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vendredi, 08 octobre 2010

Hurra, der Erste Weltkriege ist jetzt auch für uns Deutsche zu Ende

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Hurra, der Erste Weltkrieg ist jetzt auch für uns Deutsche zu Ende

Michael Grandt - Ex: http://info.kopp-verlag.de/

 

Bis zum 3. Oktober 2010 musste der deutsche Steuerzahler für einen Krieg bezahlen, der vor fast 100 Jahren begann und für den das deutsche Volk die alleinige Verantwortung übernehmen musste, obwohl dies historisch nachweislich falsch ist.

 

 

 

 

Am Sonntag, den 3. Oktober 2010 war es soweit: Der Erste Weltkrieg war, 96 Jahre nach seinem Ausbruch, auch für Deutschland zu Ende. Bis zu diesem Zeitpunkt musste der deutsche Steuerzahler als »Verursacher« des Ersten Weltkrieges Reparationen sprich Wiedergutmachung an die Alliierten bezahlen.

Die letzte Rate betrug 69,9 Millionen Euro. Im Bundeshaushalt 2010 wird dieser Betrag unter Punkt 2.1.1.6 als »Bereinigte Auslandsschulden (Londoner Schuldenabkommen)« verklausuliert.

Die Reparationszahlungen nach dem Ersten Weltkrieg wurden im Versailler Vertrag im Jahr 1919 festgelegt. Adolf Hitler hatte die Zahlungen einst gestoppt, doch nach 1945 übernahm die Bundesrepublik Deutschland dann die »Schulden« und zahlte bis zum Jahr 1983.

Die Restzahlung von 125 Millionen Euro für Zinsen auf Auslandsanleihen war erst nach der deutschen Wiedervereinigung fällig. Seit 1996 stottert der deutsche Steuerzahler die Schuld aus dem vor knapp 100 Jahren ausgebrochenen Krieg ab. Die letzte Rate war 20 Jahre nach der Wiedervereinigung fällig. Mit dessen Zahlung ist der Erste Weltkrieg nun auch für Deutschland finanziell beendet.

Über die Ursachen des Ersten Weltkrieges, die tatsächliche Kriegsschuld, die Folgen und den Aufstieg Adolf Hitlers werde ich in den nächsten Wochen eine umfangreiche Contentserie hier auf KOPP-Online starten.

Anmerkung: Vielen Dank für den Hinweis an den Leser, dessen Namen ich leider nicht mehr eruieren kann.

 

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Quelle:

http://www.express.de/news/politik-wirtschaft/sonntag-ist...

 

Werner Lass et Karl-Otto Paetel, deux nationaux-bolcheviques allemands

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Werner Lass et Karl-Otto Paetel, deux nationaux-bolcheviques allemands

Moins connus qu’Ernst Niekisch, Werner Lass et Karl-Otto Paetel  sont deux figures atypiques du national-bolchevisme, décrit par Louis Dupeux comme le courant le plus fascinant  de la Révolution Conservatrice.

Au coeur de la jeunesse bundisch

Né à Berlin le 20 mai 1902, Werner Lass appartient aux Wanderwogel de 1916 à 1920. En 1923, il est élu chef du Bund Sturmvolk dont une partie s’unit, en 1926, avec la Schilljugend du célèbre chef de corps-francs Gehrardt Rossbach (1). En 1927, Lass  fait scission pour fonder la Freischar Schill, groupe bündisch dont Ernst Jünger devient rapidement le mentor (« Schirmherr ») et qui place au cœur de ses activités le « combat pour les frontières », les randonnées à l’étranger et la formation militaire (2).

D’octobre 1927 à mars 1928, Lass et Jünger s’associent pour éditer la revue Der Vormarsch (« L’Offensive »), créée en juin 1927 par un autre célèbre chef de corps-francs, le capitaine Ehrhardt. Désireux de dépasser les limites étroites du simple mouvement de jeunesse, il fonde le Wehrjugendbewegung ou Mouvement de jeunesse de défense. Il s’agit pour lui de lier la « dureté de l’engagement du soldat du front avec la force de réalisation et la profondeur du mouvement de jeunesse » afin de créer un nouveau type d’homme.

En août 1928, la Freischar Schill participe au Congrès mondial des organisations de jeunesse, à Ommen, en Hollande. Lass fait un coup éclat en protestant contre la « colonisation » de l’Allemagne et la non attribution d’un visa aux délégués russes. La même année il est emprisonné, accusé d’avoir participé à la révolte paysanne de Claus Heim qui secoue alors le Schlewig-Holstein, et son mouvement sera interdit dans plusieurs villes.

En 1929, la Freischar Schill entreprend des négociations avec le NSDAP, qui échouent du fait des prétentions exorbitantes de la Hitlerjugend. En septembre 1929, Lass fonde une ligue regroupant les membres les plus âgés, le Bund der Eidgenossen ou Ligue des Conjurés, qui adopte très vite des positions nationales-bolcheviques.

Die Kommenden et les nationalistes sociaux-révolutionnaires

Quelques mois plus tard, en janvier 1930, Werner Lass et Jünger prennent la direction de l’hebdomadaire Die Kommenden, qui exerce alors une grande influence auprès de toute la jeunesse bündisch. Lass y écrira de rares articles.

C’est à la rédaction de Die Kommenden qu’il croise la route d’une autre figure du national-bolchevisme des années 30 : Karl-Otto Paetel. Celui-ci est également né à Berlin, le 23 novembre 1906. Tout comme Lass, il a commencé à militer dans les rangs de la jeunesse bündisch, à la Deutsche Freishar et au Bund der Köngener. Issu d’un milieu très modeste, il a dû arrêter ses études quand la bourse dont il bénéficiait lui a été retirée après qu’il ai manifesté contre le plan Young. Esprit décidemment rebelle, il sera aussi exclu de la Deutsche Freishar, en 1930, à la suite d’un article jugé insultant envers le maréchal Hindenburg.

Animateur, de 1928 à 1930, du mensuel Das Junge Volk, Karl-Otto Paetel lie dans ses écrits, dès 1929, combat de libération nationale et lutte des classes : « Tout pour la nation !… Le mot d’August Winning, d’après lequel la lutte libératrice de la nation doit être le lutte du travailleur allemand mène ici à la seule conséquence possible : approuver la lutte des classes comme un fait, la pousser dans l’intérêt du peuple tout entier (…) l’emprunter comme une voie pour la victoire du nationalisme ».

En 1930, Paetel se voit proposer par Lass et Jünger la direction de Die Kommenden. Dans un article paru dans le premier numéro de l’année 1930, il appelle à « en faire un porte-parole de toutes les nouvelles impulsions et pensées qui partout sont à l’œuvre dans la jeune Allemagne, pour toutes les tentatives révolutionnaires de renouvellement » et à rejeter les « aboiements du libéralisme et de la réaction, en qui nous reconnaissons nos ennemis mortels » (3). Et d’assigner au journal une ligne résolument révolutionnaire : « Nous reprendrons à l’intérieur et à l’extérieur de l’espace allemand le combat contre le système de l’exploitation capitaliste, qui a toujours empêché l’intégration du prolétariat dans l’ensemble du destin allemand » (4).

Quelques mois plus tard, fin mai 1930, il crée le Gruppe sozialrevolutionarër nationalisten (Groupe des nationalistes sociaux-révolutionnaires). Une série d’articles, publiés dans le numéro du 27 juin 1930 présente la déclaration-programme du GSRN.  Pour Paetel, « le sens de toute économie est uniquement la couverture des besoins de la nation et non pas la richesse et le gain » (5). Il en appelle à une « révolution mondiale »,  considère le bolchevisme comme un mouvement de libération nationale et souhaite  l’alliance avec l’URSS pour faire pièce à l’esclavage exercé par les nations occidentales : « Nous nationalistes sociaux-révolutionnaires, nous en exigeons l’alliance avec l’Union soviétique . Nous voyons dans tous les peuples opprimés, à quelques races qu’ils appartiennent, nos alliés naturels »(6).

National-bolchevisme et national-socialisme

Pendant l’été 1930, Paetel est débarqué de Die Kommenden par les tenants d’un nationalisme plus classique. En janvier 1931, il lance le mensuel Die sozialistische Nation, qui se réclame du national-bolchevisme, prône la lutte des classes, la collaboration avec le PC et l’instauration de « l’Allemagne des conseils », et entend alors représenter « le secteur non marxiste, non matérialiste du front socialiste ». De son côté, Lass publie, en septembre 1932, une nouvelle revue, Der Umsturz (La Subversion), qui se veux l’organe « des nationalistes radicaux, des socialistes radicaux, des activistes révolutionnaires de toutes tendances » et se réclame ouvertement du national-bolchevisme. « Bolchevisme est présenté comme la quintessence de tout ce qui est destructeur et décomposant. Alors, c’est vrai, nous sommes nationaux-bolcheviks, car précisément, la voie de la nation ne passe que par cette destruction créatrice » (7) peut-on y lire.

L’orientation NB semble corroborée par les évènements des années 1930-1931, scission de l’aile gauche du NSDAP d’une part, politique « nationale » du KPD d’autre part. En ce qui concerne le NSDAP d’Hitler, les NB estiment qu’il s’est embourgeoisé. En 1931, Lass écrit ainsi : « Aujourd’hui au nationaliste convaincu du NSDAP peut seulement être accordé la tâche de radicaliser la large masse de la bourgeoisie et de contribuer au délitement national »(8). Rien de plus. Le 4 juillet 1930, Otto Strasser quitte le parti pour fonder la Communauté nationale-socialiste révolutionnaire. Mais très vite les NB se montrent critiques vis à vis des thèses strassériennes, stigmatisant son «  socialisme à 49 % »  et ses hésitations sur la question de l’alliance russe.

Le fossé entre NB et NS de gauche s’élargit encore du fait de l’espoir mis dans l’évolution du KPD. Le 24 août 1930, l’organe central, Die Rote Fahne, publie une « Déclaration programme pour la libération nationale et sociale du peuple allemand », qui accorde une large place à la question nationale. Il s’agit pour les communistes d’enrayer la radicalisation des classes moyennes, en développant une argumentation nationaliste appuyée sur un appel à une « alliance de classes » de tous les travailleurs contre le petit groupe de possédants capitalistes. Cette stratégie parvient à faire passer dans le camp communiste des nationalistes (9). Croyant naïvement qu’une ligne NB est à l’œuvre au KPD, Paetel multiplie les débats avec les communistes, prenant même la parole lors de leurs meetings. En 1932, il appelle même à voter pour le candidat communiste à l’élection présidentielle, Thaelmann . Début 1933, il publie un Manifeste national-bolchevik, dont les premiers exemplaires, imprimés le 29 janvier, sont distribués le soir même de l’arrivée au pouvoir d’Hitler.

Werner Lass sera arrêté, en mars 1933, pour détention d’explosifs et mis en prison. Après une instruction interrompue, la Freischar Schill et le Bund der Eidgenossen ayant été interdits, il intègre la Hitlerjugend, ce qui représente un cas unique parmi tous les chefs NB. Il en sera d’ailleurs exclu en 1934. De son côté, Paetel sera emprisonné à plusieurs reprises après l’arrivée au pouvoir d’Hitler, avant de parvenir à gagner Prague en 1935, puis la Scandinavie.

Edouard Rix

NOTES

 

(1)  Son nom perpétue le souvenir du major Schill, tombé au cours de la lutte de libération contre l’occupation napoléonienne.

(2) Ses jeunes membres subissent une formation paramilitaire selon le « Reibert », manuel de l’infanterie allemande.

(3) K.O. Paetel, « Unser Weg », Die Kommenden, 1930, n°1, p. 2.

(4) Idem.

(5) T. Münzen « Gwendsätzeiches zum sozialistischen Wirtschaftsarfbau », Die Kommenden, 1930, n°26, p. 307.

(6) K. Baumann, « Sozialistische Revolution », Die Kommenden, 1930, n°26, p. 301.

(7) « Wir Nationalbolchewisten », Der Umsturz, n°6-7.

(8) W. Lass, « Vom vormarsch des Nationalismus », Die Kommenden, 1931, n°7, p. 76.

(9) C’est le cas du capitaine Beppo Romer, chef du bund Oberland, du sous-lieutenant Richard Scheringer, directeur de la revue Aufbruch, de Bruno von Salomon, frère d’Ernst et dirigeant du Landvolkbewegung, ou encore d’Harro Schulze-Boyser, animateur du journal Der Gegner.

Source : Réfléchir & Agir, été 2008, n°29, pp. 48-49.

 

jeudi, 07 octobre 2010

Les thèmes de la géopolitique et de l'espace russe dans la vie culturelle berlinoise de 1918 à 1945

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 2002

Les thèmes de la géopolitique et de l'espace russe dans la vie culturelle berlinoise de 1918 à 1945

Karl Haushofer, Oskar von Niedermayer & Otto Hoetzsch

Intervention de Robert Steuckers à la 10ième Université d'été de «Synergies Européennes», Basse-Saxe, août 2002

Analyse : Karl SCHLÖGEL, Berlin Ostbahnhof Europas - Russen und Deutsche in ihrem Jarhhundert, Siedler, Berlin, 368 S., DM 68, 1998, ISBN 3-88680-600-6. 

En 1922, après l'effervescence spartakiste qui venait de secouer Berlin et Munich, un an avant l'occupation franco-belge de la Ruhr, le Général d'artillerie bavarois Karl Haushofer, devenu diplômé en géographie, est considéré, à l'unanimité et à juste titre, comme un spécialiste du Japon et de l'espace océanique du Pacifique. Son expérience d'attaché militaire dans l'Empire du Soleil Levant, avant 1914, et sa thèse universitaire, présentée après 1918, lui permettent de revendiquer cette qualité. Haushofer entre ainsi en contact avec deux personnalités soviétiques de premier plan: l'homme du Komintern à Berlin, Karl Radek, et le Commissaire aux affaires étrangères, Georgi Tchitchérine (qui signera les accords de Rapallo avec Rathenau). Dans quel contexte cette rencontre a-t-elle eu lieu? Le Japon et l'URSS cherchaient à aplanir leurs différends en entamant une série de négociations où les Allemands ont joué le rôle d'arbitres. Ces négociations portent essentiellement sur le contrôle de l'île de Sakhaline. Les Japonais réclament la présence de Haushofer, afin d'avoir, à leurs côtés "une personnalité objective et informée des faits". Les Soviétiques acceptent que cet arbitre soit Karl Haushofer, car ses écrits sur l'espace pacifique —négligés en Allemagne depuis que celle-ci  a perdu la Micronésie à la suite du Traité de Versailles—  sont lus avec une attention soutenue par la jeune école diplomatique soviétique. Qui plus est, avec la manie hagiographique des révolutionnaires bolcheviques, Haushofer a connu les frères Oulianov (Lénine) à Munich avant la première guerre mondiale; il aimait en parler et relatera plus tard ce fait dans ses souvenirs. L'intérêt soviétique pour la personne du Général Haushofer durera jusqu'en 1938, où, changement brusque d'attitude lors des grandes procès de Moscou, le Procureur réclame la condamnation de Sergueï Bessonov, qu'il accuse d'être un espion allemand, en contact, prétend-il,  avec Haushofer, Hess et Niedermayer (cf. infra). Les mêmes accusations avaient été portées contre Radek, qui finira exécuté, lors des grandes purges staliniennes.

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Ces trois faits d'histoire —la présence de Haushofer lors des négociations entre Japonais et Soviétiques, le contact, sans doute fort bref et parfaitement anodin, entre Haushofer et Lénine, les condamnations et exécutions de Radek et de Bessonov—  indiquent qu'indépendamment des étiquettes idéologiques de "gauche" ou de "droite", la géopolitique, telle qu'elle est théorisée par Haushofer à Munich et à Berlin dans les années 20, ne s'occupe que du rapport existant entre la géographie et l'histoire; elle est donc considérée comme une démarche scientifique, comme un savoir pratique et non pas comme une spéculation idéologique ou occultiste, véhiculant des fantasmes ou des intérêts. A l'époque, on peut parler d'une véritable "Internationale de la géopolitique", transcendant largement les étiquettes idéologiques, tout comme aujourd'hui, un savoir d'ordre géopolitique, éparpillé dans une multitude d'instituts, commence à se profiler partout dans un monde où les grands enjeux géopolitiques sont revenus à l'ordre du jour : la question des Balkans, celle de l'Afghanistan, remettent à l'avant-plan de l'actualité toutes les grandes thématiques de la géopolitique, notamment celles qu'avaient soulignées Mackinder et Haushofer.

 

Une démarche factuelle et matérielle, sans dérive occultiste

 

A partir de 1924, Haushofer publie sa Zeitschrift für Geopolitik (ZfG; "Revue pour la géopolitique"), où il met surtout l'accent sur l'espace du Pacifique, comme l'attestent ses articles et sa chronique, rédigée notamment grâce à des rapports envoyés par des correspondants japonais. La teneur de cette revue est donc politique et géographique pour l'essentiel, contrairement aux bruits qui ont couru pendant des décennies après 1945, et qui commencent heureusement à s'atténuer; ces "bruits" évoquaient une fantasmagorique dimension "ésotérique" de la Zeitschrift für Geopolitik (ZfG);  on a raconté que Haushofer appartenait à toutes sortes de sectes ésotériques ou occultes (voire occultistes). Ces allégations sont bien sûr complètement fausses. De plus, l'intérêt porté à Haushofer et à ses thèses sur l'espace du Pacifique par la jeune diplomatie soviétique, par Radek et Tchitchérine, est un indice complémentaire  —et de taille!—  pour attester de la nature factuelle et matérielle de ses écrits; les sectes étant par définition irrationnelles, comment un homme, que l'on dit plongé dans cet univers en marge de toute rationalité scientifique, aurait pu susciter l'intérêt et la collaboration active de marxistes matérialistes et historicistes? De marxistes qui tentent d'expurger toute irrationalité de leurs démarches intellectuelles?  L'accusation d'occultisme portée à l'encontre de Haushofer est donc une contre-vérité propagandiste, répandue par les services et les puissances qui ont intérêt à ce que son œuvre demeure inconnue, ne soit plus consultée dans les chancelleries et les états-majors. Il va de soi qu'il s'agit des puissances qui ont intérêt à ce que le grand continent eurasien ne soit pas organisé ni aménagé territorialement jusqu'en ses régions les plus éloignées de la mer.

 

Le principal ouvrage géopolitique et scientifique de Haushofer est donc sa Geopolitik des Pazifischen Raumes ("Géopolitique de l'espace pacifique"), livre de référence méticuleux qui se trouvait en permanence sur le bureau de Radek, à Berlin comme à Moscou. Karl Radek jouait le rôle du diplomate du PCUS ("Parti communiste d'Union Soviétique"). Il a cependant plaidé, au moment où les Français condamnent à mort et font fusiller l'activiste nationaliste allemand Albert Leo Schlageter, pour un front commun entre nationaux et communistes contre la puissance occidentale occupante. Plus tard, Radek sera nommé Recteur de l'Université Sun-Yat-Sen à Moscou, centre névralgique de la nouvelle culture politique internationale que les Soviets entendent généraliser sur toute la planète. Radek organisera, au départ de cette université d'un genre nouveau, un échange permanent entre universitaires, dont le savoir est en mesure de forger cette nouvelle culture diplomatique internationale.

 

Trois figures emblématiques

 

Dans le cadre de cette Université Sun-Yat-Sen , trois figures emblématiques méritent de capter aujourd'hui encore notre attention, tant leurs démarches peuvent encore avoir une réelle incidence sur toute réflexion actuelle quant au destin de la Russie, de l'Europe, de l'Asie centrale et quant aux théories générales de la géopolitique: Mylius Dostoïevski, Richard Sorge et Alexander Radós.

 

Mylius Dostoïevski est le petit-fils du grand écrivain russe. Qui, rappelons-le, a jeté les bases d'une révolution conservatrice en Russie, au-delà des limites de la slavophilie du début du 19ième siècle, et a consolidé, par ricochet, la dimension russophile de la révolution conservatrice allemande, par le biais de ses réflexions consignées dans son Journal d'un écrivain, ouvrage capital qui sera traduit en allemand par Arthur Moeller van den Bruck. Mylius Dostoïevski s'était spécialisé en histoire et en géographie du Japon, de la Chine et de l'espace maritime du Pacifique. Il appartiendra à la jeune garde de la diplomatie soviétique et sera un lecteur attentif de la ZfG; pour rendre la politesse à ces jeunes géographes soviétiques, selon sa courtoisie habituelle, Karl Haushofer rendra toujours compte, avec précision, des évolutions diverses de la nouvelle géopolitique soviétique. Il estimait que les Allemands de son temps devaient en connaître les grandes lignes et la dynamique.

 

Richard Sorge, autre lecteur de la ZfG, était un espion soviétique en Extrême-Orient. On connaît son rôle pendant la seconde guerre mondiale. En 1933, au moment où Hitler prend le pouvoir en Allemagne, Sorge était en contact avec l'école géopolitique de Haushofer. Il le restera, en dépit du changement de régime et en dépit des options anti-communistes officielles, preuve supplémentaire que la géopolitique se situe bien au-delà des clivages idéologiques et politiciens. Au cours des années qui suivirent la "Machtübernahme" de Hitler, il écrivit de nombreux articles substantiels dans la ZfG. Sa connaissance du monde extrême-oriental  —et elle seule—  justifiait cette collaboration.

 

Alexander Radós et "Pressgeo"

 

Indubitablement, le principal disciple soviétique de Karl Haushofer a été l'Israélite hongrois Alexander Radós, un géographe de formation, qui a servi d'espion au profit de la jeune URSS, notamment en Suisse, plaque tournante de nombreux contacts officieux. Radós est l'homme qui a forgé tous les nouveaux concepts de la géographie politique soviétique. Il est, entre autres, celui qui forgea la dénomination même d'«Union des Républiques Socialistes Soviétiques». Radós fut principalement un cartographe, qui a commencé sa carrière en établissant des cartes du trafic aérien, lesquelles constituaient évidemment une innovation à son époque. Il enseignait à l'«Ecole marxiste de formation des Travailleurs» ("Marxistische Arbeiterschulung"). Il fonde ensuite la toute première agence de presse cartographique du monde, qu'il baptise "Pressgeo", où travaillera notamment une future célébrité comme Arthur Koestler. La fondation de cette agence correspond parfaitement aux aspirations de Haushofer, qui voulait vulgariser  —et diffuser au maximum au sein de la population—  un savoir pragmatique d'ordre géographique, historique et économique, assorti d'un esprit de défense. La carte, esquisse succincte, instrument didactique de premier ordre, sert l'objectif d'instruire rapidement les esprits décisionnaires des armées et de la diplomatie, ainsi que les enseignants en histoire et en science politique qui doivent communiquer vite un savoir essentiel et vital à leurs ouailles.

 

Haushofer parlait aussi, en ce sens, de "Wehrgeographie", de "géographie défensive", soit de "géographie militaire". L'objectif de cette science pragmatique était de synthétiser en un simple coup d'œil cartographique toute une problématique de nature stratégique, récurrente dans l'histoire. Pédagogie et cartographie formant les deux piliers majeurs de la formation politique des élites et des masses. Yves Lacoste, en France aujourd'hui, suit une même logique, en se référant à Elisée Reclus, géographe dynamique, réclamant une pédagogie de l'espace, dans une perspective qu'il voulait révolutionnaire et "anarchique". Lacoste, comme Haushofer, a parfaitement conscience de la dimension militaire de la géographie (et, a fortiori, de la "Wehrgeographie"), quand il écrit, en faisant référence aux premiers cartographes militaires de la Chine antique: «La géographie, ça sert à faire la guerre!».

 

De l'utilité pédagogique de la cartographie

 

Michel Foucher, professeur à Lyon, dirige aujourd'hui un institut géographique et cartographique, dont les cartes, très didactiques, illustrent la majeure partie des organes de presse français, quand ceux-ci évoquent les points chauds de la planète. Dans ce même esprit pluridisciplinaire,  à volonté clairement pédagogique,  —qui, en France et en Allemagne, va de Haushofer à Lacoste et à Foucher—  Alexander Radós, leur précurseur soviétique, publie, en URSS et en Allemagne, en 1930, un Atlas für Politik, Wirtschaft und Arbeiterbewegung  ("Atlas de la politique, de l'économie et du mouvement ouvrier"). Radós est ainsi le précurseur d'une manière innovante et intéressante de pratiquer la géographie politique, de mêler, en d'audacieuses synthèses, un éventail de savoirs économiques, géographiques, militaires, topographiques, géologiques, hydrographiques, historiques. Les synthèses, que sont les cartes, doivent servir à saisir d'un seul coup d'œil des problématiques hautement complexes, que le simple texte écrit, trop long à assimiler, ne permet pas de saisir aussi vite, d'exprimer sans détours inutiles. Ce fut là un grand pas en avant dans la pédagogie scientifique et politique, dans le sens inauguré, un siècle auparavant, par le géographe Carl Ritter.

 

Cette cartographie facilite le travail du militaire, du géographe et de l'homme politique; elle permet, comme le soulignait Karl August Wittfogel, de sortir d'une impasse de la vieille science géographique traditionnelle (et "réactionnaire" pour les marxistes), où, systématiquement, on avait négligé les macro-processus enclenchés par le travail de l'homme et, ainsi, le caractère "historique-plastique" de ce que l'on croyait être des "faits éternels de nature". C'est dans cette position épistémologique fondamentale,  qu'au-delà des clivages idéologiques, fruits d'"éthiques de la conviction" aux répercussions calamiteuses, se rejoignent Elisée Reclus, Haushofer, Radós, Wittfogel, Lacoste et Foucher. Wittfogel , qui se pose comme révolutionnaire, reconnaît cette "plasticité historique" dans l'œuvre du "géopolitologue bourgeois" Karl Haushofer. Les deux écoles, l'haushoférienne et la marxiste, veulent inaugurer une géographie dynamique, où l'espace n'est plus posé comme un bloc inerte et immobile, mais s'appréhende comme un réseau dense de relations, de rapports, de mouvements, en perpétuelle effervescence (on songe tout naturellement au "rhizome" de Gilles Deleuze, qui inspire les "géophilosophes" italiens actuels). Au sein de ce réseau toujours agité, le temps peut apporter des époques de repos, de plus grande quiétude, comme il peut injecter du dynamisme, de la violence, des bouleversements, qui contraignent les personnalités politiques de valeur à œuvrer à des redistributions de cartes. Le travail de l'homme, qui domestique certains espaces en les aménageant et en créant des moyens de communication plus rapides, est un travail proprement "révolutionnaire"; les hommes politiques qui refusent d'aménager l'espace, dans un esprit de défense territoriale ou dans l'esprit d'assurer aux générations futures communications et ressources, sont des "réactionnaires", des lâches qui préfèrent de lents pourrissements à la dynamique de transformation. Des capitulards qui font ainsi le jeu pervers des thalassocraties.

 

Par conséquent, évoquer des hommes comme Mylius Dostoïevski, Richard Sorge, Alexander Radós ou Karl August Wittfogel,  nous apparaît très utile, intellectuellement et méthodologiquement, car cela prouve:

◊ que l'intérêt général pour la géopolitique aujourd'hui ne peut plus être mis en équation avec un intérêt malsain pour le passé national-socialiste (contexte dans lequel Haushofer a dû œuvrer);

◊ qu'aucune morbidité d'ordre ésotérique ou occultiste ne se repère dans l'œuvre de Haushofer et de ses disciples allemands ou soviétiques;

◊ que ces écoles ont posé d'important jalons dans le développement de la science politique, de la géographie et de la cartographie;

◊ qu'elles ont laissé en héritage un bagage scientifique de la plus haute importance;

◊ que nous devrions davantage nous intéresser aux développements de la géopolitique soviétique des années 20 et 30 (et analyser l'œuvre de Radós, par exemple).

 

Oskar von Niedermayer, le "Lawrence allemand"

 

Niedermayer.jpgOutre Haushofer, une approche du savoir géopolitique, tel qu'il sera déployé à Berlin dans les années 20, 30 et 40, ne peut omettre d'étudier la figure du Chevalier Oskar von Niedermayer, celui que l'on avait surnommé, le "Lawrence d'Arabie" allemand. Né en 1885, Oskar von Niedermayer embrasse la carrière d'officier, mais ne se contente pas des simples servitudes militaires. Il étudie à l'université les sciences naturelles physiques, la géographie et les langues iraniennes (ce qui lui permettra d'avoir des contacts suivis avec la Communauté religieuse Ba'hai, qui, à l'époque, était quasiment la seule porte ouverte de l'Iran sur l'Occident). De 1912 à 1914, il effectue un long voyage en Perse et en Inde. Il sera ainsi le premier Européen à traverser de part en part le désert de sable du Lout (Dacht-i-Lout). En 1914, quand éclate la première guerre mondiale, Oskar von Niedermayer, accompagné par Werner Otto von Henting, sillonne les montagnes d'Afghanistan pour inciter les tribus afghanes à se soulever contre les Anglais et les Russes, afin de créer un "abcès de fixation", obligeant les deux puissances ennemies de l'Allemagne à dégarnir partiellement  leurs fronts en Europe, dans le Caucase et en Mésopotamie. Cette mission sera un échec. En 1919, Niedermayer se retrouve dans les rangs du Corps Franc du Colonel Chevalier Franz von Epp qui écrase la République des Conseils de Munich. En dépit de son rôle dans l'aventure de ce Corps Franc anti-communiste, Niedermayer est nommé dans la foulée officier de liaison de la Reichswehr auprès de la nouvelle Armée Rouge à Moscou. Dans ce contexte, il est intéressant de noter qu'il était, avant toutes choses, un expert de l'Afghanistan, des idiomes persans et de toute cette zone-clef de la géostratégie mondiale qui va de la rive sud de la Caspienne à l'Indus. C'est donc Niedermayer  qui négociera avec Trotski et qui visitera, pour le compte de la Reichswehr, dans la perspective de la future coopération militaire entre les deux pays, les usines d'armement et les chantiers navals de Petrograd (devenue "Leningrad"). Oskar von Niedermayer a donc été l'une des chevilles ouvrières de la coopération militaire et militaro-industrielle germano-russe des années 20. En 1930, il devient professeur de "Wehrgeographie" à Berlin.

 

Le "marais" et ses éthiques de conviction

 

La principale leçon qu'il tire de ses activités politiques et diplomatiques est une méfiance à l'endroit des politiciens du "centre", du "marais", incapables de comprendre les grands ressorts de la politique internationale, du "Grand Jeu". Ses critiques s'adressaient surtout aux sociaux-démocrates et aux centristes de tous plumages idéologiques; avec de tels personnages, il est impossible, constate von Niedermayer dans un rapport où il ne cache pas son amertume, d'articuler sur le long terme une politique étrangère durable, rationnelle et constante. Il les accuse de tout critiquer publiquement, par voie de presse; de cette façon, aucune diplomatie secrète n'est encore possible. Pire, estime-t-il, par le comportement délétère de ces bateleurs sans épine dorsale politique solide, aucun ressort habituel de la diplomatie inter-étatique  ne fonctionne encore de manière optimale. Car les éthiques de conviction (terminologie de Max Weber: "Gesinnungsethik") qui animent toutes les vaines agitations politiciennes de ces gens-là, altèrent l'esprit de retenue, de sérieux et de service, qui est nécessaire pour faire fonctionner une telle diplomatie traditionnelle. La priorité accordée aux convictions revient à trahir les intérêts fondamentaux de l'Etat et de la nation. L'amertume de Niedermayer est née à la suite d'un incident au Reichstag, où le socialiste Scheidemann, animé par un pacifisme irréaliste et de mauvais aloi, avait dénoncé un accord militaire secret entre l'URSS et le Reich, sous prétexte que le commerce et l'échange d'armements ne sont pas "moraux". Le lendemain, comme par hasard, la presse londonienne à l'unisson, reprend l'information et amorce une propagande contre les deux puissances continentales, qui avaient contourné les clauses de Versailles relatives aux embargos. Cet incident montre aussi que bon nombre de journalistes servent des intérêts étrangers à leur pays. En cela, rien n'a changé aujourd'hui: les Etats-Unis bénéficient de l'appui inconditionnel de la plupart des ténors de la presse parisienne.

 

Youri Semionov, spécialiste de la Sibérie

 

Dans les années 30, Niedermayer rencontre Youri Semionov, Russe blanc en exil et spécialiste de l'économie, de la géographie, de la géologie et de l'hydrographie sibériennes. Semionov est l'auteur d'un ouvrage, toujours d'actualité, toujours compulsé en haut lieu, sur les trésors de la géologie sibérienne. Egalement spécialiste de l'empire colonial français, Semionov a compilé ses réflexions successives dans un volume dont la dernière édition allemande date de 1975 (cf. Juri Semjonow, Erdöl aus dem Osten - Die Geschichte der Erdöl- und Erdgasindustrie in der UdSSR, Econ Verlag, Wien/Düsseldorf, 1973 & Sibirien - Schatzkammer des Ostens, Econ Verlag, Wien/Düsseldorf, 1975). Né en 1894 à Vladikavkaz dans le Caucase, Youri Semionov a étudié à l'Université de Moscou, avant d'émigrer en 1922 à Berlin, où il enseignera l'histoire et la géographie de la Russie, et plus particulièrement celles des territoires sibériens. Après la chute du IIIe Reich, il émigre en 1947 en Suède, où il enseignera à Uppsala et finira ses jours. Dans Sibirien - Schatzkammer des Ostens, il retrace toutes les étapes de l'histoire de la conquête russe des territoires situés au-delà de l'ex-capitale des Tatars, Kazan. Il démontre que la conquête de tout le cours de la Volga, de Kazan à Astrakhan, permet à la Russie de spéculer sur une éventuelle conquête des Indes. Semionov replace tous ces faits d'histoire dans une perspective géopolitique, celle de l'organisation du Grand Continent, de la Mer Blanche au Pacifique. Les chapitres sur le 19ième siècle sont particulièrement intéressants, notamment quand il décrit la situation globale après la décision du Tsar Alexandre III de faire financer la construction d'un chemin de fer transsibérien.

 

Cet extrait du livre de Semionov (pp. 356-357) résume parfaitement  cette situation : «Nous savons que toute la politique de "concentration des forces sur le continent", telle celle que l'on avait envisagée en Russie, provoquait une inquiétude faite de jalousie en Angleterre. Tout mouvement de la Russie en Asie y était considéré comme une menace pesant sur l'Inde. L'Amiral Sterling a vu cette menace se concrétiser dès l'installation de la présence russe le long du fleuve Amour. L'écrivain anglais, oublié aujourd'hui, mais très connu à l'époque, Th. T. Meadows, évoquait en 1856, dans un de ses écrits, un "futur Alexandre le Grand" russe, qui s'en irait conquérir la Chine, puis, sans difficulté aucune, détruirait l'empire britannique et soumettrait le monde entier. Ce cri d'alarme pathétique, répercuté par la presse anglaise, est apparu soudain très réaliste, lorsque, dans les années 80 du 19ième siècle, les Russes avancent en Asie centrale et s'approchent de la frontière afghane. En 1884, se déroule le fameux "incident afghan"; un détachement russe s'empare d'un point contesté sur la frontière; ensuite, les Afghans, qui agissaient sur ordre des Anglais, attaquent ce poste, mais sont battus et dispersés par les Russes. Le premier ministre britannique Gladstone déclare, face au Parlement de Londres, que la guerre avec la Russie est désormais inévitable. Seul le refus de Bismarck, de soutenir les Anglais, empêcha, à l'époque, le déclenchement d'une guerre anglo-russe». Toute l'actualité récente semble résumée dans ce bref extrait.

 

Les chapitres consacrés à l'œuvre de Witte, père du Transsibérien, sont également lumineux. Semionov rappelle que Witte est un disciple de l'économiste Friedrich List, théoricien de l'aménagement des grands espaces. Il existait, avant la première guerre mondiale et avant la guerre russo-japonaise, une véritable idée grande continentale. Elle était partagée en France (Henri de Grossouvre nous a rappelé l'œuvre de Gabriel Hanotaux), en Allemagne (avec le souvenir de Bismarck) et en Chine, avec Li Hung-Tchang, qui négociera avec Witte. L'Angleterre réussira à briser cette unité, ce qui entraînera le cortège sanglant de toutes les guerres du 20ième siècle.

 

Oskar von Niedermayer  rencontre également le Professeur Otto Hoetzsch, dont nous allons retracer l'itinéraire dans la suite de cette intervention. En dépit de leurs itinéraires bien différents et de leurs options idéologiques divergentes, Haushofer, Niedermayer, Semionov et Hoetzsch se complètent utilement et la lecture simultanée de leurs œuvres nous permet de saisir toute la problématique eurasienne, sans la mutiler, sans rien omettre de sa complexité.

 

Du professorat à la 162ième Division

 

En 1937, Hitler ordonne la fondation d'un "Institut für allgemeine Wehrlehre" (= "Institut pour les doctrines générales de défense"). Niedermayer, bien que sceptique, servira loyalement cette nouvelle institution d'Etat, dont l'objectif, recentré sur l'ethnologie vu l'intérêt des nationaux-socialistes pour les questions raciales, est d'étudier les rapports mutuels entre peuple(s) et espace(s). Hostile à la "Gesinnungsethik" des nationaux socialistes, comme il avait été hostile à celles des sociaux démocrates ou des centristes, Niedermayer proteste contre les campagnes de diffamation orchestrées contre des professeurs que l'on décrit comme des "intellectuels  apolitiques", comportement hitlérien qui trouve parfaitement son pendant dans les campagnes de diffamation orchestrées par un certain journalisme contemporain contre ceux qui demeurent sceptiques face aux projets d'éradiquer l'Irak, la Libye ou la Serbie et d'appuyer des bandes mafieuses comme celles de l'UÇK ou du complexe militaro-mafieux turc. Aujourd'hui, on ne traite pas ceux qui entendent raison garder d'"intellectuels apolitiques", mais d'"anti-démocrates". 

 

De la prison de Torgau à la Loubianka

 

Comme la plupart des experts ès-questions russes de son temps, Niedermayer déplore la guerre germano-soviétique, déclenchée en juin 1941. En 1942, sur la suggestion de Claus von Stauffenberg, futur auteur de l'attentat du 20 juillet 1944 contre Hitler, Niedermayer est nommé chef de la 162ième Division d'Infanterie de la Wehrmacht, où servent des volontaires et des légionnaires de souche turque (issus des peuples turcophones d'Asie centrale). Cette unité connaît des fortunes diverses, mais l'échec de la politique nationale-socialiste à l'Est, accentue considérablement le scepticisme de Niedermayer. Stationné en Italie avec les restes de sa division, il critique ouvertement la politique menée par Hitler sur le territoire de l'Union Soviétique. Ce qui conduit à son arrestation; il est interné à Torgau sur l'Elbe. Quand les troupes américaines entrent dans la ville, il quitte la prison et est arrêté par des soldats soviétiques qui le font conduire immédiatement à Moscou, où il séjourne dans la fameuse prison de la Loubianka. Il y mourra de tuberculose en 1948.

 

La mort de Niedermayer ne clôt pas son "dossier", dans l'ex-URSS. En 1964, les autorités soviétiques utilisent les textes de ses dépositions à Moscou en 1945 pour réhabiliter le Maréchal Toukhatchevski. Il faudra attendra 1997 pour que Niedermayer soit lui-même totalement réhabilité. Donc lavé de toutes les accusations incongrues dont on l'avait chargé.

 

Le pivot indien de l'histoire et la nécessité du "Kontinentalblock"

 

Nous avons énuméré bon nombre de faits biographiques de Niedermayer, pour faire mieux comprendre le noyau essentiel de sa démarche d'iranologue, d'explorateur du Dacht-i-Lout, d'agitateur allemand en Afghanistan et de commandeur de la Division turcophone de la Wehrmacht. Deux idées de base animaient l'action de Niedermayer: 1) l'idée que l'Inde était le pivot de l'histoire mondiale; 2) la conscience de la nécessité impérieuse de construire un bloc continental (eurasien), le fameux "Kontinentalblock" de Karl Haushofer (projet qu'il a très probablement repris des hommes d'Etats japonais du début du 20ième siècle, tels le Prince Ito, le Comte Goto et le Premier Ministre Katsura, avocats d'une alliance grande continentale germano-russo-japonaise). Si Niedermayer reprend sans doute cette idée de "bloc continental" directement de l'œuvre de Haushofer, sans remonter aux sources japonaises —qu'il devait sûrement ignorer—  l'idée de l'Inde comme "pivot de l'histoire" lui vient très probablement du Général Andreï Snessarev, officier tsariste passé aux ordres de Trotski, pour devenir le chef d'état-major de l'Armée Rouge. Ce général, hostile aux thalassocraties anglo-saxonnes, représentant d'un idéal géopolitique grand continental transcendant le clivage blancs/rouges, se plaisait à répéter: «Si nous voulons abattre la tyrannie capitaliste qui pèse sur le monde, alors nous devons chasser les Anglais d'Inde».

 

Principes thalassocratiques, libéralisme à l'occidentale, permissivité politique et morale, capitalisme dont les ressorts annihilent systématiquement  les traditions historiques et culturelles (cf. Dostoïevski et Moeller van den Bruck), logique marchande, étaient synonymes d'abjection pour cet officier traditionnel: peu importe qu'on les combatte sous une étiquette blanche/traditionaliste ou sous une étiquette rouge/révolutionnaire. Les étiquettes sont des "convictions" sans substance: seule importe une action constante visant à réduire et à détruire les forces dissolvantes de la modernité marchande, car elles conduisent le monde au chaos et les peuples à une misère sans issue. Comme nous le constatons encore plus aujourd'hui qu'à l'époque, l'industriel, le négociant  et le banquier, avec leur logique d'accumulation monstrueuse, apparaissent comme des êtres aussi abjects qu'inférieurs, foncièrement malfaisants, pour cet officier supérieur russe et  soviétique qui ne respecte que les hommes de qualité: les historiens, les prêtres, les soldats et les révolutionnaires. Les impératifs de la géopolitique sont des constantes de l'histoire auquel l'homme de longue mémoire, seul homme valable, seul homme pourvu de qualités indépassables, se doit d'obéir. A la suite de ce Snessarev, qu'il a sans doute rencontré au temps où il servait d'officier de liaison auprès de l'Armée Rouge, Niedermayer, fort également de ses expériences d'iranologue, d'explorateur du Dacht-i-Lout et de spécialiste de l'Afghanistan, clef d'accès aux Indes depuis Alexandre le Grand, savait que le destin de l'Europe en général, de l'Allemagne, son cœur géographique, en particulier, se jouait en Inde (et, partant, en Perse et en Afghanistan). Une leçon que l'actualité a rendue plus vraie que jamais.

