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jeudi, 27 novembre 2025

Georg Mayer (FPÖ): «L'UE conduit l'Europe vers une dépendance dangereuse – ce sont nos entreprises locales qui en font les frais»

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Georg Mayer (FPÖ): «L'UE conduit l'Europe vers une dépendance dangereuse – ce sont nos entreprises locales qui en font les frais»

Par Georg Mayer

Source: https://www.fpoe.eu/mayer-eu-steuert-europa-in-eine-gefae... 

« Avec sa politique industrielle idéologisée, la Commission européenne a conduit l'Europe vers une dépendance extrêmement dangereuse vis-à-vis de la Chine – et tente désormais de masquer les problèmes qu'elle a elle-même causés en maniant à tour de bras des vocables-slogans tels que le « dérisquage ». En réalité, nous assistons à une désindustrialisation provoquée par Bruxelles, explique Georg Mayer, député européen de la FPÖ autrichienne, à l'occasion du débat en session plénière sur les restrictions chinoises à l'exportation.

Mayer souligne que l'UE a imposé pendant des années des exigences climatiques excessives, a posé une interdiction totalement inappropriée des moteurs à combustion et imposé une bureaucratie toujours plus lourde, qui ont considérablement affaibli la base industrielle de l'Europe. "Alors que d'autres régions du monde renforcent leur industrie, l'UE chasse systématiquement notre production hors d'Europe. Et maintenant, on s'étonne que la Chine tire parti de sa position? Cette évolution était prévisible", déclare M. Mayer.

La ligne de conduite de la Commission, qui pourrait conduire l'Europe à une confrontation avec la Chine, est particulièrement dangereuse: «Une escalade du conflit serait suicidaire sur le plan économique. La Chine est l'un des principaux partenaires commerciaux de l'Europe. Ceux qui brandissent des gestes menaçants mettent en danger notre prospérité. » Ce sont surtout les entreprises locales qui en font les frais: « Ce ne sont pas les élites bruxelloises qui paient la facture, mais nos entreprises locales, celles qui garantissent chaque jour des emplois et créent de la valeur ajoutée.

Mayer exige un changement radical de mentalité

« Il faut mettre fin à cette mauvaise orientation idéologique. L'Europe n'a pas besoin de petits jeux géopolitiques, mais, enfin, d'une politique qui renforce notre industrie, assure la sécurité d'approvisionnement et rétablisse la compétitivité. »

Le FPÖ continuera à « s'opposer aux dérives autodestructrices de Bruxelles » et à réclamer une politique industrielle raisonnable qui remette l'Europe sur les rails sur le plan économique.

Georg Mayer

- Membre de la commission des pétitions (PETI);

- Membre suppléant de la commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie (ITRE).

Friedrich Nietzsche, Gilles Deleuze et l'éternel retour

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Friedrich Nietzsche, Gilles Deleuze et l'éternel retour

Troy Southgate

Source: https://troysouthgate.substack.com/p/friedrich-nietzsche-...

Dans son ouvrage complexe publié en 1962, Nietzsche et la philosophie, le postmoderniste français Gilles Deleuze (1925-1995) cherche tellement à faire correspondre les idées de Nietzsche à sa propre vision matérialiste du monde que certains aspects de l'œuvre du penseur allemand sont complètement relégués au second plan. Lorsque Deleuze aborde la notion d'éternel retour, par exemple, à laquelle Nietzsche fait allusion dans Le Gai Savoir (1882) et Ainsi parlait Zarathoustra (1883-1891), il affirme que ce concept contient « les parties les plus obscures de la philosophie de Nietzsche et constitue un élément presque ésotérique de sa doctrine » (p. 69).

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Ailleurs, Deleuze suggère que La généalogie de la morale (1887) de Nietzsche est une tentative flagrante de réécrire la Critique de la raison pure (1781) d'Emmanuel Kant, même si Nietzsche s'abstient de discuter des questions relatives à l'épistémologie dans cet ouvrage particulier et ne mentionne à aucun moment Kant lui-même.

Deleuze, comme Emma Goldman (1869-1940) avant lui, admirait beaucoup l'attitude intransigeante de Nietzsche et tentait de rehausser ses propres références révolutionnaires en créant une forme de nietzschéisme de gauche.

On peut débattre de la question de savoir s'il y parvint réellement, mais pour revenir à sa discussion sur l'éternel retour, je suis d'accord avec Deleuze pour dire que certaines remarques de Nietzsche sur la nature des tendances réactives s'expliquent par la relation entre la volonté de néant et l'éternel retour lui-même.

La volonté de néant, rappelons-le, est le nom que Nietzsche donne à la philosophie pessimiste d'Arthur Schopenhauer (1788-1860), selon laquelle la vie se détourne d'elle-même parce qu'elle ne trouve aucune valeur réelle dans le monde. Elle est similaire, à bien des égards, au bouddhisme. Cette tendance est bien sûr présentée comme la voie du nihiliste, décrite à titre posthume par Nietzsche dans La Volonté de puissance (1901) comme « un homme qui juge le monde tel qu'il est comme il ne devrait pas être, et le monde tel qu'il devrait être comme s'il n'existe pas ».

La volonté de néant est donc d'une importance vitale dans le schéma philosophique des choses car, comme le note Deleuze, en entrant en contact avec l'éternel retour, « elle rompt son alliance avec les forces réactives » et donc « l'éternel retour peut compléter le nihilisme car il fait de la négation une négation des forces réactives elles-mêmes » (p. 70).

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En d'autres termes, bien que le nihilisme soit généralement perçu comme l'apanage des faibles, il devient ici l'instrument de leur propre autodestruction.

Avant cette association ironique entre la volonté de néant et l'éternel retour, la première était toujours présentée comme quelque chose qui s'alliait aux forces réactives et qui, par conséquent, cherchait inévitablement à nier ou à étouffer la force active. Nietzsche, en 1901, avait déjà observé que « la loi de conservation de l'énergie exige l'éternel retour ». La volonté de néant, en revanche, n'est qu'une forme incomplète de nihilisme et, comme le note Deleuze: « La négation active ou la destruction active est l'état des esprits forts qui détruisent le réactif en eux-mêmes, le soumettant à l'épreuve de l'éternel retour et se soumettant eux-mêmes à cette épreuve, même si cela implique de vouloir leur propre déclin » (Ibid.).

La négation est donc radicalement transformée en un état d'affirmation dans ce qui peut finalement être interprété comme une métamorphose dionysiaque.

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Pier Paolo Pasolini, le prophète que l'on n'a pas écouté...

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Pier Paolo Pasolini, le prophète que l'on n'a pas écouté...

Ilaria Bifarini

Source: https://ilariabifarini.com/pier-paolo-pasolini-un-profeta...

Parmi les thèmes du baccalauréat, se distingue un extrait de Pier Paolo Pasolini, une figure controversée et encore peu comprise aujourd’hui, sauf de manière superficielle, selon une lecture conformiste. L’intellectuel éclectique et polyvalent, le poète de Casarza, fut le premier à prophétiser et dénoncer publiquement ce que serait l’avènement du néolibéralisme, à travers la dictature sournoise et trompeuse de la société de consommation.

Aux États-Unis, la consommation de masse s’affirme dès la fin de la Première Guerre mondiale, afin d’absorber le surplus de production de l’industrie de guerre. La caractéristique distinctive de ce modèle est la dépense croissante pour des biens superflus et non nécessaires. La force motrice est la production de masse, standardisée, mécanisée et destinée au grand public, la masse précisément, celle qui est aussi employée dans la production. Le travailleur, de plus en plus aliéné par l’automatisation, joue dans son temps libre le rôle d’un consommateur actif et conscient, qui le légitime en tant qu’individu et pour lequel il est prêt à s’endetter. La substrat socioculturel américain constitue un terrain fertile pour le triomphe de la croyance consumériste.

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Bien qu’avec quelques décennies de retard, l’Italie n’a pas été immunisée contre ce phénomène pernicieux basé sur l’instauration de besoins toujours nouveaux pour alimenter la consommation de biens produits dans un cycle continu, sans interruptions ni déviations pour la saturation ou la satisfaction des besoins matériels; le mythe et l’idéal du modèle américain s’installent, dès l’après-guerre, dans l’imaginaire collectif du pays.

Cependant, il faut faire une distinction entre ce qui se passe en Italie et dans d’autres pays, car, comme le soutient Pasolini, alors qu’à l’étranger — en particulier aux États-Unis —, le terreau socio-économique est fertile et naturel pour une nouvelle histoire sans racines anciennes, en Italie, la croyance consumériste revêt des traits plus violents. Comme une «catastrophe anthropologique», il bouleverse un système idéologique basé sur les traditions culturelles et la participation sociale, pour se tourner vers un modèle standardisant, égalisateur vers le bas, vers cette uniformisation que le consumérisme impose.

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L’écrivain et réalisateur originaire de Bologne, qui a vécu longtemps à Rome en contact étroit avec les milieux populaires, avec ce monde des déshérités, représenté dans ses films et dans les « Écrits corsaires » (1975), stigmatise cette nouvelle idéologie déferlante comme un vrai fascisme, entendant par là la prépotence du pouvoir. Derrière une tolérance apparente et feinte, elle cache en réalité une intolérance sourde et impitoyable, une permissivité accordée d’en haut et rétractable chaque fois que le pouvoir le décide.

À un moment donné, le pouvoir a eu besoin d’un type différent de sujet, qui soit avant tout un consommateur. 

Sans coups d’État ni dictatures militaires, un Pouvoir sans visage s’impose, qui impose une uniformité culturelle et anthropologique de type interclassiste, où toute conscience de classe disparaît. Par l’hédonisme de la consommation et une fausse promesse de bien-être accessible à tous, un génocide culturel et une colonisation des âmes se réalisent dans notre pays: le nouveau modèle est entièrement intériorisé par la population, jusqu’à produire une mutation anthropologique. Contrairement au fascisme mussolinien, qui prévoyait un enrégimentement superficiel et scénographique, celui de la société de consommation de masse touche les jeunes non seulement dans leurs comportements, mais aussi dans leurs pensées, dans leur imaginaire, au plus profond d’eux-mêmes. « Les pauvres et les sans-pouvoirs n’aspirent plus à davantage de richesse et de pouvoir, mais à être partout à l'image de la classe dominante », devenue culturellement et socialement la seule classe existante.

L’œuvre tardive de Pasolini, réalisée quelques années avant sa mort, est une analyse lucide et poignante, un cri d’alarme qui est resté sans réponse et sous-estimé par les intellectuels de l’époque, notamment ceux de gauche, à qui s’adressait l’écrivain.

« Je prophétise l’époque où le nouveau pouvoir utilisera vos paroles libertaires pour créer un nouveau conformisme, une nouvelle Inquisition, et ses clercs seront des clercs de gauche. »

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Anticipant les temps, poussé par une sensibilité artistique et une connaissance profonde de la culture populaire, des us et coutumes locaux, que la société de consommation de masse et ses puissants moyens de communication allaient bientôt balayer, Pasolini prévoit l’avènement de ce qui est aujourd’hui le néolibéralisme. Une théorie toute faite, aussi puissante qu’une religion, basée sur une matrice économique, avec une surface séduisante et scintillante de consumérisme, derrière laquelle se cache un pouvoir sans visage, répressif et totalitaire.

Au-delà de la version officielle, les vraies motivations de son assassinat restent encore enveloppées de mystère.

Le « Mal » dans la cosmogonie de Tolkien

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Le « Mal » dans la cosmogonie de Tolkien

par Ralf Van den Haute

La lecture de l'épopée Le Seigneur des Anneaux[1] ne révèle pas toute la portée mythique de l'œuvre de J. R. R. Tolkien, qui fournit dans Le Silmarillion[2] la véritable clé de son univers. On y trouve une description de l'origine du monde, des dieux et du « Mal ». Le statut de ce dernier dans l'œuvre de Tolkien correspond à plusieurs égards aux différentes manifestations du Mal dans la mythologie germanique. Le but de cet article est d'examiner cet aspect et de retracer certaines similitudes entre le Mal dans l'œuvre de Tolkien et la mythologie germanique telle qu'elle nous est transmise par les Eddas[3] .

Le « Mal » dans l'œuvre de Tolkien ne correspond pas à la définition qui nous a été transmise par le monothéisme chrétien: il faut plutôt le considérer comme un ensemble de forces destructrices qui défient la vie et l'ordre divin, comme on le retrouve dans l'Edda.

Dans la littérature fantastique, et plus particulièrement dans le genre appelé « fantasy héroïque », Tolkien jouit indéniablement d'une popularité inégalée. Éminent philologue, spécialiste de la grammaire comparée des langues germaniques et indo-européennes, il n'est pas seulement l'auteur d'un récit merveilleux et d'une épopée. Contrairement aux innombrables livres et productions cinématographiques pseudo-mythiques — qui sont dépourvus de toute dimension tragique —, l'œuvre de Tolkien constitue un système mythologique véritablement cohérent, basé sur un mythe cosmogonique et doté d'un cadre dans lequel peut se dérouler une épopée quasi homérique.

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Le Silmarillon, clé de l'œuvre de Tolkien

Tout dans cette œuvre — des anneaux aux épées magiques, des représentants du « Bien » et du « Mal » — est l'expression d'un ordre intérieur propre à l'être humain, tant à l'individu qu'à la communauté du destin. Il s'agit d'un ordre immanent à ce monde, dont l'essence ne peut être comprise en lisant uniquement Le Hobbit[4] - qui a commencé comme une histoire que Tolkien a écrite pour ses enfants - et Le Seigneur des Anneaux. Dans Le Silmarillion, le lecteur séduit par la Terre du Milieu trouvera les clés indispensables. Bien qu'il ait été publié après Le Seigneur des Anneaux, l'auteur a commencé à écrire le texte dès son retour des tranchées en 1916. Initialement destiné à être inclus dans Le Livre des contes perdus[5] , le manuscrit partiellement inachevé a finalement été publié en 1977 par Christopher Tolkien, le fils de l'auteur.

Dès le départ, Le Silmarillion apparaît comme un livre moins accessible que l'épopée de Tolkien : c'est l'histoire des origines, du commencement lointain – la nuit des temps – qui n'est pas sans rappeler la Völuspá, dans laquelle la mystérieuse Völva raconte les origines et le destin du monde. Le Silmarillion contient tout le contenu mythique qui permet de mieux comprendre Le Seigneur des Anneaux, d'autant plus que les événements du Silmarillion précèdent chronologiquement ceux du Seigneur des Anneaux et en décrivent les causes en détail. Le lecteur y découvre l'élaboration d'un véritable mythe cosmogonique originel, la présence d'un panthéon — dont les fonctions des divinités ne sont pas toujours complètement élaborées — et une vision de la fonction du « Bien » et du « Mal », qui atteindra son apogée dans Le Seigneur des Anneaux.

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Certains ont voulu voir dans cette dynamique entre deux forces opposées une allégorie — comme celle de la Seconde Guerre mondiale. Tolkien lui-même a rejeté cette interprétation. Il nous semble plus intéressant d'étudier le statut du « Mal » dans l'œuvre de Tolkien à la lumière de la mythologie germanique telle qu'elle est représentée dans l'Edda. Pourquoi spécifiquement la mythologie germanique ? Germaniste, Tolkien connaissait particulièrement bien plusieurs langues germaniques anciennes telles que le vieux norrois, le vieil anglais et le gothique, et a lui-même traduit et commenté plusieurs textes épiques et mythologiques. Sa connaissance des mythes et légendes germaniques était pour le moins très approfondie. Cette tentative d'analyse succincte n'exclut pas l'existence d'autres influences : certains noms dans le Silmarillon semblent notamment être tirés de l'épopée finlandaise Kalevala. Le quenya et le sindarin, langues elfiques créées par Tolkien, sont quant à elles basées sur le finnois et le gallois. Il est difficile de se prononcer de manière catégorique sur les parallèles entre le Silmarillion et le mythe de la création dans le Mahabarata, car on ne sait pas dans quelle mesure Tolkien connaissait le contenu de ce texte. Certains suggèrent que les sept rivières d'Ossiriand seraient inspirées des sapta sindhu, les sept rivières du Rigveda. Quoi qu'il en soit, il est possible de démontrer de manière convaincante que Tolkien a rédigé un mythe de la création, une mythologie et une épopée héroïque à part entière, qui s'inscrivent dans la lignée de la mythologie germanique et indo-européenne au sens large.

