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mardi, 29 juin 2010

Protocole de l'allocution de R. Steuckers lors de la conférence de presse du Dr. Saïd Haidar (ambassadeur d'Irak)

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1990

Protocole de l'allocution de Robert Steuckers lors de la conférence de presse du Dr. Said Haïdar, ambassadeur de la République d'Irak à Bruxelles, le vendredi 28 septembre 1990.

Excellence, Dr. Haïdar, Mesdames, Messieurs,

Depuis le déploiement des troupes américaines dans le désert arabique le long de la frontière irakienne, nous assistons à une unanimité suspecte, orchestrée par tous les médias du monde occidental, contre l'Irak et son Président. Toutes les grosses ficelles de la propagande ont été ressorties du placard et les poncifs négatifs autrefois utilisés contre Hitler, Mussolini, Staline, Nasser, Idi Amin Dada ou Khadafi ont retrouvé une nouvelle jeunesse. Ces exagérations bellicistes nous obligent à nous poser quelques questions d'ordre doctrinal. Avant-guerre, aux Etats-Unis, des intellectuels venus de tous les horizons idéologiques, s'étaient faits les avocats du «continentalisme», soit d'une doctrine de non-intervention dans les continents voisins. Pour ces hommes, l'Amérique ne devait intervenir ni en Europe ni en Asie et les Européens et les Asiatiques n'avaient rien à imposer au continent américain. Les diverses parties du monde, dans cette optique, devaient se centrer sur elles-mêmes afin de promouvoir une autonomie des grandes régions de notre planète, un organisation du monde en «grands espaces». Cette sagesse, ce bon sens, Roosevelt n'a pas voulu l'écouter et a de ce fait entraîné le peuple américain dans la guerre au nom des chimères mondialistes. L'Amérique avait, d'après Roosevelt, le devoir moral d'intervenir tous azimuts. Résultat, constaté il y a deux ou trois ans par le Professeur Kennedy: les finances américaines se sont épuisées à entretenir une machine de guerre à hauteur de cette incroyable prétention. Si l'on veut revenir au principe des «continentalistes», seule position acceptable hier comme aujourd'hui, l'Europe ni l'Amérique n'ont à intervenir dans les conflits du Proche- et du Moyen-Orient. Le conflit Iran-Irak, heureusement terminé, ou le conflit Irak-Koweit sont des affaires extérieures aux sphères européenne et américaine. La logique du bon sens voudrait donc que les Européens et les Américains n'interviennent pas dans ces conflits ou se bornent exclusivement à offrir leurs bons services de médiateurs. La morale concrète, soit une morale qui ne se base pas sur des abstractions irréalistes et désincarnées, nous impose de ne pas gaspiller des vies humaines, des vies de soldats, dans des conflits extérieurs à notre sphère vitale propre. Si l'on appliquait de tels principes concrets au lieu de s'inspirer de folies prétentieuses parées du label d'universalisme, on génèrerait de la paix partout dans le monde. L'idéologie universaliste des Américains, depuis Roosevelt, provoque des guerres mondiales, généralise l'horreur alors que le bon sens voudrait qu'on la limite par tous les moyens! Limiter volontairement nos actions à notre sphère continentale  —l'européenne pour les Européens, l'américaine pour les Américains—  signifie automatiquement localiser les guerres et non les étendre au monde entier.

 

Si un rappel du bon sens «continentaliste» est la première réflexion qui me vient en tête quand j'entends les médias aboyer leurs sornettes, la seconde réflexion qui me vient à l'esprit concerne les pétromonarchies. En se penchant sur la carte politique de la région où elles se situent, on est frappé par leur artificialité, une artificialité imposée depuis le démembrement de l'Empire Ottoman en 1918-19. Dans la région, la diplomatie britannique a pratiqué sa bonne vieille tactique: diviser pour régner. En d'autres termes, créer des Etats artificiels à l'embouchure des grands fleuves, afin de contrôler le commerce fluvial, donc l'économie de l'hinterland, et de tenir à sa merci les populations non littorales. Cette politique a été pratiquée par la France et la Suède en 1648, lors des traités de Westphalie. La création d'une Hollande sans hinterland à l'embouchure du Rhin et de la Meuse et l'occupation des embouchures de la Weser et de l'Elbe par la Suède avaient pour objectif de maintenir les Allemagnes en état de sujétion. La création de la Belgique en 1830 coupe la Confédération Germanique d'Anvers et fracasse l'unité viable du Royaume-Uni des Pays-Bas. La création du Koweit dans les années 20 de notre siècle suit la même logique: empêcher le développement optimal de la Mésopotamie irakienne, disposant d'atouts sérieux. De ce morcellement artificiel des territoires, découle une logique du blocus: si l'hinterland se montre récalcitrant, on bloque les ports, on étouffe l'économie et on affame la population.

 

Troisième réflexion: la création de ces petits Etats artificiels permet de concentrer les richesses en peu de mains: famille royale hollandaise, bourgeoisie belge, sheiks du Koweit. Minorités corrompues que l'on remettra en selle par tous les moyens si besoin s'en faut. Ce favoritisme exclusiviste généralise l'injustice sociale à très grande échelle. Le monde actuel vit cette anomalie très concrètement: j'en veux pour preuves les dettes immenses de l'Amérique latine et des autres zones du Tiers-Monde. Peron en Argentine, Mossadegh en Iran, Michel Aflak au Liban, en Syrie et en Irak ont voulu mettre un terme à cette aberration monstrueuse: leurs échecs relatifs ne doivent pas nous décourager. «Point n'est besoin d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer».

 

Quatrième réflexion: l'illogisme américain, qui consistait hier, en 1987, à envoyer la flotte de guerre pour escorter les pétroliers irakiens et qui consiste aujourd'hui à envoyer la même armada pour les bloquer, montre bien qu'il ne s'agit pas d'une «croisade pour le droit» mais d'une volonté délibérée de maintenir toute la région sous la coupe directe des intérêts américains et d'empêcher toute puissance régionale d'organiser l'espace proche- et moyen-oriental à sa guise. Peu importe si cette puissance régionale est l'amie d'hier... Le calcul impérialiste brut est à l'œuvre ici non la vertu.

 

Derrière tout cela se profile en fait un grave danger pour l'Europe. Depuis la chute du Mur de Berlin et l'avènement de Vaclav Havel à la Présidence de la République fédérative des Tchèques et des Slovaques, l'Europe vivait un processus de paix. Le centre du Vieux Continent se resoudait, les soldats hongrois et autrichiens démantelaient les barbelés et les miradors, la foule est-allemande exigeait la dissolution de la Stasi, etc. L'avenir était très prometteur: un redémarrage économique s'annonçait en Europe alors que rien ne laissait prévoir une diminution du déficit américain. L'Amérique, animée par les pires folies messianiques traduites pour le bon peuple, le bétail électoral, en termes de consommation, s'est ingéniée, depuis quarante ans, à mettre en œuvre les pires poncifs éculés du libéralisme sans racines et sans ancrage. Résultat: le système d'éducation va à vau-l'eau, la société chavire dans les pires indisciplines, n'accepte plus la moindre contrainte, croit vivre le paradis et s'étiole, se disloque, se désagrège. Deux hommes d'affaires japonais, dont l'ancien directeur de Sony, ont brossé de la société américaine un tableau peu séduisant. En pariant pour le «choix individuel», en bonne logique libérale-permissive, l'Américaine a bradé son avenir, tandis que l'Allemagne et le Japon (et surtout lui) n'ont cessé d'améliorer leurs systèmes d'éducation, de valoriser le savoir-faire de leurs forces vives, de mobiliser les énergies humaines de leurs nations. Pour échapper à la honte d'être vaincue par ceux qu'elle avait vaincus à coup de tapis de bombes ou par l'atomisation de Nagasaki et Hiroshima, l'Amérique, tenaillée par ses rancunes, cherche à limiter les bénéfices que pourraient engranger dans le court terme Allemands et Japonais. En tentant de leur faire payer les frais de l'opération folle amorcée dans le désert arabique, les Américains essayent tant bien que mal de retarder encore la marche en avant de l'Europe germano-centrée et de l'espace pacifique nippo-centré, exactement comme l'avait prédit le grand juriste européen Carl Schmitt. Les Etats-Unis, même s'ils se déclarent progressistes, sont en fait les grands retardateurs de l'histoire.

 

Retarder l'histoire, empêcher le centrage de l'Europe et l'émergence d'une sphère de co-prospérité asiatique en Extrême-Orient, empêcher tout dialogue constructif entre nations européennes et nations arabo-musulmanes, tenter de détourner les bénéfices européens et japonais dans le gouffre sans fond du gaspillage américain, voilà la logique égoïste de l'impérialisme yankee. Logique égoïste qui est aussi pour nous un défi. Un défi qui nous somme de ne pas imiter le relâchement des mœurs à l'américaine, de ne pas imiter la désinvolture américaine en matière d'enseignement, de tout miser en conséquence sur l'éducation de notre peuple, de trouver des autres sources d'énergie, selon l'adage qui veut que la science, l'inventivité des hommes, brise les monopoles. Dans le cas du pétrole,  briser celui de l'Aramco.

 

Robert STEUCKERS.

 

 

00:05 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : irak, belgique, guerre du golfe, histoire, moyen orient | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

dimanche, 27 juin 2010

Phosphore sur Darmstadt

darmstadt.jpg Phosphore sur Darmstadt

Témoignage du Lieutenant-Colonel Christiaan Hendrik Turcksin, commandeur de la “Flak-Brigade” flamande

Pour comprendre ce texte : Christian Hendrik Turcksin, figure étonnante du Brabant flamand, ancien comédien des rues, tenancier de taverne, nationaliste flamand par une sorte d’anarchisme naturel, s’engage dans la Luftwaffe de Goering dès 1940, et recrute plusieurs milliers d’hommes pour la force aérienne allemande, dont beaucoup de rampants, de troupes destinées à surveiller et défendre les aérodromes et à servir les batteries anti-aériennes de la “FLAK”. Ces troupes flamandes participeront à l’occupation des départements du Nord de la France, jadis annexés par Louis XIV. Dans ce recrutement, il aurait eu l’appui tacite de l’établissement belge, qui lui a fourni un cadre d’officiers compétents, avec la promesse de le défendre en cas d’une victoire alliée et d’un putsch communiste simultané. Les soldats de Turcksin se battront après septembre 1944 sur le front occidental (et non pas sur le front de l’Est!) et seront chargés de défendre, avec leurs camarades allemands, les villes du pays de Bade et la vallée du Neckar, notamment contre les armées de Leclerc. Turcksin sera arrêté et torturé par les Américains (la description des “interrogatoires” qu’il a subis est hallucinante!) puis livré à la Belgique qui le condamnera à perpétuité et le libèrera après 13 ans de détention. Mais en occultant soigneusement sa saga, pour qu’elle ne jette pas le trouble dans le bon peuple. Turcksin finira ses jours en Allemagne, dont il obtiendra la nationalité. Il a laissé des mémoires aux Archives Fédérales de Bonn. Le livre (références infra) tiré de ces mémoires, et paru chez l’éditeur De Krijger, a été composé par l’un de ses anciens officiers, issu du mouvement flamand et non pas de l’armée belge, l’historien Jos Vinks, aujourd’hui décédé. Ce livre désormais accessible au grand public aurait recelé une véritable bombe à retardement pour l’établissement il y a une ou deux décennies. Aujourd’hui, l’amnésie est généralisée et la confusion est totale. Donc on peut sans crainte révéler une partie des mémoires de ce phénomène inclassable que fut Turcksin.

 

L’offensive von Rundstedt avait échoué. Les bombardements sur les villes allemandes ne cessaient d’augmenter. Cela devenait de plus en plus une pure boucherie, dont était victime la seule population civile, des vieillards, des femmes et des enfants. Ces bombardements frappaient des villes sans importance militaire (comme Dresde), que l’on rasait sans hésiter. En plus, les chasseurs mitraillaient les routes, les villages, les champs et canardaient tout ce qui bougeait : un paysan sur son champ, une femme à vélo qui partait faire ses emplettes, des enfants qui se rendaient à l’école.

 

A cette époque-là, j’étais contraint de voyager régulièrement entre Wiesbaden et Germersheim et ces trajets étaient de plus en plus dangereux, à cause des chasseurs alliés qui survolaient le pays en rase-mottes. La “Flakbrigade” flamande ripostait de son mieux et récoltait des louanges pour ses actions. Pour protéger la population civile contre les “jabos” [chasseurs-bombardiers légers des forces alliées, de type “Typhoon” ou “Thunderbolt”, ndlr], nos batteries lourdes avaient reçu en renfort des pièces anti-aériennes à trois tubes, qui provenaient de la marine: on les avait démontés de leurs navires de guerre.

 

La chose la plus horrible que j’ai vécue à cette époque-là de la guerre, fut bel et bien le bombardement de Darmstadt. Pour échapper au danger permanent que représentaient les “jabos”, nous effectuions nos plus longs trajets de nuit. Ce jour-là, en m’approchant de Darmstadt par l’autoroute, une sentinelle me fait signe de m’arrêter, juste avant la sortie vers la ville. L’alerte maximale venait juste d’être donnée. Il n’a pas fallu longtemps pour voir, depuis l’autoroute, à cinq kilomètres de la ville, le déclenchement de gigantesques incendies. D’un coup, le ciel est passé par toutes les couleurs: bleu azur, jaune verdâtre, toutes les nuances de l’arc-en-ciel; il faisait si clair qu’on pouvait presque lire le journal.

 

“C’est du phosphore que lancent ces bandits” me dit alors un homme appartenant à la Croix-Rouge. “Et cela sur une ville où il n’y a que des hôpitaux”. “Il n’y a pas d’industrie, pas d’unités de l’armée”. “Maintenant, ajouta-t-il, vous devrez rester pour aider, avec votre voiture”. “Afin de conduire les blessés à Heidelberg. Ce n’est que là qu’on peut aider ceux qui ont été touchés par le phosphore”. Dès la fin de l’alerte, je me suis rangé dans la colonne de voitures qui suivait le véhicule de la Croix-Rouge. Nous n’avons pas pu aller plus loin que la gare. L’asphalte de la rue brûlait et dégageait des couleurs vives: du rouge, du vert, du jaune. Des frissons d’horreur me secouaient quand j’entendais hurler les femmes et les enfants: tous ceux qui ont entendu de tels cris s’en sont souvenu toute leur vie durant. Quant à ceux qui ont ordonné et fait exécuter un tel massacre, ils ne méritent plus le nom d’homme: ce sont des démons. Certains sont fiers d’avoir participé à ces massacres: où est leur conscience? Disent-ils, eux aussi, qu’ils n’ont fait qu’exécuter les ordres?

 

On désigna, pour monter dans ma voiture, une femme qui portait un enfant et tenait une petite fille par la main. Ils hurlaient de douleur. Ce n’était plus des cris, mais de véritables hurlements. J’ai demandé à l’homme de la Croix-Rouge s’il n’avait rien pour aider ces pauvres gens. “Non”, me répondit-il, “la seul chose possible, c’est de procéder à l’ablation des chairs touchées par le phosphore. Seuls ceux de la clinique universitaire d’Heidelberg peuvent le faire. Voilà pourquoi vous devez vous y rendre le plus rapidement possible”. J’ai roulé au maximum des capacités du moteur, j’ai foncé comme un fou sur l’autoroute. Je peux difficilement exprimer par des mots ce qui se passait sur la banquette arrière de mon véhicule. Pendant de nombreuses années, cette vision m’a poursuivi dans mon sommeil, a hanté mes cauchemars. Pendant le trajet vers Heidelberg, j’ai maudit intensément les responsables de cette horreur sans nom, je leur ai souhaité les pires choses, comme jamais je ne l’avais fait dans ma vie.

 

La femme ne cessait de m’implorer: “Monsieur l’officier, finissez-en. N’avez-vous donc aucun sentiment pour la souffrance de mes enfants? Donnez-moi votre pistolet, que je le fasse moi-même, si vous êtes trop lâche!”. Après ce voyage abominable, un médecin m’a expliqué combien douloureuses étaient les brûlures dues au phosphore. C’était dans la clinique d’Heidelberg. Le seul moyen, même s’il paraît extrêmement brutal, est de trancher la chair atteinte. Tenter de la “refroidir” ne sert à rien et rend les douleurs encore plus insupportables. Des brûlés au phosophore se sont jetés à l’eau, pensant soulager leurs douleurs, mais la moitié d’entre eux en sont morts ou sont devenus fous car le mal devenait alors insoutenable. De telles scènes se sont déroulées partout, mais, comme je l’ai appris à ce moment-là, ce fut surtout à Hambourg et à Dresde. “Essayez vous-même”, me dit le médecin d’Heidelberg,  “en prenant une alumette, que vous allumez, mais en la tenant contre une partie du corps avant qu’elle ne s’enflamme. Une seule seconde suffit. Vous saurez alors ce que cela signifie d’être arrosé de phosphore”.

 

Ensuite, pragmatique, il me dit : “Je vais faire nettoyer votre auto, car il est probable que vous soyez vous aussi brûlé ultérieurement par ce qu’il reste de phosphore dans le véhicule”. Je me suis alors rendu près de ma voiture et j’ai attendu, parce que je voulais savoir ce qu’il était advenu de cette femme et de ses deux enfants. La femme a dû subir une amputation des deux pieds. La fillette qu’elle avait tenue par la main a connu le même sort, parce qu’elle avait marché, elle aussi [sur l’asphalte brûlant sous l’effet du phosphore, ndt]. Le jeune enfant que la mère portait a été amputé du bras droit. L’intérieur de ma voiture était brûlé: le phosphore avait continué lentement à manger la matière, cherchant toujours plus de “nourriture” à engloutir, jusqu’à l’épuisement de sa force diabolique. On a ôté tous les sièges de ma voiture et on les a enduits d’une sorte de pâte. J’ai dû utiliser une simple chaise, dont on avait scié les pieds, comme siège de conducteur!

 

[Extrait de Jos VINKS, De memoires van Turcksin, Uitgeverij De Krijger, Erpe, s.d., 25 Euro, ISBN 90-7254-747-0].

lundi, 21 juin 2010

Fondements du nationalisme russe

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES & du CRAPOUILLOT - 1994

Fondements du nationalisme russe

 

La Russie, dans son histoire, a toujours été étrangère aux dynamiques euro­péennes. Son nationalisme, son idéologie nationale, sont marquées par un double jeu d'attraction et de répulsion envers l'Europe en particulier et l'Occident en général. Le célèbre slaviste italien Aldo Ferrari nous le rappel­le: du 10ème au 13ème siècles, la Russie de Kiev est bien inserée dans le sys­tème économique médiéval. L'invasion tatare l'arrache à l'Occident, puis la Principauté de Moscou, en se réorganisant et en combattant les résidus de l'Empire Tatar, se veut une nouvelle Byzance orthodoxe, différente de l'Oc­cident romain ou protestant. La victoire de Moscou amorce l'élan de la Rus­sie vers les immensités sibériennes. De l'avènement de Pierre le Grand au règne de Catherine II et au 19° siècle, s'opère un timide rapprochement avec l'Ouest. Pour bon nombre d'observateurs, la révolution communiste inau­gure une nouvelle phase de fermeture autarcique, de désoccidentalisation, en dépit de l'origine ouest-européenne de son idéologie, le marxisme.

 

Mais l'occidentalisation du 19° siècle n'a pas été unanimement acceptée. Dès le début du siècle, un courant fondamentaliste, romantique, nationaliste, se manifeste avec véhémence dans toute la Russie: contre les “occidentalistes”, il se veut “slavophile”. Le clivage majeur opposant la gauche et la droite ve­nait de naître en Russie, dans le sillage du romantisme allemand. Il est tou­jours vivant aujourd'hui, où le débat est de plus en plus vif à Moscou. Le chef de file des occidentalistes du 19° était Piotr Tchaadaïev. Les figures les plus marquantes du camp “slavophile” étaient Kiréïevski, Khomiakhov et Axakov. L'occidentalisme russe s'est éparpillé en plusieurs directions: libé­raux, anarchistes, socialistes. Les slavophiles développèrent un courant i­déologique reposant sur deux systèmes de valeurs: la chrétienté orthodoxe et la communauté paysanne. En termes moins propagandistes, cela signifie l'autonomie des églises nationales (“autocéphales”) et un anti-individualis­me farouche qui considèrent le libéralisme occidental, surtout l'anglo-sa­xon, comme une véritable abomination.

 

Au fil des décennies, ce dualisme va se complexifier. La gauche va, dans cer­taines de ses composantes, évoluer vers un particularisme russe, vers un so­cialisme anarcho-paysan anti-capitaliste. La droite slavophile va se muer en un “panslavisme” manipulé par le pouvoir pour assurer l'expansion russe en direction des Balkans (appui aux Roumains, aux Serbes, aux Bulgares et aux Grecs contre les Ottomans). Parmi ces “panslavistes”, le philosophe Ni­kolaï Danilevski, auteur d'une fresque historique audacieuse où l'Europe est considérée comme une communauté de peuples vieux, vidés de leurs é­nergies historiques, et les Slaves comme une phalange de peuples jeunes, appelés à régir le monde. Sous la direction de la Russie, les Slaves doivent s'emparer de Constantinople, reprendre le rôle de Byzance et construire un empire impérissable.

 

Face à ce programme de Danilevski, le philosophe Konstantin Leontiev, lui, veut une alliance entre l'Islam et l'Orthodoxie contre les ferments de disso­lution libérale que véhicule l'Occident. Il s'oppose à toute guerre entre Rus­ses et Ottomans dans les Balkans. L'ennemi est surtout anglo-saxon. La pers­pective de Leontiev séduit encore beaucoup de Russes aujourd'hui. Enfin, dans le Journal d'un écrivain, Dostoïevski développe des idées simi­laires (jeunesse des peuples slaves, perversion de l'Occident libéral) auxquelles il ajoute un anti-catholicisme radical qui inspirera notamment les “natio­naux-bolchéviques” allemands du temps de Weimar (Niekisch, Paetel, Moeller van den Bruck qui fut son traducteur).

 

A la suite de la construction du chemin de fer transsibérien sous l'énergique impulsion du Ministre Witte, émerge une idéologie pragmatique et autar­cique, l'“eurasisme” qui veut se mettre au service de l'espace russe, que ce­lui-ci soit dirigé par un Tsar ou par un Vojd  (un “Chef”) soviétique. Les idéologues “eurasiens” sont Troubetzkoï, Savitski et Vernadsky. Pour eux, la Russie n'est pas un élément oriental de l'Europe mais un continent en soi, qui occupe le centre des terres émergées que le géopoliticien britannique Halford John Mackinder appelait la “Terre du Milieu”. Pour Mackinder, la puissance qui parvenait à contrôler la “Terre du Milieu” se rendait automa­tiquement maîtresse de la planète. En effet, cette “Terre du Milieu”, en l'oc­currence la zone s'étendant de Moscou à l'Oural et de l'Oural à la Transbaï­kalie, était inaccessible aux puissances maritimes comme l'Angleterre et les Etats-Unis. Elle pouvait donc les tenir en échec. La politique soviétique, sur­tout à l'heure de la guerre froide, a toujours tenté de réaliser dans les faits les craintes du géopoliticien Mackinder, c'est-à-dire à rendre le centre russo-sibérien de l'URSS inexpugnable. Même à l'ère du nucléaire, de l'aviation et des missiles transcontinentaux. Cette “sanctuarisation” de la “Terre du Milieu” soviétique a constitué l'idéologie officieuse de l'Armée Rouge, de Staline à Brejnev. Les néo-nationalistes impériaux, les nationaux-commu­nistes, les patriotes actuels s'opposent à Gorbatchev et à Eltsine parce qu'ils les accusent d'avoir dégarni les glacis est-européens, ukrainiens, baltes et centre-asiatiques de cette “Terre du Milieu”.

 

Voilà pour les prémisses du nationalisme russe, dont les multiples va­rian­tes actuelles oscillent entre un pôle populiste-slavophile (“narodniki”, de “narod”, peuple), un pôle panslaviste et un pôle eurasien. Pour Aldo Fer­rari, le nationalisme russe actuel se subdivise entre quatre courants: a) les néoslavophiles; b) les eurasistes; c) les nationaux-communistes; d) les natio­nalistes ethniques.

 

Les néoslavophiles sont essentiellement ceux qui épousent les thèses de Sol­jénitsyne. Dans Comment réaménager notre Russie?, l'écrivain exilé aux E­tats-Unis prône une cure d'amaigrissement pour la Russie: elle doit aban­donner toutes ses velléités impériales et reconnaître pleinement le droit à l'auto-détermination des peuples de sa périphérie. Soljénitsyne préconise ensuite une fédération des trois grandes nations slaves de l'ex-URSS (Rus­sie, Biélorussie et Ukraine). Il vise ensuite la rentabilisation maximale de la Sibérie et suggère une démocratie basée sur de petites communautés, un peu sur le modèle helvétique. Les autres néo-nationalistes lui repro­chent de mutiler la patrie impériale et de propager un utopisme ruraliste, irréalisable dans le monde hyper-moderne où nous vivons.

 

Les eurasistes sont partout dans l'arène politique russe actuelle. Le philoso­phe auquel ils se réfèrent est Lev Goumilev, une sorte de Spengler russe qui analyse les événements de l'histoire d'après le degré de passion qui anime les peuples. Quand les peuples sont passionnés, ils créent de grandes choses. Quand la passion intérieure s'estompe, les peuples déclinent et meurent. Tel est le sort de l'Occident. Pour Goumilev, les frontières sovié­tiques sont intangibles mais la Russie nouvelle doit respecter le principe du pluri­ethnisme. Pas question donc de russifier les peuples de la périphérie mais d'en faire des alliés définitifs du “peuple impérial”. Goumilev, décédé en juin 1992, interprétait dans un sens laïc les idées de Leontiev: peuples turco­phones d'Asie centrale et Russes devaient faire cause commune, sans tenir compte de leurs différences religieuses. Aujourd'hui, l'héritage de Goumi­lev se retrouve dans les colonnes d'Elementy, la revue de la “nouvelle droi­te” russe d'Alexandre Douguine, et de Dyeïnn (devenu Zavtra, après l'in­terdiction d'octobre 1993), le journal d'Alexandre Prokhanov, chef de file des écrivains et journalistes nationaux-patriotiques. Mais on le retrouve aussi chez certains musulmans du “Parti de la Renaissance Islamique”, no­tamment Djemal Haïdar. Plus curieux, deux membres du staff d'Eltsine, Rahr et Tolz, sont des adeptes de l'eurasisme. Leurs conseils n'ont guère été suivis d'effet jusqu'ici.

 

Les nationaux-communistes revendiquent la continuité de l'Etat soviétique en tant qu'entité historique et espace géopolitique autonome, précise Aldo Ferrari. Mais ils ont compris que les recettes marxistes n'étaient plus vala­bles. Ils se revendiquent aujourd'hui d'une “troisième voie” où la notion de solidarité nationale est cardinale. C'est notamment le cas du chef du PC de la Fédération de Russie, Guennadi Zouganov.

 

Les nationalistes ethniques s'inspirent davantage de l'extrême-droite russe d'avant 1914, qui entend préserver la “pureté ethnique” du peuple. En un certain sens, ils sont xénophobes et populistes. Ils souhaitent le retour des Caucasiens dans leur pays et manifestent parfois un antisémitisme virulent, selon la tradition russe.

 

Le néo-nationalisme russe s'inscrit bel et bien dans la tradition nationale et s'enracine dans des corpus doctrinaux du 19° siècle. En littérature, dans les années 60, les néo-ruralistes (Valentin Raspoutine, Vassili Belov, Soloükhi­ne, Fiodor Abramov, etc.) parviennent à évincer totalement les “libéraux occidentalistes”, amorçant de la sorte une véritable “révolution conservatri­ce”, avec la bénédiction du pouvoir soviétique! La revue littéraire Nache Sovremenik  s'est faite le véhicule de cette idéologie néo-orthodoxe, paysan­ne, conservatrice, soucieuse des valeurs éthiques, écologiste. Le communis­me, disent-ils, a extirpé la “conscience mythique” et créé une “humanité de monstres amoraux”, totalement “dépravés”, prêts à accepter les mirages oc­cidentaux. Enfin, cette “révolution conservatrice” s'imposait tranquille­ment en Russie tandis qu'en Occident la “chienlit” soixante-huitarde (De Gaulle) provoquait la catastrophe culturelle que nous subissons encore. Les conservateurs russes mettaient aussi un terme au fantasme communiste du “filon progressiste de l'histoire”. Les communistes, en effet, sélectionnaient dans le passé russe ce qui annonçait la révolution et rejetaient tout le reste. Au “filon progressiste et sélectif”, les conservateurs op­posaient le “flux uni­que”: ils valorisaient du même coup toutes les traditions historiques russes et relativisaient mortellement la conception linéaire du marxisme.

 

Robert STEUCKERS.

 

Bibliographie:

- Aldo FERRARI, «Radici e prospettive del nazionalismo russe», in Relazioni internazionali, janvier 1994.

- Robert STEUCKERS (éd.), Dossier «National-communisme», in Vouloir, n°105/108, juillet-septembre 1993 (textes sur les variantes du nationalisme russe d'aujourd'hui, sur le “national-bolchévisme” russe des années 20 et 30, sur le fascisme russe, sur V. Raspoutine, sur la polé­mique parisienne de l'été 93).

- Gerd KOENEN/Karla HIELSCHER, Die schwarze Front, Rowohlt, Reinbeck, 1991.

- Walter LAQUEUR, Der Schoß ist fruchtbar noch. Der militante Nationalismus der russi­schen Rechten,  Kindler, München, 1993.

- Mikhaïl AGURSKI, La Terza Roma. Il nazionalbolscevismo in Unione Sovietico,  Il Mulino, Bologne, 1989.

- Alexandre SOLJENITSYNE, Comment réaménager notre Russie?,  Fayard, Paris, 1990.

- Alexandre DOUGUINE (DUGHIN), Continente Russia, Ed. all'insegna del Veltro, Parme, 1991. Extrait dans Vouloir  n°76/79, 1991, «L'inconscient de l'Eurasie. Réflexions sur la pensée “eurasiatique” en Russie». Prix de ce numéro 50 FF (chèques à l'ordre de R. Steuckers).

- Alexandre DOUGUINE, «La révolution conservatrice russe», manuscrit,  texte à paraître dans Vouloir.

- Konstantin LEONTIEV, Bizantinismo e Mondo Slavo,  Ed. all'insegna del Veltro, Parme, 1987 (trad. d'Aldo FERRARI).

- N.I. DANILEVSKY, Rußland und Europa,  Otto Zeller Verlag, 1965.

- Michael PAULWITZ, Gott, Zar, Muttererde: Solschenizyn und die Neo-Slawophilen im heutigen Rußland,  Burschenschaft Danubia, München, 1990.

- Hans KOHN, Le panslavisme. Son histoire et son idéologie, Payot, Paris, 1963.

- Walter SCHUBART, Russia and Western Man, F. Ungar, New York, 1950.

- Walter SCHUBART, Europa und die Seele des Ostens,  G. Neske, Pfullingen, 1951.

- Johan DEVRIENDT, Op zoek naar de verloren harmonie - mens, natuur, gemeenschap en spi­ritualiteit bij Valentin Raspoetin, Mémoire, Rijksuniversiteit Gent/Université d'Etat de Gand, 1992 (non publié).

- Koenraad LOGGHE, «Valentin Grigorjevitsj Raspoetin en de Russische traditie», in Teksten, Kommentaren en Studies, n°71, 1993.

- Alexander YANOV, The Russian New Right. Right-Wing Ideologies in the Contemporary USSR,  IIS/University of California, Berkeley, 1978.

- Wolfgang STRAUSS, Rußland, was nun?,  Österreichische Landmannschaft/Eckart-Schriften 124, Vienne, 1993.

- Pierre PASCAL, Strömungen russischen Denkens 1850-1950,  Age d'Homme/Karolinger Verlag, Vienne (Autriche), 1981.

- Raymond BEAZLEY, Nevill FORBES & G.A. BIRKETT, Russia from the Varangians to the Bolsheviks,  Clarendon Press, Oxford, 1918.

- Jean LOTHE, Gleb Ivanovitch Uspenskij et le populisme russe, E.J. Brill, Leiden, 1963.

- Richard MOELLER, Russland. Wesen und Werden,  Goldmann, Leipzig, 1939.

- Viatcheslav OGRYZKO, Entretien avec Lev GOUMILEV, in Lettres Soviétiques,  n°376, 1990.

- Thierry MASURE, «De cultuurmorfologie van Nikolaj Danilevski», in Dietsland Europa,  n°3 et n°4, 1984 (version française à paraître dans Vouloir).

 

 

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dimanche, 20 juin 2010

Octobre 1993: les événements tragiques de Moscou

moscou93.jpgSYNERGIES EUROPÉENNES

VOULOIR

OCTOBRE 1993

Les événements tragiques de Moscou

 

Communiqué de presse du comité de rédaction de VOULOIR

 

Le comité de rédaction de la revue VOULOIR déplore les événements tragiques qui viennent de se dérouler à Moscou. Il estime:

- que, dans la querelle qui oppose le Parlement à la Présidence, il n'a pas été suffisamment tenu compte des conseils modérateurs du Dr. ZORKINE, Président du Tribunal Constitutionnel russe, qui prône un équilibre entre l'exécutif et le législatif.

- que les appels du Patriarche Alexis ll, qui s'était naguère insurgé contre l'américanisation des mœurs en Russie, sont dignes d'être écoutés et devraient davantage susciter l'intérêt de nos médias.

- que la position de Gorbatchev, peu suspect de soutenir les nationalistes ou les communistes du Parlement, est aux antipodes du manichéisme de nos médias; en effet, Gorbatchev déplore, comme nous, le recours à la force et la dissolution du Parlement proclamée récemment par l'exécutif. Cette position commune de Gorbatchev, de certains parlementaires russes et de notre groupe, montre qu'on ne peut construire une démocratie ex nihilo, et que toute démocratie russe doit reposer sur les structures déjà existantes, quitte à les réformer progressivement.

 - que les événements tragiques de ces deux derniers jours sont le résultat d'une déplorable précipitation et que la libéralisation de l'économie russe aurait dû s'effectuer sur le mode chinois, comme l'ont mentionné conjointement dans un débat à Moscou, le 1 er avril 1992, Alain de BENOIST (chef de file de la "Nouvelle Droite" française), Robert STEUCKERS (Directeur de Vouloir), Edouard VOLODINE (idéologue du FSN) et Guennadi ZOUGANOV (Président du nouveau "Parti Communiste Russe"). La Chine a procédé graduellement à une libéralisation de son économie, zone après zone. C'est ce modèle que préconise le FSN, à juste titre, nous semble-t-il.

- que les responsabilités de l'immense gâchis russe incombent principalement aux protagonistes de l'idéologie libérale pure, injectée dans la société russe lors de la libéralisation des prix de janvier 1992 par l'équipe de Mr. GAlDAR. Cette libéralisation a jeté de larges strates de la population moscovite dans la plus extrême précarité.

- que la position d'ELTSlNE a été fragilisée par les événements des 2 et 3 octobre 1993, du fait que sa police n'a pas pu tenir la rue, contrairement à ce qui avait été promis solennellement, et que sa démocratie s'impose en pilonnant le Parlement, alors que ce bâtiment aurait dû demeurer inviolable envers et contre tout, servir ultérieurement d'instrument à une démocratie réformée, partant de la base, des "Conseils" élargis à tous les éléments dynamiques de la population.

- Enfin, notre comité de rédaction déplore que le sang russe ait coulé, présente ses hommages et ses respects à toutes les victimes de cette tragédie, quel que soit leur camp. Par aileurs, nous signalons que Michel SCHNEIDER, qui avait accepté d'être l'un de nos correspondants à Moscou, a été blessé à l'épaule à proximité des bâtiments de la télévision dimanche soir. Et que Mme Larissa GOGOLEVA, qui était son interprète, a été très grièvement blessée par balle au même endroit. Notre comité rend hommage au courage de cette jeune femme, tombée dans l'exercice de sa profession et rappelle qu'elle avait traduit en russe plus d'un texte émanant de nos publications.  

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vendredi, 18 juin 2010

38 ans après, la vérité sur "Bloody Sunday"

afficheBS.jpg38 ans après, la vérité sur "Bloody Sunday"

Source Le Point

via Yann Redekker

 

AFP. L'enquête publique sur "Bloody Sunday", qui désigne la mort de 14 catholiques tués le dimanche 30 janvier 1972 par l'armée britannique à Londonderry, rend mardi ses conclusions, forcément sujettes à controverse dans une Irlande du Nord encore traumatisée par son passé. 

 

Le Premier ministre britannique David Cameron présentera à 16h 30 (heure de Paris) devant le Parlement les principaux enseignements de la commission Saville sur l'un des événements les plus marquants des trente années de conflit inter-communautaire dans la province. Le secret absolu a été gardé sur le rapport qui risque de déchaîner les passions en Irlande du Nord, où les violences entre protestants unionistes et catholiques indépendantistes ont pris fin en 1998 avec l'accord de paix dit du Vendredi Saint, et où un gouvernement biconfessionnel est au pouvoir.

 

Cette enquête, confiée en 1998 au juge Mark Saville par le Premier ministre de l'époque Tony Blair, est présentée par la presse comme la plus importante de l'histoire judiciaire britannique. Son coût (230 millions d'euros) a défrayé la chronique. Lord Saville et ses assesseurs, le Canadien William Hoyt et l'Australien John Toohey, rendront un rapport épais de 5.000 pages, après avoir étudié plus de 2.500 témoignages, dont 922 exprimés oralement devant eux. Ils ont entendu l'ex-Premier ministre britannique Edward Heath, l'ancien chef d'état-major britannique Mike Jackson, ou l'actuel vice-Premier ministre nord-irlandais Martin McGuinness. Lequel a confirmé lors de son audition qu'il appartenait en 1972 à l'Armée républicaine irlandaise (IRA).

 

Le dernier témoignage a été produit en 2005, année où le rapport devait être publié. Mais le délai s'est allongé, sans qu'aucune raison ne soit vraiment donnée. Il n'est pas exclu que cet avis débouche sur des poursuites judiciaires à l'encontre de cadres de l'armée. Personne, toutefois, ne pourra être incriminé par son propre témoignage devant les juges.

 

Pas de complot politique large selon un historien      

 

Le jour du "Bloody Sunday" ("dimanche sanglant"), quatorze hommes sans armes manifestant pour la défense des droits civiques des catholiques tombent sous les balles de parachutistes britanniques. Une enquête menée sitôt les faits par un juge britannique, Lord Widgery, exonère l'armée et accrédite sa thèse selon laquelle les soldats n'ont fait que riposter à des tirs de manifestants, même si aucune arme n'a été retrouvée et aucun militaire blessé. Entré dans la culture populaire avec la chanson du groupe irlandais U2 puis le film du cinéaste britannique Paul Greengrass, le "Bloody Sunday" symbolise aux yeux des nationalistes irlandais l'arbitraire de l'ennemi britannique.

 

Quelles qu'elles soient, les conclusions de Lord Saville promettent d'être polémiques, dans une société encore divisée malgré les progrès accomplis. Elles fourniront aussi un test de la stabilité du gouvernement d'union entre protestants et catholiques. Selon l'historien Paul Bew, qui a été consultant pour l'enquête, le rapport devrait affirmer l'innocence des victimes, reconnue en 1992 par le Premier ministre britannique d'alors John Major, et établir que l'armée est en tort mais n'avait rien prémédité. "L'innocence d'une très grande majorité des tués, sinon de tous, fera partie des conclusions", prévoit-il.

 

"Il y aura aussi acceptation par l'armée britannique de son échec à maintenir la discipline ce jour-là. Au-delà de ça, (il n'apparaîtra) pas de complot politique plus large. Plus personne n'y croit." Quant aux répercussions, Paul Bew les escompte plutôt modérées. "Tout le monde continuera de croire au sujet de ces événements ce qu'il avait l'habitude de croire", considère-t-il. "Ca n'aura pas d'impact politique majeur."

lundi, 14 juin 2010

France et Bretagne en 1532

France et Bretagne en 1532

Ex: http://propos.sturiens.over-blog.com/

05 - deux peuples deux civilisationsDepuis sa conclusion, on a souvent voulu contester la validité du Traité de 1532. Lorsque la royauté fut devenue toute puissante et jusqu'à nos jours, historiens et pamphlétaires se sont efforcés, à l'envi, de présenter le contrat d'union à la France, consenti par la Bretagne, comme un acte gratuit, émanant du bon plaisir royal et ne comportant aucune condition. Celles qui y ont été attachées pour satisfaire à la demande des Etats de Bretagne réunis à Vannes, n'auraient d'autre valeur que celle d'un engagement moral, spontanément pris par les rois : les représentants de notre pays n'auraient été ni en droit, ni en mesure de traiter avec eux, et l'Acte de 1532 ne serait qu'une habile concession de François Ier, destinée seulement à éviter les troubles éventuels qui auraient pu se produire dans le pays si la requête des Etats avait été rejetée. D'autres historiens ont, en leur temps, fait justice de ces assertions, et il ne nous appartient pas d'y revenir. L'examen du droit public breton peut, à lui seul, nous convaincre de l'entière validité du contrat. Ce qui apparaît comme contestable à la lumière du seul droit public français, devient une vérité d'évidence si l'on fait appel à la notion bretonne de ce même droit.

Alors que le droit public du royaume de France confondait à cette époque, quant au roi, souveraineté et propriété, en Bretagne les deux notions étaient déjà distinctes. Pour les Bretons, le « dominium » et l'« imperium » du prince n'étaient pas confondus. Le pouvoir du duc n'était pas considéré comme absolu, et le duché n'était pas considéré comme sa chose propre. A chaque acte du pouvoir central devait correspondre la sanction populaire. Les Etats de Bretagne étaient un véritable Parlement, dont le caractère politique était très accentué, et dont on retrouve l'intervention depuis l'origine la plus reculée, dans tous les actes politiques intéressant le duché. Un acte aussi grave que celui de la réunion du duché à la couronne, s'il avait été consommé sans leur intervention, ne pouvait être que frappé de nullité absolue.

La forme du gouvernement breton était un produit spontané de la nature et de l'histoire, particulièrement bien adapté aux besoins de la Bretagne et à la mentalité de son peuple. Une conception particulière du droit, conception proprement celtique et spiritualiste, animait tous les rouages de l'administration de la justice et de l'organisation politique. On y trouve la raison de la longue et héroïque lutte de la Bretagne contre les rois de France, dont l'erreur fut, après la réunion, de considérer le peuple breton comme le reste de leur peuple, et de vouloir lui appliquer les mêmes méthodes et les mêmes lois.

L'examen de l'état politique, administratif et social de la Bretagne, au jour de la réunion, fait ressortir très vivement les différences profondes qui existaient alors entre la France et la Bretagne ; ainsi s'expliquent également les précautions multiples prises dans le traité de 1532 contre les empiétements du pouvoir royal et l'obstination avec laquelle les Bretons s'efforcèrent de sauvegarder l'intégrité de leur constitution nationale, gage de leur autonomie.

 

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En Bretagne, les rapports du peuple et du souverain, aussi bien que ceux des diverses classes sociales entre elles, étaient régis par des principes étonnamment modernes et libéraux. Aucune charte particulière, aucune constitution écrite ne les réglaient ; mais ils prenaient appui sur les principes fondamentaux du droit public breton de formation traditionnelle. La Très Ancienne Coutume de Bretagne proclamait que la législation bretonne devait être toute entière de raison.

En réalité, la confiance mutuelle qui unissait le souverain et ses sujets était le produit d'une lente évolution qui, au cours des siècles, maintint en le transformant et en l'adaptant chaque fois à des besoins plus actuels, le principe de gouvernement très libéral en vigueur dans les confédérations celtiques de l'époque préchrétienne. A l'origine, comme dans toute l'antiquité nordique, le chef suprême était élu, et les comtes ou seigneurs bretons devaient se rallier autour de lui pour combattre l'ennemi commun. Mais le roi ne pouvait lever aucun impôt, prendre aucune mesure générale sans l'assentiment des chefs réunis, le pays étant toujours plus puissant que le monarque. Lorsque les rois de Bretagne devinrent héréditaires, ce principe libéral continuera à s'appliquer, et il dominera toute la constitution bretonne jusqu'en 1532 et même jusqu'en 1789. Le roi ou le duc ne pouvait toucher à aucun intérêt public sans l'avis et le consentement des seigneurs du pays dont l'assemblée, en se transformant, devint peu à peu les Etats de Bretagne. Le roi Salomon III, aux environs de l'an 1000, fut empêché de quitter le pays par une défense formelle des seigneurs assemblés. Plus tard, le duc Jean IV fut exilé, puis rappelé par les Etats.

L'histoire bretonne est pleine de faits semblables : « Le droit fondamental du pays, dit M. de Carné, de l'aveu du prince et de ses sujets, frappait de nullité tout acte politique non ratifié par l'assentiment formellement exprimé des Etats ». Depuis le XIIe siècle, on peut suivre sans la perdre jamais de vue, la trace de l'action exercée par l'Assemblée bretonne sur tous les événements de quelque importance et sur l'orientation même de la politique du duc. Les rares conquérants de la Bretagne, ou plutôt les princes victorieux qui avaient battu ses armées, se soumettaient eux-mêmes à cette inévitable coutume des assemblées. Aussi La Borderie a-t-il pu écrire que le gouvernement breton « prend la forme de la monarchie représentative dont jouissait dès lors aussi l'Angleterre, et qui était le gouvernement le plus modéré, le plus régulier, le plus libéral sous lequel put vivre, au XVe siècle, une nation chrétienne ».

C'est dans l'attachement que portaient à leur gouvernement les différentes classes de la société bretonne que se rencontre l'explication de la longue lutte soutenue par la Bretagne contre le pouvoir central. L'élément féodal qui dans notre pays s'était développé dans sa plénitude, n'y avait pas été vicié dans son essence. La conquête n'avait pas été à l'origine des pouvoirs des seigneurs, et les « antipathies héréditaires » qu'elle avait ailleurs suscitées n'y existaient guère. Le servage, sous sa forme la plus dure et la plus cruelle, ne s'y retrouve jamais : on n'en aperçoit de traces que dans une petite partie de la Haute-Bretagne, région la plus soumise aux influences du dehors, et dans le Léon, où « l'usement de motte », dernier vestige du servage, fut aboli par François II en 1486. Dès le XIe et le XIIe siècle, les paysans pouvaient quitter la terre, la vendre à leur gré, la transmettre à leurs héritiers, se marier à leur guise, plaider librement, parfois même contre leur seigneur.

Augustin Thierry avait été frappé de ce fait lorsqu'il écrivit : « Les gens du peuple en Basse-Bretagne n'ont jamais cessé de reconnaître dans les nobles de leur pays les enfants de la terre natale ; ils ne les ont jamais haï de cette haine violente que l'on portait ailleurs aux seigneurs de race étrangère et, sous les titres féodaux de barons et de chevaliers, le paysan breton retrouvait encore les tierns et les mac-tierns des premiers temps de son indépendance ». La plupart des nobles de Bretagne, en effet, très nombreux et très pauvres, se confondaient dans leurs derniers rangs avec la population rurale. Ils en partageaient les deuils et les plaisirs, et recevaient, en nature, de leurs colons, la plupart des choses fongibles. Les colons eux-mêmes participaient à la possession du sol, puisqu'ils l'occupaient en grande partie alors à titre de « domaine congéable ». Un parfait accord attesté par les traditions, l'histoire et les chants populaires, semblait régner entre les paysans et les nobles, rapprochés par la communauté des habitudes et la simplicité de la vie. Aussi, du commencement du XIe siècle au début du XVIe siècle, ne voit-on pas en Bretagne se produire les jacqueries qui se retrouvent périodiquement en France à cette époque.

 

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Les mêmes règles familiales, le même libéralisme se retrouvait dans l'administration du pays. Une décentralisation intelligemment comprise avait donné aux cités et aux paroisses des pouvoirs très étendus d'administration. Dès la plus haute antiquité, s'affirment les libertés des communes bretonnes, et leurs franchises étaient, au XVIe siècle, inviolables. Loin de reposer sur des chartes octroyées par le bon plaisir, ou arrachées par la violence, elles dérivaient d'une évolution traditionnelle qui avait peu à peu adapté le mécanisme des antiques institutions à des nécessités plus modernes.

La coutume de Bretagne qui condense le droit public et privé du pays, est inspirée par une moralité très haute et par un idéalisme élevé. Les idées religieuses, la famille, la charité, la tolérance y tiennent une grande place. « Son caractère le plus remarquable, dit Planiol, est l'esprit de solidarité qui l'anime. On chercherait vainement ailleurs, non pas le droit, mais le même accent d'honnêteté, de bonté, le même souci non seulement de justice, mais de charité. Cette tournure d'esprit est propre à la Bretagne ». Or, ce sont également de ces principes que s'inspirait le gouvernement ducal.

La centralisation du pouvoir politique aux mains des ducs s'était opérée peu à peu ; mais l'évolution qui accroissait les droits du souverain tempérait également la puissance que les événements tendaient à lui donner, en développant les institutions politiques et administratives du peuple breton. Si dans la plupart des pays féodaux, la reconstitution de la souveraineté est passée par les mêmes phases, il est rare de voir s'accomplir ce qui s'est passé en Bretagne : un développement parallèle et harmonieux des pouvoirs du duc comme des droits de ses sujets. L'évolution a tendu dans les pays centralisateurs, en France en particulier, à faire disparaître entièrement les franchises féodales et les libertés qu'elles garantissaient aux seigneurs comme à leurs vassaux, aux bourgeois comme aux artisans : en Bretagne, au contraire, l'évolution n'a dépouillé ces franchises et ces libertés que de ce qu'il y avait en elles d'anarchique et d'inconciliable avec un gouvernement qui devait obéir à des nécessités plus modernes. Elle en a conservé le meilleur : l'esprit de ces antiques institutions nordiques qui fut toujours le frein le plus efficace à l'établissement du despotisme et de la servilité. Le résultat fut un remarquable développement de l'esprit public dans toutes les classes de la nation. Les admirables résultats pratiques que donnaient les méthodes administratives si humaines du gouvernement breton venaient encore consolider l'inébranlable attachement du peuple à sa constitution politique et à sa liberté.

La prospérité du pays, favorisée par la modération des charges publiques s'était affirmée particulièrement sous le règne du duc Jean V, administrateur éclairé, qui a laissé une œuvre législative considérable. Essentiellement décentralisateur, le gouvernement breton favorisait l'accomplissement de grands travaux publics, mais il laissait à la ville ou à la région intéressée toute liberté d'action. Loin d'entraver l'initiative privée, il la favorisait de tout son pouvoir, subventionnant même les entreprises qui présentaient le caractère d'entreprises nationales. Mais si l'Etat Breton se renfermait dans son rôle de défenseur des intérêts publics, et répudiait tout monopole, il ne laissait pas agir sans contrôle les fermiers des impôts et les grandes entreprises. Il estimait que son premier devoir était de surveiller toutes les branches de l'activité nationale et de réprimer les abus : ce fut le principe administratif de tous les souverains bretons. Jean V, en particulier, intervint fréquemment pour réprimer les exactions et faire rendre à ses sujets une bienveillante justice. Déjà le duc Pierre II avait organisé l'assistance judiciaire gratuite. Pour statuer sur les réclamations auxquelles donnait lieu l'impôt des fouages, Jean V envoyait sur place un de ses agents avec cette mission : « Faites ainsi que vous verrez qu'il sera à faire de raison, en forme que pour le temps à venir elle se puisse perpétuer au mieux pour le profit de nos sujets ». Les litiges étaient ainsi réglés sur place, selon une situation de fait précis, et non selon des textes, démontrant une fois de plus la supériorité de la coutume sur la règle latine du droit écrit.

Les ordonnances de Jean V dénotent souvent aussi des conceptions économiques et sociales très audacieuses pour l'époque. Parmi celles-ci, l'ordonnance de 1425, sur l'administration générale du pays, discutée et approuvée par les Etats à Vannes, fut le point de départ d'une véritable révolution économique, qui donna à la Bretagne une longue avance sur toutes les autres nations. Elle réservait pour l'industrie et la consommation locale certains produits de première nécessité, établissait un service de répression des fraudes, instituait l'unité de poids et mesures, fixait le minimum de salaire pour les ouvriers de l'industrie.

Toutes ces mesures adaptées aux besoins du pays déterminèrent une ère de prospérité incomparable. Aussi le bon chroniqueur Alain Bouchard, sans exagérer beaucoup, pouvait-il écrire au moment de la réunion à la France, que la Bretagne « florissait en toutes prospérités, qu'il n'était de petit village où l'on ne put trouver de la vaisselle d'argent » ; que la Bretagne « est un véritable paradis terrestre, alors que le royaume de France est en telle misère que l'on n'y peut trouver refuge de sûreté ».

 

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Fière de sa liberté, calme et forte, la Bretagne portait donc à ses antiques institutions un attachement profond et légitime. Aussi, nous dit l'aumônier de la reine Anne : « Quand les Bretons connurent que le roy de France les voulait de fait appliquer à lui et les régir selon ses lois, lesquelles ne s'accordaient pas aux leurs, parce qu'ils avaient toujours été en liberté sous leurs princes, et ils veoient les Français comme serfs chargés de maints subsides, ne voulant obtempérer à l'intention du roy, commencèrent à faire monopolle et eurent conseil ensemble de se défendre ».

Ce passage résume admirablement les raisons de la répugnance de toute la Bretagne pour l'union définitive avec le royaume de France. Le fait de la réunion n'était rien : la cause française avait de nombreuses sympathies dans le peuple comme à la cour. Mais les Bretons, comme jadis, craignaient les lois du roi de France et tenaient à conserver les leurs.

L'opposition dernière qui se manifesta aux Etats de 1532 ne se basait pas sur d'autres arguments. Aussi l'Acte d Union fut-il, en plus d'une nécessité constitutionnelle, acte de grande sagesse politique de la part du roi de France. Le souverain français paraissait aussi rester un duc de Bretagne en même temps qu'un roi de France. Si la souveraineté extérieure de la nation bretonne disparaissait, la Bretagne n'en paraissait pas moins garder sa liberté intérieure, son régime politique et administratif, ses coutumes particulières. Et pour les Bretons, particulièrement respectueux de la parole donnée et très sensibles au sentiment de l'honneur, la violation du serment solennel prêté par une personne royale à chaque début de règne, de respecter les institutions et les lois de la province n'était pas concevable.

Mais l'acte d'Union de 1532, ainsi conçu, malgré les nombreuses précautions qu'il prenait, devait-il conserver intégralement à la Bretagne les favorables institutions qui la régissaient ? La France, d'ailleurs, pouvait-elle lui sauvegarder, avec l'esprit libéral qui animait leur gouvernement, les résultats particulièrement heureux de la politique des ducs ?

En fait, le traité de 1532 conserva à la Bretagne, jusqu'en 1789, l'essentiel des libertés qui lui étaient si chères. Mais ce ne fut que grâce à l'exceptionnelle opiniâtreté de son peuple, dont l'esprit de résistance au pouvoir central se manifesta constamment, et parfois de façon violente, au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Les luttes que la Bretagne eut à soutenir étaient la conséquence des frictions inévitables qui devaient se produire entre deux peuples de régime et de tempérament différents, entre deux nations dont l'évolution politique s'était faite selon des principes opposés.

Les institutions de la Bretagne, la forme constitutionnelle et parlementaire de son gouvernement, l'accord harmonieux qui continuait d'y régner généralement entre les classes sociales, montrent que dans ce pays les transformations du droit public s'étaient faites pour le peuple, sinon pour et par lui. Le duc ne peut d'abord rien sans l'approbation des seigneurs, puis ensuite sans l'approbation des Etats, dont l'organisation progressive tend à donner une image de plus en plus fidèle de la nation.

Ce fut de très bonne heure au contraire que ces principes disparurent en France. La politique de la puissante maison capétienne a toujours été de faire de la France une monarchie absolue, qui deviendrait le centre de l'Europe, la plus forte nation d'occident. Pour réaliser ce projet, que  nous appellerions aujourd'hui impérialiste, poursuivi par les rois de France, de règne en règne avec une remarquable et surprenante opiniâtreté, il fallait de toute nécessité abattre ce vieil esprit d'indépendance et de liberté, héritage celtique, qui se traduisit à l'époque médiévale par le régime féodal. Philippe Auguste, en attaquant les bases de ce régime, Philippe le Bel en livrant les coutumes nationales à la merci de ses légistes, furent les véritables fondateurs de l'absolutisme royal en France. Dès ce jour les juristes, épris de droit romain, vont s'efforcer non seulement de justifier les actes de la royauté, mais aussi de leur donner toute apparence de légitimité et de justice.

Et le picard Beaumanoir proclame : « Le roi est souverain par-dessus tout et a, de son droit, le général garde du royaume, pourquoi il peut faire tel établissement comme il lui plaît, pour le commun profit et chi il établit, i doit être tenu ». Alors qu'en Bretagne l'évolution politique continua d'obéir à cette maxime : « Lex fit consensu populi et constitutione regis », en France elle se fît sur ces paroles qui « faisaient bouillir le sang breton de notre illustre d'Argentré » : « Le roi ne tient fors de Dieu et de son épée, ce qui li plest à fère doit estre tenu par loi ». Cette phrase fut, depuis Philippe le Bel, l'évangile de tous les « politiques » du royaume de France.

 

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Ce système, érigé en raison d'Etat, réclamait l'asservissement du peuple et la disparition de toutes les existences particulières. Bientôt la domination temporelle ne suffit plus. L'unification politique, presque complètement achevée lors de la réunion de la Bretagne à la France, ne faisait que précéder l'unification administrative. La difficulté de gouverner un royaume aussi étendu et aussi varié, dans ses institutions et dans ses lois, les nécessités nouvelles nées des guerres continuelles entreprises pour obéir à l'ambitieuse pensée des rois, obligeait le pouvoir central à une sévérité et à un despotisme accru vis-à-vis des collectivités comme des individus. Ainsi disparurent une à une les libertés coutumières, nées spontanément au cours des siècles, témoignages de l'effort collectif des générations, et fruits de leurs longues aspirations vers le bien du peuple et le libre gouvernement de la cité. Corporations, provinces, ordres, classes et toutes institutions particulières, furent transformés en organismes administratifs froids et rigides, d'où toute évolution était désormais exclue.

Les princes et leurs conseillers, préfaçant les initiatives révolutionnaires, en diffamant le passé, s'efforcèrent d'éteindre parmi leurs peuples tous les souvenirs d'indépendance légués par leurs ancêtres. Tout ce qui ne tenait pas à l'Etat fut calomnié, insulté, déshonoré par les historiographes et les légistes de cour. Tout ce qui était antérieur au grand roi passa pour entaché de barbarie et les dernières paroles de Louis XIV consacrèrent l'ultime et ambitieuse pensée qui, malgré tout, devait créer la France. « Les peuples sont nés pour obéir sans discernement, et les rois pour posséder tout et commander à tout ».

En face de cette conception, la lutte acharnée que soutint la Bretagne contre les exigences des rois les plus absolus, personnifia la résistance du vieil esprit celtique, avide d'indépendance et de liberté qui s'était conservé chez les Bretons. C'était l'esprit d'une civilisation particulière, une conception morale et philosophique du droit qu'il fallait défendre, d'un droit qui plaçait le bien du peuple au-dessus de tout, et pour qui la justice n'était pas suffisante car il fallait encore faire une place à la bienveillance et à la charité. Aussi, en face de conceptions inverses et du dogme de l'Etat-Dieu qui commençait à naître et dont nous souffrons aujourd'hui plus que jamais, des luttes parlementaires violentes et parfois des révoltes sanglantes opposèrent jusqu'à la Révolution la nation bretonne à la royauté française.

C'est ce divorce de conceptions, d'idées et de tempéraments entre les deux races, qui entretint pendant près de trois siècles entre la Bretagne et la France cette mésintelligence marquée par de terribles conflits. De nos jours encore, sous des manifestations et des modalités diverses, et à une époque où l'on parle depuis longtemps déjà du droit des peuples, la même lutte se perpétue. Mais c'est aussi dans ces mêmes dissemblances entre l'esprit français et l'esprit breton que l'on peut trouver la raison de cette incompréhension et parfois de cette hostilité sourde que l'on rencontre souvent encore dans tous les milieux, vis-à-vis de la Bretagne.

Yann Kerberio.

 

STUR n° 9 Avril 1937

Le Koweit appartient-il à l'Irak?

 

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1991

 

Le Koweit appartient-il à l'Irak?

Quelques rappels historiques

 

par Franz KARG von BEBENBURG

 

Pour pouvoir juger sereinement la vo­lonté irakienne de conserver le Ko­weit, il faut savoir analyser les faits historiques. La Mésopotamie, soit le pays sis entre les deux fleuves que sont le Tigre et l'Euphrate, a toujours eu un destin changeant. Son histoire récente commence sous les Sas­sa­ni­des. De 226 à 651, la Mésopo­tamie était la région centrale de l'Empire per­se. Sous les Abas­sides, entre 750 et 1258, elle a été le centre du mon­de islamique, jusqu'au moment où elle a été conquise par les Mongols. Au début du 16ième siècle, elle re­devient perse. De 1638 à 1918, elle est turque. De 1915 à 1917, elle est envahie par les troupes britanniques. Au Traité de Sèvres, l'Angleterre ob­tient cette région et la place sous man­dat. Les choses reste­ront telles jusqu'en 1921. Pour leur part, les Fran­çais reçoivent un man­dat sur la Sy­rie et le Liban. En 1921, les Bri­tan­niques hissent le roi Fayçal 1er sur le trône de l'Irak mais politi­quement, militairement et économi­quement, le pays reste sous la coupe des Anglais.

 

Après plusieurs révoltes et putsch (1936, 1941, 1952), une révolution ren­verse la monarchie le 14 juillet 1958; le roi, sa famille et tous les mem­bres du gouvernement sont mas­­sacrés. Le Général Kassem prend la tête du nouveau gouvernement et y reste jusqu'au jour où, en 1963, un putsch d'officier le renverse et le fait fusiller. Son successeur Aref reste au pouvoir jusqu'en 1968, quand une ré­volution organisée par le Parti Baath porte au pouvoir Sayyid Hassan al-Bakr. Celui-ci renonce au pouvoir en 1979 pour laisser la place au Général Saddam Hussein qui cumule les fonc­tions de Président et de Chef du gou­vernement.

 

L'histoire de l'Emirat du Koweit est plus courte, du moins pour ce qui con­cerne sa structure étatique ac­tuelle. A partir de 1648, le Koweit est partie intégrante de l'Empire Otto­man. En 1775, les Anglais y fondent une mission commerciale. La ville de Ko­weit, d'importance économique nul­le, est resté jusqu'en 1950 une pe­­tite bourgade portuaire le long d'une côte désertique, torride et ne re­cevant preque aucune précipitation. Située à l'extrémité nord-ouest du Gol­fe Persique, elle a acquis progres­sivement de l'importance pour les Bri­tanniques parce qu'elle devait de­venir le terminus de la fameuse ligne de chemin de fer Berlin-Bagdad, la­quelle aurait offert à l'Empire Otto­man une voie commerciale de pre­miè­re importance; à l'aide de capi­taux allemands, [suisses et français], les autorités turques commencent la construction de la ligne en 1903. Elle n'arrivera à Bagdad qu'en 1940. Pour contrer ce projet [qui, à leurs yeux, menaçait la route des Indes], les Bri­tanniques déclarent le Koweit pro­tec­­torat de la Couronne en 1889 et dé­ploient toute leur énergie pour que la ligne n'atteigne pas les rives du Gol­fe. En 1961, le Koweit accède à l'in­dépendance et, malgré les protes­tations de l'Irak qui considère que cet­te région lui appartient, adhère à la Ligue arabe. Le nouveau pays est ain­si reconnu comme un Etat arabe à part entière. En juillet 1977, Irakiens et Koweitiens se mettent d'accord sur le tracé définitif de leur frontière, échangeant entre eux quelques ban­des de territoire. Bandes de terri­toire qui poseront problème en cas d'éva­cuation du Koweit par les troupes ira­kiennes.

 

D'après la constitution de 1962, le Koweit est un émirat héréditaire. Le chef de l'Etat est le Cheik. Il gou­verne le pays autocratiquement de­puis la dissolution en 1976 de l'As­sem­blée Nationale. Jusqu'au mo­ment de son expulsion par les soldats de Sad­dam Hussein en août 1990, le Cheik Al Ahmed Al Sabah, âgé de 64 ans, vivait dans son palais luxueux avec ses 70 femmes et sa progéniture de plus de 60 enfants. Le palais comp­tait 200 chambres. L'écurie de cet intéressant personnage comptait 14 avions privés, 10 Rolls-Royce, 15 Cadillac et une flotte de limousines Mer­cédès. Le confort de cette sym­pa­­thique famille était assuré... La mi­sé­ricorde d'Allah octroyait à ce bon Cheik quelque 44 millions de DM par jour. Ses petites économies person­nelles se chiffreraient à environ 310 milliards de DM (un petit trois et neuf petits zéros). Très soucieux de la bonne santé de son peuple, notre bra­ve rentier et homme d'affaires a in­vesti 300 de ces 310 milliards à l'étranger. Des 2 millions d'habitants que compte son pays, 500.000 seu­le­ment sont citoyens koweitiens de sou­che arabe. La grande majorité des autres, 1,5 million de personnes, sont des travailleurs immigrés, des spé­cialistes ou des ingénieurs occi­den­taux qui travaillent dans les raffi­neries et l'exploitation pétrolières. Ils n'ont qu'un seul droit: se taire. Les partis y sont interdits. Ce n'est donc pas une démocratie que les Améri­cains vont aller sauver des griffes d'un méchant fasciste.

 

Sans le coup de force perpétré par les Anglais en 1889 contre les Otto­mans et sans le pillage systématique du Moyen Orient commis par les Fran­çais et les Anglais après 1918, il n'y aurait ni Irak, ni Syrie, ni Liban, ni Koweit. La Jordanie, elle aussi, est une création britannique datant de l'im­médiat après-Versailles. Au dé­part, elle se composait de la Palestine et de la Transjordanie, que les bu­reaux londoniens ont préféré séparer en 1923. Sur les plans géopolitique et ethnique, le petit espace territoriale koweitien appartient à la Mésopota­mie, donc à l'Irak. D'autant plus que le Koweit est le port naturel de la Mésopotamie. Si les Britanniques n'é­taient pas intervenu et si l'on n'y avait pas découvert du pétrole en 1938, la bourgade de Koweit et la ré­gion aux alentours seraient demeu­rées irakiennes. Peut-on dire que Sad­dam Hussein a profité de l'atmos­phère réunioniste qui règnait en Al­le­magne à la veille de la réunifi­cation formelle du 3 octobre, pour essayer son propre Anschluß, d'autant plus que ni les Russes ni les Améri­cains ne s'opposaient plus aux désirs du peu­ple allemand? Pourquoi les Etats-Unis et l'URSS ont-ils accepté la réu­ni­fication allemande et refusé la réu­ni­fication de la Mésopotamie? Sans dou­te parce que le lobby sioniste s'y est opposé. Ce qui explique pour­quoi l'«opinion publique internatio­nale» a été mise en alerte. Et mobili­sée contre l'Irak.

 

Franz Karg von Bebenburg.

(extrait de Mensch und Maß, 1991/2; adresse: Verlag Hohe Warte, Ammer­seestr. 2, D-8121 Pähl).    

 

samedi, 12 juin 2010

The Grand Strategy of the Byzantine Empire

luttwak.jpgThe Grand Strategy of the Byzantine Empire

"In this book, the distinguished writer Edward Luttwak presents the grand strategy of the eastern Roman empire we know as Byzantine, which lasted more than twice as long as the more familiar western Roman empire, eight hundred years by the shortest definition. This extraordinary endurance is all the more remarkable because the Byzantine empire was favored neither by geography nor by military preponderance. Yet it was the western empire that dissolved during the fifth century. The Byzantine empire so greatly outlasted its western counterpart because its rulers were able to adapt strategically to diminished circumstances, by devising new ways of coping with successive enemies. It relied less on military strength and more on persuasion--to recruit allies, dissuade threatening neighbors, and manipulate potential enemies into attacking one another instead. Even when the Byzantines fought--which they often did with great skill--they were less inclined to
destroy their enemies than to contain them, for they were aware that today’s enemies could be tomorrow’s allies. Born in the fifth century when the formidable threat of Attila’s Huns were deflected with a minimum of force, Byzantine strategy continued to be refined over the centuries, incidentally leaving for us several fascinating guidebooks to statecraft and war.

"The Grand Strategy of the Byzantine Empire is a broad, interpretive account of Byzantine strategy, intelligence, and diplomacy over the course of eight centuries that will appeal to scholars, classicists, military history buffs, and professional soldiers."

Edward N. Luttwak, The Grand Strategy of the Byzantine Empire, Cambridge, MA, Harvard University Press, 2009.

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Le Japon: le succès d'une "voie prussienne"

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1993

Le Japon: le succès d'une «voie prussienne»

 

par Josef SCHÜSSLBURNER

 

Né en 1954, Josef Schüßlburner est diplômé en sciences juridiques des universités de Ratisbonne et Kiel. Il a été conseiller scientifique auprès de la chaire de droit des peuples et des Etats de l'Université de Saarbrücken. Depuis 1985, il est fonctionnaire de l'administration de la RFA. De 1987 à 1989, il a travaillé à New York auprès du département juridique de l'ONU à titre d'enseignant pour la codification du droit des gens. Il est un collaborateur assidu de la revue munichoise Criticón, dont ce texte magistral sur les rapports germano-nippons est extrait. 

 

Lorsque nous atteignons un point de vue supérieur, notre regard balaye l'horizon. La fumée monte très haut. Les foyers du peuple montrent et prouvent son bien-être (1).

Nintoku Tenno (IVième/Vième siècles)

 

samourai21.jpgUne guerre entre les Etats-Unis et le Japon est-elle imminente? On peut l'admettre surtout si l'on lit l'analyse de Friedman et LeBard (The Coming War with Japan).  Cet ouvrage est important car il n'est pas l'une de ces innombrables études qui entendent faire violence au passé japonais. C'est un livre qui cherche à comprendre les motivations de la politique japonaise qui ont conduit, il y a 52 ans, à Pearl Harbour. Le Japon, en déclenchant cette attaque, avait espéré monter la population américaine contre la politique de son Président, qui enfreignait les règles de la neutralité (2). Mais le Japon n'a pas réussi son coup: au contraire, il est tombé dans le piège que lui tendait Roosevelt. Nous, Allemands, ne devrions pas négliger les analyses sérieuses, qui prévoient un conflit entre Américains et Japonais, car les hommes politiques anglo-saxons considèrent les termes «Allemands» et «Japonais» comme interchangeables. J'en veux pour preuve la préface d'Edward Seidensticker au livre de J. Taylor, Shadows of the Rising Sun - A critical View of the «Japanese Miracle».  Dans cette préface, on peut lire: «Nos anciens ennemis, les Allemands et les Japonais, semblent être les peuples qui, pour nous, sont les plus difficilement insérables dans un système». Réflexion curieuse, surtout pour ceux qui se sont contentés de lire l'ouvrage de Büscher et Homann, Japan und Deutschland,  qui défendait la thèse que les deux pays étaient de bons élèves des Etats-Unis. S'il était exact que le succès économique japonais découlait en droit ligne des quelques années de régime militaire américain, alors les Philippines auraient dû devenir la grande puissance dominante du Pacifique, puisqu'elles ont bénéficié pendant plus d'un demi-siècle d'une administration américaine! Soyons sérieux: ce qui inquiète les hommes politiques américains face aux succès économiques du Japon (et partiellement aussi de l'Allemagne), c'est le fait que ce succès contredit certaines prémisses idéologiques et que, par conséquent, le Japon ne peut entrer dans un système pensé à l'américaine.

 

L'exemple prussien

 

Jusqu'à présent, le Japon est le seul pays non-européen qui a réussi à créer une société industrielle et productiviste (progressivement, les anciennes colonies japonaises y arrivent aussi, comme Taïwan et la Corée du Sud, ou son allié de la seconde guerre mondiale, la Thaïlande). C'est dû au modèle que les Japonais ont adopté, en l'occurrence le modèle prussien.

 

En 1853, les Japonais avaient pris conscience de leur retard militaire et technologique, à l'arrivée des canonnières américaines. Un danger les menaçait, à l'instar de toutes les autres puissances asiatiques: être contraints d'accepter des traités inégaux, qui les auraient conduits à s'endetter vis-à-vis de l'extérieur, à faire gérer leur dette par l'étranger et à admettre que les clauses de ces traités soient réalisées à coups de canon. Il ne leur restait plus qu'une solution: accepter une politique de modernisation à l'européenne afin de renforcer leur propre puissance et avoir ainsi au moins une chance de se développer. Les intellectuels japonais se sont mis à étudier intensément les institutions des pays européens, jugés plus performants. Leur intention première était de les concilier, dans la mesure du possible, avec les traditions japonaises. Pour les institutions de base que sont la constitution et la chose militaire, ils ont étudié la Prusse, dont ils considéraient les institutions comme conciliables. L'œuvre des juristes allemands Hermann Roesler (1834-1894) et Albert Mosse (1848-1925) a été déterminante dans l'élaboration de la Constitution de l'Ere Meiji (3), appliquée à partir de 1889. Sur le plan idéologique, cette constitution reposait sur les conceptions de l'Etat de Rudolf von Gneist et Lorenz von Stein, qui avaient reçu la visite, à Berlin et à Vienne en 1882 et 1883, des deux conseillers de l'Empereur, Hirobumi Ito et Kowaski Inoue, chargés d'élaborer la constitution. Gneist et Stein représentaient les conceptions de l'Etat-Providence du XVIIIième siècle, plus exactement les conceptions de la monarchie sociale, qui visaient à créer les conditions institutionnelles sur base desquelles le libre jeu des forces sociales, voulu par les libéraux, débouchaient ou devait déboucher sur un ordre social juste. Bismarck était un représentant de cette tendance, d'autant plus que Gneist (4) avait été le porte-paroles de l'opposition libérale lors du fameux «conflit du budget», qui avait animé le parlement prussien, et avait ainsi représenté la droite; par la suite, Gneist était devenu l'un des protagonistes les plus décidés de la politique bismarckienne (ce qui n'était nullement contradictoire).

 

En important la constitution prussienne de 1850 (et non la constitution allemande de 1871, comme on l'affirme quelque fois pour diffamer cette dernière), les constitutionalistes japonais instituaient un Parlement composé de deux chambres, soit une chambre de l'aristocratie (pour laquelle l'ancienne caste dirigeante a été divisée en cinq catégories) et une chambre des représentants, élus selon un mode de suffrage censitaire, déterminé par le paiement d'un certain montant d'impôt (en 1925, les Japonais passent au suffrage universel limité aux hommes). Le pouvoir législatif était concentré dans les mains de l'Empereur, mais celui-ci ne pouvait l'exercer qu'en accord avec le parlement. Ce dernier fixait également le budget de l'Etat. Dans le cas où le budget n'était pas accordé, l'administration avait pour tâche de reconduire le budget de l'année précédente. C'est de cette façon que Roesler a tenté de résoudre au Japon le «conflit du budget», qui avait tant agité la Prusse!

 

Conformément à la structure présidentielle de la monarchie constitutionnelle, la nomination des ministres n'avait pas besoin de l'accord du Parlement, ce qui n'empêcha pas l'avènement de gouvernement de partis dans les années 20 de notre siècle. Le pouvoir suprême était aux mains de l'Empereur qui ne pouvait l'exercer que dans le cadre de la constitution. Les règles de fonctionnement du Conseil d'Etat, instance secrète, du Cabinet et du Parlement limitaient de façon drastique le pouvoir direct de gouverner dont disposait l'Empereur dans le Japon traditionnel, ce qui constituait  —cela va sans dire—  une innovation extraordinaire. Ces règlements ont été introduits en même temps qu'un droit prévoyant de gouverner dans une très large mesure par ordonnances et décrets, dépassant nettement, dans ce domaine, le modèle prussien. Ce droit fit du Japon un Etat administratif qui permit, en concordance avec l'éthique politique confucianiste, de construire et d'organiser dans de très brefs délais un Etat moderne. En introduisant le droit constitutionnel prussien, les Japonais adoptaient aussi le droit civil et le droit commercial allemands, auxquels l'Allemagne actuelle doit l'essentiel de sa santé économique.

 

Le Japon a d'abord tenté d'organiser son armée sur le modèle français, car le mythe napoléonien était toujours vivace. Mais le général prussien Jacob Meckel (5), devenu célèbre par son livre intitulé Elemente der Taktik  qui lui avait valu l'estime de Moltke, persuada les Japonais d'abandonner cette option. Sur la recommandation de Moltke, Meckel est devenu leur conseiller et les convainquit de parfaire leur réforme militaire selon le modèle prussien. La victoire militaire allemande en 1870/71 a terni l'image de la France dans le monde et aidé indirectement Meckel dans la réalisation de son projet.

 

Quelles sont les raisons profondes qui ont motivé cette orientation prussienne? Pour répondre à cette question, nous devons tout d'abord nous rappeler que le Japon a pu adopter avec succès des modèles européens parce que, comme l'étude de son histoire nous le montre, des institutions et des idées y ont émergé, qui correspondaient étonnamment à celles nées en Europe occidentale (6), dans un contexte religieux et spirituel toutefois radicalement différent. Pour citer quelques exemples (7): le moine zen Takuan (1573-1645), une sorte de Calvin japonais, développe une doctrine bouddhiste de la prédestination, associée à une morale pratique des affaires; quant au moine Shosan Suzuki (né en 1579), il fut une sorte d'Adam Smith japonais, qui démontra que la morale pratique des affaires était un principe bouddhique, valorisant du même coup la caste des marchands, dont la fonction principale serait de créer de la liberté en offrant des marchandises.

 

Les Japonais qui, pendant des siècles ont observé au sein des autres cultures tous les phénomènes qui leur semblaient apparentés à leurs propres institutions pour les mobiliser au profit du Japon, ont été essentiellement motivés, à mes yeux, par le rapport tacite qui existait entre les vertus dites «prussiennes», telles la gestion efficace et non partisane des fonctions étatiques et l'Etat fondé sur un ordre

 

Le Japon est par ailleurs le seul pays du monde bouddhiste où s'est opérée une transformation des valeurs monachistes en valeurs militaro-bureaucratiques, comme en Prusse, où c'est l'Etat de l'Ordre des Teutoniques qui est devenu l'Etat prussien. Ainsi, au Japon, le bouddhisme, non guerrier, est devenu la religion de la caste des chevaliers, les samouraïs, dont l'existence même présente une analogie frappante avec l'Europe occidentale. Cette transformation a eu lieu à la période Kamakura (1192-1333), soit à une époque où, en Europe, apparaissait la chevalerie croisée. A cette période, au Japon, se renforce la parenté spirituelle entre le chevalier et le moine, deux figures en quête du dépassement de soi, c'est-à-dire deux figures qui tentent de surmonter la peur de la mort, de freiner les tendances humaines, trop humaines, vers la décadence et l'oubli des devoirs.

 

Quand le Japon commence à se doter d'une industrie, qui, dans un premier temps, est principalement une industrie militaire ou, au moins, une industrie liée au secteur militaire, cette discipline et ces vertus monachiques-guerrières se transforment en culte de la prestation industrielle (8). De cette façon, le Japon a pu se donner les hommes capables de lui construire des navires de guerre et des avions. Le progrès technique qui, de cette façon, prend aussitôt son envol, permet au Japon de refuser les traités inégaux qu'on lui avait imposés, ainsi que la juridiction spéciale des consulats qui impliquait l'extraterritorialité des Européens résidant au Japon et pouvait toujours donner prétexte à des interventions militaires des puissances étrangères, soucieuses de «protéger» leurs ressortissants. Le Japon pouvait dès lors réclamer l'égalité en droit face aux puissances européennes et son droit à disposer d'un empire colonial. Tous les autres Etats non européens, anciennes grandes puissances mondiales, comme la Chine, la Turquie, l'Egypte (9) ou l'Inde (10), qui n'ont pas réussi une réforme de leur armée, prélude à une industrialisation moderne, ont été maintenu dans un stade pré-industriel misérable.

 

La constitution de MacArthur

 

Quand l'on garde à l'esprit tous ces préludes historiques, on peut s'imaginer le choc ressenti par les Japonais en 1945 quand débarquent au Japon les soldats de la puissance qui, en 1853 déjà, avait menacé le Japon d'une invasion. Les Japonais avaient mobilisé tous leurs efforts pour échapper au statut colonial (11) et ils risquaient de le subir, après avoir succombé face à la coalition de l'URSS, de l'Empire britannique et des Etats-Unis, qui, un moment agités par un racisme aussi fou que missionnaire, avaient décidé de démocratiser le Japon et de le maintenir au niveau des pays sous-développés d'Asie. Selon toute vraisemblance, les Américains jugeaient que de tels procédés et de tels objectifs étaient acceptables et réalisables, ce qui nous permet de nous demander aujourd'hui comment on a pu les qualifier de «démocratiques».

 

Heureusement pour le Japon, la guerre froide éclata très vite et l'archipel nippon devait servir au moins de point d'appui industriel. Ensuite, le Japon a eu, en la personne de MacArthur, un administrateur militaire conservateur qui a mis directement un frein aux velléités des «rééducateurs» américains qui cherchaient à expérimenter une «révolution sociale» (12). MacArthur a tout de suite compris qu'une administration militaire correcte, capable d'éviter tout désordre, ne serait possible que si la puissance occupante ne touchait pas à la personne du Tenno et ne mettait pas en pratique les fantaisies exterministes qu'avait véhiculées la propagande de guerre. MacArthur refusa ainsi d'appliquer toutes les mesures que l'Amérique en guerre avait envisagé de prendre contre l'Empereur et se contenta de faire pendre les généraux qui lui avaient infligé des défaites aux Philippines, ainsi que le Premier Ministre, ce qui avait indigné Churchill (13), partant très logiquement du principe que, dans ce cas, on pouvait également lui faire un procès et l'envoyer au gibet.

 

Conformément aux principes du droit des gens, le gouvernement japonais est demeuré en exercice et la nouvelle constitution japonaise a pu voir le jour en conservant une filiation immédiate avec les principes de la constitution Meiji, si bien que l'on peut dire que la constitution Meiji est encore formellement en vigueur. Les libéraux japonais (14), c'est-à-dire ceux qui sont libéraux au sens américain du terme et se distinguent des libéraux-démocrates nippons, doutent du caractère démocratique de cette constitution. En effet, disent-ils, à cause des conditions imposées par la capitulation, l'acceptation par la chambre des aristocrates (qui se supprima elle-même en acceptant) de la nouvelle constitution et la sanction du Tenno n'ont eu qu'un caractère formel. Cette critique de la gauche libérale conduit à un curieux jugement de valeur, que l'on rencontre aussi en Allemagne, qui veut que les réformes introduites par la caste dirigeante du pays (comme par exemple le droit de vote démocratique pour le Reichstag) sont soupçonnées de fascisme, tandis que les régimes militaires étrangers sont considérés comme des garanties de démocratie!

 

La constitution de MacArthur, comme l'appellent ses critiques, a été jugée de façons très diverses. D'une part, elle semblait si libérale, qu'on pouvait se dire que même les Américains ne l'auraient pas acceptée (15), ce qui est juste, dans la même mesure où la Grundgesetz  ouest-allemande ne pourrait faire consensus aux Etats-Unis (16) pour divers motifs, parfaitement compréhensibles d'un point de vue conservateur. Par ailleurs, cette constitution a été contestée parce qu'elle constituait une nouvelle mouture de la constitution Meiji  —et MacArthur l'avait perçue ainsi. Des juristes japonais, qui veulent être lus en Occident, tentent évidemment d'en donner une interprétation «occidentaliste», décrivant toutes les décisions de la majorité parlementaire et des tribunaux japonais comme autant de renforcements du «militarisme» ou du «nationalisme». Cela leur assure un public de lecteurs étrangers (17).

 

Quoi qu'il en soit, le Japon a réussi à pratiquer sa nouvelle constitution dans le sens de la constitution dont elle est la continuité en termes formels. Preuve que le constitutionalisme peut être un mode de gouvernement efficace, comme l'atteste la façon dont le Japon a réglé le problème de la privatisation des chemins de fer, alors qu'en Allemagne les milliards de dettes s'accumulent. En outre, signalons que la sanction impériale confère aux lois une signification religieuse, dans l'optique de la majorité des citoyens nippons, du moins insconsciemment. Ce qui explique le taux de criminalité extrêmement bas que connaît l'Empire du Soleil Levant.

 

En dépit des exagérations proférées par ces commentateurs ou idéologues libéraux, il me faut tout de même signaler que la constitution actuelle a tout de même transposé dans les faits certains projets ou idées défendus pendant l'entre-deux-guerres par le plus connu des représentants de la «nouvelle droite» d'alors, Kita Ikki (18), comme la suppression de la caste aristocratique, afin d'éliminer les obstacles existants entre l'Empereur et le peuple, et de la remplacer par une assemblée consultative élue, destinée à orienter les décisions de la chambre des représentants. Les revendications d'Ikki se référaient aux réformes du Régent Shotoku Taishi (574-622) (19), que l'on peut considérer comme le Solon japonais. Dans un recueil de dix-sept articles, ce dernier a forgé la structure de la vieille constitution japonaise, en s'appuyant sur un confucianisme adapté au pays, c'est-à-dire un confucianisme respectant la religion bouddhiste et acceptant le mythe shintoïste de l'Empereur.

 

Afin de préserver le Japon de tous troubles révolutionnaires, pareils à ceux secouant en permanence la Chine, parce qu'on y avait affirmé que l'Empereur, ou plutôt la dynastie, avait perdu le mandat du Ciel, Taishi octroya au Grand-Roi du Japon (O-kimi)  le titre de Tenno, qui, de ce fait, fut décrété «divinité révélée» (arahito gami).  Cette doctrine, souvent mésinterprétée, correspond ni plus ni moins à la conception ouest-européenne des deux corps du monarque (20). L'existence du deuxième corps du monarque, invisible et divin, implique la conception de corporéité personnelle et territoriale de l'«Etat» (qui, lui non plus, n'est pas «visible»), et que le monarque symbolise en tant qu'être visible (21). Conséquence de cette doctrine: il était désormais impossible que Dieu et l'Empereur puissent être en contradiction, ce qui, ipso facto, excluait toute révolution à la mode chinoise. La succession du trône était légitimée par filiation directe et droit d'aînesse (ce qui est une autre analogie frappante avec l'Europe occidentale). Devant l'Empereur, qui règne sur tous, tous sont toutefois égaux. Les fonctions ne sont pas héréditaires; les fonctionnaires ne sont recrutés que sur base de leurs compétences. Le peuple doit obéir à l'Empereur, mais celui-ci n'a pas le droit d'exercer une dictature, car il doit tenir compte du principe du consensus (art. 10 et 17) (22).

 

Autre moyen pour préserver le système du Tenno de tout danger révolutionnaire: l'obligation, pour l'autorité suprême de conserver une stricte neutralité. Grâce à ce principe, le système du Tenno a pu se maintenir en dépit des guerres civiles, du Shogunat et du système féodal, érigé à l'encontre des intentions de Taishi (23). Ce système présente donc une continuité, semblable à celle de la papauté romaine (24). Au vu de cette évolution, on comprend pourquoi le Japon a emprunté la voie de la modernisation en réactivant tout simplement l'exercice direct du pouvoir par l'Empereur, et permet aussi de comprendre pourquoi la revalorisation du rôle du Tenno et la démocratisation, achevée en 1925, ont été concomitantes. Il faut tenir compte de cet arrière-plan historique pour bien saisir la démarche de ceux qui se font les avocats des «obstacles» entre l'Empereur et le peuple nippon, obstacles qui sont notamment le «Shogunat» américain ou les intellectuels de gauche japonais qui réclament l'avénement d'un fondamentalisme libéral par le biais d'un culte pacifiste (25) quasi religieux, appelé à devenir une nouvelle religion d'Etat, ou encore l'opposition de gauche qui, dans un passé récent, s'engouait pour les rituels politiques de l'orwellienne Corée du Nord (26).

 

La gauche allemande et le Japon

 

On pourrait penser que le Japon offre beaucoup à la gauche allemande dans sa recherche permanente de patries de remplacement. Car, enfin, l'inlassable quête de la gauche intellectuelle, la recherche fébrile de modèles étrangers, trouverait dans l'Empire du Soleil Levant un pays extra-européen qui a tenu tête aux impérialismes européens, a conservé son identité culturelle dans une très large mesure, tout en demeurant un pays industriel compétitif et offensif; nous dirions même mieux: le Japon est devenu tel précisément parce qu'il a su conserver son identité (27). Mais, pour la gauche allemande, le Japon reflète trop la vieille Prusse pour que son égophobie puisse l'admirer. Un fait est certain: le Japon a réussi à maîtriser la modernité dans un sens positif; il a construit une société industrielle, imperméable à tout mythe révolutionnaire, a souligné l'importance d'une réforme militaire pour le développement de l'industrie (assortie d'une politique systématique et fanatique visant l'interdiction de toute exportation d'armements, pratique considérée comme freinant l'autarcie du développement industriel), a inauguré une voie conservatrice vers le développement qui a démontré son efficacité. Tout cela contrarie l'euphorie de la gauche allemande en faveur des sociétés multiculturelles.

 

Ensuite, le Japon prouve, par ses succès, que les religions asiatiques, dans le concret, n'offrent pas de la consolation à bon marché, contrairement à ce que croient les adeptes du New Age,  mais indiquent plutôt une voie de salut personnel reposant sur l'ascèse et le travail assidu (depuis le XVIième siècle, les moines japonais ne mendient plus mais convertissent la population à un «ascétisme immanentiste», un peu au sens où l'entendait Max Weber). Quand on examine comment a été traitée l'information venue d'Extrême-Orient dans un hebdomadaire comme le Spiegel,  on constate que le régime abstrus d'un Mao Tse-Toung (28) y a été mieux traité que la politique japonaise, émanation de procédures démocratiques. Un homme de gauche chinois qui s'embrouille et se trompe, mais prétend travailler pour le salut de l'humanité, sera mieux jugé par nos journalistes qu'un homme de droite japonais qui commet quelques gaffes en finançant sa campagne électorale.

 

Cette vision des choses est due à la manipulation de l'histoire, que nous avons vécue dans le sillage de la rééducation, optique pour laquelle le Japon est même tenu responsable de l'atomisation de Hiroshima et de Nagasaki (29). Dans ce cadre, la gauche parlait beaucoup de la «responsabilité» du Tenno, récemment décédé (30), ce qui prouve que cette gauche, face au fait Japon, instrumentalise une fois de plus la vision rééduquée de l'histoire à son profit.

Tout cela est d'autant plus absurde que le «militarisme» japonais présentait des aspects qualifiables d'«extrême-gauche». En 1925, au Japon, l'introduction du suffrage universel était lié à un compromis: en même temps que son adoption était promulguée une loi visant à garantir la paix civile, impliquant l'interdiction de toutes les organisations visant à changer la structure de l'Etat et à éliminer la propriété privée. Ce compromis obligea la gauche à s'adapter au «socialisme impérial» (31), surtout au moment de la crise économique, quand l'armée, radicalisée, contraignit les gouvernements bourgeois successifs, notamment pendant la guerre de Mandchourie, à passer à l'action. Dans un mémorandum adressé au Tenno, le futur Premier Ministre Konoé évoque les hommes de la droite musclée et dit d'eux qu'ils ne sont rien d'autre que des communistes masqués, qui ont revêtu les oripeaux de la kokutai (l'idéal de la communauté nationale), tout en planifiant une véritable révolution communiste destinée à préparer le Japon à une guerre de libération panasiatique (32).

Lorsque les députés japonais ont voté la loi de 1938 décrétant la mobilisation générale, le représentant du peuple Nishio Suehiro, du «Parti des masses populaires» (après la guerre, Suehiro fonde le Parti Démocratique Socialiste, dissidence de l'aile syndicaliste traditionnelle des Socialistes, amis de la Corée du Nord), déclare que le Premier Ministre japonais doit être un chef aussi crédible que le sont Mussolini, Hitler et Staline (33). La gauche avait appliqué son schéma de la lutte des classes à la politique internationale et admis que le Japon (tout comme l'Allemagne) était une «nation prolétaire», opposée aux Etats possédants, qui instrumentalisaient une «morale supérieure pacifiste» pour pouvoir défendre leurs possessions coloniales plus aisément (34). Ce constat, posé par une personnalité de gauche comme Suehiro, a été accepté par bon nombre d'hommes de droite, si bien que la guerre, au Japon, a fait l'objet d'un consensus global entre gauche et droite (35).

Or, comme la gauche ne se distingue de la droite que dans la question de la position du Tenno, les protagonistes de la gauche manipulent l'histoire en rendant le système du Tenno responsable de la guerre et tente de faire passer la droite pour un ramassis de canailles. Pourtant, jamais un régime véritablement totalitaire ou national-socialiste n'a accédé au pouvoir au Japon (36), parce qu'avec la monarchie, les élites traditionnelles du pouvoir pouvaient affirmer leurs positions, même si les partis avaient été réunis dans un mouvement, pour des raisons dépendant davantage des circonstances de guerre que d'une idéologie bien profilée. Et si l'on veut absolument affirmer la culpabilité japonaise, il faut rendre le peuple responsable, vu le large consensus qui a règné tout au long de la guerre. Mais une inculpation globale du peuple japonais ne cadre pas avec le dogme démocratique de l'innocence a priori du peuple, surtout si ce sont des Européens qui inculpent, jugeant de la sorte un peuple non-européen auquel on accole une culpabilité collective: c'est à juste titre alors qu'on soupçonnera les «juges» de racisme. De ce fait, manipuler le passé ne peut plus se faire que sur base d'«analyses structurelles post-racistes» à la Habermas, où la canaille est toujours celui qui «représente» le passé.

Mais on s'aperçoit bien vite dans quelle continuité se situent ces analyses: la littérature de la gauche allemande sympathise très souvent avec les projets les plus étonnants des autorités d'occupation américaine au Japon, comme par exemple, l'idée fumeuse de remplacer le Japonais par l'Anglais (37), parce que ç'aurait été, paraît-il, la meilleure façon d'éliminer les «structures linguistiques non démocratiques» (mais, dans les mêmes ouvrages, on accuse les Japonais d'avoir voulu imposer leur langue aux Coréens, ce qui est normal, puisque leur grammaire est «non-démocratique»...). C'est ainsi que l'on s'aperçoit, au fond, que les gauches ne tolèrent aucunement la multiculturalité, car elles s'y attaquent par tous les moyens, précisément là où cette multiculturalité revêt un sens, c'est-à-dire à l'échelon international. La gauche  —c'est un fait acquis—  croit au «bon sauvage», mythe qui avait déjà conduit les révolutionnaires français à commettre l'irréparable, dans leur propre pays, en Vendée et à Lyon. Et lorsque les ressortissants d'un pays exotique ne se comportent pas, dans leur vie quotidienne ou leur vie politique, comme on a imaginé qu'ils devraient se comporter, et quand ils deviennent des concurrents sérieux, que ce soit sur le plan militaire ou sur le plan économique (38) et confisquent de la sorte à la gauche son beau rôle favori, qui est de materner, d'«aider au développement», alors les masques tombent: les mêmes moralisateurs exigent que la communauté récalcitrante soit mise au pas, au diapason des valeurs qui ont été posées une fois pour toutes comme seules valables, ou exigent pire encore, l'atomisation, les tapis de bombes, l'éradication (39)...

La politique allemande et le Japon

Face à cette volonté des gauches de tout vouloir uniformiser et mettre au pas, nous sommes bien obligés de considérer la voie particulière, suggérée par le Japon, comme un enrichissement de l'horizon des expériences humaines. Et de la défendre comme telle. Si le Japon est en passe de devenir la nation-guide en matière de technologie (40)  —après que l'on ait reproché, et pendant longtemps, aux Japonais de n'être que des «imitateurs» plus ou moins talentueux—  on a intérêt à s'interroger très sérieusement sur la signification des «voies particulières» pour le développement futur de l'humanité, et donc des potentiels de créativité qu'elles incarnent. Les «voies particulières» ont ceci pour elles qu'elles s'avèrent toujours être les meilleures voies; dans le cas du Japon, son exemple a séduit les autres pays de l'Asie orientale, dans le sens où il constitue une remarquable synthèse, réussie, entre le confucianisme traditionnel et les modèles européens (ajoutons que cette synthèse a pu s'accomplir parce que le modèle prussien a été importé, imité et japonisé). A juste titre, plusieurs voix ont demandé aux Américains de ne pas imiter les Japonais pour tenir bon face à la concurrence extérieure, mais de revenir à leurs propres traditions, notamment celle, puritaine, du travail acharné (41), créateur de richesses, et, partant, signe d'élection divine. Les Allemands feraient d'ailleurs bien d'imiter pour leur propre compte ce conseil donné aux hommes d'affaire américains et, mieux, de le mettre en pratique de façon plus systématique encore: en étudiant l'histoire du Japon, ils verraient que leurs propres traditions politiques germaniques permettent parfaitement à un pays faible de sortir très vite de sa misère pré-industrielle.

Les auteurs allemands qui savent comment s'agencent réellement les choses et, partant, ne partagent pas l'opinion, courante de nos jours, qui veut que le Japon soit l'«élève modèle des Etats-Unis» et, a fortiori, n'ont pas succombé à l'esprit du temps, qui se veut anti-prussien, ne critiquent pas les Japonais d'avoir adopté des modèles prussiens et non pas des modèles britanniques «libéraux et éclairés». Certes, le Japon n'est pas un Etat idéal de facture libérale-démocratique (42), ce qui ne doit pas nous empêcher de constater que les pays non-européens qui, plutôt de mauvais gré que de bon gré, ont adopté le modèle britannique, n'ont jamais pu dépasser le stade de la pauvreté pré-industrielle ou celui de cette pauvreté perpétuée par le socialisme, en dépit des aides au développement. C'est le cas de l'Inde ou des pays des Caraïbes. Ou bien, ils ont basculé dans les dictatures socialistes dites «de développement» (Afrique). Mais lorsque des régions de l'ex-Commonwealth britannique connaissent le succès économique en conservant des institutions de type britannique, comme Singapour ou Hong Kong, elles se placent en dessous du Japon sur le plan de la démocratie pure et théorique. Qui plus est, ces régions doivent leur succès pour l'essentiel à l'afflux de capitaux privés japonais et à l'imitation des modes japonais de gestion d'entreprise.

Dans le passé, les échanges germano-japonais se sont effectués sur une voie à sens unique, raison pour laquelle le monde politique allemand n'a jamais pris correctement connaissance des affaires japonaises. Cela vaut même pour la seconde guerre mondiale, quand pourtant les services secrets britanniques gaspillaient beaucoup d'heures précieuses en tentant de déchiffrer les arcanes d'une stratégie germano-japonaise secrète qui n'existait pas... (43). En dépit des nombreux intérêts communs qui pourraient unir Allemands et Japonais, les hommes politiques allemands font tout pour que cette réelle communauté d'intérêts ne se transforment pas en une politique commune. Quand un chancelier allemand se plaint devant les Américains que l'Allemagne porte le fardeau le plus lourd dans le financement de la perestroïka et que ce chancelier en appelle à d'«autres» pour participer à cette opération hasardeuse, il ne peut que susciter le mépris des Japonais. Car, en fin de compte, ceux-ci ne sont nullement responsables du fait que les Allemands, niais, se montrent incapables de reconnaître leurs propres intérêts. Or comme cette plainte est adressée aux Américains, les Japonais pourraient parfaitement interpréter cette démarche comme une menace, en d'autres termes, comme un appel aux Américains  —qui ne veulent pas payer eux-mêmes la perestroïka—  à pressurer les Japonais. Ceux-ci perçoivent dans ces exercices de mauvais goût une sorte de pression morale constante, qui les obligerait, en bout de course, à participer à ces exhibitions de culpabilité dont les hommes politiques allemands sont passés maîtres et où ils étalent sans vergogne le mépris qu'ils cultivent à l'égard de leur propre peuple. Les Japonais essuyent de plus en plus souvent des allusions désobligeantes comme celles d'un Helmut Schmidt, qui se venge parce que les Japonais n'avaient pas suivi jadis sa folie des grandeurs, en refusant le rôle de locomotive de l'économie mondiale qu'il suggérait à un tandem germano-nippon. D'où son argument: les Japonais doivent chercher la «réhabilitation» (44).

Cette dénonciation infantile des Japonais n'est d'aucune utilité pour les Allemands. Ceux-ci devraient bien plutôt tirer les leçons qui s'imposent du conflit qui se profile nettement à l'horizon, entre le Japon et les Etats-Unis. Ils apprendraient ainsi qu'il ne suffit pas de connaître le succès économique sur la scène internationale (45). D'autres Etats ont des idées très claires sur la «responsabilité pour le monde» qui découle de la puissance économique.

Sur base de l'équation désormais conventionnelle entre les intérêts de l'Occident anglo-saxon et ceux de la «démocratie» (mais du pouvoir de quel peuple s'agit-il en l'occurrence?), n'est-ce pas une honte que ce ne soit pas le gouvernement légitime du Japon, démocratiquement élu, qui puisse définir cette «responsabilité», mais, à sa place, l'Administration américaine? Le succès économique japonais s'est effectué malgré les quantités réduites de matières premières dont dispose la métropole. Une telle situation est précaire, relève même d'une précarité croissante, car le Japon tombe de plus en plus sous la dépendance de l'étranger, fragilisant du même coup sa position stratégique. Le Japon pourrait de la sorte être contraint de payer comme au lendemain d'une guerre perdue. Le progrès sur les plans économique et technique devient un élément cardinal de la grande politique planétaire, surtout au moment où les Etats-Unis ne peuvent plus faire la guerre sans la technique japonaise et sans l'accord de Tokyo pour financer le déficit de l'Etat américain (n'oublions pas que les contributions japonaises et allemandes ont permis aux Etats-Unis de tirer de substantiels profits financiers de l'opération koweitienne) (46). Dans de telles circonstances, la présence des troupes américaines revêt une finalité économique et technologico-politique (47), si bien que l'on risque l'Europe au profit de l'OTAN. Le public japonais, lui, sent toujours la corde que l'on veut lui passer autour du cou (48). Ainsi, on pousse chaque jour davantage le Japon à risquer une confrontation avec la Chine (49); ensuite, la Corée du Nord donne bonne conscience aux Anglo-Saxons: ils peuvent y trouver un Saddam Hussein qui y règne depuis 40 ans. Quelles conséquences cela pourrait-il avoir (50)? Les avertissements que lancent les militaires ne sauraient être négligés sous prétexte qu'ils sont des exagérations, même si notre époque considère, en théorie, que les guerres ne sont plus «rentables» (c'est également ce que l'on croyait à la veille de la première guerre mondiale). En effet, dès 1925, l'année où le suffrage universel est introduit au Japon (51), un spécialiste britannique de la marine (52) décrit dans un roman le déroulement de la guerre du Pacifique de 1941-45, avec une relative exactitude. Si l'on suit attentivement le fil conducteur, mentionné au début du livre, il apparaît tout de suite clairement qu'une bonne partie du public américain s'imagine parfaitement qu'une guerre contre le Japon est possible, de même d'ailleurs qu'une guerre contre l'Allemagne (53), ce qui ne doit pas nous étonner, vu qu'il y a très souvent équation entre les deux puissances. Celles-ci peuvent éviter la guerre en payant, bien entendu pour soutenir de «nobles causes». Et si ces puissances se rebiffent, elles pourront aisément être manœuvrées et succomber à ces stratégies fatales dont les Américains se sont fait une spécialité, tablant sur la fragilité de leurs adversaires et les forçant, comme l'avouait le ministre de la guerre de Roosevelt juste avant Pearl Harbour, à frapper le premier coup et à passer aux yeux de l'opinion publique internationale comme des «agresseurs» méritant une juste punition. Aujourd'hui, Allemands et Japonais paient tout de suite, volontairement, même sans y être formellement obligés comme dans l'art. 231 du Traité de Versailles ou selon le droit dit à Nuremberg ou à Tokyo. De plus, on a extirpé du mental allemand, mais aussi du mental japonais, l'«esprit prussien» qui s'oppose radicalement au sentiment des Anglo-Saxons d'être un peuple élu. Il y aurait aujourd'hui des Japonais qui souhaiteraient avoir comme nous Allemands un Président, qui déclarerait que le 8 mai est une «journée de libération» (53) (pour le Japon ce serait sans doute le 6 août, jour où Hiroshima fut atomisée, à la suite, c'est bien connu, d'une «provocation» japonaise). En effet, ces deux journées de l'an 1945 ont inauguré l'ère de paix et de liberté que nous avait annoncée et promise Roosevelt.

 

Josef SCHÜSSLBURNER.

(texte issu de Criticón, März/April 1992; adresse: Knöbelstrasse 36/0, D-8000 München 22; prix de l'abonnement: DM 63,- ou DM 42,- pour les étudiants et les lycéens).

Notes:

(1) S. Shinkokinwakashu-Japanische Gedichte, Reclam, p. 91.

(2) Ce n'est qu'en juillet 1991 que le gouvernement américain a reconnu que les anciens «Flying Tigers», engagés aux côtés des Chinois avant Pearl Harbour, étaient des vétérans comme les autres. Cf. A. Schickel, «Verdeckte Kampfhandlungen durch Fliegende Tiger», in Geschichte, n°6/1991, p. 64. Le fait qu'E. Wickert (dans son article de la Frankfurter Allgemeine Zeitung du 28 nov. 1991), qui s'efforce pourtant de nous présenter les faits de manière équilibrée, ne mentionne pas cet aspect des choses et parle plutôt d'«une attaque en pleine paix», ce qui est vrai mais seulement du point de vue de l'opinion publique américaine et ne correspondait nullement à l'expérience des Japonais. On voit que l'on est toujours loins d'une présentation objective.

(3) Cf. C.H. Ule, «100 Jahre Meiji-Verfassung in Japan», DVBl., 1989, pp. 173 et ss.; les textes de la constitution Meiji et de la constitution de MacArthur figurent en annexe du livre de Miyazawa Toshiyoshi, Verfassungsrecht (Kempo), vol. 21, de la Schriftenreihe Japanisches Recht, 1986.

(4) Cf. Klaus Luig, «Rudolf von Gneist (1816-1895) und die japanische Verfassung von 1889», in Kulturvermittler zwischen Japan und Deutschland, édité par le Japanisches Kulturinstitut de Cologne, 1990, p. 50 et ss.

(5) Cf. Andreas Meckel, «Jacob Meckel (1842-1906), Instrukteur der japanischen Armee - Ein Leben im preußischen Zeitgeist», in [voir note (4)], pp. 78 et ss.

(6) Cf. John Whitney Hall, Das Japanische Kaiserreich, vol. 20 de la Fischer Weltgeschichte, 1968, p. 10.

(7) Cf. Hajime Nakamura, «Der religionsgeschichtliche Hintergrund der Entwicklung Japans in der Neuzeit», in Japan und der Westen, édité par v. Barloewen/Werhahn-Mees, vol. 1, pp. 56 & ss. De même, Shichihei Yamamoto, Ursprünge der japanischen Arbeitsethik, ibid., pp. 95 & ss.

(8) Cf. Michio Morishima, Warum Japan so erfolgreich ist, 1985, surtout pp. 95 & ss.

(9) Voir à ce propos, David B. Ralston, Importing the European Army. The Introduction of European Military Techniques and Institutions into the Extra-European World, 1600-1914, 1990.

(10) Cf. Ingeborg Y. Wendt, Japanische Dynamik und indische Stagnation?, 1978, voir surtout les p. 67 & ss.; quand on songe au fait que le Japon n'a imposé son autonomie douanière qu'en 1911, on comprend que le Japon a longtemps risqué d'être houspillé sur une «voie indienne».

(11) On oublie trop souvent aujourd'hui qu'en 1945 le colonialisme n'était interdit qu'aux Japonais et aux Allemands. Les Hollandais ont aussitôt repris leurs guerres coloniales en Insulinde mais l'occupation japonaise avait déstabilisé et affaibli trop considérablement l'administration néerlandaise, ce que les Hollandais ne pardonneront pas de si tôt aux Japonais (voir note 39).

(12) La grève générale planifiée par les socialistes et les communistes en février 1947 a été interdite à temps par le quartier général allié, inquiet des succès communistes en Chine, voir note 8), p. 171; à cause d'une intrigue machinée par la CIA, le seul cabinet socialiste japonais est tombé en 1948, voir à ce propos Crome, note 30), pp. 246 & ss. De cette façon, les forces de gauche, que le libéralisme américain avait pourtant hissé aux positions dirigeantes, ont été éloignées du pouvoir. L'introduction d'une système électoral qui fait que les campagnes électorales sont chères, a rendu difficiles les victoires de la gauche, surtout qu'il n'existait pas de système de financement des partis et des campagnes électorales. A propos du financement des partis au Japon, cf. Frankfurter Allgemeine Zeitung, 25 nov. 1991 (supplément «économie»).

(13) Cf. Walter Millis (éd.), The Forresal Diaries, 1951, p. 524.

(14) C'est ce que dit Toshiyoshi, voir note 3), pp. 43 & ss.

(15) Voir note 6), p. 347.

(16) voir à ce propos notre article, «Wie soll eine gesamtdeutsche Verfassung aussehen», in Criticón, Nr. 120, pp. 171 & ss.

(17) Ce que l'ont peut observer en lisant le Japan Quarterly, notamment le numéro d'oct.-déc. 1988, pp. 350 & ss., «When Society is Itself the Tyrant», où l'on entend par «tyran» la société japonaise elle-même, qu'il s'agit de «rééduquer» selon les principe du «libéralisme de gauche», idéologie dominante aux Etats-Unis.

(18) En dépit de ses positions socialistes, il n'en était pas moins un monarchiste tiède (cf. son ouvrage de 1906, Die Theorie des Nationalen Gemeinwesens und des wahren Sozialismus); cette orientation est opposée à la droite traditionnelle, dont le «noyau dur» comprend environ 1/5 de la fraction du PLD (Parti Libéral-Démocrate) et dont les intellectuels les plus représentatifs sont les journalistes Hideaki Kase et le compositeurs japonais le plus connu, Toshiro Mayuzumi. En partant du principe que si le Japon n'avait pas été la première victime d'une attaque atomique, il n'y aurait pas eu dans le monde de «zones dénucléarisées», ce groupe se réserve l'option d'un armement atomique pour le Japon.

(19) Voir note 8), pp. 29 & ss. Ces articles sont explicités de façon fort complète par Hermann Bohner et Shotoku Taishi de la Deutsche Gesellschaft für Natur- und Völkerkunde Ostasiens, Tokyo (s.d.).

(20) Ouvrage fondamental à ce sujet: Ernst H. Kantorowicz, Die zwei Körper des Königs, Première édition all.: dtv/Wissenschaft, 1990.

(21) Comme l'art. 1 de la constitution japonaise actuelle ne dit pas autre chose, Hirohito, à juste titre, n'a pas accordé d'importance particulière à son renoncement au statut de «divinité». Lorsque l'on songe qu'une entité aussi décisive que l'«Etat» n'existe qu'en tant que chose pensée (ou crue, c'est-à-dire en un certain sens en tant que mythe), cela devrait en fait réfuter toute forme de matérialisme.

(22) L'art. 17 doit être cité à ce niveau-ci de notre exposé, tant il reflète la sagesse politique asiatique: «Les décisions ne doivent pas être prises par une seule et unique personne... Dans un cas de moindre importance, c'est facile; on ne doit pas être nombreux pour délibérer; seulement dans les cas où il s'agit d'affaires importantes, et où vous vous inquiétez du fait de pouvoir éventuellement vous tromper, alors il faut que vous vous concertiez à plusieurs pour obtenir une vision claire de l'affaire. Alors il en sortira quelque chose de rationnel». La première des cinq promesses inscrites dans le serment de la Restauration Meiji, qui promettait d'instaurer un conseil de type parlementaire aussi large que possible, de façon à ce que les «dix mille affaires de l'Empire» puissent être réglées au départ de discussions publiques, remonte à l'art. 17 du Codex Taishi (voir note 19)).

(23) L'art. 12 ôtait aux administrateurs provinciaux le droit de lever l'impôt de manière autonome, de façon à garantir l'unité de l'appareil administratif de l'Etat.

(24) Comme le Tenno, aux époques les plus grandioses de l'histoire japonaise, voyait ses fonctions réduites à celle de pontife supérieur, l'histoire du Japon présente, quoique dans une forme édulcorée, quelque chose ressemblant à la bipolarité (Empereur/Pape; spirituel/temporel; religieux/scientifique) propre à la voie particulière empruntée par l'Europe occidentale, ce qui explique sans doute les analogies entre le Japon et la portion occidentale de notre continent.

(25) C'est clair dans le texte mentionné en note 17), qui signale qu'à la place de la théocratie d'avant-guerre s'est substituée une «serious soul-searching» (une recherche de l'âme sérieuse), débouchant sur une obligation de pacifisme (v. p. 352), qui s'enlise rapidement dans un dogme postulant que seul l'Etat nippon est en tort quand surviennent des tensions. Dans ce sens, on prétend (p. 351) que le refus japonais du service militaire a fait que les tensions en Asie n'ont pas conduit à l'escalade (mais on ne prévoit rien dans le cas où le Japon serait dans son droit).

(26) Ce n'est que depuis peu de temps que les socialistes japonais, qui se nomment désormais «sociaux-démocrates», s'efforcent d'adopter une attitude plus positive à l'égard de la Corée du Sud. Le fait que l'idéologie pacifiste juge positivement le régime nord-coréen, montre qu'en Asie les ersätze de religion peuvent prendre des formes plus perverses que les mauvais usages de religions traditionnelles originales.     

 

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vendredi, 11 juin 2010

Irak 1941: la révolte de Rachid Ali contre les Britanniques

Arab%20Leagion%20Iraq.jpgIrak 1941: la révolte de Rachid Ali contre les Britanniques

 

d'après une étude de Marzio Pisani

 

En 1941, l'Irak, nominalement indé­pendant, était de fait un protectorat bri­tannique. La domination impérialiste an­glaise en Irak se basait sur une pré­sence militaire, sur le conditionnement politique et sur l'exploitation écono­mique. La présence militaire consistait en deux bases aériennes, l'une à Chaï­ba, près de Bassorah au Sud, et l'autre à Habbaniya près de Bagdad. La RAF y entretenait 88 appareils. Une troisième base était en construction à Routbah. Les Anglais avaient permis que se con­stituent une armée et une police ira­kiennes, dotées d'avions. Ces troupes étaient sensées défendre les in­térêts de l'Empire. Elles allaient se ré­véler instru­ments du nationalisme arabe, sans que les Anglais ne s'en aperçoivent à temps. Les Britanniques avaient imposé à leur marionette ira­kienne, le Cheik Abdoul Ila, un traité qui autorisait les troupes anglaises à circuler librement partout sur le terri­toire irakien, inclus d'office dans le Commonwealth. Mais les élé­ments d'élite de la nation irakienne n'ac­ceptaient que très difficilement cette mi­se sous tutelle: la politique pro-arabe de l'Axe les séduisait. Les diplo­mates ita­liens et allemands en poste dans le pays l'infiltrèrent idéologique­ment, é­bran­lant le prestige des Britan­niques dans toute la région.

 

Sur le plan économique, le capitalisme anglo-saxon exploitait sans vergogne les ressources pétrolières du pays par le biais de ses compagnies pétrolières. A la déclaration de guerre, cette arro­gance conduisit les Irakiens à rompre les relations diplomatiques avec l'Alle­magne et l'Italie  —sous pression britan­nique—  tout en refusant de dé­clarer la guerre à l'Axe. De plus, l'Irak offre l'a­sile au Grand Moufti de Jéru­salem, grand propagandiste de la poli­tique ger­mano-italienne en Islam. Le 1er avril 1941, le groupe germanophile dit de la «Place d'Or», rassemblé autour de Ra­chid Ali, prend le pouvoir par un coup d'Etat. L'ensemble des forces ar­mées irakiennes, armée de terre, avia­tion et police, se joint au nouveau ré­gime. Les Anglais réagissent très vite pour re­mettre en place leur marion­nette qui avait fui à l'étranger. Le porte-avions Her­mes se porte dare-dare dans les eaux du Golfe Persique et la 20ième Bri­gade Indienne, accompagnée d'un ré­giment d'artillerie, débarque à Basso­rah. Devant cette violation du territoire irakien, Rachid Ali organise l'insurrec­tion fin avril. Les forces ar­mées ira­kiennes comptaient quatre di­visions d'infanterie, quelques unités mécani­sées à faibles effectifs dispersés dans tout le pays et de 60 avions, des vieux modèles servis par des équipages inex­périmentés.

 

Fin avril, début mai, les Irakiens arrê­tent les sujets britanniques résidant sur leur territoire et dirigent les flux de pétrole vers la Syrie de Vichy. Le 30 avril, ils lancent une attaque contre la ba­se de Habbaniya. La police de Rout­bah verrouille la ville et la population de Bassorah s'insurge contre les Anglo-Indiens et amorcent une guerrilla aux environs de la cité. Surpris, les Anglais doivent contre-attaquer par la Trans­jordanie, appuyés par les chars de la 1ière Division de Cavalerie (la «Hab­for­ce»), la fameuse Légion Arabe et quel­ques unités jordaniennes. Des renforts sont appelés d'Egypte et des Indes. Avec l'appui de la RAF, la Hab­force re­prend Routbah et brise l'encer­cle­ment de Habbaniya. A Al-Fal­loudjia, la ba­tail­le décisive a lieu entre le 19 et le 23 mai: les Irakiens résistent mais sont battus, écrasés par la supé­riorité ma­té­rielle de leurs adversaires.

 

Les forces de l'Axe étaient clouées dans les Balkans et en Afrique du Nord. Le seul appui dont purent bénéficier les Irakiens: une petite escadrille germano-italienne et des approvisionnements fournis par la France de Vichy au dé­part de la Syrie. L'extrême-nord du pays n'est pacifié définitivement que le 9 juin. L'occupation du pays est laissée à deux divisions indiennes: la 8ième au Sud et la 10ième au Nord, tandis qu'u­ne brigade entière (la 24ième) est mo­bilisée pour protéger les lignes de com­munications entre Bassorah et Bagdad, menacées par les partisans irakiens. Ceux-ci ne déposèrent pas les armes de si­tôt. Francs-tireurs et sabo­teurs restè­rent actifs pendant toute la guerre. Les Britanniques durent mettre sur pied une flotille de bâteaux pa­trouilleurs sur les deux grands fleuves. Autre souci pour la 24ième Brigade: la protection des oléoducs.

 

En fin de compte, la révolte irakienne fut un échec. Les Anglais sont restés so­lidement accrochés au Moyen-Orient. Mais les destructions opérées préala­blement par les troupes irakiennes en retraite, pratiquant la politique de la terre brûlée, ont mobilisé les énergies de bon nombre d'unités de génie. Obli­gés de distraire de gros moyens pour mater les Irakiens, les Anglais ont dû dégarnir leurs fronts libyen et malai­sien, permettant à Rommel d'avancer vers l'Egypte et aux Japonais de s'em­parer de Singapour.

 

Les Britanniques, après la départ de Rachid Ali pour Berlin, réinstallent l'an­cien gouvernement et maintiennent le pays en état d'occupation. En 1943, le gouvernement anglophile irakien dé­cla­re la guerre à l'Axe mais sans pou­voir aligner des troupes. Quelques pi­lotes ira­kiens s'engagent dans l'armée de l'air italienne.

 

Marzio PISANI.

(résumé d'un article paru dans L'Uomo Libero, n°16, nov. 1983; adresse de la revue: L'Uomo Libero, Casella postale 14035, I-20140 Milano, Italie). 

 

samedi, 05 juin 2010

Sur les mythes de la Guerre d'Espagne

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1989

 

Sur les mythes de la Guerre d'Espagne

Thomas KLEINSPEHN & Gottfried MER­GNER (Hrsg.), Mythen des Spani­schen Bürgerkriegs, Trotzdem Verlag, Grafenau-Döffingen, 1989, DM 22, 170 S., ISBN 3-922209-24-6.

 

La guerre civile espagnole a généré beaucoup de mythes tenaces. Dès 1936, aussitôt que claquè­rent les premiers coups de feu et que les premiers Junker 52 débarquèrent les troupes hispano-ma­rocaines de Franco en Andalousie, l'imagi­na­tion populaire et les officines de pro­pagande se mirent à produire du mythe à qui-mieux-mieux. Depuis la Commune de Paris de 1871, aucun évé­nement politique n'avait autant excité l'i­ma­gination de la classe ouvrière euro­péenne. Dès la fin des hostilités sur le terrain, la presse, les historiens et l'opinion publique ont repris ces discours mythifiants et élaboré quan­tité de va­riations à leur sujet. Le livre de Kleins­pehn et Mergner reprend les actes d'un colloque orga­nisé en 1987 à l'Université d'Oldenburg sur la Guerre d'Espagne. Succes­sivement, une émi­nente brochette de spécialistes aborde les mythes relatifs aux brigades et aux milices, à l'anar­cho-syndicalisme, au parti communiste qui a eu tant de «rénégats»... Dans un second volet, deux historiennes féminisantes mettent en évidence les difficultés des femmes dans la «révolution sociale» en œuvre sous la République et dans l'espace révolutionnaire de l'extrême-gauche es­pagnole. Enfin, troisième volet, les questions régionales de la péninsule ibérique, avec une analyse des mouvements basque et catalan. En conclusion, une critique serrée mais positive de l'obsession hispanique entretenue depuis cinq décennies par la gauche allemande quant à la Guerre d'Espagne. Ecrit par des personnalités de la gauche anarchisante allemande, cet ou­vrage constitue une brillante critique pro domo. Le livre, de surcroît est illus­tré de nombreux fac-similés d'affiches éditées à l'époque de la Guer­re Civile par des mouvements de l'extrême-gauche combattantes espagnoles. Elles témoi­gnent toutes d'un style futurisant, très épuré et très poignant.

 

 

mardi, 01 juin 2010

La controverse autour de Stepan Bandera et l'avenir de l'Ukraine

La controverse autour de Stepan Bandera et l’avenir de l’Ukraine

par Mykola RIABTCHOUK

Nous reprenons l’article de Mykola Riabtchouk mis en ligne sur le site ami Theatrum Belli. Afin de bien comprendre cette controverse, il importe de lire au préalable « Stepan Bandera (1909 – 1959) » par Pascal G. Lassalle d’abord mis en ligne sur Novopress.

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bandera_rw.jpgRarement un document émis par le Parlement européen aura fait autant de bruit en Ukraine que sa résolution du 25 février 2010 sur la situation dans le pays, en particulier son paragraphe 20, déclarant que le Parlement européen « regrette vivement la décision du président ukrainien sortant, Victor Iouchtchenko, d’accorder à titre posthume à Stepan Bandera, chef de l’organisation nationaliste ukrainienne O.U.N. qui collabora avec l’Allemagne national-socialiste, le titre de « héros national de l’Ukraine », espère, à cet égard, que la nouvelle équipe dirigeante en Ukraine reconsidérera ce genre de décision et confirmera son engagement en faveur des valeurs européennes » (1).

Des milliers d’Ukrainiens ont répondu au Parlement européen avec une pétition qualifiant sa décision « de non fondée historiquement et s’appuyant sur de la désinformation », « insultant les millions d’Ukrainiens tués ou victimes de la répression pour leur engagement en faveur de la liberté et de l’indépendance », et discréditant « l’idée même de l’intégration européenne chez les Ukrainiens qui y sont favorables ».

« Le 30 juin 1941, affirment-ils, Stepan Bandera  et ses  compagnons ont annoncé le renouveau de l’État indépendant ukrainien à L’viv contre la volonté de l’Allemagne hitlérienne. Pour cela, ils ont été tués ou incarcérés dans les camps de concentration allemands. Bandera lui-même fut emprisonné au camp de Sachsenhausen. Ses frères Oleksandr et Vasyl furent tués dans l’infâme camp d’Auschwitz (2). Le mouvement de libération nationale dirigé par Bandera combattit pour l’État indépendant d’Ukraine contre les occupants bolcheviks et nazis. Ni l’Organisation des nationalistes ukrainiens (O.U.N.-B.) dirigée par Bandera, ni l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (U.P.A.) ne furent mentionnées dans les verdicts du procès des principaux criminels de guerre au Tribunal militaire international de Nuremberg » (3).

Borys Tarasiouk, ancien ministre des Affaires étrangères et actuel chef du parti ukrainien Narodniy Roukh (Mouvement du peuple), a exprimé ses profondes préoccupations dans une lettre ouverte au président du Parlement européen, le Polonais Jerzy Buzek : « Le Parlement européen, a été malheureusement influencé par des informations partiales, qui, après coup, sont à l’origine de ces malentendus. Pire encore, le président nouvellement élu, Viktor Yanoukovytch, qui est loin des idéaux et des principes de la démocratie européenne, peut maintenant utiliser la décision du Parlement pour se couvrir lui-même, justifier ses mesures anti-ukrainiennes et abroger le décret présidentiel concernant Bandera » (4).

Le président Iouchtchenko s’est également révélé intraitable. Il a accusé le Parlement européen, dans des termes similaires, d’avoir échoué à regarder l’Histoire « selon un regard actuel, et non pas au prisme obsolète de la propagande soviétique ». Il a suggéré qu’il y a eu « un camp qui a initié cette décision et provoqué les députés européens de toutes les manières possibles et imaginables », mais il s’est gardé de spécifier de quel camp il s’agissait (5). D’autres commentateurs, cependant, ont parlé ouvertement de « trahison polonaise ». « Depuis des années, a affirmé l’un d’eux, ils ont prétendu être des amis de l’Ukraine et maintenant ils montrent leur véritable visage » (6). Quelques auteurs sont même allés plus loin avec des spéculations  conspirationnistes  qui impliquaient une sorte d’échange entre Polonais et Russes : des concessions russes sur Katyn et les commémorations officielles pour un soutien polonais à la résolution anti-ukrainienne au Parlement européen.

Les libéraux ukrainiens se sont retrouvés eux-mêmes, dans cette situation, entre le marteau et l’enclume. D’une part, ils pouvaient à peine souscrire à la décision opportuniste de Iouchtchenko  aussi bien qu’à l’héritage équivoque, ou du moins ambigu et ambivalent, légué par Bandera, l’O.U.N. et l’U.P.A. D’autre part, ils ne pouvaient pas ne pas voir toutes les implications des ingérences simplistes et irresponsables des députés européens dans des questions hautement complexes dont ils ont peu connaissance et encore moins de compréhension. Un historien ukrainien en vue, Yaroslav Hrytsak, a exprimé sa profonde amertume et déception en quelques mots : « C’est pire qu’un crime, c’est de la bêtise » (7). Il visait principalement les députés polonais au Parlement européen qui ont soutenu la résolution, – même s’ils étaient en l’état les seuls membres du Parlement européen susceptibles de saisir toute la complexité du problème et conscients du contexte politique particulier de l’Ukraine aujourd’hui. Encore que tous les autres parlementaires ne doivent pas être exonérés d’avoir jeté de manière irréfléchie de l’huile sur le feu des conflits internes à l’Ukraine

La Gazeta Wyborcza, un important journal libéral polonais, a exprimé ses regrets au sujet du décret de Iouchtchenko du 22 janvier dernier attribuant le titre de « Héros de l’Ukraine » à Stepan Bandera, mais a aussi laissé entendre que le tort causé aux relations polono-ukrainiennes aurait été moindre si tout s’était arrêté à la décision malvenue d’un président ukrainien sortant, battu et aux abois. Au lieu de cela, argumente le journal, les députés polonais du Parlement européen ont promu prématurément un document encore plus déplacé. « Nos députés ont impliqué de manière irresponsable l’Union européenne dans le dialogue polono-ukrainien sur le passé, en employant la langue des ultimatums, et ont renvoyé la réconciliation polono-ukrainienne au niveau d’avant-1989. In fine, ils ont joué le jeu de la Russie et des forces pro-russes en Ukraine (8).

Cerner le contexte

Il y avait au moins trois singularités de la situation politique ukrainienne qui, en vérité, aurait du être appréhendées avec sagesse et prudence afin d’éviter les conséquences qui viendront pour l’essentiel contrecarrer les intentions du Parlement européen.

Tout d’abord, le fait que l’Ukraine n’est pas juste un État post-communiste, mais aussi  un pays post-colonial partagé de manière presque égale entre les  communautés d’aborigènes et de colons, avec leurs propres mythes, symboles, schémas historiques, héros, cultures et langues. La prépondérance numérique des aborigènes est contrebalancée par le statut social plus élevé des colons déterminé historiquement par leur caractère majoritairement urbain, leur meilleur accès à la culture et à l’éducation, leurs ressources économiques, et leurs réseaux dans la société aussi bien que par les politiques impériales manifestes ou masquées de privilégier un groupe contre l’autre.

On trouve également un important groupe fluctuant d’aborigènes assimilés historiquement, selon différents degrés, à la culture dominante de type créole, et un ensemble plus petit mais encore notable, de colons qui ont opté pour une identification avec les aborigènes sur un mode « Danse avec les Loups », pour citer le western pro-amérindien de Kevin Costner.

La présence de groupes fluctuants ainsi que la proximité culturelle et linguistique entre aborigènes et colons atténuent en substance les tensions intergroupes faisant de l’Ukraine un pays « divisé, mais non éclaté ». Au même moment, l’équilibre s’avère très délicat, pauvrement institutionnalisé (avec virtuellement une absence totale partout d’état de droit), et par conséquent hautement susceptible de connaître des bifurcations à la fois externes et internes.

Deuxièmement, Il faudrait noter que le déchaînement anti-Bandera et anti-O.U.N. est une part importante du discours anti-nationaliste et, essentiellement, anti-ukrainien, à la fois dans l’Empire soviétique et dans la Russie actuelle. Les Ukrainiens ont toujours été considérés par la conception impériale dominante, comme un sous-groupe de Russes, et leur assimilation à la langue et la culture russe a été déclarée et promue officiellement comme un progrès historique, positif et inévitable.

Toute remise en cause de ce processus, ne parlons pas de résistance, était qualifié de nationalisme bourgeois qui, exactement comme le sionisme, était une accusation criminelle qui réduisait au silence toutes tentatives  de groupes marginalisés pour défendre leurs droits linguistiques, culturels ou autres. Le fait de combattre le nationalisme bourgeois des Ukrainiens (et celui des autres, excepté les Russes, naturellement) a  reposé sur des actions combinées de la police secrète et des organes de propagande qui signifiaient en particulier de discréditer toute chose ukrainienne qui ne s’accordait pas au modèle officiel de l’éternelle amitié ukraino-russe ainsi qu’au désir primordial des Ukrainiens d’une réunification et d’une ultime fusion avec le grand frère. Tous les exemples historiques de résistance armée à une telle réunification ont été particulièrement voués aux gémonies, aussi il n’a pas lieu d’être surpris qu’il en soit de même pour Bandera et l’O.U.N., devenus, nonobstant leur complexité, des exemples diaboliques du nationalisme bourgeois ukrainien dans ce qu’il a de pire : meurtriers assoiffés de sang et collaborateurs des nazis. Dans le discours dominant, ils sont encore représentés comme une pathologie symbolique, une déviation extrême de la norme officiellement admise. Et la norme ici n’est pas sûre d’elle-même, européenne, démocratique libérale et civique ukrainienne – en tant qu’alternative viable et désirable au bandérisme nationaliste et autoritaire -, mais, plutôt, une norme loyaliste et pro-russe, impatiente de sacrifier son identité, sa dignité et probablement son indépendance, pour l’amour de la mythique fraternité slave orientale sous direction russe.

Tout Ukrainien qui désobéit est catalogué, selon ce discours, comme nationaliste et bandériste et se voit effectivement ravalé de la normalité vers les sphères de l’obsession et de la déviation.

Et, du fait que ce discours crypto-soviétique reste dominant dans la Russie d’aujourd’hui et une majeure partie de l’Ukraine, on peut facilement deviner comment la condamnation des Bandéristes par le Parlement européen est perçue par les créoles locaux et les aborigènes.

Les premiers, avec la victoire de leur candidat aux récentes élections présidentielles, s’efforcent d’assurer pleinement leur domination politique, culturelle et économique sur le pays, monopolisant à la fois les centres de pouvoirs nationaux et locaux, par tous les moyens possibles.

Et c’est la troisième particularité de l’Ukraine aujourd’hui qui a malheureusement échappé aux membres du Parlement européen. Si, à l’instar de Iouchtchenko, ils cherchaient le pire moment pour prendre une mauvaise décision, on peut dire qu’ils y sont arrivés.

Ils ont contribué à encourager tous les sentiments revanchistes du Parti des régions victorieux qui tente de relancer des politiques de russification de style soviétique et abolir ou émasculer toutes les institutions, mesures et règlements établis par leurs prédécesseurs afin de promouvoir la culture, la langue et l’identité ukrainienne. Le nouveau gouvernement a obtenu un magnifique cadeau de la part du Parlement européen. Maintenant, ils peuvent convenablement présenter cette résolution mal pensée comme une condamnation internationale des supposées politiques nationalistes de leurs prédécesseurs et, en conséquence, comme une approbation des mesures anti-nationalistes (en fait anti-ukrainiennes) des nouveaux dirigeants. Pire encore, la signification symbolique de la résolution du Parlement européen est interprétée si largement qu’elle semble excuser le régime anti-nationaliste des violations de la Constitution les plus vicieuses et outrageantes. Il suffit de mentionner la décision illégale de repousser indéfiniment les élections locales prévues au mois de mai ou le coup d’État parlementaire et la mise en place absolument illégitime du nouveau gouvernement : cette usurpation du pouvoir a été approuvée par la Cour constitutionnelle dans un contexte d’accusations de corruption et d’intimidations. On peut remarquer que dans un cas de figure identique, l’année dernière, cette même Cour avait pris une décision exactement contraire !

Selon le discours propagandiste de l’équipe Yanoukovytch, l’Europe civilisée paraît leur donner carte blanche (des munitions politiques selon les termes de Tarasiouk) pour démanteler l’héritage de la Révolution orange, qui n’inclue pas seulement la glorification officielle de Bandera et de l’O.U.N. (comme les membres du Parlement européen semblent le croire) et les tentatives mitigées de régénération de la culture et de la langue ukrainiennes, mais aussi le pluralisme politique, la liberté de parole, des médias, des élections, des réunions publiques et beaucoup d’autres choses qui disparaissent  graduellement, jours après jours, dans l’Ukraine post-orange. Dans le même temps, le Parti des régions allié aux communistes vient au secours des valeurs européennes contre Iouchtchenko et ses Bandéristes avec l’appoint d’une bénédiction conjointe du Kremlin et de l’U.E.

Ce n’est certainement pas ce que l’Union européenne escomptait avec sa résolution mais c’est exactement ainsi que le nouveau pouvoir ukrainien l’interprète pour légitimer ses politiques douteuses et, ironiquement, la manière dont leurs opposants orange perçoivent la posture de l’U.E. La condamnation de Bandera contient un ensemble de choses choquantes. La date de sa publication, le 25 février dernier, était celle de la prise de fonction du nouveau président. Également choquant est le contraste avec l’échec de la résolution condamnant la persécution des Polonais au Belarus. Il était choquant que le paragraphe 20 de la résolution sur Bandera ait été rédigé par les Polonais. Dans ce cas, la Pologne fait plus penser à un procureur de l’Ukraine plutôt qu’à son avocat. Personne ne peut me persuader maintenant que les dirigeants européens ne voulaient pas de Yanoukovytch comme président. Ils doivent vouloir de lui qu’il s’assure que rien ne se mettra sur le chemin de leur léchage de botte pour le gaz naturel russe. Quand, je dis « rien », je veux bien sûr parler ici de l’Ukraine… J’essaie de rester optimiste. Mais, au même moment, je réalise qu’un État ukrainien moderne, viable et performant est seulement du ressort des intérêts de l’Ukraine elle-même. Nous sommes livrés à nous-mêmes (9).

Les ressentiments sont mauvais conseillers en politique, et crier au loup pouvait sembler prématuré dans les premières semaines du nouveau gouvernement, mais un autoritarisme de style russe paraît vraiment imminent en Ukraine, et l’U.E. ferait certainement un meilleur travail en protégeant les valeurs européennes portées au pinacle, des agissements de M. Yanoukovytch et ses associés plutôt que du président congédié Iouchtchenko et ses décrets obsolètes.

On peut porter au crédit des politiciens polonais de sembler être les premiers à être arrivés à comprendre qu’exorciser le diabolique nationalisme ukrainien devrait être la moindre des priorités de l’U.E. dans l’Ukraine post-orange. L’ambassadeur de Pologne Jacek Kluczkowski, dans un entretien donné le 24 mars à l’agence de presse ukrainienne UNIAN a, en partie, pris du champ par rapport aux postures radicales de son gouvernement et de l’U.E., sur l’infortuné décret de Iouchtchenko : « Il est bien sûr inexact que Bandera ait été un collaborateur des nazis et personne ne devrait l’accuser de collaboration. Mais les slogans de Bandera sont-ils en phase avec un État démocratique moderne ? Une figure si controversée peut-elle être un exemple moderne pour un peuple qui aspire à l’intégration européenne ? C’est pourquoi cette distinction nous dérange. Mais la décision de conférer ou non ce titre est une affaire ukrainienne » (10).

Pawel Kowal, un député polonais au Parlement européen, a fait un autre geste de réconciliation dans l’entretien donné à un site Internet ukrainien bien connu : « Je crois qu’il n’est pas du ressort du Parlement européen d’évaluer les politiques en matière d’Histoire de ses membres ou de ses voisins… C’est une affaire intérieure ukrainienne. L’Ukraine ne doit pas être l’objet de pressions de la part d’autres pays. Elle a le droit de prendre des décisions politiques en toute souveraineté… Mais nous, Polonais et Ukrainiens, devons discuter ouvertement de notre histoire. Je sens que nous pouvons le faire, même si nous serons certainement en désaccord sur de nombreux sujets. Nous devons donner suite au dialogue. » Et, avec une claire intention d’encourager les Ukrainiens à faire passer la pilule, Pawel Kowal a suggéré de ne pas exagérer le poids du paragraphe 20. Il y a des points plus importants, a-t-il déclaré. « Le document discute des aspects légaux d’une adhésion possible de l’Ukraine à l’U.E. Le Parlement européen est la seule institution qui, depuis la Révolution orange, déclare clairement que l’Ukraine devrait être en Europe » (11).

L’héritage de Bandera

La controverse autour de Bandera ne disparaîtra pas certainement de sitôt de la vie ukrainienne quelque soient les décisions adoptées par le Parlement européen et les mesure prises par le régime de Yanoukovytch parce qu’il n’est pas question d’histoire, de politique, ou d’idéologie, mais d’identité.

Bandera, comme l’O.U.N./U.P.A., est juste le métonyme de deux héritages différents qui ont été historiquement inséparables, mais ont divergé radicalement aujourd’hui en deux discours et alimenté deux controverses différentes qui sont souvent, délibérément ou non, confondues, rendant, de ce fait, l’ensemble de la problématique hautement ambiguë.

L’une d’entre elles est un héritage fait de violence politique, de terreur, d’autoritarisme, de nationalisme intégral, de xénophobie et d’intolérance. Quelques figures invétérées de la croisade anti-O.U.N. comme l’éminent historien canadien-ukrainien John-Paul Himka et son collègue beaucoup moins talentueux, mais plus actif Wiktor Poliszcuk dénoncent les Bandéristes aussi comme collaborateurs et antisémites, même si ces deux points sont plutôt contestables.

Alexander Motyl  soutient que les collaborateurs sont « des individus ou des groupes qui abandonnent leurs aspirations à la souveraineté et servent les objectifs d’autres puissances », alors que « les individus ou les groupes qui retiennent leurs aspirations à la souveraineté et s’alignent avec des puissances pour poursuivre leurs propres objectifs non démocratiques, sont généralement qualifiés d’alliés » (12). Selon cette logique, Staline, qui a coopéré avec Hitler en 1939 – 1940, était son allié, mais pas un collaborateur. Et les Britanniques et les Américains qui ont par la suite coopéré avec Staline, ont été les alliés de circonstance du totalitarisme communiste, mais pas des collaborateurs de Staline.

Jusqu’en juillet 1941, Bandera et son aile de l’O.U.N. auraient aimé s’allier eux-mêmes aux Allemands avec l’espoir d’obtenir leur indépendance nationale, qui était considérée comme la priorité absolue.

Mais les nazis les voulaient seulement  comme collaborateurs, pas comme alliés. Aussi, quand les Ukrainiens ont proclamé leur indépendance à L’viv le 30 juin 1941, après que les Allemands aient envahi l’U.R.S.S., les nazis n’ont pas accepté ce fait accompli. Dans un sens, comme le commente sardoniquement Motyl, les Allemands ont sauvé par inadvertance les nationalistes d’un destin collaborationniste, voire éventuellement fascisant. Ils ont pris des mesures énergiques contre l’O.U.N. au milieu de l’année 1941, emprisonnant Bandera à Sachsenhausen et deux de ses frères à Auschwitz, et ont assigné à la Gestapo la tâche d’éradiquer tous les réseaux nationalistes. « Les nationalistes de Bandera sont ensuite entrés en clandestinité et, par la suite, ont été amenés à prendre la tête d’un vaste mouvement de résistance populaire qui a combattu à la fois contre les Allemands et, en fin de compte, contre les Soviétiques. Les documents allemands illustrent amplement à quel point les autorités nazies considéraient le Banderabewegung comme une sérieuse force anti-allemande » (13).

Le prétendu antisémitisme de l’O.U.N. est une histoire encore plus compliquée et ambiguë dans la mesure où, d’une part, le ressentiment antijuif ou même l’hostilité à leur égard était un phénomène répandu chez nombre de nationalistes ukrainiens, d’autre part, ils ne considéraient pas les Juifs comme des ennemis principaux, primordiaux et hautement démonisés, mais les considéraient plutôt, pour la plupart d’entre eux, comme des alliés opportunistes et instrumentalisés des Polonais et des Soviétiques, considérés, eux, comme les véritables ennemis. Ce parti pris antijuif a certainement facilité l’implication de certains nationalistes dans des excès antijuifs mais, d’autre part, son caractère non-programmatique et non idéologique a laissé une place substantielle pour la coopération avec ces Juifs qui étaient considérés comme les nôtres, c’est-à-dire loyaux à la cause ukrainienne. À partir de là, quelques Juifs furent recueillis par les nationalistes et certains d’entre eux rejoignirent même les rangs de l’U.P.A. pour lutter conjointement contre les Allemands et les Soviétiques.

D’un point de vue normatif, ni la politique, ni l’idéologie de l’O.U.N. et de Bandera ne semblent acceptables de nos jours et susceptibles d’être mises en pratique de quelque manière que ce soit. C’est définitivement cette part de leur héritage qui doit être abandonné dans la mesure où « cela a peu de sens éthique aujourd’hui » (14) ou comme le souligne justement un autre historien, « au XXIe siècle, de telles vues semblent archaïques et dangereuses » (15).

Mais il y a une part supplémentaire de l’héritage de l’U.P.A. qui est aussi hautement obsolète dans l’Ukraine contemporaine. « Il s’agit du souvenir de ce sacrifice que beaucoup en Ukraine occidentale associent à Bandera et ne souhaitent pas voir oublié […] Comme toute personne intéressée par l’histoire de l’Ukraine soviétique le sait, […] les partisans combattant au nom de Bandera ont résisté à l’imposition de la loi stalinienne avec beaucoup de détermination. Ainsi, il semble y avoir une certaine logique politique binaire dans la décision de Iouchtchenko : glorifier Bandera, c’est rejeter Staline et toute prétention de Moscou d’étendre son pouvoir sur l’Ukraine » (16).

Alexander Motyl a souligné le problème avec encore plus d’acuité : « Les Ukrainiens contemporains, qui voient Bandera comme un héros, en font une célébrité, lui et l’implacable opposition de son mouvement à l’Union soviétique de 1939 à 1955. Personne ne considère les violences nationalistes contre les Polonais et les Juifs comme louables, mais quelques-uns les voient comme centrales pour ce que Bandera et les nationalistes représentent : un rejet de tout ce qui est soviétique, une répudiation des souillures anti-ukrainiennes, et une dévotion inconditionnelle à l’indépendance de l’Ukraine. Bandera et les nationalistes sont aussi vus comme l’antithèse des élites ukrainiennes corrompues, vénales et incompétentes qui ont mal gouverné l’Ukraine depuis les vingt dernières années. Bien sûr, cette lecture populaire de l’histoire ukrainienne est unilatérale et une prise en compte pleine et entière de ces questions engloberait à la fois les choses positives et négatives que Bandera et les nationalistes ont accomplies. Mais les lectures unilatérales de l’histoire ne sont pas du tout rares, surtout chez les nations non consolidées luttant pour préserver leur indépendance nouvellement acquise » (17).

Le dernier point est particulièrement important. Il suggère que l’Ukraine n’est pas juste une nation normale avec une identité fermement établie et un État solidement installé, qui choisit en apparence entre autoritarisme et démocratie, c’est-à-dire dans ce cas, entre un héritage crypto-fasciste incarné par Bandera et l’O.U.N. et les valeurs libérales démocratiques promues par l’U.E.

La réalité est un tantinet différente. L’État et la souveraineté ukrainiennes ne sont pas suffisamment consolidés face à un autoritarisme russe croissant, pas plus que l’identité ukrainienne aborigène n’est à l’abri des pressions culturelles et linguistiques des créoles dominant politiquement et économiquement et de leurs alliés de Moscou.

Aussi, pour les Ukrainiens, le véritable choix n’est pas entre une dictature nationaliste de style O.U.N. et une démocratie libérale style U.E. La majorité d’entre eux ont fait ce choix, il y a bien longtemps, et de fait personne, à part quelques marginaux, ne chante aujourd’hui les louanges des premiers, et rejette ces derniers. Le véritable choix s’établit entre la défense de la souveraineté nationale, la dignité et l’identité ou le renoncement à tout cela en faveur des Russes et/ou leurs auxiliaires créoles. Dans ces circonstances, la seconde part de l’héritage de Bandera reste pertinente, celle du patriotisme, de la souveraineté nationale, de l’esprit sacrificiel, de l’engagement idéaliste envers les valeurs et les objectifs communs.

Il est à remarquer que c’est exactement cette part de l’héritage de Bandera et de l’O.U.N./U.P.A. qui a été en premier lieu la cible des Soviétiques, comme Alexander Motyl nous le rappelle avec justesse : « La propagande soviétique a toujours diabolisé les nationalistes, pas pour leurs violations des droits de l’homme (après tout, qui étaient les Soviétiques pour se soucier des droits de l’homme après avoir inventé le Goulag ?), mais  à cause de leur opposition à la loi de Staline.

Les nationalistes ont perdu plus de 150 000 hommes et femmes alors qu’ils infligeaient plus de 30 000 morts aux troupes soviétiques et aux unités de police dans une période comprise entre 1944 et 1955. Des centaines de milliers de sympathisants nationalistes furent aussi déportés et emprisonnés au Goulag. Le mouvement de résistance nationaliste d’après-guerre bénéficia d’un large soutien de la part de la population d’Ukraine occidentale précisément à cause de leur ferme opposition au stalinisme et ses aspirations génocidaires. Au fil des ans, alors que la domination soviétique pesait de tout son poids, le soutien actif de la population s’amenuisa, mais les nationalistes de Bandera continuèrent à symboliser la cause de la libération nationale » (18).

Ceci pourrait être une bonne réponse à la question de John-Paul Himka qui se demande « pourquoi quelqu’un voudrait-il adopter l’héritage de ce groupe [O.U.N.] ? […] Devrions-nous payer pour leur legs (19) ? » Cela pourrait être également une juste explication pour savoir quelle part de l’héritage de Bandera, (et pourquoi), est si ardemment détestée, à la fois dans la Russie actuelle et dans l’Ukraine de Yanoukovytch. « La diabolisation soviétique des nationalistes engendra une image profondément enracinée dans les esprits, les dépeignant comme des assassins sauvages qui n’avaient aucun agenda politique, ni idéologique, excepté pour la mort et la destruction. Cette image s’enracina, par-dessus tout, dans les parties lourdement soviétisées de l’Ukraine de l’Est et du Sud, qui avaient servies de places fortes pour la domination du parti communiste. Les Russes et les russophones y donnèrent officiellement la réplique et insultèrent fréquemment les Ukrainiens conscients qui osaient parler leur propre langue en les dépeignant comme des Bandera.

Ce mot de Bandera, que les chauvinistes russes avaient utilisé comme un nom chargé d’opprobres, devint un terme laudateur, de la même manière que la lettre N chez les Afro-Américains […] » (20).

Pour le dire autrement, les termes de Bandera et de Banderistes dans le discours ukrainophobe idéologiquement chargé des soviétophiles dominants devinrent synonyme de n’importe quel Ukrainien auto-conscient, non-russifié et non-soviétisé, le métonyme d’un Vendredi désobéissant qui refuse de reconnaître la supériorité culturelle et politique du Robinson russe.

Un tel Ukrainien, ainsi que la dimension  nationale et libératrice (plutôt qu’autoritaire) de l’héritage de l’O.U.N. qui le rend indéfectiblement réfractaire, est ce qui irrite au plus haut point, à la fois les chauvinistes impériaux en Russie et leurs associés créoles en Ukraine.

Abandonner cet héritage dans l’Ukraine actuelle équivaudrait, non à accepter les valeurs européennes libérales démocratiques, comme les membres du Parlement européen pourraient le croire, mais plutôt à accepter la vision de l’histoire et de l’identité ukrainienne des colonisateurs.

Pour remettre de l’ordre dans tout ça, la partie aborigène de la société ukrainienne aurait peu d’intérêt à abandonner ses symboles nationalistes aussi longtemps que l’autre partie conserve ses propres symboles de la conquête et la domination coloniale, tous les Lénine et Staline, les Djerzinsky et Kirov, les Pierre et Catherine indubitablement grands, chéris et glorifiés.

Iaroslav Hrytsak a raison : « Nous devons reconnaître que la mémoire historique ukrainienne est profondément divisée, le fait est que nous et nos héritiers aurons à vivre avec pour un bon bout de temps […] Un pacte sur l’amnésie aurait pu être la meilleure solution politique pour notre pays, au moins le temps que nous achevions une transformation radicale […] Mais un tel pacte requiert une élite responsable et un arbitre de confiance honorable (en Espagne, il y a le roi). Encore, même si un quelconque miracle nous avait gratifié d’une telle élite et d’un tel arbitre, nous avons, à la différence des Espagnols, des voisins, Polonais, Russes, Juifs, qui ne nous permettraient pas d’oublier notre histoire […] Nous devrons probablement essayer d’élaborer une formule à l’anglo-saxonne qui permette la coexistence de différents éléments de mémoire historique parfois mutuellement incompatibles pour produire un consensus national, e pluribus unum […] (21). »

Jusqu’ici, cela pourrait être un vœu pieux dans la mesure où la Russie d’aujourd’hui acceptera difficilement toute altérité ukrainienne qui outrepasse le paradigme impérial. Mais Bruxelles pourrait être à l’écoute, ainsi que Varsovie. Ils doivent reconnaître le droit des petites nations fragilisées à posséder leur propre mémoire. Autrement, soutient Hrytsak, la mémoire européenne commune ne se résumerait simplement qu’à la domination des plus forts et des plus riches  sur les plus faibles et les plus pauvres. « Les nations mineures devraient avoir le droit d’honorer des héros pas toujours très orthodoxes et convenables, aussi longtemps qu’elle les célébreront, non comme des symboles de violence et de domination sur les autres peuples, mais comme des symboles de leur propre lutte pour la survie et la dignité. Dans le cas de Bandera, il est peu important de savoir s’il fut fasciste ou non, mais plutôt si les gens le célèbrent comme un fasciste ou en tant qu’autre.

Il est dans l’ordre des choses que les héros nationaux ne soient pas toujours impeccables. Les Indiens d’Amérique latine expriment de sérieuses réserves à l’égard de Christophe Colomb, et les Noirs peuvent tout à fait considérer George Washington comme un propriétaire d’esclaves, voire soupçonner d’arrière-pensées racistes de respectables hommes d’état américains ou européens. Les Tchétchènes ne verraient pas Jacques Chirac conférant la Grand-Croix de la Légion d’Honneur au président Poutine comme l’exemple d’un geste juste et honnête, comme les Palestiniens ne trouveraient rien d’héroïque aux appels de Ben Gourion pour “ expulser les Arabes et de prendre leur place, utiliser la terreur, l’assassinat, l’intimidation, la confiscation des terres et la coupure de tous les services sociaux pour débarrasser la Galilée de sa population arabe ”, et “ faire tout ce qui est possible pour s’assurer qu’ils (les réfugiés palestiniens) ne reviennent jamais » (22).

Mais il est aussi peu probable que les membres du Parlement européen pourraient un jour sommer les Israéliens de renommer leur principal aéroport ou pousser le conseil municipal de Barcelone à enlever le monument en l’honneur de Colomb, sans parler d’interdire la vente et le port de T-shirts à l’effigie de Che Guevara dans les pays de l’U.E., dans la mesure où ni l’idéologie totalitaire, ni l’activité terroriste de ce héros satisfait de près ou de loin aux valeurs européennes.

La vérité historique, dans la majorité des cas, est hautement complexe et ambiguë. L’histoire de Bandera, à cet égard, ne fait pas exception à la règle. Elle renferme à la fois des pages sombres et lumineuses. Et aucune d’elles ne doit être mésestimée ou exagérée. Plus important, aucune d’entre elles ne devrait être considérée en dehors de son contexte historique par rapport aux temps que nous vivons.

Mykola Riabtchouk

Notes

1 : Parlement européen, Résolution du 25 février 2010 sur la situation en Ukraine.

http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&reference=P7-TA-2010-0035&language=FR&ring=P7-RC-2010-0116

2 : Lire l’article en ligne de Youri Pokaltchouk, « Les indépendantistes ukrainiens dans les camps de la mort nazis » sur :

http://www.ukraine-europe.info/ua/dossiers.asp?1181081152 (note du traducteur).

3 : Pétition # 251148. Appel solennel des Ukrainiens aux membres du Parlement européen au sujet de la diffamation de Stepan Bandera dans le texte de la résolution du Parlement européen datée du 25 février 2010 sur la situation en Ukraine;

http://www. n.org.ua/petition/detail.php?ELEMENT_ID=617

4 : Ukrayinska Pravda, 9 mars 2010;

http://blogs.pravda.com.ua/authors/tarasyuk/4b9652fbf3e28/

5 : « Yushchenko : European Parliament has ‘ historical complex ‘ with respect to Bandera », Interfax, 10 mars 2010;

http://www.interfax.com.ua/eng/main/33884/

6 : Bohdan Chervak, « Ukrayinske pytannia Yevroparlamentu », Ukrayinska Pravda, 3 mars 2010;

http://www.pravda.com.ua/columns/2010/03/3/4828199/

7 : Yaroslav Hrytsak, « Klopoty z pamyattiu », Zaxid.net, 8 mars 2010;

http://www.zaxid.net/article/60958/

8 : Andrzej Eliasz, « Polska – Ukraina : niewiadoma z Rosja w tle », Gazeta Wyborcza, 27 – 28 mars 2010, s. 22.

9 : Iryna Magdysh, « Ukrainians have right to honor their own heroes », Kyiv Post, 4 mars 2010;

http://www.kyivpost.com/news/opinion/op_ed/detail/61046/

10 : « Posol Polshchi : Ukrayinsko-polski vidnosyny matymut inshyi vidtinok », UNIAN, 24 mars 2010;

http://www.unian.net/ukr/news/news-369028.html

11 : Pawel Kowal, « Kryza prymusyt Ukrayinu zrobyty chitkyj vybir », Zaxid.net, 25 mars 2010;

http://www.zaxid.net/article/62297/

12 : Alexander Motyl, « Ukraine, Europe, and Bandera », Cicero Foundation Great Debate Paper, n° 10/05 (mars 2010), p. 6;

http://www.cicerofoundation.org/lectures/Alexander_J_Motyl_Ukraine_Europe_and_Bandera.pdf.

Traduction ukrainienne: http://zgroup.com.ua/article.php?articleid=3777

13 : Ibid. Le lecteur pourra aussi se référer utilement à l’ouvrage de Wolodymyr Kosyk, L’Allemagne nationale-socialiste et l’Ukraine, Publications de l’Est Européen, Paris, 1986, et consulter du même auteur l’article en ligne concernant « La lutte des nationalistes ukrainiens contre les Nazis » :

http://www.ukraine-europe.info/ua/dossiers.asp?1181081094 (note du traducteur).

14 : Timothy Snyder, « A Fascist Hero in Democratic Kiev », New York Review of Books, 24 février 2010;

http://blogs.nybooks.com/post/409476895/a-fascist-hero-in-democratic-kiev

15 : David Marples, « Yushchenko erred in honouring Bandera », Edmonton Journal, 10 février 2010;

http://www.edmontonjournal.com/news/Yushchenko+erred+honouring+Bandera/2533423/story.html

16 : Timothy Snyder, art.cit.

17 : Motyl, « Ukraine… », art. cit., p. 9.

18 : Id., p. 8.

19 : John-Paul Himka, « Should Ukrainian Studies Defend the Heritage of O.U.N. – U.P.A. ? », lettre ouverte diffusée le 10 février 2010.

20 : Motyl, art. cit. p. 8.

21 : Hrytsak, « Klopoty… », art. cit.

22 : Michael Bar Zohar, Ben-Gurion : the Armed Prophet, Prentice-Hall, 1967, p. 157. Voir également  Ben Gurion and the Palestine Arabs, Oxford University Press, 1985, et David Ben Gurion to the General Staff : Ben-Gurion. A Biography par Michael Ben-Zohar, Delacorte, New York 1978. Je remercie spécialement Steven Velychenko pour la bibliographie fournie

• Traduit de l’anglais par Pascal G. Lassalle pour Theatrum Belli et d’abord mis en ligne sur ce site le 11 mai 2010.

Stepan Bandera (1909-1959)

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Stepan Bandera (1909-1959)

par Pascal G. LASSALLE

Ex: http://www.europemaxima.com/

Il y a cinquante ans, le 15 octobre 1959, le nationaliste ukrainien Stepan Bandera, était assassiné à Munich par un agent du K.G.B.

 

Né le 1er janvier 1909 en Galicie (Ukraine occidentale), alors sous domination autrichienne, d’un père prêtre grec-catholique (uniate), le jeune Stepan a grandi dans une atmosphère de patriotisme et de culture nationale ukrainienne.

 

Conjointement à ses études secondaires, il devint membre du mouvement scout patriotique Plast et milita dans un groupe de jeunes nationalistes. En 1927, muni de l’équivalent du baccalauréat, il entra à l’Institut agronomique de Lviv.

 

Dans une Galicie sous administration polonaise, objet d’une violente politique d’assimilation et de « pacification » de la part de Varsovie, il adhéra à l’Organisation militaire ukrainienne (U.V.O.) du colonel Yevhen Konovalets, vivier de jeunes activistes dans laquelle il rencontra des hommes comme Yaroslav Stetsko ou Roman Choukhevytch.

 

À partir de 1929, il devint membre de la toute nouvelle Organisation des nationalistes ukrainiens (O.U.N.) dont il gravit rapidement les échelons hiérarchiques jusqu’à prendre la tête de l’exécutif de l’organisation en Ukraine occidentale.

 

Au sein de cette structure politique marquée par le nationalisme intégral de l’idéologue Dmytro Dontsov, il organisa un attentat contre le consul soviétique Maylov à Lviv (1933), puis ordonna l’exécution du ministre polonais de l’Intérieur Bronislaw Pieracki (1934), sanglant « pacificateur » de la Galicie et de la Volhynie.

 

Arrêté et condamné à mort, sa peine fut commuée en emprisonnement à vie.

 

Libéré au moment de l’invasion allemande de la Pologne en septembre 1939, il s’opposa à la ligne suivie par le dirigeant de l’O.U.N., Andriy Melnyk, qui avait pris la tête de l’organisation après l’assassinat de Konovalets par un agent de Staline.

 

Représentant les combattants de l’intérieur, Bandera, Stetsko et Choukhevytch contestèrent vivement la ligne suivie par les dirigeants émigrés, refusant notamment un alignement sur l’Allemagne et exigeant une intensification de la lutte contre les Soviétiques.

 

La rupture intervint dès février 1940 avec la création d’une branche révolutionnaire de l’organisation, l’O.U.N.-B. (B pour Bandera, qui adopta notamment le drapeau aux bandes rouges et noires) désormais distincte et souvent rivale de l’O.U.N.-M. (Melnyk).

 

Circonspects vis-à-vis des Allemands, Bandera et ses partisans n’en négocièrent pas moins auprès de la Wehrmacht, la formation d’une Légion ukrainienne de 680 hommes constituée des bataillons Nachtigall et Roland.

 

L’O.U.N.-B. se prépara à prendre le pouvoir en Ukraine avec ou sans l’assentiment des Allemands : au moment de l’offensive hitlérienne de juin 1941 contre l’U.R.S.S., 5 000 à 8 000 éléments de l’organisation s’infiltrèrent en Ukraine soviétique.

 

Le 30 juin 1941 à Lviv, les représentants de l’O.U.N.-B. proclamèrent unilatéralement un État ukrainien indépendant sous la direction de Yaroslav Stetsko. Quelques jours plus tard, Bandera et nombre de ses partisans furent arrêtés par les Allemands chez lesquels avait prévalu la ligne raciste et pangermaniste défendue par Hitler et ses exécutants, dont le sinistre Erich Koch, futur commissaire du Reich pour l’Ukraine.

 

Transféré à Berlin, Bandera fut ensuite interné au camp de concentration de Sachsenhausen jusqu’en septembre 1944. Dès lors il refusa de s’associer au Comité national ukrainien créé avec l’aval des Allemands et entra dans la clandestinité alors qu’en Ukraine même, les résistants nationalistes de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (U.P.A.) dirigée par Roman Choukhevytch, menaient un combat désespéré contre l’Armée rouge, après avoir lutté contre les nazis.

 

Après 1945, il resta en R.F.A. où il devint président de l’O.U.N.-B. en exil, mobilisa la diaspora et coordonna la résistance des derniers noyaux de l’U.P.A. jusqu’au début des années cinquante.

 

Très actif, il édita de nombreuses publications et suscita la création du Bloc antibolchevik des nations (A.B.N.).

 

Bête noire des Soviétiques qui redoutaient plus que jamais l’action des Bandéristes et autres « nationalistes bourgeois » ukrainiens, il fut l’objet de multiples attentats jusqu’à ce jour fatal d’octobre 1959 (1).

 

Aujourd’hui, la figure de Bandera reste éminemment controversée.

 

Honoré dans la diaspora et en Ukraine de l’Ouest (plusieurs monuments ont été érigés à Lviv, Ivano-Frankivsk ou Ternopil), il suscite des sentiments beaucoup plus mitigés dans le reste du pays qui vont jusqu’à la franche hostilité tant les effets d’une propagande soviétique mensongère ont porté leurs fruits.

 

Ces mensonges et contrevérités continuent à êtres véhiculés par les nostalgiques du communisme, mais aussi par le Kremlin.

 

Dénonçant, surtout depuis la « Révolution Orange », l’« instrumentalisation de l’Histoire à des fins politiques », les multiples atteintes à l’« Histoire commune » (comprendre l’historiographie russo-soviétique, hégémonique en Occident qui englobe le « petit frère » ukrainien et lui dénie toute histoire propre) et la « réhabilitation des collaborateurs des nazis » en Ukraine, le pouvoir russe actuel sacrifie en fait à une tradition moscovite immuable, celle de vouer aux gémonies toutes les figures et événements historiques qui rappellent au monde entier que les Ukrainiens ne sont pas des Russes et qu’ils n’ont jamais cessé, comme l’affirmait Voltaire, de lutter obstinément pour leur liberté et la reconnaissance de leur identité.

 

Pascal G. Lassalle

 

Note

 

1 : Il n’existe à ce jour aucune biographie en français sur Bandera. L’histoire du nationalisme ukrainien reste encore une terra incognita dans notre pays.

 

Christophe Dolbeau a rédigé un formidable outil de travail et de mémoire avec son Petit dictionnaire des résistances nationales à l’Est de l’Europe, 1917 – 1989 face au bolchevisme (Éditions Artic, Paris, 2006) dans lequel on trouve une partie très complète sur l’Ukraine.

 

L’ouvrage de l’Italien Alberto Rosselli, La résistance antisoviétique et anticommuniste en Europe de l’Est de 1944 à 1956, a enfin été traduit en français aux Éditions Akribeia (Saint-Genis-Laval, 2009) avec un bon chapitre consacré à la lutte de l’U.P.A.

 

Roland Gaucher a également parlé du combat des nationalistes ukrainiens dans son ouvrage L’opposition en U.R.S.S. 1917 – 1967 (Albin Michel, Paris, 1967).

 

Le journaliste Patrice de Plunkett (sous le pseudonyme de Patrick Louth) a aussi évoqué la lutte du chef de l’O.U.N.-B. dans le tome 2 de l’ouvrage collectif Les survivants de l’aventure hitlérienne (Éditions Famot, Genève, 1975), titre d’ailleurs très équivoque qui peut contribuer à entretenir la controverse sur l’action du chef nationaliste.

 

Le lecteur intéressé pourra, le cas échéant, se référer à l’énorme fond documentaire de la Bibliothèque ukrainienne Symon-Petlura au 6, rue de Palestine dans le XIXe arrondissement de Paris.

 

Notons également que le cinéaste ukrainien Oles Yanchuk a évoqué la dernière période de la vie de Stepan Bandera dans un long-métrage réalisé en 1995, L’attentat, un meurtre automnal à Munich (Attentat, ossinnye vbystvo v Miounkheni / Assassination, an autumn murder in Munich).

 

• Mis en ligne sur Novopress, le 15 octobre 2009.

Stepan Bandera (1909 - 1959)

vendredi, 28 mai 2010

Sur le Pacte germano-soviétique

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1990

Sur le Pacte germano-soviétique

 

Ingeborg FLEISCHHAUER, Der Pakt. Hitler, Stalin und die Initiative der deutschen Diplomatie 1938/39,  Ull­stein, Berlin, 1990, 552 S., DM 48, ISBN 3-550-07655-X.

 

Parmi les publications et prises de position à l'occasion du cinquantième anniversaire du fa­meux traité germano-soviétique de l'été 1939, peu ont mis l'accent sur les prémisses de ce «pacte dia­bolique». L'historienne Ingeborg Fleischauer (Université de Bonn), spécialiste des relations germano-russes, a été la première Occidentale à pouvoir consulter certaines archives et pièces ori­ginales soviétiques. Ce qui lui a permis de retracer plus minutieusement que ses prédécesseurs la gé­néalogie du «pacte». Elle en déduit que l'initiative de renouer de bonnes relations entre le Reich et la Russie venait surtout d'Allemagne et principale­ment dans la période qui a suivi Munich. Outre les archives russes, Ingeborg Fleischhauer a aussi compulsé un maximum de sources occidentales et interrogé les derniers témoins. Parmi les docu­ments analysés pour la première fois, il y a la cor­respondance privée du dernier ambassadeur alle­mand à Moscou, le Comte Friedrich Werner von der Schulenburg, dont le rôle n'a pas encore été évalué à sa juste mesure. La thèse personnelle d'Ingeborg Fleischhauer est de dire que l'initiative provient, non pas de Hitler ou de Staline, mais des milieux professionnels de la diplomatie allemande. L'historienne compte quatre étapes dans la gesta­tion du «pacte»: 1) d'octobre 1938 à fin janvier 1939, où l'on assiste à un renforcement des rela­tions commerciales bilatérales entre les deux puis­sances; 2) de février 39 au 10 mai 39, où les rela­tions bilatérales cessent d'être strictement com­merciales et se politisent lentement, malgré la désapprobation soviétique (surtout Litvinov) de l'occupation de la Bohème par les troupes de Hit­ler. Malgré l'annexion de ce territoire slave, une nouvelle génération de diplomates soviétiques ac­cepte le fait accompli qui contribue à déconstruire le cordon sanitaire occidental, mis en place pour tenir et l'Allemagne et l'URSS en échec; 3) de mai 39 au 20 août; les initiatives allemandes, quali­fiées de néo-bismarckiennes, se multiplient, jus­qu'à l'offre du pacte de non-agression du 17 août; 4) du 20 au 23 août 1939, avec le voyage de Rib­bentrop à Moscou et la signature du «pacte».

 

En bref, un ouvrage d'une exceptionnelle minutie que doivent posséder et lire tous ceux qui veulent comprendre la dynamique de notre siècle.

 

lundi, 24 mai 2010

Omar Torrijos, een Panamees solidarist

Omar Torrijos, een Panamees solidarist

Aan het begin van de 20ste eeuw was Panama nog een gewone Colombiaanse provincie. Nadat Frankrijk in de jaren 1880 met ingenieur Ferdinand de Lesseps tevergeefs gepoogd had om een kanaal door de Panamese landengte te graven, eiste de VS in de eerste jaren van de 20ste eeuw dat Colombia deze landengte zou overdragen aan een Amerikaans consortium, zodat een kanaal kon gegraven worden om de Atlantische en Stille Oceaan te verbinden. Toen Colombia dit weigerde, stuurde de Amerikaanse president Theodore Roosevelt in 1903 oorlogschepen, die troepen aan land zetten in Panama. Hierdoor werd deze Colombiaanse provincie in november 1903 tegen haar wil ‘onafhankelijk’ gemaakt en installeerde de VS een marionettenregime van oligarchen.

Amper 2 weken later werd in het Witte Huis te Washington een verdrag ondertekend tussen Amerikaans Minister van Buitenlandse Zaken John Hay en de Franse ingenieur Philippe-Jean Bunau-Varilla, die betrokken was bij de mislukte Franse poging om een kanaal te graven én tevens een van de aanstichters van de afscheiding was geweest. Bij dat verdrag waren géén vertegenwoordigers van Panama betrokken en werd een zone van 8,1 km breed aan weerszijden van het kanaal – 1432 km² – “voor eeuwig” tot Amerikaans eigendom verklaard. Dit werd de Panamakanaalzone, waarvan Balboa de hoofdstad was. Verder stipuleerde dit verdrag dat de VS ten allen tijde militair mochten interveniëren in Panama. Aldus kon de VS starten met de bouw van het met Amerikaans kapitaal gefinancierde Panamakanaal, dat in 1914 klaar was.

 

Tot 1968 werd Panama geregeerd door een oligarchie van rijke families met nauwe banden met Washington. Dit waren liberaal-kapitalistische dictators die er op toezagen dat hun land de belangen van de VS bleef dienen. Voorts ondersteunden ze ook de CIA en de NSA, evenals grote Amerikaanse multinationals zoals Standard Oil van Rockefeller en United Fruit Company van George Bush sr. (die toen Amerikaans ambassadeur bij de VN was). United Fruit Company was één van de grootste en meest onderdrukkende landeigenaren in Centraal-Amerika en had een nauwelijks verhuld bondgenootschap met de CIA en de Centraal-Amerikaanse legers. Deze bananenmultinational werd vanwege zijn onaantastbare politieke en economische invloed in Centraal-Amerika ‘El Pulpo’ (de octopus) genoemd. Na diverse fusies en naamsveranderingen heet het bedrijf sinds 1984 Chiquita Brands International. Markant is ook nog dat deze multinational in 2007 in de VS veroordeeld werd tot een boete van 25 miljoen dollar wegens het financieel ondersteunen van een terroristische organisatie in Colombia …

 

Het kwam bij de Panamese oligarchen niet op om het lot van de gewone Panamezen te verbeteren, die in schrijnende armoede leefden of de facto slavenarbeid moesten doen op de grote Amerikaanse plantages en bedrijven in Panama. Als dank intervenieerde de VS een tiental keer in Panama om hen aan de macht te houden. Met het afzetten van Arnulfo Arias, Panama’s laatste dictator, en het aan de macht komen van Torrijos in 1968 nam Panama’s triestige geschiedenis plots een radicaal andere wending.

Omar Torrijos (1929-1981) was president van Panama van 1968 tot zijn dood bij een mysterieus vliegtuigongeval in 1981. Hij werd geboren als zesde in een gezin van 12 kinderen in de plattelandsstad Santiago, waar zijn ouders leerkracht waren op een school. De jonge Omar bemachtigde tijdens zijn secundair onderwijs een studiebeurs voor de militaire academie in El Salvador, waar hij het tot luitenant bracht. In 1952 trad Torrijos toe tot de Nationale Garde, de elite-eenheid van het Panamese leger, en promoveerde in 1956 tot kapitein. Hij mocht verder studeren aan de School of the Americas (cfr. infra) in de Panamakanaalzone. In 1966 werd Torrijos tot luitenant-kolonel benoemd. De Nationale Garde verwierf in de jaren 1960 steeds meer steun onder de arme Panamezen.

 

Door de militaire coup van 1968 werd dictator Arnulfo Arias in ballingschap naar Miami gestuurd en werd Omar Torrijos president, hoewel hij niet actief deelgenomen had aan de coup. Na zijn overwinning in de interne machtsstrijd met kolonel Boris Martinez en het overleven van een mislukte staatsgreep door andere officieren vestigde Torrijos zijn macht door het opheffen van alle politieke partijen, het uitschakelen van progressieve amokmakers en het verslaan van de guerrilla’s in West-Panama.

President Omar Torrijos tussen zijn volk.

De Panamezen beschouwden Torrijos als de eerste Panamese president die effectief het arme, Spaanssprekende volk vertegenwoordigde, want net zoals nu bij ons was ook de Panamese politieke en economische elite volledig vervreemd van het volk. Deze oligarchie sprak zelfs Engels in plaats van Spaans. President Torrijos luisterde daarentegen naar de berooiden, liep door hun sloppenwijken, hield bijeenkomsten in achterbuurten waar de ‘democratische’ politici niet durfden komen, hielp werklozen aan werk en gaf ondanks zijn beperkte financiële middelen vaak geld aan door ziekte of onheil getroffen gezinnen.

 

President Torrijos introduceerde een reeks sociaal-economische hervormingen om de armoede terug te dringen en focuste verder in het bijzonder op het strategische Panamakanaal. Hij was een fel verdediger van Panama’s soevereiniteit en van Panama’s aanspraken op het Panamakanaal en was tevens vastbesloten om de smadelijke valkuilen, waarin zijn land voordien getrapt was, te vermijden. Tot Torrijos’ machtsovername kampte de Amerikaanse satellietsstaat Panama immers met politieke instabiliteit.

 

Torrijos’ medeleven met zijn volk verspreidde zich tot ver buiten Panama. Hij wou van Panama een toevluchtsoord voor politiek vervolgden van beide politieke zijden maken. Daarnaast spande hij zich in om een eind te maken aan de verdeeldheid die veel Latijns-Amerikaanse landen verscheurde. Heel Latijns-Amerika beschouwde Torrijos als een voorvechter van vrede en zwaaide hem daarvoor lof toe. Zijn kleine volk van 2 miljoen mensen diende als model van sociale hervormingen en als een inspirerend voorbeeld voor veel wereldleiders, zoals Moammar Kadhafi van Libië.

 

De charismatische en moedige Torrijos stónd voor zijn ideeën: Panama was voor de eerste keer in zijn geschiedenis geen marionet van Washington en ook de verleidelijke aanbiedingen van Moskou en Peking sloeg hij af. Hij geloofde immers wel in sociale hervormingen en het bieden van hulp aan de armen, maar zag géén heil in het communisme. In tegenstelling tot Fidel Castro wou Torrijos zijn land bevrijden van de VS zonder allianties aan te gaan met de vijanden van de VS. Dat moest overigens ook wel, want rondom het strategisch zeer belangrijke Panamakanaal zou het Amerikaanse wereldrijk nooit een ‘tweede Cuba’ hebben laten tot stand komen.

 

De arrogante houding van de VS tegenover de rest van de wereld gaat terug op de Monroe-leer, die in 1823 geproclameerd werd door president James Monroe. In de jaren 1840 bouwde het Manifest Destiny daarop verder: de verovering van Noord-Amerika, de daarbijhorende vernietiging van de Indianen, bizons, bossen, … en de ontwikkeling van een economie die gebaseerd is op permanente uitbuiting van arbeiders en natuurlijke hulpbronnen zou Gods wil geweest zijn. Op basis hiervan werd de volgende 2 decennia verklaard dat de VS bijzondere rechten hadden op het héle Amerikaanse continent, waaronder het recht om militair tussen te komen in Latijns-Amerikaanse landen die weigerden zich te schikken naar de Amerikaanse wil. President Theodore Roosevelt beriep zich hier dan ook op om zijn militaire interventies in Caraïbische eilandstaten en Venezuela en de ‘bevrijding’ van Panama te rechtvaardigen. Ook zijn opvolgers Taft, Wilson en Franklin Roosevelt steunden er zich op om de macht der VS in heel Latijns-Amerika uit te breiden. Na de Tweede Wereldoorlog zwaaiden de Amerikanen met een – meestal vermeende – ‘communistische dreiging’ om dit interventieconcept uit te breiden tot álle landen in de wereld.

 

President Torrijos was na Castro en Allende de derde Latijns-Amerikaanse leider om de Amerikaanse langetermijnoverheersing om te buigen, doch hij was de enige van hen die zich níet aansloot bij een communistische ideologie én die tevens zijn beweging niet als revolutionair promootte. Hij stelde simpelweg dat Panama eigen rechten had op soevereiniteit over zijn volk, zijn grondgebied én op het Panamakanaal, evenals dat deze rechten net zo van God gegeven waren als die van de VS. Verder kantte hij zich sterk tegen de School of the Americas en het Amerikaanse opleidingscentrum voor tropische oorlogsvoering in de Kanaalzone. De VS leidde daar immers jarenlang Latijns-Amerikaanse militairen en bestuurders op in verhoortechnieken, het uitvoeren van geheime operaties en militaire tactieken om tegen guerrilla’s te strijden en om hun bezittingen en die van multinationals te beschermen. Daarnaast konden zij daar ook relaties opbouwen met hoge Amerikaanse militairen. De Amerikanen trainden er dus de liberaal-totalitaire doodseskaders en de beulen die in veel Latijns-Amerikaanse landen pro-Amerikaanse kapitalistische regimes in het zadel hielden. Torrijos maakte de VS duidelijk dat hij deze opleidingscentra weg wou uit de Kanaalzone én dat hij die Kanaalzone als Panamees grondgebied beschouwde.

 

Tot aan Torrios’ aantreden telde Panama meer internationale banken dan gelijk welk ander Latijns-Amerikaans land, waardoor Panama het ‘Zwitserland van Amerika’ werd genoemd. Klanten werden er niet veel vragen gesteld. De Kanaalzone stond vol met enorme gebouwen, keurige gazons, prachtige huizen, golfbanen, winkels, rechtbanken, scholen en bedrijven, die allemaal Amerikaans bezit waren en vrijgesteld waren van de Panamese wetgeving en fiscaliteit. Net daarbuiten crepeerden de arme Panamezen in hun krottenwijken. De Kanaalzone was met andere woorden een (rijk) land in een (arm) land.

 

Belangrijk was dat Torrijos zich nadrukkelijk bleef distantiëren van de USSR, China en Cuba en een eigen, zelfstandige, Panamese weg wou bewandelen. Eén die de rechten der armen wou garanderen. Uiteraard wist hij ook dat de aangeboden Amerikaanse ontwikkelingshulp een schijnvertoning was: de bedoeling was hém rijk te maken en zijn land op te zadelen met enorme schulden, zodat Panama voor eeuwig in de greep van de VS, Wall Street en de multinationals zou blijven. Torrijos besefte dat zijn weigering om zijn volk te verkopen aan deze buitenlandse machten zou gezien worden als een bedreiging, omdat dit tot de teloorgang van het corrupte systeem van ontwikkelingshulp zou leiden.

 

In 1977 slaagde Torrijos er na jarenlange onderhandelingen met de Amerikaanse president Carter over het Panamakanaal in om het Torrijos-Carterverdrag te sluiten. Heel de wereld had met grote belangstelling naar deze onderhandelingen gekeken: zou de VS doen wat de rest van de wereld als rechtvaardig beschouwde en dus het kanaal overdragen aan Panama óf zou de VS zijn mondiaal interventieconcept proberen herstellen? Torrijos’ daden hadden immers gevolgen die veel verder reikten dan Panama en de geschiedenis van Latijns-Amerika wemelt van de dode helden: een systeem dat gebaseerd is op het omkopen van politieke leiders heeft immers een hekel aan politieke leiders die weigeren zich te laten omkopen. De Panamese president had daarom de druk op de VS opgevoerd door publiekelijk te suggeren dat de Amerikaanse geheime diensten van plan waren om hoge Panamese militairen om te kopen om de onderhandelingen te saboteren. En Torrijos kreeg het Panamakanaal inderdaad terug: met het Torrijos-Carterverdrag verkreeg Panama dat in 1979 de Panamakanaalzone gezamenlijk eigendom werd van de VS en Panama. Tevens zou Panama in 2000 de volledige eigendom in handen zou krijgen. De VS mocht echter wel het Panamakanaal blijven ‘beschermen’.

 

In zijn in 1997 verschenen boek ‘America’s Prisoner’ onthulde Torrijos’ opvolger Manuel Noriega, die toen door de Amerikanen gevangen gehouden werd na de illegale Amerikaanse bezetting van Panama in 1989, dat Torrijos het militaire plan ‘Huele a quemado’ – Vrij vertaald: ‘Het ruikt hier aangebrand’ – klaar had om het Panamakanaal te saboteren indien het Torrijo-Carterverdrag niet geratificeerd werd door het Amerikaanse parlement, zodat het kanaal voor de Amerikanen voor lange tijd onbruikbaar zou zijn. Torrijos had in de jaren 1970 inderdaad steeds gewezen op de mogelijkheid van ‘een’ – zonder te specifiëren dat deze van Panamese zijde kon uitgaan – aanslag op het kanaal om de VS te tonen dat het hem menens was. Daartoe waren Panamese militairen, explosievenexperts en duikers enkele maanden vermomd als boeren en vissers geïnfiltreerd in de Kanaalzone om de aanval op het kanaal en op de Panama-Colón-spoorweg voor te bereiden. Zij zouden tot actie overgaan na een geheime melding in code in een radioprogramma. Toen bekend raakte dat het Amerikaans parlement het verdrag had goedgekeurd, werd de operatie afgeslast.

 

In de jaren 1970 vatte Torrijos het plan op om een nieuw Panamakanaal aan te leggen, op zeeniveau en zonder sluizen (in tegenstelling tot het bestaande Panamakanaal), dat grotere schepen zou aankunnen. Aangezien Japanse bedrijven de belangrijkste klanten van het Panamakanaal waren, had Torrijos Japanse investeerders bereid gevonden om dit project te financieren. Dit hield uiteraard ook in dat het nieuwe kanaal door Japanse bedrijven zou gebouwd worden, waardoor dan weer het dan in Panama actieve Amerikaanse bouwbedrijf Bechtel buiten spel zou komen te staan. Dit was één van de grootste bouwondernemingen ter wereld én het wemelde er van de vriendjes van Nixon, Ford en George Bush sr., waardoor de nauwe band van Bechtel met de Republikeinse Partij buiten kijf stond. Daarnaast betekende dit project voor een nieuw Panamakanaal tevens dat de VS nog vóór het jaar 2000 zouden zijn uitgespeeld in Panama. Het hoeft geen betoog dat dit uiteraard zeer slecht werd onthaald in de VS.

 

Het vliegtuigongeluk in 1981 waarbij Torrijos omkwam, rook dan ook bijzonder sterk naar een moordaanslag door de Amerikaanse geheime diensten en leidde in 1991 tot een rechtszaak in Miami. Torrijos’ opvolger Noriega, kon met documenten aantonen dat er Amerikaanse pogingen geweest waren om én president Torrijos én zijn opvolger Noriega te vermoorden, doch de Amerikaanse overheid slaagde er met juridische trucs in om dit bewijsmateriaal niet toe te laten in de rechtszaak. Ex-NSA-agent John Perkins schreef in zijn in 2004 verschenen boek ‘Bekentenissen van een economische huurmoordenaar’ dat de CIA Torrijos’ vliegtuig opblies met een bom die in een bandrecorder aan boord gebracht was. En de reden was inderdaad Torrijos’ verregaande contacten met Japanse zakenlui die een nieuw en groter Panamakanaal wilden financieren én aanleggen.

De les die we uit Torrijos’ solidaristische beleid kunnen trekken, is dat het mogelijk is om ons te ontworstelen aan de greep van grootmachten, multinationals en internationale bankiers en om te doen wat er moet gedaan worden voor ons volk: het voeren van een rechtvaardig en sociaal beleid.

 

Dit artikel verscheen in Confiteor!, jg.1, nr.2, Lente 2010

mardi, 18 mai 2010

Pays-Bas, 1945: Opération "Black Tulip"

Willem De Prater / “’ t Pallieterke”

Pays-Bas, 1945: Opération “Black Tulip”

 

timbres-nl.jpgLe soixante-cinquième anniversaire de la libération des Pays-Bas a été un peu particulier cette année. La journée de la “libération nationale”, commémorant le jour où les Allemands ont capitulé en Hollande, soit le 5 mai 1945, a été un jour férié officiel en 2010. Ce n’est le cas que tous les cinq ans mais la loi qui régit l’ouverture des magasins permet toutefois que ceux-ci demeurent ouverts. En maints endroits ce ne fut pourtant pas le cas. Bref, cela fit désordre. De surcroît, il y avait partout des “fêtes de la libération” où l’on pouvait danser, boire et bouffer tant et si bien que certaines villes comme Utrecht et Zwolle ont failli disparaître dans un chaos indescriptible. Pour couronner le tout, il y eut ce fameux incident sur le “Dam”, où il fut une fois de plus prouvé que les Néerlandais “si sobres et si sérieux” sont des forts en gueule mais prennent la poudre d’escampette sitôt que quelque chose pète. Ce fut aussi le cas en mai 1940; et la fuite peu glorieuse des troupes néerlandaises lors de l’entrée des Serbes à Srebrenica demeure une plaie ouverte dans la conscience de soi des Néerlandais. Pourtant, rendons-leur justice, les Néerlandais, fiers d’eux-mêmes, savent aussi fort bien pratiquer l’auto-critique. Ce n’est donc pas un hasard s’il m’a fallu attendre cette “fête de la libération” pour apprendre quelque chose sur l’opération “Black Tulip”. Celle-ci a consisté en une volonté d’épuration ethnique, celle de purger les Pays-Bas de tous les ressortissants allemands qui y résidaient.

 

Après l’hiver 1944-45, qui fut marqué par une famine éprouvante pour la population néerlandaise, surtout dans les grandes villes de l’Ouest, la volonté de se venger tenaillait la plupart des Hollandais. Tous estimaient que les Allemands allaient devoir payer pour les maux qu’ils avaient fait subir. Le gouvernement néerlandais commença par établir une facture délirante. Officiellement, il exigea la rétrocession d’un territoire allemand de 6000 km2 pour n’en obtenir finalement que 69, qui furent rendus ultérieurement. Le gouvernement néerlandais exigea ensuite des dommages et intérêts s’élevant à la somme astronomique de 25 milliards de florins. Cette somme correspond à dix fois le volume du dommage infligé, car on connaît bien l’esprit mercantile de nos amis du Nord. Les Britanniques, qui occupaient le territoire allemand jouxtant les Pays-Bas, haussèrent les épaules. Mais ils cessèrent de sourire lorsqu’ils apprirent que les Néerlandais avaient l’intention de chasser du pays tous ceux qui possédaient encore la nationalité allemande. Ils craignaient que tous les autres pays occidentaux allaient imiter les Hollandais et venir déposer leurs Allemands ethniques dans leur zone d’occupation marquée par les destructions et réduite à la plus effroyable des pauvretés. Les Britanniques étaient d’accord, certes, pour récupérer les Allemands de souche qui, pendant la guerre, auraient appuyé avec trop de zèle leurs compatriotes occupants. Ce sont donc les Britanniques qui ont baptisé l’opération prévue par le gouvernement néerlandais d’ “Operation Black Tulip”.

 

Le gouvernement néerlandais n’a pas tout de suite compris les réticences britanniques. Il fit dresser dans chaque commune des listes noires où figuraient les noms de personnes, voire de familles entières, qui possédaient encore la nationalité allemande; au total, il y avait quelque 25.000 citoyens allemands résidant aux Pays-Bas au lendemain de la seconde guerre mondiale. Bien évidemment, parmi ces 25.000 personnes, il y en avait très peu qui étaient arrivées après 1940. Parmi elles, au contraire, beaucoup de mineurs, venus à l’appel des gouvernements néerlandais d’avant-guerre. Une bonne partie de ces Allemands étaient de surcroît des réfugiés politiques qui s’étaient établis en Hollande après la prise du pouvoir par Hitler. De plus, il y avait un bon nombre de Juifs parmi eux. La plupart de ces Allemands étaient de simples ouvriers ou des servantes venus aux Pays-Bas après l’effondrement du Reich en 1918 et suite à l’inflation calamiteuse qui avait sévi en Allemagne au début des années 20 ou qui avaient été recrutés par des Néerlandais pour pallier au manque d’ouvriers ou de personnel domestique. La plupart d’entre eux s’étaient d’ailleurs mariés à des hommes ou des femmes de nationalité néerlandaise, parlaient le néerlandais à la maison avec leurs enfants (les enfants nés d’un père allemand demeuraient automatiquement allemands, même s’ils ne connaissaient plus la langue allemande). Ces gens ne possédaient donc pas la nationalité néerlandaise, tout simplement parce qu’à l’époque on ne la distribuait par encore gratuitement. Le processus de naturalisation était long et pénible: il fallait remplir une flopée de documents et cela coûtait beaucoup d’argent.

 

En septembre 1946, environ un an et demi après la fin de la guerre, les opérations d’explusion commencèrent. Les Allemands pouvaient demander à recevoir une “déclaration de non inimitié”, qu’ils recevaient s’ils pouvaient prouver avoir appartenu à un groupe de résistance. Le bon sens, appuyé par des protestations souvent véhémentes, fit que les Juifs allemands aussi purent rester. Cependant le ministre catholique de la justice ne se soucia guère de la démarche entreprise par le Cardinal de Jong, qui réclamait clémence et mansuétude: il fallait que les Allemands quittent le pays (“Duitsers raus”), à commencer par ceux qui étaient le plus récemment venus aux Pays-Bas. Plus l’établissement de la personne dans le pays était récente, plus vite devait-elle être expulsée. Mais les Pays-Bas ne seraient pas les Pays-Bas, s’il n’y avait cet esprit pragmatique et mercantile chez leurs ressortissants. Tous les Allemands qui exerçaient une profession utile et nécessaire pouvaient rester mais tous ceux qui n’avaient pas bénéficié d’une longue scolarité ou étaient peu qualifiés professionnellement devaient partir. La police se présentait au milieu de la nuit et emmenait hommes, femmes et enfants. Les déportés pouvaient emporter cinquante kilos de bagages et une somme de 100 florins. Tout devait se passer “vite, très vite” car la police craignait la réaction de voisins néerlandais furieux qui savaient que ces Allemands étaient parfaitement innocents. Les meubles ou objets que les déportés ne pouvaient emporter étaient chargés sur des camions et déposés dans des remises appartenant au “Nederlands Beheersinstituut” (“Institut Néerlandais de Gestion”). Celui-ci vendait le tout car il s’agissait de “propriétés de sujets ennemis”.

 

La police néerlandaise conduisait les personnes arrêtées dans toutes sortes de camps situés le long de la frontière néerlandaise. Parfois, les policiers les emmenaient au-delà de la frontière et les déposaient dans la première rue venue. Les Britanniques exigèrent alors des Néerlandais qu’ils n’expulsent vers leur zone d’occupation que les seuls Allemands possédant encore un logement en Allemagne. En guise de représailles, les Anglais arrêtèrent quelques Néerlandais vivant dans leur zone et les déposèrent au-delà de la frontière sur le territoire des Pays-Bas. A la suite de cette mesure de rétorsion, les Néerlandais n’expulsèrent plus qu’une infime minorité de citoyens allemands mais le choix des victimes n’en fut que plus arbitraire. Les curés et les pasteurs organisèrent des comités de voisins qui résistèrent de plus en plus efficacement à la police et au gouvernement. L’opération cessa en 1950. Au total, 3691 Allemands résidant aux Pays-Bas furent effectivement expulsés.

 

Wille De Prater.

(article paru dans “ ’ t Pallieterke”, Anvers, 12 mai 2010).

 

jeudi, 13 mai 2010

Djihad et Reconquista en France méridionale

Djihad et Reconquista en France méridionale

Ex: http://tpprovence.wordpress.com/

Pour éviter toute repentance inutile et afin de faire face aux multiples problèmes que soulève l’immigration, il convient de revenir à la mémoire de nos premiers contacts avec l’islam qui se déroulèrent précisément dans le Midi.

715 : Après avoir opéré la conquête de l’Espagne, à l’exception des monts Cantabriques d’où partira la Reconquista, les Arabo-Berbères franchissent les Pyrénées orientales et prennent en 719 Narbonne dont ils feront leur place-forte pour une quarantaine d’années. Leur offensive contre Toulouse échoue en 721, ce qui ne les empêche pas de prendre Carcassonne.

En 732 une deuxième invasion par l’ouest des Pyrénées aboutit à la prise de Bordeaux, puis monte vers le nord, appâtée par les trésors de l’abbaye de St-Martin. Vaincus par Charles Martel à Moussais-la-Bataille à 20 km de Poitiers, les Sarrasins battent en retraite, sans pour autant évacuer totalement le Périgord et le Quercy qu’ils continuent à ravager. Il faudra attendre 808 pour que Charlemagne, vainqueur à la bataille de Taillebourg, purge la Charente, la Saintonge et le Poitou de leurs envahisseurs. Le portail roman de la cathédrale d’Angoulême fixe dans la pierre le souvenir des combats libérateurs de la chevalerie franque. En 737 la campagne de Charles Martel, descendu vers la Septimanie par la vallée du Rhône, aboutit à la reprise de Maguelonne, Agde et Béziers mais échoue devant Narbonne qui ne sera reprise, ainsi que Carcassonne, qu’en 759 par Pépin le Bref.

A partir de la seconde moitié du VIIIe siècle le Languedoc et l’Aquitaine se trouvent à l’abri des incursions sarrasines, étant protégés par les avancées de la Reconquista, elle-même secondée par les expéditions en Catalogne de Charlemagne et de son fils Louis le Pieux qui prennent Barcelone en 801.

Le long martyre de la Provence

Les malheurs de la Provence, en revanche, ne font alors que commencer.

A la suite de l’accord conclu en 734 entre le patrice Mauronte, Wisigoth de Marseille, et les Sarrasins de Narbonne, Arles, St-Rémy, Tarascon, Avignon, Cavaillon, Apt et Aix s’effondrent devant les cavaliers d’Allah qui ravagent les côtes jusqu’à Nice (le Cimiez d’autrefois). Cependant ces villes seront libérées en 737 par la campagne de Charles Martel qui, avec l’aide du roi des Lombards Liutprand, écrase les Sarrasins devant Marseille deux années plus tard. Néanmoins ces envahisseurs, réfugiés dans les montagnes et les îles proches de la côte, continuent d’affliger la Provence de leur pression. Des raids fondent sur Marseille en 838 et 842, sur Arles en 842 et 850. Enfin, last but not the least, les Sarrasins installent en 885, entre Hyères et la rivière Argens, au cœur du massif « des Maures » – nom qui perpétue aujourd’hui encore la mémoire de leur occupation séculaire – une forteresse appelée La Garde-Freinet (le Fraxinetum des chroniqueurs), d’où leurs expéditions répétées, fondant sur les habitants d’alentour et les voyageurs, plongent la vallée du Rhône, les cols alpins et la côte voisine dans une dramatique insécurité. Le moine Odilon nous livre à ce sujet un précieux témoignage en 1031 : « A cette époque, la très cruelle et bouillonnante multitude des Sarrasins gagne par mer l’Italie et la Provence, massacrant hommes et femmes. L’abbé de Cluny Mayeul, revenant de Rome et priant pour le salut de tous, tomba en embuscade et ne fut libéré que contre une énorme rançon. » L’événement, qui se situe en 972, provoque le soulèvement de toute une population fortement imprégnée de catholicisme, ce qui permit au roi de Provence Hugues de prendre la Garde-Freinet, laquelle ne sera définitivement détruite qu’en 983, et l’ensemble de la région définitivement purgée des Sarrasins en 990 par les hauts faits d’armes du comte de Provence Guillaume. Mais l’ensemble des côtes françaises de Méditerranée continuera de vivre jusqu’au XIIIe siècle sous la menace d’expéditions marines à partir des nids de pirates fixés dans les îles proches : en Corse, Sardaigne et Sicile jusqu’à leur reconquête par Gênes, Pise et les Normands. Les îles de Lérins sont ravagées en 1047, 1107, 1197, Toulon en 1178 et 1197 avec, à chaque fois, extermination de la population par le massacre ou la réduction en esclavage et la déportation à Almeria (jusqu’à ce qu’elle soit libérée par la Reconquista), Tunis, Tripoli et Alger.

Notre mémoire collective a perdu le souvenir de ces exactions dont ne témoigne, outre l’onomastique, que le site des villages anciens, perchés au sommet des collines pour assurer le guet et servir de refuge en cas d’attaque. Comme le remarque M. Laurent Lagartempe dans son ouvrage Les Barbaresques, « L’insécurité qui régna sur la Provence du fait des rezzous des Sarrasins, cruina durablement, au cours du Moyen Age, les plaines côtières fertiles qui avaient fait la prospérité de l’antique Provincia Romana en raison du retrait de l’habitat vers les régions montagneuses.

Les chansons de geste

A ces témoins muets du passé provençal il faut ajouter le témoignage littéraire des chansons de geste, en particulier le cycle dit de Garin de Monglane composé d’environ 25 chants dont les plus célèbres sont : Le Couronnement de Louis, Le Charroi de Nîmes, La Prise d’Orange, Les Aliscamps, La Mort d’Aymeri de Narbonne, Le Moniage de Guillaume. Le héros central de ces divers poèmes épiques est un personnage mythique dans lequel Gaston Pâris a reconnu un comte de Toulouse nommé Guillaume, qui empêcha les Sarrasins d’envahir la France en leur livrant bataille sur les rives de l’Orbieu en 793. Par la suite, il combattit en Catalogne au côté de Charlemagne, avant de mourir en odeur de sainteté au monastère de St-Guilhelm-du-Désert où il s’était retiré après la mort de son neveu Vivien, tué au combat contre les Infidèles. Les historiens plus récents de la littérature lui associent plus vraisemblablement encore le fameux comte de Provence qui prit La Garde-Freinet et délivra sa province. Guillaume d’Orange apparaît donc comme le héros méridional par excellence qui ravit à l’envahisseur les villes de Nîmes, Orange, Arles, Narbonne, mais sa renommée s’étendit bien au-delà. En effet, une légende le fait apparaître sous les murs de Paris assiégé par des barbares qu’on peut identifier aux Vikings. Guillaume affronte alors victorieusement, en combat singulier, le géant Isoré qui terrorisait la population. La tombe de ce nouvel avatar de Goliath a donné son nom à la rue de la Tombe–Issoire dans le XIVe arrondissement de Paris.

Comme La Chanson de Roland, le cycle de Garin de Monglane, qui tire son nom de celui du père de Guillaume d’Orange, associe la lutte contre l’Infidèle au combat pour l’indépendance nationale : face à l’envahisseur, c’est la foi qui assure la victoire aux chrétiens. Les chansons de geste, qui relatent en les mythifiant des faits historiques attestés du VIIe au Xe siècle, ont été composées aux XIe et XIIe siècles, c’est-à-dire au temps des Croisades. La lutte contre l’islam et l’épopée nationale sont alors les grands thèmes qui mobilisent les chevaliers français : le souvenir des périls affrontés en terre de France par leurs valeureux ancêtres justifient la guerre en Terre sainte contre l’ennemi séculaire de la chrétienté.

La postérité des chansons de geste

Alors que les chansons de geste n’apparaissent plus aujourd’hui que comme des monuments littéraires appartenant au passé, les Romans bretons, légèrement plus tardifs, ont traversé les siècles en servant presque constamment de source d’inspiration aux artistes ; ils sont de ce fait restés beaucoup plus populaires. Pourquoi ? Sans doute parce que les passions amoureuses, les sortilèges plus ou moins païens s’y mêlent plus largement aux exploits chevaleresques. Alors que le cycle de Garin de Monglane est plus étroitement localisé sur la Provence et la France, le cycle arthurien, par contre, appartient aux traditions européennes, de la France celtique à la Grande-Bretagne et à l’Allemagne ; entre autres, il eut la chance d’inspirer les génies de Purcell puis de Wagner qui subjugua les musiciens français du XIXe siècle : bien loin de mettre en musique nos chansons de geste, Ernest Chausson composa le Roi Arthus et Viviane. Vincent d’Indy fait cependant exception à la règle avec Fervaal. Le compositeur ardéchois situe en effet l’intrigue de cet opéra dans une région soumise à la domination d’un émir sarrasin ; son héros s’éprend de la fille de celui-ci, à l’exemple de Guillaume d’Orange qui épousa Orane l’orientale, laquelle fut baptisée sous le nom de Guibourg.

Une autre raison qui nous éloigne d’une pleine compréhension des chansons de geste est notre tradition d’islamophilie qui remonte à François Ier, allié du Grand Turc. Les Lumières allèrent jusqu’à préférer la religion musulmane à la religion chrétienne ; au XIXe siècle, Lamartine rédigea une hagiographie de Mahomet, tandis que le positiviste Auguste Comte jugeait l’islam plus progressiste que le christianisme. Le XXe siècle fait mieux encore, cependant. Inspirés par les écrits de l’orientaliste œcuménique Massignon, des ecclésiastiques inaugurent des mosquées aux côtés des imams, mais des politiciens les surclassent.

La Révolution française nous a forgé une mentalité étrangère à l’idéal qui se dégage de nos chansons de geste : la foi chrétienne, la loyauté envers le chef de l’Etat ont fait place à la religion de la République laÏque, évoluant aujourd’hui vers un vague humanitarisme progressiste, imprégné de la notion de Droits de l’homme universel, indifférent aux intérêts nationaux, aux traditions et à l’indépendance de la Mère patrie. D’où notre passivité et même notre complicité devant les phénomènes d’immigration-invasion et d’islamisation qui menacent notre pays. Notre réveil national devra puiser aux sources de notre patrimoine et à la totalité de notre histoire, dégagée des a-priori du politiquement correct. Qui sait si les chansons de geste n’y retrouveront pas alors une nouvelle actualité ?

Odilon Le Franc

Source : Polémia.

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lundi, 10 mai 2010

After the Reich...

after.jpgEx: http://www.italiasociale.org/

After the Reich: The Brutal History of the Allied Occupation

di Giles MacDonogh, edito da Basic Books nel 2007, ristampato nel febbraio 2009, pagine 656, lingua inglese, ISBN: 978-0465003389

Recensione pubblicata nel numero di Primavera 2009 dal “The Journal of Social, Political and Economic Studies”, pagine 95-110.

 

 

L’indomani della “Guerra buona”: una revisione. La verità che riaffiora dall’oceano del mito. (1)

di Dwight D. Murphey, già docente di diritto commerciale alla Wichita State University dal 1967 al 2003 (2)

Chi narra con onestà gli eventi umani, odierni o remoti, appartiene ad una stipe tanto rara quanto onorabile. Dovremmo senz’altro elevarli nel pantheon degli dei terreni. Allo stesso modo, indubbiamente, vi dovremmo annoverare anche coloro che, non già per disaffezione verso l’Occidente o gli Stati Uniti o il suo popolo, bensì per sete di verità, portano alla luce gli spaventosi avvenimenti che furono conseguenza della Seconda Guerra mondiale (così come le enormità commesse come parte del modo in cui la guerra fu combattuta contro le popolazioni civili, sebbene questo non sia argomento che vogliamo investigare in questa sede). Quella Guerra gli americani la conoscono come “the good war” (3) e coloro che la combatterono sono noti come “the greatest generation” (4). Ma adesso, lentamente, veniamo colpiti da realtà così banali rispetto alla complessa esistenza umana: tanto vi fu che non era affatto “buono” e, insieme all’abnegazione ed agli intenti elevati, ci furono molta venalità e brutalità. Queste realtà vengono a galla perché esistono degli studiosi che, quantomeno, sono consapevoli che un oceano di propaganda bellica genera un mito che resta per vari decenni, e che hanno una dedizione per la verità che travolge le molte lusinghe di conformità al mito. Questo articolo inizia come una semplice recensione del libro di Giles MacDonogh(5), libro che appartiene per larga parte al genere di trasgressione al mito che ho appena elogiato. Tuttavia, poiché esiste materiale supplementare di grande valore di cui non posso non far parola, l’ho ampliato per comprendervi altre informazioni ed autori, benché esso rimanga soprattutto una recensione di After the Reich. Quello di MacDonogh è un libro sconcertante, al tempo stesso coraggioso e vile, per lo più (ma non del tutto) meritevole del grande elogio che si deve agli studiosi incorruttibili. Come già abbiamo osservato, il pubblico americano ha pensato a lungo allo sforzo bellico alleato nella Seconda Guerra mondiale come ad una “grande crociata” che opponeva il bene e la giustizia al male nazionalsocialista (6). Perfino dopo tutti questi anni è probabile che l’ultima cosa che il pubblico vuole è di apprendere che, sia gli alleati occidentali, che l’Unione Sovietica commisero enormi e indicibili torti durante la guerra e dopo. Sfida questa riluttanza MacDonogh che racconta la “storia brutale” per esteso. Questa propensione è encomiabile per il coraggio intellettuale che dimostra. Alla luce di ciò sconcerta che, nel momento stesso in cui lo fa, maschera la storia, proseguendo in parte, nella sostanza, nell’insabbiamento di pezzi di storia instaurato dall’incombere della propaganda bellica, per quasi due terzi del secolo. Perciò il grande valore del suo libro non è da ricercare nella sua completezza o nella rigorosa imparzialità, bensì nel fatto che fornisce una sorta di passaggio – quasi esauriente – che può avviare dei lettori scrupolosi verso una ulteriore ricerca su un argomento d’immensa importanza. Per questo articolo, sarà intanto significativo iniziare riassumendo la storia narrata da MacDonogh, aggiungendoci parecchio. Soltanto dopo averlo fatto esamineremo quanto MacDonogh occulta. Tutto ciò ci condurrà quindi ad alcune riflessioni conclusive. Nella sua prefazione, MacDonogh dichiara che il suo proposito è di “mostrare come gli alleati vittoriosi trattarono il nemico al momento della pace, in quanto nella maggior parte dei casi non si trattò di criminali che furono stuprati, affamati, torturati o bastonati a morte ma di donne, bambini e vecchi”. Sebbene ciò lasci intendere che il tono del libro è sdegnato, la narrazione è nel complesso informativa piuttosto che polemica. La produzione accademica di MacDonogh comprende vari libri di storia tedesca e francese e delle biografie (oltre a quattro testi sul vino). (7)

Le espulsioni (oggi definite "pulizia etnica").

MacDonogh ci racconta che, al termine della guerra “sedici milioni e mezzo di tedeschi furono cacciati dalle proprie case”. Nove milioni e trecentomila vennero espulsi dalla parte orientale della Germania, diventata Polonia. (Sia il confine orientale che quello occidentale della Polonia furono drasticamente spostati verso ovest per accordo fra gli alleati, con la Polonia che si prendeva una fetta importante della Germania e l’Unione Sovietica che afferrava la Polonia orientale). Gli altri sette milioni e duecentomila furono strappati dalle proprie terre ancestrali dell’Europa Centrale dove vivevano da generazioni. Questa espulsione di massa fu stabilita nell’accordo di Potsdam di metà 1945(8), anche se tale accordo prevedeva esplicitamente che la pulizia etnica avesse luogo “nel modo più umano possibile”. Churchill fu fra quelli che lo sostennero, in quanto avrebbe condotto “ad una pace durevole”. In realtà, questa operazione fu talmente inumana da equivalere ad una delle più grandi atrocità della storia. MacDonogh riferisce che “circa due milioni e duecentocinquantamila persone sarebbero morte durante le espulsioni”. Questa è la stima minima, in un intervallo che va da due milioni e centomila a sei milioni, se prendiamo in considerazione soltanto gli espulsi. Konrad Adenauer, troppo amico dell’occidente, riuscì a dire che fra gli espulsi “sono morti, spacciati, sei milioni di tedeschi”.(9) Vedremo il racconto di MacDonogh della fame e dell’esposizione al freddo estremo cui fu soggetta la popolazione della Germania nel dopoguerra, ed a questo punto vale la pena di menzionare (anche se va al di là dell’argomento espulsioni) ciò che dice lo storico James Bacque (10): “il confronto fra i censimenti ci rivela che fra l’ottobre del 1946 [un anno e mezzo dopo la fine della guerra] e il settembre del 1950 sono scomparse in Germania circa 5 milioni e settecentomila persone”.(11) Ciò che MacDonogh chiama “la più grande tragedia marittima di tutti i tempi” accadde quando la nave Wilhelm Gustloff (12), che trasportava i tedeschi da Danzica nel gennaio del 1945, fu affondata con “oltre 9.000 persone, fra cui molti bambini”. A metà del 1946 “delle foto mostrano alcuni dei 586.000 tedeschi di Boemia pigiati in delle auto come sardine”. In un altro passaggio MacDonogh ci racconta come “i rifugiati erano spesso così ammucchiati da non potersi muovere per defecare e così spuntavano dai veicoli coperti di escrementi. Molti, all’arrivo, erano morti”. [Questo ci richiama alla mente le scene descritte così vivacemente da Solzenicyn nel primo volume di “Arcipelago Gulag” (13)]. In Slesia, “fiumane di civili furono strappati dalle proprie case sotto la minaccia delle armi da fuoco”. Un sacerdote stimò che un quarto della popolazione tedesca di una città della Bassa Slesia si uccise, dato che intere famiglie si suicidarono insieme.

La condizione della popolazione tedesca: fame e freddo estremo.

I tedeschi parlano del 1947 come dell’Hungerjahr, l’ “anno della fame”, ma MacDonogh afferma che “perfino nel 1948 non si era posto rimedio al problema”. La gente mangiò cani, gatti, topi, rane, serpenti, ortica, ghiande, radici dei denti di leone (14) e funghi non ancora maturi in un frenetico tentativo di sopravvivere. Nel 1946 le calorie fornite nella “U.S. Zone” (15) in Germania calarono a 1.313 del 18 marzo dalle già scarse 1.550 precedenti. Victor Gollancz (16), uno scrittore ed editore inglese, ebreo, obiettava “stiamo affamando i tedeschi”.(17) Ciò concorda con la dichiarazione del senatore dell’Indiana Homer Capehart (18) in un discorso al Senato statunitense del 5 febbraio 1946: “Finora, per nove mesi, questa amministrazione ha portato deliberatamente avanti una politica per ridurre le masse alla fame”. (19) MacDonogh ci narra che la Croce Rossa, i Quaccheri, i Mennoniti ed altri volevano far entrare del cibo ma “nell’inverno del 1945 le donazioni furono respinte con la raccomandazione di utilizzarle in altre zone d’Europa straziate dalla guerra”. Nella zona americana (20) di Berlino “la politica statunitense era che nulla dovesse essere distribuito e tutto, al contrario, gettato via. Così le donne tedesche che lavoravano per gli americani erano fantasticamente ben nutrite ma non potevano portar nulla alle proprie famiglie ed ai bambini”. Bacque afferma che “alle agenzie di soccorso straniere fu impedito di inviare cibo dall’estero; i treni coi viveri della Croce Rossa vennero rimandati in Svizzera; a tutti i governi stranieri fu negata l’autorizzazione di mandare alimenti ai civili tedeschi; la produzione di fertilizzanti fu bruscamente ridotta. La flotta da pesca fu tenuta nei porti mentre la gente moriva di fame”. (21) Sotto l’occupazione russa della Prussica orientale, MacDonogh ravvisa “impressionanti analogie” con la “deliberata riduzione alla fame dei kulaki ucraini nei primi anni ‘30” ad opera di Stalin. Come era accaduto in Ucraina “furono riferiti casi di cannibalismo, con la gente che mangiava la carne dei propri figli morti”. La sofferenza per il freddo gelido unita alla fame per creare strazio e un elevato numero di morti. Anche se l’inverno 1945-’46 fu nella norma “la terribile penuria di carbone e di cibo furono sentiti intensamente”. Si abbatterono poi due inverni freddi in maniera anomala , nel 1946-’47 “forse il più freddo a memoria d’uomo” (22) e quello del 1948-’49. Nella sola Berlino si stima siano morte 60.000 persone nei primi dieci mesi dopo la fine della guerra e “l’inverno successivo si calcola ne abbia sterminate altre 12.000”. La gente viveva nelle buche fra le rovine e “alcuni tedeschi –in particolare rifugiati dall’Est- praticamente nudi”. Nel suo libro “Gruesome Harvest: The Allies' Postwar War Against The German People” (23) Ralph Franklin Keeling menziona una affermazione di un “famoso pastore tedesco”: “Migliaia di corpi sono appesi agli alberi nei boschi intorno a Berlino e nessuno si prende la briga di tirarli giù. Migliaia di corpi li portano nel mare l’Oder e l’Elba, non li si nota nemmeno più. Migliaia e migliaia muoiono di fame sulle strade. Bambini vagano da soli per le strade”. (24) Alfred-Maurice de Zayas (25), nel suo “The German Expellees: Victims in War and Peace” (26) raccontava come, in Yugoslavia, il maresciallo Tito usasse i campi come centri di sterminio per far morire di fame i tedeschi.(27)

Stupri di massa, cui si deve aggiungere il “sesso spontaneo” ottenuto dalle donne affamate.

Gli stupri furiosi delle truppe d’invasione russe sono, ovviamente, infami. In Austra, nella zona russa, “lo stupro fece parte della vita quotidiana fino al 1947 e molte donne contrassero delle malattie veneree e non ebbero i mezzi per curarsi”. MacDonogh scrive che “stime prudenziali collocano il numero delle donne violentate a Berlino a 20.000”. Quando gli inglesi arrivarono a Berlino, “gli ufficiali, in seguito, rievocavano la violenta emozione provata nel vedere i laghi della prospera zona occidentale pieni di corpi di donne che si erano suicidate dopo esser state violentate”. L’età delle vittime non faceva alcuna differenza: le donne stuprate avevano da 12 a 75 anni. Fra queste, infermiere e suore (alcune violentate anche cinquanta volte). “I russi erano particolarmente crudeli coi nobili, incendiavano le loro ville e violentavano o ammazzavano gli abitanti”. Benché “la maggior parte degli indesiderati figli dei russi venissero abortiti”, MacDonogh scrive che “si stima che da 150.000 a 200.000 ‘neonati russi’ siano comunque sopravvissuti”. I russi violentavano ovunque andassero, tanto che non furono soltanto le tedesche ad essere stuprate, ma anche donne ungheresi, bulgare, ucraine ed anche jugoslave, sebbene quest’ultime fossero dalla stessa parte. Esisteva una linea di condotta ufficiale contro la violenza carnale, ma era, solitamente, a tal punto ignorata che “fu solo nel 1949 che furono realizzate concrete azioni dissuasive nei confronti dei soldati russi”. Fino ad allora “furono incitati da [Ilya] Ehrenburg (28) e da altri propagandisti sovietici che vedevano lo stupro come espressione dell’odio”. Sebbene vi fosse una “incidenza molto estesa di stupri commessi da soldati americani”, esisteva anche una politica militare coercitiva contro di essi, con “diversi soldati americani giustiziati” per questo. I capi d’imputazione per stupro “salirono costantemente” durante gli ultimi mesi di guerra, ma calarono nettamente in seguito. Ciò che invece continuò fu probabilmente quasi peggiore: lo sfruttamento sessuale di donne affamate le quali vendevano “volontariamente” i propri corpi in cambio di cibo. In “Gruesome Harvest”, Keeling cita da un articolo apparso sul Christian Century (29) del 5 dicembre 1945: “Il comandante della Polizia Militare americana ha dichiarato che la violenza carnale non rappresenta un problema per loro in quanto ‘un po’ di cibo, una barretta di cioccolata o un pezzo di sapone rendono inutile lo stupro’ “. (30) Le dimensioni del fenomeno sono dimostrate dalla cifra che MacDonogh fornisce, di “94.000 Besatzungskinder (31) o ‘bambini dell’occupazione’, stimati, [che] nacquero nella zona americana”. Egli scrive che nel 1945-’46 “molte ragazzine ricorsero alla prostituzione per sopravvivere. Ed anche i ragazzi assolsero lo stesso compito per i soldati alleati”. Keeling, scrivendo nel 1947 per la pubblicazione del proprio libro [in tal modo si spiega l’uso del presente nella frase], diceva che c’era “una impennata di malattie veneree tale da raggiungere proporzioni epidemiche” e proseguiva scrivendo che “una larga parte dell’infezione è stata originata dalle truppe americane di colore che noi abbiamo collocato in gran numero in Germania e fra le quali la percentuale di infezioni veneree è molte volte più alta che non fra le truppe bianche”. Nel luglio del 1946, aggiunge, la percentuale annua per i soldati bianchi ammonta al 19%, per i neri sale al 77,1%. Ripete quindi ciò che noi stiamo qui dimostrando, quando mette in evidenza “lo stretto legame fra il tasso di malattie veneree e la disponibilità di cibo”. (32) Se MacDonogh menziona stupri commessi da soldati britannici, a me è sfuggito. Egli però racconta di violenze carnali di polacchi, francesi, partigiani di Tito e profughi. A Danzica “i polacchi si comportarono tanto duramente quanto i russi. Furono i polacchi a liberare (33) la città di Teschen (34), nel nord [della Cecoslovacchia] il 10 di maggio. Per cinque giorni essi stuprarono, saccheggiarono, incendiarono e uccisero”. Scrive del “comportamento dei soldati francesi a Stoccarda, dove forse 3.700 donne ed otto uomini furono violentati” ed aggiunge che “altre 500 donne [furono] stuprate a Vahingen(35) e riferisce dei “tre giorni di uccisioni, saccheggi, incendi e stupri” avvenuti a Freundenstadt.(36) Sui fuggiaschi dice che “c’erano circa due milioni di prigionieri di guerra e lavoratori coatti provenienti dalla Russia che avevano costituito delle bande che rubavano e violentavano in tutta l’Europa centrale”.

Trattamento dei prigionieri di guerra.

In tutto, ci furono approssimativamente undici milioni di pionieri di guerra tedeschi. Un milione e mezzo non tornarono mai a casa. Qui MacDonogh esprime il proprio giusto sdegno: “Fu scandaloso trattarli con così scarsa cura che un milione e mezzo di loro morirono”. La Croce Rossa non ebbe alcun incontro faccia a faccia con quelli che erano detenuti dai russi, in quanto l’Unione Sovietica non aveva firmato la Convenzione di Ginevra. MacDonogh afferma che i russi non facevano alcuna distinzione fra civili e prigionieri di guerra tedeschi, anche se sappiamo che un rapporto del KGB li selezionava per mandarli a morte o per altri scopi. Alla fine della guerra, i russi ne detenevano da quattro a cinque milioni in Russia (e qui, di nuovo, gli archivi del KGB vale la pena di consultarli, come ha fatto lo storico James Bacque; essi registrano la cifra di 2.389.560 prigionieri). Un gran numero fu detenuto per oltre dieci anni, e furono rimandati in Germania soltanto dopo la la visita di Konrad Adenauer a Mosca nel 1956.(37) Ciononostante, nel 1979 –34 anni dopo la fine della guerra!- “si riteneva ci fossero 72.000 prigionieri ancora in vita, principalmente in Russia”. A Stalingrado furono catturati circa 90.000 soldati tedeschi, ma soltanto 5.000 fecero ritorno a casa. Gli americani fecero una distinzione fra i quattro milioni e duecentomila soldati catturati durante la guerra, cui le Convenzioni de L’Aia e di Ginevra davano diritto alla protezione ed ai mezzi di sussistenza, ed i tre milioni e quattrocentomila catturati in Occidente alla fine della guerra. MacDonogh dice che questi ultimi furono classificati come “Surrendered Enemy Persons" (SEP) o come "Disarmed Enemy Persons" (DEP), (38) cui furono negate le tutele delle due Convenzioni. Non fornisce la cifra totale di quelli che morirono mentre erano in custodia americana, dicendo “non è chiaro quanti soldati tedeschi morirono di fame”. Rivela, comunque, varie situazioni: “I più famigerati campi americani per prigionieri di guerra erano i cosiddetti Rheinwiesenlager”. (39) Qui gli americani, lasciarono che “oltre 40.000 soldati tedeschi morissero di fame abbandonati nei fangosi pantani del Reno”. Scrive che “qualsiasi tentativo della popolazione civile tedesca di dar da mangiare ai prigionieri era punito con la morte”. Sebbene la Croce Rossa fosse autorizzata alle ispezioni, “il filo spinato che circondava i campi dei SEP e dei DEP era impenetrabile”. Altrove, alle “caserme del Genio di Worms c’erano 30-40.000 prigionieri seduti nel cortile, che si spingevano per farsi spazio, senza alcuna protezione dalla pioggia che li gelava”. I prigionieri morivano di fame a Langwasser (40) e nel “famigerato campo” di Zuffenhausen (41) dove “per mesi il pranzo consisté in zuppa di rape, con mezza patata per cena”. Sarebbe un errore ritenere che una carenza mondiale di cibo fosse all’origine dell’impossibilità statunitense di dar da mangiare ai prigionieri. Bacque scrive che “il capitano Lee Berwick del 424° Fanteria, che comandava le sentinelle del campo di Bretzenheim (42), mi disse che ‘il cibo era accatastato tutto intorno alla recinzione del campo’. I prigionieri vedevano le casse impilate ‘alte come case’ ”. (43) Uno dei 19 campi di concentramento americani sul Reno, l’A2 di Remagen in Renania-Palatinato, a fine aprile 1945. Si nota bene l’assenza di baracche o altri ricoveri (che la democrazia non ne conosca l’uso?). Ciò che ci dice MacDonogh sul trattamento dei prigionieri di guerra da parte degli inglesi appare discordante. In Gran Bretagna c’erano 391.880 prigionieri al lavoro nel 1946 ed un totale di 600 campi nel 1948. Egli scrive che “il regime non era così duro e in termini percentuali il numero di uomini che morirono mentre erano in prigionia britannica è sorprendemente basso rispetto a quello degli altri alleati”. Tuttavia altrove racconta come “gli inglesi riuscirono ad eludere [le clausole della Convenzione di Ginevra] che prevedeva di fornire da 2.000 a 3.000 calorie al giorno”, così che “per la maggior parte del tempo il livello scese sotto le 1.500 calorie”. Gli inglesi avevano un campo di prigionia in Belgio che “era noto per essere particolarmente massacrante”. Laggiù “si riferisce che le condizioni dei 130.000 prigionieri non fossero ‘molto meglio di quelle di Belsen’. (44) Quando il campo fu ispezionato nell’aprile del 1947 si trovarono appena quattro lampadine funzionanti; non c’era combustibile, né pagliericci e neppure cibo, a parte la ‘minestra d’acqua’”. Un servizio della Reuters del dicembre 2005 aggiunge una significativa dimensione: “Secondo il Guardian, gli inglesi gestirono un carcere segreto in Germania per due anni dopo la fine della Seconda Guerra mondiale dove i reclusi, compresi membri del Partito Naz(ionalsocial)ista, furono torturati e fatti morire di fame.(45) Citando dei dossier del Foreign Office, resi pubblici in seguito ad una richiesta ai sensi del Freedom of Information Act (46), il quotidiano scrive che la Gran Bretagna ha detenuto uomini e donne [sic] in una prigione di Bad Nenndorf fino al luglio del 1947. Il giornale riferisce di ‘Minacce di giustiziare i prigionieri, oppure di arrestare, torturare e uccidere le loro mogli e i loro figli erano considerate “del tutto appropriate” in quanto mai furono attuate’”. (47) I francesi pretesero lavoratori tedeschi per ricostruire il paese, ed a questo scopo inglesi ed americani cedettero loro circa un milione di soldati tedeschi. MacDonogh dice che “il loro trattamento fu particolarmente brutale”. Non molto tempo dopo la fine della guerra, secondo la Croce Rossa, 200.000 prigionieri morivano di fame. Siamo informati di un campo “nella Sarthe [dove] i prigionieri dovevano sopravvivere con 900 calorie al giorno”. (48)

Il saccheggio dell’economia tedesca (49).

I capi alleati non erano d’accordo fra loro sul Piano Morghentau (50) per spogliare la Germania del suo patrimonio industriale e trasformarla in un paese agricolo. L’opposizione di alcuni e l’esitazione di altri, tuttavia, non impedì che de facto il piano venisse attuato. Quando la confisca fu conclusa, la Germania era in larga misura priva di mezzi produttivi. MacDonogh afferma che sotto i russi “Berlino perdette circa l’85% della propria capacità industriale”. Da Vienna venne portata via ogni macchina. Dal Danubio fu sottratto il naviglio e “una delle priorità sovietiche fu la confisca di qualsiasi importante opera d’arte trovata nella capitale [Vienna]. Questa fu un’operazione totalmente pianificata”. Però “peggiore del completo trasferimento della base industriale fu il rapimento di uomini e donne per sviluppare l’industria in Unione Sovietica”. Sotto gli americani, lo smantellamento dei siti industriali proseguì finché il generale Lucius Clay (51) non lo fermò un anno dopo la fine della guerra. Fino all’azione di Clay, il Piano Morghentau era incarnato dalla Disposizione n. 6 dell’Ordine 1067 (529 del Joint Chiefs of Staff (53). MacDonogh dice che dove “il furto degli ufficiali americani fu perpetrato su scala massiccia” fu nel “sequestrare scienziati ed impadronirsi di attrezzature scientifiche”. Gli inglesi presero molto per se e passarono altro patrimonio industriale agli “stati clienti” come la Grecia e la Jugoslavia. La famiglia reale britannica ricevette lo yacht di Goering (54) e la zona britannica della Germania fu spogliata degli “stabilimenti che potevano in seguito entrare in competizione con le industrie britanniche”. MacDonogh scrive che “gli inglesi ebbero la propria tipologia di furto organizzato con la [cosiddetta] T-Force, che cercava di racimolare qualsiasi ingegno industriale”. (55) Da parte loro i francesi sostennero “il diritto alla razzia”. “La Francia non esitò ad appropriarsi di un’azienda di clorati a Rheinfelden, una di viscosa a Rottweil, delle miniere Preussag e dei gruppi chimici Rhodia”, e di molto altro ancora. (56) Se il Piano fosse stato realizzato del tutto per un lungo periodo di tempo, gli effetti sarebbero equivalsi ad una calamità. Keeling, in “Gruesome Harvest”, scrive che tentare “la distruzione permanente del cuore industriale tedesco” avrebbe avuto come “conseguenza ineluttabile la morte per fame e malattia di milioni, decine di milioni di tedeschi”. (57)

Il rimpatrio forzato dei russi per Stalin.(58)

Il libro di MacDonogh si limita all’occupazione alleata, però ci sono, naturalmente, molti altri aspetti del dopoguerra che meritano d’esser menzionati, anche se qui ci limiteremo ad uno solo di questi. (Anche MacDonogh ne fornisce alcuni dettagli). Riguarda il rimpatrio alleato in Unione Sovietica dei Russi catturati. Nel suo “The Secret Betrayal” (59) Nikolai Tolstoy racconta come, fra il 1943 ed il 1947, furono “restituiti” un totale di 2.272.000 Russi. I sovietici ne raccolsero altri 2.946.000 in varie parti d’Europa conquistate dall’Armata Rossa. Quelli mandati in Unione Sovietica dalle democrazie occidentali comprendevano migliaia di zaristi (60) emigrati che non avevano mai vissuto sotto il regime sovietico. (61) Tolstoy scrive che, anche se erano in molti quelli che volevano davvero tornare in Russia (mentre molti altri si opponevano disperatamente e ci furono mandati, in effetti, fra le violenze e le grida), tutti, senza distinzione, vennero trattati brutalmente, giustiziati, violentati o resi schiavi. Alcuni dei rimpatriati erano russi che avevano combattuto per la Germania da volontari contro l’Unione Sovietica, comandati dal generale Vlasov.(62) Il Generale Vlasov nel 1943 Alcuni erano Cosacchi, molti dei quali non erano neppure cittadini sovietici. (63) Il violento rimpatrio ebbe inizio nell’agosto 1945. Tolstoy narra come, per obbligarli al trasferimento, siano stati impiegati l’inganno, le bastonate, le baionette e perfino la minaccia di usare un carro lanciafiamme. (64)

La giustizia dei vincitori.

Quando la guerra terminò c’era unanimità fra i capi alleati sul fatto che i capi Naz(ionalsocial)isti fossero messi a morte. Alcuni volevano una esecuzione immediata, altri “una corte marziale straordinaria”. Ci fu un inaspettato vantaggio nell’insistenza degli inglesi a seguire le “formalità legali”, come fu poi deciso. Il risultato fu una serie di processi coi trabocchetti dei normali procedimenti giudiziari, che però furono di fatto una parodia dal punto di vista del “principio della legalità”, mancando sia dello spirito che dei particolari del “giusto processo”. In due capitoli, MacDonogh fornisce un resoconto del principale processo di Norimberga e della serie di processi che si ebbero in seguito, per anni. Fra questi, gli americani celebrarono vari processi a Norimberga, dopo il principale; davanti ai “tribunali per la denazificazione” (65) furono giudicate migliaia di cause; dopo la loro entrata in funzione i tribunali tedeschi continuarono i processi e, naturalmente, sappiamo del processo in Israele e dell’eseczione di Eichmann. (66) Vi sono molti motivi per chiamarla “giustizia dei vincitori”. Perché se fosse stato altrimenti, un tribunale veramente imparziale avrebbe dovuto essere convocato in qualche parte del mondo (ammesso che una cosa simile fosse stata possibile subito dopo una guerra mondiale) ed avrebbe dovuto procedere contro i crimini di guerra commessi da tutte le parti combattenti. Ma ovviamente sappiamo che una forma di giustizia tanto imparziale non era neppure contemplata. Nell’atto d’incriminazione di Norimberga i Naz(ionalsocial)isti erano accusati del massacro del corpo ufficiali polacchi della foresta di Katyn, imputazione che fu discretamente (e con grande disonestà intellettuale e “giudiziaria”) tralasciata nel giudizio finale, dopo che era divenuto chiaro a tutti che erano i sovietici ad aver commesso la strage. (67) Un altro dei molti altri esempi possibili sarebbe quello relativo alle deportazioni Naz(ionalsocial)iste addebitate a Norimberga sia come crimine di guerra che come crimine contro l’umanità. Per converso, nessuno fu mai “assicurato alla giustizia” per l’espulsione alleata dei milioni di tedeschi dalle loro terre ancestrali dell’Europa centrale.

Una fonte che i lettori troveranno istruttiva.

Per la credibilità della fonte, il resoconto dell’ex-maggiore dell’aeronautica militare statunitense Arthur D. Jacobs nel suo libro “The Prison Called Hohenasperg” (68) sarà utile ai lettori quanto lo è assimilare (e valutare) le informazioni contenute nel libro di MacDonogh e quelle degli altri autori cui abbiamo qui rinviato. E’ prezioso sia come storia della brutalità che della compassione americane. Jacobs prestò servizio in aeronautica per ventidue anni, si congedò nel 1973 ed in seguito insegnò alla Arizona State University per altri vent’anni. (69) Il libro racconta la sua storia personale: i suoi genitori, tedeschi, emigrarono negli Stati Uniti nel 1928 e nel 1929. Ebbero due figli, nati a Brooklyn (perciò cittadini statunitensi) e uno di loro era Arthur Jacobs. I ragazzi vissero i loro primi anni a Brooklyn, dove frequentarono la scuola elementare. La famiglia fu presa e trattenuta ad Ellis Island (70) verso la fine della guerra e fu quindi detenuta per sette mesi nel campo d’internamento di Crystal City, in Texas (71), dove fu trattata bene. Poi furono “rimpatriati volontariamente” in Germania (dopo esser stati minacciati di deportazione) nell’ottobre del 1945, vari mesi dopo la resa tedesca. Quando arrivarono in Germania la madre di Jacobs fu inviata in un campo, il padre ed i due figli in un altro. Questi ultimi raggiunsero un campo d’internamento a Hohenasperg (72), dopo un viaggio di 92 ore rinchiusi in un carro merci con un freddo glaciale, insieme a donne e bambini e, soprattutto, a pane e acqua e “senza calore, senza coperte e senza gabinetti a parte un fetido bugliolo all’aperto”. Jacobs stesso aveva dodici anni e compì il tredicesimo nella settimana in cui era a Hohenasperg, prima di essere mandato in un altro campo a Ludwigsburg. (73) Nel carcere di Hohenasperg fu sottoposto ad una severa disciplina come un qualunque prigioniero e le guardie lo minacciarono ripetutamente di impiccarlo se avesse disobbedito. Il campo di Ludwigsburg in effetti era un centro di detenzione in attesa del rilascio. E’ istruttivo quanto Jacobs ci racconta della misera dieta: “A colazione ci davano un bicchiere di latte ‘grigio’ e una fetta di pane scuro. A mezzogiorno non c’era pasto”. A cena “ognuno riceveva una scodella di minestra…, per lo più acqua aromatizzata col dado. Nessuna seconda porzione. Sentivo sempre i morsi della fame”. Mentre erano internati a Ludwigsburg, lui ed i suoi fratelli erano costretti a guardare dei film sui “campi di sterminio” (74) tedeschi. La madre, il padre ed i fratelli furono rilasciati dai rispettivi campi a metà marzo del 1946 ed andarono a vivere coi nonni di Jacobs nella zona sotto controllo britannico. Non erano i benvenuti fra i tedeschi che incontravano, in quanto “eravamo altre quattro bocche da sfamare”. Jacobs vide che “la Germania era logorata dalla guerra e affamata”. Fu aiutato da un soldato americano che gli trovò un lavoro al “Graves Registration” (75). Perse il lavoro quando quel soldato fu trasferito ed iniziò una lotta per “vivere nel periodo in cui si moriva di fame, l’inverno del 1946-1947”. Dopo molto girare, ebbe un altro lavoro con l’Esercito americano, stavolta nella flotta militare. A lui si interessò una donna americana che conosceva una coppia in una fattoria del Kansas sud-occidentale che li avrebbe condotti in America a vivere con loro. Pertanto, Jacobs e suo fratello partirono per gli Stati Uniti nell’ottobre del 1947. Erano stati in Germania per 21 mesi. Trascorsero undici anni prima che Jacobs potesse rivedere i genitori. Tirò avanti e, come abbiamo detto, riuscì a diventare ufficiale di carriera nell’aeronautica militare statunitense. Dopo aver conseguito l’MBA (76) all’Università Statale dell’Arizona, divenne ingegnere industriale e più tardi docente della stessa Università.

Se MacDonogh ha scritto tutto ciò che abbiamo riferito (ed altro ancora) del suo libro, come si può sostenere che egli prosegue in modo significativo nell’occultamento di tali orrori, un occultamento che dal 1945 li ha consegnati al dimenticatoio? Questa domanda ci conduce ai difetti del libro, che sono di una natura tale da dare ai lettori una comprensione ridotta delle dimensioni delle atrocità e dei loro responsabili. Ciò che passa di più il segno è il trattamento che MacDonogh riserva al lavoro dello storico canadese James Bacque, autore di “Other Losses” (77) e “Crimes and Mercies”. Quando rimanda al primo di questi libri, dice che Bacque “asseriva che i francesi e gli americani avessero ucciso un milione di prigionieri di guerra”, una affermazione che “fu definita un lavoro di ‘mostruosa speculazione’ e fu rigettata da uno storico americano come una ‘tesi assurda’”. Secondo MacDonogh “da allora è stato provato che Bacque fraintese, nei documenti alleati, le parole ‘other losses’ e ne intese avessero il significato di ‘deaths’”. (78) Perciò parla di “falsa pista di Bacque”. Egli respinge tanto decisamente la tesi di Bacque che nella pagina sulle ulteriori letture consigliate, alla fine del libro, MacDonogh apparentemente si scorda del tutto di Bacque, dicendo che “sul trattamento dei prigionieri di guerra non esiste niente in inglese e il principale esperto americano –Arthur L. Smith- pubblica in tedesco”. (79) Pensavo fosse giusto chiedere a Bacque cosa rispondeva al rigetto di MacDonogh. Bacque mi ha risposto che “la speculazione sulle parole rappresenta bene i miei critici, perché loro non sono stati in tutti i maggiori archivi e non hanno intervistato le migliaia di sopravvissuti che hanno scritto ai giornali, ai giornalisti televisivi e ad altri scrittori sulle loro esperienze vicine alla morte nei campi degli americani, dei francesi e dei russi”. Lungi dall’ammettere di aver mal interpretato la categoria delle “other losses”, Bacque afferma che “il significato del termine mi fu chiarito dal colonnello Philip S. Lauben, dell’esercito degli Stati Uniti, responsabile dei movimenti dei prigionieri per lo SHAEF nel 1945. (80) Ho l’intervista su nastro e la firma di Lauben su una lettera di conferma. Lauben non ha mai negato ciò che mi riferì”. In seguito Lauben dichiarò alla BBC che “si era sbagliato”, però la probabilità di un errore è esile dal momento che era l’ufficiale responsabile fin dall’inizio e vide sia i campi che i documenti. La differenza fra il trattamento che riservano MacDonogh e Bacque alla questione dei prigionieri di guerra tedeschi in mani americane è solo apparente, non appena si confronta l’interesse che ognuno riserva alla limitazione del cibo. MacDonogh riferisce in un passaggio che “qualsiasi tentativo della popolazione civile tedesca di dar da mangiare ai prigionieri era punito con la morte”. Ciò è sbalorditivo di per se e certamente non ha bisogno di spiegazioni. Bacque ci racconta parecchio di più: “Il generale Eisenhower inviò un ‘corriere urgente’ per tutta la vasta area ai suoi ordini dichiarando che per i civili tedeschi era un reato punibile con la morte dar da mangiare ai prigionieri. Ed era un reato da pena di morte anche accumulare del cibo in qualche luogo per portarlo ai prigionieri”. Scrive che “l’ordine fu inviato in Germania ai governi provinciali, con l’ordine di trasmetterlo immediatamente alle amministrazioni locali. Copie dell’ordine sono state recentemente scoperte in vari villaggi nei pressi del Reno”. (81) Alle pagine 42-43 di “Crimes and Mercies” Bacque pubblica una copia in tedesco e in inglese di una lettera datata 9 maggio 1945, in cui viene notificata tale proibizione agli ufficiali del distretto. Bacque fornisce prove come quella del professor Martin Brech di Mahopac, all’estrema periferia di New York, che fu guardiano del campo americano di Aldernach in Germania (82). Brech racconta che “passò alcune fette di pane attraverso il filo spinato, ma l’ufficiale suo superiore gli disse ‘Non dargli da mangiare. La nostra politica è che questi uomini non mangino’”. “Dopo, la notte, Brech portò di nascosto un altro po’ di cibo nel campo e l’ufficiale gli disse ‘Se lo fai ancora, ti faccio fucilare’”. Così troviamo in Bacque una descrizione più nitida e una maggiore attribuzione di responsabilità che non in MacDonogh. Alla luce dell’enorme quantità di dettagli forniti dal libro di MacDonogh, ciò sarebbe perdonabile se non fosse per il suo tentativo di cancellare il lavoro di uno studioso di grande importanza che ha analizzato l’argomento in maniera esauriente. Una soppressione del genere riduce la comprensione del lettore di altri importanti argomenti che MacDonogh tratta con tale brevità che il lettore può a stento farsi un’idea completa. Per esempio, MacDonogh racconta di come, durante l’esecuzione di Joachim von Ribbentrop a Norimberga (83) “il boia pasticciò l’esecuzione e la corda strangolò l’ex-ministro degli esteri per venti lunghi venti minuti prima che spirasse”. Nel suo libro “Nuremberg: The Last Battle” (84), lo storico David Irving racconta parecchio di più, compreso il fatto che la forca era stata progettata in modo da permettere alla botola di ruotare all’indietro e spezzare “qualsiasi osso” dei visi di Keitel, Jodl e Frick. Dice ancora che il corpo di Goering (dopo che si era suicidato assumendo del veleno) “fu trascinato nella stanza dell’esecuzione [dove] i medici militari [fecero] frenetici tentativi di rianimarlo perché lo si potesse impiccare”. Ci sono un gran numero di punti in cui MacDonogh dice la metà di qualcosa d’importante, solo per lasciare l’argomento incompleto. Abbiamo già rilevato il suo accenno ai “30-40.000 prigionieri seduti nel cortile [alle caserme del Genio di Worms], che si spingevano per farsi spazio, senza alcuna protezione dalla pioggia che li gelava”. Ci lascia solo indovinare le conseguenze del congelamento. In un altro punto, riferisce che “gli americani mantennero in piedi campi per oltre un milione e mezzo di Naz(ionalsocialisti)isti o membri della SS”. Questa è la sua unica menzione in merito a questi campi, che si può supporre fossero perfino maggiormente punitivi degli altri. MacDonogh era troppo oberato da altri dettagli per proseguire ulteriormente su tale argomento? Non è che si astiene deliberatamente dall’esplorare certe cose? O forse l’omissione è dovuta a come i dettagli venivano fuori, frammentari come la scarica di un fucile a pallettoni? Al lettore occorrerà valutare fino a che punto “After the Reich” sia il lavoro di uno studioso eminente oppure un racconto di narrativa popolare. (85) Il libro di MacDonogh annovera molte pagine di note finali e cita un gran numero di fonti. Di rado si esprime criticamente su una data fonte. Ma nella maggior parte dei casi accoglie qualsiasi cosa una certa fonte abbia da dire. Al libro avrebbe giovato molto un saggio bibliografico in cui l’autore valutasse le fonti principali, condividendo col lettore una analisi accurata della base probatoria per la sua narrazione. Un esempio in cui è essenziale una valutazione critica è nel suo rimando a quel che ha da dire Ilse Koch (86) sui “paralumi e i trofei realizzati con pelle e organi umani”: MacDonogh dice che lo psicologo Saul Padover afferma gli sono stati mostrati. (87) Vorremmo sapere cosa concluderebbe MacDonogh se dovesse valutare la contro-prova che proclama la collezione di paralumi una “leggenda”. Altrettanto dicasi per le molte citazioni di MacDonogh del libro di Raul Hilberg “The Destruction of the European Jews”. (88) Esiste una vasta letteratura accademica che contesta ogni aspetto dell’“Olocausto”. (89) Leggendo MacDonogh non si verrebbe mai a sapere che esiste quella letteratura, o perché lui non la conosce oppure perché trova più prudente, come molti fanno, non menzionarla. Nonostante le sue limitazioni, “After the Reich” realizza molto, laddove fornisce un ulteriore collegamento nella catena delle rivelazioni che, nel tempo, consentono ai lettori scrupolosi una comprensione più completa della storia moderna. Il fatto che, all’epoca dei fatti e per così tanti decenni successivi, mostruosità della più grande importanza siano state lavate via dalla propaganda suggerisce che vi siano delle implicazioni molto al di là degli eventi stessi. Il primo ministro britannico Benjamin Disraeli (90) osservava che “tutti i grandi eventi sono stati distorti, la maggior parte delle cause importanti occultate” e proseguiva dicendo che “Se la storia d’Inghilterra sarà mai scritta da qualcuno che abbia consapevolezza e coraggio, il mondo ne rimarrà sbalordito”(91). Le implicazioni suggeriscono domande profonde di cui sarebbe negligenza non far menzione: Com’è che una certa versione della realtà può, su così tante materie, avere un dominio quasi totale, mentre le voci di milioni di persone e di un buon numero di studiosi seri vengono emarginate nel nulla? (Fortunatamente, per quanto interessa il lavoro di Bacque, esso è reperibile in dodici lingue e in tredici paesi, sebbene a lungo non sia stato disponibile negli Stati Uniti). Sappiamo davvero la verità su molte cose? Oppure sono innumerevoli gli argomenti celati in un miasma di omissioni e travisamenti? Dove sono i nostri storici accademici? Alla maggior parte di loro piace fornirci miti gradevoli, che è ciò che ci aspetta da loro, e per questo essi sono ricompensati con medaglie, premi e vendite elevate dei loro libri. Quanto è pervasiva una viltà che pone pressoché tutto avanti alla ricerca della verità? Al genere umano importa davvero profondamente della verità? Fino a che punto una società o un’epoca sono “democratiche” se le menti dei propri cittadini sono piene di fantasmi, cosicché la maggior parte dei loro giudizi sono o sciocchi o manovrati? E fino a che punto sono “democratiche” se quei cittadini non hanno neppure voce in capitolo nelle decisioni della più grave importanza? (92) E’ significativo ciò che scrive Keeling: “nella storia moderna nessun popolo di nessuna nazione, noi compresi, ha mai avuto una voce rilevante nel prendere le grandi decisioni, e sull’andare in guerra, e sul comporre gli accordi di pace”(93).

Traduzione a cura di Fabrizio Rinaldini.

Sull'argomento della "liberazione" tedesca ricordo questi testi fondamentali:

- Hans Deichelmann "Ho visto morire Königsberg. 1945-1948: memorie di un medico tedesco" Edizioni Mursia, 2010

- Gianantonio Valli, "Il prezzo della disfatta. Massacri e saccheggi nell'Europa 'liberata' ", Effepi, Genova 2008

- Ernesto Zucconi "Il rovescio della medaglia. I crimini dei vincitori" Novantico, Pinerolo, 2004

- John Sack "Occhio per occhio" Baldini e Castoldi, Milano, 1995

- Marco Picone Chiodo "E malediranno l'ora in cui partorirono. L'odissea tedesca tra il 1944 e il 1949" Mursia, Milano, 1988

- James Bacque "Gli altri lager I prigionieri tedeschi nei campi alleati in Europa dopo la Seconda Guerra Mondiale" Mursia, Milano 1993

- James Bacque Crimes and Mercies: The Fate Of German Civilians Under Allied Occupation, 1944-1950, Little Brown & Company, Boston, 2003

- Sito dello storico  http://www.jamesbacque.com/

- Opere a carattere storico (Deutsche als Opfer/I tedeschi come vittime) del pittore Smagon http://www.art-smagon.com/

- David Irving "Il piano Morgenthau. 19944-45 un genocidio mancato" Settimo Sigillo, Roma 2003

- J. Robert Lilly "Stupri di guerra – Le violenze commesse dai soldati americani in Gran Bretagna, Francia e Germania 1942-1945" Mursia, Milano, 2004.

 

__________________________________

1 (NdT) Link alla recensione: http://www.gnosticliberationfront.com/book_review_article.htm

2 (NdT) Per maggiori informazioni sul professor Dwight D. Murphey, autore della recensione, vedi:

http://www.dwightmurphey-collectedwritings.info/InfoReDDM.htm

3 (NdT) “La Guerra Buona”. Col libro "The Good War: An Oral History of World War Two" lo scrittore ed attore ebreo americano Louis "Studs" Terkel (1912 – 2008) ha vinto il Premio Pulitzer nel 1985.

4 (NdT) “La generazione più grande”.

5 (NdT) Per maggiori informazioni sull’autore di “After the Reich”, Giles MacDonogh, vedi:

http://www.macdonogh.co.uk/experience.htm

6 (NdT) “Nazi” nell’originale. Il traduttore – per principio - non usa la parola “nazista”.

7 (NdT) Vedi: http://www.macdonogh.co.uk/experience-books.htm...

8 (NdT) L'accordo (Potsdam Agreement) fra Gran Bretagna, Stati Uniti ed Unione Sovietica fu stipulato durante la Conferenza di Potsdam del 17 luglio-2 agosto 1945 e fu firmato dai "soliti" Winston Churchill, Harry Truman e Josef Stalin. Chi lo desidera può consultare il bestiale diktat in lingua inglese al sito: http://www.pbs.org/wgbh/amex/truman/psources/ps_potsdam.h... 

9 Adenauer è citato in James Bacque, "Crimes and Mercies: The Fate of German Civilians Under Allied Occupation, 1944-1950" (Boston, Little, Brown and Company (Canada) Limited, 1997), pag. 119. I lettori possono consultare anche Theodore Schieder (a cura di), "The Expulsion of the German Population from the Territories East of the Oder-Neisse-Line" (Bonn, Ministero Federale degli Espulsi, Rifugiati e Vittime di Guerra

Prof. Dachitchev: Réponse à la "Lettre ouverte" des intellectuels occidentaux contre Poutine

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 2004

Prof. Dr. Viatcheslav DACHITCHEV:

Réponse à la “Lettre ouverte” des intellectuels occidentaux contre Poutine

 

Daschitschew.jpgLe Professeur Viatcheslav Dachitchev, historien et expert ès questions allemandes, a été l’un des principaux conseillers de Gorbatchev et l’avocat au Kremlin de la réunification allemande. Nous avons déjà eu l’occasion de publier des entretiens avec lui ou des extraits de ces meilleurs essais [ http://www.harrymagazine.com/200407/turquia.htm ; http://ch.altermedia.info/index.php?p=641#more-641 ; tous deux sur la question de l’adhésion turque à l’UE; “Gorbatchev et la réunification allemande” & “Le combat de Poutine contre les oligarques”, in “Au fil de l’épée”, recueil n°48, août 2003].

 

Aujourd’hui, le Prof. Dachitchev réagit à la “Lettre ouverte” des intellectuels occidentaux, dirigée contre le Président Vladimir Poutine, accusé de détruire la démocratie en Russie. Sans hésiter, le Prof. Dachitchev a pris la plume pour présenter des contre-arguments dans les colonnes de l’hebdomadaire nationaliste allemand, la “National-Zeitung”, qui paraît à Munich. L’objectif du professeur : réfuter les arguments fallacieux avancés par les politiciens américains et les intellectuels qui leur sont inféodés, dans cette “Lettre ouverte”, dont l’objectif est de déstabiliser Poutine et la Russie. Dachitchev part du principe que “déclencher une guerre terroriste en bonne et due forme contre la Russie” coïncide avec les élections américaines. La guerre de Tchétchénie, en effet, apporte à Washington plusieurs avantages stratégiques importants. La  machine propagandiste US peut ainsi détourner l’attention de l’opinion publique internationale de l’expansionnisme américain en acte et accuser les seuls dirigeants russes d’enfreindre les droits de l’homme. La situation actuelle de la Russie est peu enviable, parce qu’elle sort à grand peine du marasme dans lequel la politique américaine l’a plongée, en pariant systématiquement sur le clan d’Eltsine. Voici la première partie de la réfutation rédigée par le Prof. Dachitchev :

 

Prélude à une nouvelle “Guerre Froide”?

 

L’élite dirigeante aux Etats-Unis a besoin d’une Russie faible, qui, comme beaucoup d’autres pays européens, puisse être maintenue à la remorque de Washington. Elle craint aussi de perdre sa “cinquième colonne” en Russie. Le 29 septembre dernier, 115 “intellectuels” et politiciens américains et européens ont publié une “Lettre ouverte” aux chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE  et de l’OTAN (pourquoi pas aux Nations Unies?) qui constitue de facto une attaque agressive contre le gouvernement du Président Poutine. Comment faut-il interpréter cette lettre? Quels sont les objectifs poursuivis par sa diffusion?

 

Avant toute chose, cette lettre témoigne que la politique américaine vise encore et toujours à affaiblir la Russie. La façon dont la “Lettre” décrit la politique du Président Poutine, surtout après les événements de Beslan en Ossétie, n’est rien d’autre qu’une démolition en règle. Pour washington, ce qui importe, c’est d’organiser une campagne propagandiste visant à refaire de la Russie un ennemi pour l’opinion publique américaine et européenne, afin de pouvoir exercer une pression constante sur les plans politique, économique et militaire et de pouvoir la justifier.  Ou bien est-ce carrément le début d’une nouvelle “Guerre Froide” contre le “Super-Etat voyou”?

 

Les néo-conservateurs tirent les ficelles

 

Personne, et encore moins Poutine, ne conteste le fait qu’une véritable démocratie serait un bien pour la Russie. Cependant, les signataires de cette “Lettre ouverte” devraient surtout penser à l’essentiel; et cet essentiel n’est-il  pas, aujourd’hui, pour la communauté internationale, d’éviter une nouvelle guerre mondiale, qui pourrait se déclencher à la suite de la politique américaine qui vise à établir une hégémonie globale? Mais il serait naïf de croire que les signataires veulent vraiment éviter cette conflagration universelle. Car, parmi ceux qui ont initié et signé cette “Lettre”, on trouve les tireurs de ficelles néo-conservateurs  comme William Kristol et Robert Kagan, tous deux fondateurs du “Projet pour un nouveau siècle américain”, expression de leur lobby idéologique.

 

En Russie aussi, une campagne  hystérique contre Poutine est menée tambour battant, justement par les mêmes cercles et cénacles qui, sous Eltsine, avaient ruiné et pillé le pays et le peuple. Ils craignent aujourd’hui de perdre tout pouvoir et toute influence. Ils se sont rassemblés au sein de  “Comité 2008” et d’une “Fédération des forces justes”. Leur objectif consiste à renverser Poutine. Ils font dans la pure démagogie et rendent le Président responsable indirectement du massacre effroyable de Beslan. Ils posent ses réformes du système politique russe comme une volonté de réduire les droits de l’homme à rien. Pourtant, malgré leurs cris, ils oublient de se soucier du problème majeur de la Russie d’aujourd’hui : 41% de la population russe végètent sous le seuil de la pauvreté ou l’avoisinnent dangereusement. Pour Alexandre Lifschitz  —l’ancien ministre des finances d’Elstsine—  ces millions de pauvres gens sont des “alluvions sociaux”. Pour Andreï Piontkovski  —un russophobe bien connu—  le Président Poutine est le “problème majeur” de la Russie. Le politologue Satarov, qui appartient lui aussi à l’entourage d’Eltsine et dont le nom sert à désigner le péché actuel de l’intelligentsia russe (on parle de “saratovisme”), prétend avoir trouvé les moyens de “freiner Poutine”. Ainsi, la tragédie de Beslan a contribué à faire reconnaître ceux qui sont en faveur et ceux qui sont en défaveur des intérêts nationaux de la Russie.

 

Les dangers pour la Russie

 

C’est quelque part exact : l’action terroriste abominable qui a été perpétrée à Beslan en Ossétie a épouvanté le monde entier et a permis à la caste dirigeante russe, rassemblée autour de Poutine, de procéder à une appréciation nouvelle des dangers et des défis qui menacent la Russie. Il est exact de dire aussi que l’affaire de Beslan provoquera une transformation essentielle dans la politique russe, sur les plans de la politique intérieure, de la politique extérieure et de la politique militaire.

 

Après la fin officielle et formelle de la “Guerre Froide”, la Russie avait réduit ses budgets militaires de manière spectaculaire : le chiffre était passé de 200 milliards à 12 milliards de dollars. Les budgets américains, en revanche, avaient gonflé pour atteindre  des dimensions gigantesques et dépasser les chiffres du temps de la “Guerre Froide”. Vu la pression américaine, la Russie a dû tripler son budget militaire au cours de ces cinq dernières années. Les plans soumis en août dernier pour les dépenses militaires de 2005 prévoient une augmentation de 28% pour atteindre le chiffre de 573 milliards de roubles. Après l’action terroriste tchétchène de Beslan, ces budgets seront encore augmentés. Selon des déclarations officielles, une bonne part de ce budget devra assurer la parité avec les Etats-Unis en matière de fusées nucléaires.

 

Pourquoi ? Parce que le facteur qui pèse le plus sur la Russie depuis la fin de la Guerre Froide, sur les plans géopolitique, géostratégique et géo-économique est indubitablement la politique américaine. Après le démontage du système totalitaire soviétique, après que Gorbatchev ait renoncé définitivement au messianisme communiste et à sa politique hégémoniste, après l’effondrement de l’Union Soviétique, on a pu croire que les tensions entre les Etats-Unis et la Russie disparaîtraient et qu’une situation nouvelle naîtrait, apportant dans son sillage les conditions d’une paix durable et d’une vision constructive de la politique internationale. En réalité, rien de tout cela n’est advenu, bien au contraire !

 

Le programme : bétonner l’hégémonie définitive des Etats-Unis  sur le globe

 

La Doctrine Bush a pour assises les programmes géopolitiques visant à bétonner l’hégémonie définitive des Etats-Unis sur le globe. Ces programmes dérivent du “Project for a New American Century” (PNAC), élaboré au printemps de l’année 1997, et d’autres projets émanant des centres de réflexion néo-conservateurs.

 

Quelques mois après l’élaboration de ce PNAC, est paru un article dans la revue “Foreign Affairs”, qui s’intitulait : “Pour une géostratégie eurasiatique”. Il était dû à la plume de Zbigniew Brzezinski et révélait ouvertement et sans vergogne les  plans américains. C’est-à-dire les suivants:

è    Les Etats-Unis doivent devenir la seule et unique puissance dirigeante en Eurasie. Car qui possède l’Eurasie possède aussi l’Afrique.

è    La tâche principale de cette politique globale des Etats-Unis consiste à élargir leur principale “tremplin” géostratégique en Europe, en poussant les pions, que sont l’OTAN et l’UE, aussi loin que possible vers l’Est, y compris aux Pays baltes et à l’Ukraine.

è    Il faut empêcher toute bonne intégration au sein même de l’UE, de manière à ce que celle-ci ne  puisse pas devenir une puissance mondiale à part entière.

è    L’Allemagne  —qui sert de base à l’hégémonie américaine en Europe—  ne pourra jamais devenir une puissance mondiale; son rôle doit être limité à des dimensions strictement régionales.

è    La Chine  —soit l’”ancrage asiatique” de la stratégie euro-asiatique des Etats-Unis, doit, elle aussi, demeurer une simple puissance régionale.

è    La Russie doit être éliminée en tant que grande puissance eurasienne; à sa place, il faut créer une confédération d’Etats mineurs, qui seront la république de Russie d’Europe, la république sibérienne et la république d’Extrême Orient.

 

On le constate : les objectifs géopolitiques des Etats-Unis mènent tout droit à un télescopage pur et simple entre les intérêts russe et ceux de Washington.

 

Viatcheslav DACHITCHEV,

Moscou.

[article paru dans la “National-Zeitung”, n°42, 8 octobre 2004].

dimanche, 09 mai 2010

Propaganda y construccion del consenso: Walt Disney y la Segunda Guerra

Propaganda y construcción del consenso: Walt Disney y la Segunda Guerra

Por Giovanni B. Krähe

Ex: http://geviert.wordpress.com/

Entre los clásicos de la propaganda americana para el público infantil durante la Segunda Guerra Mundial tenemos las producciones de Walt Disney Der Fürher´s Faces (1943, premiada con un Oscar), la disdascálica Education for Death (1943) o la ilustrativa On the Front Lines-Victory through Air Power (1943). Todo este interesante material, histórico ahora (disponible online, ver links), tenía entonces precisos objetivos políticos-militares de mantenimiento del consenso en el frente civil interno durante la Segunda Guerra Mundial (salvo los SNAFU, ver más adelante). Es necesario considerar también los programas de apoyo fiscal al ejercito, los denominados Income Tax Propaganda. Luego de la Guerra, todo este material fue mantenido archivado y censurado por un considerable periodo, hasta su difusión relativamente reciente como material documental, de “historia” de la misma Disney. Publicamos algunos apuntes sueltos sobre el primer material, Der Führer’s Faces.

Der Führer´s Faces: Estrategia y lenguaje icónico

La estrategia principal de la propaganda americana en esta interesante producción es neutralizar y despolitizar, a través de la descontextualización por asociación, símbolos y contenidos mitopoiéticos utilizados hábilmente por la propaganda alemana para sus propios objetivos de consenso. El lenguaje de descontextualización es la ironía, a la cual se añade una representación icónica simple y una narración-guía en off de fácil interpretación para su rápida decodificación por el espectador. Entre cada momento de descontextualización (cada situación que el personaje Donald tiene que soportar) es posible notar una musicalización, un jingle digamos, que prepara el inicio y el final de cada breve situación. La música tiene la función de crear una “pausa mental”, para que el espectador pueda distinguir cada segmento del mensaje sin arrastrar las emociones de un segmento al otro.

Dado que el mensaje del grupo Disney se dirige al espectador americano medio (infantil y adulto) con finalidades de consenso, la representación icónica de la ironía es asociada en el mensaje de forma simple, breve y eficaz. La técnica es la asociación por diferencia-distinción entre un contenido americano y uno alemán, codificado a través de estereotipos, representaciones, bias, prejuicios, lugares comunes de fácil y rápido reconocimiento para el espectador.  Tenemos, por ejemplo, por un lado, contenidos pertenecientes a la cotidianidad, al espacio privado (ver imagen abajo), a la persona (dimensión psicológica) o individual (dimensión social). A esto se añaden símbolos colectivos o contenidos semánticos reconocidos como típicos por el espectador americano (“la estatua de la libertad”, ver al final del video). Por el otro lado tenemos los contenidos alemanes, objetivo de la neutralización. Estos contenidos alemanes deben ser también reconocibles y distinguibles por el espectador  americano medio para que el mensaje sea icónicamente eficaz. Observemos por ejemplo que el material inicia con una sobretematización (primer plano) del preußischer Paradeschrittel, el paso marcial prusiano (ver imagen arriba y abajo). Todos los contenidos alemanes van asociados, como ya mencionado, a estereotipos, prejuicios o lugares comunes del mismo espectador americano, para facilitar su decodificación y comprensión inmediata.

El público o target de los contenidos de Walt Disney durante la Guerra fueron siempre niños y adultos, hubieron, sin embargo, producciones especiales para uso interno, es decir, sólo para los soldados en el frente (cfr. los SNAFU). En términos de análisis mediológico (aislando el medium icónico por un lado y los símbolos por el otro) es posible, entonces, reconstruir tanto el contenido propagandístico (el objeto del mensaje) como el perfil de su espectador (el receptor del mensaje). En este sentido, la propaganda de Disney es muy interesante porque nos permite comprender también el perfil psicológico del público americano que se expone a estos contenidos con finalidades de consenso.

Ejercicio de análisis

Las situaciones-eje del plano narrativo en The Führer´s Faces son:

(jingle, preparación del interés)

1) inicio: contraposición entre espacio público/espacio privado. Donald duerme, la banda de música nazi irrumpe.

(jingle, pausa mental)

2) vida cotidiana: desayuno, etc.

(música)

3) mundo del trabajo (producción)

(música)

4) conciencia individual, identidad

(música)

6) identidad colectiva (nacional).

Algunas rápidas reflexiones y notas sueltas de un borrador sobre este material. Es interesante notar,  por ejemplo,  que la  estrategia de Walt Disney es asociar principalmente el código del mensaje a dos contenidos mediáticos del Nacionalsocialismo (NS) reconocibles rápidamente por el espectador americano de la época: el saludo NS y la Hakenkreuz, la esvástica. Para el periodo que estamos tratando, la esvástica, a la par de los demás símbolos nacionales, tenía una difusión mediática en América como reconocimiento del país, objeto de la propaganda. Esta estrategia de asociación se realiza icónicamente a través de la máxima generalización de la esvástica en la dimensión social y privada de Donald, sin distinciones, para representar el anulamiento violento de ambas dimensiones: la historia inicia  con el progresivo  anulamiento de la dimensión privada, cuotidiana (dimensión individual, psicológica) y  luego pública (espacio público, político) representado por los exteriores del dormitorio de Donald. El espacio público (la banda de música al inicio) irrumpe arbitrariamente en el espacio privado-individual (Donald duerme y es molestado). Se observe al inicio el fondo del paisaje, detrás de la banda de música, las nubes y los árboles. Esta “totalidad” del símbolo NS  anulará luego la distinción entre público y privado de Donald (ver imagen arriba) a través de la irrupción de la banda de música. Otro detalle interesante se da durante el desayuno de Donald: este debe ocultar su desayuno (dimensión privada) y modificar su conducta, puesto que no es le es permitido por el imperativo político: el café con un aroma artificial, el pan duro, son el resultado como efectos negativos. Es interesante notar cómo el director de Disney escoge la contextualización de momentos típicamente cotidianos para  hacer converger el lenguaje icónico, cromático y sonoro.  En efecto, se puede notar que el desayuno “normal” del personaje Donald  (café, periódico, tranquilidad) se debe esconder detrás de un retrato de Hitler (dimesión política, pública). Finalmente el periódico matutino es remplazado arbitrariamente por el “Mein Kampf”. (continuará).


L'installation en Europe septentrionale et occidentale des peuples carpatho-danubiens à l'ère protohistorique

indo-3000.jpg

 

L’installation en Europe septentrionale et occidentale des peuples carpatho-danubiens à l’ère proto-historique

 

 

Trouvé en version anglaise sur : http://www.dacia.org/history/conq-ew.html

 

Dans l’espace carpatho-danubien, à l’ère proto-historique, un peuple s’est formé: celui que les Roumains d’aujourd’hui considèrent comme le premier ensemble cohérent de leurs ancêtres lointains mais directs. Ce peuple a commencé à émigrer hors de son aire d’origine vers des terres fertiles plus au nord et à l’ouest. L’étendue de ses terres augmentait, vu la fonte de la calotte glaciaire, et le climat devenait plus clément. Personne ne peut encore établir avec certitude le temps, en milliers d’années, que cela a pris pour que les collines peu élevées en altitude  se couvrent de forêts. Personne non plus ne peut affirmer avec certitude quel fut le processus biologique de formation de ces forêts, ni quand il a commencé, ni quand ces zones forestières ont pu devenir l’habitat privilégié de nombreux insectes, oiseaux et autres animaux. Ni dire avec une égale certitude quand l’homme, poussé par sa curiosité, a commencé à s’installer et à habiter dans ces forêts, à la recherche de nourriture.  L’archéologie ne nous fournit encore aucune réponse précise.

 

Commençons par jeter un oeil sur une carte de l’Europe. Nous voyons la chaîne carpatho-hercynienne se poursuivre vers les Monts Beskides et Tatra. De part et d’autres de ces régions montagneuses coulent des fleuves et rivières: certains coulent vers le nord, d’autres vers le sud. Au Nord, nous constatons la présence de bassins hydro-géographiques comprenant: l’Elbe, l’Oder, la Vistule et le Niémen, tandis que le bassin du Danube (que les Grecs appelaient l’Ister) se trouve au sud (rappelons aussi que “Danu” est la déesse védique de la pluie et des prairies grasses). Le bassin du Danube rassemble presque toutes les rivières et les fleuves prenant leur source sur le flanc méridional des chaînes montagneuses que nous avons mentionnées.

 

Quand le climat s’est réchauffé, les Pélasges carpatho-danubiens ont quitté leur foyer originel pour conquérir le monde environnant:

 

1. Une première vague, nordique, que l’on peut appeler la branche balto-mazurienne, s’est divisée plus tard en deux groupes de peuples: les peuples germaniques et les peuples slaves.

 

2. Une seconde vague, qui devient dès lors la branche méridionale du peuple carpatho-danubien, a donné ultérieurement naissance à deux autres groupes:

a) La branche du Sud-Est, comprenant les Sumériens, les Ramantes de Troie, les Hittites et les Garamantes d’Afrique du Nord.

b) La branche du Sud-Ouest, qui formera plus tard la race européenne dite “latine”: les Daco-Gètes, les Thraces, les Illyriens, les Latins (futurs porteurs de l’empire romain), les Italiques, les Ibères, que l’on retrouvera sur les territoires actuels de l’Espagne, du Portugal et de la France.

c) La branche orientale, qui a donné naissance à la spiritualité védique et qui partira à la conquête de l’Asie, plus précisément du Sud de la Chine, du Bassin du Tarim (les Tokhariens), de l’Inde (les Aryens védiques), du Japon (la population aïnoue étant un résidu lointain de ces migrations), etc.

 

Ces conclusions sont déduites de la logique, car les preuves archéologiques sont très peu nombreuses aujourd’hui. Le problème qu’il convient de résoudre: quels éléments de preuves peut-on ajouter aux quelques rares références que nous possédons déjà?

 

La zone comprise entre l’Océan Atlantique et la “mer aux couleurs du ciel” (la Mer Noire) a abrité une vie culturelle préhistorique intense: que l’on songe à la fresque de la “danse du bison” découverte dans la grotte sanctuaire d’Altamira en Espagne, à celle, similaire, que l’on a retrouvée à Font-de-Gaume en France, du “félin d’ivoire” de Pavlov en Bohème à la fresque de la “panthère, des chevaux et du chevalier tué”, découverte dans la grotte sanctuaire de Cuciulat (et qui date d’une période entre –15.000 et –12.000 avant notre ère), des dessins rupestres de la grotte de Gaura Chindiei (-10.000 à –8.000 avant notre ère), deux sites de Roumanie, jusqu’aux formes étranges et cosmiques, apparemment étrangères à la terre voire “extra-terrestres”, d’un bas-relief trouvé dans la  grotte roumaine de Sinca Veche. Je voudrais rappeler, ici, les notes daces-roumaines de Ion Pachia Tatomirescu, qui évoquait une unité de culture préhistorique/proto-historique propre à toute l’Europe, et qu’il qualifiait de “pélagique”. Elle aurait existé entre –30.000 et –8.175 avant notre ère. Après cette période, cette culture originelle de l’Europe se serait fragmentée en trois groupes distincts. Ceux-ci se seraient ensuite développés lors de ce que l’on appelle l’”acmé de l’âge néolithique”, avec une branche “ouest-pélagienne” (de l’Océan Atlantique aux Alpes), une branche “pélagienne -centrale” (des Alpes orientales  à la Sardaigne jusqu’au Dniepr et à la “Mer des Gètes” (soit la Mer Noire), et des Carpathes septentrionales à la Mer Baltique, entre l’Oder et le Niémen, s’étendant jusqu’à la Sicile et la Crète. La Mer de Thrace (ou de Marmara) s’étant formée bien plus tard, lorsque la bande de terre reliant l’Asie Mineure à la péninsule balkanique a été submergée par la Méditerrannée, il y a environ 4000 ans, ce qui a formé, avec des résidus d’îles et l’émergence de nouvelles îles, la Mer de Thrace, que les Grecs appelèrent ultérieurement la Mer Egée

 

La troisième branche est la branche pélagienne orientale, dont le territoire initial s’étendait entre la Mer de Thrace (Mer Egée), la Mer des Gètes (Mer Noire) et le Dniepr. Son territoire s’est ensuite étendu jusqu’au Don et aux montagnes du Caucase. Des éléments de ce groupe ont traversé l’Anatolie et se sont installés à Chypre.

 

Tandis qu’il étudiait les cultures et les religions préhistoriques au départ de l’art rupestre des grottes d’Europe et d’Asie, André Leroi-Gournan fut l’un des premiers à démontrer “l’extraordinaire unité de l’art figuratif” de la  préhistoire européenne, ainsi que la permanence, la persistance et la continuité de ces représentations, tant dans le temps que dans l’espace, depuis les Asturies jusqu’au Don. Cette unité culturelle et démographique a permis aux Européens, les Pélages proto-historiques, de marquer l’histoire de leur présence. Cette unité a conduit à l’émergence d’une langue commune –la langue pélagienne archaïque—  que parlaient les peuples européennes du paléolithique et du mésolithique. Au départ, son vocabulaire, ne comprenait que les mots nécessaires à la vie quotidienne, mais ils’est enrichi et diversifié au fil des millénaires. Les modifications linguistiques, qui sont survenues au cours des deux derniers millénaires, fournissent beaucoup d’explications sur les événements qui se sont déroulés dans les ères les plus anciennes de la préhistoire européenne, lorsque la langue archaïque des peuples carpatho-danubiens a donné naissance, en Inde, au sanskrit, tandis que dans le sud de l’Europe, le latin vulgaire dominait pour se développer plus tard en un latin de culture (qui n’a disparu qu’au bout de deux mille ans). 

 

Les Carpatho-Danubiens du Sud-Ouest ont diffusé leur langue partout, ce qui explique que la même langue de base, ou langue-souche, ait donné naissance à la langue dace-romaine (le valaque de Roumanie), l’italique, le rhéto-romanche et la langue parlée en Sardaigne.

 

La langue de la branche orientale des Carpatho-Danubiens sera parlée dans le bassin du Dniepr, en Crimée, dans le bassin du Don, au Caucase, par ceux qui formeront la première et la seconde vagues du peuple des Kourgans (-4.400 et –3.400 avant notre ère) et par leurs descendants qui sont restés sédentaires. Aujourd’hui, les restes épars de cette langue sont appelés des “îlots de latinitié”: on les trouve notamment dans la région de Cherson en Crimée ou sur la côte orientale ou nord-orientale de la Mer Caspienne, comme à Vatchi, Khoutchni et Kourakh, dans le Daghestan, une république de l’actuelle Fédération de Russie.On  retrouve des résidus de cette langue dans la péninsule de Bouzatchi et même au Kazakhstan. On demeure surpris en constatant que la langue parlée par ces peuples à l’est, et même fort à l’est, présente des similitudes avec le Valaque. De même, les Tokhariens, un peuple de la branche aryenne, atteindront la Chine, les Aryens s’installeront en Inde tandis que les ancêtres des Aïnous actuels s’établiront au Japon.

 

La branche du Sud-Ouest des peuples issus de la matrice territoriale carpatho-danubienne font jeter les fondements de ce que l’on appelle aujourd’hui “la civilisation européenne archaïque”. Les institutions de cette civilisation sont donc issues, au départ, de l’espace carpatho-danubien, sacré et primordial.  Ce concept de “civilisation européenne  archaïque” a été forgé par Marija Gimbutas, qui fut professeur d’archéologie et de linguistique à l’Université de Los Angeles en Californie. Ce concept est né, chez Marija Gimbutas, en 1971, lors du 8ième Congrès international des sciences préhistoriques et proto-historiques, tenu à Belgrade (soit à Singidunum, son nom celto-latin). Cette civilisation européenne archaïque s’est d’abord étendue à des territoires aujourd’hui ukrainiens, moldaves, roumains, bulgares, serbes, macédoniens, monténégrins, bosniaques, croates, slovènes, albanais, grecs, turcs, hongrois, suisses, italiens, avec une extrémité septentrionale en Autriche, en Bohème, en Slovaquie, en Pologne et en Lithuanie, puis avec une pointe avancée méridionale dans les grandes îles de la Méditerranée: Sardaigne, Sicile, Crète, Chypre.

 

La branche carpatho-danubienne du Sud-Ouest a été incroyablement florissante  au néolithique, donnant naissance au plus ancien système  d’écriture du monde (Tartarie, Roumanie) et à une architecture fascinante, surtout pour la construction de temples, dont on retrouve des restes à Cascioarele en Roumanie, à Cranon en Grèce, à Porodin en Macédoine, à Gradesnita en Bulgarie, à Parta en Roumanie, à Sarmi-Seget-Usa, également en Roumanie. Sur ce site, précisément, on retrouve des traces du panthéon pélagien, aryen, carpatho-danubien; on sait que ces peuples vénéraient le soleil; le nom du Mont Surya dérive du mot “Surya”, le nom du soleil dans les Védas. Dans la nécropole de Cernavoda en Roumanie, deux statues de céramique ont été découvertes; on estime qu’elles datent  de 4530 avant notre ère et représentent le “couple primordial”, avec le père-ciel (Samasua) et la terre-mère (Dakia), que l’on appelle aussi, parfois, le “penseur pontique-danubien et sa femme”. N’oublions pas que les conditions géographiques et climatiques, voire tectoniques, ont empêché le peuple initial carpatho-danubien de se déplacer entre –7540 et –5500. Donc, au cours de cette période, après un cataclysme sismique, où la plaque tectonique de la Mer Noire s’est élevée de 40 à 180 m, inondant la  plaine du Danube inférieur et créant les détroits du Bosphore, tandis que la bande de terre reliant les Blakans à l’Asie Mineure s’est effondrée dans la Méditerranée, formant du même coup la péninsule balkanique et la Mer de Thrace (ou l’Egée). Toujours au cours de cette période, le centre sacré de Koga-Ion, s’est déplacé des Montagnes de Bucegi (le point focal sismique de Vrancea) vers le Mont Surya à Sarmi-Seget-Usa (dans la vieille langue sanskrite, cela signifie “Je suis pressé de fuir”).

 

Entre –4400 et –4200 avant notre ère, la première vague orientale de migration revient dans la zone pélagienne originelle: il s’agit d’une population “kourgane” qui s’était établie dans les bassins du Don et de la Volga; elle atteint d’abord les steppes du Nord-Ouest de la zone pontique puis déboule dans la vallée du Danube. Cette première vague migratoire de guerriers cavaliers  va s’arrêter juste devant le confluent de la Save et de la Drave avec le Danube, ce qui amènera des éléments du peuple carpatho-danubien au-delà des Alpes, notamment dans la péninsule italique.

 

Les Pélages carpatho-danubiens seront contraints de se doter d’une meilleures organisation administrative, militaire et religieuse pour faire face aux migrations. La vie religieuse connaît alors un “revival” au nom des divinités sacrées traditionnelles, telles le dieu de la guerre, “Sol-Ares”, soit le “Jeune Soleil” ou le “fils du Père-Ciel”, qui s’appelle, dans cette mythologie, “Sama-Sua”, ou Salmos, Zalmos, Zalmoxis.

 

Les Carpatho-Danubiens amélioreront sans cesse leurs systèmes de défense, leurs armements, dont la production sera continuellement perfectionnée. Le site d’Ardeal (Terra Aruteliensis) devint ainsi l’un des centres métallurgiques les plus importants de l’Europe à l’époque.

 

Par la suite, la population issue de la migration kourgane a été assimilée à l’indigénat carpatho-danubien, harcelé,  désormais, et de façon constante, par des peuples migrants, venus de l’Est. La fusion d’éléments kourgans et de l’indigénat carpatho-danubien donna naissance à un peuple belliqueux, les “Guerriers du Soleil”, connus entre –4400 et –3900 sous le nom de Daces (“Dax” signifiant tout à la fois “saint”, “chevalier” et “guerrier”). Hérodote, dans ses “Histoires” (IV, 93) parle d’eux comme “les  plus  braves, les plus honnêtes et les plus justes d’entre les peuples pélagiens”.

 

Les Carpatho-Danubiens ont donc inventé, à cette époque, les techniques et artefacts suivants :

 

1. La faucille (dont on retrouve des traces archéologiques dans les établissements de Gumelnita-Karanoco et de Cucuteni).

2. Le couteau de silex courbé, de 30 cm de long, qui devint, à l’âge des  métaux, l’épée dace courbée, utilisée tout à la fois pour les moissons et pour affronter l’ennemi.

3. La charrue en bois de cerf ou en silex, qui sera en bronze ou en fer plus tard.

4. Le joug, utilisé pour la traction de charettes à boeufs.

5. La hache de silex à deux tranchants, plus tard en bronze puis en fer, fondue dans un moule en argile cuit; cet instrument sera typique des populations carpatho-danubiennes.

6. La roue du potier puis la roue de char, deux inventions attribuées aux Daces de Cucuteni.

7. Les chars ou chariots à deux, trois ou quatre roues.

 

Nos ancêtres ont donc inventé tous ces outils indispensables au développement d’une culture historique. Or n’importe quel peuple non européen serait fier aujourd’hui d’avoir été à la base de ces inventions. Ce n’est plus le cas de nos jours en Europe et en Roumanie. Il paraît que nous sommes devenus “modestes”. Ce n’est jamais qu’un manque navrant de fierté. En Roumanie, on continue à parler d’une origine latine et romaine, en négligeant délibérément l’héritage dace  et carpatho-danubien.

 

Les vagues migratoires venues de l’Est ne se sont pas arrêtées à celles des premiers Kourganes; une seconde vague (de –3400 à –3200) et une troisième (de –3000 à –2800), toutes deux moins nombreuses, n’ont pas eu un impact important sur la démographie indigène.

 

Dans les premières années de ce 35ième siècle avant notre ère, le “pôle” démographique de la planète se situait donc dans l’aire carpatho-danubienne et pontique. Ce qui explique pourquoi une bonne moitié des populations nomades des steppes comprises entre le Dniepr et les Monts Ourals se sentait attirée par le niveau élevé de culture et par la richesse de leurs voisins vivant sur la rive occidentale du Dniepr. L’histoire évoque des “éleveurs de chevaux” qui apparaissent au sein de la population indigène de l’espace carpatho-danubien, puis disparaissent. Ces populations nomades, comme celles des deuxième et troisième vagues de Kourgans) ont atteint l’Europe occidentale, certains se portant même jusqu’à la péninsule ibérique.

 

Les Daces ont donc protégé l’Europe contre les assauts des barbares de la steppe, comme le feront leurs descendants en des périodes ultérieures de l’histoire. Quelles impulsions ont amené ces populations migrantes à nos frontières: l’attrait pour une culture supérieure, plus raffinée? La faim? La volonté de piller? Le mépris qu’ils éprouvaient pour le travail de l’honnête homme sédentaire? Les hypothèses peuvent se juxtaposer, se télescoper. Le débat est ouvert.

 

A l’âge du bronze émerge la culture dace de Cotofeni, dominée par des idées religieuses, des symboles et des motifs sacrés: la double spirale, le culte des pins (avec les motifs correspondants, symbolisant le pin ou le sapin). Gebeizis, ou le “dragon des nuages”, semble être devenu, à cette époque, le dieu principal, avec, à ses côtés, Bendis, la grande déesse des forêts, de la lune et des divinations). Le peuple carpatho-danubien s’est donc répandu dans le monde entier et en a conquis de vastes espaces, en étant parfois vaincu. Ainsi, la civilisation qu’il a créée, et qui porte les noms de pélagienne, de thrace, de mycénienne, de pélagienne-thraco-mycénienne, ou de pélagienne-thraco-troyenne, a été détruite et conquise par d’autres vagues migratoires barbares, au nombre de quatre, venues de l’Est de la Caspienne entre –1900 et –1400: les Achéens, les Ioniens, les Doriens et les Eoliens, qui deviendront les Grecs.

 

Ces peuples se sont fixés dans le sud de la péninsule balkanique et en Asie Mineure. Ils ont chassé les Carpatho-Danubiens des îles de l’Egée. Ainsi  en atteste la figure de l’Achéen Thémistocle, chef du groupe qui conquerra plus tard Lemnos et en expulsera les Thraces de Sinthion en –500. Ce sont ces peuples-là qui ont changé le nom de la Mer de Thrace pour l’appeler “Egée”. Ils prendront et détruiront Troie. Ces conquérants, toutefois, ont été absorbés et inclus dans la culture carpatho-danubienne. Ils en hériteront le panthéon et la mythologie: Gebeleizis devint Zeus; Bendis, la déesse, devint Aphrodite ou Vénus, tandis qu’Orphée et Bacchus ont été assimilés sans trop d’altérations. L’origine thraco-dace de ces dieux et déesses étant souvent reconnue comme telle.

 

Le transport du fer, de l’or et du bétail n’était pas sûr à l’époque sur les routes et pistes de Dacie. Les Daces ont décidé d’imposer au peuple un ordre héroïco-religieux et chevaleresque, ayant aussi pour tâche de dire le droit et de rendre la justice selon les coutumes daces et d’imposer les fameuses lois pélagiennes (ou pélasges ou “bellagiennes” ou “valachiennes”). L’imposition de ce code avait pour but de mettre fin aux pillages locaux et aux vols et larcins de toutes natures. Les “chevaliers” de cet ordre  —dénommés les “chevaliers du Soleil”— étaient équipés d’armes de fer et parvenaient à avoir systématiquement le dessus sur leurs ennemis.

 

Comme nous l’avons  déjà mentionné, les populations  pélagiennes carpatho-danubiennes se sont divisées en deux groupes: ceux du sud, qui donneront la civilisation védique, que l’on connaît bien, et ceux du nord, plus anciens, qui ont donné par la suite naissance à deux grands groupes de peuples en Europe: les Germains et les Slaves.

 

L’un des documents les plus importants qui nous parlent des Daces, de leurs origines et de leurs descendants, est le “Chronicle Roll” ou le “Moseley Roll”, une chronique historique, dont l’original a été perdu mais dont des copies manuscrites du 15ième siècle attestent l’existence; ces copies datent du règne du roi d’Angleterre Henri VI et se trouvent dans les bibliothèques de l’University College de Londres et du “Corpus Christi College” de Cambridge. On en trouve également une copie à la  “Bibliothèque Nationale” de Paris. Ces documents affirment être une généalogie des peuples germaniques. Dans cette chronique, Styeph, Steldius ou Boerinus, une même figure pour trois noms différents, est considérée comme le père fondateur des peuples germaniques, qui a eu neuf descendants, soit les pères des neuf peuples germaniques de l’antiquité: Geate, Dacus, Suethedus, Fresus, Gethius, Wandalus, Iutus, Gothus et Ciurinicius.

 

Je remercie ici le Dr. Alexandru Badin, mon collègue de New Jersey, pour ses descriptions minutieuses et complètes des liens existant entre la Dacie orientale et la Dacie occidentale. Dans son livre “Western Europe Dacia” (New York, The Geryon Press, 1998), le Prof. Badin met en lumière l’histoire légendaire de la Dacie, jamais auparavant décryptée et révélée, et récapitule les étapes qui ont marqué les origines de la Dacie d’Europe occidentale, en leur donnant une solide base historique et scientifique. Nos théories et opinions ont varié parfois, mais je ne cesserai jamais de lui rendre hommage.

 

Revenons aux neuf descendants de Boerinus (“boier” signifiant “homme noble” en roumain): il apparait évident que ces neuf personnages légendaires ne représentent pas des personnes mais des peuples. La science du préhistorien devient ainsi pareille à l’intrigue d’un roman policier: comment se fait-il que les Allemands ou les peuples germaniques actuels ont des ancêtres mythiques dont les noms sont “Geate” et “Dacus”? Est-ce dû à l’arrivée sur le territoire allemand actuel d’une tribu carpatho-danubienne, immédiatement après la disparition de la calotte glaciaire, quand le climat s’est réchauffé? Ou est-ce une simple coïncidence? Le héros anglo-saxon et scandinave, Beowulf, était, dit le texte, le chef d’un peuple appelé “Geate”, “Geatas”, “Guata” ou “Guatar”. Dans son célèbre ouvrage “The Medieval Word/World” (New York, New American Library, 1961), Friedrich  Heer décrit la personnalité de trois professeurs célèbres de l’Université de Paris au 13ième siècle, tous venus d’Europe du Nord. L’un d’eux est “Boetius”, venu de Dacie. Il avait énoncé la théorie, fort débattue, de la “double réalité”, affirmant que le savoir et la religion étaient deux principes différents, chacun valable et juste en soi. Ses idées hérétiques ont été réduites au silence en 1277, à la suite d’un décret pontifical.  Le site géographique de la Dacie, pays de Boetius, est contesté. Selon les Prof. Jensen S. Skovgaard, le terme “Dacie”, au moyen-âge, possède deux significations:la première de ces significations fait référence à l’Ordre des Dominicains ou des Franciscains; ensuite, deuxième signification, il suggère que la personne,dont on parle, est originaire d’une  province de “Dacie”, dont le territoire recouvre le Danemark, la Norvège, la Suède et la Finlande. Il fait référence à l’ancienne “Dacie” des textes médiévaux, synonyme de “Dania” , soit le Danemark.

 

De ce fait, nous avons affaire àdeux populations différentes, vivant sur des territoires européens différents, qui partagent une même appelation de “Dacie”.  L’un de ces groupes appartenait à l’Europe orientale, c’est-à-dire au foyer originel de l’Europe proto-historique, tandis que l’autre appartenait au territoire du Nord-Ouest du sous-continent européen, sur le territoire scandinave recouvrant aujourd’hui le Danemark (appelé, lui aussi, “Dacia” dans les anciens textes latins où le terme désigne une province ou une région), la Suède, la Norvège et la Finlande. Il est curieux de constater que la Dacie d’Europe orientale est mention née dans les sources historiques écrites dès le 2ième siècle avant J.C., tandis que la “Dacie” d’Europe occidentale n’est mentionnée que beaucoup plus tard, soit, grosso modo, au 4ième siècle après J.C.

 

Personnellement, je ne pense pas que le débat sur la descendance de Boetius de Dacie est un problème qui doit être résolu par les Suédois ou les Danois seuls. Je pense plutôt que la clef, nous permettant de comprendre l’ensemble de la problématique de la préhistoire et de la proto-histoire européenne, se situe ailleurs, notamment en Dacie orientale. La question est dès lors la suivante : est-il possible que ces deux provinces d’Europe et ces deux peuples, ayant des noms similaires et partageant bon nombre de coutumes issues d’une culture, d’une religion et d’une langue communes, possèdent un dénominateur commun historique, une histoire et un passé communs ou une origine similaire?

 

Les Pélages carpatho-danubiens ont transporté leurs symboles dans toutes les régions qu’ils ont conquises. Cela explique pourquoi nous trouvons la croix pélagienne nonseulement sur le sommet de Torocello près de Venise, mais aussi sur le Müncheberg en Allemagne. Cette croix, en effet, se retrouve partout, des Balkans à l’Asie Mineure et, de là, jusqu’en Inde, en Corée et en Indonésie (dans l’Ile de Bali). La plus ancienne croix pélagienne, vieille de plus de 7000 ans, a été découverte au sud du Danube, sur le territoire actuellement bulgare. L’oiseau héraldique de la Roumanie, soit le corbeau pélagien, est aussi l’oiseau sacré du dieu Mithra (le dieu solaire, appartenant au plus ancien panthéon védique). Cet oiseau était fort vénéré dans les provinces daces (cf. N. Densusianu, “Dacia preistorica, p. 426, Meridiane Publishing House, 1986). Il porte en son bec une croix pélagienne, parfois  simple dans sa forme, parfois double. Dans le “Livre des Psaumes Slaves”, imprimé en 1575, la partie supérieure de cette croix prend la forme de la vieille svastika pélagienne, que l’on reconnaît comme un symbole de renaissance, plus exactement du soleil renaissant ou du soleil du printemps.  On retrouve cette même croix dans le livre des psaumes slavo-roumains de 1577 (Branu & Hodos, Bibliographie roumaine, tome 1, 61-1576, 67-1577). La tombe du Negru Voda a été découverte le 31 juillet 1920. Sous la pierre tombale, il y avait un sarcophage où gisait le corps parfaitement conservé de ce grand seigneur et prêtre du 13ième siècle. Son linceul également était recouvert de croix pélagiennes.

 

Le texte intitulé “The Little Chronicle of the Leire Kings”, écrit au 12ième siècle de notre ère, évoque Dan, roi de Dacie, qui règna sur le pays pendant trois ans (“Erat ergo Dan Rex in Dacia per triennum”). R. W. Chambers nous ajoute une note infra-paginale fort intéressante : “Dacia = Den-mark”. Si l’on réexamine le document “Moseley Roll”, on découvre qu’il n’y a aucune référence à un roi Dan ou à un peuple dénommé les “Dani”. La première mention historique de ce roi et de ce peuple est beaucoup plus récente. “Dani”, “Dania”, “Denmark” sont des noms récents, qui ont remplacé le nom ancien et traditionnel de “Dacia”.

 

L’arrivée des “Danes”  ou “Dani”, venus de cette Scandinavie septentrionale, fit qu’une partie de la population anciennement dace occupât les Pays-Bas actuels dont les citoyens s’appellent les “Dietsch” ou “Deutsche”. Cette dénomination se prononce presque comme le terme romain/latin de “Daci” (phonétiquement : “Datchi”). Malheureusement, le peuple roumain aujourd’hui est davantage préoccupé par sa survie physique que par une recherche de ses véritables origines et de sa vraie identité. Une longue série d’événements anormaux et dramatiques ont fait que ce peuple a oublié ou ignoré ses racines. En effet, les efforts déployés tout au long de l’histoire pour que notre peuple oublie ou ignore son histoire nationale et son identité ont été couronnés de succès. N’oublions jamais qu’un mensonge répété à satiété acquiert le statut de “vérité”, tandis qu’une vérité bien établie, que l’on a négligée de répéter, peut finir par être prise pour une hallucination ou une élucubration. Quand cet état d’hypnose du peuple dace-roumain finira-t-il? Qu’est-ce qui empêche aujourd’hui les Daces-Roumains de renouer avec leur véritable histoire, avec leurs vraies origines?

 

A  l’évidence, retrouver la vérité postule deux choses : quelqu’un qui s’en fasse le porte-voix et quelqu’un qui accepte d’écouter cette voix. Le premier pas a été fait!

 

lundi, 03 mai 2010

Metafisica della guerra: Ungern (Sternberg) Khan

Metafisica della guerra: Ungern (Sternberg) Khan

Luca Leonello Rimbotti

Ex: http://www.centrostudilaruna.it/

khan.jpgIl caos ribollente che emerse dalla rivoluzione russa del 1917 portò a galla ogni sorta di relitto. Fu come un’enorme ondata tellurica che si rovesciò sull’Europa orientale e sull’Asia centrale, dando la stura a oscuri patrimoni psicologici, a paure ancestrali, a vendette primitive che sembravano relegate a secoli lontani. La rivoluzione sovietica è stata non di rado paragonata più a un cataclisma cosmico che a una rivolta sociale di qualche proletariato industriale. Piuttosto, fu una specie di arcaica guerra di razze, un riaffacciarsi nella storia del diritto dell’orda, un dilagare del terrore e di antichissime, perdute memorie di delitto e di magia criminale.

Quando Ferdinand Antoni Ossendowski – lo scrittore polacco che visse in diretta l’esperienza della guerra civile e che nel 1922 pubblicò il famoso Bestie, Uomini, Dei – affermò che dietro le forze evocate dal bolscevismo agivano misteri occulti e superstizioni primordiali, non faceva che sollevare il coperchio di un calderone, il cui contenuto era rimasto sempre ignoto, ma ben presente all’Europa, il presentimento di un incubo.

L’Asia come mistero, come ventre spaventoso di ogni sciagura, uno spazio demoniaco sempre incombente. La rivoluzione sovietica agì sulla psiche occidentale con questi contorni di incontrollabile tregenda. In questo modo, le tradizioni solari legate al Levante, le mistiche asiatiche di liberazione, vennero sepolte sotto una spessa cortina di terrore. Pensiamo a cosa ha scritto Nolte circa le origini prime del Nazionalsocialismo. Reazione istintiva e radicale alle notizie traumatiche che provenivano da Est: reazione di sangue, prima ancora che di ideali politici. Reazione di pelle e di istinti agli eventi che, una volta di più, a Oriente aprivano la porta al mostruoso irrompere di entità terrorizzanti per ogni europeo. Nuovi Gengiz-Khan, nuovi tartari, nuove tragedie riapparivano all’orizzonte. Tutta una letteratura europea, diciamo così “di viaggio”, sorse sin dai primi anni Venti in Europa, ad alimentare la sensazione che l’Asia di nuovo si fosse messa in moto, con tutto il carico dei suoi spaventosi giacimenti memoriali. Basta ricordare che Ossendowski, autore di una quindicina di libri su questi temi, all’epoca riscosse un grande successo editoriale in tutta Europa.

Ad esempio, nel suo libro L’ombra dell’Oriente tenebroso, risalente al 1923 e pubblicato in Italia nel 1928, scrisse che il bolscevismo aveva scoperchiato i fondali asiatici della storia, accendendo fiamme in tutto l’Oriente, dalla Siberia alla Cina, dal Tibet alla Mongolia e a alla stessa India. Una vendetta di razze schiave? «Del giorno della vendetta adesso cantano i Kirghisi, i Kalmuchi, i Djoungari, i Buriati, i Tartari e gli arditi capi dei khunkhusi cinesi… Questo è intanto lo scopo principale della “grande” rivoluzione russa, rivoluzione dei nomadi, dei suicidi, degli stregoni e delle streghe, dei flagellanti e di tutti gli altri “diavoli” e quasi mostri apocalittici…». Si capisce che, con una simile prosa, gli animi in Europa facessero presto a surriscaldarsi. E a correre ai ripari, agitando simboli radicali di difesa, di identità e di salvezza comune. La culla del Fascismo.

In un altro suo libro, L’uomo e il mistero in Asia, tradotto in italiano nel 1926, Ossendowski parlò ancora dei suoi viaggi siberiani e mongolici, descrisse la barbarie ottusa accanto al permanere di leggende d’amore, il convivere del magismo superstizioso accanto a medievali ascetismi. Come quello del “monaco nero” incontrato nella terra degli Ainu. Un fanatico illuminato che risuonava di un sinistro rumor di catene ad ogni movimento: portava indosso delle verigi, catene incrociate sulla schiena a mo’ di cilicio. Personaggi di questa fatta, in una cornice di sangue, fuoco e massacri – secondo la «vocazione al genocidio del comunismo sin dalle sue origini» – contribuivano potentemente a mobilitare le coscienze occidentali.

Difatti, non fu per caso che ancora nel 1930 Malaparte, allora direttore de “La Stampa”, incaricò il giornalista Corrado Tedeschi di fare un lungo viaggio in Asia centrale. Ne uscì Siberia rossa e Manciuria in fiamme, pubblicato da Barbèra nel 1931. E di nuovo furono racconti di orrore allo stato puro. I bassifondi umani erano dappertutto, uscivano ancora allo scoperto come danze macabre. Squadre di banditi cinesi a caccia di coreani da abbattere… cosacchi sbandati che ammazzavano a fucilate i cercatori d’oro e di ginseng… e poi sciami di fuggiaschi vaganti nella zona dell’Ussuri: «come jene, finivano a morsi i corpi dei coreani uccisi dai konkusi…».

La figura del barone Romàn Fiodòrovic von Ungern-Sternberg appartiene a questo contesto. La leggenda si è impadronita di lui, ma la storia ne presenta ugualmente dei contorni credibili. Comandante di una divisione asiatica di cavalleria anti-comunista, autoproclamatosi generale, guidava col pugno di ferro una sparuta unità di forse un migliaio di guerrieri raccogliticci, volontari tibetani, guardie bianche, cosacchi del Baikal, mongoli, buriati… Erano tutto quanto rimaneva della contro-rivoluzione, dopo il tracollo dell’esercito di Kolchak alla fine del 1919… Braccati dalle masse bolsceviche e dalle truppe dei “signori della guerra” cinesi, in un’area che dalla Transbaikalia raggiungeva l’estremo Oriente siberiano. Spalleggiato dalle poche forze degli atamani anti-bolscevici, Ungern-Sternberg fece storia marginale, ma vera, fatta di violenza, brutalità e distruzione.

Consapevole che il terrore lo si batte soltanto col terrore, attuò la terra bruciata e combattè il comunismo col ferro e col fuoco. Personaggio romanzesco. E, infatti, gli sono stati dedicati romanzi storici, fedeli alle tracce lasciate dagli archivi e dalle fonti diplomatiche, ma arricchiti dalla vena descrittiva. Ad esempio, nel 1995 Renato Monteleone scrisse Il quarantesimo orso. La saga d’un “barone pazzo” tra le rovine dell’Impero zarista, pubblicato da Gribaudo. Adesso le Edizioni di Ar pubblicano Il dio della guerra di Jean Mabire, uscito in Francia nel 1987. E l’autore definisce il suo scritto proprio una fusione tra la finzione romanzesca e il saggio storico.

Portatore di una singolare mistura di religiosità paganeggiante, sensitiva, tradizionalista, Ungern-Sternberg, ben presto ribattezzato Ungern-Khan, si presenta come uno dei più caratteristici tra i “tipi” umani fondamentalisti mobilitati in Europa come reazione al bolscevismo. Favorevole al reinsediamento dello Zar sul trono, ma ben conscio delle scarse probabilità di pervenire al successo, era dominato da quella rigida etica dell’ordine interiore che gli faceva preferire l’istinto di lotta e la mistica della guerra ai calcoli sulla riuscita materiale delle sue azioni. Alla maniera di Nietzsche, proclamava che «solo una cosa conta: diventare ciò che si è e fare ciò che si deve». E ardeva, in quest’uomo agitato da forze ferree e da visioni trascinanti, lo stesso fuoco mistico delle saggezze orientali.

Come ha scritto anni fa in un articolo Pio Filippani Ronconi, il “barone pazzo” andava medianicamente alla ricerca di una sapienza occulta da risvegliare, provocando gli eventi con un «senso magico del destino», che ben si inseriva in quella lotta apocalittica tra la luce e la tenebra che eresse il muro d’odio di cui rimase intriso tutto il secolo XX. Contro la tenebrosa sovversione che avanzava a valanga, Ungern-Sternberg volle dunque «evocare misticamente il principio opposto, quello solare, che segnava il suo stendardo».

Jean Mabire – in questo suo testo affascinante, che racchiude il segreto storico non della sola Russia, ma dell’intera Europa del Novecento – aggiunge di suo alcune memorabili pennellate descrittive. Come quando, nel corso di una drammatica conversazione con Ossendoswski in una iurta desolata, fa annunciare al barone la profezia: «Vedo già quell’orrore sul mondo: la morte degli individui e delle nazioni! Sotto i colpi del terrore o delle comodità, non fa differenza. Poi verrà il caos, il nulla. La fine della Storia». Ebbro e insieme lucido, capace di lampeggianti visioni, agitato da divinazioni e da sogni di dominio metafisico, il “barone pazzo”, sulla soglia della catastrofe e della finale vittoria sovversiva, si apriva dunque ad annunci apocalittici, rafforzando il suo alone di semidio. Qualcosa di cui le cronache riportano che fosse veramente circondato, almeno agli occhi dei suoi fanatici seguaci, come in un’aura di violento potere spirituale.

Oltre a questi tratti luciferini – nel senso del principio di luce condannato alla sconfitta – Ungern-Sternberg veicolava anche gli antichi miti tantrici delle affiliazioni iniziatiche. Mano militare dello Hutuktu di Urga – terza incarnazione di Maitreya, il Buddha venturo, dopo il Dalai Lama e il Pancet Lama –, Ungern-Khan riviveva la leggenda del “Re del Mondo”, il sovrano invisibile, e cercava febbrilmente di attuare le predizioni dell’agarttha Shambala, la “inafferrabile Terra degli Iniziati”. Tutto ciò, al fine di restaurare il grande ciclo cosmico scaturito dal Kalachakra, la “ruota del tempo”. Mabire, a un certo punto del suo racconto storico, descrive la cruda scena del dialogo tra la strega zigana e il barone baltico-ungherese: ai vaticini di morte della donna, rapita da possessione sciamanica, risponde l’uomo, ormai invasato al punto da ritenersi veramente il “dio della guerra” scaturito dalle profondità asiatiche: «Morirò presto! Ma che importa! Il mio corpo morirà, non il mio sogno… E nell’ultima battaglia, il Re del Mondo uscirà dal suo palazzo sotterraneo…». Sottesi a questi scenari letterariamente incisivi, c’erano viventi tradizioni di potere – e di potere metafisico – che ancora in quei decenni di rivolgimento avevano un loro ruolo anche politico, prima che tutto diventasse soltanto suggestivo richiamo culturale.

Nei pochi mesi in cui Ungern-Sternberg tenne il governo a Urga, dal febbraio al luglio 1921, prima di essere abbandonato dai suoi ultimi fedeli, quindi catturato, processato dai rossi e fucilato, effettivamente si verificò il singolare caso di una cerca reale di qualcosa di irreale. A metà strada tra il monaco guerriero, lo spietato persecutore del sovversivismo e l’ispirato evocatore di tradizioni ancestrali, Ungern-Khan adombrò una sorta di ribellione eurasista contro il mondo moderno, condotta sotto simboli solari. Dal punto di vista militare, la sua avventura non ebbe molta rilevanza. Ne ebbe una dal punto di vista dello stile caratteriale e spirituale.

Mabire rimarca che il generale-barone morì solitario e tradito: «Fino all’ultimo, rimase fedele all’unico uomo che avesse mai riconosciuto come capo: se stesso». Ma, secondo Filippani Ronconi, il suo destino si proiettò nella storia: «Nello stesso tempo… il mito del Re del Mondo giungeva per vie misteriose a gruppi di giovani intellettuali, corroborando con il suo simbolo solare i nuovi meditatori del “Vril” e le assisi della Thule-Gesellschaft».

* * *

Tratto da Linea del 17 aprile 2009.


Luca Leonello Rimbotti

samedi, 01 mai 2010

19ème siècle: les guerres américaines contre le Mexique et contre l'Espagne

Mansur KHAN :

19ème siècle : les guerres américaines contre le Mexique et contre l’Espagne

 

Mapa_Mexico_1845.pngLorsque le Texas s’est séparé du Mexique en 1819, les Etats-Unis ont immédiatement revendiqué ce territoire immense. Dans le cas précis du Texas, Washington eut recours à la tactique de l’infiltration. En fin de compte, le Mexique interdit en 1830 l’installation de colons américains au Texas, qui n’avait jamais cessé de se développer (1). En 1835, les colons américains du Texas se rebellent contre l’autorité mexicaine (2) et des unités de milice américaines s’emparent des bâtiments de la garnison mexicaine près d’Anahuac et provoquent d’autres conflits. « Pendant l’été 1836, des troupes américaines occupent Nacogdoches au Texas » (3). Le Mexique proteste et menace de faire la guerre au cas où les Etats-Unis annexeraient la région (4). Pendant de longues années, une suite ininterrompue de provocations de la part des Etats-Unis conduisirent à la fameuse bataille de Fort Alamo. Quand, en 1845, l’annexion du Texas à l’Union paraissait imminente, le Mexique s’est déclaré prêt à reconnaître l’existence de la République du Texas, à condition que les Etats-Unis ne l’annexent pas (5). La colonisation du pays par des immigrants américains s’est toutefois poursuivie.

 

La guerre contre le Mexique (1846-1848)

 

Pour provoquer la guerre, « les Texans ont réclamé, pour leur nouvel Etat, des frontières qui, au regard de l’histoire, étaient totalement injustifiables » (6). Le nouveau tracé des frontières, qu’ils envisageaient, incluait des territoires fertiles et riche en minerais d’or et d’argent (7). Pour provoquer le déclenchement des hostilités, le Président américain Polk donna l’ordre au Général Zachary Taylor d’avancer plus loin vers le Sud. En mars 1846, il se trouvait à proximité de Corpus Christi sur le sol texan, c’est-à-dire sur le territoire mexicain. Polk réclamait expressément, lors de sa campagne électorale, l’annexion du Texas et l’occupation de toute la région de l’Oregon. L’idée de mener une telle guerre n’était guère populaire dans les Etats de l’Union : ce fut la raison qui poussa Polk à mener une campagne de diffamation contre le Mexique (8).

 

Le 25 avril, les premières escarmouches ont lieu, lorsque les soldats de Taylor essuient le feu de militaires mexicains (9). Enfin, Washington pouvait affirmer que les Mexicains avaient tiré les premiers coupes de fusil, alors qu’en réalité, ils n’avaient fait que se défendre, puisque les soldats américains se trouvaient sur le territoire du Mexique. Polk déclare la guerre au Mexique en 1846, en sachant très bien quelle allait en être l’issue (10). Le Général américain Ulysses Grant écrivit plus tard ces quelques lignes sur la provocation américaine : « La présence de troupes américaines aux confins du territoire contesté, loin de toute région peuplée de Mexicains, ne suffisait pas à déclencher des hostilités. Nous fûmes envoyés en avant, afin de provoquer un combat, mais il était important que les Mexicains tirassent les premiers. On peut douter du fait que le Congrès aurait déclaré la guerre. Mais si le Mexique attaquait nos troupes, l’Exécutif seul pouvait déclarer la guerre » (11).

 

Polk justifia l’envoi de troupes américaines comme une mesure défensive nécessaire. L’auteur américain John Schroeder défend un point de vue tout à fait différent dans son livre Mr. Polk’s War. Schroeder écrit : « En réalité ce fut le contraire : le Président Polk avait tout fait pour provoquer la guerre, en envoyant des soldats américains dans une région contestée qui, historiquement parlant, avait toujours été peuplée et administrée par des Mexicains » (12). A la suite de la guerre contre le Mexique, les Etats-Unis annexèrent d’un coup un territoire aux dimensions énormes, correspondant aux Etats actuels de l’Union que sont le Texas, l’Arizona, la Californie, le Nevada, l’Utah et de vastes portions du Nouveau Mexique, du Kansas, du Colorado et du Wyoming, soit un territoire cinq fois aussi grand que l’actuelle République Fédérale d’Allemagne. Par cette conquête injustifiable, les Etats-Unis ont augmenté leur territoire de 40%, tandis que le Mexique perdait la moitié de son territoire national (13).

 

Mais les Etats-Unis ne se sont pas contentés de ce gigantesque accroissement territorial. Entre 1861 et 1865, la guerre civile fit rage aux Etats-Unis ; elle exigea un lourd tribut de 600.000 vies humaines et provoqua d’effroyables destructions, surtout dans les Etats du Sud. Cependant, l’industrie de l’armement profita considérablement de ces quatre années d’effusion de sang.

 

La guerre hispano-américaine de 1898

 

Cuba était au 19ème siècle la principale colonie de plantations de l’Espagne. Le commerce américain avec Cuba générait 50 millions de dollars et l’élite au pouvoir à Washington s’était depuis un certain temps déjà intéressée à ce marché. Pour pouvoir prendre Cuba, le gouvernement américain commença par déclencher une guerre commerciale. De 1893 à 1898, les Etats-Unis ont connu une récession. Il fallait absolument trouver des débouchés nouveaux pour le surplus de produits américains. La guerre contre Cuba, dont le dessein était de s’emparer de l’île, avait été concoctée depuis longtemps mais la colonie espagnole ne céda à aucune provocation. Lorsque les propriétaires de journaux Pulitzer et Hearst apprirent de leur correspondant en place à Cuba que tout y était calme, Pulitzer voulut immédiatement rappeler son homme. Hearst lui envoya tout de suite un télégramme en guise de réponse, qui en dit long : « Restez, je vous prie. Livrez matériel imagé. Je fournirai la guerre » (14).

 

Cuba1898.jpgHearst concrétisa rapidement sa promesse et le gouvernement de Washington put se réjouir d’un événement « formidable » : le 15 février 1898, le navire de guerre américain « Maine » explose dans le port de La Havane. Immédiatement, le gouvernement américain affirme que les Espagnols sont responsables de cette explosion. L’auteur américain Eustace Mullins a affirmé ultérieurement que ce sont au contraire les Américains qui ont provoqué l’explosion et a avancé des preuves tangibles pour étayer le soupçon ; ce serait la « National City Bank » de New York qui aurait fait sauter le navire pour s’emparer de l’industrie cubaine du sucre, ce qui fut effectivement acquis après la guerre. Lorsque les Espagnols ont réclamé la constitution d’une commission d’expertise indépendante pour enquêter sur l’explosion, Washington eut un comportement étrange : le « Maine » et tout ce qu’il contenait et pouvait apporter des preuves fut coulé en un tournemain.

 

L’Espagne fit tout pour éviter une guerre avec les Etats-Unis. Ceux-ci ont joué alors sur deux tableaux : d’une part, le gouvernement américain annonça sa volonté de faire la paix. Le Général Woodford câbla depuis Madrid qu’il pourrait encore, avant le 1 août 1898, « obtenir de l’Espagne l’indépendance de Cuba voire son annexion aux Etats-Unis ». Mais le Président McKinley craignait par dessus tout de prendre Cuba sans guerre et déclara la guerre, un jour après avoir reçu le télégramme de Woodford. Ce fut « une formidable petite guerre », selon le ministre américain des affaires étrangères Hays. Les troupes américaines ne se bornèrent pas à occuper Cuba mais débarquèrent également aux Philippines, occupèrent Puerto Rico et Manille. La guerre des Philippines fut menée avec une brutalité inouïe. Mais sur ce théâtre-là aussi les motifs d’ordre économique ont donné le ton. En une nuit, les Etats-Unis étaient devenus une puissance coloniale (15).

 

Mansur KHAN.

 

Notes :

(1) Carl N. DEGLER, Out of Our Past – The Forces that shaped Modern America, New York, 1984, pp. 6 et ss.

(2) Richard Bruce WINDERS, Mr. Polk’s Army – The American Military Experience in the Mexican War, Texas A & M University Press, Texas, 1997, p. 6 ; Carl N. DEGLER, op. cit., p. 117.

(3) Jerald A. COMBS, The History of American Foreign Policy, New York, 1986, p. 78 ; Richard Bruce WINDERS, op. cit., pp. 6 et ss., cité d’après Mansur KHAN, Die geheime Geschichte der amerikanischen Kriege. Verschwörung und Krieg in der US-Aussenpolitik, Grabert, Tübingen, 2003 (3ième éd.), pp. 40 et ss.

(4) Friedrich HERTNECK, Kampf um Texas, Goldmann, Leipzig, 1941, p. 237.

(5) Carl N. DEGLER, Out of Our Past, op. cit., pp. 117 et ss.

(6) Friedrich HERTNECK, Kampf um Texas, op. cit., pp. 233 et ss.

(7) Helmut GORDON, Zions Griff zur Weltherrschaft – Amerikas unbekannte Aussenpolitik 1789-1975, Druffel, Leoni am Starnberger See, 1985, pp. 55 et 68.

(8) Karlheinz DESCHNER, Der Moloch – Eine kritische Geschichte der USA, Heyne, München, 1994, p. 243.

(9) Howard ZINN, A People’s History of the United States, 1492-Present, Harper Perennial, New York, 1995, pp. 147 et ss.

(10)                    Karlheinz DESCHNER, Der Moloch…, op. cit., pp. 100 et 102.

(11)                     Jack ANDERSON / George CLIFFORD, The Anderson Papers, Ballantine Books, New York, 1974, p. 256.

(12)                    Howard ZINN, A People’s History…., op. cit., pp. 149 et ss.

(13)                    Noam CHOMSKY / Joel BEININ, Die Neue Weltordnung und der Golfkrieg, Trotzdem, Grafenau, 1992, pp. 46 et ss.

(14)                    Mansur KHAN, Die geheime Geschichte…, op. cit., pp. 90-93.

(15)                    Mansur KHAN, Ibid., pp. 94-105.

vendredi, 30 avril 2010

1812: les Etats-Unis face à l'Angleterre

Mansur KHAN:

1812: les Etats-Unis face à l’Angleterre

 

War%201812.jpgLa guerre anglo-américaine de 1812 a eu notamment pour cause l’avancée continue de nouveaux colons américains dans la région située entre l’Ohio et le Mississippi. Ce territoire était contesté entre les deux puissances : Britanniques et Américains le convoitaient. Le Président Jefferson avait déjà formulé des menaces en 1807 : « Si l’Angleterre ne nous donne pas satisfaction, comme nous le souhaitons, nous prendrons le Canada qui pourra alors entrer dans l’Union » (1). La clique gouvernementale au pouvoir à Washington à l’époque prévoyait déjà, en cas de guerre avec l’Angleterre, de prendre possession de la Floride orientale et occidentale qui appartenaient encore à l’Espagne (2).

 

Lorsque la guerre de 1812 fut ultérieurement soumise à une analyse objective, Henry Adams découvrit « … que Timothy Pickering et que les éléments les plus radicaux du parti fédéraliste hostile à la guerre jouèrent un rôle clef dans le scénario, en encourageant les Anglais à poursuivre leur politique commerciale agressive, laquelle, par ricochet, permit aux fauteurs de guerre américains, les « warhawks », les faucons, de mener le pays au conflit ouvert : ils ont manipulé et interprété la politique commerciale et maritime de Jefferson d’une manière perverse et traîtresse … Irving Brant a montré dans sa remarquable biographie de Madison que celui-ci n’avait pas été poussé à la guerre contre ses vues personnelles par Clay, Calhoun et les « warhawks » mais qu’il en avait pris la décision sur base de ses convictions propres » (3).

 

Les bellicistes ont justifié leur engagement à l’époque par l’argument suivant : il fallait favoriser les exportations de tabac, de coton et d’autres surplus de la production. Mais Washington ne s’est pas contenté dans l’histoire d’écouler ses seuls surplus…

 

Mansur KHAN.

 

NOTES :

(1) Gert RAITHEL, Geschichte der Nordamerikanischen Kultur – Vom Puritanismus bis zum Bürgerkrieg 1600-1870, Bd. 1, Zweitausendeins, Frankfurt/M., 1997, p. 264.

(2) Mansur KHAN, Die Geheime Geschichte der amerikanischen Kriege. Verschwörung und Krieg in der US-Aussenpolitik, Grabert, Tübingen, 2003 (3ième éd.), pp. 1994-223.

(3) Harry Elmer BARNES (éd.), Entlarvte Heuchelei (Ewig Krieg für Ewigen Frieden) – Revision der amerikanischen Geschichtsschreibung, Karl Priester, Wiesbaden, 1961, p. 2 ss.

Jean Vermeire est mort...

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Jean Vermeire est mort...

 

 

Réflexions après le décès de Jean Vermeire, un ancien du “Vingtième Siècle”, du “Petit Vingtième” et de la “Légion Wallonie”

 

Ex: http://intansigeants.wordpress.com/

 

Par l’intermédiaire d’un communiqué du groupe “anti-fasciste” “Resistances.be”, la presse belge a appris que Jean Vermeire était décédé dans les Baléares le 21 septembre 2009, des suites d’une attaque cérébrale. Qui était Jean Vermeire? Un ancien journaliste et dessinateur du “Vingtième siècle” (de 1938 à 1940) puis du “Pays réel”; il s’engage dans les rangs de la “Légion Wallonie” et y gagne ses galons de capitaine; condamné à mort puis gracié, il entame une carrière commerciale et industrielle qui lui procure une existence confortable, sans qu’il n’oublie pour autant les soldats de sa Légion, pour qui il créera un service d’entraide ainsi qu’une amicale qui existe toujours.

 

Pour les piètres critères actuels, le communiqué de “Résistances.be” est relativement correct. On a vu pire, sauf qu’il contient, bien entendu, les approximations habituelles et les conclusions hâtives d’individus qui n’ont pas le feeling adéquat pour juger l’histoire et surtout pour appréhender ses complexités (j’y reviens!). Jean Vermeire était l’un des innombrables représentants de cette complexité que notre époque n’est plus capable de mettre en cartes, d’aborder avec sérénité et impartialité. Triste signe des temps: le communiqué des pauvres sycophantes de “Résistances.be” a été repris tel quel, sans le moindre recul critique, sans la moindre tentative d’étoffer l’information, par la presse entière, avec, en tête, “La Libre Belgique” qu’on a connue mieux inspirée.

 

Trop jeune, je n’ai guère connu Jean Vermeire ni a fortiori ses grandes heures de célébrité, et nos relations se sont bornées à une ou deux conversations, notamment dans un café à l’angle de la rue du Haut-Pont et de la rue Franz Merjay (*), et à quelques (longs) coups de téléphone pour demander l’une ou l’autre précision historique. Je m’empresse d’ajouter que ces conversations ont toutes été enrichissantes et m’ont aidé à mieux comprendre les sentiments de nos aînés, ceux qui ont vécu les années 30 et 40.

 

Outre dans un ouvrage de Saint-Loup consacré aux volontaires belges de l’armée allemande, paru en 1975 aux “Presses de la Cité”, j’ai appris l’existence de Jean Vermeire par les émissions de Maurice De Wilde à la BRT (ancêtre de la VRT). Jean Vermeire y avait défendu son point de vue et insisté sur l’extrême jeunesse des protagonistes du rexisme et des volontaires de la Légion Wallonie pendant la deuxième guerre mondiale. Dérapages éventuels ou outrances attestées étaient, affirmait-il devant le micro de De Wilde, à mettre sur le compte d’une juvénilité trop ardente.

 

L’Hôtel des 100.000 briques

 

Personnellement, j’ai connu Jean Vermeire par l’intermédiaire du regretté Jean van der Taelen, qui l’avait connu entre les murailles grises de la prison de Saint-Gilles. Jean Vermeire y croupissait pour son engagement à la “Légion Wallonie”. Jean van der Taelen, qui n’avait eu aucune activité collaborationniste, y avait été jeté pour avoir créé, après septembre 1944, un réseau d’évasion pour proscrits, à commencer par un ami de jeunesse qu’il avait perdu de vue depuis de longues années. Parmi les prisonniers célèbres, que les deux Jean y ont côtoyés, il y avait également Paul Jamain, alias le caricaturiste “Jam” du “Pays réel” et le futur caricaturiste “Alidor” de “Pan”. Paul Jamain avait fait un dessin de Jean van der Taelen, posé en “Saint-Martin” avec une lourde cape rouge sur les épaules parce qu’il s’occupait à Saint-Gilles du service social à ses co-détenus, un Saint-Martin incarcéré injustement à “l’Hôtel des 100.000 briques”, comme “Jam” se plaisait à nommer sa nouvelle résidence forcée (**). L’amitié qui liait nos deux Jean remontait à l’époque de cet embastillement. Ils se voyaient régulièrement, non pas pour comploter contre la démocratie, comme l’allègueront sans doute nos sycophantes obsessionnels, mais tout simplement pour deviser du quotidien. Jean van der Taelen, on le sait, adorait organiser conférences, causeries et autres colloques. Pour lui, il n’y en avait jamais assez. Il multipliait les casquettes, les associations, les clubs pour en organiser plus encore. Un jour, le voilà qu’il invite le professeur Jean Van Welkenhuyzen dans les locaux de l’Hôtel Delta, bien entendu, en même temps que Jean Vermeire.

 

C’est donc après l’exposé, clair et brillant, de Van Welkenhuyzen, que je me suis retrouvé avec un futur assistant de Paul Aron, à cette table de café, à Ixelles, comme je viens de le dire. Jean Vermeire, intarissable, nous a tenu une conférence deux fois plus longue que celle de Van Welkenhuyzen. Face aux événements de la guerre, sans renier ses engagements ou ses motivations juvéniles, Jean Vermeire parlait d’un “gigantesque cafouillage”, qui a affecté les armées nationales-socialistes et soviétiques sur le front russe. L’immensité des steppes russes et ukrainiennes ou des régions marécageuses du Pripet entraînait des problèmes logistiques insurmontables. L’hiver russe et le dégel qui s’ensuit, avec sa boue gluante, que l’on nomme en russe la “raspoutitsa”, sont des phénomènes naturels d’une ampleur inconnue en Europe occidentale et centrale. Les effets de la “raspoutitsa” n’avaient pas été prévus par les responsables militaires allemands: Jean Vermeire se rappelait des monceaux de petites charrettes à deux roues, destinées à porter les impedimenta des fantassins de la Wehrmacht; elles s’amoncelaient, inutiles, aux abords des gares russes car leurs roues étaient trop près de leur caisse, elles accumulaient tant de boue de la “raspoutitsa” qu’elles ne pouvaient plus rouler: entre elles et la caisse, un amas de terre mouillée s’intercalait et bloquait tout.

 

Ensuite, autre exemple de cafouillage, que citait Jean Vermeire: les chars de la Wehrmacht, notamment les “Panther” et les “Tiger”, excellents sur le plan technique, véritables fortins sur chenilles, étaient des véhicules de luxe, avec des sièges recouverts de cuir sur rembourrage en crin de cheval. Chaque revêtement de cuir était cloué sur le bois de chaque siège à l’aide d’une centaine de petits clous de laiton! Ce luxe freinait la production: les Soviétiques, eux, laissaient nu le bois du siège de leurs tankistes, qui pliaient leurs manteaux pour se donner un minimum de confort. Moralité: quantitativement parlant, la production soviétique était supérieure à la production allemande, une supériorité qui était la clef de la victoire.

 

Aux sources du rexisme: les moqueries goliardes

 

Ce soir-là, et dans d’autres rencontres entre deux portes, Jean Vermeire évoquait le goût de la farce qui avait animé les milieux étudiants de Louvain et où Léon Degrelle avait excellé avant de se lancer dans la politique. Pour lui, comme pour d’autres, c’était ce goût pour les pieds-de-nez et les polissonneries qui fut le moteur de l’ACJB puis de Rex. L’itinéraire du caricaturiste Jam est à ce titre emblématique, de même que les moqueries goliardes de Degrelle dans son récit de la débâcle de 1940  (“La Cohue de 40”). Jam est d’ailleurs mort à sa table de dessin, fignolant sans doute une caricature féroce de l’un ou l’autre politicard belge.

 

A ce propos, Jean Vermeire nous avait confié une anecdote: Paul Jamain et lui, non encore grâciés et enfermés dans l’aile des condamnés à mort de la prison de Saint-Gilles, voyaient défiler des “touristes”, écoliers et membres d’associations patriotiques, dans leur aile où se trouvait aussi la cellule qu’avait occupée la malheureuse Gabrielle Petit, condamnée à mort pendant la première guerre mondiale pour espionnage en faveur des Alliés. La cellule de la jeune femme avait été laissée telle quelle, avec, sur le pauvre meuble servant de table de chevet, un livre de Charles Péguy. Parmi les “touristes”, il y avait eu sans doute un de ses collectionneurs impénitents, prêts à tout et ne respectant rien, qui avait subtilisé l’ouvrage de Péguy. Le gardien était affolé, craignait une sanction voire un congédiement pour faute grave parce qu’il n’avait pas ouvert l’oeil, et le bon, et avait laissé un malhonnête s’échapper, le livre de Péguy dans la poche de son pardessus. Nos deux larrons avaient pris ce gardien en pitié: Jean Vermeire l’a consolé et lui a dit qu’il possédait un exemplaire de ce livre de Péguy, qu’il demanderait à sa mère de le lui faire parvenir car, ajouta-t-il, “comme je vais être fusillé, je n’en aurais plus besoin”. Face à une  mort qu’ils pouvaient imaginer imminente, Vermeire et Jamain demeuraient deux garnements bruxellois qui, en dépit de la situation tragique dans laquelle ils se trouvaient, gardaient encore la force extraordinaire de tourner leur sort en dérision et de prendre en pitié un pauvre gardien, apeuré, lui, à l’idée de perdre sa maigre gamelle de maton. Le plus drôle, précisait Vermeire, en riant comme un collégien, c’était que son édition de Péguy datait de 1923... Mais, enfin, le gardien n’a pas été grondé ni chassé et personne n’a eu l’idée d’aller vérifier la date de l’édition du livre de Péguy exposé dans l’ancienne cellule de Gabrielle Petit...

 

Rétrospectivement, bien sûr, le séjour à Saint-Gilles ne fut pas toujours une sinécure, ne donnait pas tous les jours matière à rire. Vermeire, fataliste mais lucide, voyait bon nombre de ses co-détenus sombrer dans la routine des jeux de cartes ou dans des bondieuseries ridicules. D’autres imaginaient monter des plaidoyers en défense imparables, en se montant le col et en affirmant tout de go: “Je vais leur montrer, leur mettre le nez dans leur c... Ils l’auront dans le c..!”. Vermeire, sachant que les verdicts étaient prêts d’avance, tentait de les ramener à la raison: “Mais, vieux, tu as perdu la guerre!”. La défaite militaire annulait le droit des vaincus à une défense normale. Pire: il ne fallait pas laisser parler ceux qui connaissaient certains rouages de la “politique de présence”, préconisée en haut lieu, pour le cas où le Reich remporterait tout de même l’ultime victoire...

 

L’arrestation en pays mosellan

 

Vermeire, un jour, a conté son arrestation en Allemagne, dans la région mosellane. Maîtrisant l’allemand, il n’avait eu aucune difficulté à “plonger”. Il s’était retrouvé dans le château d’un vigneron mosellan, où il passait pour un employé du vignoble. Les semaines avaient passé et, un jour, des soldats polonais de l’armée britannique s’approchent du château à pas de Sioux, comme si, des fenêtres et du toit, des tireurs embusqués allaient les canarder. Jean Vermeire, debout, ne perdant rien du spectacle, dit à un civil allemand qui se trouvait à ses côtés: “Guck mal, die Polen, die üben!” (“Regarde, les Polonais sont à l’exercice”). Ils venaient pour le cueillir et le livrer à la justice belge. Amené devant un jeune lieutenant qui le reçoit poliment, Jean Vermeire voit son interlocuteur s’absenter quelques instants, alors que la porte donnant sur l’extérieur est restée ouverte. S’échapper? Et si c’était un piège? Pour l’abattre alors qu’il s’évade? Jean Vermeire est resté rivé sur sa chaise. A Bruxelles, devant l’auditeur militaire, on lui présente des photos de lui en uniforme: “Est-ce vous, là, sur cette photo?”, lui demande-t-on sur un ton rude. “Oui, bien sûr”. Regard abasourdi du magistrat: “Ah, bon, vous ne niez pas?”. “Mais que voulez-vous que je vous dise? Que c’est mon frère? Je n’ai pas de frère!”. La plupart des prévenus niaient. Vermeire avouait, persistait et signait.

 

Depuis la mort de Jean van der Taelen, en janvier 1996, je n’ai plus eu l’occasion de revoir encore souvent Jean Vermeire. Lors des obsèques de Jean van der Taelen, dans la magnifique église de la Cambre, dont le choeur est orné du plus beau vitrail moderne représentant la Sainte Trinité que j’ai jamais vu, Jean Vermeire m’a conté l’ultime visite du défunt chez lui, peu avant Noël. Ce dernier savait que la mort allait très vite l’emporter. Cette leucémie et les transfusions de sang, qu’elle requérait, avaient fait de van der Taelen un véritable spectre: “Je retrouve ma taille de jeune homme”, ironisait-il. En décembre 1995, il a pris Jean Vermeire dans ses bras et lui a dit: “Adieu Jean, tu ne me reverras plus vivant, on se retrouvera au ciel!”. Avec le recul, Vermeire en était tout ému, alors que ni l’un ni l’autre ne supportaient les bondieuseries.

 

Après une visite au “Musée Hergé”

 

Mes contacts ultérieurs ont été essentiellement téléphoniques. J’appelais pour demander une précision historique, pour demander rendez-vous avec l’un ou l’autre étudiant de l’UCL ou d’une université allemande en train de rédiger un mémoire sur la Belgique des années 30. Ou pour un éditeur qui cherchait des témoignages pour des chaînes de télévision allemandes. Rien de tout cela ne s’est concrétisé. La dernière fois, c’était le 3 ou le 4 août 2009. Je venais de visiter le tout nouveau musée Hergé à Louvain-la-Neuve et j’avais retrouvé un mémoire qui traitait, entre autres choses, de Pierre Daye. Je voulais demander des précisions pour parfaire notre savoir sur Hergé après les conférences de notre rédacteur en chef à Genève en février 2008, et que nous souhaitons refaire en d’autres villes. Je lui ai tout de suite annoncé que le musée de Louvain-la-Neuve n’avait ni omis un hommage discret à l’Abbé Wallez, en présentant une belle photographie de cet ecclésiastique de choc, ni à Victor Meulenijzer, le compagnon d’Hergé, le condisciple de Saint Boniface et le camarade de la troupe scoute du même nom, fusillé en 1946; le Musée Hergé expose son article sur le rôle métapolitique (on ne connaissait pas encore le mot!) des bandes dessinées et du dessin animé: il fallait, expliquait Meulenijzer, à l’Europe ou plutôt au conservatisme catholique européen une industrie du dessin animée pareille à l’entreprise de Walt Disney aux Etats-Unis. La conversation avec Vermeire est alors bien vite partie dans tous les sens. Avec une très grande tendresse dans la voix, Vermeire m’a déclaré que ses souvenirs de l’Abbé Wallez, de Hergé et de sa première épouse Germaine Kiekens, restaient gravés en son coeur comme quelque chose de “sacré”, d’intangible, qu’il ne souhaitait jamais oublier. Ces souvenirs sont ceux de l’époque 1937-1940, où il oeuvrait au “Vingtième siècle”, le journal que l’Abbé avait tenu à bouts de bras pendant près de vingt ans, avant de céder la place à de la Vallée-Poussin puis aux frères Ugeux, qui deviendront, eux, des “Londoniens”. William Ugeux, en effet, rejoindra le gouvernement belge en exil dans la métropole britannique.

 

Hergé au “Soir”, “JiVé” dans le maelström de la guerre à l’Est

 

XXsiècle.jpgJean Vermeire avait récemment fait un voyage à Paris, où on lui avait demandé d’intervenir en tant qu’expert pour déclarer vrai ou faux un dessin attribué à Hergé. Vermeire m’a expliqué que Hergé “arrangeait” d’une certaine façon les simples plumes “ballon” à sa disposition pour créer son propre trait dit de “ligne claire”. Le dessin, qu’on lui a soumis à Paris, portait bien cette marque de Hergé, que Vermeire, dans les mois qui ont précédé le désastre de mai 1940, connaissait, puisqu’il avait été pressenti pour travailler avec le créateur de Tintin, pour devenir son principal adjoint. Vermeire était lui-même dessinateur et caricaturiste, créateur de petites bandes dessinées éphémères, sous le pseudonyme de “JiVé”. La guerre mettra fin à la coopération Hergé/JiVé et le “Vingtième siècle”, avec son supplément jeunesse “Le Petit Vingtième”, cessera de paraître. Hergé et JiVé se retrouvent sur le carreau. JiVé décide de rejoindre Jam, devenu dès 1936 caricaturiste au “Pays réel” de Degrelle. Hergé, plus méfiant, refuse de rejoindre l’équipe du “Pays réel” et de créer pour le quotidien rexiste un supplément pour la jeunesse, appelé à remplacer le “Petit Vingtième”. Le journal lui paraît trop politisé et ses tirages trop faibles (12.000 exemplaires). Il rejoindra le “Soir”, qui n’est pas l’organe d’un parti et dont les tirages sont impressionnants (329.000 exemplaires). Raymond De Becker, personnaliste catholique attiré par les régimes dits “d’Ordre Nouveau”, prendra la direction du principal quotidien bruxellois, avec la ferme volonté de maintenir une “politique de présence”, comme on disait à l’époque. La “politique de présence” signifiait défendre des positions belges, plaider pour l’indépendance d’une Belgique au sein d’une Europe dominée par l’Axe. Cette “politique de présence” impliquait aussi d’honorer la personne du Roi Léopold III. C’est donc dans ce nouveau “Soir” qu’Hergé recevra une tribune et pourra continuer à faire vivre son héros Tintin.

 

On connait la suite: Tintin se maintient et conquiert un plus vaste public qu’au temps du “Vingtième siècle”. Hergé ne fait pas de politique: il conte, il narre, il dessine. “JiVé”, lui, est emporté par le maelström de l’époque. Du “Pays réel”, il passera à la “Légion Wallonie” et participera aux combats de cette unité sur le front russe, avant de représenter et son journal et son chef politique à Berlin, où, expliquait-il inlassablement, il cherchait aussi à maintenir une sorte de “politique de présence”, non plus d’une Belgique conventionnelle, mais d’une sorte de “Westreich” marqué par le souvenir des Ducs de Bourgogne (***). L’épopée de “JiVé” à la “Légion Wallonie” a été narrée en long et en large par Jean Mabire et Eric Lefèvre, dans plusieurs ouvrages publiés notamment chez Fayard et chez Grancher. Ce n’est pas à moi de revenir sur ces faits et péripéties dans cet article d’hommage.

 

L’univers inexploré du “Vingtième Siècle”

 

legWall.jpgCertes, c’est l’épopée russe et berlinoise de Jean Vermeire qui intéresse le plus les lecteurs de base d’éditeurs comme Fayard, Grancher ou les Presses de la Cité et, en général, de tous les ouvrages que l’on peut ranger dans la catégorie de “militaria”. Raison pour laquelle elle a été traitée en abondance dans les livres de Saint-Loup ou de Mabire ou a fait l’objet de livres de souvenirs, souvent poignants (Philippet, Terlin, K. Gruber, etc.). Néanmoins, ce que les historiens n’ont pas encore eu l’occasion de révéler au grand public, c’est un compte-rendu  précis, honnête et objectif des faits et des mouvements d’idées dans la période de transition entre l’époque du “Vingtième Siècle” et les aventures personnelles des garçons de cet univers catholique et conservateur belge pendant la seconde guerre mondiale (où il y eut des “Berlinois” et des “Londoniens”, tout comme, bien sûr, des adeptes de la “politique de présence”). Le chassé-croisé entre ces différents cénacles, les petits espaces de transition, aussi ténus soient-ils, les  relations entre personnes au-delà des clivages partisans devraient faire l’objet d’une recherche attentive, même si recueillir des témoignages personnels, comme ceux qu’aurait pu encore livrer Jean Vermeire, est devenu impossible. La Grande Faucheuse a fait son oeuvre.

 

L’idéologie du “Vingtième Siècle”, dont on sait qu’elle doit beaucoup à Maurice Blondel, au Cardinal Mercier, à l’Institut Supérieur de Philosophie de l’Université de Louvain, à Péguy, a su maintenir pendant deux décennies un niveau de journalisme inédit dans le royaume, jamais égalé depuis. Au contraire, la qualité journalistique de la presse francophone belge a sombré définitivement: pour le constater, il suffit de prendre en mains une copie du “Soir”, d’y lire les délires conventionnels des éditorialistes, les coupés-collés inspirés par la plus plate des “rectitudes politiques” ou par des pseudo-philosophes médiatisés à la Bernard-Henry Lévy (un “pompeux cornichon” ne cesse de proclamer le sympathique lanceur de tartes Noël Godin), à la Haarscher ou à la Comte-Sponville, ou les “quarts d’heure de la haine” contre tout ce qui relève de la Flandre, rendant le journal souvent plus caricatural que le fameux “Ministère de la Vérité” dans le “1984” de George Orwell. Le “Vingtième Siècle” a donc été un laboratoire idéologique de premier plan dans l’entre-deux-guerres belge. L’étude de son contenu est donc un impératif, de même que la vulgarisation, dans une perspective métapolitique, des recherches qui lui auront été consacrées.

 

Ceux qui sont devenus “Londoniens” pendant la deuxième grande conflagration inter-européenne du 20ème siècle ont encore eu un impact dans la vie politique belge après 1945, un impact qui s’est amenuisé au fil du temps, au fur et à mesure où la Belgique, toutes parties confondues, sombrait dans le “non Etre” des modes consuméristes, festivistes et idéologiques nées pendant les années 50, 60 et 70, où l’on a troqué la gloire des Ducs de Bourgogne, les héros sublimes du journal “Tintin”, les chromos Artis ou Historia contre les Beatles, le hash, le gauchisme de stade pipi-caca, les slogans politiquement corrects, le porno au quintal ou les trognes vulgaires d’Elvis Presley, de John Travolta ou de Michael Jackson. La trajectoire de ce corpus que fut le “Vingtième Siècle” part donc des lendemains de la première guerre mondiale pour nous conduire aux ultimes soubresauts d’intelligence politique des dernières décennies du 20ème siècle. Le journal de l’Abbé Wallez a joué en Belgique un rôle aussi important que l’Action française de Maurras en France  —même si le correspondant privilégié des maurrassiens en Belgique a été Fernand Neuray, directeur de “La Nation Belge”—  ou que l’ “Accion espagnola” à Madrid. Les deux mouvement, le français et l’espagnol, ont fait l’objet d’études critiques de haut niveau. Pourquoi ne serait-ce pas le cas pour le “Vingtième Siècle”?

 

En attendant, Jean Vermeire, témoin privilégié des deux ou trois dernières années du journal, a quitté la Terre, sans doute au son des tambours de lansquenets du “Mouvement légionnaire”, nous laissant orphelins de bon nombre de révélations importantes. Nous aimons penser qu’il y a rejoint le cher Jean van der Taelen, qui lui avait donné rendez-vous au “Ciel” quelques jours à peine avant qu’il ne parte pour le grand voyage.

 

Adieu, cher ami, cher capitaine, cher humoriste, nous regretterons votre Verbe et votre gouaille, votre rire et vos moqueries parfois cruelles, un Verbe, une gouaille, un rire et des moqueries bien rexistes, il faut le dire, mais qui appartiennent aussi à un certain esprit bruxellois ou liégeois, en train de disparaître corps et bien dans des villes livrées à tout sauf à elles-mêmes. Comme au héros d’ “Orange mécanique”, on a ôté à Bruxelles et à Liège (“Jam” était un “Lîdjeux” devenu “Bruss’leir”) leur verve et leur causticité, sous prétexte qu’elles sont politiquement incorrectes, trop insolentes pour les pontifes du “nouvel esprit” ou du “nouvel humanisme (?)”. On leur a ôté leur âme, leur créativité. Vous en étiez un bon morceau, une pièce de choix. Et vous voilà parti, vous aussi...

 

Jean KAERELMANS.

 

Notes:

(*) J’étais accompagné d’un futur chercheur de l’ULB, futur compagnon de route de l’excellent Prof. Paul Aron et spécialisé dans la presse et l’édition collaborationnistes, qui a glané moults informations chez Jean Vermeire et chez beaucoup d’autres, mais n’a sans doute jamais révélé ses sources à son nouveau patron... Le galopin s’est taillé, depuis, un beau palmarès de trahisons et de lâchetés, en tournant le dos à tous ceux qui l’avaient aidés..., poussant parfois la plaisanterie plus loin, en montant des cabbales et en semant des peaux de banane. La morale de cette histoire, c’est que les lâches sont souvent des traîtres emblématiques et que la trouille, qui  leur tenaille les tripes, provoque, outre des sudations surabondantes ou des rougeurs qui s’ajoutent à une couperose d’oenologue immodéré, des flots logorrhiques de justifications boîteuses qui suscitent involontairement des effets du plus haut comique.

 

(**) Jean van der Taelen avait accroché ce dessin, dûment encadré, au-dessus de la porte d’entrée de son appartement, boulevard Général Jacques, et me l’a montré deux ou trois fois, notamment après le décès de Paul Jamain, en me répétant que c’était là l’objet auquel il tenait le plus. Qu’est devenu ce tableau, non pas une caricature mais une peinture?

 

(***) L’étude du “mythe bourguignon” en Belgique reste à faire. Il n’a nullement été une spécialité rexiste. On le retrouve chez des auteurs comme Luc Hommel, Léon van der Essen, Jo Gérard, Gaston Compère, Drion du Chapois, etc. Une telle étude mérite de devenir un “chantier”...