 

Exporter la révolution et absorber le "rimland"

 

Pour Niedermayer, officier allemand, ce rôle essentiel du territoire indien pose problème car son pays ne possède aucun point d'appui dans la région, ni dans son environnement immédiat. La Russie tsariste, oui, et, à sa suite, l'URSS, aussi. Par conséquent, les positions militaires soviétiques au Tadjikistan et le long de la frontière afghane, sont des atouts absolument nécessaires à l'Europe dans son ensemble, à toute la communauté des peuples de souche européenne. C'est la possession de cet atout stratégique en Asie centrale qui doit justifier, aux yeux de Niedermayer, l'indéfectible alliance germano-russe, seule garante de la survie de la culture européenne dans son ensemble. Pour les tenants du bolchevisme révolutionnaire autour de Trotski et Lénine, la solution, pour faire tomber le capitalisme, c'est-à-dire la puissance planétaire des thalassocraties libérales, réside dans la politique d'"exporter la révolution", d'agiter les populations colonisées et assujetties par un bon dosage de nationalisme et de révolution sociale. Ainsi, les puissances continentales de la "Terre du Milieu" pourront porter leurs énergies en direction du "rimland" indien, persan et arabe, réalisant du même coup les craintes formulées par Mackinder dans son discours de 1904 sur le "pivot" sibérien et centre-asiatique de l'histoire. Propos qu'il réitèrera dans son livre Democratic Ideals and Reality  de 1919. Cependant, pour pouvoir libérer l'Inde et y exporter la révolution, il faut déjà un bloc continental bien soudé par l'alliance germano-soviétique, prélude à la libération de toute la masse continentale eurasiatique.

 

Pour structurer l'Europe: un chemin de fer à voies larges

 

Pour parfaire l'organisation de cette gigantesque masse continentale, il faut se rappeler et appliquer les recettes préconisées par le Ministre du Tsar, Sergueï Witte, père du Transsibérien. Dans le Berlin des années 20, un projet circule déjà et prendra corps pendant la seconde guerre mondiale: celui de réaliser un chemin de fer à voie large ("Breitspurbahn"), permettant de transporter un maximum de personnes et de marchandises, en un minimum de temps. Cette idée, venue de Witte, n'est pas entièrement morte, constitue toujours un impératif majeur pour qui veut véritablement travailler à la construction  européenne: le Plan Delors, esquissé dans les coulisses de l'UE, préconisait naguère des grands travaux publics d'aménagement territorial, y compris un système ferroviaire rapide, désormais inspiré par le TGV français. En 1942, Hitler, en évoquant le Transsibérien de Witte, donne l'ordre à Fritz Todt d'étudier les possibilités de construire une "Breitspurbahn", avec des trains roulant entre 150 et 180 km/h pour le transport des marchandises et entre 200 et 250 km/h pour le transport des personnes. Le projet, confié à Todt, ne concerne pas seulement l'Europe, au sens restreint du terme, n'entend pas seulement relier entre elles les grandes métropoles européennes, mais aussi, via l'Ukraine et le Caucase, les villes d'Europe à celles de la Perse. Ces projets, qui apparaissaient à l'époque comme un peu fantasmagoriques, n'étaient nullement une manie du seul Hitler (et de son ingénieur Todt); en Union Soviétique aussi, via des romans populaires, comme ceux d'Ilf et de Petrov, on envisage la création de chemins de fer ultra-rapides, reliant la Russie à l'Extrême-Orient.

 

Le destin tragique du Professeur Otto Hoetzsch

 

ottohoetzsc.jpgLe volet purement scientifique de cet engouement pour le Grand Est sera incarné à Berlin, de 1913 à 1946 par un professeur génial, autant que modeste: Otto Hoetzsch. Il a connu un destin particulièrement tragique. Après avoir accumulé dans son institut personnel une masse de documents et de travaux sur la Russie, pendant des décennies, les bombardements sur Berlin en 1945, à la veille de l'entrée des troupes soviétiques dans la capitale allemande, ont réduit sa colossale bibliothèque à néant. Cette tragédie explique partiellement le sort misérable de tout le savoir sur la Russie et l'Union Soviétique à l'Ouest. La majeure partie des documents les plus intéressants avait été accumulée à Berlin. La misère de la soviétologie occidentale est partiellement  le résultat navrant de la destruction de la bibliothèque du Prof. Hoetzsch. En 1945 et en 1946, celui-ci, âgé de 70 ans, erre seul dans Berlin, privé de sa documentation; cet homme, brisé, trouve néanmoins le courage ultime de rédiger une conférence, la dernière qu'il donnera, où il nous lègue un véritable testament politique (titre de cette conférence : "Die Eingliederung des osteuropäischen Geschichte in die Gesamtgeschichte"; = L'inclusion de l'histoire est-européenne dans l'histoire générale).

 

Slaviste et historien de la Russie, Otto Hoetzsch s'était aperçu très tôt que les Européens de l'Ouest, les Occidentaux en général, ne comprenaient rien de la dynamique de l'histoire et de l'espace russes; ce que les Russes repèrent tout de suite, ce qui les navrent et les fâchent. Cette ignorance, assortie d'une prétention mal placée et d'une irrépressible et agaçante propension à donner des leçons, vaut également pour l'espace balkanique (sauf en Autriche où les instituts spécialisés dans le Sud-Est européen ont réalisé des travaux remarquables, dont les chancelleries occidentales ne tiennent jamais compte). Hoetzsch constate, dès le début de sa brillante carrière, que la presse ne produit que des articles lamentables, quand il s'agit de commenter ou de décrire les situations existantes en Russie ou en Sibérie. Il va vouloir remédier à cette lacune. A partir de 1913, il se met à rassembler une documentation, à étudier et à lire les grands classiques de la pensée politique russe, à lire les historiens russes, ce qui le conduira à fonder en 1925, quelques mois après la sortie du premier numéro de la ZfG de Haushofer, une revue spécialisée dans les questions russes et centre-asiatiques, Osteuropa. Captivé par la figure du Tsar Alexandre II, sur lequel il rédigera un maître-ouvrage, dont le manuscrit sera sauvé in extremis de la destruction à Berlin en 1945; Hoetzsch le transportait dans sa valise en fuyant Berlin en flammes. Pourquoi Alexandre II? Ce Tsar est un réformateur social, il lance la Russie sur la voie de l'industrialisation et de la modernisation, ce que ne peuvent tolérer les thalassocraties. Il périra d'ailleurs assassiné. En dépit du ressac de la Russie sous Nicolas II, de sa lourde défaite subie en 1905 face au Japon, armé par l'Angleterre et les Etats-Unis, en dépit du terrible ressac que constitue la prise du pouvoir par les Bolcheviques, l'œuvre d'Alexandre II doit, aux yeux de Hoetzsch, demeurer le modèle pour tout homme d'Etat russe digne de ce nom.

 

Ami des Russes blancs et "Républicain de Raison"

 

Hoetzsch est un libéral de gauche, proche de la sociale démocratie, mais il déteste les Bolcheviques, car, pour lui, ce sont des agents du capitalisme anglais, dans la mesure où ils détruisent l'œuvre des Tsars émancipateurs et modernistes; ils ont comploté contre ceux-ci et contre d'excellents hommes d'Etat comme Witte et Stolypine (qui sera également assassiné). Hoetzsch fréquente l'émigration blanche de Berlin, consolide son institut grâce aux collaborations des savants chassés par les Bolcheviques, mais reste ce que l'on appelait à l'époque, dans l'Allemagne de Weimar, un «Républicain de Raison» ("Vernunftrepublikaner"), ce qui le différencie évidemment d'un Oskar von Niedermayer. Son institut et sa revue connaissent un essor bien mérité au cours des années 20; ce sont des havres de savoir et d'intelligence, où coopèrent Russes et Allemands en toute fraternité. En 1933, avec l'avènement au pouvoir des nationaux socialistes, Hoetzsch cumule les malchances. Pour le nouveau pouvoir, les "Vernunftrepublikaner" sont des émanations du "marais centriste" ou, pire, des "traîtres de novembre" ("Novemberverräter") ou des "bolchevistes de salon" ("Salonbolschewisten"). L'institut de Hoetzsch est dissous. Hoetzsch est "invité" à prendre sa retraite anticipée. La fermeture de cet institut est une tragédie de premier ordre. Le destin de Hoetzsch est pire que celui de l'activiste politique et éditeur de revues nationales révolutionnaires, Ernst Niekisch. Car on peut évidemment, avec le recul, reprocher à Niekisch d'avoir été un passionné et un polémiste outrancier. Ce n'était évidemment pas le cas de Hoetzsch, qui est resté un scientifique sourcilleux.

 

Pour une approche grande-européenne de l'histoire

 

Dans la conférence qu'il prépare dès août 1945, et qu'il prononcera peu avant de mourir en 1946, dans sa chère ville de Berlin en ruines, Otto Hoetzsch nous a laissé un message qui reste parfaitement d'actualité. L'objectif de cette conférence-testament est de faire comprendre la nécessité impérieuse, après deux guerres mondiales désastreuses, de développer une vision de l'histoire, valable pour l'Europe entière, celle de l'Ouest, celle de l'Est et la Russie ("gesamteuropäische Geschichte"). Personnellement, nous estimons que les prémisses pratiques d'une telle vision grande européenne de l'histoire se situent déjà toutes en germe dans l'œuvre politique et militaire du Prince Eugène de Savoie, qui parvient à mobiliser et unir les puissances européennes devant le danger ottoman et à faire reculer la Sublime Porte sur tous les fronts, au point qu'elle perdra le contrôle de 400.000 km2 de terres européennes et russes. Le Prince Eugène a définitivement éloigné le danger turc de l'Europe centrale et a préparé la reconquête de la Crimée par Catherine la Grande. Plus jamais, après les coups portés par Eugène de Savoie, les Ottomans n'ont été victorieux en Europe et leurs alliés français n'ont plus été vraiment en mesure de grignoter le territoire impérial des Pays-Bas espagnols puis autrichiens; les Ottomans n'ont même plus été capables de servir de supplétifs à cette autre puissance anti-impériale et anti-européenne qu'était la France avant Louis XVI.

 

Le testament de Hoetzsch nous interpelle !

 

Mais le propos de Hoetzsch, dans sa dernière conférence, n'était pas d'évoquer la figure du Prince Eugène, mais de jeter les bases d'une méthodologie historique et sociologique pour l'avenir; elle devait reposer sur les acquis théoriques de Karl Lamprecht, de Gustav Schmoller (inspirateur du gaullisme dans les années 60 du 20ième siècle) et d'Otto Hintze. Il faut, disait Hoetzsch, développer une histoire intégrante et comparative pour les décennies à venir. En affirmant cela, il n'avait aucune chance de se voir exaucer en 1946, encore moins en 1948 quand, après le Coup de Prague, le Rideau de Fer s'abat sur l'Europe pour quatre décennies. En 1989, immédiatement après l'élimination du Mur de Berlin et l'ouverture des frontières austro-hongroises et inter-allemandes, l'Europe et la Russie auraient eu intérêt à remettre les propositions de Hoetzsch sur le tapis. Au niveau scientifique, des études remarquables ont été réalisées effectivement, mais rien ne semble transparaître dans la presse, faute de journalistes professionnels capables d'appliquer les leçons pédagogiques de Haushofer et de Radós. Les journalistes ne sont plus des hommes et des femmes en quête de sujets intéressants, innovateurs, mais bel et bien ceux que Serge Halimi nomme avec grande pertinence les "chiens de garde" du système. Les journaux et les revues constituaient la voie de pénétration vers le grand public dont disposaient jadis les instituts de sciences humaines et les universités; pour tout ce qui est véritablement innovateur, pour tout ce qui va à l'encontre des poncifs répétés ad nauseam, cette voie est désormais bien verrouillée, dans la mesure où les journalistes ne sont plus des hommes libres, animés par la volonté de consolider le Bien public, mais d'ignobles et méprisables mercenaires à la solde du système et des puissances dominantes.  Toutefois, le défi que nous a lancé Brzezinski en 1996, en publiant son fameux livre, The Grand Chessboard, où sont étalées sans vergogne toutes les recettes thalassocratiques pour neutraliser l'Europe et la Russie, avec l'aide de cet instrument qu'est le complexe militaro-mafieux turc,  —potentiellement étendu à toute la turcophonie d'Asie centrale—  montre une nouvelle fois qu'une riposte européenne et russe doit nécessairement passer par une vision claire de l'histoire, vulgarisable pour les masses. Le destin tragique de Hoetzsch, son courage opiniâtre qui force l'admiration, sa modestie de grand savant, nous interpellent directement: notre amicale paneuropéenne a pour devoir de travailler, modestement, dans son créneau, à l'avènement de cette historiographie grande européenne que Hoetzsch a voulu. Au travail!

 

Robert STEUCKERS.

(Forest-Flotzenberg, Vlotho im Weserbergland, août 2002).

mercredi, 06 octobre 2010

Les Hellènes en Mer du Nord

Les Hellènes en Mer du Nord

 

Germ350_B23757-9_U1D.gifAprès bien des tâtonnements, confinant à l’archéologie-fiction, l’itinéraire de l’expédition grecque de Pythéas en Mer du Nord, autour des Iles Britanniques et le long des côtes norvégiennes vient d’être reconstitué par une équipe de chercheurs de la « Technische Universität Berlin ». La tradition des hellénistes rapporte, en effet, que Pythéas a quitté Massalia (Marseille), vers 330 avant J. C., pour cingler vers le nord et atteindre, dit-on, la mystérieuse île de Thulé, que les Anciens considéraient comme l’extrémité septentrionale du monde. C’est ici que les spéculations allaient bon train : cette île de Thulé était-elle l’Islande, la Norvège (prise erronément pour une île), les Shetlands, les Orcades ou les Féroé ?

 

L’équipe des chercheurs berlinois s’est concentrée sur l’étude des longitudes et latitudes et sur tous les éléments issus des textes antiques et signalant une durée de voyage, une distance évaluée par les marins de Massalia. L’équipe pluridisciplinaire, comptant des mathématiciens, des spécialistes de la géodésie et des historiens de l’antiquité, a pu finalement décrypter, grâce à tout un éventail de technologies modernes, ce que fut le trajet accompli par Pythéas et ses compagnons.

 

Le résultat est aussi intéressant que révolutionnaire. Après avoir contourné la péninsule ibérique par cabotage, Pythéas a traversé la Manche de Brest aux Cornouailles, pour poursuivre sa route, toujours par cabotage, le long de la face occidentale de la Grande-Bretagne, jusqu’aux Shetlands. De là, il a pris le risque de s’aventurer en haute mer, poussé par les vents, pour arriver en Norvège dans le Fjord de Trondheim. D’après les sources antiques, ce voyage des Shetlands à Trondheim, la Thulé des Grecs anciens, aurait duré six jours (soit 90 km par journée de trajet). Cette durée paraît réaliste, d’autant plus que cela correspond à la journée quasi boréale que décrit Pythéas : « le soleil, là-bas, ne prend que deux à trois heures de repos ». Tel est effectivement le cas, en été, dans la région de Trondheim.

 

On suppose que Pythéas a entrepris son expédition vers le nord pour le compte des marchands grecs de Massalia, afin de repérer des sites où se procurer de l’étain (Cornouailles) ou de l’ambre (que l’on trouve partout dans la région baltique et le long des côtes danoises de la Mer du Nord), deux matières jugées utiles ou précieuses dans l’antiquité et introuvables dans le bassin méditerranéen.  

 

(source : « Der Spiegel », n°32/2010, p. 109).

 

Les résultats obtenus par l’équipe berlinoise peuvent se lire dans un ouvrage paru auprès d’un prestigieux éditeur scientifique :

 

- A. KLEINEBERG, C. MARX, E. KNOBLOCH, D. LELGEMANN, Germania und die Insel Thule, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt, 176 p., 29,90 euro.

 

Notice de l'éditeur

 

Kleineberg, Andreas / Marx, Christian/ Knobloch, Eberhard / Lelgemann, Dieter
Germania und die Insel Thule

Die Entschlüsselung von Ptolemaios’ ›Atlas der Oikumene‹

Forschung
2010. 131 S. mit 4 farb. Vorsatzkt., 8 s/w Kt. u. 10 Tab., Sachverz. u. Index. 17 x 24 cm, Fadenh., geb. mit SU.
Lieferbar
B 23757-9


Langtext
»It is one of the most puzzling riddles of antiquity« galt seit 1952 für den Weltatlas des Klaudios Ptolemaios aus dem zweiten Jh. n. Chr. Doch was ist daran so rätselhaft? Die Schrift des großen Mathematikers und Geographen enthielt mutmaßlich keine Landkarten, wohl aber mehrere Tausend Städtenamen mit Angabe ihrer geographischen Koordinaten, deren heutige Lage bislang nicht entschlüsselt werden konnte. Durch interdisziplinäre Zusammenarbeit zwischen Geodäten und Wissenschaftshistorikern ist es einem Forscherteam der TU Berlin gelungen, die Angaben für ›Germania Magna‹ und der sagenhaften Insel Thule zu decodieren. Das Ergebnis ist nichts weniger als revolutionär, weil sich praktisch Hunderte Verortungen erstmals schlüssig klären lassen. Das Weltbild der Antike muss hierdurch mit völlig neuen Augen betrachtet werden!

Autoreninfo

Christian Marx, geb. 1976, ist wissenschaftlicher Mitarbeiter am Institut für Geodäsie und Geoinformationstechnik der TU Berlin.

Dieter Lelgemann, geb. 1939, ist emeritierter Professor für astronomische und physikalische Geodäsie an der TU Berlin. Er beschäftigt sich u. a. mit der Geschichte der antiken Geodäsie in den hellenistischen und chinesischen Kulturen. Sein 2009 bei der WBG erschienenes Buch ›Die Erfindung der Messkunst‹ fand breite Beachtung in der wissenschaftlichen Fachwelt. Zudem war er an dem 2010 bei der WBG erschienenen Buch ›Germania und die Insel Thule‹ als Autor beteiligt.

Eberhard Knobloch, geb. 1943, ist emeritierter Professor für Geschichte der exakten Wissenschaften und der Technik an der TU Berlin und Projektleiter an der Berlin-Brandenburgischen Akademie der Wissenschaften. Von 2001 bis 2005 war er Präsident des deutschen nationalen Komitees für Wissenschaftsgeschichte. Seit 2006 ist er Präsident der European Society for the History of Sciences.

Andreas Kleineberg, geb. 1970, ist wissenschaftlicher Mitarbeiter am Institut für Geodäsie und Geoinformationstechnik der TU Berlin.


mardi, 05 octobre 2010

La place de la Russie dans l'histoire de la diplomatie européenne

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES- 1997

La place de la Russie dans l'histoire de la diplomatie européenne

 

Intervention de Robert Steuckers lors du 1er Colloque de l'Atelier régional d'Ile-de-France de Synergies Européennes, le 8 mars 1997

 

On ne peut évaluer la place et l'importance de la Russie dans la tradition diplomatique européenne que sur base des textes existants. Les premiers textes valables pour juger l'émergence de la Russie dans la réalité politique européenne datent de l'époque de Pierre le Grand. Ce Tsar a manifesté durant son règne la volonté de faire de la Russie un Etat organisé à l'européenne, participant pleinement au concert des Etats européens. Cette volonté peut se concrétiser dès l'effondrement de la puissance polono-lithuanienne qui conduira aux partages successifs de la Pologne, achevés tout à la fin du XVIIIième siècle.

 

Cependant, en dépit de la volonté de Pierre le Grand, la Russie ne se laissera jamais appréhender par les mêmes concepts politiques et géographiques que le reste de l'Europe. Cette différence est due à la qualité, aux dimensions et à l'immensité de son territoire, qui fait charnière entre l'Europe et l'Asie. Dès le départ, dès les premiers textes rédigés en Europe sur la Russie et destinés aux chancelleries, on perçoit la dimension eurasienne de la Russie, malgré la volonté de Pierre le Grand de s'aligner exclusivement sur l'Europe.

 

Aujourd'hui, les cercles politiques et culturels européens, toutes tendances confondues, font désormais face à une Russie complexe, immense, tout à la fois européenne et asiatique, échappant aux règles des idéologies occidentales. Ils ne font plus face à une URSS à l'idéologie monolithique, parfois plus aisée à comprendre, encore que les arcanes peu déchiffrables de la soviétologie ont souvent induit en erreur des soviétologues patentés comme Alain Besançon ou Hélène Carrère d'Encausse... Récemment, pendant l'été 1993, la presse à sensation de Paris a parlé d'une alliance entre “rouges” et “bruns”, de l'émergence inquiétante d'un bloc “national-communiste”, en embrayant sur des phénomènes somme toute superficiels et sans tenir nullement compte de la longue histoire des rapprochements et des ruptures entre la Russie, d'une part, et les autres puissances européennes, d'autre part. La phobie du complot “rouge-brun” a fait long feu car les connaissances historiques la­cunaires des quelques journalistes fort prétentieux et très braillards qui ont déclenché le scandale étaient bien maigres. Leur bricolage n'était qu'un jeu médiatique. Quant à ceux qui se sont déclarés “rouges-bruns”  dans la foulée, pour entrer dans le jeu des hystéries médiatiques et faire parler de leurs personnes, on décèle aisément chez eux une volonté d'apparaître comme de “grands scandaleux”, de “grands méchants loups”, additionnant toutes les rigueurs des totalitarismes stalinien et hitlérien de ce XXième siècle.

 

Pour éviter la répétition malheureuse de telles sensations médiatiques, pour échapper aux hypersimplifications de la presse parisienne, il m'apparaît nécessaire de retourner à l'histoire de la diplomatie européenne et de voir comment le rapport Europe/Russie est perçu dans les chanceleries et comment il transcende et chevauche les étiquettes de “gauche” et de “droite”. Il convient d'examiner comment les concepts de la géopolitique sont nés il y a près de 300 ans, au départ de ré­flexions sur l'immensité du territoire russe, ensuite de voir comment ils ont été articulés dès l'époque napoléonienne. Il con­vient de déceler quelles polarités ont été mises en exergue dans le contexte tourmenté des guerres de la Révolution et de l'Empire, de voir comment les conflits ont été explicités.

 

Accusé d'avoir fait partie de ce complot “rouge-brun” pour avoir participé à un débat avec Ziouganov, président du PCFR, et Volodine, son ajoint et conseiller, à Moscou en avril 1992, débat portant sur une alternative éthique au néo-libéralisme (!), sur l'œuvre de François Perroux, sur l'anti-utilitarisme, débat retransmis ensuite dans la presse russe (Dyeïnn) et serbe (Duga), j'étais redevable d'une explication, non pas aux ignares de la presse parisienne mais à mes lecteurs et à mes abonnés. Je m'étais déjà expliqué par bribes dans un interview (cf. NdSE n°2; versions portugaise et néerlandaise également disponibles). J'entends, dans cette allocution qui deviendra très prochainement texte, être plus exhaustif. J'avais le devoir d'approfondir la question pour confondre les piteux, médiocres et minables journalistes parisiens du Monde et d'autres gazettes de bas étage qui se sont donnés en spectacle pendant l'été 1993. J'avais le devoir intellectuel de retourner au réel pour réduire à néant les simplifications esthétisantes des néodroitistes et nationaux-révolutionnaires parisiens, relevant de la même engeance journa­listique que leurs adversaires, qui n'ont pas de projets cohérents ni de discours étayés, mais qui aiment à répéter “je suis un grand méchant” ou un “grand-pervers-qui-pense-tout-ce-qui-est-interdit-de-penser”. Afin, bien sûr, de ne plus jamais se lais­ser embarquer dans un jeu médiatique aussi stérile que celui de l'été 1993.

 

Les spéculations sur la nature politique et géographique de la Russie commencent dans l'œuvre de Leibniz, qui a cumulé les positions de philosophe, de mathématicien, de conseiller du Prince et de diplomate. Pour la première fois, Leibniz livre à ses lecteurs européens une réflexion politique profonde sur la Russie. Leibniz a forgé des concepts instrumentalisables pour faire face à la nouvelle réalité géographique et politique qui se présentait aux portes de l'Europe. Pierre le Grand venait en effet d'annoncer qu'il ferait de la Russie un Etat européen, participant au concert des nations européennes. En 1669, Leibniz réagit face à la question polonaise. La Pologne, voisine de la Russie, était, avant l'émergence de celle-ci, la puissance la plus “orientale” de l'Europe. Cette Pologne était une “république aristocratique”, tolérante sur le plan religieux, fantaisiste sur le plan culturel et littéraire, brillante dans les arts, fébrile et mobile sur le plan militaire, avec sa cavalerie portée par un “mythe sar­matique”, où l'aristocratie polonaise se décrivait comme la descendante de cavaliers sarmates venus d'Iran, du Caucase et des régions pontiques. La monarchie de cette Pologne était élective. Avant l'élection du nouveau monarque, l'Allemand Leibniz donne son avis: il est alors “russophobe”, se méfie de cet immense pays dont on connaît finalement peu de choses, et espère la défaite du candidat qui a les faveurs de la Moscovie. Sinon, dit-il, le “rempart polonais” qui protège l'Europe va tomber, ce qui amènera les “barbares asiatiques” au centre de notre sous-continent et aux frontières du Reich. Ceci est la première posi­tion de Leibniz et elle est anti-russe.

 

Mais très vite, cette position se juxtaposera à une deuxième: il faut inclure la Russie dans une grande alliance européenne anti-turque («Quid si ergo posset Moscus quoque in anti-turcicum foedus pellici»). En effet, avant sa longue désagrégation, la Pologne était forte. Rappelons l'intervention des troupes de Jan Sobiesky et du Hongrois Janos Hunyadi lors des Croisades anti-ottomanes dans les Balkans et lors de la défense de Vienne aux XVième et XVIième siècles. La Russie de Pierre le Grand devra reprendre à son compte la fonction de cette puissante Pologne de Sobiesky. Telle est la seconde position de Leibniz.

 

Dans la troisième position qu'il adopte face à la Russie montante, Leibniz jette les bases de ce qu'il est convenu d'appeler l'“eurasisme”. Dans son texte de 1697, Novissima Sinica, Leibniz écrit que la masse continentale euro-asiatique compte deux anciennes civilisations: 1. Rome/Europe (le Reich); 2: La Chine. La Russie, poursuit-il, doit faire le lien entre ces deux civili­sations en organisant son propre territoire. L'Europe acquerra un avantage si c'est elle qui communique à la Russie les re­cettes de la “bonne” organisation politique, territoriale, administrative, etc.

 

Dans sa quatrième position, Leibniz parle de la Russie comme d'une tabula rasa, comme d'un espace vierge, où l'on pourra tester toutes sortes d'expériences. La Russie est un pays qui offre des milliers de possibilités (comme on le dira plus tard des Etats-Unis). Il permettra d'absorber une immigration paysanne allemande.

 

Dans sa cinquième position, prise en 1712 lors de la guerre entre la Suède et la Russie pour la maîtrise de l'axe fluvial “gothique”, joignant la Baltique à la Mer Noire, afin d'assurer la translation de l'héritage polono-lithuanien. Leibniz, Allemand, s'oppose à toute expansion de la Russie vers le Nord, mais favorise toute expansion vers le Sud. Cette position allemande est une constante: on l'a vu se manifester lors de l'indépendance des Pays Baltes (en 1919 comme en 1991), de la Finlande, dans les intentions lisibles en filigrane dans les clauses du Pacte germano-soviétique de 1939, dans les concessions accordées en théorie par Jirinovski aux Suédois et aux Allemands dans son projet de “grande avancée vers le Sud”. Symptomatique est le fait que Jirinovski insiste si fortement en Allemagne et en Suède sur l'orientation méridionale des hypothétiques efforts de “sa” future Russie.

 

Dans sa sixième position, Leibniz approfondit sa réflexion sur la qualité de tabula rasa  du territoire russe. La Russie est vierge, dit-il, on peut y importer tant les vices que les vertus de l'Europe. Mais Leibniz est pessimiste, conservateur. Pour lui, l'Europe décadente est travaillée et minée par ses vices. Il raisonne binairement en opposant une Europe décadente à une Russie pure. Adepte de l'idéologie des Lumières à ses débuts, Leibniz poursuit un objectif pédagogique: si la Russie est pure, vierge et “mineure”, elle peut devenir l'objet d'une pédagogie vertueuse et éviter ainsi d'entrer directement en décadence à cause de ses nouveaux contacts avec l'Europe malade.

 

En résumé: l'Europe, par la voix de Leibniz, est favorable à la Russie quand elle avance ses pions vers le Sud contre les Turcs, vers la Mer Noire, mais pas encore vers les Balkans, territoire réservé à l'époque aux Hongrois et aux Autrichiens, protecteurs des Serbes, après la libération de Belgrade en 1717/18. En revanche, l'Europe se montre hostile à la Russie quand elle avance ses pions vers le Nord. Comme Leibniz, elle se montre pro-suédoise, pro-polonaise (puis pro-ukrainienne), car, pour elle, l'axe gothique est un espace intermédiaire entre la Russie et l'Europe, qui a une logique propre qu'il convient de con­server, tandis que l'espace balte est un indispensable espace de transition entre Russes, Suédois et Allemands

 

Herder précisera cette vision d'un espace balte d'échange culturel. Herder est le père des nationalismes germaniques et slaves, le théoricien de la relativité culturelle, des différences, de la valorisation des origines de toute culture au détriment des époques plus tardives, jugées déclinantes. En 1769, dans le journal qu'il a écrit au cours de son voyage de la Livonie (en Lettonie actuelle) à Nantes, Herder écrit que l'Europe est vieillie, décadente, qu'elle a épuisé ses potentialités. Face à elle, la Russie possède encore des atouts, des potentialités. Il faut travailler la Russie, dit Herder, pour en faire un modèle pour le reste de l'humanité. La pensée de Herder est à la fois liée aux Lumières car elle est pédagogique, elle veut étendre au monde entier des idées européennes qui ne sont ni le rationalisme occidental ni le césaro-papisme catholique. Mais si cette pensée de Herder est liée aux Lumières, elle est en même temps critique à leur égard. La critique de Herder s'articule surtout autour de l'optimisme et de la prétendue unicité du modèle des Lumières. Pour Herder, théologien protestant, toute culture est une manifestation voulue par Dieu et celui-ci se manifeste de multiples façons, donc seule la pluralité des cultures est légitime, est œuvre de Dieu. L'histoire d'un peuple particulier est simultanément l'histoire d'un possible humain, universellement valable.

 

Sur base de ces principes, Herder énonce des projets pour l'Europe orientale et la Russie. Il privilégie les Pays Baltes, dont il est issu, comme espace d'échanges entre l'Europe germanique et la Russie. Mais il concocte également des projets sédui­sants pour l'Ukraine, la Crimée et la rive septentrionale de la Mer Noire. La mission de la Russie, à ses yeux, est de recréer un nouvel hellénisme sur le pourtour de la Mer Noire et de faire de la Crimée sa capitale. En énonçant ce grand projet, il re­prend l'idée allemande d'un “Drang nach Süden” russe et souligne l'importance capitale de la Crimée sur le plan géopolitique (pendant la guerre civile entre Blancs et Rouges, la Crimée, sous le Général Wrangel, a été un enjeu majeur du conflit; le IIIième Reich concoctait également des plans germanisants/hellénisants pour la Crimée et le conflit russo-ukrainien d'aujourd'hui rappelle l'importance géopolitique de cette presqu'île). Le “Projet grec” de Herder sera repris par Catherine II et instrumentalisé contre l'Empire ottoman que la fougueuse Tsarine chassera des rives septentrionales de la Mer Noire.

 

Le jugement que porte Herder sur l'œuvre de Pierre le Grand est également fort intéressant. Herder reproche au Tsar Pierre d'avoir négligé la culture “naturelle” de la Russie, de ne pas avoir tablé sur ses atouts nationaux et surtout d'avoir fait de la Russie une “pyramide inversée” qui risque de s'effondrer tôt ou tard dans la catastrophe. Herder prédit ainsi pour la première fois la révolution russe de 1917.

 

De 1789 à 1820, c'est-à-dire de la Révolution française à l'avènement de la Monarchie de Juillet, la réflexion sur la Russie va s'articuler autour de trois oppositions:

1. L'opposition entre liberté et despotisme, où l'Ouest est la liberté et la Russie, le despotisme (Marx reprendra cette di­chotomie russophobe, et, dans le marxisme, on parlera parfois de “despotisme oriental”).

2. L'opposition entre légitimité et révolution, où la Russie est le bastion de la contre-révolution. Nous avons là ante litte­ram une dialectique Est-Ouest, où la droite légitimiste est pro-orientale et anti-occidentale, contrairement à ce que nous avons connu pendant la guerre froide. Dans l'Allemagne de la “révolution conservatrice”, Moeller van den Bruck, traducteur de Dostoïevski, réfléchit sur l'itinéraire de ce dernier: révolutionnaire dékabriste, il deviendra légitimiste, en percevant l'insuffisance des idées occidentales. Moeller et, à sa suite, les diplomates allemands conserveront l'espoir légitimiste-con­servateur en la Russie, en dépit de la révolution bolchevique.

3. L'opposition Terre/Mer ou Russie/Angleterre. Ces réflexions ont annoncé la géopolitique de McKinder et de Haushofer, ainsi que l'œuvre de Carl Schmitt. Face à cette dualité Terre/Mer, notons la position intermédiaire prise par la France. La France est une “civilisation équilibrée” entre Terre et Mer, elle s'oppose également au “navalisme anglais” et au “despotisme exclusivement tellurique” de la Russie. Quand, sous Napoléon, la France s'identifie à l'Europe, comme l'Allemagne s'y identi­fiera pendant les deux guerres mondiales, les Continentaux percevront l'Europe comme le centre du monde et de l'histoire mondiale.

 

La période qui s'étend de 1789 à 1830 est une période de grande effervescence. Pour reprendre la terminologie de Carl Schmitt, c'est la fin du jus publicum europæum. L'idée révolutionnaire veut se planétariser, ne connaît ni repos ni mesure. Au cours de cette période, les diplomates écrivent une quantité impressionnante de rapports dont la teneur est proprement géopolitique. Nous allons examiner ceux qui concernent notre propos d'aujourd'hui: la Russie.

 

En 1791, un rapport anglais anonyme, intitulé Russian Armament, jette les bases de l'hostilité anglo-saxonne à l'encontre de la Russie. La Russie est désignée clairement comme l'ennemi car elle vise l'élimination de la présence ottomane en Mer Noire et dans les Balkans. Nous avons là le premier indice de l'alliance réelle et tacite entre Londres et la Turquie, entre la thalasso­cratie anglo-saxonne et la Sublime Porte. Le rapport poursuit: l'avancée de la Russie vers Constantinople menace 1) l'Egypte (on prévoit déjà en Angleterre le percement du Canal de Suez) et 2) le commerce du Levant. Donc, pour les diplomates an­glais, l'existence de l'Empire Ottoman, y compris sa présence dans les Balkans, garantit l'équilibre européen (l'argument sera repris lors de la Guerre de Crimée); l'Empire Ottoman est un barrage contre la Russie qu'on soupçonne vouloir s'emparer des Indes (en 1800-1801, effectivement, le Tsar Paul I, allié de Napoléon, projette l'invasion des Indes). Dans d'autres mani­festes anonymes parus entre 1792 et 1793, des observateurs anglais envisagent une alliance entre la France, l'Angleterre et la Turquie, pôle de la liberté, contre l'Autriche, la Prusse et la Russie, pôle du despotisme.

 

Cette tentative de rapprochement, en pleine guerre, de l'Angleterre avec la France révolutionnaire peut s'expliquer clairement si l'on a lu le livre de l'historien français Olivier Blanc, Les hommes de Londres. Histoire secrète de la Terreur (Albin Michel, 1989). Blanc nous y démontre les mécanismes d'organisation de la guerre civile en France, mis en œuvre depuis Londres, afin de venger la bataille de Yorktown (1781) qui avait donné la victoire aux insurgés américains avec l'appui de troupes et de vaisseaux français. Par ailleurs, l'Angleterre visait à détruire les ressorts de la politique navale de Louis XVI, qui avait connu quelques succès militaires. Les manifestes anonymes réclamant une alliance avec la France demandent implicitement l'arrêt de cette politique secrète d'organisation de la guerre civile en France, d'autant plus que les troupes autrichiennes et prus­siennes avancent dans le Nord et en Lorraine, risquant d'affaiblir définitivement la France et de souder au Nord et au centre de l'Europe un bloc germanique et impérial solide. L'Angleterre, au nom de l'équilibre continental, cherche à changer d'alliés et à se ranger du côté du plus faible. Mais, coup de théâtre, la France est victorieuse à la bataille de Fleurus en 1793: elle devient la plus forte puissance européenne, s'installe en Brabant et à Anvers, ce qui, pour Londres, est intolérable. L'Angleterre, pour respecter sa politique d'équilibre, doit lui faire la guerre, de concert avec les Prussiens et les Autrichiens. Quand l'Allemagne, après Bismarck, sous Guillaume II et avec la politique navale de von Tirpitz, deviendra la plus forte des puissances euro­péennes, l'Angleterre fera la guerre contre elle, en utilisant les ressources humaines de la France.

 

C'est sur cet arrière-plan que Wilhelm von Byern en 1794 propose une alliance germano-russe contre la France révolution­naire et E. von Zimmermann une alliance germano-franco-anglo-russe contre le challengeur qui pointe à l'horizon, l'Amérique. Mais le théoricien le plus pointu qui a esquissé les grandes lignes d'une politique générale pour vertébrer l'Europe, pendant cette époque de troubles et de désorientements, reste le Français Bertrand Barère de Vieuzac. En 1798, il rédige un manifeste intitulé La liberté des mers ou le gouvernement anglais dévoilé;  ce texte fondamental annonce et anticipe véritable­ment le noyau central des doctrines géopolitiques allemandes de ce siècle (Haushofer) et les positions telluriques et anti-tha­lassacratiques de Carl Schmitt. Pour Barère de Vieuzac, le véritable principe dissolvant n'est pas tant la révolution que le “principe industriel”, générateur de flux incontrôlables. L'industrie anglaise, dit Barère de Vieuzac, découle de la navigation, dès lors les flots générés par la production de marchandises correspondent aux flots océaniques, sur lesquelles rien ne peut se construire. L'industrie induit une démonie de la technique, qui abolit toutes les barrières, frontières, etc. Elle abolit le prin­cipe traditionnel de la famille avec son ancrage dans la Terre. C'est au départ de ce texte de Barère de Vieuzac que le poète Rudolf Pannwitz (cf. NdSE n°19) chantera son apologie de la Terre et de l'Imperium Europæum et que le Carl Schmitt d'après 1945 élaborera son anti-thalassocratisme fondamental (cf. Terre et Mer & Glossarium). Pour Barère de Vieuzac, l'Europe est une terre de civilisation et d'enracinement qui s'oppose tout naturellement à l'Angleterre, qui domine l'espace fluide de la mer sur lequel aucune civilisation ne peut éclore, et à la Russie, qui domine un espace mouvant de terres non travaillées. Son dis­ciple Eschasserieux propose dès lors une alliance franco-prussienne contre l'Angleterre et la Russie. C'est dans les travaux de Barère de Vieuzac et d'Eschasserieux qu'on trouve l'origine des rapprochements franco-allemands, depuis le napoléo-gaullisme de Pannwitz jusqu'à la réconcialisation préconisée par Adenauer et De Gaulle en 1963 et à la présence d'un Ernst Jünger lors de la visite de Kohl et Mitterand à Verdun.

 

Chez les nationalistes allemands de la première génération, nous trouvons d'autres approches, qui, elles aussi, ont connu une postérité. Pour Ernst Moritz Arndt, auteur de Deutsche Volkswerdung,  l'analyse est plus subtile: l'opposition fondamentale, pour Arndt, n'est pas tant la révolution ouest-européenne contre la contre-révolution russe, ou la civilisation française, alle­mande et européenne contre la barbarie russe (comme le voulaient les russophobes napoléoniens), mais l'opposition entre pays fermés non organisés et pays ouverts à la mer (sans pour autant être thalassocratiques). Arndt préfigure là la géopo­litique de Ratzel.

 

Quant au poète Jean-Paul en 1810, il se moque de la russophobie qui décrit les Russes comme des “barbares”, mais reste attaché à l'idée pédagogique de l'Aufklärung (que l'on a repérée de Leibniz à Herder). Selon cette idée laïque et missionnaire, la Russie est certes encore “barbare” mais elle se civilisera sous l'influence européenne. Remarquons que la russophilie de Jean-Paul n'est pas encore celle des narodniki russes: il ne rejette pas l'intellectualisme de l'Aufklärung mais ne parie pas sur les ressorts naturels du peuple russe, qu'il juge encore “inférieurs” et “mineurs”.

 

Heinrich von Kleist, dans son essai Über das Marionettentheater  (1810) décrit un monde futur totalement technicisé et ratio­nalisé, mais, dans ce monde figé, tout à coup, un ours déboule sur la scène; il est le symbole de l'Est, de la Russie; il repré­sente la force de l'instinct qui domine toute technique. Contre l'instinct, inutile de se battre, il ne faut attendre aucune victoire. L'Ouest, c'est Napoléon, l'ours, c'est la Russie. Cette argumentation sera reprise par Niekisch dans ses articles “nationaux-bolcheviques” de la revue Widerstand.

 

En France, c'est le traditionalisme anti-révolutionnaire qui développera des réflexions intéressantes sur la Russie. Pour Louis de Bonald (1754-1840), dans ses Discours politiques sur l'état actuel de l'Europe  (1802), la Russie est, depuis la chute de l'Empire romain, la plus grande force d'expansion à l'œuvre en Europe. Mais, ajoute-t-il, son christianisme est “byzantin”, donc, du point de vue catholique de Bonald, il est un mélange de “superstitions” d'“idolâtrie” et de “morceaux de christia­nisme”. Dans les droites catholiques et françaises, Bonald introduit un ferment russophobe d'anti-byzantinisme, contre lequel s'insurgera le Russe Leontiev (cf. Vouloir n°6/1996). A cet anti-byzantinisme, Bonald ajoute un jugement sur l'œuvre de Pierre le Grand: il estime qu'avoir voulu l'européanisation de la Russie est une bonne initiative, mais, déplore Bonald, “il a introduit la corruption avant de former la raison”. Bonald veut dire par là que Pierre le Grand a d'abord favorisé le commerce et l'industrie avant d'établir des lois. Il aurait dû favoriser les classes rurales, puis assurer le primat de la chose militaire, de la souverai­neté et de la paysannerie sur les fonctions de négoce. Bonald développe une critique conservatrice de l'idéologie marchande, vectrice de corruption, mais souhaite la conversion de la Russie au catholicisme. Il introduit ainsi un motif de russophobie ré­current dans la pensée politique conservatrice en France.

 

Joseph de Maistre (1753-1821) critique à son tour l'œuvre de Pierre le Grand, qui s'est laissé entraîner par “l'esprit de fabri­cation”. Comme cet esprit de “fabrication” (on dirait aujourd'hui: ce “constructivisme”) s'est insinué dans la vie politique russe dès l'origine de son européanisation, il est appelé à s'accentuer en dépit des barrières traditionnelles et provoquera une révo­lution (avec la critique de Herder qui voit dans la Russie de Pierre le Grand une “pyramide inversée” prête à basculer, la cri­tique de J. de Maistre est la seconde prédiction de la révolution russe, un siècle avant les faits).

 

La fin de l'aventure napoléonienne se déroule sous le règne du Tsar Alexandre I. Celui-ci fournit le gros des troupes de la coa­lition anti-napoléonienne, si bien qu'il acquiert le titre de “Libérateur de l'Europe”. Il est forcément peu perçu comme tel en France mais bien en Allemagne ou en Belgique (où le souvenir de “Pietje le Cosaque”, à Gand, au moment des premières manifestations flamingantes, reste dans les mémoires). L'idée motrice d'Alexandre I était de constituer une “Sainte-Alliance” en Europe. La mission de la Russie est de donner corps à cette initiative, visant à terme la “monarchie universelle”, que ses adversaires déclareront bien vite “despotique”. Cette idée du Tsar Alexandre I provient de deux sources:

1) La “pansophie” de Louis-Claude de Saint-Martin, qui visait à transcender les clivages religieux en Europe entre orthodoxes, protestants et catholiques.

2) Le “Mouvement du Réveil” de l'Allemand Jung-Stilling.

 

Jung-Stilling (1740-1817) veut fusionner le piétisme et la mystique protestante. Il élabore le concept de “nostalgie” (Heimweh, également titre d'un roman). La nostalgie est toujours nostalgie de la patrie céleste, de l'Empire de Dieu à construire. Pour Jung-Stilling, cet empire commencera à l'Est. Le christianisme s'est développé d'Est en Ouest et a décliné. Il faut faire le chemin inverse. Son disciple Johann Albrecht Bengel voit dans la Russie l'instrument de Dieu pour punir les nations: Napoléon est l'Antéchrist, Alexandre I, l'Ange de l'Apocalypse. En 1817, quand une famine éclate en Allemagne du Sud, les paysans adeptes du “Mouvement du Réveil” (catholiques et protestants confondus) émigrent vers la Russie, afin de s'installer dans l'antichambre du futur paradis et de fuir l'Europe qui allait subir une punition méritée.

 

Franz von Baader (1765-1841) recueille l'héritage de la mystique allemande de Jakob Boehme, de Louis-Claude de Saint-Martin, de Jung-Stilling et de Görres. Son objectif se confond avec celui d'Alexandre I: réconcilier catholiques et protestants dans l'orthodoxie, raviver la dimension religieuse eschatologique et mystique, faire de la Russie le site de la synthèse de ce renouveau religieux et de son armée l'instrument destiné à sauver l'Europe de la dissolution révolutionnaire.

 

Les idées traditionalistes, la coalition anti-napoléonienne, le “Mouvement du Réveil” poursuivaient un même objectif. D'où la théocratie chrétienne et pansophique, l'utopie tirée du “Mouvement du Réveil”, l'“entremission organique” (organische Vermittlung) participent du “Principe d'Etat” qui s'oppose à l'Etat mécanique des révolutionnaires (procédant de l'“esprit de fa­brication”) et au “Dieu mécanique” des philosophes. Mais la grande différence entre, d'une part, Baader et les catholiques pan­sophiques et pro-orthodoxes et, d'autre part, et Bonald, de Maistre et les catholiques stricto sensu, c'est que Baader est mo­niste (il veut façonner le futur et affirme que la bonne politique organique adviendra) tandis que Bonald et de Maistre sont dua­listes et prétendent que la bonne politique est une chose définitivement passée. Face à la position pro-orthodoxe de Baader, de Maistre avance que l'orthodoxie est figée. Baader lui répond que cela la rend imperméable aux idées révolutionnaires. Pour Baader en revanche, c'est le “papisme” qui est figé car il jette le soupçon sur l'intelligence et le savoir (selon l'adage: “point trop de science”). Le protestantisme selon Baader laisse libre cours au savoir et l'accumulation de “science” désoriente les hommes, incapables de maîtriser les flux de la connaissance. Pour Baader, science et foi ne doivent pas être distinctes: telle est la mission d'Alexandre I, de la Sainte-Alliance, du “Mouvement du Réveil”, de la Russie et de l'orthodoxie, face à l'“Ouest pourri” (gniloï zapad). Mais les forces les plus conservatrices de l'Eglise orthodoxe russe refusent la démarche d'Alexandre, jugé trop ouvert aux Catholiques et aux Protestants, les “Réveillés” sont expulsés de Russie, de même que Baader, qui ne peut plus s'y rendre et tire les conclusions de sa tentative avortée: «Le retour à une politique ecclésiale conservatrice va pro­voquer l'expansion du matérialisme en Russie et, sous le manteau d'une Eglise d'Etat, les tendances anti-chrétiennes pourront agir plus secrètement, donc plus destructivement». Troisième prévision de la révolution bolchevique...

 

Autre figure-clef de l'époque, l'Abbé Dufour de Pradt (1759-1837), archevêque et confesseur de Napoléon. Pour Dufour de Pradt, le monde contient “deux zones de principes et de langage”, la zone de l'“ordre absolu” et la zone de l'“ordre constitution­nel à des degrés divers”. Ces deux zones se livreront une lutte à mort. Dufour de Pradt annonce au fond la bipolarité de la guerre froide... L'Europe n'a plus le choix qu'entre devenir un protectorat anglais et devenir un protectorat russe. En 1819, Dufour de Pradt prévoit que l'Amérique remplacera l'Angleterre sur mer, avant même que le Président Monroe ne proclame sa célèbre “doctrine” en 1823. Pourquoi? Parce que tant la Russie que l'Amérique disposent d'espace. Dufour du Pradt écrit: «La Russie jouit de tous les avantages dont sont privés les anciens Etats de l'Europe, dans lesquels les espaces sont occupés par la population et par les cultures destinées à la subsistance. On a calculé l'époque à laquelle les Etats-Unis d'Amérique possèderaient une population de cent vingt millions d'habitants, la progression a même dépassé les prévisions. Pourquoi, dans un temps donné, la Russie ne s'élèverait-elle pas au même degré, car elle possède des éléments parfaitement semblables et égaux à ceux qui promettent aux Etats-Unis ce rapide accroissement? La faculté de nourrir sa famille est la limite de la popu­lation; c'est elle qui, dans les Etats peuplés, réduit les mariages à un si petit nombre. Mais il faut un long cours de siècles pour que cette limite sera atteinte en Russie, comme en Amérique; elle se peuplera donc à l'infini...».

 

Aux Etats-Unis, le diplomate Alexander H. Everett (1790-1847) constate que tous les mouvements politiques de son époque sont les conséquences de la Révolution, cherchent à poursuivre la Révolution. L'Europe, dit-il, doit s'unir sinon elle subira le sort des cités grecques, face à la puissante machine militaire et administrative romaine. Mais pour que cette unification ait lieu dans l'équilibre des forces, il faut en exclure la Russie, parce qu'elle a beaucoup d'espace et rompt cet équilibre. Néanmoins, elle va sauver l'Europe en l'unifiant de force: c'est alors que prendra fin l'ère révolutionnaire.

 

En Allemagne le Baron von Haxthausen (1792-1866) écrit que l'atout slave/russe majeur dans le concert politique européen de l'époque est le sens intact de la communauté (mir/obchtchina). Haxthausen influencera directement la pensée populiste russe, tant dans l'expression qu'elle s'est donnée chez Alexander Hertzen que dans celle des narodniki  (les slavophiles) ou des marxistes russes. Entre les uns et les autres, face à cette revendication de la “communauté”, il y tout de même des diffé­rences d'approche: les “progressistes” voient dans le mir une condition sociale favorisant l'avènement du socialisme, tandis que les narodniki y voient une suprématie morale. Pour Haxthausen, les “communautés” russes sont le fondement de l'ordre social car elles empêchent l'émergence d'un prolétariat. Haxthausen était conscient de la différence entre démocrarie orga­nique et démocratie atomisée.

 

Vu d'Europe, voici donc un vaste éventail de réflexions sur la Russie qui inspirent toujours les chanceleries. Elles apparais­sent limpides dans leur simplicité et continuent à structurer toute la pensée géopolitique, même si les noms de leurs auteurs sont aujourd'hui tombés dans un oubli non mérité.

 

Il nous reste à dire quelques mots sur l'Eurasisme. Les Anglais ont un mot pour désigner la lutte planétaire pour le contrôle de l'Asie Centrale et himalayenne: “The Great Game”, “le Grand Jeu”. ce “Grand Jeu” consiste à contrôler les espaces vides entre les grands pôles civilisationnels de l'Inde, de la Chine et de l'Europe. Car la maîtrise de ces espaces assure la domina­tion de la planète. Leibniz s'en était déjà confusément aperçu en rédigeant sa Novissima Sinica en 1697. Dès la fin du XVIIIième siècle, en 1796-97, les Anglais devinent que l'Europe (allemande ou française) et la Russie vont un jour ou l'autre contester ses positions en Inde. Pour les Anglais, il y avait des signes avant-coureurs, comme la conquête de Sébastopol par les troupes de Catherine II en 1783, qui devient port russe en 1784, prélude à l'annexion complète de la côte pontique entre le Dniester et le Boug à la suite de la Paix de Jassy en 1792. La Mer Noire devient un lac russe, tandis que les Pays-Bas méri­dionaux tombent aux mains des hordes révolutionnaires.

 

Napoléon, lui, se rend compte du désastre que constitue pour la France la perte de ses comptoirs indiens. D'où son plan de couper la route des Indes en s'installant en Egypte. Avant de se lancer dans cette entreprise, il dévore tous les livres sur l'Egypte: «J'étais plein de rêves. Je me voyais fondateur d'une nouvelle religion, marchant à l'intérieur de l'Asie monté sur un éléphant, avec un turban sur la tête et à la main le nouveau Coran que j'aurais écrit pour répondre à mes besoins». Le 19 mai 1798 une armada française, avec 40.000 hommes, quitte Toulon et Marseille pour se diriger vers l'Egypte. Aussitôt les Anglais envoient tous leurs navires du Cap et de Calcutta pour bloquer la Mer Rouge. Nelson détruit la flotte française en mouillage à Aboukir (1 août 1798).

 

En 1801, le Tsar Paul I suggère à Napoléon d'envahir l'Inde par la terre et met 35.000 cosaques à la disposition de ce projet. Pour les appuyer, il demande à Napoléon de lui envoyer une armée française par le Danube, la Mer Noire et la Caspienne. Napoléon juge le projet irréalisable. Le 24 janvier 1801, 22.000 cosaques et 44.000 chevaux quittent le sud de la Russie pour se diriger vers l'Asie centrale. Mais le 23 mars 1801, Paul I est assassiné et Alexandre I monte sur le trône. Les Anglais réagissent en envoyant au Moyen-Orient le jeune John Malcolm, un orientaliste, spécialiste de la Perse, nommé officier dès l'âge de 13 ans. Malcolm a pour mission de forger une alliance avec l'Iran, pour bloquer sur le “rimland” toute avancée française (ou russe ou européenne ou, plus tard, allemande) dans la zone s'étendant de la Syrie au Béloutchistan. La réaction russe est immédiate: le Tsar annexe la Géorgie en septembre 1801. En juin 1804, les Russes sont en Arménie, mettent le siège devant Erivan et engagent la guerre contre la Perse pour forcer le passage vers les Indes.

 

En 1804, les Perses appellent les Anglais au secours. Mais 1804 est également l'année où Napoléon devient “empereur”, pro­voquant un renversement des alliances et un rapprochement entre Russes et Anglais. Les Anglais ne font plus pression sur le Tsar pour qu'il rende à la Perse la Géorgie et l'Arménie. Le Shah n'a plus d'autre alternative que de se tourner vers la France. De 1804 à 1807, les tractations entre le Shah et Napoléon sont ininterrompues, la Perse devant servir de tremplin pour une re­conquête française des Indes. L'armée persane est entraînée par des instructeurs français. En 1807, à Friedland, Alexandre se rapproche à nouveau de Napoléon et participe au blocus continental; Français et Russes sont à nouveau alliés contre les Anglais. A Tilsit, la France et la Russie envisagent de bouter les Ottomans hors d'Europe, de s'allier avec la Perse pour mar­cher de concert sur les Indes, mais la France ne peut plus demander aux Russes de rendre la Géorgie et l'Arménie, poussant les Perses dans une nouvelle alliance anglaise!

 

Tels ont été les préludes du “Grand Jeu”. L'affrontement Terre/Mer entre la Russie et l'Angleterre se poursuivra pendant tout le XIXième siècle, véritable épopée avec, de part et d'autre, des héros sublimes et des aventuriers extraordinaires. Parmi les autres facettes du “Grand Jeu”, il y a eu la volonté de contrôler le Tibet (et surtout les sources des grands fleuves chinois, indochinois et birmans), de maîtriser la “Route de la Soie” et surtout le Turkestan chinois (ou Sinkiang). Des missions allemandes tenteront de forger une “alliance diagonale” entre le Reich, l'Empire Ottoman, la Perse, l'Inde et l'Indonésie. Le pantouranisme sera instrumentalisé par les Allemands en 1914, par les Britanniques après 1918. Pendant la guerre civile russe, les Anglais ont tenté de détacher le Caucase de la Russie, en incitant au massacre des commissaires communistes arméniens. Le Japon y participera en soutenant Koltchak et Unger-Sternberg en Asie. Aujourd'hui, avec la tentative de souder à la Turquie, alliée des Etats-Unis, toutes les républiques musulmanes de l'ex-Union Soviétique, le “Grand Jeu” est loin d'être terminé. Pour nous, il s'agit d'en étudier tous les mécanismes, d'en connaître l'histoire jusqu'en ses moindres détails.

 

Robert STEUCKERS

dimanche, 03 octobre 2010

Gli intellettuali tedeschi e la crisi di Weimar

Gli intellettuali tedeschi e la crisi di Weimar

Francesco Lamendola

Ex: http://www.centrostudilaruna.it/

In tempo di crisi – economica, politica, sociale e culturale -, gli intellettuali possono costituire un faro nella nebbia per i cittadini “comuni”? E, se lo possono, lo devono anche?

Qual è il loro ruolo, esattamente, nel contesto della società? È giusto aspettarsi da loro che siano la nostra coscienza critica? O forse non commettiamo l’errore, quando essi – specialmente in tempi di crisi – ci additano la Luna, di guardare il dito anziché la Luna, ossia di prendere troppo alla lettere ciò che essi dicono, invece di cogliere lo spirito che li muove e l’orizzonte cui aspirano e che cercano di dischiudere, per sé e per noi?

È facile fraintenderli, quando li si prende alla lettera: come nel caso dei surrealisti. Tutto essi volevano, tranne che fondare una scuola; il loro credo fondamentale era la rivolta contro ogni sistema, quindi anche contro il surrealismo. E invece che cosa fa il pubblico, davanti agli intellettuali che contestano un sistema ormai agonizzante? Li innalza sugli altari di un nuovo sistema; li promuove a profeti di una nuova religione – che essi lo vogliano o no. E, anche se lo vorrebbero – come nel caso di Spengler, di cui tra poco parleremo – non è detto che noi rendiamo loro un buon servizio, accontentandoli; certamente non lo rendiamo a noi stessi.

Tutte queste domande e queste considerazioni ci sono venute alla mente rileggendo un famoso brano del libro di H. Kohn (I Tedeschi, traduzione italiana Edizioni di Comunità, Milano, 1963), dedicato agli intellettuali tedeschi di fronte al nazismo.

Non è un brano molto breve, tuttavia ci sembra indispensabile riportarlo integralmente, per non correre il rischio di falsare, semplificandolo, il pensiero dell’Autore; dopo di che svilupperemo le nostre riflessioni, portandole dal piano storico contingente (la crisi della Repubblica di Weimar e l’avvicinarsi del nazismo al potere) a quello della riflessione storico-filosofica generale, per cercar di trarne qualche utile insegnamento per il presente.

«In poco più di un decennio gli intellettuali furono in grado di condurre il popolo tedesco nell’abisso. Non ci sarebbero riusciti se non fossero stati preceduti da generazioni di preparazione, in cui germanofilismo e antioccidentalismo erano divenuti sempre più caratteristici del pensiero nazionale. Nell’ultimo stadio il nazionalismo tedesco respinse non solo la civiltà occidentale, ma anche la validità della vita civile. «Il nuovo nazionalismo – ammonì Ernest Robert Curtius nel 1931 – vuole buttar via non solo il diciannovesimo secolo, attualmente tanto calunniato, bensì addirittura tutte le tradizioni storiche». I pensatori nazionalisti francesi – Charles Maurras,o Maurice Barrès – non si spinsero mai fino al punto di rivoltarsi contro la civiltà. In Germania gli antintellettuali non erano plebaglia, ma intellettuali di primo piano, uomini spesso di gusti raffinati e di grande erudizione.

Mettendosi a considerare ogni cosa dall’angolo visuale tedesco, essi si convinsero che la civiltà occidentale fosse dappertutto profondamente minata come in Germania. Partendo da osservazioni parziali arrivarono alle conclusioni più estreme. Identificarono la situazione tedesca, com’era peraltro da essi interpretata, con quella dell’umanità, addirittura con quella dell’universo. Gottfried Benn non dubitava che il periodo quaternario dell’evoluzione geologica stessa approssimandosi alla fine, che l’homo sapiens stesse diventando sorpassato. Nessuna espressione era tanto forte da riuscire a manifestare tutto l’odio nutrito per la civiltà occidentale, il liberalismo, l’umanitarismo. La filosofia di Martin Heidegger, la dottrina politica di Carl Schmitt, la teologia di Karl Barth contribuirono per parte loro a convincere gli intellettuali che l’umanità aveva raggiunto una svolta decisiva, una crisi senza precedenti causata dal liberalismo. Questi intellettuali guardavano dall’alto in basso l’Occidente con lo stesso disprezzo più tardi manifestato dai capi nazisti. Allo stesso tempo si mostravano arrogantemente sicuri che il pensiero tedesco, proprio per la sua consapevolezza della crisi, fosse l’unico degno della nuova epoca storica. […]

“La comprensione classica della tradizione, così viva in Goethe, fu perduta negli anni trenta in Germania come in Russia. L’arte divenne ‘popolare’, ‘nuova’ e ‘utilitaria’; la forma non contò più. Nadler si sentì autorizzato a criticare Goethe perché «un uomo come lui non poteva trasformare un popolo». Ora il popolo si stava «trasformando»; perlomeno i suoi portavoce se ne vantavano. Un periodico molto stimato, Hochschule und Ausland, dedicato al mantenimento dei contatti fra le università tedesche e quelle straniere, nell’aprile del 1937 cambiò testata assumendo il nuovo nome di Geist der Zeit (Spirito dei tempi). Il suo editoriale dichiarò con appropriata modestia: «Non c’è alcuna nazione in Europa, e non ce n’è mai stata alcuna al di fuori della Grecia, in cui lo spirito è così vivo come nell’odierna Germania». Ma gli intellettuali tedeschi sbagliavano scambiando il loro spirito dei tempi con l’effettivo spirito del tempo. Nella loro cieca antipatia per l’Occidente essi interpretavano erroneamente la storia. […]

Moeller, Spengler e Jünger ritenevano che la guerra perduta si sarebbe trasformata in vittoria, se i tedeschi si fossero resi conto di rappresentare lo spirito dei tempi – Moeller aveva iniziato la sua attività come critico letterario e principale traduttore tedesco di Dostoevskij. La guerra comunque lo trasformò da uomo di cultura in pensatore politico. Nel Diritto dei popoli giovani, apparso all’inizio del 1919, egli chiedeva che fosse riconosciuto il diritto all’espansione delle giovani nazioni, che avevano idee nuove, mentre il decrepito Occidente non era altro che una continuazione del sorpassato diciottesimo secolo. Fra i popoli giovani era la Prussia che avrebbe assunto la funzione di guida. «Verrà il momento in cui tutti i popoli giovani, in cui tutti coloro che si sentono giovani, riconosceranno nella storia prussiana la più bella, la più nobile, la più virile storia politica dei popoli europei». […]

“Nel 1923, due anni prima di suicidarsi, Moeller pubblicò il suo libro più autorevole, Das Dritte Reich. Il titolo non può essere tradotto con ‘Terzo Impero’. Il Reich è nella sua essenza molto più di un impero. Ci sono più imperi, c’è un unico Reich. «Il nazionalismo tedesco – scriveva Moeller – è un campione del Reich finale: sempre ricco di promesse, mai concluso… C’è un unico Reich, come c’è un’unica Chiesa. Gli altri pretendenti al titolo non possono essere altro che uno stato, una comunità o una setta. Esiste solo Il Reich». Creando il Reich, i tedeschi non agivano per se stessi, ma per l’Europa. Il loro Reich era urgentemente necessario perché la civiltà occidentale aveva non elevato, bensì degradato l’umanità. «Circondato dal mondo in sfacelo che è il mondo vittorioso di oggi, il tedesco cerca la sua salvezza. Cerca di preservare quei valori imperituri, che sono tali per propria natura. Cerca di assicurare la loro permanenza nel mondo riconquistando il rango a cui hanno diritto i loro difensori. Allo stesso tempo combatte per la causa dell’Europa, per ogni influenza europea che si irradia dalla Germania in quanto centro dell’Europa… L’ombra dell’Africa si proietta sull’Europa. È nostro compito fare da sentinella sulla soglia dei valori».

Moeller definiva il Reich «una vecchia bella idea tedesca che risale al Medioevo, ed è associata all’attesa di un regno millenario». Esso sarebbe stato genuinamente socialista e antiliberale. Il terzo capitolo del libro portava come motto le significative parole «Col liberalismo il popolo perisce».Il socialismo tedesco non aveva nulla in comune col materialismo storico marxista e con la lotta di classe internazionale. Era la solidarietà nazionale di un popolo sfruttato dalla plutocrazia straniera; era l’idea dell’altruismo al servizio del bene comune anziché del perseguimento del profitto personale. «Dove finisce il marxismo – scriveva Moeller – lì comincia il socialismo: un socialismo tedesco, la cui missione è quella di soppiantare nella storia intellettuale dell’umanità ogni specie di liberalismo. Il socialismo tedesco non è compito di un Terzo Reich. È piuttosto la sua base». Moeller accettava la rivoluzione antiliberale e antiplutocratica di Lenin come un tipo di socialismo nazionale peculiarmente adatto alla Russia e si dichiarava propenso a collaborare con essa purché dirigesse la sua espansione verso l’Asia e ammettesse la legittimità della missione della Germania nelle terre di confine russo-tedesche.[…]

Oswald Spengler in Preussentum und Sozialismus [Prussianesimo e Socialismo] (1919) fece un altro passo avanti: «Solo quello tedesco è vero socialismo! Il vecchio spirito prussiano e il socialismo, benché oggi sembrino contrari l’uno all’altro, sono in realtà tutt’uno». Questo libro relativamente beve di Spengler rimase sconosciuto al pubblico inglese, ma attrasse molti più lettori tedeschi dei due grossi volumi della sua opera principale. Le idee esposte in Preussentum und Sozialismus furono, come egli stesso confessò, il nucleo (Kern) da cui si sviluppò tutta la sua filosofia. Il libro è basilare non solo per la conoscenza dell’autore, ma anche per la conoscenza del periodo weimariano. Naturalmente Spengler contrapponeva i suoi prussiani socialisti agli individualisti inglesi attaccati al denaro, che facevano ognuno per conto proprio, mentre i primi erano legati l’uno all’altro. Quando gli inglesi lavoravano, lo facevano per smania di successo; i prussiani lavoravano invece per amore del dovere da compiere. In Inghilterra era la ricchezza che contava, in Prussia l’azione. Il socialismo marxista era profondamente influenzato dalle idee inglesi. Marx infatti, al pari degli inglesi, non ragionava dal punto di vista dello stato, bensì da quello della società. Per lui, come per gli inglesi, il lavoro era qualcosa da comprare e vendere, una merce dell’economia di mercato, mentre per i prussiani ogni lavoro, da quello del più alto funzionario a quello del più umile manovale, era un dovere, compiuto come un servizio reso alla comunità. A detta di Spengler, Federico Guglielmo I, il re-soldato prussiano del diciottesimo secolo, e non Marx, era stato «il primo socialista cosciente». Soltanto la Prussia era uno stato reale, e quindi uno stato socialista. «Qui, nel senso stretto del termine, non esistevano individui isolati. Chiunque viveva nell’ambito del sistema, che funzionava con la precisione di una buona macchina, faceva parte della macchina».

Spengler andava a ritroso nella storia per spiegare la differenza fra inglesi e prussiani; il carattere inglese derivava dai saccheggiatori vichinghi, quello prussiano dai devoti Cavalieri Teutonici. Malgrado lo storicismo, ora brillante, ora falso, gli scritti di Spengler intendevano essere non distaccate opere di studio, bensì littérature engagée [letteratura impegnata]. Il suo Preussentum und Sozialismus era infatti un fervido appello alla gioventù tedesca, lanciato nell’ora della disfatta e dello sconforto. «Nella nostra lotta – egli scriveva nell’introduzione – conto su quella parte della nostra gioventù che sente profondamente, al di là di tutti gli oziosi discorsi quotidiani, […] l’invincibile forza che continua a marciare in avanti malgrado tutto, una gioventù […] romana nell’orgoglio di servire, nella umiltà di comandare, preoccupata di chiedere non diritti dagli altri, bensì doveri da se stessa, senza eccezione, senza distinzione, per realizzare il destino che sente nel suo intimo. In questa gioventù vive una tacita coscienza che integra l’individuo nel tutto, nella nostra cosa più sacra e profonda, un patrimonio di duri secoli, che distingue noi fra tutti i popoli, noi, i più giovani, gli ultimi della nostra civiltà. A questa gioventù io mi rivolgo. Possa essa comprendere quello che ora diventa il suo compito futuro. Possa essere fiera di aver l’onore di affrontarlo.»

L’appello di Spengler alla gioventù si faceva ancora più fervido alla fine del libro: «Chiamo a raccolta coloro che hanno midollo nelle ossa e sangue nelle vene… Diventate uomini! Non vogliamo più discorsi sulla cultura, sulla cittadinanza mondiale, sulla missione spirituale della Germania. Abbiamo bisogno di durezza, di ardito scetticismo, di una classe di dominatori socialisti. Ancora una volta: socialismo significa potenza, potenza, ancora e sempre potenza. La via verso la potenza è chiaramente segnata: i più valenti lavoratori tedeschi devono unirsi ai migliori rappresentanti del vecchio spirito politico prussiano, gli uni e gli altri decisi a creare uno stato rigidamente socialista, una democrazia nel senso prussiano, gli uni e gli altri legati da un comune senso del dovere, dalla coscienza di un grande compito, dalla volontà di obbedire per dominare, di morire per vincere, dalla forza di compiere tremendi sacrifici per realizzare il nostro destino, per essere quel che siamo e quel che senza di noi non esisterebbe. Noi siamo socialisti. Noi non intendiamo esser stati socialisti invano».

La filosofia spengleriana della storia era concisamente esposta in un brano di Preussentum und Sozialismus: «La guerra è eternamente la più alta forma di esistenza umana, e gli stati esistono per la guerra; essi manifestano per la guerra essi manifestano la loro preparazione alla guerra. Anche se un’umanità stanca e smorta desiderasse rinunciare alla guerra, essa diventerebbe, anziché il soggetto, l’oggetto della guerra per cui e con cui gli altri guerreggerebbero».

Lo stesso tema viene ripetuto nel secondo volume del Tramonto dell’Occidente, apparso nel 1922: «La vita è dura. Essa lascia un’unica scelta, quella tra vittoria e sconfitta, non quella fra guerra e pace.» E nell’ultimo libro pubblicato, undici anni dopo, Anni della decisione, egli affermava con ripetitività quasi hitleriana: «La lotta è il fatto fondamentale della vita, è la vita stessa. La noiosa processione di riformatori, capaci di lasciare come loro unico monumento montagne di carta stampata, è ora finita… La storia umana in un periodo di civiltà altamente evoluta è storia di potenze politiche. La forma di questa storia è la guerra. La pace è soltanto […] una continuazione della guerra con altri mezzi […] Lo stato è l’essere in forma di un popolo, che è da esso costituito e rappresentato, per guerre attuali e possibili». Questa filosofia della storia ultrasemplificata portava la priorità della politica estera su quella interna, tipica di Ranke, a un estremo palesemente assurdo. Civiltà e religioni, istituzioni e costituzioni, economia e benessere nazionale non contavano più nella storia; non rimaneva che la politica estera, ridotta essa stessa alla guerra e alla preparazione della guerra. Le guerre non erano più eccezioni o incidenti, erano il fatto centrale della vita e della storia, il loro significato e coronamento. La prima nazione moderna che l’aveva compreso era, secondo Spengler, la Prussia, che su questa consapevolezza basava la sua pretesa di supremazia nella nuova era. «La Prussia – egli scriveva – è soprattutto priorità incondizionata della politica estera su quella interna, la cui sola funzione è quella di mantenere la nazione in forma per quel compito.»[…]

Le teorie politiche proclamate da Spengler col tono di un veggente furono esposte, in veste più erudita, da Carl Schmitt, professore di diritto internazionale e costituzionale all’università di Bonn, per due decenni il più autorevole maestro di diritto pubblico in Germania. I suoi scritti, legati a quelli di Spengler, introdussero una nuova concezione della politica, che riceveva il suo significato non più da quella che era considerata la vita normale della società, bensì da situazioni estreme. Il normale non tendeva più a controllare l’anormale. […]

La guerra era un momento importante della vita politica e della vita in genere; l’inevitabile relazione amico-nemico dominava ogni settore. «I punti culminanti della grande politica – sosteneva Schmitt – sono quelli in cui si discerne il nemico con estrema concreta chiarezza come nemico». Questa teoria politica corrispondeva al presunto primordiale istinto combattivo dell’uomo che tendeva a considerare chiunque si frapponesse all’appagamento dei suoi desideri come un avversario da toglier di mezzo. La tradizionale arte di governo dell’Occidente, invece, consisteva nel trovare e vie e i mezzi per superare l’istinto primitivo col negoziato paziente, col compromesso, con uno sforzo di reciprocità, soprattutto con l’osservanza di leggi universalmente vincolanti.

La totalitaria filosofia di guerra fu così riassunta da Schmitt: «La guerra è l’essenza di ogni cosa. La natura della guerra totale determina la forma naturale dello stato totale». Comprensibilmente, egli nutriva un profondo disprezzo per il diciannovesimo secolo, «un secolo pieno d’illusione e frode.» Nel suo stato ideale di quest’epoca, ovviamente immune da illusioni e frode, la vita nella sua interezza era subordinata al conflitto armato. in tale ordine d’idee Karl Alexander von Müller, direttore della Historische Zeitschrift [Rivista storica], l’organo ufficiale degli storici tedeschi, concluse, nel numero di settembre del 1939, un editoriale sulla guerra con le parole: «In questa battaglia d’animi troviamo il settore delle trincee che è affidato alla scienza storica della Germania. Essa monterà la guardia. La parola d’ordine è stata data da Hegel: lo spirito dell’universo ha dato l’ordine di avanzare; tale ordine sarà ciecamente obbedito».

In questo brano di riflessione storica emergono, a nostro avviso, alcuni tipici difetti della storiografia d’impostazione liberal-democratica, primo fra tutti quello di presentarsi (e percepirsi essa stessa) come la storiografia, immune da passioni e pregiudizi, e perciò titolata a giudicare, davanti al tribunale della storia, tutte le altre ideologie. Intendiamoci: molti giudizi sono pertinenti e perfettamente condivisibili. Giusto porre l’accento sulle responsabilità politiche ed etiche degli intellettuali tedeschi dell’epoca di Weimar nell’aver spianato la strada al nazismo; giusto evidenziare la rozzezza e le eccessive semplificazioni della filosofia della storia di Moeller, Spengler, Schmitt; e giusto anche aver richiamato il fatto che il successo di quella impostazione dei problemi politici, nella cultura e nella società, non sarebbe stato possibile se non vi fosse stata una lunga preparazione, da parte di generazioni e generazioni di intellettuali che li avevano preceduti.

In che cosa verte, dunque, la nostra perplessità, davanti all’approccio storiografico di Kohn? Essenzialmente nel fatto che egli, tutto preso dal suo pathos moralistico, sembra essersi scordato che il compito primo e fondamentale del mestiere di storico (e anche dello storico del pensiero) non è quello di giudicare, ma di sforzarsi di capire. Il che, naturalmente – giova ripeterlo, onde evitare il solito malinteso tanto caro ai moralisti in male fede – non significa giustificare alcunché. Nel caso specifico, a Kohn è sfuggita la comprensione di quanto di originale poteva esservi nella “rivoluzione conservatrice” che ha coinvolto, oltre a Moeller, Spengler e Schmitt, anche personalità della statura di Heidegger, Jünger, Frobenius, Gogarten e, per certi versi, anche Jung; per non parlare, fuori della Germania, di Hamsun, Pound, Evola, Gentile, Ungaretti, Pirandello, Unamuno, Barrés, Eliade, … dobbiamo continuare? E occorre ricordare che alcuni di questi intellettuali, anche fra quelli particolarmente presi di mira da Kohn, ebbero il coraggio di opporsi al nazismo, o ad aspetti significativi della sua politica, esponendosi in prima persona? Il tanto vituperato Spengler rifiutò di aderire al fanatico antisemitismo nazista e avrebbe subito gravi rappresaglie, se la morte non fosse giunta in buon punto, nel 1936, per metterlo al riparo da esse. Jünger, col romanzo Sulle scogliere di marmo, presentò apertamente Hitler come un malvagio e dissennato timoniere che porta la nave della Germania verso la catastrofe; e suo figlio venne ucciso dai nazisti. Heidegger, come è noto, si dissociò al regime e si chiuse in un cupo silenzio, pur non schierandosi esplicitamente contro di esso.

Ma, si dirà, Kohn non accusa costoro di essere stati dei cripto-nazisti, bensì di avere oggettivamente spianato il terreno della cultura tedesca all’influsso nefasto del nazismo. Senonché, è proprio quell’avverbio, oggettivamente (che ricorda, guarda caso, altri climi politici e altre condanne spicciole), che ci sembra ingeneroso e poco corretto dal punto di vista del metodo. In un’epoca di crisi, morale non meno che materiale, gli intellettuali vanno anch’essi a tentoni e non li si può accusare con troppa disinvoltura di aver preparato le catastrofi a venire, istituendo per loro una sorta di retroattività morale. Lungi da noi voler minimizzare le responsabilità degli intellettuali; senz’altro alcuni di essi sono stati dei cattivi maestri, e ne portano tutta intera la responsabilità. Occorre, però, distinguere bene i due piani della riflessione: quello storico e quello etico. Se il libro di Kohn, I Tedeschi, vuol essere un libro di storia, è necessario che del metodo storico accetti le premesse e l’impostazione generale: la priorità rivolta allo sforzo di comprendere, innanzitutto. E non ci pare che egli abbia fatto molto in tal senso. Non ha tenuto conto del punto di vista interno della società tedesca nel periodo della Repubblica di Weimar; e non ha tenuto conto della frustrazione e del risentimento, in parte comprensibili, con i quali il popolo tedesco visse quel periodo, dopo che a Versailles Clemenceau era riuscito a far prevalere la logica della pace “punitiva” e dopo che l’inflazione aveva polverizzato non solo i risparmi e i frutti del lavoro di una intera generazione, ma anche – apparentemente – le speranze di rinascita del popolo tedesco.

Se la famosa pugnalata alla schiena è, infatti, un mito bello e buono, inventato dalla cricca militare prussiana per scaricare sulla società civile, e specialmente sulla socialdemocrazia, la responsabilità della sconfitta in quella guerra che essa aveva fortemente voluto, considerandola – a torto o a ragione – necessaria e inevitabile per la sopravvivenza della Germania come grande potenza, vi sono pochi dubbi – a nostro parere – che il popolo tedesco, al termine della prima guerra mondiale (e, di nuovo, con la crisi della Ruhr del 1923), fu vittima di una grossa ingiustizia storica. Se si fa astrazione da ciò, si rischia di non capire come le parole e gli slogan degli intellettuali conservatori tedeschi ebbero tanta risonanza e tanto successo, specialmente fra la gioventù, negli anni Venti e all’inizio degli anni Trenta. Lo storico, invece – anche e, per certi aspetti, soprattutto lo storico del pensiero – deve sempre e rigorosamente contestualizzare. Non si può comprendere Lutero fuori del proprio tempo e della propria situazione storica; non si può comprendere Kant; non si può comprendere Hegel o Nietzsche o Heidegger. In verità, non si può comprendere niente; a meno che si immagini che il pensiero non vada in nulla debitore della società che lo esprime.

Un’altra riflessine di carattere generale che ci sembra opportuno fare è che la sconfitta, così nella vita del singolo individuo come in quella dei popoli, è portatrice di una crisi che può anche essere salutare, perché costringe, letteralmente, a prendere atto di una inadeguatezza e a elaborare delle strategie per superare le presenti difficoltà. La società tedesca non era stata certo l’unica responsabile della tragedia del 1914-1918; ma, alla fine della guerra, si trovò dalla parte del perdente e quindi, automaticamente, dalla parte del torto (cosa che si sarebbe ripetuta di lì a ventisette anni). Una clausola del trattato di pace imponeva ai rappresentanti della Germania di firmare una dichiarazione in cui la loro patria si assumeva, tutta intera, la responsabilità di quanto era accaduto: e questo sotto la minaccia di una ripresa immediata della guerra. Mai si era vista una simile prepotenza giuridica, per giunta sotto l’ipocrita bandiera del democraticismo wilsoniano; ma Erzberger dovette trangugiare, a nome del suo popolo, l’amaro boccone (cosa che ne provocò la condanna a morte da parte dell’estremismo nazionalista: condanna che fu eseguita, pochi anni dopo, da un giovane assassino).

Né basta. Per tre volte – nel 1919, nel 1923 e nel 1929 – l’economia tedesca fu travolta dalla terribile bufera della crisi economica, che spazzò il risparmio e creò milioni e milioni di disoccupati. Ogni volta la società tedesca riusciva a rimettersi in piedi, compiendo degli sforzi veramente titanici, un intervento esterno la rigettava a terra. Nel 1919 la pace punitiva – con le mutilazioni territoriali, la perdita delle colonie e della marina, l’enorme indennità di guerra da pagare agli Alleati; nel 1923 l’occupazione francese e belga del bacino minerario della Ruhr, che rendeva ancor più impossibile soddisfare quei pagamenti; nel 1929 il crollo della borsa di Wall Street, cui gli speculatori della finanza ebraica newyorkese non furono certo estranei: e la terza volta spianò la strada a Hitler. C’è da chiedersi, semmai, come poté resistere tanto a lungo la società tedesca alle sirene del nazismo, con la comunità internazionale ben decisa a distruggerne la volontà di ripresa e la Lega delle Nazioni, comodo paravento giuridico-morale delle plutocrazie britannica e francese, a fare da cane da guardia alle assurde decisioni politiche e territoriali della Conferenza di Versailles.

Tale il contesto del decennio preso in esame da Kohn (1923-33), e che egli chiama “la marcia verso l’abisso”, attribuendone tutta la responsabilità morale agli intellettuali tedeschi, che avrebbero dissennatamente predicato la violenza e l’esasperazione del darwinismo sociale e del machiavellismo politico. Egli conclude affermando che, per opera di Schmitt e di Spengler, penetrò nella cultura tedesca “una nuova concezione della politica, che riceveva il suo significato non più da quella che era considerata la vita normale della società, bensì da situazioni estreme. Il normale non tendeva più a controllare l’anormale”. Omette però di precisare che la Germania, a causa della miopia e dell’egoismo delle classi dirigenti britanniche, francesi e americane, da oltre un decennio non viveva affatto in una situazione “normale”; che potenti forze economico-finanziarie internazionali facevano di tutto per tenerla in una condizione di cronica e disperata anormalità.

Così pure, quando Spengler afferma che «La vita è dura. Essa lascia un’unica scelta, quella tra vittoria e sconfitta, non quella fra guerra e pace», Kohn omette di precisare che questa visione cinica e brutale della vita umana era stata ampiamente diffusa (anche se non “inventata”) dall’egoismo e dalla cecità dei vincitori di Versailles. Era stata la loro politica ad insegnare agli sconfitti la dura legge del vae victis, la legge inumana secondo la quale la pace è un lusso degli oziosi e degli imbelli o un’utopia dei sognatori, e che la sola cosa che conta è la forza. Per giunta, i brutali vincitori avevano ammantato tale machiavellismo con le vesti rispettabili dell’umanitarismo wilsoniano e della democrazia liberale, sanzionando a posteriori, con una capillare opera di propaganda e di diplomazia internazionale, il puro e semplice trionfo della forza. Come avrebbero fatto col processo di Norimberga (e con quello di Tokyo) alla fine della seconda guerra mondiale. Un processo ove i crimini tedeschi (e giapponesi) vennero giudicati dagli stessi vincitori, ragion per cui nessun fiatò sui crimini anglo-americani e sovietici.

Ma veniamo allo specifico, e cioè alle caratteristiche fondamentali della cultura tedesca nel decennio 1923-33, in cui Kohn vede solo e unicamente una marcia verso l’abisso, una preparazione del diluvio nazista, mentre gli sfuggono completamente le esigenze autentiche e legittime di rinnovamento che si esprimevano in quel contesto e con quella tradizione storica: elementi dai quali non è lecito prescindere, a meno di fare un’operazione culturale altamente anti-storica. Non entriamo ora nel merito della filosofia di Mueller, Spengler, Schmitt, e neanche di Jünger, Wittgenstein o Gogarten, perché ciò esulerebbe, e di molto, dai limiti che ci siamo prefissi. Desideriamo piuttosto far notare che questi autori (che, fra l’altro, non vanno arbitrariamente omologati, pena il perdere di vista la specificità intellettuale di ciascuno d’essi) testimoniano uno sforzo del pensiero per trovare nuove certezze dopo le tremende delusioni e i traumi del periodo precedente e, al tempo stesso, un tentativo di ridefinire lo spazio culturale della Mitteleuropa, e anche dell’Europa in generale, nei confronti di un “Occidente” sentito ormai come una realtà socio-culturale al tempo stesso obsoleta e artificiale. In questo senso, furono i promotori di un’autocritica del pensiero europeo: autocritica, ripetiamo, nata dalla sconfitta e dall’umiliazione nazionale; mentre nulla di simile fu neanche immaginato dalla cultura delle nazioni vincitrici, tutte intente a godersi il bottino di Versailles e, semmai, a giocare cinicamente sulle rivalità dei nuovi, piccoli Stati dell’Europa centrale (Cecoslovacchia, Jugoslavia, ecc.) sorti dallo sfacelo del vecchio ordine europeo.

È vero, gli intellettuali inglesi e francesi degli anni Venti non hanno seminato idee ultranazionaliste e guerrafondaie. Non ve n’era bisogno: la cultura di quei Paesi si godeva la meravigliosa sensazione di aver affrontato e superato una dura prova e, alla fine, di aver contribuito al trionfo della giustizia, della libertà, della democrazia. Gli intellettuali tedeschi – e, a maggior ragione, quelli austriaci o dell’area ex asburgica: Musil, Roth, Kafka, von Rezzori, Cioran – erano costretti a interrogarsi non solo sulla sconfitta e sulla disintegrazione della vecchia Mitteleuropa, ma anche sull’incipiente disintegrazione dello spirito europeo, sulla stessa disintegrazione dell’Io come soggetto unitario della coscienza. Avevano a che fare con una situazione estrema, e fecero del loro meglio per trovare un raggio di luce, una indicazione che li guidasse fuori dalla crisi, verso il futuro. Possiamo discutere la saggezza della via da essi battuta e dissentire da alcuni aspetti della loro polemica; tuttavia, se vogliamo essere onesti, dobbiamo riconoscere che non tutte le ragioni della loro polemica erano infondate.

Quando Spengler, ad esempio, affermava che “per Marx, come per gli inglesi, il lavoro era qualcosa da comprare e vendere, una merce dell’economia di mercato, mentre per i prussiani ogni lavoro, da quello del più alto funzionario a quello del più umile manovale, era un dovere, compiuto come un servizio reso alla comunità”, non ci sembra che dicesse cosa molto lontana dal vero. Anche l’osservazione che nel vecchio sistema prussiano erano impliciti elementi di socialismo e che, ad ogni modo, in Germania il senso dei valori collettivi prevaleva sull’individualismo, non era peregrina; come non era infondata la convinzione di Moeller che il regime bolscevico, per le sue istanze profonde antiplutocratiche, fosse – nonostante le apparenze – ideologicamente più vicino agli interessi e al sentire del popolo tedesco di quanto non lo fossero i sistemi liberal-democratici dell’Europa occidentale e degli Stati Uniti. La polemica degli intellettuali tedeschi contro l’umanitarismo era sicuramente riprovevole, così come pericoloso il loro continuo soffiare sul fuoco del nazionalismo esasperato. Però bisogna rendersi conto di una cosa: essi sentivano il dovere di ricorrere a ogni mezzo per rimettere in piedi un popolo che era stato ridotto in ginocchio e che era tuttora vittima di una ingiustizia storica. La spettacolare crescita economica, culturale e sociale tedesca del Secondo Reich, fra il 1871 e il 1918 (sì, anche sociale: con una delle legislazioni del lavoro fra le più avanzate al mondo) era stata letteralmente strangolata da una coalizione mondiale che adesso era ben decisa a impedire che la Germania si rialzasse e tornasse a mettere in pericolo i privilegi acquisiti dalle potenze mondiali più vecchie.

Gli storici come H. Kohn, implicitamente o esplicitamente, rimproverano agli intellettuali tedeschi di quel periodo di non aver fatto nulla per convogliare le simpatie dei loro compatrioti verso gli istituti della democrazia. Così facendo, sembrano dimenticare un elemento fondamentale, che oggi si ripete in Iraq e in varie altre parti del mondo: la democrazia era stata, per la Germania, non il punto d’arrivo di un processo interno e naturale, ma la conseguenza della sconfitta e, in un certo senso, una imposizione dei vincitori. Quantomeno, gli Alleati si erano serviti della Repubblica democratica di Weimar per presentare al popolo tedesco il conto salatissimo della Conferenza di Versailles e della pace-capestro. Portata al potere dal doppio trauma della disfatta militare e del diktat dei vincitori, la Repubblica non era amata e, soprattutto, non era sentita come parte della tradizione storica nazionale.

Si può, naturalmente, chiamare in causa la scarsa maturità politica della classe dirigente tedesca e, più in generale, la tradizione filistea del ceto medio, sempre pronto – in particolare dal 1870 – ad applaudire il vincitore di turno, ossia qualunque governo capace di portare al successo l’affermazione dello Stato con la forza materiale. Questo, certamente, era il peccatum originalis del Secondo Reich: il “patto col diavolo” della borghesia tedesca che, nel 1866 e nel 1870, si era inchinata davanti alla politica di Bismarck solo perché, sul piano della pura forza, si era dimostrata vincente. Ma sarebbe antistorico e ingeneroso addossare tutte le colpe agli intellettuali che, negli anni Venti, dovettero procedere alla liquidazione del vecchio mondo e delle vecchie certezze a prezzi fallimentari; e che, contemporaneamente, dovettero cercare in tutta fretta di fornire nuovi orientamenti al loro popolo traumatizzato e demoralizzato.

Più in generale, ci sembra che la vicenda della cosiddetta “rivoluzione conservatrice” segni l’ultimo sprazzo di vitalità della cultura europea, l’ultima sua reazione davanti alle forze inumane e omologanti che oggi chiamiamo della globalizzazione, ma che già allora venivano percepite come una americanizzazione del vecchio continente, capace di fare piazza pulita, in nome della borsa, del profitto e dei metodi tayloristici di organizzazione scientifica del lavoro, dell’anima stessa del vecchio continente. Si può interpretare l’opera filosofica di Mueller, Spengler, Schmitt e Jünger come una reazione, aristocratica e popolare al tempo stesso, contro gli aspetti più minaccioso della modernità, primo fra tutti il prevalere delle logiche del mercato su quelle della società civile, della quantità sulla qualità, dell’egoismo privato sull’interesse collettivo. In breve, si può interpretare il pensiero di quegli autori come un tentativo disperato, nostalgico e anti-moderno, di ripristinare i valori tramontati dell’aristocrazia davanti al trionfo degli aspetti più massificanti ed egoistici dello spirito borghese.

Certo, vi furono molte, troppe scorie all’interno di un tale tentativo; vi fu un uso irresponsabile di slogan aggressivi e razzisti; vi fu un disprezzo esagerato e irragionevole per tutto quanto, a torto o a ragione, era considerato parte di quello spirito borghese e, pertanto, parte di quel quadro internazionale che aveva penalizzato così duramente la patria tedesca. Vi furono molte semplificazioni assurde, molti facili luoghi comuni e un uso troppo disinvolto di formule dall’intrinseco potere distruttivo, che avrebbero sospinto alla catastrofe la società tedesca per la seconda volta nel volgere di una sola generazione. Però, lo ripetiamo, occorre tener conto della particolare situazione tedesca, anche sul piano internazionale. Da una parte la Russia staliniana, dall’altra i vincitori di Versailles, chiusi e sordi a ogni senso di equità e di saggezza, protesi unicamente a sfruttare al massimo i loro immensi imperi coloniali e i profitti giganteschi che la guerra stessa, come nel caso degli Stati Uniti, aveva portato loro.

La Germania, pertanto, si sentiva come una cittadella assediata e abbandonata alle sue risorse; o trovava in se stessa la forza di reagire, o sarebbe perita, forse per sempre. Questo videro i Mueller, gli Spengler e gli Schmitt. Bisognerebbe tener conto del dramma che stava vivendo il loro popolo, prima di giudicarli con una severità dettata dal senno di poi e da una serie di pregiudizi ideologici che derivano proprio dal fatto che la storia, una volta di più, l’hanno fatta e continuano a farla i vincitori. Basti pensare al destino riservato, circa vent’anni dopo, al cuore della Germania, la vecchia Prussia: smembrata, svuotata dei suoi abitanti con una spietata pulizia etnica, cancellata totalmente dalla carta geografica. Vae victis, appunto: gli Alleati, nel 1945 come nel 1918, non amavano i toni rozzi e aggressivi alla Spengler, ma agivano esattamente in base a quei criteri, brutali e machiavellici, che tanto li disgustavano quando a teorizzarli erano i Tedeschi.

samedi, 02 octobre 2010

Turreau et les colonnes infernales

Archives des SYNERGIES EUROPEENNES - 1986

 

Turreau et les colonnes infernales

 

vendelucs.jpgMalgré les préparatifs fébriles en vue de commémorer le 200ème anniversaire de la Révolution Française, malgré l'unanimisme des partis politiques français autour des "acquis" de 1789, un certain nombre de travaux tentent encore et toujours de cerner l'histoire de cette révolution, non d'une point de vue républicain, partisan et politicien mais d'un point de vue analytique, objectif et historique. L'ouvrage d'Elie FOURNIER, que nous évoquons ici, tente de nous expliquer ce que fut réellement, sur le plan du vécu, la Révolution française, après les brèches ouvertes ces dernières années par des historiens comme François FURET ou Pierre CHAUNU. Il ne s'agit pas de la Révolution de Paris ni de celle des membres du Club des Jacobins ni celle des "représentants du peuple" à la Convention, mais celle des peuples qui constituaient alors l'ancien royaume de France, présentement transformé en "République une et indivisible".

 

Le cas de la Vendée est exemplaire. Mais il n'est pas unique. D'autres provinces connurent alors des mouvements de révoltes populaires face aux exigences et à la tyrannie des comités de gouvernement. La révolution fut en effet transformée en révolte sous-tendue par les intérêts d'une certaine classe, la bourgeoisie. Et le pouvoir parisien, appuyé sur des forces armées recrutées dans les grandes capitales (Paris mais aussi Marseille, Grenoble, Lyon, Toulouse, etc...) exerça une répression féroce contre des citoyens qui refusaient le vieux principe jacobin de la "République ou la mort!".

 

Des hommes et des femmes, pour la plupart attachés à leurs prêtres, mais aussi aux premières réformes de la révolution (notamment la suppression d'un certain nombre de privilèges) furent massacrés au nom des valeurs neuves de la "Liberté" et de "l'Egalité". FOURNIER prend ici comme exemple le véritable génocide (le mot n'est pas trop fort!) perpétré par les généraux républicains au nom du pouvoir central sur les populations de la Vendée et des territoires limitrophes. Le décor est planté: 23 décembre 1793, juste après la défaite des troupes royalistes, accompagnée de 100.000 morts sur les routes de Normandie et de Bretagne. Pour réduire définitivement les séditions royalistes, la Convention prend la décision, sur la proposition des "patriotes" vendéens représentés à cette même Conven- tion, de supprimer froidement et systémati- quement tous les "brigands" vendéens. D'ailleurs, pour mieux marquer cette volonté d'en finir, on modifie le nom de cette région en "Vengé"...

 

Effacement des gens, effacement des souvenirs. Il faut extirper toute trace de vie sur ces terres, interdire par la terreur toute révolte contre la République. De fait, la République peut puiser dans le passé récent: l'exemple est là, celui des grandes répressions opérées par les troupes de l'Ancien Régime en Corse. Dans une lettre écrite le 14 juin 1794 par le Général VIMEUX au Comité de Salut Public, on peut lire à propos de la campagne de Vendée: "La guerre et le brigandage de Vendée finiront, mais comment et avec quels moyens? Avec ceux qu'on employa en Corse, après de grosses dépenses et bien des années d'erreur"... Déclaration qui rejoint par ailleurs celle du Général HUCHE, l'un des organisateurs les plus "consciencieux" et les plus patriotes de la guerre de Vendée.

 

Et cette terreur que connut la Vendée, terreur dont les pouvoirs centraux furent les inspirateurs, déléguant par décrets et proclamations (le plus célèbre de ces décrets étant celui du 1er août 1793) aux généraux et aux représentants du peuple le soin d'accomplir "l'extermination" (mot utilisé dans les textes légaux) des "brigands" vendéens (entendez non seulement les combattants chouans sous les ordres des chefs royalistes Charette, Stofflet, de la Rochejacquelain, etc. mais aussi tous les habitants de la Vendée sans considération d'âge ou de sexe). Cette "extermination" fut une réédition de celle qu'avait appliquée un MARBEUF à la république paoline corse quelques décennies auparavant. La tactique était simple: détruire systématiquement tous les "repaires" des habitants de la région révoltée. Autrement dit, la politique de la terre brûlée, pratiquée à une échelle collective.

 

Un arrêté du Général Louis Marie TURREAU donne d'ailleurs la liste, non exhaustive, des communes proscrites. Les deux "colonnes agissantes" seront responsables du massacre de plusieurs dizaines de milliers de paysans, de citoyens des villes accusés de mollesse ou de modération patriotique et même d'élus communaux pourtant favorables à la République. Ainsi, le 28 février 1794 eut lieu le massacre des Lucs, au cours duquel furent assassinés 110 enfants âgés de 7 ans et moins!

 

Le livre de FOURNIER nous dévoile d'autre part les causes réelles de cette politique de génocide perpétrée par les comités parisiens. Le règne de la Terreur est moins une période républicaine au sens politique du terme qu'une période morale, celle du règne de la vertu robespierriste!

 

Les personnages de ROBESPIERRE et de SAINT JUST, relayés en province par les délégués CARRIER à Nantes ou TALLIEN à Bordeaux symbolisent ce passage de la révolution à la construction d'une cité vertueuse. Il s'agit ici d'une nouvelle guerre de religion, au cours de laquelle s'opposent les partisans minoritaires du culte de l'Etre Suprême, ersatz de l'ancien culte catholique accomodé aux valeurs nouvelles de 1789 et les anciens tenants du culte chrétien, catholique apostolique et romain. D'ailleurs le levier des révoltes populaires paysannes en Vendée fut beaucoup moins la défense du trône que celle de l'autel. Le royalisme militant resta le fait d'une minorité consciente et l'attachement aux rites catholiques le principe de la dynamique chouanne.

 

Une fois de plus, il était utile de rappeler une certaine réalité de la révolution française. L'image idyllique colportée par les institutions républicaines d'éducation nationa- le, appuyée sur les travaux de MICHELET, est aujourd'hui de plus en plus remise en cause. Moins par des historiens partisans de l'Ancien Régime que par des universitaires désireux de mieux reconnaître, derrière les masques de la propagande et des idées toutes faites, la réalité historique. Au total, le livre de FOURNIER est un excellent ouvrage. A lire pour apprendre que l'histoire ne se déroule pas selon un mécanisme manichéen mais consiste en un choc perpétuel de contradictions.

 

Ange SAMPIERU.

 

Elie FOURNIER, Turreau et les colonnes infernales, Albin Michel, Paris, 1985, 89 FF.

lundi, 27 septembre 2010

Les ravages de l'esprit révolutionnaire

Les ravages de l'esprit révolutionnaire

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Sansculottes.jpgUne critique politique de la révolution et de l’esprit révolutionnaire est souvent à courte vue. Le phénomène de la révolution est multiforme. La révolution peut être violente comme celles de Robespierre ou de Lénine. Elle peut aussi se dérouler sans violence apparente mais bouleverser la société en profondeur. Les Canadiens parlent de « la révolution silencieuse » des années soixante où la pratique religieuse a diminué, le taux de natalité s’est effondré, la délinquance a augmenté, etc… On a bien eu dans les années 68 comme on dit en France, une sorte de révolution dans les mœurs (au sens large) qui a été reprise notamment par le parti socialiste et qui n’a pas fini d’avoir de l’influence, y compris sur la vie politique.

L’une des analyses les plus profondes de l’esprit révolutionnaire a été faite par le philosophe allemand existentiel Martin Heidegger. Dans son livre « que veut dire penser ? » (« Was heisst denken ?») il a montré que cet esprit ne procédait ni de la politique ni de la morale, mais bien de la métaphysique. La métaphysique ignore la différence entre l’être et l’étant. Elle ne connaît que l’étant et l’homme moderne, déterminé par la pensée métaphysique sans même le savoir, vit « le nez dans le guidon » accroché aux objets immédiats et à l’instant présent. Il oublie l’être sans lequel les étants n’existeraient pas.

Cet homme moderne correspond au « dernier homme » décrit par Nietzsche dans « Ainsi parlait Zarathoustra ». Ce dernier homme n’a plus d’idéal, il est matérialiste et utilitariste.

« Qu’est ce que l’amour ? Qu’est ce que la création ? Qu’est ce que la nostalgie ? Qu’est ce qu’une étoile ? » Ainsi demande le dernier homme et il cligne de l’œil. « Nous avons inventé le bonheur disent les derniers hommes, et ils clignent de l’œil ». Dans les quatre questions posées, le dernier homme montre :

  • - sa froideur envers les hommes considérés comme des matières premières interchangeables (l’égalitarisme a pour but de faciliter cette interchangeabilité avec de beaux objectifs affichés) ;
  • - son scepticisme envers un Dieu créateur ;
  • - son mépris du passé (c’est un trait fondamental comme on le verra) ;
  • - son rejet de tout idéal (l’étoile).

Le dernier homme est persuadé d’avoir inventé le bonheur : c’est typique de tous les esprits révolutionnaires. Et il va chercher à l’imposer. « Il cligne de l’œil » veut dire qu’il se sent supérieur et qu’il croit que ses jugements de valeur ont une validité universelle.

Nietzsche va loin car il découvre que la réflexion la plus profonde dont est capable le dernier homme est fondée sur « l’esprit de vengeance ». Dans le chapitre sur « les Tarentules », il explique que l’égalitarisme n’est pas autre chose que de la volonté de puissance qui prend la forme de la vengeance sous le masque de la justice. Nietzsche dit que l’on ne pourra dépasser le dernier homme que si l’on est capable de se libérer de cet esprit de vengeance, donc de l’égalitarisme. Cet homme libéré de l’esprit de vengeance, il l’appelle le surhomme, dont il donne une définition : « César avec l’âme du Christ » !

La métaphysique moderne, observe Heidegger, identifie l’être avec la volonté. La volonté veut commander à tout : c’est la définition même de l’esprit révolutionnaire. Or, quel est l’obstacle invincible contre lequel la volonté ne peut rien ? C’est le temps et plus particulièrement le passé. Le temps est ce qui passe. On ne peut pas revenir sur ce qui est passé. Et Nietzsche définit la nature de cette vengeance métaphysique : c’est la vengeance à l’égard du temps qui passe, la vengeance à l’égard du passé.

C’est bien ce que l’on trouve chez tous les révolutionnaires : Robespierre comme Lénine comme les animateurs de Mai 68 : ils ont la haine du passé. Le passé est à détruire, c’est lui qui bloque l’accès au bonheur. Pour la métaphysique, l’être, c’est l’instant, ce n’est ni ce qui est passé, ni ce qui est à venir. Autrement dit, l’être n’est autre que l’étant, les objets (y compris les hommes) que l’on a sous la main.

Mais la métaphysique commet plusieurs erreurs : l’être n’est pas l’étant mais à la fois le passé, le présent et l’avenir. Le temps lui-même ne peut être réduit à l’instant. Le temps est durée : passé, présent et avenir. C’est en cela qu’être et temps sont inséparables.Toute la civilisation est fondée sur la prise en compte de ce temps long. Le révolutionnaire qui veut tout ici et maintenant n’aboutit qu’à détruire et à tuer.

C’est l’enfant ou le sauvage qui n’est pas capable de prendre en compte le temps, d’investir dans le temps et de faire fructifier dans l’avenir l’héritage du passé.

L’esprit révolutionnaire est bien parmi nous et il exerce ses ravages. Chaque fois que la facilité conduit à ne voir que l’avantage dans l’instant, cet esprit conduit à détruire notre avenir et à gaspiller l’héritage du passé. La responsabilité de l’adulte est justement de savoir prendre des décisions dans la durée. La propriété, la famille sont des institutions qui justement poussent l’homme vers plus de sens des responsabilités. Le citoyen propriétaire aura toujours une vue plus responsable que le gérant élu pour un temps court : c’est sur cette idée qu’est fondée la démocratie directe des Suisses. T

outefois, pour Heidegger, Nietzsche avait fait un bon diagnostic mais n’a pas trouvé le remède. Il le trouve dans l’éternel retour de l’identique. Mais on ne voit pas comment cet éternel retour supposé nous délivre vraiment de l’esprit de vengeance. Pour cela, il faut aller au-delà de la métaphysique. Il ne faut plus considérer le temps exclusivement comme ce qui s’enfuit, donc comme un ennemi. Le temps, c’est aussi, ce qui advient, donc c’est un don qui nous est fait par l’être. Le don, s’il est perçu, nous conduit non à la vengeance mais à la gratitude. Alors, nous sortons totalement de l’esprit révolutionnaire et de son esprit de vengeance égalitaire, nous en sommes délivrés.
 

Yvan Blot
0I/09/2010

Correspondance Polémia - 04/09/2010

samedi, 25 septembre 2010

Le mouvement aryen en Iran

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Le mouvement aryen en Iran

 
ll y a maintenant en Russie beaucoup de publications consacrées à la révolution islamique, quand la monarchie fut renversée et qu’il y eut un Etat des mollahs. Les historiens et les journalistes qui rendent célèbre la révolution islamique passent consciemment sous silence ce que se passa en Iran jusqu’en 1978.

Il est naturel qu’un pays dont le nom vient du mot Aryanam-vaejo, c’est-à-dire le pays des Aryens, n’ait pu rester indifférent aux événements européens. La religion et la tradition islamiques furent imposées au pays d’abord par les conquérants arabes, puis par les fondamentalistes musulmans. Dans le pays de Zoroastre, Kir, Darius, Iskander et Rustem, elles sont étrangères. De plus, les nouveaux venus turco-mongols inondant au XIIIe siècle toute l’Asie supprimèrent toute l’élite persane. Jusqu’au siècle dernier les Turcs occupaient les postes-clés dans l’armée persane et dans le gouvernement, ce qui mena le pays à l’appauvrissement et à la dévastation.

Pour lutter contre la contagion révolutionnaire les Perses à l’exemple des Russes commencèrent à utiliser des cosaques, qui créèrent la brigade persane des cosaques. Le commandant de cette brigade devint bientôt le jeune et talentueux Mohamed Reza, qui était le fils d’un riche paysan persan. Reza détruisit d’abord les révolutionnaires et les séparatistes, puis tourna ses troupes vers Téhéran.

S’étant mis à la tête du gouvernement, il tâcha par tous les moyens de discréditer le shah, qu’il détestait. En 1925, le Premier ministre, profitant de l’absence du shah, l’accusa d’incompétence et le démit. Mohamed Reza décida de fonder une nouvelle dynastie Pahlavi, d’après l’ancien nom des rois parthes. Pendant le couronnement, le shahinshah (l’empereur) frais émoulu, imitant Charlemagne, arracha la couronne des mains du religieux qui devait le couronner. Alors l’un des hommes politiques présents prononça cette phrase historique : « Enfin un homme appartenant à la race aryenne est arrivé à la tête de notre Etat ».

Le nouveau shah proclama la nécessité de l’européisation : le costume européen et le calendrier solaire furent introduits, les noms des villes et des mois du vieil Iran furent rétablis. Les journaux et la radio commencèrent à glorifier la grandeur de l’ancien Iran, prêchant partout le nationalisme persan. En politique étrangère le shah s’orienta vers l’Italie fasciste, à l’exemple de laquelle furent créés de nombreux détachements de jeunesse scouts. Le shah souligna par tous les moyens que son arrivée au pouvoir était une sorte de révolution fasciste.

Mais la jeunesse était encore plus attirée par le mouvement pour la pureté de la race aryenne en Allemagne, que préconisait l’hebdomadaire l’« Iran-e-bastan » (L’Ancien Iran) et le groupe formé autour de lui. La jeunesse organisait des manifestations bruyantes en soutien aux nazis allemands, manifestations qui finissaient le plus souvent par des heurts avec la police, parce que le shah était très réservé concernant le parti d’Hitler. Cependant l’influence du national-socialisme germanique était très grande en Iran : le général Zahedi, le Parti Nationaliste de l’Iran, plusieurs représentants du clergé et des députés du Medjlis (le parlement iranien) sympathisaient avec lui. Même le parti gouvernemental « Iran Novin » (Nouvel Iran), créé en 1929, prit la croix gammée comme emblème.

La propagande du national-socialisme en Iran se renforça après l’arrivée au pouvoir d’Hitler en 1933. Le Troisième Reich commença à aider l’Iran avec des techniciens et des spécialistes. Des étudiants et des officiers iraniens firent leurs études en Allemagne. La propagande hitlérienne radiodiffusait sur la nécessité de l’union entre les « Aryens du Nord » et la « nation de Zoroastre » ; en plus de cela, les Perses étaient considérés comme des Aryens pur sang et par un décret spécial furent exemptés de l’application des lois raciales de Nuremberg. Après cela en Iran vinrent souvent d’Allemagne des conférenciers pour des sujets raciaux, et des peintres allemands, qui organisaient là des expositions de tableaux glorifiant la race aryenne.

Quand, en 1937, l’Iran reçut la visite du leader de la jeunesse allemande Baldur von Schirach, on lui organisa une réception pompeuse, et la jeunesse iranienne défila le bras tendu. Cette activité effraya le shah, qui voyait en cela une menace pour son pouvoir. D’autant plus que la même année on découvrit un complot ayant à sa tête le lieutenant M. Dzhadzhuz, qui voulait renverser le shah et établir une dictature de droite. Après l’exécution des révoltés, le shah interdit le national-socialisme dans le pays et ordonna de fermer l’« Iran-e-bastan ». Le mouvement national-socialiste avec à sa tête le docteur Dzhahansuzi entra dans la clandestinité.

Mais la propagande nazie en Iran se poursuivit quand même. Elle agissait officiellement – par les journaux et les consulats allemands – et illégalement. Une fois une affaire fit scandale : le bulletin officiel iranien publia l’article de A. Rosenberg : « Où la race aryenne s’est le mieux conservée », offensant les sentiments des musulmans. Les Allemands durent annoncer que Hitler avait accepté l’islam pour retrouver la sympathie du petit peuple iranien. Vers 1940 les Allemands devinrent tellement audacieux qu’une « maison Brune » fut ouverte à Téhéran et qu’ils procédèrent à la construction de la « Naz’jabada » (la ville des nazis), à laquelle participèrent les membres de l’organisation « Melli modafe » (la Protection Nationale) de la jeunesse radicale de droite. Les consulats allemands répandaient activement « Mein Kampf » et le bulletin « l’Aryen » en farsi.

Dès 1940 dans le pays apparurent de nouveaux groupements radicaux de droite : « Kabud » (Bleu), « Millet » (Nation), « Mejhanparastan » (les Patriotes), l’« Iran-e-bidar » (l’Iran Réveillé), « Shijahtushan » (les Manœuvres), « Pejkar » (la Lutte), « Mejhan » (la Patrie), « Istikal » (Indépendance), ainsi que l’organisation« Nehzat-e-melli » des officiers nazis (le Mouvement national). Toutes ces organisations s’unirent en 1942 au parti « Mellijun Iran » (les Nationalistes iraniens). Le renforcement de la droite radicale fut notamment la raison de l’occupation de l’Iran par les troupes de la coalition anti-hitlérienne.

Après leur départ en 1949, il y eut un Parti national des ouvriers socialistes. En 1951, les sections d’assaut de cette organisation saccagèrent l’exposition des marchandises soviétiques. Dès 1952, le Parti de la nation iranienne s’orienta contre le capitalisme et l’impérialisme, mais agit aussi contre le communisme pour la protection de la nation et de la monarchie. Le Parti des travailleurs de l’Iran et le groupement « Troisième force » manifestaient avec des slogans analogues.

vendredi, 24 septembre 2010

Pour honorer le "Grand Héritage" ou comment il faudrait pavoiser...

Les flamboyantes bannières du "Grand Héritage"

Termonde, 4 septembre 2010. Visite de Pavel Toulaiev dans la cité flamande. Sur les façades de l'Hôtel de Ville, les couleurs de Bourgogne et de Charles-Quint, le splendide aigle bicéphale!

A Termonde, on honore le "Grand Héritage" de Marie de Bourgogne, comme le nommait l'historien Luc Hommel.

Magnifique vision dans un pays soumis à la grisaille de politiciens sans substance et sans foi!

Quelle merveille que ces couleurs face aux fadeurs des tricolores qui ne nous ont apporté que déboires, déchéances, vulgarités et malheurs!

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Photos: RS 

lundi, 20 septembre 2010

Le Who's Who du fascisme européen

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1986

 

Le Who's Who du fascisme européen

Le Who's Who du fascisme européen est paru en Norvège depuis six ans déjà, grâce aux travaux de trois universitaires d'Oslo, Stein Ugelvik LARSEN, Bernt HAGTVET et Jan Petter MYKLEBUST. Le bilan de leurs travaux est paru aux éditions universitaires d'Oslo en langue anglaise, ce qui nous en facilite la lecture, même si l'on serait tenté de déplorer l'anglicisation systématique des travaux académiques. L'intérêt pour le fascisme n'a cessé de croître depuis une quinzaine d'années. On a essentiellement retenu les noms de NOLTE en RFA, de son compatriote Reinhard KüHNL, de l'Italien Renzo DE FELICE, de l'Américain Stanley G. PAYNE et, plus récemment, de l'Israëlien Zeev STERNHELL. Mis à part NOLTE, tous ces "fascistologues" figurent dans la table des matières de cette encyclopédie du fascisme de 816 pages. C'est dire le sérieux de l'entreprise et la rigueur historique qu'on acquerra en se livrant à une lecture critique de ces éclairages divers.

 

La première partie de l'ouvrage se penche sur la question très délicate de la définition du fascisme. Est-il, en effet, définissable de façon monolitihque? Sur le plan théorique, ne trouve-t-on pas autant de différences entre ce qu'il est convenu de nommer les fascismes qu'entre, mettons, les socialismes de diverses factures? Pour être clair, il y a sans doute autant de différences entre un Hitler et un Mussolini, entre un Degrelle et un Monseigneur Tiso qu'entre Castro et Spaak, Olof Palme et Felipe Gonzalez. La recherche d'une définition du fascisme est sans doute vaine, sauf si l'on veut bien admettre que le dénominateur commun de ces "fascismes", jetés pêle-mêle dans le même concept, est d'avoir appartenu au camp des vaincus de 1945. Car, si l'on prend le cas des "fascismes" cléricaux autrichien et slovaque ou du fascisme à coloration catholique des Oustachis croates, n'y constate-t-on pas une analogie, quant à la vision de l'histoire, avec bon nombre de conservateurs catholiques qui, comme un Pierlot, un Paul Van Zeeland ou un Otto de Habsbourg, se sont retrouvés dans le camp des vainqueurs en 1945? Par ailleurs, le socialisme fasciste d'un Drieu La Rochelle, anti-chrétien et nietzschéen, reprend tout de même à son compte des thématiques anticléricales du mouvement ouvrier tradi- tionnel qui s'est souvent retrouvé du côté de la résistance au nazisme, perçu comme complice du conservatisme catholique pour avoir forgé un concordat avec le Vatican ou pour avoir soutenu Franco au cours de la guerre civile espagnole.

 

Seconde partie de l'ouvrage: les divers "fascismes autrichiens". On y découvre l'ambigüité du terme "fascisme" surtout quand celui-ci est utilisé dans une acception polémique. En effet, comment concilier le clérical-fascisme des chanceliers DOLLFUSS  et  SCHUSCHNIGG avec le programme de la NSDAP autrichienne, qui visait à les éliminer sans autre forme de procès... En Autriche, le pouvoir conservateur avait maté deux révoltes en 1934: celle portée par la social-démocratie et les communistes et celle fomentée par les nationaux-socialistes. Les ouvriers viennois rebelles ont été fusillés par la Heimwehr et les nazis pendus à la suite d'un procès assez sommaire. Les conservateurs pariaient sur l'alliance italien- ne et vaticane, alors que leurs adversaires, nazis, libéraux, socialistes et communistes tablaient sur l'avènement d'une société libérée de l'influence catholique et débarras- sée de la tutelle italienne. La question sud-tyrolienne jouant dans cette problématique un rôle capital.

 

La troisième partie recense les variétés de fascismes italiens et allemands. Ce sont les thèses les plus connues.

 

la quatrième partie aborde le sujet plus complexe des fascismes est-européens (Slova- quie, Croatie, Roumanie et Hongrie). Pour les Croix Flechées hongroises, Miklós LACKO écrit que le recrutement est essentiellement prolétarien et plébéien en 1939 quand le parti enregistre 25% des voix dans l'ensemble du pays. Mais que ce recrutement donne une masse d'électeurs instables qui quitteront le parti en 1943, le réduisant ainsi à 25% de ses effectifs initiaux. LACKO estime que cette désaffection provient du manque d'encadre- ment sérieux du parti et de la faiblesse de la conscience politique réelle de ses effectifs. Après la guerre, les ex-membres des Croix Flechées se retrouveront largement au sein des formations de gauche.

 

La cinquième partie de l'ouvrage traite des "fascismes" du Sud et de l'Ouest de l'Europe (Espagne, Portugal, Suisse, France, Belgique, Pays-Bas, Grande-Bretagne, Grèce et Irlan- de). Pour la Belgique, les textes de Luc SCHEPENS, par ailleurs excellent historien de la diplomatie belge au cours de la 1ère Guerre Mondiale, et de Danièle WALLEF, sur l'émergence et le développement du mouvement rexiste, sont assez banals. Pour la France, Zeev STERNHELL nous livre un texte excellent, profond mais hélas trop court. La lecture de son oeuvre complète reste indispensable. Le lecteur curieux s'interessera davantage aux mouvements suisses et irlandais moins connus. En Irlande, le mouvement découle d'une amicale d'Anciens Combattants hostiles à l'IRA qui adopte, par catholicisme social, une idéologie "corporatiste" et un certain décorum fasciste. Présidé par O'DUFFY, le parti n'aura guère de succès.

 

La sixième partie est la plus dense: elle aborde un sujet quasiment inconnu dans le reste de l'Europe, celui des "fascismes" scandinaves et finlandais. Les racines agrariennes du "Nasjonal Samling" de QUISLING, et sans doute du national-socialisme littéraire de Knut HAMSUN,  y sont analysées avec une rigueur toute particulière et avec l'appui de cartes montrant la répartition des votes par régions.

 

Pour la Finlande, Reijo E. HEINONEN brosse l'historique de l'IKL (Mouvement patriotique du peuple). Pour le Danemark, Henning POULSEN et Malene DJURSAA évoque le plus significatif des groupuscules danois, le DNSAP, calque du Grand Frère allemand. Ce groupuscule n'a enregistré que des succès très relatifs dans le Sud du pays, où vit une minorité allemande. Plus intéressant à nos yeux est l'essai de Bernt HAGTVET sur l'idéologie du "fascisme" suédois. HAGTVET ne se borne pas seulement à recenser les résultats électoraux mais scrute attentive- ment les composantes idéologiques d'un mouvement qui, à vrai dire, ne s'est jamais distingué par de brillants scores électoraux. Il nous montre clairement ce qui distingue les partis proprement classables comme "fascistes" des mouvements conservateurs musclés. Il nous signale quelles sont les influences du juriste et géopoliticien Rudolf KJELLEN dans l'émergence d'un "socialisme national" suédois. Néanmoins, les groupuscules "fascistes" suédois se sont mutuellement excommuniés au cours de leurs existences marginales et ont offert l'image d'un triste amateurisme, incapable de gérer la Cité. Asgeir GUDMUNDSSON relate les mésaventures du "national-socialisme" islandais sans toutefois nous fournir le moindre éclaircissement sur les réactions de cette formation à l'encontre de l'occupation américaine de l'île au cours de la seconde guerre mondiale. GUDMUNDSSON nous signale simplement que les réunions publiques du parti se tinrent jusqu'en 1944.

 

En résumé, même une encyclopédie aussi volumineuse du fascisme ne parvient pas à lever l'ambigüité sur l'utilisation générique du terme pour désigner un ensemble finalement très hétéroclite de formations politiques, dans des pays qui n'ont pas de traditions communes. Une encyclopédie semblable devrait voir le jour mais qui prendrait pour objets de ces investigations les références et les formulations théoriques de ces partis. Sans oublier comment ils se situent par rapport à l'histoire nationale de leurs patries respectives. La diversité en ressortirait encore davantage et l'inanité du terme "fascisme" en tant que concept générique éclaterait au grand jour.

 

Michel FROISSARD.

 

Stein Ugelvik LARSEN, Bernt HAGTVET, Jan Petter MYKLEBUST, Who were the Fascists, Social Roots of European Fascism, Universitetsforlaget, Bergen / Oslo / Tromsø, 1980, 816 p., 340 NOK.

vendredi, 17 septembre 2010

Pétain, De Gaulle: deux figures d'un tragique destin

Pétain, De Gaulle : deux figures d’un tragique destin

Pétain, De Gaulle… Réfléchissons un instant à ces personnages d’une époque lointaine. Et d’abord, quelle étonnante destinée que celle du maréchal Pétain ! Avoir été porté si haut et avoir été jeté si bas ! Dans la longue histoire de la France, d’autres grands personnages furent admirés, mais aucun sans doute n’a été plus aimé avant d’être tant dénigré.

Son malheur fut d’hériter, non seulement d’une défaite à laquelle il n’avait pris aucune part, mais plus encore d’un peuple, jadis grand, qui était tombé effroyablement bas. Pourtant, de ce peuple, jamais il ne désespéra. Le général De Gaulle, dont le destin croisa si souvent le sien, ne nourrissait pas les mêmes espérances, sinon les mêmes illusions. « J’ai bluffé. confiera-t-il vers 1950 à Georges Pompidou, mais la 1 ère armée, c’était des nègres et des Africains (il voulait dire des « pieds-noirs »). La division Leclerc a eu 2 500 engagés à Paris. En réalité, j’ai sauvé la face, mais la France ne suivait pas. Qu’ils crèvent ! C’est le fond de mon âme que je vous livre : tout est perdu. La France est finie. J’aurai écrit la dernière page. » (1)

Cela, même aux pires moments, Pétain eût été incapable de le penser.

Il était né en 1856 dans une famille de paysans picards, sous le règne de Napoléon III, avant l’automobile et avant l’électricité. Trois fois, il connut l’invasion de sa patrie, en 1870, en 1914 et en 1940. La première fois, il était adolescent et son rêve de revanche fit de lui un soldat.

En 1914, il avait 58 ans. Son indépendance d’esprit l’avait écarté des étoiles. Simple colonel, il se préparait à la retraite. L’assassinat à Sarajevo d’un archiduc autrichien et l’embrasement de l’Europe en décidèrent autrement. L’épreuve, soudain, le révéla. Quatre ans plus tard, il commandait en chef les armées françaises victorieuses de 1918 et recevait le bâton de maréchal de France. De tous les grands chefs de cette guerre atroce, il fut le seul à être aimé des soldats. Contrairement à tant de ses pairs, il ne voyait pas dans les hommes un matériel consommable. Le vainqueur de Verdun était l’un des rares à comprendre qu’il ne servait à rien d’être victorieux si le pays était saigné à mort.

Il y a bien des explications à la défaite de 1940, mais pour le vieux Maréchal, l’une des causes premières se trouvait dans l’effroyable saignée de 14-18. L’holocauste d’un million et demi d’hommes jeunes avait tué l’énergie de tout un peuple.
La première urgence était donc de maintenir ce peuple autant que possible à l’abri d’une nouvelle tuerie. Simultanément, Pétain espérait une future renaissance d’une « révolution nationale ». On l’en a blâmé. Certes, tout pouvait être hypothéqué par l’Occupation. En réalité, il n’avait pas le choix. La « révolution nationale » ne fut pas préalablement pensée. Avec toutes ses équivoques, elle surgit spontanément comme un remède nécessaire aux maux du régime précédent.

Aujourd’hui, dans la sécurité et le confort d’une société en paix, il est facile de porter sur les hommes de ce temps-là des jugements définitifs. Mais cette époque brutale et sans pitié ne pouvait se satisfaire de pétitions morales. Elle exigeait à chaque instant des décisions aux conséquences cruelles qui pouvaient se traduire, comme souvent en temps de guerre, par des vies sacrifiées pour en sauver d’autres.

À Cangé, en conseil des ministres, le 13 juin 1940, ayant pris la mesure exacte du désastre, le maréchal Pétain, de sa voix cassée, traça la ligne de conduite qui allait être la sienne jusqu’au bout, en 1944 : « Je déclare en ce qui me concerne que, hors du gouvernement, s’il le faut, je me refuserai à quitter le sol métropolitain. Je resterai parmi le peuple français pour partager ses peines et ses misères. »

Pour qui n’assumait pas de responsabilité gouvernementale, il était loisible de prendre un autre parti et de relever symboliquement le défi des armes. Et il est salubre que quelques audacieux aient fait ce choix. Mais en quoi cela retire-t-il de la noblesse à la sacrificielle résolution du maréchal Pétain ?

Les adversaires du général De Gaulle ont tenté de minimiser la portée et la hauteur de son propre geste, l’appel à une résistance ouverte. Ils ont fait valoir que l’ancien protégé du Maréchal ne s’était pas embarqué dans l’aventure sans parachute. Ils ajoutent qu’affronter les Allemands, depuis Londres, derrière un micro, était moins périlleux que de le faire en France même, dans un face à face dramatique, inégal et quotidien. Peut-être. Mais, parachute ou pas, le choix rebelle du Général était d’une rare audace. Fruit d’une ambition effrénée, ripostent ses détracteurs. Sans doute. Mais que fait-on sans ambition ?

Ce type d’ambition, cependant, faisait défaut au maréchal Pétain. A 84 ans, avec le passé qui était le sien, il n’avait plus rien à prouver et tout à perdre.

Si notre époque était moins intoxiquée de basse politique et de louches rancunes, il y a longtemps que l’on aurait célébré la complémentarité de deux hommes qui ont racheté, chacun à leur façon, ce qu’il y eut de petit, de vil et d’abject en ce temps-là.

Dominique Venner

Notes:

1. Georges Pompidou, Pour rétablir une vérité, Flammarion, 1982, p 128

Source : DominiqueVenner.fr

La "Nouvelle revue d'histoire" est disponible en kiosque!

vendredi, 20 août 2010

Nouvelle Revue d'Histoire n°49: en kiosque!

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En kiosque !

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jeudi, 15 juillet 2010

Foundations of Russian Nationalism

Foundations of Russian Nationalism

Robert Steuckers
 
Ex: http://www.counter-currents.com/
 

Medal of the Soviet Order of Alexander Nevsky, 1942

Translated by Greg Johnson

Throughout its history, Russia has been estranged from European dynamics. Its nationalism and national ideology are marked by a double game of attraction and revulsion towards Europe in particular and the West in general.

The famous Italian Slavist Aldo Ferrari points out that from the 10th to the 13th centuries, the Russia of Kiev was well-integrated into the medieval economic system. The Tartar invasion tore Russia away from the West. Later, when the Principality of Moscow reorganized itself and rolled back the residues of the Tartar Empire, Russia came to see itself as a new Orthodox Byzantium, different from the Catholic and Protestant West. The victory of Moscow began the Russian drive towards the Siberian vastness.

The rise of Peter the Great, the reign of Catherine the Great, and the 19th century brought a tentative rapprochement with the West.

To many observers, the Communist revolution inaugurated a new phase of autarkic isolation and de-Westernization, in spite of the Western European origin of its ideology, Marxism.

But the Westernization of the 19th century had not been unanimously accepted. At the beginning of the century, a fundamentalist, romantic, nationalist current appeared with vehemence all over Russia: against the “Occidentalists” rose the “Slavophiles.” The major cleavage between the left and the right was born in Russia, in the wake of German romanticism. It is still alive today in Moscow, where the debate is increasingly lively.

The leader of the Occidentalists in the 19th century was Piotr Chaadaev. The most outstanding figures of the “Slavophile” camp were Ivan Kireevski, Aleksei Khomiakov, and Ivan Axakov. Russian Occidentalism developed in several directions: liberal, anarchist, socialist. The Slavophiles developed an ideological current resting on two systems of values: Orthodox Christendom and peasant community. In non-propagandistic terms, that meant the autonomy of the national churches and a savage anti-individualism that regarded Western liberalism, especially the Anglo-Saxon variety, as a true abomination.

Over the decades, this division became increasingly complex. Certain leftists evolved towards a Russian particularism, an anti-capitalist, anarchist-peasant socialism. The Slavophile right mutated into  “panslavism” manipulated to further Russian expansion in the Balkans (supporting the Romanians, Serbs, Bulgarians, and Greeks against the Ottomans).

Among these “panslavists” was the philosopher Nikolay Danilevsky, author of an audacious historical panorama depicting Europe as a community of old people drained of their historical energies, and the Slavs as a phalange of young people destined to govern the world. Under the direction of Russia, the Slavs must seize Constantinople, re-assume the role of Byzantium, and build an imperishable empire.

Against the Danilevsky’s program, the philosopher Konstantin Leontiev wanted an alliance between Islam and Orthodoxy against the liberal ferment of dissolution from the West. He opposed all conflict between Russians and Ottomans in the Balkans. The enemy was above all Anglo-Saxon. Leontiev’s vision still appeals to many Russians today.

Lastly, in the Diary of Writer, Dostoevsky developed similar ideas (the youthfulness of the Slavic peoples, the perversion of the liberal West) to which he added a radical anti-Catholicism. Dostoevsky came to inspire in particular the German “national-Bolsheviks” of the Weimar Republic (Niekisch, Paetel, Moeller van den Bruck, who was his translator).

Following the construction of the Trans-Siberian railroad under the energetic direction of the minister Witte, a pragmatic and autarkical ideology of “Eurasianism” emerged that aimed to put the region under Russian control, whether directed by a Tsar or a Soviet Vojd (“Chief”).

The “Eurasian” ideologists are Troubetzkoy, Savitski, and Vernadsky. For them, Russia is not an Eastern part of Europe but a continent in itself, which occupies the center of the “World Island” that the British geopolitician Halford John Mackinder called the “Heartland.” For Mackinder, the power that managed to control “Heartland” was automatically master of the planet.

Indeed, this “Heartland,” namely the area extending from Moscow to the Urals and the Urals to the Transbaikal, was inaccessible to the maritime powers like England and the United States. It could thus hold them in check.

Soviet policy, especially during the Cold War, always tried to realize Mackinder’s worst fears, i.e., to make the Russo-Siberian center of the USSR impregnable. Even in the era of nuclear power, aviation, and transcontinental missiles. This “sanctuarization” of the Soviet “Heartland” constituted the semi-official ideology of the Red Army from Stalin to Brezhnev.

The imperial neo-nationalists, the national-Communists, and the patriots opposed Gorbachev and Yeltsin because they dismantled the Eastern-European, Ukrainian, Baltic, and central-Asian glacis of this “Heartland.”

These are the premises of Russian nationalism, whose multiple currents today oscillate between a populist-Slavophile pole (“narodniki,” from “narod,” people), a panslavist pole, and an Eurasian pole. For Aldo Ferrari, today’s Russian nationalism is subdivided between four currents: (a) neo-Slavophiles, (b) eurasianists, (c) national-Communists, and (d) ethnic nationalists.

The neo-Slavophiles are primarily those who advocate the theses of Solzhenitsyn. In How to Restore Our Russia?, the writer exiled in the United States preached putting Russia on a diet: She must give up all  imperial inclinations and fully recognize the right to self-determination of the peoples on her periphery. Solzhenitsyn then recommended a federation of the three great Slavic nations of the ex-USSR (Russia, Belarus, and Ukraine). To maximize the development of Siberia, he suggested a democracy based on small communities, a bit like the Swiss model. The other neo-nationalists reproach him for mutilating the imperial motherland and for propagating a ruralist utopianism, unrealizable in the hyper-modern world in which we live.

The Eurasianists are everywhere in the current Russian political arena. The philosopher to whom they refer is Lev Goumilev, a kind of Russian Spengler who analyzes the events of history according to the degree of passion that animates a people. When the people are impassioned, they create great things. When inner passion dims, the people decline and die. Such is the fate of the West.

For Goumilev, the Soviet borders are intangible but new Russia must adhere to the principle of ethnic pluralism. It is thus not a question of Russianizing the people of the periphery but of making of them definitive allies of the “imperial people.”

Goumilev, who died in June 1992, interpreted the ideas of Leontiev in a secular direction: the Russians and the Turkish-speaking peoples of Central Asia were to make common cause, setting aside their religious differences.

Today, the heritage of Goumilev is found in the columns of Elementy, the review of the Russian “New Right” of Alexandre Dugin, and Dyeïnn (which became Zavtra, after the prohibition of October 1993), the newspaper of Alexander Prokhanov, the leading national-patriotic writers and journalists. But one also finds it among certain Moslems of the “Party of Islamic Rebirth,” in particular Djemal Haydar. More curiously, two members of Yeltsin’s staff, Rahr and Tolz, were followers of Eurasianism. Their advice was hardly followed.

According to Aldo Ferrari, the national-Communists assert the continuity of the Soviet State as an historical entity and autonomous geopolitical space. But they understand that Marxism is no longer valid. Today, they advocate a “third way” in which the concept of national solidarity is cardinal. This is particularly the case of the chief of the Communist Party of the Russuan Federation, Gennady Zyuganov.

The ethnic nationalists are inspired more by the pre-1914 Russian extreme right that wished to preserve the “ethnic purity” of the people. In a certain sense, they are xenophobic and populist. They want people from the Caucasus to return to their homelands and are sometimes strident anti-Semites, in the Russian tradition.

Indeed, Russian neo-nationalism is rooted in the tradition of 19th century nationalism. In the 1960s, the neo-ruralists (Valentine Raspoutin, Vassili Belov, Soloukhine, Fiodor Abramov, etc.) came to completely reject “Western liberalism,” based on a veritable “conservative revolution”—all with the blessing of the Soviet power structure!

The literary review Nache Sovremenik was made the vehicle of this ideology: neo-Orthodox, ruralist, conservative, concerned with ethical values, ecological. Communism, they said, extirpated the “mythical consciousness” and created a “humanity of amoral monsters” completely “depraved,” ready to accept Western mirages.

Ultimately, this “conservative revolution” was quietly imposed in Russia while in the West the “masquerade” of 1968 (De Gaulle) caused the cultural catastrophe we are still suffering.

The Russian conservatives also put an end to the Communist phantasm of the “progressive interpretation of history.” The Communists, indeed, from the Russian past whatever presaged the Revolution and rejected the rest. To the “progressivist and selective interpretation,” the conservatives opposed the “unique flow”: they simultaneously valorized all Russian historical traditions and mortally relativized the linear conception of Marxism.

Bibliography

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Robert STEUCKERS (éd.), Dossier «National-communisme», in Vouloir, n°105/108, juillet-septembre 1993 (textes sur les variantes du nationalisme russe d’aujourd’hui, sur le “national-bolchévisme” russe des années 20 et 30, sur le fascisme russe, sur V. Raspoutine, sur la polé­mique parisienne de l’été 93).

Gerd KOENEN/Karla HIELSCHER, Die schwarze Front, Rowohlt, Reinbeck, 1991.

Walter LAQUEUR, Der Schoß ist fruchtbar noch. Der militante Nationalismus der russi­schen Rechten, Kindler, München, 1993.

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Alexandre DOUGUINE (DUGHIN), Continente Russia, Ed. all’insegna del Veltro, Parme, 1991. Extrait dans Vouloir n°76/79, 1991, «L’inconscient de l’Eurasie. Réflexions sur la pensée “eurasiatique” en Russie». Prix de ce numéro 50 FF (chèques à l’ordre de R. Steuckers).

Alexandre DOUGUINE, «La révolution conservatrice russe», manuscrit,  texte à paraître dans Vouloir.

Konstantin LEONTIEV, Bizantinismo e Mondo Slavo, Ed. all’insegna del Veltro, Parme, 1987 (trad. d’Aldo FERRARI).

N.I. DANILEVSKY, Rußland und Europa, Otto Zeller Verlag, 1965.

Michael PAULWITZ, Gott, Zar, Muttererde: Solschenizyn und die Neo-Slawophilen im heutigen Rußland, Burschenschaft Danubia, München, 1990.

Hans KOHN, Le panslavisme. Son histoire et son idéologie, Payot, Paris, 1963.

Walter SCHUBART, Russia and Western Man, F. Ungar, New York, 1950.

Walter SCHUBART, Europa und die Seele des Ostens, G. Neske, Pfullingen, 1951.

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Koenraad LOGGHE, «Valentin Grigorjevitsj Raspoetin en de Russische traditie», in Teksten, Kommentaren en Studies, n°71, 1993.

Alexander YANOV, The Russian New Right. Right-Wing Ideologies in the Contemporary USSR, IIS/University of California, Berkeley, 1978.

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Pierre PASCAL, Strömungen russischen Denkens 1850-1950, Age d’Homme/Karolinger Verlag, Vienne (Autriche), 1981.

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Viatcheslav OGRYZKO, Entretien avec Lev GOUMILEV, in Lettres Soviétiques, n°376, 1990.

Thierry MASURE, «De cultuurmorfologie van Nikolaj Danilevski», in Dietsland Europa, n°3 et n°4, 1984 (version française à paraître dans Vouloir).

 

http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2010/06/14/fondements-du-nationalisme-russe.html

mardi, 13 juillet 2010

Les travaux de Tilak et Horken: sur les origines des peuples indo-européens

Map-8000BC.jpg Walther BURGWEDEL :

 Les travaux de Tilak et Horken : sur les origines des peuples indo-européens

 

Il arrive parfois que deux chercheurs, chacun pour soi, se rapprochent de la solution recherchée, si bien que chacun d’entre eux aurait abouti dans sa démarche plus rapidement s’il avait eu connaissance des résultats de son homologue. Je vais étudier la démarche de deux chercheurs, qui ne se connaissaient pas l’un l’autre, appartenaient à des générations différentes et n’ont donc jamais eu l’occasion de se rencontrer ni, a fortiori, de compléter leurs recherches en s’inspirant l’un de l’autre. Je vais essayer de rattraper le temps perdu, tout en sachant que le résultat de mon travail contiendra forcément un dose de spéculation, comme c’est généralement le cas dans tous travaux d’archéologie et d’anthropologie. Je ne pourrai pas travailler l’ensemble prolixe des connaissances glanées par mes deux chercheurs et je me focaliserai pour l’essentiel sur un aspect de leur œuvre : celle qui étudie le cadre temporel où se situent les premières manifestations protohistoriques des peuples indo-européens.  Je procéderai à une comparaison entre les résultats obtenus par les deux chercheurs.

 

J’aborderai trois de leurs livres qui, tous, s’occupent des premiers balbutiements de la protohistoire des peuples indo-européens. Nos deux auteurs n’étaient ni anthropologues ni archéologues et ignoraient leurs recherches respectives. Ils ont ensuite abordé leur sujet au départ de prémisses très différentes.

 

Voici ces livres :

-          Bal Gangadhar Tilak, The Orion or Researches into the Antiquity of the Vedas, Bombay, 1893.

-          Bal Gangadhar Tilak, The Arctic Home in the Vedas, Poona, 1900.

-          H. K. Horken, Ex Nocte Lux, Tübingen, 1973. Seconde édition revue et corrigée, Tübingen, 1996.

 

(…)

 

Dans ces ouvrages, nous trouvons trois assertions de base :

 

Chez Tilak : le Rig-Veda, d’après ce qu’il contient, daterait d’environ 6000 ans ; il n’aurait été retranscrit que bien plus tard (« Orion », pp. 206 et ss.).

 

Les auteurs initiaux du Rig-Veda, c’est-à-dire les hommes qui furent à l’origine du texte ou d’une bonne partie de celui-ci, vivaient sur le littoral de l’Océan Glacial Arctique. Ils avaient développé là-bas une culture et une économie comparativement élevées par rapport au reste de l’humanité (« Orion », pp. 16 et ss. ; « Arctic Home », p. 276).

 

Pour Horken, les périodes glaciaires se sont manifestées à la suite des phénomènes liés à la séparation progressive du continent eurasien et du continent américain, d’une part, et à la  suite de l’émergence du Gulf Stream, d’autre part. Elles ont eu pour résultats de fixer de grandes quantités d’eau sous forme de glace et donc de faire descendre le niveau de la mer. De cette façon, les zones maritimes, normalement inondées, qui présentent des hauts fonds plats, ont été mises à sec, zones auxquelles appartient également le plateau continental de la zone polaire eurasienne. Sur le plan climatique, le Gulf Stream apporta une source de chaleur et les zones évacuées par la mer furent recouvertes de végétation, face à la côte française actuelle et tout autour des Iles Britanniques, en direction du Nord-Est. Après la végétation vint la faune et ses chasseurs, les premiers hommes d’Europe. Ainsi, l’espace occupé aujourd’hui par la Mer du Nord a été peuplé.

 

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Nous avons donc affaire ici à une population qui a suivi cette voie migratoire, au départ, probablement, des confins occidentaux du continent européen ; cette population, profitant d’un climat clément dans la zone aujourd’hui redevenue plateau continental, a fini par atteindre la Mer de Barents, avant qu’au sud de celle-ci, d’énormes masses de glace accumulées sur le sol de l’actuelle Scandinavie, ne leur barrent la route d’un éventuel retour.

 

 

La durée de leur migration et de leur séjour dans les régions polaires arctiques a été déterminée par les vicissitudes de la période glaciaire, de même que le temps qu’ils ont mis à s’adapter à leurs nouvelles conditions de vie. Quand le Gulf Stream a commencé à ne plus atteindre les régions constituant leur nouvelle patrie, cette population a vu revenir les conditions préglaciaires, avec, pour conséquence, que la vie y devint de plus en plus difficile et, finalement, impossible. Cette population a été contrainte d’émigrer vers l’Europe centrale et le bassin méditerranéen ou, autre branche, vers l’espace indien, au-delà des massifs montagneux de Sibérie (« Ex nocte lux »).

 

Tilak, lui, avance des arguments plus fiables : il étudie les descriptions dans le Rig-Veda qui ne sont compréhensibles que si l’on part du principe que les auteurs initiaux ont vécu, au moment où émerge le Rig-Veda, sur le littoral de l’Océan Glacial Arctique. Ce n’est qu’en posant cette hypothèse que les textes, considérés auparavant comme inexplicables, deviennent parfaitement compréhensibles. Tilak ne pose cependant pas la question de savoir comment cette population est arrivée dans cette région.

 

Horken, lui, nous offre une thèse éclairante, en se basant sur les phénomènes prouvés de l’histoire géologique de la Terre ; selon cette thèse, les événements qui se sont déroulés à l’époque glaciaire, plus spécifiquement à l’époque glaciaire de Würm, expliquent comment, par la force des choses, les premiers Européens sont arrivés sur le littoral de l’Océan Glacial Arctique. La géologie lui fournit de quoi étayer sa thèse sur la chronologie de cette migration.

 

On peut évidemment supposer que nos deux auteurs ont écrit sur la même population. Pour prouver que cela est exact, il faut d’abord démontrer comment les choses se sont passées sur le plan géologique en s’aidant de toutes les connaissances scientifiques disponibles et en les présentant de la manière la plus précise qui soit. Toutes les données que je vais aligner ici relèvent d’évaluations qui devront, si besoin s’en faut, être remplacées par des données plus précises. Mais pour donner un synopsis de ce déroulement, cette restriction, que je viens d’avancer, n’a guère d’importance.

 

La dérive des continents a fait en sorte que le Gulf Stream, après avoir passé le long du littoral occidental de l’Europe, a atteint les glaces de l’Océan Glacial Arctique et les a fait fondre dans la zone de contact. D’énormes masses d’eau se sont alors évaporées et, par l’effet des forces Coriolis (*) se sont retrouvées au-dessus des massifs montagneux de Scandinavie ; en montant, elles se sont refroidies et sont retombées sous forme de neige (Horken). Ce processus, d’après les évaluations actuelles, aurait commencé il y a 32.000 ans. Plus tard, les masses d’eau se sont figées en glace et ont entrainé la descente du niveau de la mer, non pas seulement le long des côtes, comme on peut encore les voir ou les deviner, mais sur l’ensemble du plateau continental; par la suite, la flore et la faune ont pu s’installer dans cette nouvelle région abandonnée par les flots. On peut donc admettre que l’homme, qui migre en suivant les troupeaux ou selon les espèces végétales qui le nourrissent, ait atteint les régions polaires avant que le point culminant de la glaciation ait produit ses effets. Au départ, la population arrivée là-bas n’a dû se contenter que d’un petit morceau habitable du plateau continental.

 

Pour pouvoir préciser quand cette phase a été atteinte, la géologie doit nous aider à éclairer ou corroborer les données suivantes, relatives à la région polaire du continent eurasiatique : fournir une chronologie capable de nous dire avec plus de précision quand le niveau de la mer est descendu, quand la glaciation est survenue et sur quelle extension géographique.  La paléobotanique pourrait aider à compléter cette chronologie en nous renseignant sur la flore présente et sur la température moyenne annuelle qu’implique la présence de cette flore.

 

D’après une carte topographique du plateau continental en face des côtes de l’Océan Glacial Arctique, on devrait pouvoir reconnaître quelles ont été les régions de terres nouvelles disponibles pour une population migrante, qui, de surcroît, a sans doute été la première population humaine dans la région. Il faut toutefois tenir compte d’un facteur : le niveau de la mer a baissé partout dans le monde mais seulement selon un axe Ouest-Est, à commencer par la région du Golfe de Biscaye (Horken, p. 120) puis le long de toute la côte française actuelle, ensuite tout autour des Iles Britanniques ; le Gulf Stream a donc réchauffé toute cette immense région, jusqu’au littoral arctique de la Scandinavie, qu’il a ainsi rendu apte à la colonisation humaine, en modifiant le climat progressivement, jusqu’à épuisement de l’énergie thermique qu’il véhicule. Les flots qu’il pousse vers le Nord se refroidissent ensuite s’écoulent et retournent vers l’Atlantique, en faisant le chemin inverse mais sous les masses d’eau plus chaudes. Plus à l’est, les zones du plateau continental ont été également libérées des flots mais n’ont pas bénéficié indéfiniment des avantages offerts par le Gulf Stream et sont sans nul doute devenues tout aussi inhospitalières qu’aujourd’hui, vu la proximité des glaces du sud de la banquise.

 

Toutes les régions situées sur le littoral de l’Océan Glacial Arctique, qui font l’objet de notre investigation, se trouvent sur le plateau continental et dès lors ont été recouvertes par les flots lors de la fonte des glaces et de la montée du niveau de la mer. Il faudrait l’explorer davantage. En règle générale, le socle continental accuse une pente légère en direction du pôle, si bien que toute descente du niveau de l’océan correspond à un accroissement équivalent de terres nouvelles, également en direction du pôle. A hauteur de la Mer de Barents, par exemple, cela correspondrait, dans le cas extrême, à un recul de l’océan d’environ 500 km. Mais on peut estimer qu’une telle surface n’a pas été abandonnée par les flots : c’est ici que les géologues doivent nous apporter des précisions. Pendant la période d’occupation de ce territoire aujourd’hui retourné aux flots marins, tous les fleuves et rivières ont dû se jeter dans l’océan beaucoup plus au nord qu’aujourd’hui et il doit être parfaitement possible de repérer l’ancien lit de ces cours d’eau sur le plateau continental, comme nous pouvons d’ailleurs le faire pour l’Elbe dans la Mer du Nord. Ces fleuves et leurs affluents ont dû fournir de l’eau douce indispensable à la faune dans son ensemble et aux hommes.  On peut dès lors en déduire que des sites d’installation ont existé sur les rives de ces cours d’eau. Les limites respectives du permafrost sur le continent (ou sur ce qui était le continent) ont certainement eu une influence sur la progression des migrants vers le Nord, progression que l’on pourrait suivre d’après les traces laissées. La valeur que revêt la découverte d’os dans cette région est importante : elle nous donnerait de bons indices, dès qu’on en découvrirait. 

 

Horken nous a élaboré un modèle géophysique convainquant  pour nous expliquer l’émergence et la fin de la période glaciaire de Würm. Si, à titre d’essai, nous posons cette théorie comme un fait, nous devons tout naturellement constater qu’à l’époque glaciaire, le long du littoral polaire du continent eurasiatique,  des hommes ont vécu, qui devaient au préalable avoir résidé à l’Ouest de l’Europe centrale. Ils sont arrivés sur ce littoral polaire et, pendant longtemps, sans doute pendant quelques millénaires, ont dû y vivre sous un climat non hostile à la vie.

 

Tilak constate, en se basant sur le texte du Rig-Veda, que celui-ci a dû, pour sa matière primordiale, se dérouler dans une zone littorale polaire de l’Eurasie.

 

Pour ce qui concerne la durée temporelle de ce séjour, qui a vu l’émergence de la matière propre du Rig-Veda, nos deux auteurs avancent les faits suivants :

Tilak s’est préoccupé de l’âge des Vedas dans sa première publication (« Orion », op. cit.). Dans un grand nombre d’hymnes du Rig-Veda, Tilak a repéré des données astronomiques particulières et les a vérifiées sur base de la pertinence de ce que nous dit le texte de ces hymnes, d’une part, et sur les déductions étymologiques des descriptions que l’on y trouve, d’autre part. Comme l’objet de ses recherches n’était pas, de prime abord, le dit des hymnes védiques mais l’âge du Rig-Veda, il a pris en considération les phénomènes astronomiques décrits et ce, toujours en tenant compte de l’effet modifiant de la précession astronomique. Pour rappel : par le fait de la précession, le moment du printemps se déplace chaque année sur l’écliptique de 50,26 secondes, dans le sens ouest-est, ce qui nous donne un circuit entier au bout de 25.780 années. Tilak a ensuite étudié les interprétations d’autres chercheurs et explique pourquoi il ne partage pas leur avis. A l’époque où le Rig-Veda aurait émergé et où ses hymnes auraient commencé à jeter les bases de tous les sacrifices sacrés de la tradition indo-aryenne, le moment principal du cycle annuel était le moment précis où commençait le printemps, où le soleil revenait, c’est-à-dire, plus exactement, le moment même du lever du soleil quand les nuits et les jours sont strictement égaux. Il faut aussi que ce soit un moment du cycle annuel qui soit mesurable à l’aide de méthodes simples.

 

Tilak connaissait forcément le nom des figures zodiacales sur l’écliptique, telles que les astronomes védiques les nommaient. Contrairement à la pratique actuelle, les hommes distinguaient à l’époque vingt-sept signes du zodiaque. Tilak a fait l’importante découverte que le Rig-Veda a émergé sous la constellation d’Orion, car, il est dit que le moment du début du printemps, à l’ère d’émergence des chants védiques primordiaux, se trouvait dans la constellation d’Orion. En tenant compte de la précession astronomique, Tilak a daté les faits astronomiques relatifs au moment du début du printemps, que l’on trouve dans les hymnes védiques, et, ainsi, a pu établir que ceux-ci ont dû apparaître vers 5000 avant l’ère chrétienne.

 

Cette évaluation de l’âge du Rig-Veda chez Tilak, du moins dans la plus ancienne de ses publications (« Orion », op. cit.), doit être fausse.

 

Pourquoi ?

Ce que décrit Horken, en replaçant les faits dans le cadre de la dernière glaciation, celle de Würm, se voit confirmer par Tilak, et de façon définitive. Même quand il découvre que les événements décrits dans les hymnes du Rig-Veda se sont déroulés au départ dans une zone circumpolaire, Tilak n’a aucune idée cohérente quant à leur époque. Horken, lui, nous livre des données plus précises à ce propos, quasi irréfutables.

 

Nous apprenons de Tilak quel était le degré de développement atteint par les Aryas du temps du Rig-Veda ; déjà, dans son ouvrage intitulé « Orion », il rejette le doute émis par d’autres chercheurs quant aux connaissances astronomiques des Aryas des temps védiques : « je ne crois pas, écrit-il, qu’une population qui connaissait le métal et en avait fait des outils de travail, qui fabriquait des habits de laine, construisait des embarcations, des maisons et des chariots, et possédait déjà quelques connaissances en matière d’agriculture, aurait été incapable de distinguer la différence entre année solaire et année lunaire » (« Orion », pp. 16 et ss.).

 

Dans son second ouvrage, « The Arctic Home », Tilak avait décrit les gestes sacrés des prêtres, dont la tâche principale, semble-t-il, était de décrire les événements cosmiques et météorologiques, surtout pendant la nuit arctique. C’est ainsi que nous entendons évoquer, au fil des hymnes, des phénomènes et des choses qui nous permettent d’énoncer des conclusions d’ordre culturel. Dans un tel contexte, nous pouvons peut-être faire référence à un fait bien particulier : rien que nommer une chose ou un phénomène implique que cette chose ou ce phénomène étaient connus. Nous apprenons, surtout quand nous lisons les événements tournant autour de figures divines, que, par exemple, la première population védique utilisait l’âne comme bête de somme (p. 299), que les fortifications de Vritra étaient de pierre et de fer (p. 248), que Vishnou possédait des destriers de combat (p. 282), qu’on fait allusion à des embarcations de cent rames, bien étanches, à la domestication de moutons et au fer (p. 302, versets 8 et ss., 27 et 32), que cette population connaissait les bovins domestiques et avait des rudiments d’élevage et de fabrication de produits dérivés du lait (p. 303) ; un étable pour vache est même citée (p. 328) ; on trouve aussi un indice, par le biais d’un nom propre, que cette population travaillait l’or (p. 311), que Titra possède une flèche à pointe de fer (p. 335) et qu’un cheval, dédié à une cérémonie sacrificielle, est dompté par Titra et monté par Indra (p. 338 et ss.). Finalement, on apprend aussi l’existence de « destriers de combat de couleur brune » (p. 341).

 

Ce sont là tous des éléments que nous rapporte le Rig-Veda, dont l’émergence se situe quasi avec certitude dans une région correspondant au littoral polaire arctique. Cependant, cette émergence ne peut avoir eu lieu 5000 ans avant l’ère chrétienne car, à cette époque-là, la fonte des masses de glace de l’ère de Würm relevait déjà du passé ; sur le littoral polaire arctique régnait déjà depuis longtemps un climat semblable à celui que nous connaissons aujourd’hui ; le plateau continental était revenu à l’océan ; il est dès lors impossible qu’une existence, telle que décrite dans les hymnes védiques primordiaux, ait été possible sur ce littoral.

 

Il n’y a qu’une explication possible : Tilak, dans ses calculs, a dû oublier une période entière de précession. Cette impression nous est transmises uniquement par sa publication la plus ancienne, « Orion », où Tilak critique les affirmations de nombreux chercheurs : « La distance actuelle entre le krittikas et le solstice d’été s’élève à plus de 30°, et lorsque ce krittikas correspondait au solstice d’été, alors il devait remonter à beaucoup plus de temps par rapport au cours actuel de la précession de l’équinoxe. Nous ne pouvons donc pas interpréter le passage en question de la manière suivante : si nous plaçons le solstice d’été dans le krittikas, alors nous devons attribuer une datation plus ancienne au poème de Taittiriya Sanhitâ, correspondant à quelque 22.000 ans avant l’ère chrétienne ». On n’apprend pas, en lisant Tilak dans « Arctic Home », s’il déduit de ses constats et conclusions la possibilité ou l’impossibilité de cette datation. Sans doute a-t-il deviné qu’il risquait de faire sensation, et surtout de ne pas être cru et pris au sérieux.

 

En partant du principe que tant Tilak (à condition que nous tenions compte de la correction de ses calculs, correction que nous venons d’évoquer) que Horken sont dans le juste, suite à leur investigations et déductions, alors nous pouvons émettre l’hypothèse suivante quant au déroulement des faits :

Le Gulf Stream provoque une ère glaciaire. Dès que des masses glaciaires se sont accumulées en quantités suffisantes et que le niveau de la mer a baissé, de nouvelles terres sèches émergent sur l’ensemble du plateau continental. Aux endroits atteints par le réchauffement dû au Gulf Stream, ces nouvelles terres deviennent des espaces habitables, en croissance permanente au fur et à mesure que le niveau de l’océan baisse encore et que la végétation s’en empare ; elles s’offrent donc à la pénétration humaine. Les populations, habitant à cette époque dans l’Ouest de l’Europe, sans vraiment le remarquer car le processus dure sans doute des siècles, migrent vers les zones de chasse les plus avantageuses, en direction de l’est où elles rencontrent d’autres populations ;  ces populations sont avantagées par rapport à d’autres car elles absorbent une nourriture plus riche en protéines, issue de la mer et disponible tant en été qu’en hiver (Horken).

 

Il me paraît intéressant de poser la question quant à savoir à quel type humain cette population appartenait ; vu la lenteur et la durée du phénomène migratoire qu’elle a représenté, cette population ne s’est sans doute jamais perçue comme un « groupe appelé à incarner un avenir particulier » et n’a jamais été véritablement consciente de la progression de sa migration sur l’espace terrestre. S’est-elle distinguée des autres populations demeurées dans le foyer originel ? Et, si oui, dans quelle mesure ? Appartenait-elle au groupe des Aurignaciens ? Ou à celui des Cro-Magnons ? Etait-elle apparentée à cette autre population qui, plus tard, lorsqu’elle vivait déjà dans son isolat arctique (Horken), créa les images rupestres des cavernes situées aujourd’hui en France méridionale et atteste dès lors d’un besoin, typiquement humain, de création artistique ? Les populations migrantes étaient-elles, elles aussi, animées par un tel besoin d’art ?

 

Dans le cadre de l’Institut anthropologique de l’Université Johannes Gutenberg à Mayence, on procède actuellement à des recherches dont les résultats permettront de formuler des hypothèses plausibles ou même d’affirmer des thèses sur la parenté génétique entre les différents groupes humains. L’axe essentiel de ces recherches repose sur la tolérance ou l’intolérance à l’endroit du lait de vache (la persistance de la lactose), tolérance ou intolérance qui sont déterminées génétiquement, comme le confirment les connaissances désormais acquises par les anthropologues. Pour vérifier, il suffit de prélever un échantillon sur un os. Les connaissances, que l’on acquerra bientôt, permettront de découvrir plus d’un indice sur l’origine et le séjour de cette population le long du littoral arctique. Comme nous l’avons déjà dit, ces populations connaissaient déjà les « vaches » et le « lait » et, vraisemblablement, l’élevage du bétail.

 

Les conditions de vie dominantes dans cette région dépourvue de montagnes impliquent un maintien général du corps qui est droit, afin de pouvoir voir aussi loin que possible dans la plaine. Le manque de lumière solaire a limité la constitution de pigments de la peau, d’où l’on peut émettre l’hypothèse de l’émergence d’un type humain de haute taille et de pigmentation claire (Horken). Lors de la migration toujours plus au nord, ces populations s’adaptèrent aux modifications des saisons et, dès qu’elles atteignirent la zone littorale de l’Arctique, leur mode de vie dut complètement changer. La nuit polaire est longue et la journée est courte : sur ce laps de temps finalement fort bref, il faut avoir semé et récolté, si l’on veut éviter la famine l’hiver suivant. Tous les efforts, y compris ceux qui revêtent un caractère sacré, ont surtout un but unique : savoir avec précision quel sera le cours prochain des saisons et savoir quand l’homme doit effectuer tel ou tel travail (Tilak). Dans le Rig-Veda, on apprend que pour chaque nuit de l’hiver polaire, nuit qui dure vingt-quatre heures, on avait à effectuer un acte sacré et qu’en tout une centaine de tels actes sacrés était possible. Il n’y en avait pas plus d’une centaine (Tilak, « Arctic Home… », pp. 215 et ss.) et peut-être ne les pratiquait-on pas toujours.

 

De ce que nous révèle ici le Rig-Véda, nous pouvons déduire à quelle latitude ces populations ont vécu, en progressant vers le nord. De même, nous pouvons admettre que ces populations ont vécu le long des fleuves et aussi sur le littoral, parce que fleuves et côtes offrent une source de nourriture abondante. D’après le texte védique, on peut émettre l’hypothèse que ces populations présentent une persistance de lactose. Vu l’absence de parenté entre le bovin primitif et le bovin domestique européen, il serait extrêmement intéressant de savoir de quel type de « vache » il s’agit dans le Rig-Véda, où ces animaux sont maintes fois cités.

 

Sur le plateau continental de la Mer de Barents, on devrait pouvoir trouver des ossements de bovidés, afin de pouvoir élucider cet aspect de nos recherches. La faune locale, quoi qu’il en soit, a dû correspondre à celle d’un climat plus chaud. A la même époque, les populations probablement apparentées et demeurées en Europe occidentale dans les cavernes de France et d’Espagne, représentaient en dessins des bovidés primitifs, des bisons, des rennes, des chevaux sauvages et des ours, et surtout, plus de soixante-dix fois, des mammouths. Les « hommes du nord », eux, selon Horken, représentaient la constellation d’Orion par la tête d’une antilope (Tilak, « Orion »).

 

Le fait que le Rig-Véda évoque, chez les populations vivant sur les côtes de l’Océan Glacial Arctique, la  présence de certains animaux domestiques est d’une grande importance pour notre propos, puisque leur domestication a été datée, jusqu’ici, comme bien plus tardive. Pour ces animaux, il s’agit surtout de la vache (du moins d’une espèce de bovidé qu’il s’agit encore de déterminer), du cheval et du chien. Le Rig-Véda évoque deux chiens, que Yama va chercher, pour « garder le chemin » qui contrôle l’entrée et la sortie du Ciel (Tilak, « Orion », p. 110) ; dans le dixième mandala du Rig-Véda, on apprend qu’un chien est lâché sur Vrishâkapi. On peut imaginer que ces faits se soient réellement déroulés lorsqu’une existence quasi normale était encore possible le long du littoral arctique.

 

La glaciation de Würm a connu quelques petites variations climatiques, pendant lesquelles une partie de la couche de glace a fondu, ce qui a provoqué une légère montée du niveau de la mer. Pour les populations concernées, ces variations se sont étalées sur plusieurs générations ; néanmoins, le retour de la mer sur des terrains peu élevés ou marqués de déclivités a conduit rapidement à des inondations de terres arables, ce qui a marqué les souvenirs des hommes. De même, les phénomènes contraires : l’accroissement des masses de glace et la descente du niveau de la mer, soit le recul des eaux. Dans le Rig-Véda, un hymne rapporte qu’Indra a tué le démon de l’eau par de la glace (Tilak, « Arctic Home », p. 279). Sans doute peut-on y voir un rapport…

 

Quand la glaciation de Würm a pris fin graduellement et réellement, elle a eu pour effet sur les populations concernées que les étés sont devenus plus frais et bien moins rentables et que, pendant les nuits polaires devenues fort froides, la nourriture engrangée n’a plus été suffisante, entrainant des disettes. Dans le Rig-Véda, on trouve quelques indices sur la détérioration du climat (Tilak, « Arctic Home… », p. 203). Le contenu des textes védiques, qui contient des informations très importantes, a sans nul doute été complété, poursuivi et « actualisé ».

 

Les raz-de-marée, provoqués par des tempêtes, ont inondé de plus en plus souvent les terres basses, notamment celles qui étaient exploitées sur le plan agricole : la mer revenait et les populations devaient se retirer. A un moment ou à un autre, les plus audacieux ont envisagé la possibilité d’une nouvelle migration. On ne connaît pas le moment où elle fut décidée, ni les voies qu’elle a empruntées ni les moyens mis en œuvre. Quoi qu’il en soit, le Rig-Véda nous rapporte que le pays des bienheureux peut être atteint à l’aide du « vaisseau céleste dirigé par un bon timonier » (Tilak, « Orion », pp. 110 et ss.). Les voies migratoires et l’équipement des migrants ont pu changer au cours de leurs pérégrinations, car ce mouvement de retour, de plus en plus fréquent sans doute, a pu durer pendant plusieurs millénaires. Procédons par comparaison : l’ensemble de l’histoire de l’humanité compte, jusqu’à présent, 5000 ans ! Cependant, on peut déjà deviner qu’avant cela les populations s’étaient mises en branle, principalement en direction de l’Ouest, probablement à l’aide d’embarcations (Horken), pour déboucher en fin de compte dans le bassin méditerranéen, tandis qu’un autre groupe de population migrait du littoral arctique en direction du sud, en remontant le cours des fleuves et en traversant les barrières montagneuses de Sibérie, voire de l’Himalaya, en direction de l’espace indien. Horken, pour sa part, a publié une carte en y indiquant les endroits où, aujourd’hui, on parle des langues indo-européennes ; dans la zone littorale arctique, on les trouve surtout le long des fleuves, plus denses vers l’embouchure qu’en amont (p. 238).

 

Les migrants ont partout trouvé d’autres populations ; on peut admettre qu’ils se sont mêlés à elles, partout où ils ont demeuré longtemps ou pour toujours. De ces mélanges entre le « groupe du nord », au départ homogène, et les autres groupes humains, différents les uns des autres, ont émergé des tribus qui, plus tard, ont donné les divers peuples de souche indo-européenne (Horken). Elles ont un point commun : elles proviendraient toutes d’un foyer originel situé à l’ouest de l’Europe centrale, et, après migrations successives, auraient débouché dans l’espace arctique où elles seraient demeurées pendant plusieurs millénaires, tout en étant soumises à rude école. On peut aussi émettre l’hypothèse que des adaptations physiologiques aux rythmes saisonniers arctiques ont eu lieu. Un médecin américain a rédigé un rapport d’enquête après avoir observé pendant plusieurs années consécutives le pouls de ses patients, pour arriver au résultat suivant : les patients de race africaine présentaient les mêmes pulsations cardiaques tout au long de l’année, tandis que les Blancs europoïdes présentaient un rythme de pulsation plus lent en hiver qu’en été (Horken).

 

Les Indiens védiques ont la même origine géographique et génétique que les Blancs europoïdes et ce sont eux qui ont rapporté jusqu’à nos jours le message de ce très lointain passé qui nous est commun, sous la forme des chants védiques, surtout le Rig-Véda qui a été transmis par voie orale, de génération en génération, depuis des millénaires, sans jamais avoir subi d’altérations majeures ou divergentes. Cette transmission s’est effectuée en respectant une remarquable fidélité au texte que de nombreux passages de la première version écrite (vers 1800 avant l’ère chrétienne) correspond mot pour mot aux versions plus récentes, du point de vue du contenu et non de celui de la formulation lexicale (laquelle n’est plus compréhensible telle quelle par les locuteurs actuels des langues post-sanskrites). Le principal point commun est la langue, certes, mais il y en a d’autres. La Weltanschauung des Indiens et des Perses présente des grandes similitudes avec celle des Européens et plus d’une divinité des chants védiques a son correspondant dans le panthéon grec, par exemple, possédant jusqu’au même nom ! Il faudrait encore pouvoir expliquer comment les Grecs ont trouvé le chemin vers les terres qu’ils ont occupées aux temps historiques : en empruntant partiellement une voie migratoire que les Indiens ont également empruntée (c’est l’hypothèse que pose Tilak dans « Orion ») ou en passant par l’espace de l’Europe septentrionale ?

 

Un trait commun aux Indiens et aux Germains se retrouve dans le culte de la swastika, qui a dû revêtir la même signification dans les deux populations. Dans son livre intitulé « Vom Hakenkreuz » et paru en 1922, Jörg Lechler estime pouvoir dater la swastika de 5000 ans, en se basant sur des signes rupestres. Mais cette datation pourrait bien devenir caduque. Si les hypothèses avancées par Tilak et Horken s’avèrent pertinentes, des fouilles sur le plateau continental arctique devraient mettre à jour des représentations de la swastika.

 

On ne peut toutefois partir de l’hypothèse que ces « hommes du nord » ont occupé les parties du littoral plus à l’est, régions que le Gulf Stream ne fournit plus en énergie calorifique, ce qui ne permettait pas la diffusion de la végétation. Pourtant, des populations ont sûrement habité dans cette partie plus orientale du plateau continental, selon un mode de vie que nous rencontrons encore aujourd’hui chez les ressortissants de peuples et de tribus plus simples, se contentant de l’élevage du renne, de la chasse aux fourrures et de la pêche, et qui sont partiellement nomades comme les Tchouktches. Ces peuples étaient probablement habitués à un climat aussi rude que celui qui règne là-bas actuellement, ce qui implique que, pour eux, il n’y a jamais eu détérioration fondamentale du climat et qu’une émigration générale hors de cette région n’avait aucune signification. Certains chercheurs, dont M. de Saporta, pensent que certains peuples non indo-européens ont également leur foyer originel sur le littoral de l’Arctique (Tilak, « Arctic Home », p. 409).

 

Horken termine son ouvrage en émettant les réflexions suivantes : sur base des mêmes fondements géophysiques, qui ont fait émerger la période de glaciation de Würm, une nouvelle période glaciaire pourrait ou devrait survenir. Horken repère des transformations d’ordre météorologique dans la zone polaire qui abondent dans son sens, notamment, il constate qu’un port dans les Iles Spitzbergen peut désormais être fréquenté plus longtemps pendant la saison chaude qu’auparavant. Cet indice, il l’a repéré il y a plus de dix ans. Entretemps, nous avons d’autres géologues qui ont exprimé la conviction que nous allons au devant d’une nouvelle période glaciaire.

 

Walther BURGWEDEL.

(article paru dans « Deutschland in Geschichte und Gegenwart », n°4/1999 ; traduction  et adaptation française : Robert Steuckers).       

 

Notes :

(*) Le phénomène que l’on appelle les « forces Coriolis » s’inscrit dans la constitution mouvante de l’atmosphère terrestre : celle-ci est en effet toujours en mouvement parce que l’air chaud des tropiques se meut en direction des pôles, tandis que l’air froid des pôles se meut en direction de l’Equateur. Ce schéma circulatoire est influencé par un autre mouvement, impulsé par la rotation de la Terre autour de son propre axe. Cette rotation fait en sorte que les courants nord-sud s’infléchissent vers l’est ou l’ouest ; c’est précisément cet infléchissement que l’on appelle la « force Coriolis » ; celle-ci s’avère la plus forte au voisinage des pôles. Elle a été étudiée et définie par le physicien et mathématicien français Gustave-Gaspard de Coriolis (1792-1843), attaché à l’Ecole Polytechnique de Paris.

 

 

 

samedi, 10 juillet 2010

Le démembrement de la Hongrie - Le Diktat du Trianon et sa révision partielle

 

Erich KÖRNER-LAKATOS :

 

Le démembrement de la Hongrie

 

Le Diktat du Trianon et sa révision partielle

 

Après la défaite de Mohacs en 1526 contre les Turcs, le Traité du Trianon est la seconde grande catastrophe subie par le peuple magyar. Le 4 juin 1920, le ministre plénipotentiaire hongrois Agoston Bénard et l’envoyé Alfred Drasche-Lazar signent, dans les salles du château de plaisance du Trianon les actes du traité fatidique pour la Hongrie. En guise de protestation contre ce Diktat imposé par les vainqueurs, les deux hommes ont signé debout. Car la délégation de Budapest avec, à sa tête, le Comte Albert Apponyi, subit en fait le même sort que les Autrichiens guidés par Karl Renner : tous ses arguments, sans exception, n’ont aucun impact. A la suite de ces vaines tentatives de négociations, les délégués hongrois sont contraints de signer le texte formulé et imposé par les vainqueurs.

 

Toute la Hongrie met les drapeaux en berne. Plus des deux tiers du territoire de l’Etat hongrois doivent être cédés, avec 60% de ses citoyens d’avant-guerre qui deviennent en un tournemain des étrangers, parmi lesquels trois millions de Magyars ethniques. La Transylvanie, la Batschka et le Banat, les « Hautes Terres » (c’est-à-dire la Slovaquie) et l’accès à la mer par Fiume : tout est perdu. Même la Pologne, amie par tradition, reçoit quelques lambeaux de sol hongrois dans les Tatras. De plus, le Royaume de Croatie tout entier, avec ses 52.541 km2, est arraché à la Hongrie, alors qu’il était lié à elle par le biais d’une union personnelle depuis le 12ème siècle et où, selon le recensement de 1910, vivaient 105.948 Hongrois. La Croatie, bon gré mal gré, devient partie intégrante du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes. « Nem, nem, soha ! » (« Non, non, jamais » !), entend-on de toutes parts. Les uns, en songeant au rude traitement parfois infligé aux composantes ethniques non magyares avant 1914, veulent réviser le Traité du Trianon de manière minimaliste en réclamant que les régions peuplées de Magyars reviennent à la mère patrie ; les autres, plus radicaux, lancent le mot d’ordre « Mindent vissza ! » (« Tout doit revenir ! ») et réclament le statu quo ante.

 

Par le biais du Protocole de Venise et du référendum contesté dans la région d’Ödenburg, Budapest parvient en décembre 1921 à obtenir une révision très modeste du Diktat : les territoires retournés ont une superficie de 292 km2, où vivent 50.023 citoyens. A la suite d’une décision de la Commission des Frontières de l’Entente, quelques villages le long de la rivière Pinka (Nahring, Schilding, Kroatisch-Schützen, Pernau et Grossdorf) retournent sous souveraineté hongroise : en tout 67 km2. A ces villages, il faut ajouter Prostrum et Bleigraben.

 

En juin 1927, le pays entre en ébullition car le quotidien londonien « Daily Mail », dans son édition du 21 juin, fait paraître un article titré « Hungary’s Place in the Sun » (« La place de la Hongrie sous le soleil »). L’auteur de cet article n’est rien moins que le magnat de la presse Lord Rothermere, dont le nom civil est Harold Sidney Harmsworth. Ce Lord Rothermere réclame une révision du Diktat du Trianon sur base ethnique-nationale. A Budapest, les optimistes pensent qu’il s’agit d’une initiative des affaires étrangères britanniques, ce qui s’avère bien rapidement un vœu pieux. Malgré cela, des centaines de milliers de personnes exultent quand Lors Rothermere vient en Hongrie pour visiter le pays. Certes, le Lord reste loyal à l’égard de la Hongrie, sponsorise le vol transocéanique entre Budapest et le New Foundland en juillet 1931, quatre ans après le vol en solitaire de Charles Lindbergh. L’appareil porte sur ses ailes une inscription, « Justice for Hungary »,  et traverse l’Atlantique en moins de quatorze heures.

 

Mais, à ce moment-là, il n’est pas question de songer à modifier les frontières imposées par le Traité du Trianon. En pratique, la Hongrie est presque entièrement encerclée par les puissances de la « Petite Entente », l’alliance militaire entre Prague, Belgrade et Bucarest. Il faut attendre 1938 pour que la situation se modifie. En août, le Régent du Royaume, Horthy, est à Kiel en tant que dernier Commandeur de la Marine de guerre impériale et royale austro-hongroise ; il y est l’invité d’honneur d’Adolf Hitler à l’occasion du lancement du croiseur lourd « Prince Eugène » (Prinz Eugen). On en arrive à parler de la Tchécoslovaquie mais, à la grande déception de son hôte allemand, le Régent Horthy préconise une solution pacifique à la question.

 

Lors des Accords de Munich, Mussolini jette dans les débats la questions des revendications polonaises (le territoire de Teschen) et hongroises sur la Tchécoslovaquie, ce qui débouche sur le premier Arbitrage de Vienne du 2 novembre 1938, qui accorde à la Hongrie une bande territoriale le long de la frontière hungaro-slovaque. Acclamé par la foule, le Régent, chevauchant un destrier blanc, entre dans la petite ville de Kaschau, accompagné de Lord Rothermere. En mars 1939, la Tchéquie résiduaire s’effondre et les troupes de la Honvéd (l’armée nationale hongroise) occupent l’Ukraine subcarpathique jusqu’à la frontière polonaise.

 

Un autre ardent désir des Hongrois se voit exaucé, du moins partiellement, par le second arbitrage de Vienne : le retour de la partie septentrionale de la Transylvanie avec l’enclave des Szekler (13.200 km2 avec un demi million d’habitants, dont 91% de langue hongroise). Cette région se trouve sur les flancs des Carpates orientales. Le 30 août 1940, lorsque la carte des nouveaux changements de frontières est présentée dans les salons du Château du Belvédère à Vienne, le ministre roumain des affaires étrangères Mihail Manoilescu s’effondre, terrassé par une crise cardiaque.

 

L’étape suivante (la dernière) a lieu en avril 1941. A la suite de la campagne militaire menée contre la Yougoslavie, les troupes de la Honvéd entrent dans la plupart des régions de la Batschka, peuplée de Hongrois. L’armée hongroise occupe également l’île de Mur entre les rivières Drave et Mur, au nord de Varajdin. Le Banat occidental (la partie orientale de cette région avait été attribuée à la Roumanie par le Traité du Trianon), avec ses 640.000 habitants, dont un bon nombre d’Allemands ethniques (*), ne revient pas à la Hongrie malgré l’aval de Berlin, parce que la Roumanie, elle aussi, avait exigé des compensations. Pour éviter une confrontation pour la maîtrise de cette région, celle-ci restera sous administration militaire allemande pendant la durée du conflit, une situation qui ne satisfaisait aucun des protagonistes.

 

Avec le soutien allemand, la Hongrie a pu récupéré, en deux ans et demi, un ensemble de territoires de 80.000 km2 en tout, avec cinq millions d’habitants dont plus de deux millions de Magyars, vivant, depuis l’application des clauses du Traité du Trianon, sous domination étrangère. Mais les tensions entre voisins demeurent : des tirs sporadiques éclatent le long de la frontière roumaine pendant l’été 1941. La Slovaquie, à son tour, demande des compensations territoriales ou le retour de certaines terres à la souveraineté slovaque. La Croatie veut récupérer l’île de Mur. Bratislava essaye même de raviver la « Petite Entente » mais Ribbentrop parvient à apaiser les partenaires de l’Allemagne et de l’Axe. Mais la joie d’avoir récupéré les territoires perdus à la suite du Diktat du Trianon ne durera guère. A la fin de l’année 1944, les armées soviétiques déferlent sur la Hongrie, alliée à l’Allemagne. Le traité de paix du 10 février 1947, signé à Paris dans le Palais du Luxembourg, les vainqueurs réimposent le statu quo d’avant la guerre. Pire : la Hongrie doit céder trois villages supplémentaires à la république tchécoslovaque de Benes.

 

Erich KÖRNER-LAKATOS.

(article paru dans « zur Zeit », Vienne, n°24/2010 ; http://www.zurzeit.at/ ).

 

Note :

(*) Ainsi que des Lorrains et des Luxembourgeois thiois et wallons, installés là-bas à la suite des invasions françaises du 17ème siècle qui ont saccagé et ruiné la Lorraine et la Franche-Comté, « génocidant » littéralement ces provinces et forçant, comme dans le Palatinat rhénan, les populations à fuir. Dans certaines zones, ce sont les deux tiers de la population qui est purement et simplement massacrée ou qui doit fuir. On trouvera des Lorrains dans la région de Rome, où ils ont été invités à assécher les fameux marais pontins et y ont péri de malaria et de typhus. Les Franc-Comtois, dont les villages et les fermes ont été incendiés par la soldatesque française et par les mercenaires suédois au service du Roi-Soleil, se retrouveront en Suisse et surtout au Val d’Aoste. La romanité impériale a subi de terribles sévices que l’historiographie française officielle a gommé des mémoires. Une historiographie, aujourd’hui « républicaine », qui donne des leçons à autrui mais dissimule des pratiques génocidaires inavouées et particulièrement écœurantes.

 

 

 

jeudi, 08 juillet 2010

Chi ha provocato la II guerra mondiale?

richardcliff.jpgChi ha provocato la II guerra mondiale?

Luca Leonello Rimbotti

Ex: http://www.mirorenzaglia.org/

Questa domanda se la poneva lo storico Romolo Gobbi nel lontano 1995. E in un suo libro importante, ma debitamente ignorato dai mass-media di allora e di oggi, rispondeva: «Dunque la guerra scoppiò per una serie di errori e non per la malvagità di Hitler». Poi chiamò in causa il celebre storico inglese A. J. P. Taylor, che fin dal 1961 aveva rotto il ghiaccio, facendo con parecchio anticipo un revisionismo radicale e spostando le responsabilità dalla Germania alla Francia e all’Inghilterra, prima, e a USA e URSS, poi. Cosa “revisionava” in concreto Taylor? Semplicemente faceva vedere quanto strumentali e di comodo fossero le attribuzioni a Hitler di tutte le responsabilità per lo scoppio della Seconda guerra mondiale. Ricordava che le vere istigatrici furono in realtà le “democrazie” occidentali; sottolineava che, a guerra vinta in Polonia e sul fronte occidentale, Hitler offrì svariate volte una pace equilibrata agli Alleati, addirittura garantendo la conservazione dei loro imperi coloniali, ma che questi rifiutarono, dando quindi corso alla carneficina degli anni seguenti. Taylor scrisse che «certo, la fuga nell’irrazionalità è più facile. La colpa della guerra si può attribuire al nichilismo di Hitler anziché alle deficienze e agli errori degli statisti europei…».

 

Le prove che Hitler nel 1939 non voleva la guerra sono sempre state conosciute. Solo che, a parte pochi studiosi “eroici”, nessuno le hai mai considerate. Come numerose sono le prove che a volerla furono i franco-inglesi. La divulgazione di massa, sotto la spinta di interessi di bottega, ha imposto un altro dogma, utile a garantire la coscienza pulita a chi invece aveva lungamente tramato: tutta la colpa al Terzo Reich e al pazzo fanatico di Berlino, questo l’ordine di scuderia: e al diavolo i documenti. Tanto a scrivere la storia sono sempre i vincitori e a difendere Hitler non ci penserà certo nessuno.

 

Senza volerlo, ci pensò invece Taylor, storico perfettamente democratico, che non aveva una sua tesi preconcetta da dimostrare per forza, non doveva difendere nessuno, non andava in cerca di scuse per accusare a vanvera questo o quello. Scriveva solo pagine di storia. E raggiunse le sue conclusioni soltanto attingendo dalla documentazione esistente. Senza forzature. E affermò che «Hitler era lungi dal preparare una grande guerra» a Occidente. E che…incredibile! non la voleva neppure contro la Polonia: «La distruzione della Polonia non faceva parte del suo progetto originario; al contrario, egli aveva desiderato risolvere la questione di Danzica in modo tale che i rapporti tra Germania e Polonia restassero buoni».

 

Solo dopo la garanzia della Gran Bretagna alla Polonia, dell’estate 1939, concepita appositamente come provocazione, Hitler si irrigidì e si decise a distruggere la Polonia. Che era uno Stato semi-fascista e accesamente antisemita, ricordiamolo, che in quanto a persecuzione degli Ebrei non aveva proprio nulla da imparare dalla Germania nazista, ma di cui gli Alleati si presero improvvisamente a cuore la causa, dopo aver lasciato a Hitler la Cecoslovacchia, che al contrario era uno dei pochi Stati europei dell’epoca a regime parlamentare e liberal-democratico. L’ipocrisia degli Alleati, di presentarsi come i difensori della “democrazia”, a questo punto appare in tutto il suo volto grottesco.

 

Una delle prove che la Germania non voleva una guerra allargata, ma al massimo gestire un conflitto locale, sta nel fatto che, dopo la campagna a Est del ’39, l’esercito tedesco rimase privo di riserve, e pressoché completamente scoperto a Ovest. Avesse voluto un regolamento dei conti con gli Alleati, Hitler in quel momento avrebbe mobilitato ben altrimenti la sua macchina da guerra. Queste le considerazioni di Taylor. Prontamente occultate dai padroni del pensiero.

 

Gobbi, nel suo libro, rinforzava il tutto asserendo che Hitler verso il suo nemico fu artefice di un gesto di cavalleria più unico che raro nella storia mondiale. Aveva a portata di mano la più facile e schiacciante delle vittorie, ma si astenne dal coglierla per esclusivi motivi politici, cioè per non umiliare il Regno Unito e ben predisporlo alla pace. Quando nel giugno ’40 arrestò i Panzer davanti a Dunkerque, dove centinaia di migliaia di inglesi in fuga si ammassavano per reimbarcarsi, si può dire col senno di poi che Hitler commise il suo più grande errore militare, ma lo commise per troppa generosità e per motivi di conciliazione politica: «Dunque l’aver lasciato fuggire i soldati inglesi da Dunkerque – scriveva Gobbi – non era un errore, ma una mossa per facilitare le trattative di pace…Ma da parte dell’Inghilterra giunse dopo un’ora un “no!” reciso…». È del resto noto che Churchill proibì alla radio inglese la diffusione dei vari messaggi di pace che Hitler lanciò uno dopo l’altro nel ‘40, per evitare che si formasse un’opinione pubblica favorevole alla pace…

 

Ma Gobbi, nel suo esplosivo libretto, affermò anche molte altre cose. Ad esempio, che l’Europa del Nuovo Ordine Europeo non era affatto un inferno, ma un progetto politico seguito dalle masse: «Nella mitologia antifascista tutti questi paesi risultavano oppressi dal “tallone d’acciaio” del nazi-fascismo, ma la realtà sconvolgente è che in tutta l’Europa vi era un consenso diffuso al fascismo, compresa la libera Svizzera». Frasi pesanti. Ma Gobbi andava oltre. Ricordò che la guerra nel Pacifico e nel Sud-Est asiatico venne subdolamente provocata da Roosevelt e dal suo entourage in lunghi mesi di studiata provocazione del Giappone: l’embargo al Sol Levante cui furono costrette le Indie Olandesi e i possedimenti inglesi mise in ginocchio il Giappone, lo esasperò, spingendolo a gesti disperati per sopravvivere. Proprio quello che si voleva a Londra, ma soprattutto a Washington, dove si cercava da un pezzo qualcosa che rimuovesse lo sgradito isolazionismo americano: «Anche in questo caso dunque la scelta della guerra venne fatta non da chi è tradizionalmente considerato l’aggressore e cioè il Giappone, ma da chi lo costrinse deliberatamente a farla».

 

L’attacco di Pearl Harbor, in cui morirono migliaia di marinai americani, fu la bella notizia che Roosevelt e i suoi amici armatori e industriali aspettavano. Di passata, Gobbi ricordava che la storiografia del dopoguerra – ad esempio R. E. Sherwood, sin dal ’49 – non aveva mancato di notare che Roosevelt era circondato «dalla “cricca nefasta” dei suoi stretti collaboratori composta dal giudice Felix Frankfurter, Samuel I. Rosenman e David K. Niles…tutti e tre ebrei…». Comunque sia, l’America ebbe la sua guerra e…«finalmente il ristagno dell’economia che il New Deal non era riuscito a eliminare venne completamente superato…».

 

Gobbi – che ricordiamo è storico di accesa sinistra – nel suo libro lamentava che il suo testo fosse stato rifiutato con imbarazzo da numerose case editrici, e che alla fine dovette accontentarsi di farlo pubblicare dalla piccola ma prestigiosa editrice Muzzio di Padova. C’è da capirlo. Questioni come queste, “revisionismi” come questo, sono intollerabili per chi gestisce l’opinione pubblica e dirige il conformismo a senso unico. E non tutti hanno il coraggio di perseguire la verità, specie se sgradita.

 

Oggi apriamo un altro piccolo libro, Le origini della seconda guerra mondiale di Richard Overy (il Mulino), e vi troviamo pari pari le medesime affermazioni di Gobbi. A mezza bocca, con qualche reticenza opportunistica, ma insomma la verità esce fuori: «La causa della seconda guerra mondiale non fu semplicemente Hitler: la guerra fu provocata dall’interazione tra fattori specifici»…che in soldoni riguardano il declino economico del capitalismo delle “democrazie” occidentali e il loro urgente bisogno di uscirne attraverso una guerra di proporzioni mondiali.

 

Overy, di cui in questo periodo è uscito anche Sull’orlo del precipizio. 1939. I dieci giorni che trascinarono il mondo in guerra (Feltrinelli), non è neppure lui un bieco fascista alla ricerca di notorietà. È uno storico “democratico” più onesto di tanti altri e meno disposto di loro ad occultare le evidenze documentali. Emilio Gentile, su Il Sole-24 Ore del 25 ottobre scorso, recensendo i due libri di Overy, ha ammesso a sua volta, a proposito del Führer, che «non è tuttavia provato che egli volesse deliberatamente scatenare, proprio in quel momento, una guerra europea o addirittura mondiale». E allora? Non era il pazzo che voleva dominare il mondo? Il gioco delle “grandi democrazie” viene scoperto in tutta la sua doppiezza e improntitudine da Overy, quando ricorda che Gran Bretagna e America, imperi mondiali, accusavano paradossalmente la Germania, tutto sommato piccola nazione centro-europea del tutto priva di colonie e possedimenti, di volersi appunto impadronire niente meno che del mondo. Secondo una retorica falsificatoria che ancora oggi, come tutti sanno, ha un larghissimo corso. Le classi dirigenti anglosassoni temevano una crescita della Germania e del Giappone e, nel suo piccolo, anche dell’Italia. Non perdonarono a quei Paesi di fare una politica libera. Dovevano fare una politica inglese. La classe dirigente “democratica”, di fronte alla crisi economica, preferì fare la guerra piuttosto che ridistribuire il potere mondiale con i nuovi arrivati: «Questa classe dirigente si arrogò il ruolo di giudicare gli interessi nazionali; anziché affrontare la realtà del declino, che era stato la prima causa della crisi, essa scelse una strategia di deterrenza e contenimento, e infine la guerra stessa». Viene allora da chiedersi: in tutto questo la Germania, l’Italia e il Giappone, nazioni emergenti che semmai avevano problemi di crescita e certo non di declino economico, che c’entravano?

 

Oltre a questo, per concludere un argomento tanto vasto nel breve spazio di un articolo, non possiamo non ricordare il recente libro del russo Constantine Pleshakov Il silenzio di Stalin (Corbaccio), in cui si dimostra che l’attacco di Hitler all’Unione Sovietica del 22 luglio ’41 non fu per nulla il frutto della bramosia hitleriana di conquista, ma una necessità vitale: Stalin aveva intenzione di attaccare di lì a poco, approfittando che la Germania era ancora impegnata contro l’Inghilterra. Stava per questo ammassando truppe alla frontiera e venne anticipato solo di un soffio: di qui il famoso shock emotivo che paralizzò di paura il dittatore georgiano per diversi mesi. Neanche la tanto sbandierata “aggressione” tedesca alla Russia comunista, dato che fu provocata dal comportamento sovietico, sarebbe quindi da ascrivere a Hitler. Il quale pertanto, stando ai risultati di tutti questi storici, non fu colpevole di aver scatenato una guerra mondiale (Overy ricorda tra l’altro che la dichiarazione di guerra la fecero la Francia e l’Inghilterra alla Germania, e non il contrario) e, anche nel caso della guerra a Oriente, come già facevano i Romani al tempo della loro repubblica, il dittatore tedesco si limitò a veder giusto, anticipando il nemico di un minuto, non facendo insomma nulla di diverso di una delle tante, millenarie “guerre preventive” di cui sono piene le pagine di storia.

Luca Leonello RIMBOTTI. 

 

jeudi, 01 juillet 2010

La lutte du Japon contre les impérialismes occidentaux

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1997

La lutte du Japon contre les impérialismes occidentaux

Intervention de Robert Steuckers, 5ième université d'été de la F.A.C.E. et de «Synergies Européennes», Varese, Lombardie, 1 août 1997

 

japon1011240.jpgLes principales caractéristiques politiques du Japon avant son ouverture forcée en 1853 étaient:

1. Un isolement complet

2. Un gouvernement assuré par le Shôgun, c'est-à-dire un pouvoir militaire.

3. La fonction impériale du Tennô est purement religieuse.

4. La société est divisée en trois castes:

- les Daimyos, seigneurs féodaux.

- les Samouraïs, fonctionnaires et vassaux.

- les Hinin, le peuple.

 

Sous le Shôgun YOSHIMUNE (1716-1745), le pouvoir impose:

- des taxes sur les biens de luxe afin d'"ascétiser" les daimyos et les samouraïs qui s'amollissaient dans l'hédonisme.

- une élévation des classes populaires.

- la diffusion de livres européens, à partir de 1720 (afin de connaître les techniques des Occidentaux).

 

Sous le Shôgun IEHARU (1760-1786), le Japon connaît une phase de déclin:

- la misère se généralise, les castes dirigeantes entrent en décadence (les tentatives de Yoshimune ont donc échoué).

- la misère générale entraîne le déclin du Shôgunat.

- on assiste alors à une réaction nationale, portée par le peuple, qui revalorise le shintoïsme et la figure du Tennô au détriment du Shôgun.

 

Avant l'ouverture, le Japon présente:

1. Une homogénéité territoriale:

- Trois îles + une quatrième en voie de colonisation, soit Kiou-Shou, Shikoku, Honshu + Hokkaïdo).

- Sakhaline et les Kouriles sont simplement perçues comme des atouts stratégiques, mais ne font pas partie du "sol sacré" japonais.

 

2. Une homogénéité linguistique.

 

3. Une certaine hétérogénéité religieuse:

- le Shinto est l'élément proprement japonais.

- le bouddhisme d'origine indienne a été ajouté à l'héritage national.

- le confucianisme d'origine chinoise est un corpus plus philosophique que religieux et il a été ajouté au syncrétisme bouddhisme/shintoïsme.

- la pratique du prosélytisme n'existe pas au Japon.

- la vie religieuse est caractérisée par une co-existence et un amalgame des cultes: il n'existe pas au Japon de clivages religieux antagonistes comme en Europe et en Inde.

- aucune religion au Japon n'aligne de zélotes.

 

4. Une homogénéité ethnique:

(la majeure partie de la population est japonaise, à l'exception des Aïnous minoritaires à Hokkaïdo, des Coréens ostracisés et d'une caste d'intouchables nommé "Eta").

 

Cette esquisse du Japon d'avant l'ouverture et ces quatre facteurs d'homogénéité ou d'hétérogénéité nous permettent de dégager trois leitmotive essentiels:

 

1. Contrairement à l'Occident chrétien ou même à l'Islam, le Japonais n'est pas religieux sur le mode de la disjonction (ou bien... ou bien...). Il ne dit pas: “je suis protestant ou catholique et non les deux à la fois”. Il est religieux sur le mode CUMULATIF (et... et...). Il dit: "Je suis ET bouddhiste ET shintoïste ET confucianiste ET parfois chrétien...). Le mode religieux du Japonais est le syncrétisme.

 

2. Le Japonais ne se perçoit pas comme un individu isolé mais comme une personne en relation avec autrui, avec ses ancêtres décédés et ses descendants à venir.

 

3. Pour le Japonais, la Nature est toute compénétrée d'esprits, sa conception est animiste à l'extrême, au point que les poissonniers, par exemple, érigent des stèles en l'honneur des poissons dont ils font commerce, afin de tranquiliser leur esprit errant. Les poissonniers japonais viennent régulièrement apporter des offrandes au pied de ces stèles érigées en l'honneur des poissons morts pour la consommation. A l'extrême, on a vu des Japonais ériger des stèles pour les lunettes qu'ils avaient cassées et dont ils avaient eu un bon usage. Ces Japonais apportent des offrandes en souvenir des bons services que leur avaient procurés leurs lunettes.

 

LE JAPON ET L'EUROPE:

 

Premiers contacts:

- Avec les Portugais (chargé d'explorer, de coloniser et d'évangéliser toutes les terres situées à l'Est d'un méridien fixé par le Traité de Tordesillas).

 

- Avec les Portugais s'installent les premières missions chrétiennes, composées de Franciscains, de Dominicains et de Jésuites.

 

- Le Shôgun IYEYASU est bouddhiste, membre de la secte Jodo, et s'oppose au christianisme parce que cette religion occidentale:

a) exclut les autres cultes et refuse leur juxtaposition pacifique;

b) génère des querelles incompréhensibles entre Franciscains et Dominicains espagnols d'une part et Jésuites portugais d'autre part;

c) parce que les Anglais et les Hollandais, qui harcèlent les deux puissances catholiques ibériques, promettent de ne pas s'ingérer dans les affaires religieuses du Japon, de ne pas installer de missions et donc de ne pas transposer les querelles de l'Occident au Japon.

 

- Après l'éviction des Portugais et des Espagnols catholiques, l'influence européenne la plus durable sera la hollandaise. Elle s'exercera surtout sur le plan intellectuel et scientifique, notamment en agriculture et en anatomie.

 

Le JAPON FACE AUX PUISSANCES LIBÉRALES (USA/GRANDE-BRETAGNE):

 

- Les Japonais se désintéressent des marchandises que leur proposent les Anglais.

- Pour gagner quand même de l'argent, les Anglais vendent de la drogue (opium).

- Ils obligent ensuite les Japonais à accepter des "traités inégaux", équivalent à un régime de "capitulations".

- Ils obligent les Japonais à accepter un statut d'EXTRA-TERRITORIALITÉ pour les résidents étrangers qui sont ainsi soustraits à toute juridiction japonaise (cette mesure a été prise à la suite de la décapitation de plénipotentiaires portugais de Macao, exécutés sans jugement et arbitrairement).

- Ils obligent les Japonais à renoncer à ériger tous droits de douane et à respecter de la façon la plus ab­solue le principe du "libre marché".

- Sans appareil politico-administratif issu d'un mercantilisme ou d'un protectionnisme bien étayés, les Japonais sont à la merci du capital étranger.

- Face à cette politique anglaise, qui sera appliquée également par les Etats-Unis à partir de 1853, les Japonais comprennent qu'ils doivent à tout prix éviter le sort de l'Inde, de la Chine et de l'Egypte (cette dernière était un Etat solidement établi au début du 19ième siècle, selon les principes de l'"Etat commer­cial fermé” de Fichte).

- Le Japon se rend compte qu'il doit adopter:

a) la technologie occidentale (armes à feu, artillerie, navires de guerre).

b) les méthodes d'organisation occidentales (il adoptera les méthodes prussiennes).

c) les techniques navales occidentales.

Pour ne pas être démuni face aux puissances européennes et aux Etats-Unis. Cette volonté de s'adapter aux technologies occidentales ouvrira l'Ere Meiji à partir de 1868.

Géopolitiquement, à partir de 1868, le Japon était coincé entre la Russie et les Etats-Unis. La Russie avançait ses pions en Sibérie orientale. Les Etats-Unis transformaient le Pacifique en lac américain.

 

LE JAPON FACE AUX ÉTATS-UNIS:

 

- Date clef: 1842. Cette année-là voit la fin de la première guerre de l'opium entre la Grande-Bretagne et la Chine. Londres impose aux Chinois le Traité de Nankin, où le Céleste Empire doit accepter la clause de la nation la plus favorisée à toutes les puissances occidentales. Sur le continent américain, les derniers soldats russes quittent leur colonie de Californie (Fort Ross).

- En 1844 est signé le Traité de Wanghia entre la Chine et les Etats-Unis. Ce Traité amorce la politique commerciale américaine en direction de l'immense marché potentiel qu'est la Chine. Jamais les Américains ne renonceront à conquérir ce marché.

- Dès le Traité de Wanghia, la volonté d'expansion des Etats-Unis dans le Pacifique prend forme.

- En 1845, cette longue marche en direction de l'hypothétique marché chinois commence sur le territoire américain lui-même, par la querelle de l'Oregon. Sur ce territoire sans souveraineté claire (ni britannique ni américaine), les Etats-Unis veulent imposer exclusivement leur souveraineté, car ils considèrent que cette région est un tremplin vers les immensités océaniques du Pacifique.

- Dans la presse de l'époque, les intentions géopolitiques des Etats-Unis s'expriment en toute clarté: «L'Oregon est la clef du Pacifique». Au Congrès, un Sénateur explique sans circonlocutions: «Avec l'Oregon, nous dominerons bientôt tout le commerce avec les îles du Pacifique-Sud et avec l'Asie orien­tale». Finalement, les Etats-Unis imposent leur volonté aux Britanniques (qui conservent néanmoins Vancouver, surnommé depuis une dizaine d'années, "Han-couver").

- En 1847, les Etats-Unis amorcent les premières négociations avec les Russes en vue d'acheter l'Alaska et les Aléoutiennes; ils envisagent ainsi de projeter leur puissance en direction de la Mer d'Okhotsk et du Japon (en 1867, vingt ans après le début des pourparlers, l'Alaska deviendra effectivement américain).

- En 1848, après une guerre avec le Mexique, les Etats-Unis annexent le Texas, le Nouveau-Mexique et la Californie. Ils possèdent désormais une façade pacifique. 

- L'objectif est clairement esquissé: c'est la création d'un "nouvel empire" américain dans le Pacifique.

Le théoricien de cette expansion pacifique est William H. Seward. Ses théories se résument en huit points:

1. Cet empire sera commercial et non militaire.

2. Il devra compenser l'insuffisance du marché intérieur américain.

3. Il devra lancer et consolider l'industrie américaine.

4. Il devra être épaulé par un flotte de guerre importante.

5. Il devra être structuré par une chaîne de comptoirs, de points d'appui et de stations de charbon (pour les navires de commerce et de guerre).

6. Il ne devra pas être colonial au sens romain et européen du terme, mais se contenter d'une collection de “Hong-Kongs” américains.

7. Il devra viser le marché chinois et éviter toute partition de la Chine.

8. Il devra faire sauter les verrous japonais.

 

En 1853, avec l'expédition des canonnières du Commandant Perry, la marine américaine ouvre de force le Japon au commerce international. A partir de 1853, les Etats-Unis cherchent à contrôler îles et archipels du Pacifique.

Ce seront, tour à tour, Hawaï, Samoa (où ils s'opposeront aux Allemands et perdront la première manche) et les Philippines (qu'ils arracheront à l'Espagne à la suite de la guerre de 1898).

Avec l'acquisition des Philippines, les Etats-Unis entendent s'approprier le marché chinois, en chasser les puissances européennes et le Japon et y imposer à leur profit une économie des "portes ouvertes".

 

Le JAPON FACE À LA RUSSIE:

 

- Au 19ième siècle, la Russie s'étend en Eurasie septentrionale et en Asie Centrale. Elle vise à faire du fleuve Amour sa frontière avec la Chine, afin d'avoir pour elle le port de Vladivostok (gelé toutefois pen­dant quatre mois par an), puis d'étendre son protectorat à la Mandchourie et d'avancer ses pions en di­rection de la Mer Jaune, mer chaude, et d'utiliser Port Arthur pour avoir sa propre façade pacifique.

 

- La Russie encercle ainsi la Corée, convoitée par le Japon et coincée entre Vladivostok et Port Arthur.

- La Grande-Bretagne et les Etats-Unis veulent maintenir la Russie le plus loin possible de la Chine et du littoral pacifique.

- Pour contenir la Russie, la Grande-Bretagne conclut une alliance avec le Japon.

- L'appui de la haute finance new-yorkaise permet au Japon de bénéficier de crédits pour mettre sur pied une armée de terre et une marine de guerre.

- Au même moment, s'enclenche dans la presse libérale du monde entier une propagande contre le Tsar, "ennemi de l'humanité". Simultanément, émerge un terrorisme en Russie, qui agit comme cinquième co­lonne au profit des Britanniques, des financiers américains et des Japonais (qui servent de chair à ca­non).

- Le Japon frappe les Russes à Port Arthur par surprise, sans déclaration de guerre.

- La Russie doit envoyer sa flotte de la Baltique à la rescousse. Mais les Anglais ferment Suez et refusent de livrer eau potable et charbon aux navires russes.

- La Russie est battue et doit composer.

- Les Etats-Unis, qui avaient cependant soutenu le Japon, font volte-face, craignant la nouvelle puis­sance nippone en Mandchourie, en Corée et en Chine.

- Sous la pression américaine, les Japonais sont contraints de renoncer à toutes réparations russes, alors qu'ils comptaient sur celles-ci pour rembourser leurs emprunts new-yorkais.

- Les intrigues américaines font du Japon un pays endetté, donc affaibli, et, croit-on, plus malléable.

- Dès 1907, on assiste à un rapprochement entre Russes et Japonais.

- En 1910, les Japonais s'emparent définitivement de la Corée, sans pour autant inquiéter les Russes.

- De 1914 à 1918, les Japonais s'emparent des établissements et colonies du Reich dans le Pacifique et en Chine.

- Les Japonais interviennent dans la guerre civile russe en Sibérie:

a) ils appuient les troupes de l'Amiral Koltchak qui se battent le long du Transsibérien et dans la région du Lac BaÏkal au nord de la Mongolie.

b) ils appuient la cavalerie asiatique du Baron Ungern-Sternberg en Mongolie.

c) ils tentent de pénétrer en Asie centrale, via le Transsibérien, la Mandchourie et la Mongolie.

 

LE RETOURNEMENT AMERICAIN ET LA « CONFERENCE DE WASHINGTON »

 

- Les Etats-Unis s'opposent à cette pénétration japonaise et appuient en sous-main les Soviétiques en:

a) décrétant l'embargo sur les exportations de coton vers les Japon;

b) interdisant l'importation de soies japonaises aux Etats-Unis;

c) provoquant ainsi un chomâge de masse au Japon, lequel est dès lors incapable de financer ses projets géopolitiques et géoéconomiques en Asie septentrionale (Mandchourie et Mongolie).

 

- En 1922, se tient la CONFÉRENCE DE WASHINGTON.

Les Américains y imposent au monde entier leur point de vue:

1. L'Angleterre est priée de retirer définitivement tout appui au Japon.

2. Les Japonais doivent se retirer de Sibérie (et abandonner Koltchak et Ungern-Sternberg).

3. Les Japonais doivent rendre à la Chine le port ex-allemand de Kiao-Tchau.

4. La Chine doit pratiquer une politique des "portes ouvertes" (en théorie, le Japon et les Etats-Unis sont à égalité dans la course).

5. Les Etats-Unis imposent un équilibrage ou une limitation des marines de guerre:

- Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne peuvent aligner chacun 525.000 tonnes.

- Le Japon doit se contenter de 315.000 tonnes.

- L'Italie et la France se voient réduites à 175.000 tonnes chacune (Georges Valois, Charles Maurras et l'état-major de la marine française s'en insugeront, ce qui explique la germanophilie des marins français pendant la seconde guerre mondiale, de même que leur européisme actuel).

- La marine allemande est quasiment réduite à néant depuis Versailles et n'entre donc pas en ligne de compte à Washington en 1922.

 

- Le Japon est dès lors réduit au rôle d'une puissance régionale sans grand avenir et est condamné au "petit cabotage industriel".

- Les militaires japonais s'opposeront à cette politique et, dès 1931, une armée "putschiste", mais non sanctionnée pour avoir perpétré ce putsch, pénètre en Mandchourie, nomme Empereur du "Mandchoukuo, Pu-Yi, dernier héritier de la dynastie mandchoue et pénètre progressivement en Mongolie intérieure, ce qui lui assure un contrôle indirect de la Chine.

- Washington refuse le fait accompli imposé par les militaires japonais. C'est le début de la guerre diplomatique qui se muera en guerre effective dès 1941 (Pearl Harbour).

 

LE JAPON ET L'ALLEMAGNE:

 

C'est le facteur russe qui déterminera les rapports nippo-germaniques.

 

- L'Allemagne s'intéresse au Japon pour:

a) créer un front oriental contre la Russie qui se rapproche de la France.

b) créer une triplice Berlin-Pétersbourg-Tokyo.

 

- En 1898, au moment de la guerre hispano-américaine, le ministre japonais ITO HIROBUMI suggère une alliance eurasiatique entre l'Allemagne, la Russie et le Japon. C'est au Japon, en lisant les écrits du Prince Ito, que Haushofer a acquis cette idée de "bloc continental" et l'a introduite dans la pensée poli­tique alle­mande.

 

- Mais en Allemagne on s'intéresse très peu au Japon et bien davantage à la Chine.

- Guillaume II est hanté par l'idée du "péril jaune" et veut une politique dure en Asie, à l'égard des peuples jaunes. Sa politique est de laisser faire les Russes.

- Par ailleurs, les diplomates allemands craignent que des relations trop étroites avec le Japon ne bra­quent la Russie et ne la range définitivement dans le camp français.

- L'Allemagne refuse de se joindre au Pacte nippo-britannique de 1902 contre la Russie et braque ainsi l'Angleterre (qui s'alliera avec la France et la Russie contre l'Allemagne en 1904: ce sera l'Entente).

- En 1905, la Russie, après sa défaite, quitte le théâtre extrême-oriental et jette son dévolu en Europe aux côtés de la France.

- L'Allemagne est présente en Micronésie mais sans autre atout: elle en sera chassée après la première guerre mondiale.

 

Les déboires et les maladresses de l'Allemagne sur le théâtre pacifique lui coûteront cher. Ce sera l'obsession du géopolitologue Haushofer.

 

Le DISCOURS DE LA POLITIQUE JAPONAISE:

 

Face à l'Europe et surtout aux Etats-Unis, à partir de la Conférence de Washington de 1922, quel discours alternatif le Japon va-t-il développer?

 

A. Les idéologies au Japon en général:

Pierre Lavelle, spécialiste français de la pensée japonaise distingue:

1. des formes idéologiques traditionnelles

2. des formes idéologiques néo-traditionnelles

3. des formes idéologiques modernes.

 

1. Les formes traditionnelles:

- Parmi les formes traditionnelles, le Shinto cherche à s'imposer comme idéologie officielle de la japoni­tude.

- Mais cette tentative se heurte au scepticisme des dirigeants japonais, car le Shinto éprouve des difficul­tés à penser le droit et la technique.

- Au cours des premières décennies de l'Ere Meiji, le bouddhisme perd du terrain mais revient ensuite sous des formes innovantes.

- Le confucianisme est revalorisé dans les milieux ultra-nationalistes et dans les milieux patronaux.

 

2. Les formes néo-traditionnelles:

- Leur objectif:

a) garder une identité nationale

b) cultiver une fierté nationale

c) faire face efficacement au monde extérieur avec les meilleures armes de l'Occident.

 

3. Les formes modernes:

- C'est d'abord la philosophie utilitariste anglo-saxonne qui s'impose au milieu du XIXième siècle.

- Après 1870, les orientations philosophiques japonaises s'inspirent de modèles allemands (ce qui perdu­rera).

- Vers 1895 disparaissent les dernières traces du complexe d'infériorité japonais.

- De 1900 à nos jours, la philosophie japonaise aborde les mêmes thématiques qu'en Europe et aux Etats-Unis.

- La dominante allemande est nette jusqu'en 1945.

- De 1955 à 1975 environ, le Japon connaît une période française. Michel Foucault est fort apprécié.

- Aujourd'hui, l'Allemagne reste très présente, ainsi que les philosophes anglo-saxons. Heidegger semble être le penseur le plus apprécié.

 

B. Le PANASIATISME (1):

 

L'idéal panasiatique repose sur deux idées maîtresses:

- Le Japon est puissance dominante qui a su rester elle-même et a assimilé les techniques de l'Occident.

- Le Japon est une puissance appelée à organiser l'Asie.

Dans cette optique, deux sociétés patriotiques émergent:

1) La Société du Détroit de Corée (Gen'yôsha).

2) La Société du Fleuve Amour (Kokuryûkai).

 

C. La “DOCTRINE D'ÉTAT”: POSITIONS ET FIGURES

 

Positions:

1. Centralité du Tennô/de la Maison Impériale.

2. Le Shintô d'Etat qui laisse la liberté des cultes mais impose un civisme à l'égard de l'Empereur et de la nation japonaise.

3. L'âme des sujets n'est pas distincte de l'Auguste Volonté  du Tennô.

4. La vision sociale de Shibuwasa Eiichi (1841-1931):

a) subordonner le profit à la grandeur nationale;

b) subordonner la compétition à l'harmonie;

c) subordonner l'esprit marchand à l'idéalisme du samouraï.

Ce qui implique:

- des rapports non froidement contractuels;

- des relations de type familial dans l'entreprise.

5. L'idéal bismarckien d'un Etat social fort et protectionniste, s'inscrivant dans le sillage de l'école histo­rique allemande.

6. Le développement d'un nationalisme étatique reposant, chez Inoue Testujiro (1856-1944):

a) sur une modernisation du confucianisme;

b) sur le panasiatisme;

c) sur le rejet du christianisme.

Et chez Takayama Chogyu (1871-1902) sur l'idée que le Japon est le champion des "Non-Aryens” dans la grande lutte finale entre les races qui adviendra.

7. Le développement concommittant d'un nationalisme populaire, dont les idées-forces sont:

a) le refus de l'étiquette occidentale dans les rituels d'Etat japonais.

b) la défense de l'essence nationale (kokusui).

c) la remise en cause de l'idée occidentale du progrès unilinéaire.

d) la nation est la médiation incontournable des contributions de l'individu à l'humanité.

 

Figures: 

1. Miyake Setsurei (1868-1945):

- L'objectif du Japon doit être le suivant: il doit faire la synthèse de l'émotion chinoise, de la volonté in­dienne et de l'intelligence occidentale (la démarche, comme toujours au Japon, est une fois de plus CUMULATIVE).

- Le Japon doit être capable de bien faire la guerre.

- Le Japon doit éviter le piège du bureaucratisme.

- Le Japon doit adopter le suffrage universel, y compris celui des femmes.

 

2. Shiga Shigetaka (1863-1927):

- L'identité culturelle japonaise passe par une valorisation des paysages nationaux (Shiga Shigetaka est écologiste et géophilosophe avant la lettre).

- L'expansion dans le Pacifique doit se faire par le commerce plutôt que par les armes.

 

3. Okahura Tenshin (1862-1913)

- Le Japon doit prendre conscience de son asiatisme.

- Il doit opérer un retour aux valeurs asiatiques.

- Il doit s'inspirer de la démarche de l'Indien Rabindranath Tagore (1861-1941), champion de l'émancipation indienne et asiatique.

- Les valeurs asiatiques sont: le monisme, la paix, la maîtrise de soi, l'oubli de soi, une notion de la famille centrée sur la relation entre générations et non sur le couple.

 

4. Les nationalistes chrétiens:

Attention: les chrétiens japonais sont souvent ultra-nationalistes et anti-américains.

Pour les nationalistes chrétiens, les valeurs communes du christianisme et du Japon sont:

- la fidélité, l'ascèse, le sacrifice de soi, le dévouement au bien public, l'idée d'une origine divine de toute autorité.

Les chrétiens protestants:

a. Ebina Danjô (1856-1937):

- L'Ancien Testament doit être remplacé par la tradition japonaise.

- Le Tennô doit être adjoint à la Sainte-Trinité.

b. Uchimura Kanzô (1861-1930):

- L'Occident n'applique pas les principes chrétiens, c'est au Japon de les appliquer en les japonisant.

c. Les Catholiques:

En 1936, le Vatican s'en tire avec une pirouette: le Shintô n'est pas une religion, donc il est compatible avec le christianisme. Les Catholiques peuvent donc pratiquer les rites shintoïstes.

 

En conclusion, le christianisme japonais se présente comme un “christianisme de la Voie Impériale”.

Seuls les Quakers et les Témoins de Jéhovah ne s'y rallient pas.

 

D. L'ULTRA-NATIONALISME à partir des années 20:

 

Comme l'Alldeutscher Verband  allemand ou la Navy League  américaine, l'ultra-nationalisme japo­nais débute par la fondation d'une société: la SOCIÉTÉ DE LA PÉRENNITÉ (Yûzonsha).

Ses fondateurs sont: ÔKAWA SHÛMEI et KITA IKKI (1883-1937).

a. Kita Ikki:

- Kita Ikki plaide pour le socialisme et le culte de l'Etat.

- Il adhère à la "Société du Fleuve Amour".

- Il prône une solidarité avec la Chine, victime de l'Occident, dans une optique panasiatique.

- Il développe une vision "planiste" de la Grande Asie japonocentrée. Par "planisme", j'entends une vision tournée vers l'avenir, non passéiste, où la mission du Japon passe avant le culte du Tennô.

b. Ôkawa Shûmei (1886-1957):

- La pensée d'Ôkawa Shûmei est à dominante confucéenne.

- Il plaide pour une solidarité avec l'Islam.

c. Nakano Seigô (1886-1943):

- Il est le fondateur de la SOCIÉTÉ DE L'ORIENT (la Tôhôkai), qui sera active de 1933 à 1943.

- Il est le seul au Japon à se réclamer ouvertement du fascisme et du national-socialisme.

- Il plaide pour l'avènement d'un "socialisme national anti-bureaucratique".

- Dans sa défense et son illustrations des modèles totalitaires allemand et italien, il est seul car le Japon n'a jamais été, même pendant la guerre, institutionnellement totalitaire.

d. Le Général Araki Sadao (1877-1966):

- Il inscrit l'ultra-nationalisme japonais dans une perspective spirituelle et fonde la FACTION DE LA VOIE IMPÉRIALE (Kôdôha).

 

L'ultra-nationalisme japonais culminera pendant les années de guerre dans quatre stratégies:

- La valorisation de l'esprit (tiré des mânes des ancêtres et des dieux présents partout dans le monde) contre les machines.

- L'éradication de la culture occidentale moderne en Asie.

- La valorisation de l'"Autre Occident", c'est-à-dire l'Allemagne et l'Italie, où il mettre surtout l'accent sur l'héroïsme (récits militaires de la première guerre mondiale, pour servir d'exemple aux soldats), plutôt que sur le racisme de Mein Kampf, peu élogieux à l'égard des peuples jaunes.

- L'antisémitisme alors que le Japon n'a pas de population juive.

 

E. GÉOPOLITIQUE ET PANASIATISME (2):

 

Les sources de la géopolitique japonaise:

 

Les Japonais, bons observateurs des pratiques des chancelleries européennes et américaines, lisent dans les rapports de l'Américain Brooks Adams des commentaires très négatifs sur la présence alle­mande dans la forteresse côtière chinoise de Kiau-Tchéou, alors que les Russes se trouvent à Port Arthur.

 

Brooks Adams exprime sa crainte de voir se développer à grande échelle une politique de chemin de fer transcontinentale portée par les efforts de la Russie, de l'Allemagne et d'une puissance d'Extrême-Orient.

 

Devant une masse continentale unie par un bon réseau de chemin de fer, la stratégie du blocus, chère aux Britanniques et aux Américains, ne peut plus fonctionner.

 

Conclusion: Les Japonais ont été les premiers à retenir cette leçon, mais ont voulu prendre la place de la Chine, ne pas laisser à la Chine le bénéfice d'être la puissance extrême-orientale de cette future "troïka" ferroviaire.

 

D'où: les flottes allemande et japonaise doivent coopérer et encadrer la masse continentale russe et mettre ainsi un terme à la pratique des "traités inégaux" et inaugurer l'ère de la coopération entre partenaires égaux.

 

Après l'alliance anglaise de 1902 et après la victoire de 1905 sur la Russie, qui ne rapporte pas grand'chose au Japon, le Prince Ito, le Comte Goto et le Premier Ministre Katsura voulaient une alliance germano-russo-japonaise. Mais elle n'intéresse pas l'Allemagne. Peu après, le Prince Ito est assassiné en Corée par un terroriste coréen.

 

L'IDÉE D'UN "BLOC CONTINENTAL EURASIEN" est donc d'origine japonaise, bien qu'on le retrouve chez l'homme d'Etat russe Sergueï Witte.

 

F. Le PANASIATISME (3):

 

Quant au panasiatisme, il provient de trois sources:

1. Une lettre du révolutionnaire chinois Sun-Yat-Sen au ministre japonais Inoukaï: le leader chinois demandait l'alliance de la Chine et du Japon avec la Turquie, l'Autriche-Hongrie et l'Allemagne, pour "libérer l'Asie".

 

2. L'historien indien Benoy Kumar Sakkar développe l'idée d'une “Jeune Asie” futuriste.

 

3. Le discours de l'écrivain indien Rabindranath Tagore, exhortant le Japon à ne pas perdre ses racines asiatiques et à coopérer avec tous ceux qui voulaient promouvoir dans le monde l'émergence de blocs continentaux.

 

APRÈS 1945:

- La souveraineté japonaise est limitée.

- McArthur laisse le Tennô en place.

- Le Japon est autorisé à se renforcer économiquement.

 

Mais dès les années 80, ce statu quo provoque des réactions. La plus significative est celle de Shintaro Ishihara, avec son livre The Japan That Can Say No  (1989 au Japon, avant la guerre du Golfe; 1991 dans sa traduction américaine, après la guerre du Golfe).

 

Dans cet ouvrage, Shintaro Ishihara:

- réclame un partenariat égal avec les Etats-Unis en Asie et dans le Pacifique.

- souligne les inégalités et les vexations que subit le Japon.

- explique que la politique des "portes ouvertes" ne réglerait nullement le problème de la balance commer­ciale déficitaire des Etats-Unis vis-à-vis du Japon.

- observe que si les Etats-Unis présentent une balance commerciale déficitaire face au Japon, c'est parce qu'ils n'ont jamais adapté correctement leur politique et leur économie aux circonstances variables dans le monde.

- observe que les pratiques japonaise et américaine du capitalisme sont différentes, doivent le rester et dérivent de matrices culturelles et historiques différentes.

- observe que l'imitation d'un modèle étranger efficace n'est pas un déshonneur. Le Japon a appris de l'Occident. Les Etats-Unis pourraient tout aussi bien apprendre du Japon.

- se réfère à Spengler pour dire:

a) il n'y a pas de "fin de l'histoire".

b) la quête de l'humanité se poursuivra.

c) comme Spengler l'avait prévu, la civilisation de demain ne sera possible que si se juxtaposent des cul­tures différentes sur la planète.

d) les différences ne conduisent pas à l'incompatibilité et à la confrontation.

- annonce que le Japon investira en Europe, notamment en Hongrie et en Tchéquie.

- suggère aux Américains un vaste programme de redressement, basé sur l'expérience japonaise.

 

La réponse américaine, rédigée par Meredith et Lebard (cf.) est:

- une réponse agressive;

- une réponse prévoyant une future guerre en Asie, mettant aux prises un Japon regroupant autour de lui une alliance avec l'Indonésie, Singapour, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les Philippines, la Malaisie, la Thaïlande, la Myanmar, l'Inde et la Chine. Cette alliance visera à contrôler à la place des Américains la route du pétrole du Golfe à Singapour et de Singapour au Japon, par un binôme marin Inde/Japon.

- Face à ce bloc est-asiatique et indien, les Etats-Unis doivent, disent Meredith et Lebard, mobiliser un contre-alliance regroupant la Corée, la Chine, Taïwan, l'Indonésie, l'Australie, les Philippines et Singapour.

- L'Indonésie et la Chine constituant les enjeux majeurs de cette confrontation.

 

Robert STEUCKERS,

Forest-Flotzenberg, juillet 1997.

 

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- ROTERMUND, Hartmut O., «Entre tradition et modernité: la religion et le Japon», in: Géopolitique, n°37, 1992.

- SCHUMACHER, Rupert von, «Panideen in der Weltpolitik», in: HAUSHOFER, Karl & FOCHLER-HAUKE, Gustav, Welt in Gärung. Zeitberichte deutscher Geopolitiker, Breitkopf & Härtel/Leipzig, Deutscher Verlag für Politik und Wirtschaft/Berlin, 1937.

- SEIGO, Nakano, «The Need for a Totalitarian Japan», in: GRIFFIN, Roger (ed.), Fascism, Oxford University Press, Oxford, 1995.

- SEIGO, Nakano, «Write Your Own Mein Kampf», in: GRIFFIN, Roger (ed.), Fascism, Oxford University Press, Oxford, 1995.

- SHILLONY, Ben-Ami, Politics and Culture in Wartime Japan, Clarendon Press, Oxford, 1991.

- WILKINSON, Endymion, «Le Japon, les Etats-Unis et l'Europe», in: Géopolitique, n°37, 1992.

- WIERSBITZKY, Kurt, «Südostasiens geopolitische Stellung in der Welt», in: HAUSHOFER, Karl & FOCHLER-HAUKE, Gustav, Welt in Gärung. Zeitberichte deutscher Geopolitiker, Breitkopf & Härtel/Leipzig, Deutscher Verlag für Politik und Wirtschaft/Berlin, 1937.

 

 

mardi, 29 juin 2010

Protocole de l'allocution de R. Steuckers lors de la conférence de presse du Dr. Saïd Haidar (ambassadeur d'Irak)

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1990

Protocole de l'allocution de Robert Steuckers lors de la conférence de presse du Dr. Said Haïdar, ambassadeur de la République d'Irak à Bruxelles, le vendredi 28 septembre 1990.

Excellence, Dr. Haïdar, Mesdames, Messieurs,

Depuis le déploiement des troupes américaines dans le désert arabique le long de la frontière irakienne, nous assistons à une unanimité suspecte, orchestrée par tous les médias du monde occidental, contre l'Irak et son Président. Toutes les grosses ficelles de la propagande ont été ressorties du placard et les poncifs négatifs autrefois utilisés contre Hitler, Mussolini, Staline, Nasser, Idi Amin Dada ou Khadafi ont retrouvé une nouvelle jeunesse. Ces exagérations bellicistes nous obligent à nous poser quelques questions d'ordre doctrinal. Avant-guerre, aux Etats-Unis, des intellectuels venus de tous les horizons idéologiques, s'étaient faits les avocats du «continentalisme», soit d'une doctrine de non-intervention dans les continents voisins. Pour ces hommes, l'Amérique ne devait intervenir ni en Europe ni en Asie et les Européens et les Asiatiques n'avaient rien à imposer au continent américain. Les diverses parties du monde, dans cette optique, devaient se centrer sur elles-mêmes afin de promouvoir une autonomie des grandes régions de notre planète, un organisation du monde en «grands espaces». Cette sagesse, ce bon sens, Roosevelt n'a pas voulu l'écouter et a de ce fait entraîné le peuple américain dans la guerre au nom des chimères mondialistes. L'Amérique avait, d'après Roosevelt, le devoir moral d'intervenir tous azimuts. Résultat, constaté il y a deux ou trois ans par le Professeur Kennedy: les finances américaines se sont épuisées à entretenir une machine de guerre à hauteur de cette incroyable prétention. Si l'on veut revenir au principe des «continentalistes», seule position acceptable hier comme aujourd'hui, l'Europe ni l'Amérique n'ont à intervenir dans les conflits du Proche- et du Moyen-Orient. Le conflit Iran-Irak, heureusement terminé, ou le conflit Irak-Koweit sont des affaires extérieures aux sphères européenne et américaine. La logique du bon sens voudrait donc que les Européens et les Américains n'interviennent pas dans ces conflits ou se bornent exclusivement à offrir leurs bons services de médiateurs. La morale concrète, soit une morale qui ne se base pas sur des abstractions irréalistes et désincarnées, nous impose de ne pas gaspiller des vies humaines, des vies de soldats, dans des conflits extérieurs à notre sphère vitale propre. Si l'on appliquait de tels principes concrets au lieu de s'inspirer de folies prétentieuses parées du label d'universalisme, on génèrerait de la paix partout dans le monde. L'idéologie universaliste des Américains, depuis Roosevelt, provoque des guerres mondiales, généralise l'horreur alors que le bon sens voudrait qu'on la limite par tous les moyens! Limiter volontairement nos actions à notre sphère continentale  —l'européenne pour les Européens, l'américaine pour les Américains—  signifie automatiquement localiser les guerres et non les étendre au monde entier.

 

Si un rappel du bon sens «continentaliste» est la première réflexion qui me vient en tête quand j'entends les médias aboyer leurs sornettes, la seconde réflexion qui me vient à l'esprit concerne les pétromonarchies. En se penchant sur la carte politique de la région où elles se situent, on est frappé par leur artificialité, une artificialité imposée depuis le démembrement de l'Empire Ottoman en 1918-19. Dans la région, la diplomatie britannique a pratiqué sa bonne vieille tactique: diviser pour régner. En d'autres termes, créer des Etats artificiels à l'embouchure des grands fleuves, afin de contrôler le commerce fluvial, donc l'économie de l'hinterland, et de tenir à sa merci les populations non littorales. Cette politique a été pratiquée par la France et la Suède en 1648, lors des traités de Westphalie. La création d'une Hollande sans hinterland à l'embouchure du Rhin et de la Meuse et l'occupation des embouchures de la Weser et de l'Elbe par la Suède avaient pour objectif de maintenir les Allemagnes en état de sujétion. La création de la Belgique en 1830 coupe la Confédération Germanique d'Anvers et fracasse l'unité viable du Royaume-Uni des Pays-Bas. La création du Koweit dans les années 20 de notre siècle suit la même logique: empêcher le développement optimal de la Mésopotamie irakienne, disposant d'atouts sérieux. De ce morcellement artificiel des territoires, découle une logique du blocus: si l'hinterland se montre récalcitrant, on bloque les ports, on étouffe l'économie et on affame la population.

 

Troisième réflexion: la création de ces petits Etats artificiels permet de concentrer les richesses en peu de mains: famille royale hollandaise, bourgeoisie belge, sheiks du Koweit. Minorités corrompues que l'on remettra en selle par tous les moyens si besoin s'en faut. Ce favoritisme exclusiviste généralise l'injustice sociale à très grande échelle. Le monde actuel vit cette anomalie très concrètement: j'en veux pour preuves les dettes immenses de l'Amérique latine et des autres zones du Tiers-Monde. Peron en Argentine, Mossadegh en Iran, Michel Aflak au Liban, en Syrie et en Irak ont voulu mettre un terme à cette aberration monstrueuse: leurs échecs relatifs ne doivent pas nous décourager. «Point n'est besoin d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer».

 

Quatrième réflexion: l'illogisme américain, qui consistait hier, en 1987, à envoyer la flotte de guerre pour escorter les pétroliers irakiens et qui consiste aujourd'hui à envoyer la même armada pour les bloquer, montre bien qu'il ne s'agit pas d'une «croisade pour le droit» mais d'une volonté délibérée de maintenir toute la région sous la coupe directe des intérêts américains et d'empêcher toute puissance régionale d'organiser l'espace proche- et moyen-oriental à sa guise. Peu importe si cette puissance régionale est l'amie d'hier... Le calcul impérialiste brut est à l'œuvre ici non la vertu.

 

Derrière tout cela se profile en fait un grave danger pour l'Europe. Depuis la chute du Mur de Berlin et l'avènement de Vaclav Havel à la Présidence de la République fédérative des Tchèques et des Slovaques, l'Europe vivait un processus de paix. Le centre du Vieux Continent se resoudait, les soldats hongrois et autrichiens démantelaient les barbelés et les miradors, la foule est-allemande exigeait la dissolution de la Stasi, etc. L'avenir était très prometteur: un redémarrage économique s'annonçait en Europe alors que rien ne laissait prévoir une diminution du déficit américain. L'Amérique, animée par les pires folies messianiques traduites pour le bon peuple, le bétail électoral, en termes de consommation, s'est ingéniée, depuis quarante ans, à mettre en œuvre les pires poncifs éculés du libéralisme sans racines et sans ancrage. Résultat: le système d'éducation va à vau-l'eau, la société chavire dans les pires indisciplines, n'accepte plus la moindre contrainte, croit vivre le paradis et s'étiole, se disloque, se désagrège. Deux hommes d'affaires japonais, dont l'ancien directeur de Sony, ont brossé de la société américaine un tableau peu séduisant. En pariant pour le «choix individuel», en bonne logique libérale-permissive, l'Américaine a bradé son avenir, tandis que l'Allemagne et le Japon (et surtout lui) n'ont cessé d'améliorer leurs systèmes d'éducation, de valoriser le savoir-faire de leurs forces vives, de mobiliser les énergies humaines de leurs nations. Pour échapper à la honte d'être vaincue par ceux qu'elle avait vaincus à coup de tapis de bombes ou par l'atomisation de Nagasaki et Hiroshima, l'Amérique, tenaillée par ses rancunes, cherche à limiter les bénéfices que pourraient engranger dans le court terme Allemands et Japonais. En tentant de leur faire payer les frais de l'opération folle amorcée dans le désert arabique, les Américains essayent tant bien que mal de retarder encore la marche en avant de l'Europe germano-centrée et de l'espace pacifique nippo-centré, exactement comme l'avait prédit le grand juriste européen Carl Schmitt. Les Etats-Unis, même s'ils se déclarent progressistes, sont en fait les grands retardateurs de l'histoire.

 

Retarder l'histoire, empêcher le centrage de l'Europe et l'émergence d'une sphère de co-prospérité asiatique en Extrême-Orient, empêcher tout dialogue constructif entre nations européennes et nations arabo-musulmanes, tenter de détourner les bénéfices européens et japonais dans le gouffre sans fond du gaspillage américain, voilà la logique égoïste de l'impérialisme yankee. Logique égoïste qui est aussi pour nous un défi. Un défi qui nous somme de ne pas imiter le relâchement des mœurs à l'américaine, de ne pas imiter la désinvolture américaine en matière d'enseignement, de tout miser en conséquence sur l'éducation de notre peuple, de trouver des autres sources d'énergie, selon l'adage qui veut que la science, l'inventivité des hommes, brise les monopoles. Dans le cas du pétrole,  briser celui de l'Aramco.

 

Robert STEUCKERS.

 

 

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dimanche, 27 juin 2010

Phosphore sur Darmstadt

darmstadt.jpg Phosphore sur Darmstadt

Témoignage du Lieutenant-Colonel Christiaan Hendrik Turcksin, commandeur de la “Flak-Brigade” flamande

Pour comprendre ce texte : Christian Hendrik Turcksin, figure étonnante du Brabant flamand, ancien comédien des rues, tenancier de taverne, nationaliste flamand par une sorte d’anarchisme naturel, s’engage dans la Luftwaffe de Goering dès 1940, et recrute plusieurs milliers d’hommes pour la force aérienne allemande, dont beaucoup de rampants, de troupes destinées à surveiller et défendre les aérodromes et à servir les batteries anti-aériennes de la “FLAK”. Ces troupes flamandes participeront à l’occupation des départements du Nord de la France, jadis annexés par Louis XIV. Dans ce recrutement, il aurait eu l’appui tacite de l’établissement belge, qui lui a fourni un cadre d’officiers compétents, avec la promesse de le défendre en cas d’une victoire alliée et d’un putsch communiste simultané. Les soldats de Turcksin se battront après septembre 1944 sur le front occidental (et non pas sur le front de l’Est!) et seront chargés de défendre, avec leurs camarades allemands, les villes du pays de Bade et la vallée du Neckar, notamment contre les armées de Leclerc. Turcksin sera arrêté et torturé par les Américains (la description des “interrogatoires” qu’il a subis est hallucinante!) puis livré à la Belgique qui le condamnera à perpétuité et le libèrera après 13 ans de détention. Mais en occultant soigneusement sa saga, pour qu’elle ne jette pas le trouble dans le bon peuple. Turcksin finira ses jours en Allemagne, dont il obtiendra la nationalité. Il a laissé des mémoires aux Archives Fédérales de Bonn. Le livre (références infra) tiré de ces mémoires, et paru chez l’éditeur De Krijger, a été composé par l’un de ses anciens officiers, issu du mouvement flamand et non pas de l’armée belge, l’historien Jos Vinks, aujourd’hui décédé. Ce livre désormais accessible au grand public aurait recelé une véritable bombe à retardement pour l’établissement il y a une ou deux décennies. Aujourd’hui, l’amnésie est généralisée et la confusion est totale. Donc on peut sans crainte révéler une partie des mémoires de ce phénomène inclassable que fut Turcksin.

 

L’offensive von Rundstedt avait échoué. Les bombardements sur les villes allemandes ne cessaient d’augmenter. Cela devenait de plus en plus une pure boucherie, dont était victime la seule population civile, des vieillards, des femmes et des enfants. Ces bombardements frappaient des villes sans importance militaire (comme Dresde), que l’on rasait sans hésiter. En plus, les chasseurs mitraillaient les routes, les villages, les champs et canardaient tout ce qui bougeait : un paysan sur son champ, une femme à vélo qui partait faire ses emplettes, des enfants qui se rendaient à l’école.

 

A cette époque-là, j’étais contraint de voyager régulièrement entre Wiesbaden et Germersheim et ces trajets étaient de plus en plus dangereux, à cause des chasseurs alliés qui survolaient le pays en rase-mottes. La “Flakbrigade” flamande ripostait de son mieux et récoltait des louanges pour ses actions. Pour protéger la population civile contre les “jabos” [chasseurs-bombardiers légers des forces alliées, de type “Typhoon” ou “Thunderbolt”, ndlr], nos batteries lourdes avaient reçu en renfort des pièces anti-aériennes à trois tubes, qui provenaient de la marine: on les avait démontés de leurs navires de guerre.

 

La chose la plus horrible que j’ai vécue à cette époque-là de la guerre, fut bel et bien le bombardement de Darmstadt. Pour échapper au danger permanent que représentaient les “jabos”, nous effectuions nos plus longs trajets de nuit. Ce jour-là, en m’approchant de Darmstadt par l’autoroute, une sentinelle me fait signe de m’arrêter, juste avant la sortie vers la ville. L’alerte maximale venait juste d’être donnée. Il n’a pas fallu longtemps pour voir, depuis l’autoroute, à cinq kilomètres de la ville, le déclenchement de gigantesques incendies. D’un coup, le ciel est passé par toutes les couleurs: bleu azur, jaune verdâtre, toutes les nuances de l’arc-en-ciel; il faisait si clair qu’on pouvait presque lire le journal.

 

“C’est du phosphore que lancent ces bandits” me dit alors un homme appartenant à la Croix-Rouge. “Et cela sur une ville où il n’y a que des hôpitaux”. “Il n’y a pas d’industrie, pas d’unités de l’armée”. “Maintenant, ajouta-t-il, vous devrez rester pour aider, avec votre voiture”. “Afin de conduire les blessés à Heidelberg. Ce n’est que là qu’on peut aider ceux qui ont été touchés par le phosphore”. Dès la fin de l’alerte, je me suis rangé dans la colonne de voitures qui suivait le véhicule de la Croix-Rouge. Nous n’avons pas pu aller plus loin que la gare. L’asphalte de la rue brûlait et dégageait des couleurs vives: du rouge, du vert, du jaune. Des frissons d’horreur me secouaient quand j’entendais hurler les femmes et les enfants: tous ceux qui ont entendu de tels cris s’en sont souvenu toute leur vie durant. Quant à ceux qui ont ordonné et fait exécuter un tel massacre, ils ne méritent plus le nom d’homme: ce sont des démons. Certains sont fiers d’avoir participé à ces massacres: où est leur conscience? Disent-ils, eux aussi, qu’ils n’ont fait qu’exécuter les ordres?

 

On désigna, pour monter dans ma voiture, une femme qui portait un enfant et tenait une petite fille par la main. Ils hurlaient de douleur. Ce n’était plus des cris, mais de véritables hurlements. J’ai demandé à l’homme de la Croix-Rouge s’il n’avait rien pour aider ces pauvres gens. “Non”, me répondit-il, “la seul chose possible, c’est de procéder à l’ablation des chairs touchées par le phosphore. Seuls ceux de la clinique universitaire d’Heidelberg peuvent le faire. Voilà pourquoi vous devez vous y rendre le plus rapidement possible”. J’ai roulé au maximum des capacités du moteur, j’ai foncé comme un fou sur l’autoroute. Je peux difficilement exprimer par des mots ce qui se passait sur la banquette arrière de mon véhicule. Pendant de nombreuses années, cette vision m’a poursuivi dans mon sommeil, a hanté mes cauchemars. Pendant le trajet vers Heidelberg, j’ai maudit intensément les responsables de cette horreur sans nom, je leur ai souhaité les pires choses, comme jamais je ne l’avais fait dans ma vie.

 

La femme ne cessait de m’implorer: “Monsieur l’officier, finissez-en. N’avez-vous donc aucun sentiment pour la souffrance de mes enfants? Donnez-moi votre pistolet, que je le fasse moi-même, si vous êtes trop lâche!”. Après ce voyage abominable, un médecin m’a expliqué combien douloureuses étaient les brûlures dues au phosphore. C’était dans la clinique d’Heidelberg. Le seul moyen, même s’il paraît extrêmement brutal, est de trancher la chair atteinte. Tenter de la “refroidir” ne sert à rien et rend les douleurs encore plus insupportables. Des brûlés au phosophore se sont jetés à l’eau, pensant soulager leurs douleurs, mais la moitié d’entre eux en sont morts ou sont devenus fous car le mal devenait alors insoutenable. De telles scènes se sont déroulées partout, mais, comme je l’ai appris à ce moment-là, ce fut surtout à Hambourg et à Dresde. “Essayez vous-même”, me dit le médecin d’Heidelberg,  “en prenant une alumette, que vous allumez, mais en la tenant contre une partie du corps avant qu’elle ne s’enflamme. Une seule seconde suffit. Vous saurez alors ce que cela signifie d’être arrosé de phosphore”.

 

Ensuite, pragmatique, il me dit : “Je vais faire nettoyer votre auto, car il est probable que vous soyez vous aussi brûlé ultérieurement par ce qu’il reste de phosphore dans le véhicule”. Je me suis alors rendu près de ma voiture et j’ai attendu, parce que je voulais savoir ce qu’il était advenu de cette femme et de ses deux enfants. La femme a dû subir une amputation des deux pieds. La fillette qu’elle avait tenue par la main a connu le même sort, parce qu’elle avait marché, elle aussi [sur l’asphalte brûlant sous l’effet du phosphore, ndt]. Le jeune enfant que la mère portait a été amputé du bras droit. L’intérieur de ma voiture était brûlé: le phosphore avait continué lentement à manger la matière, cherchant toujours plus de “nourriture” à engloutir, jusqu’à l’épuisement de sa force diabolique. On a ôté tous les sièges de ma voiture et on les a enduits d’une sorte de pâte. J’ai dû utiliser une simple chaise, dont on avait scié les pieds, comme siège de conducteur!

 

[Extrait de Jos VINKS, De memoires van Turcksin, Uitgeverij De Krijger, Erpe, s.d., 25 Euro, ISBN 90-7254-747-0].

lundi, 21 juin 2010

Fondements du nationalisme russe

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES & du CRAPOUILLOT - 1994

Fondements du nationalisme russe

 

La Russie, dans son histoire, a toujours été étrangère aux dynamiques euro­péennes. Son nationalisme, son idéologie nationale, sont marquées par un double jeu d'attraction et de répulsion envers l'Europe en particulier et l'Occident en général. Le célèbre slaviste italien Aldo Ferrari nous le rappel­le: du 10ème au 13ème siècles, la Russie de Kiev est bien inserée dans le sys­tème économique médiéval. L'invasion tatare l'arrache à l'Occident, puis la Principauté de Moscou, en se réorganisant et en combattant les résidus de l'Empire Tatar, se veut une nouvelle Byzance orthodoxe, différente de l'Oc­cident romain ou protestant. La victoire de Moscou amorce l'élan de la Rus­sie vers les immensités sibériennes. De l'avènement de Pierre le Grand au règne de Catherine II et au 19° siècle, s'opère un timide rapprochement avec l'Ouest. Pour bon nombre d'observateurs, la révolution communiste inau­gure une nouvelle phase de fermeture autarcique, de désoccidentalisation, en dépit de l'origine ouest-européenne de son idéologie, le marxisme.

 

Mais l'occidentalisation du 19° siècle n'a pas été unanimement acceptée. Dès le début du siècle, un courant fondamentaliste, romantique, nationaliste, se manifeste avec véhémence dans toute la Russie: contre les “occidentalistes”, il se veut “slavophile”. Le clivage majeur opposant la gauche et la droite ve­nait de naître en Russie, dans le sillage du romantisme allemand. Il est tou­jours vivant aujourd'hui, où le débat est de plus en plus vif à Moscou. Le chef de file des occidentalistes du 19° était Piotr Tchaadaïev. Les figures les plus marquantes du camp “slavophile” étaient Kiréïevski, Khomiakhov et Axakov. L'occidentalisme russe s'est éparpillé en plusieurs directions: libé­raux, anarchistes, socialistes. Les slavophiles développèrent un courant i­déologique reposant sur deux systèmes de valeurs: la chrétienté orthodoxe et la communauté paysanne. En termes moins propagandistes, cela signifie l'autonomie des églises nationales (“autocéphales”) et un anti-individualis­me farouche qui considèrent le libéralisme occidental, surtout l'anglo-sa­xon, comme une véritable abomination.

 

Au fil des décennies, ce dualisme va se complexifier. La gauche va, dans cer­taines de ses composantes, évoluer vers un particularisme russe, vers un so­cialisme anarcho-paysan anti-capitaliste. La droite slavophile va se muer en un “panslavisme” manipulé par le pouvoir pour assurer l'expansion russe en direction des Balkans (appui aux Roumains, aux Serbes, aux Bulgares et aux Grecs contre les Ottomans). Parmi ces “panslavistes”, le philosophe Ni­kolaï Danilevski, auteur d'une fresque historique audacieuse où l'Europe est considérée comme une communauté de peuples vieux, vidés de leurs é­nergies historiques, et les Slaves comme une phalange de peuples jeunes, appelés à régir le monde. Sous la direction de la Russie, les Slaves doivent s'emparer de Constantinople, reprendre le rôle de Byzance et construire un empire impérissable.

 

Face à ce programme de Danilevski, le philosophe Konstantin Leontiev, lui, veut une alliance entre l'Islam et l'Orthodoxie contre les ferments de disso­lution libérale que véhicule l'Occident. Il s'oppose à toute guerre entre Rus­ses et Ottomans dans les Balkans. L'ennemi est surtout anglo-saxon. La pers­pective de Leontiev séduit encore beaucoup de Russes aujourd'hui. Enfin, dans le Journal d'un écrivain, Dostoïevski développe des idées simi­laires (jeunesse des peuples slaves, perversion de l'Occident libéral) auxquelles il ajoute un anti-catholicisme radical qui inspirera notamment les “natio­naux-bolchéviques” allemands du temps de Weimar (Niekisch, Paetel, Moeller van den Bruck qui fut son traducteur).

 

A la suite de la construction du chemin de fer transsibérien sous l'énergique impulsion du Ministre Witte, émerge une idéologie pragmatique et autar­cique, l'“eurasisme” qui veut se mettre au service de l'espace russe, que ce­lui-ci soit dirigé par un Tsar ou par un Vojd  (un “Chef”) soviétique. Les idéologues “eurasiens” sont Troubetzkoï, Savitski et Vernadsky. Pour eux, la Russie n'est pas un élément oriental de l'Europe mais un continent en soi, qui occupe le centre des terres émergées que le géopoliticien britannique Halford John Mackinder appelait la “Terre du Milieu”. Pour Mackinder, la puissance qui parvenait à contrôler la “Terre du Milieu” se rendait automa­tiquement maîtresse de la planète. En effet, cette “Terre du Milieu”, en l'oc­currence la zone s'étendant de Moscou à l'Oural et de l'Oural à la Transbaï­kalie, était inaccessible aux puissances maritimes comme l'Angleterre et les Etats-Unis. Elle pouvait donc les tenir en échec. La politique soviétique, sur­tout à l'heure de la guerre froide, a toujours tenté de réaliser dans les faits les craintes du géopoliticien Mackinder, c'est-à-dire à rendre le centre russo-sibérien de l'URSS inexpugnable. Même à l'ère du nucléaire, de l'aviation et des missiles transcontinentaux. Cette “sanctuarisation” de la “Terre du Milieu” soviétique a constitué l'idéologie officieuse de l'Armée Rouge, de Staline à Brejnev. Les néo-nationalistes impériaux, les nationaux-commu­nistes, les patriotes actuels s'opposent à Gorbatchev et à Eltsine parce qu'ils les accusent d'avoir dégarni les glacis est-européens, ukrainiens, baltes et centre-asiatiques de cette “Terre du Milieu”.

 

Voilà pour les prémisses du nationalisme russe, dont les multiples va­rian­tes actuelles oscillent entre un pôle populiste-slavophile (“narodniki”, de “narod”, peuple), un pôle panslaviste et un pôle eurasien. Pour Aldo Fer­rari, le nationalisme russe actuel se subdivise entre quatre courants: a) les néoslavophiles; b) les eurasistes; c) les nationaux-communistes; d) les natio­nalistes ethniques.

 

Les néoslavophiles sont essentiellement ceux qui épousent les thèses de Sol­jénitsyne. Dans Comment réaménager notre Russie?, l'écrivain exilé aux E­tats-Unis prône une cure d'amaigrissement pour la Russie: elle doit aban­donner toutes ses velléités impériales et reconnaître pleinement le droit à l'auto-détermination des peuples de sa périphérie. Soljénitsyne préconise ensuite une fédération des trois grandes nations slaves de l'ex-URSS (Rus­sie, Biélorussie et Ukraine). Il vise ensuite la rentabilisation maximale de la Sibérie et suggère une démocratie basée sur de petites communautés, un peu sur le modèle helvétique. Les autres néo-nationalistes lui repro­chent de mutiler la patrie impériale et de propager un utopisme ruraliste, irréalisable dans le monde hyper-moderne où nous vivons.

 

Les eurasistes sont partout dans l'arène politique russe actuelle. Le philoso­phe auquel ils se réfèrent est Lev Goumilev, une sorte de Spengler russe qui analyse les événements de l'histoire d'après le degré de passion qui anime les peuples. Quand les peuples sont passionnés, ils créent de grandes choses. Quand la passion intérieure s'estompe, les peuples déclinent et meurent. Tel est le sort de l'Occident. Pour Goumilev, les frontières sovié­tiques sont intangibles mais la Russie nouvelle doit respecter le principe du pluri­ethnisme. Pas question donc de russifier les peuples de la périphérie mais d'en faire des alliés définitifs du “peuple impérial”. Goumilev, décédé en juin 1992, interprétait dans un sens laïc les idées de Leontiev: peuples turco­phones d'Asie centrale et Russes devaient faire cause commune, sans tenir compte de leurs différences religieuses. Aujourd'hui, l'héritage de Goumi­lev se retrouve dans les colonnes d'Elementy, la revue de la “nouvelle droi­te” russe d'Alexandre Douguine, et de Dyeïnn (devenu Zavtra, après l'in­terdiction d'octobre 1993), le journal d'Alexandre Prokhanov, chef de file des écrivains et journalistes nationaux-patriotiques. Mais on le retrouve aussi chez certains musulmans du “Parti de la Renaissance Islamique”, no­tamment Djemal Haïdar. Plus curieux, deux membres du staff d'Eltsine, Rahr et Tolz, sont des adeptes de l'eurasisme. Leurs conseils n'ont guère été suivis d'effet jusqu'ici.

 

Les nationaux-communistes revendiquent la continuité de l'Etat soviétique en tant qu'entité historique et espace géopolitique autonome, précise Aldo Ferrari. Mais ils ont compris que les recettes marxistes n'étaient plus vala­bles. Ils se revendiquent aujourd'hui d'une “troisième voie” où la notion de solidarité nationale est cardinale. C'est notamment le cas du chef du PC de la Fédération de Russie, Guennadi Zouganov.

 

Les nationalistes ethniques s'inspirent davantage de l'extrême-droite russe d'avant 1914, qui entend préserver la “pureté ethnique” du peuple. En un certain sens, ils sont xénophobes et populistes. Ils souhaitent le retour des Caucasiens dans leur pays et manifestent parfois un antisémitisme virulent, selon la tradition russe.

 

Le néo-nationalisme russe s'inscrit bel et bien dans la tradition nationale et s'enracine dans des corpus doctrinaux du 19° siècle. En littérature, dans les années 60, les néo-ruralistes (Valentin Raspoutine, Vassili Belov, Soloükhi­ne, Fiodor Abramov, etc.) parviennent à évincer totalement les “libéraux occidentalistes”, amorçant de la sorte une véritable “révolution conservatri­ce”, avec la bénédiction du pouvoir soviétique! La revue littéraire Nache Sovremenik  s'est faite le véhicule de cette idéologie néo-orthodoxe, paysan­ne, conservatrice, soucieuse des valeurs éthiques, écologiste. Le communis­me, disent-ils, a extirpé la “conscience mythique” et créé une “humanité de monstres amoraux”, totalement “dépravés”, prêts à accepter les mirages oc­cidentaux. Enfin, cette “révolution conservatrice” s'imposait tranquille­ment en Russie tandis qu'en Occident la “chienlit” soixante-huitarde (De Gaulle) provoquait la catastrophe culturelle que nous subissons encore. Les conservateurs russes mettaient aussi un terme au fantasme communiste du “filon progressiste de l'histoire”. Les communistes, en effet, sélectionnaient dans le passé russe ce qui annonçait la révolution et rejetaient tout le reste. Au “filon progressiste et sélectif”, les conservateurs op­posaient le “flux uni­que”: ils valorisaient du même coup toutes les traditions historiques russes et relativisaient mortellement la conception linéaire du marxisme.

 

Robert STEUCKERS.

 

Bibliographie:

- Aldo FERRARI, «Radici e prospettive del nazionalismo russe», in Relazioni internazionali, janvier 1994.

- Robert STEUCKERS (éd.), Dossier «National-communisme», in Vouloir, n°105/108, juillet-septembre 1993 (textes sur les variantes du nationalisme russe d'aujourd'hui, sur le “national-bolchévisme” russe des années 20 et 30, sur le fascisme russe, sur V. Raspoutine, sur la polé­mique parisienne de l'été 93).

- Gerd KOENEN/Karla HIELSCHER, Die schwarze Front, Rowohlt, Reinbeck, 1991.

- Walter LAQUEUR, Der Schoß ist fruchtbar noch. Der militante Nationalismus der russi­schen Rechten,  Kindler, München, 1993.

- Mikhaïl AGURSKI, La Terza Roma. Il nazionalbolscevismo in Unione Sovietico,  Il Mulino, Bologne, 1989.

- Alexandre SOLJENITSYNE, Comment réaménager notre Russie?,  Fayard, Paris, 1990.

- Alexandre DOUGUINE (DUGHIN), Continente Russia, Ed. all'insegna del Veltro, Parme, 1991. Extrait dans Vouloir  n°76/79, 1991, «L'inconscient de l'Eurasie. Réflexions sur la pensée “eurasiatique” en Russie». Prix de ce numéro 50 FF (chèques à l'ordre de R. Steuckers).

- Alexandre DOUGUINE, «La révolution conservatrice russe», manuscrit,  texte à paraître dans Vouloir.

- Konstantin LEONTIEV, Bizantinismo e Mondo Slavo,  Ed. all'insegna del Veltro, Parme, 1987 (trad. d'Aldo FERRARI).

- N.I. DANILEVSKY, Rußland und Europa,  Otto Zeller Verlag, 1965.

- Michael PAULWITZ, Gott, Zar, Muttererde: Solschenizyn und die Neo-Slawophilen im heutigen Rußland,  Burschenschaft Danubia, München, 1990.

- Hans KOHN, Le panslavisme. Son histoire et son idéologie, Payot, Paris, 1963.

- Walter SCHUBART, Russia and Western Man, F. Ungar, New York, 1950.

- Walter SCHUBART, Europa und die Seele des Ostens,  G. Neske, Pfullingen, 1951.

- Johan DEVRIENDT, Op zoek naar de verloren harmonie - mens, natuur, gemeenschap en spi­ritualiteit bij Valentin Raspoetin, Mémoire, Rijksuniversiteit Gent/Université d'Etat de Gand, 1992 (non publié).

- Koenraad LOGGHE, «Valentin Grigorjevitsj Raspoetin en de Russische traditie», in Teksten, Kommentaren en Studies, n°71, 1993.

- Alexander YANOV, The Russian New Right. Right-Wing Ideologies in the Contemporary USSR,  IIS/University of California, Berkeley, 1978.

- Wolfgang STRAUSS, Rußland, was nun?,  Österreichische Landmannschaft/Eckart-Schriften 124, Vienne, 1993.

- Pierre PASCAL, Strömungen russischen Denkens 1850-1950,  Age d'Homme/Karolinger Verlag, Vienne (Autriche), 1981.

- Raymond BEAZLEY, Nevill FORBES & G.A. BIRKETT, Russia from the Varangians to the Bolsheviks,  Clarendon Press, Oxford, 1918.

- Jean LOTHE, Gleb Ivanovitch Uspenskij et le populisme russe, E.J. Brill, Leiden, 1963.

- Richard MOELLER, Russland. Wesen und Werden,  Goldmann, Leipzig, 1939.

- Viatcheslav OGRYZKO, Entretien avec Lev GOUMILEV, in Lettres Soviétiques,  n°376, 1990.

- Thierry MASURE, «De cultuurmorfologie van Nikolaj Danilevski», in Dietsland Europa,  n°3 et n°4, 1984 (version française à paraître dans Vouloir).

 

 

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dimanche, 20 juin 2010

Octobre 1993: les événements tragiques de Moscou

moscou93.jpgSYNERGIES EUROPÉENNES

VOULOIR

OCTOBRE 1993

Les événements tragiques de Moscou

 

Communiqué de presse du comité de rédaction de VOULOIR

 

Le comité de rédaction de la revue VOULOIR déplore les événements tragiques qui viennent de se dérouler à Moscou. Il estime:

- que, dans la querelle qui oppose le Parlement à la Présidence, il n'a pas été suffisamment tenu compte des conseils modérateurs du Dr. ZORKINE, Président du Tribunal Constitutionnel russe, qui prône un équilibre entre l'exécutif et le législatif.

- que les appels du Patriarche Alexis ll, qui s'était naguère insurgé contre l'américanisation des mœurs en Russie, sont dignes d'être écoutés et devraient davantage susciter l'intérêt de nos médias.

- que la position de Gorbatchev, peu suspect de soutenir les nationalistes ou les communistes du Parlement, est aux antipodes du manichéisme de nos médias; en effet, Gorbatchev déplore, comme nous, le recours à la force et la dissolution du Parlement proclamée récemment par l'exécutif. Cette position commune de Gorbatchev, de certains parlementaires russes et de notre groupe, montre qu'on ne peut construire une démocratie ex nihilo, et que toute démocratie russe doit reposer sur les structures déjà existantes, quitte à les réformer progressivement.

 - que les événements tragiques de ces deux derniers jours sont le résultat d'une déplorable précipitation et que la libéralisation de l'économie russe aurait dû s'effectuer sur le mode chinois, comme l'ont mentionné conjointement dans un débat à Moscou, le 1 er avril 1992, Alain de BENOIST (chef de file de la "Nouvelle Droite" française), Robert STEUCKERS (Directeur de Vouloir), Edouard VOLODINE (idéologue du FSN) et Guennadi ZOUGANOV (Président du nouveau "Parti Communiste Russe"). La Chine a procédé graduellement à une libéralisation de son économie, zone après zone. C'est ce modèle que préconise le FSN, à juste titre, nous semble-t-il.

- que les responsabilités de l'immense gâchis russe incombent principalement aux protagonistes de l'idéologie libérale pure, injectée dans la société russe lors de la libéralisation des prix de janvier 1992 par l'équipe de Mr. GAlDAR. Cette libéralisation a jeté de larges strates de la population moscovite dans la plus extrême précarité.

- que la position d'ELTSlNE a été fragilisée par les événements des 2 et 3 octobre 1993, du fait que sa police n'a pas pu tenir la rue, contrairement à ce qui avait été promis solennellement, et que sa démocratie s'impose en pilonnant le Parlement, alors que ce bâtiment aurait dû demeurer inviolable envers et contre tout, servir ultérieurement d'instrument à une démocratie réformée, partant de la base, des "Conseils" élargis à tous les éléments dynamiques de la population.

- Enfin, notre comité de rédaction déplore que le sang russe ait coulé, présente ses hommages et ses respects à toutes les victimes de cette tragédie, quel que soit leur camp. Par aileurs, nous signalons que Michel SCHNEIDER, qui avait accepté d'être l'un de nos correspondants à Moscou, a été blessé à l'épaule à proximité des bâtiments de la télévision dimanche soir. Et que Mme Larissa GOGOLEVA, qui était son interprète, a été très grièvement blessée par balle au même endroit. Notre comité rend hommage au courage de cette jeune femme, tombée dans l'exercice de sa profession et rappelle qu'elle avait traduit en russe plus d'un texte émanant de nos publications.  

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vendredi, 18 juin 2010

38 ans après, la vérité sur "Bloody Sunday"

afficheBS.jpg38 ans après, la vérité sur "Bloody Sunday"

Source Le Point

via Yann Redekker

 

AFP. L'enquête publique sur "Bloody Sunday", qui désigne la mort de 14 catholiques tués le dimanche 30 janvier 1972 par l'armée britannique à Londonderry, rend mardi ses conclusions, forcément sujettes à controverse dans une Irlande du Nord encore traumatisée par son passé. 

 

Le Premier ministre britannique David Cameron présentera à 16h 30 (heure de Paris) devant le Parlement les principaux enseignements de la commission Saville sur l'un des événements les plus marquants des trente années de conflit inter-communautaire dans la province. Le secret absolu a été gardé sur le rapport qui risque de déchaîner les passions en Irlande du Nord, où les violences entre protestants unionistes et catholiques indépendantistes ont pris fin en 1998 avec l'accord de paix dit du Vendredi Saint, et où un gouvernement biconfessionnel est au pouvoir.

 

Cette enquête, confiée en 1998 au juge Mark Saville par le Premier ministre de l'époque Tony Blair, est présentée par la presse comme la plus importante de l'histoire judiciaire britannique. Son coût (230 millions d'euros) a défrayé la chronique. Lord Saville et ses assesseurs, le Canadien William Hoyt et l'Australien John Toohey, rendront un rapport épais de 5.000 pages, après avoir étudié plus de 2.500 témoignages, dont 922 exprimés oralement devant eux. Ils ont entendu l'ex-Premier ministre britannique Edward Heath, l'ancien chef d'état-major britannique Mike Jackson, ou l'actuel vice-Premier ministre nord-irlandais Martin McGuinness. Lequel a confirmé lors de son audition qu'il appartenait en 1972 à l'Armée républicaine irlandaise (IRA).

 

Le dernier témoignage a été produit en 2005, année où le rapport devait être publié. Mais le délai s'est allongé, sans qu'aucune raison ne soit vraiment donnée. Il n'est pas exclu que cet avis débouche sur des poursuites judiciaires à l'encontre de cadres de l'armée. Personne, toutefois, ne pourra être incriminé par son propre témoignage devant les juges.

 

Pas de complot politique large selon un historien      

 

Le jour du "Bloody Sunday" ("dimanche sanglant"), quatorze hommes sans armes manifestant pour la défense des droits civiques des catholiques tombent sous les balles de parachutistes britanniques. Une enquête menée sitôt les faits par un juge britannique, Lord Widgery, exonère l'armée et accrédite sa thèse selon laquelle les soldats n'ont fait que riposter à des tirs de manifestants, même si aucune arme n'a été retrouvée et aucun militaire blessé. Entré dans la culture populaire avec la chanson du groupe irlandais U2 puis le film du cinéaste britannique Paul Greengrass, le "Bloody Sunday" symbolise aux yeux des nationalistes irlandais l'arbitraire de l'ennemi britannique.

 

Quelles qu'elles soient, les conclusions de Lord Saville promettent d'être polémiques, dans une société encore divisée malgré les progrès accomplis. Elles fourniront aussi un test de la stabilité du gouvernement d'union entre protestants et catholiques. Selon l'historien Paul Bew, qui a été consultant pour l'enquête, le rapport devrait affirmer l'innocence des victimes, reconnue en 1992 par le Premier ministre britannique d'alors John Major, et établir que l'armée est en tort mais n'avait rien prémédité. "L'innocence d'une très grande majorité des tués, sinon de tous, fera partie des conclusions", prévoit-il.

 

"Il y aura aussi acceptation par l'armée britannique de son échec à maintenir la discipline ce jour-là. Au-delà de ça, (il n'apparaîtra) pas de complot politique plus large. Plus personne n'y croit." Quant aux répercussions, Paul Bew les escompte plutôt modérées. "Tout le monde continuera de croire au sujet de ces événements ce qu'il avait l'habitude de croire", considère-t-il. "Ca n'aura pas d'impact politique majeur."

lundi, 14 juin 2010

France et Bretagne en 1532

France et Bretagne en 1532

Ex: http://propos.sturiens.over-blog.com/

05 - deux peuples deux civilisationsDepuis sa conclusion, on a souvent voulu contester la validité du Traité de 1532. Lorsque la royauté fut devenue toute puissante et jusqu'à nos jours, historiens et pamphlétaires se sont efforcés, à l'envi, de présenter le contrat d'union à la France, consenti par la Bretagne, comme un acte gratuit, émanant du bon plaisir royal et ne comportant aucune condition. Celles qui y ont été attachées pour satisfaire à la demande des Etats de Bretagne réunis à Vannes, n'auraient d'autre valeur que celle d'un engagement moral, spontanément pris par les rois : les représentants de notre pays n'auraient été ni en droit, ni en mesure de traiter avec eux, et l'Acte de 1532 ne serait qu'une habile concession de François Ier, destinée seulement à éviter les troubles éventuels qui auraient pu se produire dans le pays si la requête des Etats avait été rejetée. D'autres historiens ont, en leur temps, fait justice de ces assertions, et il ne nous appartient pas d'y revenir. L'examen du droit public breton peut, à lui seul, nous convaincre de l'entière validité du contrat. Ce qui apparaît comme contestable à la lumière du seul droit public français, devient une vérité d'évidence si l'on fait appel à la notion bretonne de ce même droit.

Alors que le droit public du royaume de France confondait à cette époque, quant au roi, souveraineté et propriété, en Bretagne les deux notions étaient déjà distinctes. Pour les Bretons, le « dominium » et l'« imperium » du prince n'étaient pas confondus. Le pouvoir du duc n'était pas considéré comme absolu, et le duché n'était pas considéré comme sa chose propre. A chaque acte du pouvoir central devait correspondre la sanction populaire. Les Etats de Bretagne étaient un véritable Parlement, dont le caractère politique était très accentué, et dont on retrouve l'intervention depuis l'origine la plus reculée, dans tous les actes politiques intéressant le duché. Un acte aussi grave que celui de la réunion du duché à la couronne, s'il avait été consommé sans leur intervention, ne pouvait être que frappé de nullité absolue.

La forme du gouvernement breton était un produit spontané de la nature et de l'histoire, particulièrement bien adapté aux besoins de la Bretagne et à la mentalité de son peuple. Une conception particulière du droit, conception proprement celtique et spiritualiste, animait tous les rouages de l'administration de la justice et de l'organisation politique. On y trouve la raison de la longue et héroïque lutte de la Bretagne contre les rois de France, dont l'erreur fut, après la réunion, de considérer le peuple breton comme le reste de leur peuple, et de vouloir lui appliquer les mêmes méthodes et les mêmes lois.

L'examen de l'état politique, administratif et social de la Bretagne, au jour de la réunion, fait ressortir très vivement les différences profondes qui existaient alors entre la France et la Bretagne ; ainsi s'expliquent également les précautions multiples prises dans le traité de 1532 contre les empiétements du pouvoir royal et l'obstination avec laquelle les Bretons s'efforcèrent de sauvegarder l'intégrité de leur constitution nationale, gage de leur autonomie.

 

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En Bretagne, les rapports du peuple et du souverain, aussi bien que ceux des diverses classes sociales entre elles, étaient régis par des principes étonnamment modernes et libéraux. Aucune charte particulière, aucune constitution écrite ne les réglaient ; mais ils prenaient appui sur les principes fondamentaux du droit public breton de formation traditionnelle. La Très Ancienne Coutume de Bretagne proclamait que la législation bretonne devait être toute entière de raison.

En réalité, la confiance mutuelle qui unissait le souverain et ses sujets était le produit d'une lente évolution qui, au cours des siècles, maintint en le transformant et en l'adaptant chaque fois à des besoins plus actuels, le principe de gouvernement très libéral en vigueur dans les confédérations celtiques de l'époque préchrétienne. A l'origine, comme dans toute l'antiquité nordique, le chef suprême était élu, et les comtes ou seigneurs bretons devaient se rallier autour de lui pour combattre l'ennemi commun. Mais le roi ne pouvait lever aucun impôt, prendre aucune mesure générale sans l'assentiment des chefs réunis, le pays étant toujours plus puissant que le monarque. Lorsque les rois de Bretagne devinrent héréditaires, ce principe libéral continuera à s'appliquer, et il dominera toute la constitution bretonne jusqu'en 1532 et même jusqu'en 1789. Le roi ou le duc ne pouvait toucher à aucun intérêt public sans l'avis et le consentement des seigneurs du pays dont l'assemblée, en se transformant, devint peu à peu les Etats de Bretagne. Le roi Salomon III, aux environs de l'an 1000, fut empêché de quitter le pays par une défense formelle des seigneurs assemblés. Plus tard, le duc Jean IV fut exilé, puis rappelé par les Etats.

L'histoire bretonne est pleine de faits semblables : « Le droit fondamental du pays, dit M. de Carné, de l'aveu du prince et de ses sujets, frappait de nullité tout acte politique non ratifié par l'assentiment formellement exprimé des Etats ». Depuis le XIIe siècle, on peut suivre sans la perdre jamais de vue, la trace de l'action exercée par l'Assemblée bretonne sur tous les événements de quelque importance et sur l'orientation même de la politique du duc. Les rares conquérants de la Bretagne, ou plutôt les princes victorieux qui avaient battu ses armées, se soumettaient eux-mêmes à cette inévitable coutume des assemblées. Aussi La Borderie a-t-il pu écrire que le gouvernement breton « prend la forme de la monarchie représentative dont jouissait dès lors aussi l'Angleterre, et qui était le gouvernement le plus modéré, le plus régulier, le plus libéral sous lequel put vivre, au XVe siècle, une nation chrétienne ».

C'est dans l'attachement que portaient à leur gouvernement les différentes classes de la société bretonne que se rencontre l'explication de la longue lutte soutenue par la Bretagne contre le pouvoir central. L'élément féodal qui dans notre pays s'était développé dans sa plénitude, n'y avait pas été vicié dans son essence. La conquête n'avait pas été à l'origine des pouvoirs des seigneurs, et les « antipathies héréditaires » qu'elle avait ailleurs suscitées n'y existaient guère. Le servage, sous sa forme la plus dure et la plus cruelle, ne s'y retrouve jamais : on n'en aperçoit de traces que dans une petite partie de la Haute-Bretagne, région la plus soumise aux influences du dehors, et dans le Léon, où « l'usement de motte », dernier vestige du servage, fut aboli par François II en 1486. Dès le XIe et le XIIe siècle, les paysans pouvaient quitter la terre, la vendre à leur gré, la transmettre à leurs héritiers, se marier à leur guise, plaider librement, parfois même contre leur seigneur.

Augustin Thierry avait été frappé de ce fait lorsqu'il écrivit : « Les gens du peuple en Basse-Bretagne n'ont jamais cessé de reconnaître dans les nobles de leur pays les enfants de la terre natale ; ils ne les ont jamais haï de cette haine violente que l'on portait ailleurs aux seigneurs de race étrangère et, sous les titres féodaux de barons et de chevaliers, le paysan breton retrouvait encore les tierns et les mac-tierns des premiers temps de son indépendance ». La plupart des nobles de Bretagne, en effet, très nombreux et très pauvres, se confondaient dans leurs derniers rangs avec la population rurale. Ils en partageaient les deuils et les plaisirs, et recevaient, en nature, de leurs colons, la plupart des choses fongibles. Les colons eux-mêmes participaient à la possession du sol, puisqu'ils l'occupaient en grande partie alors à titre de « domaine congéable ». Un parfait accord attesté par les traditions, l'histoire et les chants populaires, semblait régner entre les paysans et les nobles, rapprochés par la communauté des habitudes et la simplicité de la vie. Aussi, du commencement du XIe siècle au début du XVIe siècle, ne voit-on pas en Bretagne se produire les jacqueries qui se retrouvent périodiquement en France à cette époque.

 

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Les mêmes règles familiales, le même libéralisme se retrouvait dans l'administration du pays. Une décentralisation intelligemment comprise avait donné aux cités et aux paroisses des pouvoirs très étendus d'administration. Dès la plus haute antiquité, s'affirment les libertés des communes bretonnes, et leurs franchises étaient, au XVIe siècle, inviolables. Loin de reposer sur des chartes octroyées par le bon plaisir, ou arrachées par la violence, elles dérivaient d'une évolution traditionnelle qui avait peu à peu adapté le mécanisme des antiques institutions à des nécessités plus modernes.

La coutume de Bretagne qui condense le droit public et privé du pays, est inspirée par une moralité très haute et par un idéalisme élevé. Les idées religieuses, la famille, la charité, la tolérance y tiennent une grande place. « Son caractère le plus remarquable, dit Planiol, est l'esprit de solidarité qui l'anime. On chercherait vainement ailleurs, non pas le droit, mais le même accent d'honnêteté, de bonté, le même souci non seulement de justice, mais de charité. Cette tournure d'esprit est propre à la Bretagne ». Or, ce sont également de ces principes que s'inspirait le gouvernement ducal.

La centralisation du pouvoir politique aux mains des ducs s'était opérée peu à peu ; mais l'évolution qui accroissait les droits du souverain tempérait également la puissance que les événements tendaient à lui donner, en développant les institutions politiques et administratives du peuple breton. Si dans la plupart des pays féodaux, la reconstitution de la souveraineté est passée par les mêmes phases, il est rare de voir s'accomplir ce qui s'est passé en Bretagne : un développement parallèle et harmonieux des pouvoirs du duc comme des droits de ses sujets. L'évolution a tendu dans les pays centralisateurs, en France en particulier, à faire disparaître entièrement les franchises féodales et les libertés qu'elles garantissaient aux seigneurs comme à leurs vassaux, aux bourgeois comme aux artisans : en Bretagne, au contraire, l'évolution n'a dépouillé ces franchises et ces libertés que de ce qu'il y avait en elles d'anarchique et d'inconciliable avec un gouvernement qui devait obéir à des nécessités plus modernes. Elle en a conservé le meilleur : l'esprit de ces antiques institutions nordiques qui fut toujours le frein le plus efficace à l'établissement du despotisme et de la servilité. Le résultat fut un remarquable développement de l'esprit public dans toutes les classes de la nation. Les admirables résultats pratiques que donnaient les méthodes administratives si humaines du gouvernement breton venaient encore consolider l'inébranlable attachement du peuple à sa constitution politique et à sa liberté.

La prospérité du pays, favorisée par la modération des charges publiques s'était affirmée particulièrement sous le règne du duc Jean V, administrateur éclairé, qui a laissé une œuvre législative considérable. Essentiellement décentralisateur, le gouvernement breton favorisait l'accomplissement de grands travaux publics, mais il laissait à la ville ou à la région intéressée toute liberté d'action. Loin d'entraver l'initiative privée, il la favorisait de tout son pouvoir, subventionnant même les entreprises qui présentaient le caractère d'entreprises nationales. Mais si l'Etat Breton se renfermait dans son rôle de défenseur des intérêts publics, et répudiait tout monopole, il ne laissait pas agir sans contrôle les fermiers des impôts et les grandes entreprises. Il estimait que son premier devoir était de surveiller toutes les branches de l'activité nationale et de réprimer les abus : ce fut le principe administratif de tous les souverains bretons. Jean V, en particulier, intervint fréquemment pour réprimer les exactions et faire rendre à ses sujets une bienveillante justice. Déjà le duc Pierre II avait organisé l'assistance judiciaire gratuite. Pour statuer sur les réclamations auxquelles donnait lieu l'impôt des fouages, Jean V envoyait sur place un de ses agents avec cette mission : « Faites ainsi que vous verrez qu'il sera à faire de raison, en forme que pour le temps à venir elle se puisse perpétuer au mieux pour le profit de nos sujets ». Les litiges étaient ainsi réglés sur place, selon une situation de fait précis, et non selon des textes, démontrant une fois de plus la supériorité de la coutume sur la règle latine du droit écrit.

Les ordonnances de Jean V dénotent souvent aussi des conceptions économiques et sociales très audacieuses pour l'époque. Parmi celles-ci, l'ordonnance de 1425, sur l'administration générale du pays, discutée et approuvée par les Etats à Vannes, fut le point de départ d'une véritable révolution économique, qui donna à la Bretagne une longue avance sur toutes les autres nations. Elle réservait pour l'industrie et la consommation locale certains produits de première nécessité, établissait un service de répression des fraudes, instituait l'unité de poids et mesures, fixait le minimum de salaire pour les ouvriers de l'industrie.

Toutes ces mesures adaptées aux besoins du pays déterminèrent une ère de prospérité incomparable. Aussi le bon chroniqueur Alain Bouchard, sans exagérer beaucoup, pouvait-il écrire au moment de la réunion à la France, que la Bretagne « florissait en toutes prospérités, qu'il n'était de petit village où l'on ne put trouver de la vaisselle d'argent » ; que la Bretagne « est un véritable paradis terrestre, alors que le royaume de France est en telle misère que l'on n'y peut trouver refuge de sûreté ».

 

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Fière de sa liberté, calme et forte, la Bretagne portait donc à ses antiques institutions un attachement profond et légitime. Aussi, nous dit l'aumônier de la reine Anne : « Quand les Bretons connurent que le roy de France les voulait de fait appliquer à lui et les régir selon ses lois, lesquelles ne s'accordaient pas aux leurs, parce qu'ils avaient toujours été en liberté sous leurs princes, et ils veoient les Français comme serfs chargés de maints subsides, ne voulant obtempérer à l'intention du roy, commencèrent à faire monopolle et eurent conseil ensemble de se défendre ».

Ce passage résume admirablement les raisons de la répugnance de toute la Bretagne pour l'union définitive avec le royaume de France. Le fait de la réunion n'était rien : la cause française avait de nombreuses sympathies dans le peuple comme à la cour. Mais les Bretons, comme jadis, craignaient les lois du roi de France et tenaient à conserver les leurs.

L'opposition dernière qui se manifesta aux Etats de 1532 ne se basait pas sur d'autres arguments. Aussi l'Acte d Union fut-il, en plus d'une nécessité constitutionnelle, acte de grande sagesse politique de la part du roi de France. Le souverain français paraissait aussi rester un duc de Bretagne en même temps qu'un roi de France. Si la souveraineté extérieure de la nation bretonne disparaissait, la Bretagne n'en paraissait pas moins garder sa liberté intérieure, son régime politique et administratif, ses coutumes particulières. Et pour les Bretons, particulièrement respectueux de la parole donnée et très sensibles au sentiment de l'honneur, la violation du serment solennel prêté par une personne royale à chaque début de règne, de respecter les institutions et les lois de la province n'était pas concevable.

Mais l'acte d'Union de 1532, ainsi conçu, malgré les nombreuses précautions qu'il prenait, devait-il conserver intégralement à la Bretagne les favorables institutions qui la régissaient ? La France, d'ailleurs, pouvait-elle lui sauvegarder, avec l'esprit libéral qui animait leur gouvernement, les résultats particulièrement heureux de la politique des ducs ?

En fait, le traité de 1532 conserva à la Bretagne, jusqu'en 1789, l'essentiel des libertés qui lui étaient si chères. Mais ce ne fut que grâce à l'exceptionnelle opiniâtreté de son peuple, dont l'esprit de résistance au pouvoir central se manifesta constamment, et parfois de façon violente, au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Les luttes que la Bretagne eut à soutenir étaient la conséquence des frictions inévitables qui devaient se produire entre deux peuples de régime et de tempérament différents, entre deux nations dont l'évolution politique s'était faite selon des principes opposés.

Les institutions de la Bretagne, la forme constitutionnelle et parlementaire de son gouvernement, l'accord harmonieux qui continuait d'y régner généralement entre les classes sociales, montrent que dans ce pays les transformations du droit public s'étaient faites pour le peuple, sinon pour et par lui. Le duc ne peut d'abord rien sans l'approbation des seigneurs, puis ensuite sans l'approbation des Etats, dont l'organisation progressive tend à donner une image de plus en plus fidèle de la nation.

Ce fut de très bonne heure au contraire que ces principes disparurent en France. La politique de la puissante maison capétienne a toujours été de faire de la France une monarchie absolue, qui deviendrait le centre de l'Europe, la plus forte nation d'occident. Pour réaliser ce projet, que  nous appellerions aujourd'hui impérialiste, poursuivi par les rois de France, de règne en règne avec une remarquable et surprenante opiniâtreté, il fallait de toute nécessité abattre ce vieil esprit d'indépendance et de liberté, héritage celtique, qui se traduisit à l'époque médiévale par le régime féodal. Philippe Auguste, en attaquant les bases de ce régime, Philippe le Bel en livrant les coutumes nationales à la merci de ses légistes, furent les véritables fondateurs de l'absolutisme royal en France. Dès ce jour les juristes, épris de droit romain, vont s'efforcer non seulement de justifier les actes de la royauté, mais aussi de leur donner toute apparence de légitimité et de justice.

Et le picard Beaumanoir proclame : « Le roi est souverain par-dessus tout et a, de son droit, le général garde du royaume, pourquoi il peut faire tel établissement comme il lui plaît, pour le commun profit et chi il établit, i doit être tenu ». Alors qu'en Bretagne l'évolution politique continua d'obéir à cette maxime : « Lex fit consensu populi et constitutione regis », en France elle se fît sur ces paroles qui « faisaient bouillir le sang breton de notre illustre d'Argentré » : « Le roi ne tient fors de Dieu et de son épée, ce qui li plest à fère doit estre tenu par loi ». Cette phrase fut, depuis Philippe le Bel, l'évangile de tous les « politiques » du royaume de France.

 

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Ce système, érigé en raison d'Etat, réclamait l'asservissement du peuple et la disparition de toutes les existences particulières. Bientôt la domination temporelle ne suffit plus. L'unification politique, presque complètement achevée lors de la réunion de la Bretagne à la France, ne faisait que précéder l'unification administrative. La difficulté de gouverner un royaume aussi étendu et aussi varié, dans ses institutions et dans ses lois, les nécessités nouvelles nées des guerres continuelles entreprises pour obéir à l'ambitieuse pensée des rois, obligeait le pouvoir central à une sévérité et à un despotisme accru vis-à-vis des collectivités comme des individus. Ainsi disparurent une à une les libertés coutumières, nées spontanément au cours des siècles, témoignages de l'effort collectif des générations, et fruits de leurs longues aspirations vers le bien du peuple et le libre gouvernement de la cité. Corporations, provinces, ordres, classes et toutes institutions particulières, furent transformés en organismes administratifs froids et rigides, d'où toute évolution était désormais exclue.

Les princes et leurs conseillers, préfaçant les initiatives révolutionnaires, en diffamant le passé, s'efforcèrent d'éteindre parmi leurs peuples tous les souvenirs d'indépendance légués par leurs ancêtres. Tout ce qui ne tenait pas à l'Etat fut calomnié, insulté, déshonoré par les historiographes et les légistes de cour. Tout ce qui était antérieur au grand roi passa pour entaché de barbarie et les dernières paroles de Louis XIV consacrèrent l'ultime et ambitieuse pensée qui, malgré tout, devait créer la France. « Les peuples sont nés pour obéir sans discernement, et les rois pour posséder tout et commander à tout ».

En face de cette conception, la lutte acharnée que soutint la Bretagne contre les exigences des rois les plus absolus, personnifia la résistance du vieil esprit celtique, avide d'indépendance et de liberté qui s'était conservé chez les Bretons. C'était l'esprit d'une civilisation particulière, une conception morale et philosophique du droit qu'il fallait défendre, d'un droit qui plaçait le bien du peuple au-dessus de tout, et pour qui la justice n'était pas suffisante car il fallait encore faire une place à la bienveillance et à la charité. Aussi, en face de conceptions inverses et du dogme de l'Etat-Dieu qui commençait à naître et dont nous souffrons aujourd'hui plus que jamais, des luttes parlementaires violentes et parfois des révoltes sanglantes opposèrent jusqu'à la Révolution la nation bretonne à la royauté française.

C'est ce divorce de conceptions, d'idées et de tempéraments entre les deux races, qui entretint pendant près de trois siècles entre la Bretagne et la France cette mésintelligence marquée par de terribles conflits. De nos jours encore, sous des manifestations et des modalités diverses, et à une époque où l'on parle depuis longtemps déjà du droit des peuples, la même lutte se perpétue. Mais c'est aussi dans ces mêmes dissemblances entre l'esprit français et l'esprit breton que l'on peut trouver la raison de cette incompréhension et parfois de cette hostilité sourde que l'on rencontre souvent encore dans tous les milieux, vis-à-vis de la Bretagne.

Yann Kerberio.

 

STUR n° 9 Avril 1937

Le Koweit appartient-il à l'Irak?

 

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1991

 

Le Koweit appartient-il à l'Irak?

Quelques rappels historiques

 

par Franz KARG von BEBENBURG

 

Pour pouvoir juger sereinement la vo­lonté irakienne de conserver le Ko­weit, il faut savoir analyser les faits historiques. La Mésopotamie, soit le pays sis entre les deux fleuves que sont le Tigre et l'Euphrate, a toujours eu un destin changeant. Son histoire récente commence sous les Sas­sa­ni­des. De 226 à 651, la Mésopo­tamie était la région centrale de l'Empire per­se. Sous les Abas­sides, entre 750 et 1258, elle a été le centre du mon­de islamique, jusqu'au moment où elle a été conquise par les Mongols. Au début du 16ième siècle, elle re­devient perse. De 1638 à 1918, elle est turque. De 1915 à 1917, elle est envahie par les troupes britanniques. Au Traité de Sèvres, l'Angleterre ob­tient cette région et la place sous man­dat. Les choses reste­ront telles jusqu'en 1921. Pour leur part, les Fran­çais reçoivent un man­dat sur la Sy­rie et le Liban. En 1921, les Bri­tan­niques hissent le roi Fayçal 1er sur le trône de l'Irak mais politi­quement, militairement et économi­quement, le pays reste sous la coupe des Anglais.

 

Après plusieurs révoltes et putsch (1936, 1941, 1952), une révolution ren­verse la monarchie le 14 juillet 1958; le roi, sa famille et tous les mem­bres du gouvernement sont mas­­sacrés. Le Général Kassem prend la tête du nouveau gouvernement et y reste jusqu'au jour où, en 1963, un putsch d'officier le renverse et le fait fusiller. Son successeur Aref reste au pouvoir jusqu'en 1968, quand une ré­volution organisée par le Parti Baath porte au pouvoir Sayyid Hassan al-Bakr. Celui-ci renonce au pouvoir en 1979 pour laisser la place au Général Saddam Hussein qui cumule les fonc­tions de Président et de Chef du gou­vernement.

 

L'histoire de l'Emirat du Koweit est plus courte, du moins pour ce qui con­cerne sa structure étatique ac­tuelle. A partir de 1648, le Koweit est partie intégrante de l'Empire Otto­man. En 1775, les Anglais y fondent une mission commerciale. La ville de Ko­weit, d'importance économique nul­le, est resté jusqu'en 1950 une pe­­tite bourgade portuaire le long d'une côte désertique, torride et ne re­cevant preque aucune précipitation. Située à l'extrémité nord-ouest du Gol­fe Persique, elle a acquis progres­sivement de l'importance pour les Bri­tanniques parce qu'elle devait de­venir le terminus de la fameuse ligne de chemin de fer Berlin-Bagdad, la­quelle aurait offert à l'Empire Otto­man une voie commerciale de pre­miè­re importance; à l'aide de capi­taux allemands, [suisses et français], les autorités turques commencent la construction de la ligne en 1903. Elle n'arrivera à Bagdad qu'en 1940. Pour contrer ce projet [qui, à leurs yeux, menaçait la route des Indes], les Bri­tanniques déclarent le Koweit pro­tec­­torat de la Couronne en 1889 et dé­ploient toute leur énergie pour que la ligne n'atteigne pas les rives du Gol­fe. En 1961, le Koweit accède à l'in­dépendance et, malgré les protes­tations de l'Irak qui considère que cet­te région lui appartient, adhère à la Ligue arabe. Le nouveau pays est ain­si reconnu comme un Etat arabe à part entière. En juillet 1977, Irakiens et Koweitiens se mettent d'accord sur le tracé définitif de leur frontière, échangeant entre eux quelques ban­des de territoire. Bandes de terri­toire qui poseront problème en cas d'éva­cuation du Koweit par les troupes ira­kiennes.

 

D'après la constitution de 1962, le Koweit est un émirat héréditaire. Le chef de l'Etat est le Cheik. Il gou­verne le pays autocratiquement de­puis la dissolution en 1976 de l'As­sem­blée Nationale. Jusqu'au mo­ment de son expulsion par les soldats de Sad­dam Hussein en août 1990, le Cheik Al Ahmed Al Sabah, âgé de 64 ans, vivait dans son palais luxueux avec ses 70 femmes et sa progéniture de plus de 60 enfants. Le palais comp­tait 200 chambres. L'écurie de cet intéressant personnage comptait 14 avions privés, 10 Rolls-Royce, 15 Cadillac et une flotte de limousines Mer­cédès. Le confort de cette sym­pa­­thique famille était assuré... La mi­sé­ricorde d'Allah octroyait à ce bon Cheik quelque 44 millions de DM par jour. Ses petites économies person­nelles se chiffreraient à environ 310 milliards de DM (un petit trois et neuf petits zéros). Très soucieux de la bonne santé de son peuple, notre bra­ve rentier et homme d'affaires a in­vesti 300 de ces 310 milliards à l'étranger. Des 2 millions d'habitants que compte son pays, 500.000 seu­le­ment sont citoyens koweitiens de sou­che arabe. La grande majorité des autres, 1,5 million de personnes, sont des travailleurs immigrés, des spé­cialistes ou des ingénieurs occi­den­taux qui travaillent dans les raffi­neries et l'exploitation pétrolières. Ils n'ont qu'un seul droit: se taire. Les partis y sont interdits. Ce n'est donc pas une démocratie que les Améri­cains vont aller sauver des griffes d'un méchant fasciste.

 

Sans le coup de force perpétré par les Anglais en 1889 contre les Otto­mans et sans le pillage systématique du Moyen Orient commis par les Fran­çais et les Anglais après 1918, il n'y aurait ni Irak, ni Syrie, ni Liban, ni Koweit. La Jordanie, elle aussi, est une création britannique datant de l'im­médiat après-Versailles. Au dé­part, elle se composait de la Palestine et de la Transjordanie, que les bu­reaux londoniens ont préféré séparer en 1923. Sur les plans géopolitique et ethnique, le petit espace territoriale koweitien appartient à la Mésopota­mie, donc à l'Irak. D'autant plus que le Koweit est le port naturel de la Mésopotamie. Si les Britanniques n'é­taient pas intervenu et si l'on n'y avait pas découvert du pétrole en 1938, la bourgade de Koweit et la ré­gion aux alentours seraient demeu­rées irakiennes. Peut-on dire que Sad­dam Hussein a profité de l'atmos­phère réunioniste qui règnait en Al­le­magne à la veille de la réunifi­cation formelle du 3 octobre, pour essayer son propre Anschluß, d'autant plus que ni les Russes ni les Améri­cains ne s'opposaient plus aux désirs du peu­ple allemand? Pourquoi les Etats-Unis et l'URSS ont-ils accepté la réu­ni­fication allemande et refusé la réu­ni­fication de la Mésopotamie? Sans dou­te parce que le lobby sioniste s'y est opposé. Ce qui explique pour­quoi l'«opinion publique internatio­nale» a été mise en alerte. Et mobili­sée contre l'Irak.

 

Franz Karg von Bebenburg.

(extrait de Mensch und Maß, 1991/2; adresse: Verlag Hohe Warte, Ammer­seestr. 2, D-8121 Pähl).