Le mythe fondateur

Le problème du « Mal » ne peut être dissocié de l'ensemble de la cosmogonie. Le mythe tolkienien de la création en fournit lui-même l'explication : il ne s'agit pas d'une création comme acte unique émanant d'une divinité unique et toute-puissante. Cette cosmogonie s'inscrit plutôt dans une conception de l'origine telle que l'a formulée Ernst Jünger dans Besuch auf Godenholm[6] : « La création (...) était possible à chaque point où les flammes de l'infiniment vaste éclataient. »

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Dans le Silmarillion, Eru, ou Ilúvatar (illustration) — un nom apparenté à l'allemand Allvater, l'un des nombreux noms d'Odin — crée les Ainur et leur donne trois thèmes musicaux qu'ils doivent élaborer et développer. Ils donnent ainsi forme à Arda, la Terre, et à , le « monde qui est », l'univers.

Ilúvatar ne possède aucune des caractéristiques du dieu jaloux de la Bible ; au contraire, il semble incarner le principe du Devenir. N'envoie-t-il pas ses flammes éternelles à travers l'espace — les flammes de l'infiniment de Jünger —, flammes qui sont à l'origine des mélodies infinies, véritables sculptures musicales ? C'est ainsi que la Terre et l'univers deviennent réalité.

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Les Valar, les dieux de la cosmogonie tolkienienne, sont les meilleurs parmi les Ainur. Ils sont quatorze et leurs fonctions sont multiples. Certains Valar présentent des similitudes avec les dieux de notre panthéon familier : il y a ainsi un dieu de la mer (et des eaux en général). Ils correspondent à des forces de la nature, et l'on pourrait ici utiliser le terme de « religion naturelle », si Tolkien ne semblait pas veiller soigneusement à ne jamais inclure de culte religieux ou de forme quelconque d'eschatologie dans son œuvre.

Les Valar, qui participent au chant éternel des Ainur, représentent en quelque sorte les forces de la nature qui façonnent et refaçonnent sans cesse le visage du monde. Ce chant symbolise le devenir : seuls des éléments créateurs peuvent exister. Un monde sans éléments destructeurs serait statique, incomplet et, en l'absence d'une dimension tragique, totalement inintéressant.

Friedrich Gundolf, membre éminent du cercle de poètes autour de Stefan George, suggère que « les dieux subliment toutes les tensions humaines en forces créatrices ».[7] Ces tensions existent également dans l'œuvre de Tolkien ; elles en constituent même le fondement. Quels sont donc les éléments destructeurs nécessaires pour rendre possibles les tensions créatrices ? Le « Mal », en tant que force opposée au « Bien », apparaît déjà dans l'Ainulindalë, où Tolkien raconte le développement des mélodies par les Ainur.

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Alors que les Ainur et les Valar façonnent le monde et la vie à travers leur musique, Melkor — lui-même un Valar — développe ses propres mélodies, dissonantes et violentes, qui semblent consister en une négation des harmonies créées par les autres Valar. Les mélodies de Melkor s'ajoutent à l'ensemble des mélodies des Valar : à certains moments, les tonalités harmoniques prédominent, non sans difficulté ; à d'autres moments, c'est la musique dissonante de Melkor qui domine.

Cet antagonisme, mais aussi cette alternance entre les deux forces, reflète la lutte entre les dieux et les Titans, entre l'ordre et le chaos, entre la vie et la mort. Les Valar sont ainsi constamment confrontés à la destruction de leur œuvre, voire à leur propre destruction. Les deux forces sont engagées dans une lutte éternelle, dans laquelle aucune des deux ne peut jamais se vanter d'une victoire définitive.

L'eucatastrophe

1362112-1204743065.jpgMais Le Seigneur des Anneaux ne se termine-t-il pas par une eucatastrophe ? Tolkien lui-même mentionne l'eucatastrophe comme l'une des issues possibles dans un essai intitulé On Fairy-stories[8] . La définition qu'il donne à ce terme — dérivé du grec eu et katastrophê — est la suivante : « L'eucatastrophe est le revirement soudain et joyeux [...] une grâce soudaine et miraculeuse, sur laquelle on ne doit jamais compter pour qu'elle se reproduise. »

Dans cet essai, Tolkien décrit comment la structure du conte de fées, notamment à travers l'eucatastrophe, trouve un écho lointain dans l'histoire du salut chrétien. Tolkien, qui a écrit cet essai une dizaine d'années avant de commencer ses récits, relativise lui-même cette notion lorsqu'il affirme que l'eucatastrophe n'est pas la seule fin possible. Cet essai traite des contes de fées en général, et non spécifiquement du Seigneur des Anneaux, dont la rédaction n'a commencé qu'une dizaine d'années plus tard.

Dans l'eschatologie chrétienne, le Mal est définitivement vaincu lors du Jugement dernier, qui marque la fin de l'Histoire (qui, dans la tradition judéo-chrétienne, a commencé avec l'expulsion d'Adam et Ève du Paradis). Si l'œuvre de Tolkien contient des éléments chrétiens, c'est plutôt dans le personnage de Nienna, une déesse (Valar) qui présente certains attributs de Notre-Dame et plus précisément de la Mater dolorosa, à savoir la tristesse, la compassion et la miséricorde.

Cependant, de nombreux indices suggèrent que le « Mal » n'est pas définitivement vaincu à la fin de la grande bataille dans Le Seigneur des Anneaux. Comme le fait remarquer Paul Kocher dans Master of Middle-Earth[9] : « À en juger par les Âges précédents, le Mal reviendra bientôt. »  Lors du dernier conseil avant la bataille, Gandalf, personnage emblématique de l'épopée, déclare que même si Sauron était vaincu et qu'un grand mal était ainsi banni du monde, d'autres se lèveraient.

Par l'intermédiaire de Gandalf, l'auteur relativise davantage l'eucatastrophe, un concept qu'il définit et décrit certes dans un essai, mais dont les perspectives chrétiennes sont finalement absentes tant dans son récit cosmogonique que dans son épopée.

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Histoire cyclique

Le « soleil invaincu » est un autre thème récurrent dans l'œuvre de Tolkien : vers la fin du Seigneur des anneaux, le soleil renaît à l'horizon. Tout cela indique que la vision de l'histoire n'est pas linéaire ici : tant que le soleil se lèvera le matin, les grands après-midis seront inévitablement suivis de crépuscules. La victoire du soleil sur les ténèbres, de l'ordre sur le chaos, est elle-même de nature cyclique.

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Le risque et le défi sont donc étroitement liés : la lutte entre les peuples libres (the free people) et les autres — les esclaves des ténèbres, porteurs de destruction et de chaos (les Orques, les Nazgûl, etc.) — revêt ici une dimension véritablement cosmique, mythique et intemporelle. On retrouve cette lutte dans la chasse effrénée du Vala Oromë (ill.), un dieu qui ressemble à Odin à plus d'un titre : le martèlement des sabots de son cheval annonce l'aube et chasse les ténèbres, qui réapparaissent immédiatement derrière lui.

La guerre entre Melkor et les Valar est sans fin et de nature cyclique. Selon Mircea Eliade[10] , la notion de temps chez les peuples archaïques ou les sociétés indo-européennes traditionnelles n'est pas vécue de manière linéaire, mais cyclique. Les rites, les mythes et les fêtes reproduisent les actes originels des dieux, des héros ou des ancêtres mythiques et permettent aux participants de revenir à chaque fois à l'époque primitive (illud tempus).

Eliade fait notamment référence à la tradition védique : les kalpas y sont des époques qui se succèdent à l'infini ; le rituel (agnihotra) permet la régénération du cosmos (au sens de l'Ordre). Eliade estime que le renouvellement périodique du pouvoir royal (dans les traditions iranienne et romaine) constitue une variante indo-européenne de la régénération cosmique.

Lutte éternelle

Peut-on alors compter Le Silmarillio parmi la tradition indo-européenne et plus précisément germanique, dont on sait qu'elle fut l'une des principales sources d'inspiration de l'auteur ? L'Edda nous raconte l'histoire des géants qui ont tué le géant primitif Ymir et ont utilisé les différentes parties de son corps pour façonner l'Univers et le Monde, avant d'être bannis aux confins du Monde par les dieux. Les géants se sont sentis humiliés, et c'est ainsi qu'a commencé une guerre sans fin entre les géants — représentants des forces brutes du commencement du monde et du chaos destructeur — et les dieux, symboles de l'ordre.

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Gustav Neckel y voit un élément mythique très ancien et démontre sa présence dans les récits perses, helléniques et celtiques (principalement irlandais). Dans Vom Germanentum[11] , Neckel parle de l'«*ewigen Kampf dieser entgegengesetzten Gewalten*» (lutte éternelle entre ces forces opposées), dans le même contexte que celui que l'on retrouve dans l'œuvre de Tolkien.

La vision du monde des Indo-Européens considère la vie comme une lutte éternelle entre des forces qui s'opposent et qui constituent ensemble le Devenir. Tolkien oppose le monde ensoleillé des forêts et des paysages verdoyants et vallonnés, avec ses sources et sa magie, aux déserts, à la désolation des terres arides couvertes de nuages sombres.

En ce sens, la cosmogonie et la mythologie de Tolkien, qui se déploient autour de ce *Streit der aufbauenden mit den niederreißenden Gewalten* (lutte entre les forces constructrices et destructrices, selon Neckel), sont à la fois crédibles et cohérentes.

Les arbres de Yavanna

Dans Le Silmarillion, Tolkien illustre ce cycle à travers l'histoire des deux arbres de Yavanna. Ces deux arbres sont étroitement liés à la mythologie germanique, et plus particulièrement à Yggdrasil, l'if sacré des Germains. Yavanna, tantôt déesse, tantôt arbre sacré reliant la terre et le ciel, veille sur Laurelin et Telperion, deux arbres qui partagent avec l'if sacré des Germains la notion de fertilité et de croissance, ainsi que la menace de leur destruction.

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Yggdrasil est en effet constamment menacé par un cerf qui broute son feuillage et par des serpents qui rongent ses racines. Grâce à la présence des Nornes du destin, qui vivent sous ces racines, il ne succombera pas aux attaques sans cesse renouvelées avant le Ragnarök. Yggdrasil reflète la condition humaine et celle du monde dans la mythologie germanique.

Les deux arbres sous la protection de Yavanna finiront par périr, empoisonnés par Melkor : leur disparition marquera la fin de l'ère solaire et le début d'une période sombre, qui ne prendra fin que lorsqu'une des précieuses graines de Telperion redeviendra un arbre. Cela ne se produira qu'au moment où un roi légitime, héritier de l'épée de ses ancêtres les plus lointains et divins, aura reconquis le trône ancestral.

Il s'agit bien sûr d'un mythe de régénération, qui n'est pas sans rappeler le cycle arthurien et les récits de la quête du Graal (Chrétien de Troyes, Wolfram von Eschenbach, mais aussi T. S. Eliot dans The Waste Land[12] ). Le rôle de ces arbres sacrés montre à quel point Tolkien nous plonge dans un univers qui nous est familier.

Loki

Quant au personnage de Melkor, lui aussi semble avoir ses homologues du côté germanique. Tout comme les géants, il a été banni de leur demeure par les dieux. Humilié, il ne cesse de penser à se venger. Il existe une parenté tout aussi évidente entre Melkor, qui est particulièrement rusé, et Loki, le dieu germanique du feu, que Felix Genzmer décrit dans Die Edda[13] comme un fauteur de troubles, un instigateur de tous les malheurs qui frappent les dieux.

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Georges Dumézil a consacré une étude approfondie[14] à ce dieu aux multiples facettes. Loki est en effet associé à la ruse et au mensonge. Il est après tout le père de la géante Hel, du serpent Midgard et du loup Fenrir, qui joueront un rôle important dans le Ragnarök. Melkor s'est également forgé une réputation de menteur qui trompe ses victimes par la ruse, la peur, la tromperie et la violence. Les Valar parviennent un jour à le précipiter dans le Néant (nothingness), mais sa place est immédiatement prise par Sauron. Il s'agit clairement d'une fonction essentielle, sinon il n'y aurait eu aucune nécessité de le remplacer.

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Loki a engendré des créatures monstrueuses : Melkor fait de même et forme, à partir d'êtres vivants capturés ou enlevés, des races dégénérées, primitives et laides. Les Orques, son chef-d'œuvre — une race monstrueuse et cruelle — sont en effet une dégénérescence de la noble race des Elfes.

La parenté ainsi établie entre Melkor et Loki soulève une question pertinente: alors que Loki vit parmi les Ases à Asgard, Melkor est banni aux confins du monde. Pourquoi les dieux ne se débarrassent-ils jamais complètement de Loki, qui sera finalement responsable de la mort de Balder, le dieu germanique du soleil — un événement qui annonçait le début du Ragnarök et correspond à l'empoisonnement des arbres sacrés par Melkor ?

Après la mort de Balder, les dieux soumettent Loki à d'horribles tortures. À une autre occasion, lorsque Loki se moqua et insulta les dieux, Thor menaça de lui fracasser le crâne avec son marteau. Dans les deux exemples cités, Loki réussit toutefois à échapper à cette punition.

Il en va de même pour Fenrir : bien qu'Odin sache qu'il sera dévoré par ce loup au moment du Ragnarök, il ne le tue pas, mais l'enchaîne. Thor et un géant réussirent un jour à capturer le serpent Midgard ; eux non plus ne le tuèrent pas, mais le laissèrent au contraire libre dans les profondeurs de l'océan, afin qu'il puisse accomplir sa tâche fatidique lors du Ragnarök.

Dans chacun des cas mentionnés, le représentant du Mal — dans toute sa dimension cosmique — parvient à chaque fois à s'échapper alors qu'il est sous le pouvoir des dieux.

Ce motif revient d'ailleurs dans Le Seigneur des anneaux, avec le personnage de Gollum. Dans le chapitre du Silmarillion intitulé « De la venue des Elfes et de la captivité de Melkor », les Valar capturent Melkor et lui lient les mains avec une corde magique, qui rappelle les chaînes de Fenrir. Pourtant, en échange de quelques vagues promesses, les Valar ne font rien de mieux que de lui rendre sa liberté.

Quand, bien plus tard, ils parviennent enfin à se débarrasser de lui, un successeur endosse immédiatement le même rôle.

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Melkor, Loki, Fenrir et le Serpent de Midgard ne sont rien d'autre que les adversaires nécessaires, les ennemis qui confèrent aux dieux leur dimension tragique. Ce sont ces adversaires indispensables qui créent les tensions nécessaires à l'élan créateur du monde.

Gustav Neckel voit dans cette tendance à épargner un ennemi qui s'avérera mortel à l'avenir l'expression mythique d'un ordre cosmique nécessaire, car imposé par le Destin. Même si les dieux avaient voulu détruire ces acolytes du Chaos, ils n'y seraient pas parvenus, car, précise Neckel, le destin est scellé.

Paul Kocher remarque que la survie des héros dans Le Seigneur des anneaux dépend de la chance, de la providence et du destin. Certains personnages de cette épopée connaîtront un destin tragique et héroïque et mèneront une vie risquée.

Quête de régénération

Melkor incarne donc plusieurs aspects du Mal, tels qu'ils sont exprimés dans l'Edda. Soulignons tout d'abord la place du Mal dans la cosmogonie germanique et tolkienienne, telle qu'elle est exposée dans l'Ainulindalë, le premier chapitre du Silmarillion. Il existe ensuite des similitudes indéniables entre la fonction de Melkor et celle de Loki au sein de leurs panthéons respectifs. Melkor n'est pas le diable du monothéisme, mais plutôt un démiurge tragique, sans doute apparenté à Loki, voire à Prométhée.

Ce point de vue est diamétralement opposé à la réinterprétation catholique de l'œuvre de Tolkien. Bien qu'il soit incontestable que Tolkien lui-même était catholique, toute trace d'eschatologie chrétienne est absente de son œuvre.

Dans l'œuvre de Tolkien, on ne trouve aucune trace d'une création du monde ex nihilo. Tout tourne autour d'un mythe de la création dans lequel le Devenir prend forme à travers l'harmonie (l'Ordre), la disharmonie (le Chaos) et la lutte éternelle entre les deux. Melkor, comme Ymir dans la cosmogonie germanique, fait partie des êtres qui précèdent les dieux et n'est pas un ange déchu. Melkor, qui est doté de tous les dons, aspire à l'autonomie et à la domination. Il est le créateur du Chaos, comme les Titans et autres géants dans la tradition indo-européenne.

Et ce Chaos, composante indispensable du devenir, en fait partie intégrante. Melkor confère au monde une dimension tragique qui rend possible l'apparition du héros — une notion qui fait défaut au christianisme, qui préfère vénérer les martyrs qui aspirent à une récompense transcendante.

Nous pouvons conclure que la mythologie créée par Tolkien — même s'il était lui-même catholique — n'a pas un caractère théologique, mais véritablement mythologique, caractérisé par la lutte éternelle entre des forces à la fois opposées et complémentaires: l'Ordre et le Chaos, comme dans les mythes de la création de la tradition indo-européenne.

Le Bien et le Mal dans l'œuvre de Tolkien n'ont pas une dimension morale, mais purement ontologique. Le christianisme aspire au salut ; dans le monde de Tolkien, nous assistons à une quête de  régénération, de rétablissement d'un équilibre entre les forces cosmiques. Tout comme dans le Ragnarök, la destruction et la renaissance sont ici indissociables.

Ralf Van den Haute

Notes:

[1] Tolkien, J. R. R. Le Seigneur des anneaux. Londres : George Allen & Unwin, 1955.

[2] Tolkien, J. R. R. Le Silmarillion. Éd. Christopher Tolkien. Londres : George Allen & Unwin, 1977.

[3] Ralf Van den Haute. Indo-European and traditional mythological elements in Tolkien: A comparative study of the pantheon in « The Silmarillion » and « The Edda », Université libre de Bruxelles, 1984.

[4] Tolkien, J. R. R. Le Hobbit ; ou, Aller et retour. Londres : George Allen & Unwin, 1937.

[5] Tolkien, J. R. R. Le Livre des contes perdus. Partie I. Édité par Christopher Tolkien. Londres : George Allen & Unwin, 1983.

[6] Ernst Jünger. Besuch auf Godenholm. Francfort-sur-le-Main : Vittorio Klostermann, 1952

[7] Gundolf, Friedrich. Goethe. Berlin : Georg Bondi, 1916.

[8] Tolkien, J. R. R. « On Fairy-Stories ». Dans Essays Presented to Charles Williams, édité par C. S. Lewis, 38–89. Oxford : Oxford University Press, 1947.

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[9] Kocher, Paul H. Master of Middle-earth: The Fiction of J. R. R. Tolkien. Boston : Houghton Mifflin, 1972.

[10] Eliade, Mircea. Le Mythe de l’éternel retour : Archétypes et répétition. Paris : Gallimard, 1949

[11] Neckel, Gustav. Vom Germanentum : Ausgewählte Aufsätze und Vorträge. Leipzig : Harrassowitz, 1944.

[12] Eliot, T. S. The Waste Land. New York : Boni and Liveright, 1922.

[13] Genzmer, Felix (trad.). Die Edda. Iéna : Eugen Diederichs, 1912-1920.

[14] Dumézil, Georges. Loki. Paris : G. P. Maisonneuve, 1948

mercredi, 26 novembre 2025

Leçons tirées de l’Occident brisé par l’immigration

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Leçons tirées de l’Occident brisé par l’immigration

Comment la décadence politique se propage lorsque l’idéologie remplace la réalité

Alexandre Douguine

Alexandre Douguine montre comment l’effondrement de l’Occident, alimenté par l’immigration, révèle le destin de tout système politique qui se coupe de la tradition et tombe dans la pourriture de sa propre idéologie laïque.

Le monde occidental est en train de s’effondrer. Alors que l’Union européenne et les mondialistes tentent de fonctionner dans un « mécanisme de dégradation par paliers », les électeurs américains se sont soulevés. Et maintenant, ce sont aussi les Européens qui se dressent. Où cela mènera-t-il, et que doit faire la Russie ?

Le gouvernement de Starmer en Grande-Bretagne et les libéraux de l’Union européenne représentent le cœur de l'idéologie libérale, insistant sur leur vision malgré l’état réel du monde. À cet égard, ils ressemblent au détenteurs du pouvoir à la fin de l’Union soviétique, lorsque l’élite du parti et le gouvernement soviétique continuaient de s’appuyer sur des modèles théoriques qui contrastaient totalement avec la réalité. Au lieu d’essayer de concilier leurs notions -peut-être partiellement correctes- avec la réalité—une réalité qui évolue selon ses propres lois et rythmes, nécessitant de nouvelles solutions— ils ont commencé à insister sur leurs idées comme si elles représentaient la vérité ultime. Et, à la fin, tout s’est effondré.

inicklandmages.jpgLe philosophe Nick Land a introduit le terme de « ratchet dégénératif » (référence au mécanisme du pignon dégradant). Je l’appelle « la république »: des systèmes politiques et sociaux qui, une fois autonomes et laissés à eux-mêmes, sans impulsions extérieures, aboutissent inévitablement à une seule chose: au déclin, à l'effondrement, à la crise et à la dégradation. Tout système desséché basé sur un algorithme idéologique qui a perdu son lien avec la réalité—ce qu’on appelle une vérification de la réalité—finira inévitablement par un ratchet en phase de dégradation (ndt: le terme d'argot anglo-américain ratchet a de multiples significations et des origines obscures selon divers dictionnaires en ligne).

Au bout du compte, il ne reste qu’un seul chemin: l’accumulation d’une masse critique d’erreurs. Une mauvaise décision en entraîne une autre; après la troisième, viennent la quatrième, la cinquième et la sixième. Chaque mauvaise décision est suivie d’une décision encore plus mauvaise. Tout cela s’insère dans des concepts idéologiques, mais entre en conflit absolu avec la réalité. L’Union soviétique s’est effondrée précisément pour cette raison: le mécanisme ratchet de l’idéologie soviétique a atteint un point critique, refusant en toute circonstance de s’adapter au réel ou de répondre à ses défis. Avec cette république dégénérative, notre pays, malheureusement, s’est aussi effondré.

La même chose se produit maintenant avec l’Union européenne et les mondialistes. Ils croient que plus d’immigration, c’est mieux; que l’immigration doit être traitée avec encore plus d’immigration, la stupidité avec encore plus de stupidité, et les perversions avec encore plus de perversions. Ils traitent la dégénérescence de leur propre activité mentale avec une prothèse qui a la forme de l’intelligence artificielle. Voilà le mécanisme ratchet de la république. Tout modèle politique laïque, tôt ou tard, finit par un effondrement de ce genre.

Cet effondrement se produit en ce moment même dans le monde occidental. Les électeurs américains se sont dressés contre cela, et les électeurs européens se relèvent maintenant à leur tour. Pourtant, les dirigeants politiques de l’Europe—les libéraux—insisteront jusqu’au bout pour conserver et promouvoir leurs modèles totalement inefficaces. Ils nommeront des immigrants comme curateurs de l’immigration, encourageront les immigrés illégaux, accueilleront les musulmans et mettront de côté les chrétiens. En d’autres termes, toute action absurde que l’on peut imaginer sera certainement mise en œuvre par l’Union européenne.

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Nous assistons à une démonstration claire du mécanisme ratchet qui entraîne la dégénérescence. Et si nous ne vivifions pas notre propre État, notre système politique, avec des significations émanant d'un ordre supérieur, avec des objectifs plus élevés, de la sacralité et de l’esprit, nous arriverons au même point. Laisser un système politique à lui-même mène inévitablement précisément là où nous sommes aujourd'hui. D’autant plus que, malheureusement, nous sommes officiellement une république—ce qui signifie que nous sommes condamnés à la même dégénérescence que les pays occidentaux. Bien qu’évidemment, ils soient beaucoup plus avancés sur cette voie que nous.

Face à cela, il est important de comprendre ce qui se passe avec l’immigration islamique dans les pays occidentaux. Les mondialistes font une distinction nette entre l’islam dans ses pays traditionnels et l’immigration islamique. Ils font la guerre contre les États islamiques—en les envahissant, en les bombardant et en les diabolisant sur la scène internationale. Mais les diasporas islamiques en Occident, en revanche, sont accueillies à bras ouverts—en particulier les groupes les plus radicaux, déracinés et fortement criminalisés, qui ont donné en Europe et ailleurs une très mauvaise image de l’islam, une parodie de celui-ci.

En d’autres termes, les mondialistes ont des doubles standards. Les musulmans vivant dans leurs propres pays sont « mauvais ». Les musulmans qui viennent dans les pays occidentaux sont « bons ». Parce qu’ils déforment leur propre tradition, qui est conservée dans leurs pays d’origine, et détruisent les traditions des autres peuples parmi lesquels ils s’installent. Les pays musulmans sont posés comme des ennemis; les diasporas musulmanes, elles, sont posées comme des alliées des mondialistes.

L’Angleterre est un exemple d'école en ce domaine. Starmer—dont la popularité est maintenant proche de zéro—poursuit des politiques que beaucoup considèrent comme accélérant le déclin de l’Angleterre, et je soupçonne que son destin politique en sera le reflet. Des figures comme lui pourraient finalement faire face à un règlement de comptes sévère de la part de leurs propres citoyens—des figures comme l’activiste de droite Tommy Robinson incarnent déjà cette réaction croissante. Cette trajectoire est prévisible, et les communautés musulmanes intégrées dans le projet mondialiste ne feront qu’amplifier le chaos, étant donné le rôle perturbateur qui leur est assigné dans ce programme globaliste.

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Mais qu’est-ce que cela doit nous apprendre, à nous, Russes ? Premièrement, les pays musulmans doivent être nos amis, et les musulmans qui vivent dans leurs territoires traditionnels—dans leurs régions de peuplement—sont des gens merveilleux—porteurs de tradition. Deuxièmement, lorsqu’ils commencent à se répandre de manière excessive et sans motifs sérieux comme une sorte de mycélium fongique dans d’autres sociétés, cela doit être combattu. En d’autres termes, nous devons être amis et alliés des musulmans et des pays islamiques, tout en réduisant autant que possible l’immigration islamique.

Quant à nos musulmans traditionnels et autochtones—comme les Tatars, Tchétchènes et autres peuples du Caucase—ils relèvent entièrement de nos propres peuples. C’est une autre question; ils sont tout simplement des nôtres. Mais les étrangers musulmans qui viennent dans notre pays doivent adopter nos coutumes ou retourner dans leurs pays d’origine, amis.

Nous ne devons pas craindre d’offenser quelqu’un comme Emomali Rahmon (1) en expulsant tous les immigrants tadjiks illégaux de Russie. Tout doit être aussi strict que possible. Ceux qui veulent devenir comme nous sont nos amis. Ceux qui ne veulent pas le devenir, qui veulent porter toutes sortes de couvre-chefs étranges—s’il vous plaît, rentrez chez vous. Chez vous, vous pouvez faire tout ce que vous voulez. Portez ce que vous souhaitez. Nous vous traiterons avec grand respect, amour, amitié, révérence et partenariat stratégique—mais seulement lorsque vous retournerez dans votre pays. Si vous êtes ici, devenez comme nous.

Notre tâche est donc de faire exactement le contraire de ce que font Starmer en Grande-Bretagne et d’autres mondialistes dans l’Union européenne: nouer des amitiés avec les pays islamiques, les soutenir, et tout simplement arrêter l’immigration islamique, la réduire à zéro. Bien sûr, cela exclut nos propres musulmans, qui vivent dans leur propre patrie et respectent nos lois.

(Traduit du russe)

(1) Note du traducteur : Emomali Rahmon est le président du Tadjikistan, en fonction depuis 1994. Ces dernières années, il s’est plaint publiquement du traitement des travailleurs migrants tadjiks en Russie.

 

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Directoire et Macronisme: un parallèle historique saisissant! 

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L’Europe du déclin

Directoire et Macronisme: un parallèle historique saisissant! 

Frédéric Andreu

Une crise interminable — et, disons-le, minable — éteint peu à peu les lumières de l’Europe réelle. On assiste aujourd’hui à une fragmentation esthétique et morale qui n’est pas sans rappeler la période du Directoire (1795-1799), entre chapeaux à plumes et déclarations de guerre opportunes. Nous allons voir comment une oligarchie irréformable génère toujours des dérivatifs.

Alors que la corruption et la délinquance gangrènent la France d’alors, l’expédition d’Égypte sert le régime. L’UE de Macron et de von der Leyen, quant à elle, désigne aujourd’hui la Russie comme l’ennemi du genre humain. Une faute qui risque de coûter cher au peuple, éternel dindon de la farce.

- Des élections qui ne plaisent pas au pouvoir. Lorsqu’on regarde le tour de passe-passe électoral de 2005 et le discrédit persistant de la classe politique, on remarque une troublante similarité avec la période du Directoire. Nous sommes en 1797. La misère ronge les faubourgs de Paris; on mange des chats tandis que l’oligarchie d’affaires festoie dans des palais cossus. Dérive conjoncturelle ou aboutissement de la Révolution de 1789: tromper le peuple, lui retirer ses libertés concrètes et coutumières pour les remplacer par des lois abstraites? À chacun d’en juger.

Sans le savoir, la Révolution politique allait servir de préparatif à la révolution industrielle: il s’agissait de remplacer les anciennes élites par des marchands et des banquiers, et de faire entrer la machine dans la société. C’est ce que l’Histoire officielle — tatillonne sur les faits mais aveugle sur les structures — ne dit jamais: le coup d’État politique anticipait un coup d’État technique.

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Dans ce contexte délétère, on ne s’étonnera pas que les élections de 1797 (dites du « 18 Fructidor an V ») donnent une large victoire aux royalistes. Que fait alors le pouvoir? Il invalide purement et simplement les résultats ! Depuis cette époque, l’ADN du républicain semble inchangé: en 2005, Sarkozy confisque lui aussi le résultat du « non » à Bruxelles, en faisant revoter le même traité par les parlementaires. Sarkozy serait-il un héritier du Directoire? Dans un certain sens, oui: sa politique reflète sa culture personnelle, celle d’un Barras amateur de Rolex et de Fouquet’s. Moins flamboyants, Hollande et Macron resteront sans doute dans l’Histoire comme des ploutocrates sans envergure, les Directeurs dont personne ne retient le nom.

- La désignation de l’« ennemi dérivatif ». La dérive corruptrice d’un pouvoir s’accompagne toujours de la désignation d’ennemis factices. Il faut détourner le regard du pourrissement des élites en inventant des menaces opportunes. L’Italie puis l’Égypte vont remplir ce rôle: la presse fabrique un « Mars de la guerre », Bonaparte, alors même que le pillage des églises par ses soldats est encouragé. Suivez mon regard: que fait aujourd’hui l’UE — le Directoire de notre temps — sinon créer elle aussi de faux ennemis? Les « nationalistes/populistes » sont désignés comme l’ennemi intérieur; la Russie comme l’ennemi extérieur, destiné à canaliser les angoisses collectives. Rien de nouveau sous le soleil !

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Bonaparte part en Égypte. À cette époque, il n’est qu’un général ambitieux parmi d’autres. Joubert lui est d’ailleurs préféré, mais celui-ci meurt au combat. Les années qui viennent diront si un soldat surgira pour « sauver l’Europe » face à une invasion russe imminente...

- Bonaparte contre Pichegru: Cette période du Directoire, courte mais si riche en éclats, a connu l’irruption de Bonaparte au détriment d’autres hommes, tombés dans les oubliettes de l’Histoire. Le cas de Jean-Charles Pichegru (portrait) est emblématique de cette époque ! Fils de cordonnier, entré dans l’armée, il devient un Général plus populaire que Bonaparte. Il faut dire qu’il libère l’Alsace de la menace autrichienne et réalise nombre d’exploits militaires. Cet homme le plus populaire de son temps est totalement oublié aujourd’hui. Pourquoi ? Ni jacobin sectaire, ni bonapartiste arriviste, il se rallie peu à peu, lui le fils de cordonnier, aux camps des Royalistes. Il est envoyé au bagne de Cayenne après avoir remporté les élections de 1797!

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Aujourd’hui, on n’envoie plus les opposants au bagne, mais certains dissidents sont mis au ban médiatique. C’est une autre manière d’exclure. Comme au temps du Directoire, les courants favorables à la démocratie directe ou à la royauté sont craints par le système. Bien que minoritaires, ces courants représentent un rempart contre un système jugé intrinsèquement profanateur. Ils appartiennent plus à la tradition qu’à la politique proprement dite.  

- Le moteur en trois temps : On remarque que ce pouvoir délétère qui règne sur l’Europe, avec von der Leyen en tête de gondole, suit toujours le même scénario :

  1. (1) Le déclin de l’élite conduit inexorablement le pays à la ruine.
  2. (2) Elle secrète alors un « leader » chargé de remettre de « l’ordre ».
  3. (3) Une fois le travail accompli, elle se débarrasse du « sauveur » avant de recommencer un cycle identique.

Ce moteur à articulation ternaire peut expliquer comment un idéaliste comme Robespierre fut mis au pouvoir, puis exécuté une fois sa tâche accomplie; comment un Bonaparte, à la fois redouté par les élites mais jugé assez corruptible, fut mis en selle par Sieyès, puis envoyé en exil. D’un certain point de vue, même De Gaulle — rappelé en 1958 lors de la crise algérienne, puis battu au référendum de 1969 — a joué un rôle similaire.

À ces époques, on ne parlait pas encore de « deep state », mais c’était déjà une oligarchie — celle de l’industrie et de la colonisation — qui exerçait les pouvoirs profonds. En partie autonomes, les forces de l’argent et de la technique génèrent un pouvoir cybernétique tournant autour d’une classe possédante et non élue. Ce pouvoir « cherche » des acteurs (conscients ou non) pour jouer leur rôle dans le grand théâtre démocratique, puis les jette ou les recycle en icônes. De Gaulle est particulièrement emblématique de ces figures historiques, à une époque où le gaullisme est érigé en idéal par des gens qui ne cessent de le trahir. Dernier chef d’État à avoir eu une haute conscience du principe monarchique au-dessus des partis, il entretenait des échanges réguliers avec le prétendant au trône. Rien d’étonnant : il savait qu’il servait un principe supérieur à sa personne.

On remarquera au passage que le seul chef d’État du XIXᵉ siècle à n’avoir connu ni exil ni prison n’est ni un président ni un empereur, mais un roi: Louis XVIII, un souverain dont l’aura et la finesse mériteraient d’être étudiées de près. La République, experte en théâtralisation, en trahison et en usurpation, n’a cessé de renier ses propres principes, tandis que le pouvoir légitime n’a pas besoin de postuler les siens: il les incarne.

Les technocrates d’aujourd’hui sont à l’image des Directeurs d’hier. Von der Leyen, Macron ou Zelensky forment un « Euro-Directoire » prêt à tout pour se maintenir au pouvoir. Comme leurs ancêtres Barras et autres chapeaux à plumes, ils inventent des dérivatifs pendant que le peuple, lui, est livré à un effacement progressif. Nous savons que l’expédition d’Égypte, par exemple, avait servi de diversion au pouvoir de l’époque; aujourd’hui, c’est la fabrication de la menace russe qui joue ce rôle. 

Les événements à venir permettront-ils aux arapèdes de se cramponner au rocher du pouvoir ? Ou, a contrario, les contraindront-ils à quitter la scène ? Des réponses sont attendues dans les mois à venir.

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Crise dans les Caraïbes: pourquoi les Européens seront également touchés

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Crise dans les Caraïbes: pourquoi les Européens seront également touchés

Paul Weber

Source: https://report24.news/krise-in-der-karibik-warum-auch-die...

Dans les Caraïbes, un nouveau foyer de conflit se développe. Les États-Unis renforcent leur présence militaire au large des côtes du Venezuela – officiellement pour lutter contre les cartels de drogue, mais officieusement, l’accent semble être mis sur les réserves stratégiques de pétrole. Des parallèles avec des interventions américaines antérieures s’imposent. Parallèlement, les tensions politiques internes au Venezuela s’aggravent et les mouvements migratoires vers le nord s’intensifient : les impacts pourraient bientôt affecter également l’Europe.

Contribution de Paul Weber:

Nous avons déjà écrit sur l’hypocrisie de l’administration américaine concernant la résolution du conflit en Ukraine. Il faut cependant reconnaître que ce scénario est typique et que les politiciens américains l’utilisent à plusieurs reprises pour atteindre leurs objectifs politiques. Il s’agit principalement d’accéder à de nouvelles sources de financement ou de créer des possibilités pour davantage de lobbying en faveur d’intérêts personnels.

La guerre en Irak en est un exemple vivant. Sous prétexte de « libération » de la population, les États-Unis ont instauré le concept de stabilité dans la région. La diplomatie américaine – alors représentée par Colin Powell – visait à assurer l’accès aux champs pétrolifères et à renforcer leur influence au Moyen-Orient. En réalité, ces actions hostiles ont été justifiées par ces mêmes raisons et largement soutenues par les médias.

Des médias américains comme CNN, Fox News ou le New York Times ont activement défendu l’invasion américaine en Irak. La journaliste Judith Miller affirmait que des armes de destruction massive étaient présentes dans le pays arabe. Vingt ans plus tard, l’invasion de la Russie en Ukraine est beaucoup moins négativement évaluée. Tous les arguments avancés pour justifier le début du conflit ont été à l’époque peu pris au sérieux. La politique étrangère des États-Unis a-t-elle vraiment changé ? En regard de la situation actuelle dans les Caraïbes, on peut en douter.

Est-ce vraiment une question de cartels de drogue ?

Les exercices navals des forces américaines à Trinité-et-Tobago, ainsi que les manœuvres militaires au Panama, créent actuellement une situation tendue dans la région. Le déploiement de navires de guerre américains près de la côte du Venezuela constitue la plus grande opération navale des dix dernières années. Officiellement, les cartels de drogue sont considérés comme l’objectif principal de la politique américaine.

Pourquoi le ministère de la Défense américain, sous la houlette de Hegseth, ne planifie-t-il pas une offensive contre la Colombie? Après tout, le trafic de drogue y génère d’énormes profits et la criminalité y est légendaire dans le monde entier. Peut-être y a-t-il aussi des intérêts personnels de lobbyistes américains...

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La plate-forme offshore située à la frontière maritime entre le Venezuela et la Guyana est en réalité l’objectif principal des opérations hybrides américaines en cours. Il s’agit du plus grand et du plus riche gisement mondial. L’accès à ce pétrole offre des avantages économiques et renforce l’hégémonie régionale des États-Unis. Est-il vraiment impossible de renoncer à la violence comme moyen?

Par ailleurs, la lauréate du prix Nobel de la paix, María Corina Machado, en tant que principale opposante du régime de Maduro, se voit honorée avec des distinctions internationales. D’un côté, les médias américains lui reprochent de contrôler le trafic de drogue. De l’autre, elle se dit prête à tout faire pour la paix en tant que politicienne. Les discours populistes et les déclarations contre Maduro ont naturellement leur effet. En outre, le rapatriement de réfugiés aux États-Unis vers le Venezuela confirme le changement dans les flux migratoires.

L’Europe reste intéressée par des conditions favorables à la résolution du conflit en Ukraine, tandis qu’une nouvelle crise se développe dans les Caraïbes. Bien sûr, l’Europe offrira un nouveau foyer aux citoyens du Venezuela. Le multiculturalisme européen deviendra ainsi encore plus diversifié.

Pouvons-nous, Européens, influencer la situation dans d’autres parties du monde ? Même si ces régions semblent éloignées, nous risquons de vivre une nouvelle vague de crises migratoires et économiques, auxquelles l’Europe pourrait être confrontée de manière directe.

Les dernières batailles du monde occidental des "valeurs"

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Les dernières batailles du monde occidental des "valeurs"

Franz Ferdinand 

Source: https://derstatus.at/meinungen/die-letzten-gefechte-des-w...

La semaine dernière n’a pas été facile pour les fous de l’UE ! Ils ont presque perdu deux batailles : d’une part celle de la COP 30 à Belém, au Brésil, et d’autre part celle d'Ukraine, à cause de l’offre de paix de Donald Trump !

Ce dernier a tenu compte des réalités sur le champ de bataille, que les idiots de l’UE refusent simplement de reconnaître: jusqu’au bout, ils ont nourri l’espoir d’une victoire finale de l’Ukraine contre la Russie, comme autrefois Adolf Hitler, et maintenant ils l'imitent!

On peut voir ce plan de paix de Trump comme une capitulation, au moins partielle, de l’Ukraine. Donald Trump a apparemment, mais à contrecœur, reconnu que l’ordre mondial unipolaire, en raison de cette guerre par procuration entre les États-Unis et la Russie en Ukraine, est définitivement dépassé, et que le nouvel ordre mondial multipolaire ne peut plus être arrêté. Dans ce nouvel ordre multipolaire, c'est-à-dire l’« ordre basé sur des règles », soit un euphémisme pour la tyrannie occidentale sur cette planète, est terminé.

Donald Trump a maintenant un besoin urgent de coopérer avec la Russie, après avoir récemment promis à chaque citoyen américain un « dividende » de 2000 dollars ! Ce n’est qu’en collaborant avec la Russie que l’on peut envisager une relance économique des États-Unis, susceptible d’apporter des améliorations concrètes au quotidien de chaque citoyen américain. Une guerre en Ukraine pour quelques oblasts russophones, où des milliards supplémentaires seront dépensés, est contre-productive !

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Les fous de Bruxelles ne veulent cependant pas reconnaître cette réalité, car ils croient encore à l’illusion qu’on peut détruire la Russie avec l’Ukraine comme levier pour prendre le contrôle des ressources russes. Autrement, le système euro est voué à une faillite inévitable, et avec celle-ci, nous aurons la dislocation de l’UE. Le site Unser Mitteleuropa en a parlé. Pour cette raison, l’UE, qui n’a été jusqu’ici que le chien de garde des États-Unis, n’est plus considérée ni acceptée comme partenaire par la Russie et les États-Unis.

Les Européens ont dominé cette planète pendant cinq cents ans. La colonne vertébrale idéologique de cette domination était la culture européenne, avec le christianisme comme fondement. Maintenant, alors que le déclin de la suprématie européenne devient de plus en plus évident, l’Europe produit, par métastases, des absurdités toujours plus ridicules, comme les radotages creux sur le climat et la folie LGBTQ. On croit apparemment qu’on peut, par une sorte de nouvelle « révolution culturelle » totalement irrationnelle, redresser la barre !

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Ce même effort pour renforcer ce très hypothétique nouveau « rôle de leader » a été tenté lors de la COP30, mais a lamentablement échoué. La communauté internationale refuse de suivre l’exemple de l’Allemagne, qui a, avec un investissement total de 500 milliards d’euros dans ce que l’on appelle la « transition énergétique », mis en place une énergie extrêmement coûteuse et peu fiable. Les principales nations comme la Chine, l’Inde, la Russie ou les États-Unis veulent continuer à développer leur économie avec des sources d’énergie fossile bon marché, même si la dénomination « fossile » est probablement incorrecte: le méthane se trouve partout dans l’espace, et il est probable qu’il ait aussi été impliqué dans la formation de la Terre, où il aurait été transformé en alcanes supérieurs par polymérisation. Le méthane et le pétrole ne sont probablement pas uniquement issus de débris d’animaux et de plantes mortes. Il a été observé que certains gisements de pétrole épuisés se remplissaient à nouveau, ce qui pourrait s’expliquer par une production abiotique.

Il est également notable que la propagande axée sur la théorie du « pic pétrolier » est devenue étonnamment silencieuse ces dernières années, ce qui indique que le pétrole et le gaz naturel seront encore présents pendant de nombreuses décennies, voire des siècles, dans le cas du gaz naturel. Il est donc raisonnable de penser que ces ressources ne s’épuiseront pas brusquement, mais deviendront progressivement plus coûteuses. L’utilisation d’éoliennes ou de panneaux solaires a donc du sens, tant qu’on souhaite préserver les sources d’énergie classiques et qu’on ne tombe pas dans la folie de croire qu’on peut assurer l’approvisionnement électrique d’un pays industriel de cette manière !

Réfléchir et rechercher une « transition énergétique » n’est pas fondamentalement une erreur. J'ai aussi, personnellement, travaillé dans ce domaine pendant un certain temps. J'ai appris, ainsi, que cette transition n’a servi qu’aux intérêts commerciaux de certaines grandes entreprises, et qu’aucun concept cohérent n’a été élaboré. C’est la seule explication du fait que, par exemple, des milliers d’installations photovoltaïques sont subventionnées, alors qu’elles produisent le plus d’électricité quand on en a le moins besoin, et vice versa. La nouvelle ministre allemande de l’Économie, Katharina Reiche, a récemment déclaré que 29% de l’électricité photovoltaïque produite doit être exportée à des prix négatifs.

On ne peut pas faire fonctionner indéfiniment des générateurs intermittents sans disposer de capacités de stockage adéquates. Mais celles-ci sont inabordables. Déjà, l’Allemagne détient aujourd’hui le prix de l’électricité le plus élevé au monde, avec environ 40 centimes par kWh.

L’Allemagne montre ainsi au monde comment la transition énergétique ne fonctionne pas !

mardi, 25 novembre 2025

Parution du numéro 489 du Bulletin célinien

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Parution du numéro 489 du Bulletin célinien

2025-11-BC-Cover.jpgSommaire:

Entretien avec Marie Vergneault-Gourdon

Emmanuel Carrère et Céline

Dans la bibliothèque de Céline: G (Galtier-Boissière, La Garçonne, La Gaule…)

Céline sur la Butte (1941)

Actualité célinienne

Point de vue : Céline l’inatteignable.

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Feuilleton

C’est un feuilleton avec deux protagonistes : Marc-Édouard Nabe (qui réplique sur Internet) et votre serviteur (qui le fait ici). Cela divertit, paraît-il, et, cerise sur le  gâteau, fait de la publicité au BC. Rappelons les faits. Tout commence à l’automne 2021 lorsqu’une société de production d’émissions de télévision (fondée par le producteur Laurent Bon et le journaliste Yann Barthès) entreprend de réaliser un documentaire sur Céline¹. À charge évidemment. Raison pour laquelle ils sollicitent un expert en photographie pour visionner un reportage réalisé au printemps 1943 qui relate le voyage de Fernand de Brinon en Allemagne et en Pologne (où il se rend sur les lieux du massacre de Katyn). L’objectif étant d’identifier Céline dans ce film. L’expert concédera que, contrairement à Brasillach, celui-ci n’était pas du voyage mais affirme, contre toute vraisemblance, qu’il se trouvait à l’arrivée du train, le 29 juin 1943. Dans le but, renchérit Nabe de converser avec… Brasillach à propos précisément de Katyn ! Pure invention. L’expert fut abusé par un document des RG indiquant fautivement que Céline était présent à la gare de l’Est². L’évidence physionomique réfute cette thèse. Et Nabe, habituellement plus suspicieux, d’avaliser ce bobard³. On a beau lui apporter la preuve que Céline ne quitta pas Saint-Malo fin juin 43, rien n’y fait4. Cet été malouin fut consacré à l’écriture et il n’éprouva aucunement le désir d’entreprendre un trajet harassant pour questionner Brasillach sur Katyn, d’autant qu’il était amplement renseigné sur le sujet.
 

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Quant à la polémique qui, en 1939, l’opposa à Brasillach, on déplore, une fois de plus, la méconnaissance de Nabe dès qu’il est question de documents : il ignore le dossier que publia L’Année Céline en 20235. Et met dès lors au défi les “butineurs du Bulletin” de publier l’intégralité de ce que Céline écrivit alors à Brasillach. L’autre problème est qu’une discussion pondérée avec Nabe s’avère impossible. Dès qu’on le contredit, il s’abaisse aux insultes et autres gracieusetés6. Un exemple entre tous : dans un premier temps, il reproche avec grossièreté à Henri Godard de ne pas avoir publié la version inédite de Féerie sous le titre Au vent des maudits soupirs pour une autre fois (!). Lorsque je lui apprends que ce titre fautif amalgame deux titres envisagés par Céline (Au vent des maudits et Soupirs pour une autre fois)7, il incrimine une fois encore Godard, ne sachant pas que celui-ci dut s’incliner devant le choix de l’ayant droit.
 

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Mais Nabe ne doute jamais, assénant allégations fautives et invectives injurieuses avec aplomb. À tout prendre, je préfère les dénigrements d’un célinien enivré de selfies (égoportrait en français) qui se fit connaître en publiant les textes des autres. Si la gratitude n’est pas sa qualité première, au moins l’étalement de ses rancœurs ne sombre pas  dans la trivialité.
  1. (1) « Céline : les derniers secrets », film de Élise Le Bivic et Paul Sanfourche.
  2. (2) Voir M. L., « L’expert n’est plus aussi catégorique », Le Bulletin célinien, n° 466, octobre 2023, pp. 5-6.
  3. (3) Il est à noter que Nabe est le seul célinien dans ce cas. Voir par exemple Jean-Luc Germain, « Ô vessies, ô lanternes… Réflexions sur quelques hallucinations audiovisuelles » in L’Année Céline 2021, Du Lérot, 2022, pp. 264-267.
  4. (4) Rappelons que ce 29 juin 1943, Céline envoie de Saint-Malo une carte postale à Marie Canavaggia. Le lendemain, il adresse, également de Saint-Malo, une lettre à Henri Poulain.
  5. (5) « Plusieurs états d’une lettre à Robert Brasillach » in L’Année Céline 2022, Du Lérot, 2023, pp. 23-28.
  6. (6) Et ce dès le titre de son article : « Marc Laudelout, le connard du doute » (!), Nabe’s News, n° 34, 23 septembre 2025. Mais Nabe sait être courtois, par exemple quand il me priait de collaborer à un recueil critique consacré à l’un de ses livres (L’Affaire Zanini, Éd. Du Rocher, 2002), proposition que je déclinai d’ailleurs.
  7. (7) Il lui aurait suffi de lire la correspondance de Céline à Lucette pour le savoir (lettre du 10 août 1946).

Jeux orientaux

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Jeux orientaux

Andrea Marcigliano

Source: https://electomagazine.it/giochi-orientali/?sfnsn=scwspmo

La Chine et le Japon semblent être à couteaux tirés. Les tensions entre Pékin et Tokyo n'avaient jamais atteint un tel paroxysme depuis la Seconde Guerre mondiale.

En effet, les relations entre ces deux empires historiques d'Extrême-Orient s'étaient considérablement améliorées au cours des années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale. Notamment parce que le Japon, sous la tutelle des États-Unis, semblait avoir totalement renoncé à jouer un rôle politico-militaire. Il était devenu une simple puissance économique et industrielle.

En somme, un géant, mais un géant aux pieds d'argile.

Aujourd'hui, cependant, les choses changent rapidement. Et elles changent de manière radicale.

Washington, de plus en plus préoccupé par la croissance de Pékin, a en effet levé les restrictions sur le réarmement de Tokyo. Afin de pouvoir utiliser la puissance du Japon pour contenir la Chine.

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Cela a bien sûr posé des problèmes. Car la charmante Mme Sanae Takaichi, première femme à la tête du gouvernement japonais, a immédiatement commencé à montrer les dents. Aiguisées comme les crocs d'un tigre à dents de sabre.

D'autre part, Sanae Takaichi est une représentante de l'aile la plus conservatrice du Parti libéral-démocrate. Une aile qui a toujours nourri des sentiments fortement nationalistes et le rêve de ramener le Japon à un rôle de véritable puissance.

Après tout, cela fait quatre-vingts ans que la guerre a mis Tokyo à genoux. Et quatre-vingts ans, pour nous Occidentaux, c'est une éternité, pour les Orientaux, un simple souffle du vent.

Et, bien que colonisés par les Américains, les Japonais restent profondément orientaux.

Quoi qu'il en soit, Mme Sanae a clairement indiqué que son Japon n'avait pas l'intention de suivre la dérive occidentale à l'égard de Moscou. Au contraire, elle entend améliorer les relations commerciales avec la Russie, car elles sont essentielles au développement de l'économie nationale.

Une décision qui a laissé perplexes de nombreux représentants de l'opposition interne. Mais qui s'est également fondée, peut-être surtout, sur la certitude que le Washington de Trump n'en ferait pas une tragédie.

Certes, cela a dérangé, mais sachant que la Maison Blanche a aujourd'hui d'autres priorités. Et que, pour cette raison, elle a virtuellement besoin du soutien de Tokyo.

Et la priorité des priorités, inutile de le dire, s'appelle Pékin.

Endiguer la Chine est aujourd'hui l'impératif principal de Washington. Et c'est à cela qu'il subordonne, parfois au détriment de tous les autres objectifs.

Cela peut expliquer le comportement du gouvernement japonais. D'un côté, il revendique une autonomie totale dans sa politique vis-à-vis de la Russie. Avec laquelle il entend intensifier ses échanges commerciaux.

Mais, d'autre part, il montre son visage armé à Pékin. Allant même jusqu'à proposer une sorte de protectorat sur Taïwan.

Un choix obligé. Mme Sanae Takaichi est évidemment bien consciente que l'autonomie croissante de son Japon doit payer un prix à Washington.

Et ce prix consiste à montrer un visage dur à Pékin.

En se montrant le plus fiable, le Japon est un allié important de Washington dans la lutte pour le contrôle de la zone panpacifique.

UE 2025: le dilemme sécuritaire d'un continent sans souveraineté

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UE 2025: le dilemme sécuritaire d'un continent sans souveraineté

Elena Fritz

Source: https://t.me/global_affairs_byelena

On pourrait croire que l'UE est actuellement « ignorée » par les États-Unis. Mais cette formulation suppose qu'elle ait été perçue comme un acteur à part entière. La réalité est plus banale – et plus inconfortable: l'UE n'a pas été ignorée. L'UE n'a jamais vraiment été présente à la table des négociations.

En effet, l'UE ne dispose d'aucune substance en matière de politique étrangère dont il faudrait tenir compte. La « politique étrangère et de sécurité commune » n'est pas un instrument souverain, mais une courroie de coordination – joliment emballée, soutenue institutionnellement, mais stratégiquement vide.

Le fait que Washington ignore cette courroie est donc le signe d'un déséquilibre structurel des pouvoirs qui existe depuis des décennies: "L'Europe consomme la sécurité. Les États-Unis produisent la sécurité. C'est le producteur qui fixe les règles du jeu".

Trump, Biden, Harris : les personnes changent, les structures restent

Il y a une illusion que la politique européenne aime cultiver: «Sous Biden/Harris, tout aurait été différent».

Non. Biden aurait fixé les mêmes priorités, mais avec une meilleure rhétorique. Une présidente Harris aurait également maintenu la même architecture de sécurité transatlantique. Le point décisif est le suivant:

- La politique étrangère américaine est structurellement constante.

- Elle ne repose pas sur des personnes, mais sur des intérêts. Et ces intérêts considèrent l'Europe comme un espace géopolitique mais non comme un acteur géopolitique.

L'UE n'a pu « masquer » cette dépendance que parce que Biden l'a présentée sous un jour favorable. Trump ne fait que retirer le vernis. Cela ne change rien à la situation.

Pourquoi l'UE ne peut-elle jamais agir de manière indépendante dans les crises de sécurité?

Le niveau supranational ne fonctionne pas de manière « imparfaite », mais exactement comme il a été conçu: l'UE a pour mission d'intégrer, pas de diriger (et avec le personnel actuel, c'est mieux ainsi). Elle doit modérer, non pas décider. Par définition, elle n'est donc pas en mesure de s'opposer à la politique américaine.

Ainsi, lorsque les négociateurs américains discutent avec la Russie des «options de paix», que l'on approuve ou non leur contenu, il ne s'agit pas d'un scandale. C'est simplement l'expression d'une réalité géopolitique.

Le véritable cœur du problème

L'UE exige « l'implication ». Mais celui qui ne peut projeter de la puissance n'a pas droit à l'implication.

La Russie, elle, dispose de leviers militaires.

Les États-Unis disposent de capacités de sécurité mondiales.

La Turquie dispose de leviers régionaux et d'une diplomatie flexible.

L'Europe ne dispose que de "processus".

C'est là toute l'ironie de la situation: plus l'UE gagne en densité supranationale, moins elle est capable d'agir sur le plan géopolitique. Le travail institutionnel d'orientation ne remplace pas l'autonomie stratégique.

Conclusion:

- Le continent européen exige d'avoir son mot à dire, mais il n'a pas les moyens de le faire respecter. Le continent parle de souveraineté mais il a depuis longtemps externalisé son infrastructure de sécurité.

- Le continent invoque les « valeurs européennes », mais sa réalité stratégique se négocie à Washington, Moscou et Ankara.

Que ce soit avec Biden ou Trump, Harris ou n'importe qui d'autre, l'Europe reste une zone d'influence, et non un centre de pouvoir.

#géopolitique@global_affairs_byelena

Le moment Nerval, une crise dans le destin européen

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Le moment Nerval, une crise dans le destin européen

Claude Bourrinet 

Gérard de Nerval incarne parfaitement l'oscillation  entre l'étreinte de la limite – discipline rationnelle, concept astreint, expression dirigée, ethos mesuré -, et la dynamique transgressive du dire, de l'émotion, de l'esprit, du rêve, de la folie, de la quête, balancement qui caractérise l'Occident depuis la Grèce préclassique jusqu'au romantisme historique et au-delà. On peut, comme Northrop Frye, George Steiner, ou René Girard, par exemple, évoquer un romantisme intemporel (comme l'est aussi, du reste, le classicisme). Autant dire que l'exploration de l'oeuvre nervalienne se prête singulièrement à une auscultation de l'Occident à la recherche de son identité, du moins de l'un de ses deux pôles dialectiques. Nerval incarne précisément cette crise où l'Occident ne peut plus rester le même, et où il lui faut se transmuer en ce qu'il est peut-être profondément: une fascination de l'illimité, une plongée vertigineuse, mortelle ou rédemptrice, dans ce gouffre qu'est l'homme.

Le moment Nerval, une crise dans le destin européen 

La révolution romantique

L’œuvre de Nerval apparaît, en France, plus peut-être que celle d’un Chateaubriand ou d’un Hugo – nous verrons pour quelles raisons -, comme l’enregistrement enfiévré de la secousse sismique que fut la « crise de la conscience occidentale » de l’ère dite – selon la terminologie européocentrée des historiens - « contemporaine ». Précipitée par la déchirure révolutionnaire, elle fit suite à celle du XVIIe siècle, qui avait ébranlé l’Europe « baroque » par la critique dissolvante de la religion, de l’autorité de l’Église et de la tradition, commotion résultant de l’émergence de la science, du relativisme et du scepticisme hédoniste. Après les Guerres de religions, on s’efforça d’y faire face, avec plus ou moins de succès, par un surcroît de contrainte idéologique, étatique, et stylistique. Le classicisme mit de l’ordre dans les esprits, sinon dans le langage. Or, le romantisme fut le jaillissement d’une lave incandescente qui déforça et submergea le corset tellurique perclus de dogmes rationalistes, mais de plus en plus décrépits, dont la France des Lumières, des gazettes et des salons parisiens, avait ceintré l’Europe. La secousse se prolongea dans le symbolisme ; le surréalisme, après la convulsion dadaïste, en fut l'achèvement « existentiel », peut-être provisoire. Car le soulèvement spirituel qui avait presque tout emporté excédait les limites de l’art, et nous remue encore.

Afin de saisir le « cas Nerval », non sous un angle réducteur, par une polarisation sur la dimension littéraire (comment le classer ?), ou clinique (les circonstances sordides de son suicide … ou de sa « folie »), il est nécessaire d’opter pour un ouverture plus "civilisationnelle", en menant une analyse philosophique, théologique, religieuse et théosophique, et en prenant en compte le constat de la rupture entre le Divin et l’homme menacé d’un assèchement radical de sa présence au monde.

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Dans la « suite » de poèmes intitulée « Le Christ aux Oliviers », Nerval s’inspire de Jean-Paul Richter, de son roman Siebenkäs (1796-1797) : Rede des toten Christus vom Weltgebäude herab, dass kein Gott sei ; « Discours du Christ mort depuis l'édifice du monde, qu'il n'y a pas de Dieu », œuvre souvent appelée "Le Songe" en français, et traduite partiellement par Madame de Staël. Nerval place en épigraphe ces deux vers de Jean-Paul : Dieu est mort ! le ciel est vide… / Pleurez ! enfants, vous n’avez plus de père ! Au XIXe siècle, on entérine l’idée de la « Mort de Dieu » ( id est le Dieu « judéo-chrétien » sur qui pèse, du reste, le lourd soupçon d’avoir tué le « Grand Pan », le christianisme étant, selon Marcel Gauchet, la religion de la sortie de la religion).

Cette idée du « désenchantement du monde » (Max Weber ; Entzauberung der Welt), qu’incarne, si l’on ose dire, le cadavre du Dieu fait Homme (ainsi Dostoïevski fut-il frappé par le tableau d’Holbein représentant le corps rigidifié au regard vitreux du Christ martyrisé), hante l’Occident. Et, au fond, on pourrait penser qu’il s’agit-là, peut-être, d’un signe, d’une marque propre à l’identité occidentale, car le nihilisme semble se présenter déjà, sous certains aspects (la contingence absolue et angoissée des mortels, ou le « Crépuscule des dieux », et l’idée de Fin du monde – ou d’un monde), dans la Weltanschauung des Indo-européens ou des cultures sémitiques. Ce serait envisageable s’il n’existait le même mythème, d’une sorte de cataclysme final - ekpurosis, déluge, extinction du Soleil, ou toute autre déclinaison apocalyptique- (donc d’effondrement de l’Ordre et de dilution du Sens), dans la plupart des civilisations extra-eurasiatiques – idée obsédante qui nous travaille encore maintenant. Il est vrai que l’idée de renaissance cyclique, ou, plus rarement, de parousie (après parfois une période de souffrance), est affirmée dans tous les cas. Et pour des romantiques comme Nerval, l’espoir d’une palingénésie, de la métamorphose des dieux et des religions, idée que Pierre-Simon Ballanche avait soutenue, permet de ne pas perdre tout espoir.

Ainsi, en un premier temps, Nerval témoigne-t-il de la tentative réitérée depuis plus d’un siècle, face à une religion sclérosée et décadente, vidée de sa substance mystique, de recouvrer le lien rompu entre le Ciel et la Terre, de retrouver la lettre perdue de la langue cosmique, de récupérer l’âge d’or. Par voie de conséquence, le « péché » - qu’il ne faut pas appréhender dans un sens religieux, mais mythique - le « Mal » par conséquent -, c’est l’Exil, la perte, la séparation, hantise d’un homme dont la mère, qu’il connut à peine, alla trouver la mort, en 1810, dans un pays glacé comme l’enfer dantesque.

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Cette bolgia infernale, où reposent, inapaisées, les cendres maternelles, est la prémonition d’une société de deuil. La révolution industrielle déshumanise le monde par le productivisme et la marchandise dissolvante. Les villes tentaculaires vont rassembler une humanité déshéritée, massifié, indifférenciée, mécanisée, par opposition à une campagne encore authentique, enracinée, différenciée, mais, elle aussi, de plus en plus rongée par l’esprit de gain et de fabrique, même dans ce vieux pays du Valois, où, pendant plus de mille ans, a battu le cœur de la France. Certes, la Fin du monde se présente, sous le roi bourgeois (et surtout en Grande Bretagne, qui profile l’avenir de l’Occident), selon des apparences moins grandioses que celles proposées par les traditions eschatologiques. Elle promet d’être plutôt froide, glaçante, et interminable, un long cauchemar. Et surtout, elle est descendue à un étiage sordide, radicalement sécularisé, Elle se traduit par un changement social profond, quasi anthropologique, dont l’homo œconomicus est l’acteur, personnage amoindri d’un âge de fer et de charbon, où Sylvie ne confectionne plus de dentelle (« on n’en demande plus, dans le pays ») :  -  Que faites-vous donc?» Elle alla chercher dans un coin de la chambre un instrument en fer qui ressemblait à une longue pince. « Qu'est-ce que c'est que cela ? — C'est ce qu'on appelle la mécanique; c'est pour maintenir la peau des gants afin de les coudre. — Ah! vous êtes gantière, Sylvie? — Oui, nous travaillons ici pour Dammartin, cela donne beaucoup en ce moment

Paradoxalement, Nerval balance entre un progressisme inspiré par les Lumières – mais à vrai dire, du bout des lèvres, comme un réflexe idéologique acquis, ou peut-être parce que les Illuminés dont il a écrit la vie, dans l’ensemble, croyaient en un avenir délivré de l’étouffoir chrétien -, et un pessimisme profond devant les dégâts causés par la modernité.

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Dans le même temps où il se désole, par exemple, de la disparition du vieux Paris, les urbanistes louis-philippards n‘ayant pas attendu la curée Haussmannienne pour tailler en pièce la cité médiévale, il partage, avec un romantisme d’opposition, une autre acception du « Mal », à rebours de la religion officielle, se traduisant par une admiration fervente pour la révolte de Satan, (moi, qui suis feu issu de feu, le premier ange à avoir été façonné), que Jésus a vu « tomber du ciel comme l’éclair », ou la rébellion des Titans réfractaires à la tyrannie de Zeus. Nerval avait conté, dans la relation de son voyage en Orient, l’insoumission d’Adoniram, amant de la Reine de Saba, Balkis, victime de Salomon, et grand architecte, sculpteur génial, artiste maudit, maître du Feu. Tous ces factieux mythiques incarnent le progrès, comme Prométhée. Hiram et la Reine de Saba sont tous deux des figures majeures de la Franc-maçonnerie, dont Nerval était proche.

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Toutefois, il ne faudrait pas exagérer l’engagement politique de Nerval qui, non seulement, est loin d’être constant, si l’on signifie par là qu’il aurait partagé les rêves républicains d’un renversement insurrectionnel, mais, quand, par aventure, on le constate, par exemple à la suite des Trois Glorieuses, on discute encore de son sérieux. Il ne fut souvent ajusté à ce monde, qu’il ne pouvait ignorer, car il côtoyait l’escouade des Bousingots, que de manière fort lâche, contingente. Mais cet emballement très contrôlé par une discrétion, une timidité, et une propension à la rêverie devenues proverbiales, ne dura qu’un temps fort bref. Les inductions réalisées par l’analyse de son œuvre permettent de définir, chez lui, une ferme opposition à toute censure (littéraire, morale, religieuse...), mais aussi un scepticisme idéologique non moins solide. Il réagissait en écrivain pour qui publier, chercher, penser, s’exprimer, est une respiration vitale, et un gagne-pain. Toujours est-il qu’il éprouvait une indifférence certaine à l’égard des dissensions politiques du moment, même en pleine révolution, en 1848, et qu’il a eu recours à l’aide ministérielle de la monarchie de Juillet, après 1840, pour se rendre en Orient, ou pour régler les frais de son hospitalisation, non qu’il appuyât le Roi-poire, mais parce que la vraie vie était ailleurs.

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La voie du rêve

Ainsi Nerval ne propose-t-il pas de système, ni politique, ni métaphysique, et n’essaie-t-il pas de concevoir une mythologie structurée et cohérente, hormis en soulignant ses affinités avec Orphée, et surtout dans son insistance sur la figure d’Isis (qui peut d’ailleurs se décliner en avatars féminins, telles Artémis, Vénus, la Vierge, etc, véritable leitmotiv mystique, puisé dans le vaste corpus ésotérique de la théosophie néoplatonicienne égyptomaniaque). Loin d’être intellectualisée – ce qui ne signifie pas qu’il n’y mette de la méthode et une certaine lucidité logique -, son entreprise de réappropriation de l’Être, de la plénitude, pourvue de multiples facettes, ésotérique, théosophique, théurgique, occultiste, métaphysique, philosophique, part du sujet, désormais central depuis la cassure du XVIIe siècle, en plongeant, à la suite des romantiques allemands, en-deçà de la Raison, dans la deuxième vie qu'est le rêve (et les surréalistes suivront).

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La théologie des Pères de l’Église et des docteurs scolastiques, englobait l’homme dans le tout cosmique. Adam et Eve avait été créés après le Cosmos (le péché originel est véritablement la révolte du sujet contre l’étau bienveillant d’un Dieu jaloux de son omnipotence, instaurant ainsi une dissonance, une sécession, un schisme dans l’Ordre divin). L’Un précédait, dans l’ordre de procession plotinienne, l’Intellect, l’âme et les sens (les dernières paroles de Plotin sont : « Je m’efforce de faire remonter ce qu’il y a de divin en moi à ce qu’il y a de divin dans l’univers »). Le microcosme était le reflet du macrocosme. Le sujet n’était pas central. L’anthropologie du monde traditionnel est holiste. En revanche, la centralité du sujet appartient à un monde éclaté, émietté, individualiste, orphelin : la solitude de l’homme face au cosmos est absolue, comme l’a constaté, avec des accents désespérés, un Pascal.

Le chemin de Nerval est très long, très ancien, archaïque, c’est une longue boucle, comme disent les randonneurs, non sans à-pics. Il renoue avec l'hellénisme des mythes, présents par exemple dans de nombreux poèmes des Chimères (Car la Muse m’a fait l’un des fils de la Grèce). Ces mythes, les "physiciens" (ceux que l’on nomme maintenant les « présocratiques ») de la Grèce préclassique, avaient tenté de s’en défaire en fondant une explication rationnelle du monde et de l’homme, et en distinguant globalement l'univers en deux dimensions, celle du Logos, et celle du sensible, du mouvant.

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Le terme physis serait particulièrement approprié à la vision poétique de Nerval, car il s’agit-là d’une nature qui n’est pas du tout celle que la science moderne étudie et modifie (celle qui est objet de l’arraisonnement théorique et pratique du sujet), mais la totalité des phénomènes, de ce qui apparaît et se déploie pour former un monde. Mais ce qui le différencie des « sages » de l’époque pré-classique de la Grèce, c’est une irrationalité qui accompagne sa démarche ésotérique : ce qui apparaît (φαίνω, phaino, « apporter à la lumière, faire briller, remplir de clarté, briller, être brillant, resplendissant, devenir évident, être amené à la lumière... »), se déploie, cache le secret, et le révèle en même temps, mais seulement à l’initié. Nerval est plus proche des mystes d’Éleusis, que des Ioniens ou des Éléates, et il est dionysiaque, tout autant qu’apollinien, surtout orphique...

Enfin Platon vint. Réinterprétant le monisme de Parménide, dont il reprend la notion d’Être parfait, éternel, immuable, source de ce qui est, il a consacré la distance, entre le monde des sensations fuyantes et insaisissables, dégradées (celui des phénomènes selon Héraclite), et le monde des Idées, des essences, du Bien, lesquels sont subsumées, selon le néoplatonisme, au IIIe siècle, sous l’Un, par le mode de la procession, systématisant ainsi la hiérarchie ontologique platonicienne.

On sait que le nominalisme du XIVe siècle, dont l’illustre représentant est Guillaume d’Ockham, de l’Université d’Oxford, opposé à Thomas d’Aquin et à Duns Scot, confina les « Universaux » dans la sphère sémantique des signes (sémiotique), des noms, des structures mentales, des concepts, instaurant une rupture radicale entre les signifiants, les signifiés (le discours, la parole, la langue, le concept, la « représentation ») et les essences, le référent, qu’il fût « intérieur », ou « extérieur ». Et au fond, n’est-ce pas la condition de l’œuvre fictionnelle, d’être close et autoréférentielle ? Ainsi n’avons-nous plus accès à une gnose, à la connaissance absolue et initiatique des choses divines (qui relève désormais de la foi, de la théologie), ni aux réalités extra-mentales. C’était ainsi placer le problème de l’accès au « vrai », au niveau épistémologique, de l’étude de la constitution des sciences, ou de la connaissance en général (c’est ainsi que sont jetées les bases lointaines de la méthode analytique et logique  anglo-saxonne). S’en trouvaient limités les pouvoirs cognitifs de l’homme – bornes relativisées par une approche empirique orientée vers les particularités, du singulier. Ainsi naquit l’Occident moderne, selon Foucault, Cassirer, Gilson, Guitton, et d’autres...

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Deux ou trois siècles plus tard, ce nouvel « instrument » oxonien d’investigation du monde des phénomènes, trouvera un champion en Francis Bacon, dont le Novum Organon scientiarum – 1620 - tire les conséquences pratiques du rejet de l’aristotélisme. Dans le même temps, la mathématique constitue, en quelque sorte, après la tabula rasa cartésienne, une arkhê ferme pour étayer la science des Temps modernes. Les révolutions scientifiques du début du XVIIe siècle auront une portée utilitariste revendiquée et des conséquences politiques : la subjectivation, nécessairement centrée sur l’individu, donnera, explicitement ou implicitement, aussi bien l’absolutisme (Hobbes, « homo homini lupus est ») que la démocratie potentielle (Descartes, « […] la puissance de bien juger et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes »). Le baroque part du bas pour aller vers le haut toujours plus inaccessible ; il est vision humaine, d'un homme soudain perdu dans le cosmos. Montaigne a pris acte : ne reste plus que l'homme relatif, et il faut essayer d'en être heureux. Les jésuites ont essayé d'aménager la demeure, par une sorte de tranquillité active (Saint François de Salles, qui doit tant à Montaigne), suscitant l’indignation de Pascal.

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Ambivalent, le baroque donne une structure « culturelle » à la reconquête des esprits et des cœurs par l’Église catholique, mais il est aussi une aspiration violente à la liberté. Il  préfigure le romantisme. L’aristocratie, dès la deuxième moitié du quattrocento, à partir du triomphe européen de la Renaissance et des grandes chevauchées italiennes, désirait ressusciter les Grands Hommes de l’Antiquité, les héros mythologiques grecs et romains, ou bien les preux de Charlemagne (ceux de la Matière de Bretagne étant passés de mode au XVIe siècle) – ainsi Boiardo, avec l’Orlando innamorato (1483), L’Arioste, avec son Orlando furioso (1516), et Le Tasse, avec sa Jérusalem délivrée -, tendance qui allait perdurer tout au long du XVIIe siècle, comme une réplique concurrente de divinisation royale, dont l’achèvement fut l’apothéose solaire de Versailles. Ces chimères épiques et tragiques, héroïques et flamboyantes, que Nerval n’aurait pas désavouées, destinées à se transmuer en œuvres opératiques ou en romans à clés, étaient impuissantes devant la froide nécessité socio-politique. Elles inspireront les chefs de la Fronde ou des guerres étrangères : c’étaient souvent les mêmes, comme Condé-Cyrus, mais les duchesses et comtesses n’avaient pas voulu être en reste sur ce chapitre glorieux.

Au début du siècle, après le chaos des Guerres de religions, Henri IV, ayant remis de l’ordre, du moins provisoirement, et le Cardinal Rouge ayant pris la suite, la mise en pratique des intuitions absolutistes développées par Bodin dans La République, s’imposait, en attendant leur réalisation complète avec Louis Le Grand. La contre-Réforme oriente les esprits dans les principes d’obéissance. Les poètes, dans les salons, notamment celui de la marquise de Rambouillet, se font arrangeurs de syllabes et joueurs mondains. Peu à peu, la nouvelle noblesse de cour, pénétrée par la bourgeoisie riche, prend le contre-pied des aristocrates du XVIe siècle, qui étaient animés par un esprit affranchi. Malherbe est venu et a initié ce qui allait devenir le classicisme, cette autodiscipline de l’art, faite de rétention, d’ascèse, d’appauvrissement de la langue et de contraintes consacrées par la création de l’Académie française en 1635, entreprise – souvent hasardeuse- de domestication des intelligences et des talents. Les règles, au théâtre, s’imposeront dans les années 30, ainsi que les « poètes grammairiens », les « docteurs en négative », comme le dénonce Mlle de Gournay.

La révolte poétique sera l’expression du refus d’une entreprise littéraire cornaquée par la Ragione di Stato, dont l’incarnation despotique est Richelieu. Les champions de la rébellion en seront, dans le domaine théâtral, Hardy, le grand Corneille lui-même, avant qu’il ne se plie, avec génie, aux règles, et en poésie, Régnier, anti-conformiste, individualiste original, Théophile de Viau, libertin converti, qui, bien que « moderniste », avait toujours sous sa plume le mot de « franchise », mort à 36 ans après avoir été mis au cachot par les cagots, Boisrobert, sévère envers un siècle voué à l’argent, Saint-Amant, La Ménardière, qui célébra « le grand Ronsard », le concettiste Tristan… Tous ces écrivains sont des êtres de plein air, des amants de la liberté, de la libre expression de soi (comme Angélique, cette Fille du Feu), sans laquelle il n’est pas de noblesse. Même Sorel, le satirique qui ne l’aimait pas, louait « l’âme véritablement généreuse ».

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Et il n’est pas d’auteur exprimant mieux cette aspiration qu’Honoré d’Urfé, qui a donné à la France l’exquis roman pastoral L’Astrée, qu’il situe dans le Forez, au milieu des bergers et des druides. Rien de plus étranger à l’ancien ligueur catholique que la médiocrité. Il prône une éthique platonicienne, fondée sur l’amour, le sublime, l’enthousiasme, la générosité, tous mouvements de l’âme et du cœur qui portent le fini vers Dieu. Honoré d’Urfé, c’est l’anti-Descartes, le négateur de l’esprit géométrique. Racan le suivra dans ses Bergeries, célébrant l’âge d’or. Mais l’Astrée est une utopie dans un siècle qui s’adonne à l’intérêt, à l’utilité, à l’ambition calculée, à la ruse, à la mathématique appliquée.

Face à une modernité triomphante, celle de la Raison, le baroque, lui-même paradoxalement mouvement d’« avant-garde », se manifeste comme la prise hyperbolique d’une réalité vaine et fuyante, un tourbillon frénétique de sensations exaltantes ou mortelles, l'ivresse angoissée au cœur du vide, et la conviction que la vie, comme l’affirme Calderón de la Barca, se joue sur une scène, sur El Gran Teatro del Mundo :  La vida es sueño. Quelle est donc la sagesse de Sigismond, jeune héritier du trône (ce roi dépossédé, comme Nerval l’héritier inconsolé d’un lointain empereur...), prisonnier du roi Basile (encore un thème nervalien!)? Même si l’existence est irréelle, si vraiment je rêve – comme un fou ?, et que rien ne prouve la réalité de ce que je crois avoir la consistance du réel, si bien que j’ai l’impression de vivre tout en rêvant, et de rêver, tout en vivant (« La vie est un songe, et les songes eux-mêmes ne sont que des songes »), j’agirai comme si c’était réel, fût-ce en rêve, c’est-à-dire avec honneur et humilité. Il est possible d’être maître de soi, même dans le songe. L’affirmation du moi transcende toute détermination psycho-sensorielle et mentale, tous les ancrages aux mondes possibles. Il est un absolu, telle la folie.

Au XVIIIe siècle, la séparation, dans l’ordre de l’épistémologie (que puis-je connaître?) entre l’homme et le monde qui lui est « extérieur », entre le phénomène et le noumène, comme dit Kant, entre ce que notre «  conscience », générée par nos structures cognitives, perçoit, appréhende, et la « chose en soi », inaccessible, est admise, du moins dans certains cercles philosophiques (cela n’empêche pas le commun des mortels d’agir naïvement comme si le monde était « réel », et il aurait été bien surpris, ce jedermann, qu’on tentât de le persuader qu’il en fût autrement =. Cependant, l’idéalisme allemand va essayer de résoudre le problème de cette dichotomie en faisant abstraction du noumène.

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La Wissenschaftslehre (« Doctrine de la science »), est publiée en 1794. Fichte pose le moi comme fondement du monde, jetant ainsi les bases de ce que sera plus tard la phénoménologie. La réalité n’existe pas en-dehors de la conscience. Aucune frontière n’est destinée à interdire la création. Le rêve s’offrait ainsi à l’investigation du Je. Novalis en parsème son œuvre. Pour Friedrich Schlegel, il est un moyen d’accéder à des réalités supérieures. Gotthilf Heinrich Schubert en analyse la symbolique. Avec l’idéalisme allemand, les spéculations sur la fusion de l’art et du réel (de Novalis à Wagner) seront récurrentes (1). On ne connaît pas exactement la liste des romantiques germaniques que Nerval a pu étudier, et s’il a lu les idéalistes – Kant, Fichte, Schelling, Hegel – comme Madame de Staël l’avait fait. Il ne maîtrisait pas suffisamment la langue allemande pour aller loin, bien qu’il traduisît, outre Faust, plusieurs poètes allemands (Goethe lui-même, Schiller, Klopstock, Burger, Jean-Paul Richter etc.). Le romantisme français, comme le fait remarquer Julien Gracq, n’« a que très vaguement connu » le romantisme allemand, et a, dans l’ensemble, hormis Nodier et Nerval, parfois Hugo, méconnu la dimension infinie de l’être intérieur, pour se « pay[er] de menue monnaie [...] : médiévalisme, orientalisme, inauthentique charme des nuits de lune, petites mélancolie des crépuscules », à l’exception du « sens tragique, inexorable, de la pesée de l’histoire - ignoré de l’Allemagne de Kant et de Hegel » (Préface de Henri d’Ofterginden, de Novalis).

Toujours est-il que, pour Nerval, et du reste pour la plupart des romantiques, le Je est la source de toute connaissance et expérience. Mais il élargit ces plongées davantage que quiconque, jusqu’à l'"infra-conscient", dans les racines mêmes de ce qui fait « image », dont la nature cachée laisse pressentir des mystères, et peut-être même des divinités, des monstres, ou des lieux habités par les ancêtres, aussi graves que la réalité et peut-être plus denses, lestée d’une charge spirituelle plus forte que dans la vie éveillée. Car, par « infra-conscient », il faut comprendre le rêve, mais, lorsqu’on lit Nerval, on voit qu’on va aussi profondément que le fit Freud, lequel, on s’en souvient, suscita une admiration enthousiaste de Breton, en 1920, à la grande surprise du psychanalyste (au prix d’un malentendu, car, pour Breton, et, plus tard, dès 1924, les surréalistes, comme pour Nerval, l’explicitation du rêve, ou de tout récit profondément intériorisé, ne vise pas à guérir d’une psychopathologie, à s’en délivrer, mais à retrouver le monde, à l’habiter). Selon Nerval, il s'agit d'un Réel aussi tangible et existentiel que le monde de l'éveil, la balance égale entre le monde physique de la veille et l’aisance du sommeil, dit René Char.  Le « Réel », la Poésie, donc, mise en pratique. La Poésie, c’est la vraie vie, excédant, ô combien, le graphisme de la feuille imprimée.

Toute cette manifestation subversive est dirigée contre la conception cartésienne de l'intellect, instrument de maîtrise, de domination de la nature. Le sensible, que Descartes considérait, à la suite de Platon, comme menteur, devient source de vérité, non seulement le sensible extérieur (les paysages, la beauté des choses, la musique etc., souvent mêlés de la mémoire des mythes et des souvenirs littéraires ou picturaux), mais aussi le sensible intérieur, qui est un continent inexploré, immense, qu'il faut parcourir pour restaurer le divin, et réanimer les anciens dieux et déesses, ainsi que les Titans révoltés. Le rêve est en effet sensation de monde qui mène jusqu’à l’origine de toute chose, qui offre la clé ouvrant à la vraie vie. "Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité, si l'on peut dire ainsi." (André Breton, Manifeste du Surréalisme (1924)).

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Nerval et l’écriture

Ainsi, une fois donc qu'on a parcouru la voie labyrinthique des œuvres de Gérard de Nerval, et qu'on pense, non sans quelque vanité, en être sorti, s'aperçoit-on bien vite qu'il est inutile de fonder la connaissance qu'on croit obtenir de lui sur les données, fiables ou non, qu'abandonnent à notre curiosité des documents divers sur sa vie, dûment enregistrés par les multiples instruments taxinomiques que possèdent les archives de la police, de la société des Lettres ou de la vie civile. Il échappe à la classification, et déborde les discours qui voudraient le fixer au mur de la critique comme un papillon.

Nerval est tout poésie, c'est-à-dire création, et avant tout de lui-même – c’est peut-être là source de fatalité et de tragédie - ; son identité erratique suit les méandres de son écriture. Ce mystère s’est inscrit dans sa mort. Son suicide, à l'aube du 26 janvier 1855, dont les causes vraisemblables s'imposent au bon sens – la misère, la maladie, le froid extrême (-20°), la nuit angoissante, la solitude, l’abandon -,  demeure néanmoins de tous ses actes le plus énigmatique et le plus paradoxal, si l'on s'en rapporte aux accents lumineux et positifs de la fin d'Aurélia, œuvre posthume, notons-le, qui survit à sa mort biologique, non sans ironie hoffmannienne.

La situation de Nerval devant son œuvre manifeste un autre rapport au mot que la transparence naïve que louait le classicisme bannissant le trouble et le désordre. Il avait donc, dès 1828, touché par le charisme du « prophète » Hugo, embrassé la cause romantique. Plus profondément, il prit au sérieux le cahier des charges de la littérature, avant qu’elle ne subît, dès la Grèce classique du Ve siècle, l’opprobre de contredire la rationalité philosophique, scientifique, ou technique. Le romantisme va bien au-delà des mérites que l’« École » française lui accorda : le sens de l’Histoire, la liberté, l’imagination, la révolte, et même, à Paris et en Italie surtout, la tentation humanitariste et politique. Certes, la Révolution, plus que le royalisme qui, du reste, fut aussi rétif face à lui que les libéraux voltairiens, fut au fond le véritable ébranlement par lequel la passion s’immisça dans les cerveaux échauffés. Chateaubriand lui doit beaucoup, et jamais Nerval ne la renia. Saisissant même les romantiques allemands, et certains Illuminés, comme Louis-Claude de Saint-Martin, en France, qui espérait l’instauration d’une nouvelle religion, à la place du christianisme, elle ouvrait tous les possibles.

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Pourtant, il faut aller chercher beaucoup plus loin les sources de la subversion romantique, et l’on retrouvera Nerval, qui est de son temps tout en l’excédant.

Nerval tenta, en décembre 1842, le retour aux sources, l’Exil volontaire, réponse décidée à la crise qui l’avait abattu en février 1841, le « Voyage en Orient » (dont on sait qu’il fut plus réécrit, que donné tel quel), la quête des origines du Divin, de la naissance de la Lumière et de la Sagesse. Ex Oriente Lux. Il y chercha la hiérogamie, le Dieu Soleil, la coïncidence de tous les contraires, de la femme et de l’homme, de l’homme et du Divin, de la Nuit et du Jour, de l’Est et de l’Ouest, du Feu et de la Poussière, de l’ascension et de la chute, de la base et du sommet, du passé et du présent. Mais il ne parvint pas à la conscience unificatrice. Tout échec mûrit. Il en garda une vérité : l’Orient se trouve au seuil de la maison, dans « le lit du poète », affirme-t-il. Pour Nerval, de retour d’Orient, le « chemin » de la demeure est d’abord le sol natal, le Valois, dont il essaiera de (re)trouver le cœur, la mémoire, et en même temps son identité profonde. Après l’épreuve du voyage, de l’étranger, de l’étrange, il faut que le poète « apprenne maintenant », comme l’écrit Heidegger à propos du poème Souvenir, de Hölderlin, « le libre usage de ce qu’il a en propre ». Mais ce sera encore une épreuve vaine.Les vrais paradis sont les paradis qu'on a perdus, affirme Proust. Définitivement. Pourtant, le secret se situe encore plus proche de soi, au plus profond de soi-même. Novalis le dit : « Le chemin mystérieux mène vers l’intérieur ».

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La quête intérieure

Revenons à Platon. Le « tournant platonicien », comme on le sait, bannit le poète de la Polis, comme fauteur d’erreur, susceptible donc de gâcher l’esprit des jeunes éphèbes. Son statut privilégié, que l’on note par exemple chez un Pindare, chez les Inspirés de l’âge préclassique de la Grèce, et qui semblait prévaloir depuis au moins Homère et Hésiode, fut soudain déchu, quand les Muses furent accusées de mentir. La poésie, premier langage de l’Occident, était le pont entre l’Olympe et les humains. Elle s'opposait à la prose, promue langue philosophique par Platon. Les « théologiens » (philosophes) pré-socratique usaient d’une langue qui se rapprochaient de la poésie. La poésie est versification, utilisation de l’allégorie, de la métaphore, codification qui lui montre sa mission mystique, d’établir un espace commun entre dieux et hommes. Ce n’est pas une utopie, comme le sera la République des Lettres de la Renaissance, ni l’Arcadie, mais une hétérotopie, un monde réel, autre (nous retrouverons cette dimension, mais dans le domaine du rêve), où les Muses servent d’intermédiaires entre les dieux et le poète « inspiré » s’adressant à un public pour qui l’existence des dieux ne fait aucun doute. La muse met en parole – ennepe ( ἄνδρα μοι ἔννεπε Μοῦσα ; « Muse, dis-moi l’homme ») – le message venu d’ailleurs. A partir de Platon, qui ne jurait que par la « géométrie », Calliope n'eut plus la prétention de servir de médiation entre le vates et le Divin, et se contenta d’orner la vie, comme une figure rhétorique.

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La période hellénistique, alexandrine, fut une ère de rationalisation plus ou moins désacralisante de la poésie, malgré Théocrite. Et aussi malgré Virgile, qui l’entra dans le vaste corpus mystique du néo-pythagorisme. Mais le classicisme latin, volontiers scolaire, héritier de l’alexandrinisme, poli par la paideia, formateur du citoyen eruditio et institutio in bonas artes, eut tendance à réduire le poète à l’état d’artifex, de facteur de versification. La poésie, la langue poétique, s’afficha comme τέχνη, jusqu’à un âge encore assez récent. Rimbaud, déjà, s'en désolait : Voici de la prose sur l’avenir de la poésie -Toute poésie antique aboutit à la poésie grecque ; Vie harmonieuse. — De la Grèce au mouvement romantique, — moyen-âge, — il y a des lettrés, des versificateurs. D’Ennius à Théroldus, de Théroldus à Casimir Delavigne, tout est prose rimée, un jeu, avachissement et gloire d’innombrables générations idiotes ....

Marc Fumaroli avait, dans l’un de ses ouvrages brillants d’érudition, L'Age de l'éloquence : Rhétorique et «res literaria» de la Renaissance au seuil de l'époque classique, souligné combien un passage du Dialogue des orateurs, de Tacite - vers 102 ap J.C. - proposait aux Romains lettrés, entérinant l’inutilité civique de l’art oratoire dans un régime qui étouffait la liberté républicaine, désormais désuète, de nouvelles perspectives – le bonheur apolitique du locus amoenus, comme vita nova de l’honnête homme. Cette utopie bucolique et poétique, celle de Théocrite et de Virgile, qui avaient écrit dans un cadre monarchique, celle aussi du Cicéron du Jardin et de la Bibliothèque, sera restituée à la Renaissance, et l’Arcadie de Jacopo Sannazaro va nourrir l’imaginaire humaniste, puis baroque, jusqu’au romantique Rousseau, que Nerval idôlatra.

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C’est aussi en 1499 que le fameux libraire-imprimeur vénitien Aldo Manuce édite l'Hypnerotomachia Poliphili, de Francesco Colonna, œuvre quasi onirique qui irrigua l'imaginaire européen, la littérature et l’art des jardins, jusqu'à Nerval, et dont l'esprit habite le merveilleux tableau de Watteau, Pèlerinage à l'île de Cythère (car il s'agit véritablement d'un périple sacré, pareil aux mystères antiques), que l’on retrouve, romancé ou rêvé, dans Sylvie, ainsi que dans Le Grand Meaulnes, Ce fut un retournement inouï, qui nous ouvrit à un monde intérieur, loin de tout engagement civique. Nerval, même s’il évoque des figures historiques, et parfois effleure, comme par inadvertance, en passant, pour ainsi dire, les évènements d’actualité, parfois tragiques, est dans un territoire en marge, hors de l’Histoire. Il partagea très vite, avec maints romantiques qui s’étaient illusionnés sur les promesses des Trois Glorieuses, la déception, et même le dégoût, qu’inspira alors la politique.

Mais s’il faut retrouver des précédents, à ces Écoles buissonnières si pleines de charmes, on peut remonter aux guerres civiles qui déchirèrent l’Urbs, et aboutirent à l’Empire, à ces Latins qui défièrent la virtus romaine exigeant qu'on ne devînt homme (uir, quiris) qu'en servant, les armes à la mains, dans les légions, aux confins de l'Univers, pour reculer ou défendre les frontières de l'Empire, ou bien sur le forum, en se donnant à la Res publica. Le fil d’or de la passion, asociale (Tristan et Iseut) et néanmoins dévoilement de vérité, court de Catulle à Baudelaire, en passant par Tibulle, Properce, Ovide, Pour aggraver le cas de ces déserteurs, l’amour est considéré comme le cœur de l’existence, dans une société guerrière qui l’appréhende comme une maladie, comme une déchéance. C’était anticiper. Plus tard, beaucoup plus tard, le troubadour Guiraut Riquier affirmera : « Non es hom senes amor valens » , « On ne peut avoir de valeur sans l'amour ». Amour, alors, fut cette torture merveilleuse, qui permit de découvrir les abysses jusque-là insondés du cœur humain, et prépara cette Odyssée où Nausicaa serait devenue la véritable héroïne d’Homère, et Aurélia l’inspiratrice d’un livre bouleversant, à nul autre pareil. Les chantres de l’amour passion, ou mystique, abondent (et, au XIIIe siècle, avons-nous bénéficié, peut-être, de l’apport raffiné de la poésie arabe, qui influença les Fidèles d’amour - dont l’existence est hypothétique -, source lyrique et ésotérique de la Vita nuova, de Dante) : Apulée et son exquis Âne d'or, puis les troubadours, Chrétien de Troyes, la Matière de Bretagne, Shakespeare, L'Astrée, d'Honoré d'Urfé, Madame de La Fayette, Les Lettres portugaises de Guilleragues, Stendhal, Nerval, etc. L’éros devint le plus sérieux concurrent de l’agapè chrétienne. « Elle n'est sujette, la nature, à s'illuminer et à s'éteindre, à me servir et à me desservir que dans la mesure où montent et s'abaissent pour moi les flammes d'un foyer qui est l'amour, le seul amour, celui d'un être. » (André Breton ; L’Amour fou) .

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Bref, ce que l’Europe recouvra, avec le romantisme, c’est, en déliant les entraves de la convenance littéraire, qui tenaient le cœur en captivité, la saveur du grand large, le goût de l’infini et de la liberté, dont l’amour est comme l’allégorie.

Il ne fallut donc pas attendre la déchéance de Casimir Delavigne – inspirateur, au demeurant, du jeune Gérard, avant 1828 – pour que resurgît la poésie « grecque » : la Renaissance ranima l'étincelle mystique, par le revif de l'orphisme et du néoplatonisme, sève d'un ésotérisme qui va nourrir en partie les Temps modernes, ainsi que, subrepticement, l'inspiration nervalienne. Entre-temps, le souffle irradiant de la Bible, toujours sous braise depuis la destruction du Temple, mais désormais incandescent, fut attisé par la Réforme et le catholicisme inspiré, parfois soupçonné d’hérésie ou de saveur ésotérique, réfractaire à la « Philosophie ». A côté de la Raison démonstrative, de plus en plus dominatrice en Europe, et la contrariant, la « raison du cœur » rafraîchit la haute poésie, celle des prophètes, offrant à l'imagination et à la passion le Sturm und Drang qui lui était nécessaire, c'est-à-dire l'instinct de liberté et le sentiment de l'infini, dans le monde extérieur et au-delà, mais surtout dans l'intériorité de l'esprit, dans le rêve où se joignent microcosme et macrocosme, et où les contraires coïncident. Face à une civilisation de plus en plus froide et desséchée, sujette aux emballements matérialistes et à la réserve sceptique, on put ainsi redevenir prophète, vates, vaticinateur, et, pourquoi pas, magicien, ou brigand au grand cœur. Ou Illuminé. Ou Voyant. Et ce fut le Romantisme.

La « folie », une voie initiatique

Toutefois, l'œuvre de Nerval n'est pas, à la manière romantique, un épanchement, une confession lyrique, un abri pour le moi, mais le théâtre tragique de son élaboration, de son accomplissement, de son exaucement, dans l'angoisse et la joie. Le verbe est créateur de sens. Il réalise son sens, il est performatif, et c'est pourquoi il est dangereux. Il suit intimement, sans écart, les sinuosités du labyrinthe de la vie, et les éclairs de rêves. Il est lui-même lueur révélante, apocalyptique, illuminante, si l’on ose cette tautologie, et dédale où se dissimule le minotaure, ou bien grotte où s'ébattent les nymphes. Il est la clé qui force le sens, l'Absolu, l’Éternité, le Salut. Mais il est incomplet : il faut trouver la lettre qui manque ; chercher, toujours, sans fin, au-dessus de l'abîme.

Et l'on voit ce qui, soudain, change avec Nerval, et annonce un nouveau continent de la connaissance. Au lieu de se laisser happer par le monde des images, par les visions, de se perdre dans le gouffre de la folie, il tente de maîtriser cet « épanchement », avec une volonté remarquable et poignante, et non seulement d'en considérer les terribles merveilles comme un univers réel, au même titre que celui d'ici, de la terre lourde et laborieuse, mais d'en tirer toutes les leçons, d'en explorer les arcanes pour trouver la lumière. Rappelons l'émouvant et fameux aveu de Baudelaire, pourtant guère prolixe au sujet d'un poète si proche de lui dans le temps et dans l’inspiration, dans la tonalité, répondant au calembour injurieux de Veuillot, qui, dans L'Univers du 3 juin 1855, avait écrit que Nerval avait non pas spiritualisé, mais alcoolisé sa vie : « Qui ne se rappelle les déclamations parisiennes lors de la mort de Balzac, qui cependant mourut correctement ? — Et plus récemment encore, — il y a aujourd’hui, 26 janvier, juste un an, — quand un écrivain d’une honnêteté admirable, d’une haute intelligence, et qui fut toujours lucide, alla discrètement, sans déranger personne, — si discrètement que sa discrétion ressemblait à du mépris, — délier son âme dans la rue la plus noire qu’il put trouver, — quelles dégoûtantes homélies !... »

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Nerval est peut-être l'être le plus pieux que le XIXe siècle eut sécrété. Dans Aurélia, il indique « les causes d'une certaine irrésolution [les principes de la Révolution, le rationalisme, le scepticisme voltairien] qui s'est souvent unie chez [lui] à l'esprit religieux le plus prononcé ». Il est passé à côté de son temps, et pourtant, il est l'âme d'un âge où la divinité a définitivement quitté la terre désormais désertifiée des hommes, comme l'est la Cythère de 1843, la Cérigo occupée par les Anglais, que surplombe, sur une colline desséchée battue par le clapotis de la Mer de Crète, cette Crète où Ariane dévide son fil, un pendu qui se voit de loin. Il clame dans le désert, en affrontant, dans son propre esprit, le nihilisme qui le ronge comme un monstre chimérique sorti du chaos.

L'expérience du rêve, liée à celle de la nostalgie des origines, transmute sa trajectoire en initiation, en « glissement vers le mythe », comme dit Albert Béguin. C'est retrouver l'aube de l'humanité, l'épanchement du rêve dans la vie réelle, et les déesses, les dieux rendus à la visibilité, à la vénération qui leur est due ; c'est l'expansion du moi, au-delà de la faute originelle, de la mort, de la souffrance, de la solitude, vers une dimension universelle qui concerne l'humanité entière et son destin. Se sauver est retrouver l'harmonie, lui redonner vie, peut-être même rappeler les dieux sur terre, et reconstituer l'Arcadie, l'âge d'or, une nouvelle Cythère, parée d'un amour printanier.

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Non sans péril, celui de haute mer. Albert Béguin le rappelle : « Ceux qui se risquent à ces explorations intérieures en ramènent des œuvres singulières et durables, qui conservent de leur auteur, non point son être accidentel et périssable, mais son essence et sa figure mythique. Ils cherchent à rejoindre le plan profond où se déroule, non plus leur propre histoire terrestre, mais leur destinée éternelle. Comme le mystique, ils paient de l'anéantissement de leur personne la plongée dans la nuit. » Heidegger le dit de même : « La détresse en tant que détresse nous montre la trace du salut. Le salut é-voque le sacré. Le sacré relie le divin. Le divin approche de Dieu. / Ceux qui risquent plus appréhendent, dans l’absence de salut, l’être sans abri. Ils apportent aux mortels la trace des dieux enfuis dans l’opacité de la nuit du monde. »

Nerval dit de lui-même, dans Promenades et Souvenirs : « Je suis du nombre des écrivains dont la vie tient intimement aux ouvrages qui les ont fait connaître. » En vérité, Wege – nicht Werke : « Des chemins, non des œuvres », comme écrivait Heidegger quelques jours avant sa mort. Nerval reprocha à Alexandre Dumas de ne produire que des articles de consommation, des objets de divertissement. Lui, expérimentait. Ses livres étaient des quêtes risquées, des jeux d’arène dangereux où danse la corne du taureau. Lorsqu’avec lui, on évoque la « littérature », il est capital de s’enlever de l’esprit l’acception courante, triviale, de ce mot.

Être tout « littéraire », c’est-à-dire rêve, est une autre façon d’affirmer sa folie. Dans une Lettre à Mme Dumas, il s’indigne: "...Mais comme il y a ici des médecins et des commissaires qui veillent à ce qu’on n’étende pas le champ de la poésie aux dépens de la voie publique [ Nerval évoque la sempiternelle dénonciation de la littérature – vaine, inutile, nuisible – de la part des êtres positifs, ayant pieds sur terre, qui œuvrent pour le Bien commun, et mettent l’utilité pratique, celle des économistes et des banquiers, au-dessus de toute la beauté du monde – qui, le rappelle Gautier, ne sert à rien ], on ne m’a laissé sortir et vaguer définitivement parmi les gens raisonnables que lorsque je suis convenu bien formellement d’avoir été malade, ce qui coûtait beaucoup à mon amour-propre et même à ma véracité. Avoue ! avoue ! me criait-on, comme on faisait jadis aux sorciers et aux hérétiques, et pour en finir, je suis convenu de me laisser classer dans une affection définie par les docteurs et appelée indifféremment théomanie ou démonomanie dans le Dictionnaire médical. À l’aide des définitions incluses dans ces deux articles, la science a le droit d’escamoter ou réduire au silence tous les prophètes et voyants prédits par l’Apocalypse, dont je me flattais d’être l’un ! Mais je me résigne à mon sort, et si je manque à ma prédestination, j’accuserai le docteur Blanche d’avoir subtilisé l’esprit divin. »).

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Nerval proteste contre la version clinique, et met l'accent sur la dimension "poétique" (existentielle, en vérité), sur la "voyance", à la suite des romantiques allemands comme Novalis. La "folie" (liée au rêve) est un autre nom pour désigner la création "poétique" (ces deux mots sont des pléonasmes), mais aussi le véritable royaume de la vie humaine, qui ne correspond pas au domaine restreint et restrictif de la conscience "diurne", trop mesquine et trompeuse. La vérité se trouve à l'intérieur de l'être humain, et le monde extérieur est le résultat de la projection de ce contenant trop inexploré. Évidemment, pour un scientifique comme le docteur Blanche (portant très ouvert, adepte de méthodes douces et intelligentes), c'est là une perception entachée de suspicion. Dans les faits, nous ne nous en apercevons pas, mais nous sommes des fous, nous vivons comme des fous. Certes, des fous qui se parent d'un costume "raisonnable", pour donner le change. A moins que nous ne soyons des rêveurs qui croient, parfois, ne pas rêver.

La littérature rend visible, lisible, réelle, cette « folie ». L’île de Calypso, l’antre du Cyclope, dans l’Odyssée, la Terre du Milieu, du Seigneur des anneaux, l’Enfer, de Dante, sont lestés de plus de réalité, de présence (parousia) que le décor urbain évanescent, exsangue et fantomatique de nos besoins erratiques, qui, de la maison au supermarché, de la voiture au bureau, ornent notre vacuité existentielle ; et Julien Sorel, Hamlet, Rastignac, le Grand Meaulnes, Rodion Romanovitch Raskolnikov, Erec et Enide, Don Quichotte (ce proto-Nerval), Madame Bovary, Bouvard et Pécuchet, sans parler du pharmacien Homais, et même, dans les Évangiles, Pierre, Paul, ou Jean, existent davantage, que mon voisin, ou que le ministre de l’économie du moment, et me sont peut-être comme des étoiles à suivre, ou à ne pas suivre. Ils sont la réalité, en vérité. Peut-être la plus authentique, celle qui possède un sens. Ne dit-on pas que les femmes du peuple montraient Dante du doigt, considérant le teint cuivré de son visage comme le témoignage irréfutable de son séjour en Enfer ? Elles avaient la foi du charbonnier. Combien ont cru que Malraux avait participé à la guerre civile de 1927, à Shanghai, et qu’il avait même été l’un des chefs de l’insurrection ? Ernst Jünger, quant à lui, entre deux coups de feu, lisait avec passion le Roland furieux, de L’Arioste. « Je veux dire que l’héroïsme, pour moi, naissait davantage d’une expérience littéraire que d’une effective et concrète possibilité de vie. » Il tint ses propos en 1995, à l’occasion de sa centième année.

Les paysages mentaux et le théâtre de nos songes, tout « imaginaires » qu’ils soient, peuplent davantage, même le jour, la salle obscure de notre existence, que ce que l’on appelle la « réalité », mais qui ne se résout qu’à une cascade de données sans signification véritable. Et nous ne sommes essentiellement cette « folie » : grande ou petite.

Note: 

(1) « Après toutes ces citations poétiques, je puis moi aussi me permettre d’employer une image. La vie et les rêves sont les feuillets d’un livre unique : la lecture suivie de ces pages est ce qu’on nomme la vie réelle ; mais quand le temps accoutumé de la lecture (le jour) est passé et qu’est venue l’heure du repos, nous continuons à feuilleter négligemment le livre, l’ouvrant au hasard à tel ou tel endroit et tombant tantôt sur une page déjà lue, tantôt sur une que nous ne connaissions pas ; mais c’est toujours dans le même livre que nous lisons. »

[…]

« Si l’on se place, pour juger des choses, à un point de vue supérieur au rêve et à la vie, on ne trouvera dans leur nature intime aucun caractère qui les distingue nettement, et il faudra accorder aux poètes que la vie n’est qu’un long rêve. »

Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation, 1819 (mais la publication n'en a été faite, en France, qu'en 1886.

lundi, 24 novembre 2025

L'Europe contre Washington: deux plans de paix, une alliance divisée

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L'Europe contre Washington: deux plans de paix, une alliance divisée

Elena Fritz

Source: https://t.me/global_affairs_byelena

Le fait que l'UE élabore désormais sa propre proposition pour un éventuel règlement en Ukraine en dit plus long sur l'état de l'Occident que sur une quelconque avancée diplomatique. Selon le Wall Street Journal, de nombreux dirigeants européens sont mécontents du plan de Washington. Un contre-projet est désormais en cours d'élaboration à Bruxelles, non pas par nécessité de marquer ses propres « priorités » tant que la ligne stratégique des États-Unis reste floue.

Kiev fait preuve d'une retenue notable.

L'Ukraine ne s'est pas encore ralliée au projet européen. Le fait qu'un État dépendant jongle entre deux propositions occidentales montre avant tout le manque d'unité de la politique occidentale. La cohésion transatlantique, tant vantée, existe avant tout comme un discours politique.

Politico parle d'un « très mauvais plan ».

Certains fonctionnaires de l'UE critiquent la proposition de Trump, la qualifiant de « très mauvaise » et présentant certains points comme « favorables à Poutine ». Ce type d'argumentation fait partie depuis des années du répertoire de base des fonctionnaires européens, surtout lorsqu'ils veulent marquer leur distance avec Washington sans avoir à aborder la question de leur propre dépendance.

Moscou n'a pas été informée. Le Kremlin déclare n'avoir reçu aucune indication de la part de Zelensky quant à sa volonté de négocier le plan américain.

Cela souligne le fait que le débat diplomatique actuel se déroule principalement au sein de l'Occident.

Classification analytique

Les États-Unis poursuivent un plan qui sert avant tout les intérêts américains : limitation des coûts, arrêt des dommages géopolitiques, priorisation en année électorale.

L'UE lutte pour donner l'impression d'être capable d'agir, mais reste structurellement dans l'ombre de Washington.

L'Ukraine exploite tactiquement les conflits au sein de l'Occident et évite de s'engager clairement tant que l'on ne sait pas quel projet l'emportera.

Le problème central demeure :

Il n'y a pas « l'Occident », mais une communauté d'intérêts informelle dont les membres poursuivent des objectifs stratégiques de plus en plus divergents. Les plans de paix parallèles rendent ces différences visibles, plus clairement que n'importe quelle déclaration émise lors d'un sommet.

Conclusion :

Il ne s'agit pas d'une avancée diplomatique, mais d'une lutte de pouvoir entre Washington et Bruxelles. La question de savoir si l'un des deux projets servira un jour de base à de véritables négociations ne se décidera pas dans les salles de conférence européennes...

Telegram: #geopolitik@global_affairs_byelena

Alchimie orientale

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Alchimie orientale

par Andrea Marcigliano

Source: https://electomagazine.it/alchimie-orientali/

Comprendre la Chine, comprendre le Japon ou Taiwan est, pour nous, Occidentaux, une tâche extrêmement ardue.

Car leurs politiques échappent à nos critères habituels. Elles deviennent floues, difficiles à déchiffrer.

Bien sûr, nous lisons ce qu’ils écrivent. Nous écoutons ce qu’ils disent. Et pourtant, nous ne comprenons pas, ou plutôt, nous ne pouvons pas comprendre parce que nous avons une conception/représentation différente du temps.

Même avec les Japonais et les Taiwanais, qui ont pourtant subi des décennies de domination américaine. Qui les ont imprégnés de notre modernité.

Mais cela n’est qu’une couche extérieure. Une apparence, qui peut tomber à tout moment.

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Le Japon a été, depuis 1945 jusqu’à aujourd’hui, en fait, une colonie américaine. Contrôlé de toutes les manières. Contraint d’être différent de ce qu’il est, par l'histoire et la culture.

Et cela semblait l’avoir dompté, anesthésié. Malgré des révoltes et des protestations solitaires. Comme le seppuku de Mishima.

Cela semblait…

Mais maintenant, Washington, pour des raisons spécifiques dictées par leur volonté d'endiguer l’expansion chinoise, a accordé, ou plutôt été obligé d’accorder, à nouveau au Japon la possibilité de se réarmer. Autrement dit, de ne plus être une puissance économique géante tout en demeurant un lilliputien sur le plan de la puissance militaire.

Et, immédiatement, Tokyo a recommencé à faire de la politique. De manière décidément autonome. En déclarant, par la voix de son Premier ministre, qu’il n’a pas l’intention de rompre ses relations commerciales avec Pékin. Au contraire, il souhaite les renforcer. Parce que cela sert l’intérêt national du Japon.

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Taïwan vit encore dans une dimension suspendue. Les États-Unis cherchent, de toutes leurs forces, à favoriser ceux qui voudraient faire des Taiwanais un peuple distinct, et éloigné, de la Chine.

Une ingénierie ethnique et sociale qui n'est guère facile. Parce qu’au-delà de ces jeunes faucons taïwanais, nourris par les États-Unis, il y a de nombreux liens profonds entre la grande île et la Chine continentale. Au point que le Kuomintang, héritier du nationalisme chinois, revendique toujours le lien avec le continent. Et continue à se battre pour le maintenir en vie.

Paradoxe, l’ennemi historique du Parti communiste chinois est aujourd’hui l'allié potentiel de Pékin. Qui, en toutes occasions, revendique la réunification définitive avec Taïwan. Mais sans hâte, toutefois. Avec toute la sérénité orientale.

Oui… Pékin. Le géant économique, industriel, qui représente la véritable obsession de toutes les administrations américaines. Qui le voient comme l’ennemi. Et pourtant, elles ne peuvent s’en passer, tant les intérêts entre les deux puissances sont étroitement liés et imbriqués.

Les maîtres de la Cité Interdite sont convaincus qu’un affrontement frontal avec les Américains est inévitable. Mais ils n’ont aucune hâte. Au contraire, ils laissent le temps s’écouler paisiblement, en veillant attentivement à leurs propres affaires. Et en élargissant progressivement leur champ d’action et d’influence.

L’Asie, le Moyen-Orient, de vastes zones de l’Afrique. Et, non en dernier lieu, les grandes routes commerciales entre la Chine et l’Europe. La Route de la Soie 2.0, et le Noble Collier de Perles, ou la Route maritime de la Soie. De la Chine à la Méditerranée, en passant par l’océan Indien et Suez.

Ils n’ont pas hâte. Xi Jinping sourit sournoisement. Et ainsi tout son groupe dirigeant. Les nouveaux mandarins de la Cité Interdite.

Ils comptent sur le temps, qui travaille pour eux.

L’urgence névrotique des Occidentaux ne les touche pas.

Au contraire, cela leur profite.

Comment les États-Unis drainent la richesse de l’Europe

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Comment les États-Unis drainent la richesse de l’Europe

par Enrico Grazzini

Source: https://www.sinistrainrete.info/articoli-brevi/31721-enri...

Trump ment : l’Europe n’aspire pas aux ressources de l’Amérique. C’est en fait le contraire. Les données sur la balance des paiements le prouvent.

Le président américain Trump affirme que l’Europe pompe de l’argent à l’Amérique et que les relations économiques entre les États-Unis et l’Europe sont fortement déséquilibrées au détriment des États-Unis, mais cela est faux. La balance commerciale entre l’Europe et les États-Unis est déficitaire pour l’Amérique, mais les comptes courants — qui comprennent la balance commerciale (échanges de biens et de services), le solde des revenus (du capital et du travail) et les transferts unilatéraux — sont équilibrés, et sur le plan financier, les États-Unis aspirent du capital en provenance de l’Europe. Il faut souligner que, lorsqu’on parle de flux internationaux de fonds, ce qui compte réellement n’est pas la balance commerciale de biens et services, mais le solde global des comptes courants, qui, lui, est équilibré.

Les États-Unis ont un fort déficit commercial avec la Chine, d’environ 295 milliards de dollars (données 2024). Le déficit commercial (biens et services) avec l’Europe est beaucoup plus faible, de 57 milliards d’euros. Selon la BCE, en 2024, les pays de la zone euro ont enregistré un excédent commercial de biens par rapport aux États-Unis de 213 milliards d’euros. Par ailleurs, les pays de la zone euro affichent un déficit dans les échanges de services (services numériques, divertissement, services financiers et de conseil, etc.), presque aussi important: dans ce cas, les États-Unis ont un excédent de 156 milliards, toujours en 2024. Les États-Unis enregistrent aussi un fort excédent de 52 milliards dans les transferts de revenus, grâce aux intérêts et dividendes perçus sur les capitaux investis en Europe.

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Au final, en prenant en compte les autres postes d’échange, il apparaît qu’en 2024, l’excédent de la balance des comptes courants de la zone euro vis-à-vis des États-Unis n’est que de 3 milliards d’euros, après avoir été en déficit de 30 milliards en 2023 (0,2 % du PIB européen) : en 2023, ce sont donc les États-Unis qui étaient en fort excédent. Dans l’ensemble, les échanges entre l’Europe et les États-Unis sont donc équilibrés et ne peuvent susciter aucune inquiétude pour les Américains, malgré les fausses lamentations de Trump. Le problème, c’est qu’il est prévu que ces échanges deviendront rapidement déséquilibrés, cette fois en faveur de l’Amérique.

En effet, le surplus européen sur les marchandises augmente, mais lentement : il a augmenté de 68 % par rapport aux 127 milliards d’euros de surplus en 2015. Le surplus américain sur les services augmente lui beaucoup plus rapidement : le surplus américain de 156 milliards en 2024 a été multiplié par près de 7,5 par rapport aux 21 milliards de 2015. La BCE souligne qu’à partir de 2019, à l’exception de 2024, les comptes courants de l’UE sont déficitaires vis-à-vis des États-Unis « en raison des activités des multinationales américaines dans la zone euro ». C’est-à-dire que des sociétés comme Amazon, