des prisonniers russes étaient contraints à des travaux de ter­rassement pour le Canal Gand-Terneuzen. Nous échangions des denrées avec ces prisonniers et nous les réconfortions. Le plus mauvais souvenir de la guerre, a été les réquisitions. Les Allemands ne réquisitionnaient pas les hommes qui avaient du travail. Mais les gens ne le savaient pas. La police gantoise venait demander si on travaillait, les gens ne disaient rien, croyant qu'on allait imposer leurs maigres revenus. Bon nombre de réquisitions se sont effectuées sur de tels quiproquos. Nous avons été frappés par la terrible discipline qui régnait dans l'armée allemande: les officiers giflaient ou bastonnaient leurs soldats en public quand ils avaient commis des pécadilles.

 

Quand êtes-vous devenu un militant socialiste?

 

C'est venu tout seul. Quand j'étais à l'“école normale” pour devenir instituteur, un professeur de néerlandais lisait Multatuli (1), la littérature pacifiste. C'était un socialiste. Il est venu chez moi pour me proposer de devenir correcteur dans l'imprimerie socialiste qui s'était réorganisée et entendait devenir une entreprise commerciale comme les autres, en ne se limitant plus à imprimer des tracts ou des pamphlets socialistes. J'ai d'abord refusé car je voulais achever mes études. Plus tard, j'y suis allé et je suis devenu automatiquement membre du parti: cela allait de soi; on travaillait dans une entreprise socialiste, on était donc militant socialiste. La politique de commercialisation m'a d'abord séduit parce que l'atmosphère n'était pas politisée à outrance. Ce fut pour moi, à seize ans, l'occasion de lire des livres plus sérieux et de me pencher sur l'idéologie socialiste. J'ai lu Marx, non pas pour adhérer à un catéchisme, mais pour prendre le pouls du socialisme à un moment de son histoire. Je n'en suis pas resté à Marx. J'ai voulu connaître le socialisme dans toutes ses moutures, même avant qu'il ne porte le nom de “socialisme”: chez les premiers chrétiens, chez les socialistes utopiques, chez les Indiens d'Amérique. J'ai voulu tout con­naître de l'esprit de charité, de justice.

 

Les typographes étaient des ouvriers, mais ils étaient lettrés. Ils savaient communiquer le fruit de leurs lectures. Dans l'im­pri­me­rie socialiste, j'ai appris aussi à vivre dans un mouvement politique qui prévoyait toute une série de structures d'accueil pour ses membres et sympathisants. Les jeunes avaient le choix: ou bien militer à la Jonge Wacht  (JW; = Jeune Garde) ou bien adhérer à la Socialistische Arbeiderjeugd  (SAJ; = Jeunesse ouvrière socialiste). Ces deux structures étaient bien diffé­rentes l'une de l'autre. Dans la JW se regroupaient les activistes, toujours présents dans les meetings et dans les bistrots, où ils fumaient et buvaient comme les adultes. Les garçons de la SAJ voulaient quitter cette ambiance et retourner à la nature, camper, organiser des randonnées à pied ou à bicyclette. Les JW fréquentaient les dancings. Les SAJ remettaient les vieilles danses populaires à l'honneur. La jeunesse socialiste était donc séparée par deux esprits bien différents. Les SAJ, dont j'étais, avaient un esprit Wandervogel,  c'étaient des amis de la nature; ils voulaient réintégrer l'homme dans la nature. Nous avions l'impression d'aller plus loin, plus en profondeur. Bon nombre de garçons de la JW voulaient d'emblée faire une carrière politique. Les SAJ n'avaient pas cette préoccupation.

 

Petit à petit, l'imprimerie populaire (Volksdrukkerij)  est devenue une entreprise purement capitaliste. La solidarité entre les membres du personnel s'est d'abord estompée puis a disparu. Les linotypistes se sentaient supérieurs aux typographes, qui estimaient valoir plus que les relieurs, qui, eux, n'adressaient pas la parole aux femmes de ménage.

 

Je suis ensuite devenu le chef de la SAJ de Gand. C'est à ce titre que j'ai rencontré pour la première fois Edouard Anseele (père), dit “Eedje Anseele”, un tribun socialiste fort populaire, qui avait le sens de la communauté et qui cherchait de jeunes idéalistes, notamment dans les rangs des SAJ, pour remplir de nouvelles fonctions dans le parti. Il m'a demandé si je con­naissais la “coopérative”. J'avais lu beaucoup de livres et d'articles sur les coopératives, notamment un ouvrage important pour toute mon évolution future, La République coopérative  du Français Ernest Poisson. Edouard Anseele voulait que je dirige une revue d'esprit “coopérativiste”. Son objectif était de relancer le mouvement coopératif afin de concurrencer le secteur capi­taliste en offrant des marchandises à meilleur prix, en sautant au-dessus du maximum d'intermédiaires, notamment en affré­tant une flotte marchande “rouge”. Mais comme le parti, à cette époque, était encore belge-unitaire, le projet coopératif n'a pas trop bien marché, car, rapidement, un clivage a surgi entre Wallons et Flamands. Les Wallons ont refusé l'orientation “coopérativiste”, au profit d'un syndicalisme plus anarchisant, de l'action directe, de la syndicalisation extrême et des grèves dures. Les Flamands, notamment les Gantois, rêvaient de la “République coopérative” d'Ernest Poisson.

 

J'ai toujours admiré Edouard Anseele (le père) car c'était un homme qui avait le sens de la décision, c'était un chef populaire, charismatique, incontesté. Ce leader populaire bénéficiait de la ferveur de son peuple. Son enterrement atteste cette dévotion des petites gens de sa ville. A la suite des conseils d'Anseele, j'ai voulu créer une culture nouvelle, solidaire et socialiste, bien organisée et bien insinuée dans le tissu social. Gand était le modèle de ce socialisme où toutes les branches du mouvement socialiste coopéraient en synergie. A Anvers, la fédération ne travaillait pas de la même façon: au contraire, on contingentait, le plus hermétiquement possible, les différentes instances du mouvement socialiste. Beaucoup de Gantois ont animé le mouve­ment socialiste avec succès, même en dehors de leur ville et dans les hautes sphères du parti. Anvers n'a pas donné de lea­der charismatique au mouvement socialiste belge et flamand. Huysmans et De Man, tous deux Anversois, n'ont pas réussi a capté la ferveur des masses socialistes. De Man était animé de très bonnes intentions, comprenait quels étaient les ratés du parti, mais il est toujours demeuré un solitaire qui communiquait difficilement avec les petites gens. J'ai assisté à la réconci­liation entre De Man et Anseele, mes deux héros, l'un sur le terrain, l'autre dans le monde sublime des théories.

 

Comment avez-vous vécu l'immédiat après-guerre?

 

En dépit de mon évolution future vers le nationalisme, le croquemitaine, pour moi, c'était le malheureux Borms, incarcéré pour collaboration en 1919. Bien entendu, nous ne le connaissions pas. Nous croyions ce que disait de lui la propagande de l'Etat belge. Notre mouvement socialiste suivait à la lettre la “Trêve du Havre”, où le gouvernement belge réfugié en Normandie avait accepté pour la première fois en son sein des ministres socialistes, qui n'avaient peut-être pas reçu de portefeuille mais à qui on avait promis d'accorder le suffrage universel. Ce qui fut fait.

 

Quand avez-vous rencontré De Man pour la première fois?

 

De Man n'était pas né dans un milieu ouvrier comme moi. C'était un bourgeois d'Anvers. Dans notre mouvement, cette ori­gine lui a causé des problèmes, pour une raison fort simple, qu'on comprend assez difficilement aujourd'hui: les ouvriers vi­vaient dans la nécessité, dans une nécessité extrême, et étaient prêts à suivre tous ceux qui leur promettaient ce qu'ils atten­daient. Les bourgeois, eux, pouvaient se permettre d'avoir des principes, dégagés des affres de la nécessité. Les livres de De Man ont participé au renouveau du socialisme, mais, au départ, nous les lisions presque en cachette dans nos groupes de la SAJ. Sa réputation était mauvaise: il ne cessait de dire que le parti ne faisait rien d'essentiel pour le peuple, ce qui ne faisait évidemment pas plaisir aux gars qui trimaient sur le terrain. Pour De Man, la misère des ouvriers n'était pas seulement ma­térielle mais aussi culturelle; en affirmant cette vérité, il se distanciait automatiquement du marxisme, alors qu'il se désignait encore comme marxiste. Un jour, pourtant, la fédération gantoise avaient restauré des orgues pour offrir des soirées musi­cales aux ouvriers: De Man a critiqué cette initiative, au grand mécontentement des militants, qui avaient côtisé et collecté. Coupé du peuple, De Man n'évoquait qu'une culture purement intellectuelle, où les orgues ne trouvaient pas leur place. En dépit de ces travers bien humains, De Man m'a énormément appris. Ses ouvrages étaient fascinants, tant ils modernisaient notre vision socialiste de la politique et de l'économie.

 

Quand je l'ai vu pour la première fois, en 1930, j'étais déjà secrétaire de la Centrale d'Education Ouvrière. Je l'ai invité à Bruxelles pour prononcer une conférence, à la tribune où étaient également venus Norman Angel, Harold Laski, Pietro Nenni, le Suisse Lucien Dubreuil et les Français Gaston Bergery, Lucien Laurat et Francis Delaisi. De Man est venu nous parler du “socialisme et du nationalisme”. Son analyse était très pertinente: il distinguait le socialisme du marxisme et le nationalisme agressif du nationalisme défensif. Une idée a commencé à germer en moi: l'idéal à atteindre c'était l'unité du peuple tout en­tier, organisateur d'un appareil étatique.

 

Plus tard, De Man est venu à Gand. Je l'ai accompagné dans le train. Mais, sur place, nos militants l'ont boudé. Néanmoins, j'ai pu avoir une première longue conversation avec l'inventeur du planisme. De Man refusait la pensée en termes de sys­tèmes. Il évoquait l'homme réel, avec ses défauts et ses qualités. Il parlait de l'“être” et du “devenir” et optait bien entendu pour le deuxième de ces termes: nous, militants socialistes, activistes politiques, étions des hommes “en chemin”, vers un but. Cette idée de devenir lui permettait de dire que Marx avait été le théoricien du “socialisme qui avait été”: la loi du devenir pos­tulait que l'on évolue, que l'on adapte l'idée aux impératifs du temps. L'humanisme véritable ne consistait pas à répéter une doctrine figée mais à se mouler dans les méandres du devenir et des mutations sociales. A la suite de ces conversations et de mes lectures, j'ai expliqué le teneur de son Plan à nos militants. Même si cette matière est ardue, d'une haute densité philoso­phique, nos militants ont compris intuitivement que le Plan, théorisé par De Man, recelait des potentialités immenses pour la classe ouvrière et qu'il n'était pas de la démagogie.

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samedi, 16 août 2008

La Légion Etrangère du Komintern

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Erich KÖRNER-LAKATOS:

La “Légion étrangère” du Komintern

Le 10 octobre 1936, trois mois après l’ “Alzamiento nacional”, le soulèvement national espagnol, le navire “Ciudad de Barcelona” jette l’ancre dans le port d’Alicante. Débarquent alors 650 volontaires qui apporteront non seulement leur aide aux forces de gauche espagnoles dans la guerre civile mais chercheront à traduire dans les faits une motion décidée par le “7ème Congrès mondial du Komintern” lors de l’été 1935: la constitution d’un Etat de type soviétique sur la péninsule ibérique. Ce 10 octobre est désormais considéré comme le jour de la naissance de cette “légion étrangère” rouge, mieux connues sous le nom de “Brigades Internationales”. Parmi les organisateurs, nous trouvons Josip Broz, dit “Tito”, futur leader de  la Yougoslavie non alignée. Le poète Erich Weinert rédige en allemand le chant de combat des “Brigadas Internacionales”, où nous trouvons les paroles “unsere Brüder sind Bauer und Prolet”, “nos frères sont le paysan et le prolétaire” et “dem Faschistengesindel keine Gnade”, “pas de pitié pour la racaille fasciste”.

Le lieu de rassemblement de ces troupes, leur camp d’entraînement et leur quartier général se situent dans la ville d’Albacete sur le haut plateau de la Nouvelle Castille. Une compagnie de grandes célébrités y tiendra son camp. Parmi elles, un certain Herbert Karl Frahm, que le monde connaîtra plus tard sous le nom de Willy Brandt; ensuite l’écrivain Ilya Ehrenburg qui, lors de la seconde guerre mondiale, en appelera aux viols de masse (“Brisez l’orgeuil des femmes germaniques, prenez-les comme juste butin!”). En tout, quelque 40.000 volontaires s’y rassembleront jusqu’à l’automne 1938. Mis à part les volontaires communistes, on y retrouvait des idéalistes de gauche, ou les “Schutzbündler” d’Autriche (1). Hélas aussi, dans cette grande fraternité, dans cet élan de solidarité avec les républicains espagnols, se mêlèrent des figures moins reluisantes: des criminels violents  cherchant à échapper à la justice de leur pays, des endettés cherchant à fuir leur créanciers, des proxénètes qui cherchent une nouvelle virginité.

“Los Internacionales” sont répartis en cinq grandes unités, sur base de leur nationalité. La 11ème Brigade, dirigée par l’Autrichien Manfred Stern, qui a pris pour nom de guerre “général Kléber”, rassemble des ressortissants allemands et autrichiens. Les bataillons s’appelaient “Ernst Thälmann”, du nom du chef du parti communiste allemand, “Edgar André” (ancien président des milices du “Front Rouge” allemand, exécuté pour assassinat le 4 novembre 1936), “Hans Beimler” (commandant de l’unité) et, enfin, “12 février”, création spécifique du parti communiste autrichien, à l’époque illégal.

Au nom de ce parti entré en clandestinité, Franz Honner, futur ministre de l’intérieur autrichien après 1945, se rend en Espagne. Dans la nuit du 1 au 2 juillet 1937, il fonde ce bataillon autrichien, qui sera composé de quatre compagnies; elles porteront le nom de militants du Schutzbund communiste: “Georg Weissel”, “Koloman Wallisch”, “Franz Münichreiter”  et “Josef Gerl”. 1700 ressortissants autrichiens combattront dans les rangs de ces compagnies; deux cents trouveront la mort au combat. Chez les Allemands, l’impôt du sang, payé à la république espagnole, sera plus lourd encore: la moitié des 3300 brigadistes allemands sera tuée.

Les Italiens se rassembleront dans la 12ème Brigade. La plus haute figure du Risorgimento italien du 19ème siècle lui donnera son nom: Giuseppe Garibaldi. Ces volontaires italiens se heurteront, sur le champ de bataille, à leurs compatriotes du corps expéditionnaire envoyé par Mussolini pour soutenir Franco. Nous en reparlerons.

La 13ème Brigade est composé de volontaires issus des pays slaves. Les Polonais serviront dans le bataillon “Dombrowski”; les Tchèques donneront à leur contingent le nom du principal saint hussite, Thomas Masaryk; les Bulgares nomment leur compagnie, forte d’une centaine d’hommes, “Compagnie Georgi Dimitrov”. Les Hongrois, non slaves, sont inclus dans cette 13ème Brigade. Leur unité est commandée par Mihàly Szalavi, agitateur et ouvrier maçon cultivé; mais le nom de l’unité est celui d’un aristocrate, “Ferenc Ràkoczi”, chef d’une insurrection contre les Habsbourg: il avait proclamé l’indépendance de la Hongrie en 1703.

Les francophones sont affectés à la 14ème Brigade, dite “Commune de Paris”, sous le commandement du Colonel Rol Tanguy. Au sein de cette Brigade, un aviateur de chasse, André Malraux, à l’époque jeune militant communiste; avec la maturité, il deviendra gaulliste et ministre de la culture. La 15ème Brigade rassemble les volontaires de langue anglaise; la majorité d’entre eux est américaine et sert dans le bataillon “Abraham Lincoln”; la plupart des autres sont Canadiens et appartiennent à l’unité “Mackenzie-Papineau”.

Au sein de chacune des brigades, un véritable réseau de commissaires politiques, tous communistes triés sur le volet, assure un contrôle serré, auquel personne n’échappe. Le “politruk” suprême est un Autrichien qui a pour nom Heinrich Dürmayer. En 1945 à Vienne, il montera la police d’Etat, la “Staatspolizei” ou, en abrégé la “Stapo”, du nouvel Etat autrichien. Bien entendu, tous les cadres de cette Stapo seront, à l’époque, des cadres “moscovites” patentés.

Sur le plan militaire, les Brigadistes n’ont pu intervenir que deux fois sur le cours des événements, notamment à Madrid en novembre 1936 et à Guadalajara, au nord de la capitale espagnole, en mars 1937. La bataille pour la capitale commença le 7 novembre 1936. Les Nationaux alignaient 20.000 soldats, principalement des Marocains, des “Moros” et la fameuse “Légion étrangère” espagnole. Ces unités étaient bien entraînées et bien équipées. Elles reçurent l’ordre d’avancer en quatre colonnes contre une masse de combattants bien plus importante mais sans grande formation militaire. Les “héros” du PC espagnol consacrèrent plutôt leurs efforts contre une “cinquième colonne” imaginaire, qui aurait fourbi ses armes dans la clandestinité, à l’intérieur même de la capitale. Pour l’attirer dans les rets des milices communistes, on ne recula devant aucun truc, aussi veule fût-il: une vaste maison madrilène abritait, apparemment, une représentation diplomatique du Royaume du Siam (qui n’avait aucun ministre en Espagne à l’époque). Des centaines de Madrilènes y demandèrent l’asile politique. Ils finirent tous fusillés. Les prêtres et les religieuses furent les victimes favorites des milices du PCE. A la radio, l’agitatrice Dolores Ibarruri Gomez, connue sous le sobriquet de “La Pasionaria”, excitait les esprits. Elle s’adressait aux femmes de Madrid: “Il vaut mieux être la  veuve d’un héros que l’épouse d’un lâche”. Elle martèlait sans cesse un maître-slogan dans la tête des Madrilènes: “No pasaran!”; “Ils ne passeront pas!”.

Le 7 novembre 1936, le 11ème Brigade (germanique) traverse à marche forcée la capitale espagnole; son objectif? Le quartier universitaire à l’ouest de la ville. Les brigadistes rouges y connaîtront le baptême du feu. Un tiers des effectifs tombe au combat rien que dans les quatre premiers jours. Le 12 novembre, une nouvelle brigade entre dans la danse, sous les ordres du Général Lukacs (de son vrai nom Màté Zalka). La bataille durera jusqu’au 23 novembre. Les jeux sont clairs: les Nationaux ont échoué dans leur offensive. Franco ne prendra la capitale espagnole qu’en mars 1939.

La deuxième épreuve du feu des “Internacionales” fut un affrontement entre Italiens. On le sait, Benito Mussolini est venu en aide au camp nationaliste espagnol, en lui envoyant quatre divisions; pour une moitié composées de soldats réguliers, pour un autre moitié de miliciens fascistes. Après la prise de Malaga en février 1937, qui se déroula sans peine, Rome croyait avoir montré ses muscles. Mais un mois plus tard, nous ne sommes plus en Andalousie mais au nord de Madrid, à Guadalajara. Le 3 mars 1937, les troupes du Duce passent à l’attaque. Face à elles, se tiennent les Italiens rouges. En lançant des tracts et des slogans par mégaphone, ils invitent à la désertion. Avec succès! Les nationalistes espagnols connaissent désormais la valeur de leurs alliés, si peu fiables. Malgré ce que colportent les légendes héroïques de la gauche, après Guadalajara, le rôle des Brigades Internationales fut quasiment terminé. Car la cohésion des brigades n’existe plus: c’est la méfiance qui règne en leur sein au lieu de la camaraderie.  Pourquoi? A Moscou, les fameuses purges, les procès spectaculaires ont commencé. Dans les rangs des Brigades, le NKVD soviétique cherche aussi des suspects. Tous ceux qui n’adoptent pas la ligne du parti, c’est-à-dire les trotskistes, les anarchistes et les autres “déviationnistes” finissent dans les chambres de torture. Les fusillades sont à l’ordre du jour. Finalement, les idéalistes perdent leur ferveur: ils ne luttent pas pour un avenir radieux de l’humanité mais pour les intérêts de Staline.

En novembre 1938, le gouvernement de l’Espagne rouge décide de dissoudre les Brigades, afin de satisfaire une clause interdisant à toutes puissances étrangères d’intervenir dans la guerre civile. En vain. Six mois plus tard, Franco peut annoncer la victoire du “soulèvement national”.

Erich KÖRNER-LAKATOS.

(article paru dans “zur Zeit”, Vienne, n°36/2006; trad. franç.: Robert Steuckers).

Note:

(1) Julius Deutsch fut un communiste guerrier. En 1923/24, il organisa le Schutzbund républicain, une milice d’auto-défense ouvrière armée. Il en fut le commandant jusqu’en 1934. Le 12 février de cette année-là, il avait organisé, conjointement avec Otto Bauer, la lutte ouvrière contre le gouvernement autrichien. De 1936 à 1939, Deutsch fut général dans l’armée républicaine espagnole.

 

E. Delvo: Henri De Man, mon mâitre à penser

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Henri De Man, mon “maître-à-penser”

 

Edgard DELVO/E.d.V.

 

En mai 1940, l'homme politique socialiste flamand Edgard Delvo, 35 ans, se présente comme volontaire dans un bureau de recrutement de l'armée française, pour s'engager dans la lutte contre les “barbares allemands”. Mais un mois plus tard, il devient membre du Conseil de Direction (Raad van Leiding) du VNV (Vlaams Nationaal Verbond), le parti nationaliste flamand dirigé à l'époque par Staf De Clercq. Delvo est prêt en 1941 à s'engager pour le front russe, mais, en 1942, il est appelé à la tête de l'UTMI/UHGA (Union des Travailleurs Manuels et Intellectuels; Unie van Hand- en Geestesarbeiders), le syndicat unifié, pendant belge du Front du Travail allemand. En septembre 1944, il fuit la Belgique, se réfugie en Allemagne et participe au Landsleiding (le gouvernement flamand en exil). Condamné à mort par contumace par un Tribunal militaire belge, Delvo vit trente ans en exil en Allemagne, dont vingt sous une fausse identité. A l'âge de 71 ans, revenu en Flandre, il publie un livre de mémoires Sociale Collaboratie (Collaboration sociale), où il retrace les grandes lignes de son socialisme national-populaire (volksnationaal socialisme) et confie aussi ses souvenirs à E.d.V., chroniqueur historique de l'hebdomadaire sati­rique flamand ‘t Pallieterke (Anvers). Nous en publions un court extrait, où Delvo évoque la figure de Henri De Man, théoricien rénovateur du socialisme européen, très contesté au sein de son propre parti.

 

La plupart des jeunes militants socialistes de la génération de Delvo ne connaissaient même pas le nom de Henri De Man. «Dans les conférences et les cours du mouvement ouvrier belge, on ne le mentionnait pas. Ce n'est que dans un petit cénacle de notre groupe des Jeunesses Ouvrières (AJ; Arbeidersjeugd) que son nom avait bonne réputation et, pour moi personnelle­ment, ses écrits constituaient un message de salut». Voilà ce que nous déclare Delvo qui ajoute que ses amis et lui compre­naient parfaitement qu'il valait mieux ne rien laisser transparaître de leur admiration pour De Man. Il était préférable, disaient-ils, de ne même pas prononcer son nom en dehors des cercles culturels de la jeunesse socialiste. La meilleure et la seule chose qu'ils pouvaient faire, c'était d'étudier ses idées de la manière la plus approfondie et d'en parler le moins possible avec les vieux camarades du parti, et certainement pas «avec les dirigeants».

 

Première rencontre

 

Henri De Man vivait encore en Allemagne quand Delvo et ses amis le lisait en cachette. Quelques années avant la prise du pouvoir par Hitler en 1933, Delvo reçoit l'ordre d'accompagner son maître vénéré à Gand et de présenter De Man aux socia­listes de la ville. De Bruxelles à Gand, De Man et Delvo occupent à eux seuls un compartiment dans le train. Mais ils n'ont pas fait plus ample connaissance. Henri De Man avait vingt de plus que son admirateur; il n'a pas posé à son jeune camarade les questions conventionnelles que l'on pose pour montrer de un intérêt réel ou feint à son interlocuteur. De Man n'interroge donc pas Delvo sur sa jeunesse, son travail, sa façon de penser, ses dififcultés, ses espoirs... Nulle question de ce type. «Ce n'était apparemment pas son habitude de feindre de l'intérêt quand cet intérêt n'existait pas». Delvo était là comme un passant. «Mais n'allez pas croire que De Man était méprisant ou garder ostentativement ses distances. Au contraire. Il n'y avait rien d'affecté ou de blessant dans son attitude. Si je n'avais pas su que je me trouvais en présence de mon idole intellectuelle, je n'aurais rien remarqué de particulier à sa présence tranquille, à cet homme qui fumait confortablement sa pipe et laissait libre cours au vagabondage de ses idées».

 

Nationalisme et socialisme

 

En cours de route, les deux hommes ont échangé quelques mots sans signification, mais au moment où le train s'est approché de la gare de Gand-Saint-Pierre, De Man s'est brusquement animé: son intérêt s'éveillait pour la ville où il avait passé ses an­nées d'étudiant et vécu ses premières expériences dans le mouvement socialiste. Il s'est appuyé sur la fenêtre du comparti­ment et quand nous sommes entrés dans la gare, il a dit: «Il y a bien longtemps! On va voir si on ne m'a pas déjà oublié». Delvo relate cette soirée gantoise: «Non, on ne l'avait pas oublié et, apparemment, on ne lui avait rien pardonné non plus. Pour ce qui concerne le nombre de militants présents, nous n'avions pas à nous plaindre; on s'attendait à une conférence compli­quée qui n'attirait évidemment pas la masse. Un théoricien n'est pas une star du football ou un coureur cycliste victorieux. Nous pouvions aussi être satisfait du niveau intellectuel des assistants; le cercle d'étude socialiste qui avait organisé la confé­rence avait visé les intellectuels. Les dirigeants du parti, eux, ne s'étaient pas montrés. La vieille querelle durait-elle encore? Ou bien l'absence des dirigeants socialistes était-elle plutôt due à leur indifférence à l'égard de la thématique annoncée, “nationalisme et socialisme”, soit un problème auquel le POB n'a jamais voulu consacrer l'attention voulue?

 

«Je ne sais pas si Henri De Man a été déçu ou non de l'absence des dirigeants ouvriers de Gand lors de sa conférence; quoi qu'il en soit il ne l'a pas fait remarqué pendant le voyage de retour. A l'arrivée à Bruxelles-Nord, notre séparation a été brève et sans façons, comme notre tout première rencontre: une forte poignée de main».

 

Amis?

 

Selon Delvo, De Man était «tout naturel, sans contrainte dans son comportement, nullement vaniteux». Il le décrit comme «une personnalité tranquille, maîtresse d'elle-même, avec laquelle on se sentait à l'aise, bien qu'on aurait donné beaucoup pour sa­voir ce qui se passait derrière ce front haut et dans les sentiments de ce homme remarquable, qui ne laissait rien entrevoir de ses attirances et de ses répulsions».

 

Delvo, qui avait vingt-cinq ans quand il a rencontré De Man pour la première fois, n'a pas modifié fondamentalement ses premières impressions du théoricien. On a reproché à De Man «une indifférence blessante à l'endroit de ses semblables»; pour Delvo, ce n'était qu'«une inattention pour son environnement, une évasion totale ou un plongeon profond dans le monde de ses idées».

 

De Man, écrit Delvo, ne se donnait jamais la peine de susciter des effets dans son entourage. Il se comportait comme le dictait sa propre intériorité: «il restait toujours naturel et simple dans ses relations et dans son style de vie; il ne se pavanait pas, n'en mettait jamais plein la vue à ses proches, il ne faisait pas semblant, ne commettait jamais de fanfaronnades». De Man était un exemple pour l'attitude existentielle qu'il prônait lui-même: plus être que paraître, accorder moins d'importance à l'avoir qu'à l'être.

 

C'est précisément cet Henri De Man-là qui n'avait pas d'amis au sens profond de ce mot, écrit Delvo. Mais il semblait n'avoir nul besoin d'amis, «bien que beaucoup de personnes appartenant à son cercle de pensée souhaitaient que les sentiments de proximité qu'il suscitait en eux, reçoivent une réponse de sa part».

 

Assainir la démocratie

 

En 1933, De Man se fixe à Bruxelles. A partir de cette année-là, Delvo aura avec lui «des contacts extrêmement précieux et féconds». Delvo ajoute que De Man n'avait pas quitté l'Allemagne «sous pression», au moment où Hitler a accédé au pouvoir, «comme on l'a dit trop souvent par erreur». D'après Delvo, De Man aurait pu conserver sa chaire sans problème à Francfort, s'il l'avait voulu. «Combien de professeurs allemands compromis politiquement aux yeux des nouveaux détenteurs du pou­voir, pour leurs activités du temps de la République de Weimar, sont restés en Allemagne en dépit du changement de régime, en adaptant tout simplement leurs matières et leurs cours aux circonstances nouvelles, tout comme, ultérieurement, ils se sont réadaptés une seconde fois après 1944, en empruntant une direction nouvelle, dans le cadre du programme démocratique de “rééducation” du peuple allemand».

 

De Man, en revanche, a quitté le Troisième Reich volontairement et librement, parce qu'il «n'était pas prêt à s'adapter à un régime dont il rejetait les fondements». Il a préféré mettre son expérience au service «du mouvement socialiste et de la lutte contre la crise dans son propre pays». Mais Delvo nous rappelle n'est pas simplement rentré en Belgique pour défendre une démocratie menacée et exposée aux coups de la dégénérescence. Non: De Man envisageait une réforme en profondeur de la démocratie belge, son assainissement». De Man croyait à la possibilité de telles réformes. Il voulait protéger la Belgique de «toute expérimentation totalitaire et dictatoriale».

 

Hendrik De Man, dit Delvo, «n'a jamais cessé de nous dire que toute démocratie sans responsabilité et sans autorité person­nelles, sans auto-discipline et sans direction consciente, ne résisterait pas aux manipulations démagogiques et à l'auto-des­truction». Il a opté pour une «démocratie puissante, vitale et “autoritaire”» contre toutes les formes de dictature. Mais, en même temps, De Man concentrait toute son attention aux efforts entrepris par Hitler «pour susciter une solidarité nationale plus cohérente par plus de justice sociale». De Man considérait que «les réalisations sociales du Troisième Reich comme une contribution importante à l'unification spirituelle et psychique, condition préalable à ce sursaut soudain et étonnant du peuple allemand».

 

Peu après son retour en Belgique, Henri De Man devient vice-président du POB/BWP. Cette nomination avait été préparée lors de conversations avec le “patron’, Emile Vandervelde. Dans ces années de crise, tous les espoirs, dans le sérail du POB, reposaient sur Henri De Man. Les socialistes belges du POB ne désiraient plus s'adresser exclusivement et principalement aux ouvriers. En réalisant son fameux “Plan du Travail”, le POB entendait libérer toutes les catégories de la population «de l'emprise des forces économiques et financières monopolistiques».

 

Delvo, fidèle collaborateur à la revue de De Man, Leiding,  adepte convaincu de son socialisme éthique, défenseur passionné des point de vue de son maître-à-penser, contribua à diffuser largement, par la plume et la parole, les thèses de l'auteur d'Au-delà du marxisme. Pendant des années, Delvo est resté en rapports étroits avec De Man. Malgré cela, il n'ose toujours pas dire aujourd'hui, «qu'il a bien connu De Man».

 

«Réformateur du monde»

 

Pour comprendre la nature de leur relation et pour comprendre la personnalité de De Man, citons ces mots que Delvo con­signe dans ses mémoires: «Henri De Man a voulu faire beaucoup de choses pour les gens, mais il n'a pas pu le faire avec  les gens». De Man «était profondément convaincu que les gens avaient besoin de lui». Il s'est toujours senti dans la peau d'un «réformateur du monde». Il voulait littéralement compénétrer les gens de ses idées, qu'il avait bien entendu formulées pour leur bien. Il voulait aller de l'avant et diriger, mais, personnellement, il ne ressentait nullement le besoin d'appartenir à l'humanité! «Il n'a jamais été un homme de communauté», au contraire de son élève Delvo, qui ajoute: «il acceptait le soutien et la collaboration de ceux qui étaient prêts à l'aider, et voyait en eux des hommes partageant les mêmes idées et les mêmes sentiments, des compagnons de combat, et non des amis».

 

Et Spaak?

 

«Pas même Paul-Henri Spaak», nous dit Delvo, «qui a tout de même, avec De Man, été considéré comme le représentant le plus influent du “socialisme national” dans notre pays, et qui a été pour lui, un soutien indispensable quand il s'est heurté, inévi­tablement, au vieux président du parti, Emile Vandervelde, qui possédait encore à cette époque une grande autorité; je le ré­pète, même Paul-Henri Spaak, n'a jamais été son ami. Non, personne n'avait accès à l'intériorité de De Man, n'avait droit à une part de sa vie sentimentale. C'était un homme que l'on appréciait et que l'on respectait, pas un homme à qui on se liait d'amitié».

 

Spaak et De Man, selon Delvo, «étaient liés dans un combat commun, basé sur une vision commune». Mais De Man avait derrière lui un «long processus de maturation». Spaak, au contraire, était devenu un “socialiste national” en répudiant brus­quement son passé à “Action Socialiste”, où violence et extrémisme s'était souvent conjugués. C'est vrai: le retournement soudain dans la pen­sée politique de Spaak s'est opéré quand il est devenu ministre «de manière inespérée et inattendue»; tou­tefois, Delvo pense qu'il s'agit bien d'une conversion soudaine, mais sincère, et non d'un “simple calcul”. Delvo croit pouvoir comprendre cette conversion; il sait qu'il n'est pas le seul jeune “demaniste” qui «à ce moment, sa­vait que Spaak, depuis quelques temps, sous l'influence des concep­tions de De Man, avait soumis son internationalisme prolétarien à une sé­vè­re cri­tique» et était devenu un adepte du “socialisme na­tional”.

 

De Man et Spaak ont-ils été “amis”? «Ils ont été liés politiquement», sans aucun doute. «Mais amis?»: «Non» répond Delvo. Mais ce n'est certainement pas Spaak qui a été le responsable de cette “incom­municabilité”. Tout simplement, De Man n'accordait aucune valeur à l'amitié. Dans ses rapports humains, il ne visait qu'une chose: faire partager à ses interlocuteurs et à ses camarades les mêmes visions de la société et de la politique. Tous les efforts intellectuels de De Man tendaient à améliorer le sort de l'humanité, mais il perdait presque toujours de vue les «hommes vivants», y compris ceux qui évoluaient dans son environnement immédiat. Delvo a très bien perçu cet aspect de la personnalité de De Man: «Celui qui espérait des avantages personnels, entendait assurer son avenir, faisait bien de se ranger derrière la bannière de Spaak, qui ne décevait jamais ses amis et répondait toujours à leurs attentes». Mais ceux qui suivaient De Man pour ses idées ne récoltait qu'un “bénéfice intellectuel”. Aujourd'hui encore, Delvo pense que c'était là le “meilleur choix”. Et si Delvo a opté pour une autre voie que celle de De Man pendant la seconde guerre mondiale, il reste reconnaissant au théoricien du planisme.

 

Magnanimité?

 

Pendant l'été 1940, après la publication de son manifeste  —qui fit tant de vagues, parce qu'il réclamait la dissolution du parti socialiste et appelait à coopérer avec l'occupant allemand—  De Man reçut la visite de nombreux dirigeants socialistes et surtout syndicalistes, à qui il a promis son soutien, bien qu'il était parfaitement convaincu «qu'ils le renieraient plus de trois fois avant que le coq ne chante une seule fois, si la fortune des armes venait à changer de camp».

 

En recevant ces socialistes et ces syndicalistes, De Man a-t-il agit par magnanimité? Ou parce qu'il se souvenait de leur lutte commune au sein du mouvement socialiste belge? Pas du tout, nous répond Delvo. Si De Man a reçu pendant l'été 1940 ses anciens camarades du parti qui venaient lui demander conseil, «sans dire un seul mot à propos de l'attitude hostile qu'ils lui avaient manifestée quelques temps auparavant, sans prononcer le moindre blâme pour le fait qu'ils avaient déserté et aban­donné leurs camarades», cela n'a rien à voir avec la sentimentalité ou la vertu du pardon: De Man a reçu ses anciens cama­rades parce qu'ils avaient besoin de lui, de ses conseils, et qu'il était de son devoir de les aider, au-delà de tout sentiment de sympathie ou d'antipathie, de vénération ou de mépris. Parce que De Man avait décidé de remplir la mission qu'il s'était assi­gnée à ce moment-là de notre histoire: rassembler la population belge derrière son Roi.

 

Leo Magits

 

Delvo n'aime pas qu'on lui pose trop de questions sur l'«homme» Henri De Man, pour la simple et bonne raison, dit-il, qu'il ne peut le faire, qu'il n'en a pas le droit. Mais il souhaite expressément nous dire ceci: lorsque De Man «avait pris une décision, lorsque quelque chose était bon et nécessaire selon son propre jugement, aucune considération ne pouvait plus l'empêcher d'agir selon son idée. Devant ce qu'il considérait être son devoir, tout devait fléchir et il oubliait tout, y compris ses propres enfants».

 

Lorsque Delvo devint en 1932 secrétaire général de la Centrale d'Education Ouvrière, en prenant la succession de Max Buset, il a fallu nommer un nouveau secrétaire flamand. Parmi les candidats: Leo Magits, émigré en 1918 aux Pays-Bas, où il fut actif dans le Syndicat International. Delvo ne connaissait pas Magits personnellement, mais avait lu sa brochure Vlaams socia­lisme [= Socialisme flamand]. Lorsque les deux hommes font connaissance à Bruxelles, deux choses sautent aux yeux de Delvo: «l'attachement absolu de Magits à la démocratie» et «sa vision du nationalisme qui se profilait avantageusement, par rapport à la vision de De Man sur cette question», dans le sens où Magits opérait une distinction beaucoup plus nette entre les concepts de “nation” et d'“Etat”, ne réduisait pas le nationalisme à une simple question de langue; de plus, son analyse des valeurs qu'apporte le fait national dans le mouvement ouvrier, permet des déductions bien plus positives et fécondes que l'œuvre de De Man. Magits avait le mérite de ne pas sous-estimer la valeur de la prise de conscience nationale chez les ou­vriers, dans la mission culturelle que doit s'assigner tout véritable mouvement socialiste.

 

Sous la double impulsion de De Man et de Magits, Delvo va évoluer intellectuellement, et finir par théoriser ce qu'il a appelé le “volksnationaal socialisme”, le socialisme national-populaire.

 

E. de V.

(extrait de la très longue étude de l'auteur, parue dans 't Pallieterke en 1976; cet épisode a été publié le 21 octobre 1976; trad. franç.: Robert Steuckers).

 

00:05 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théorie politique, politique, belgique, flandre, socialisme | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook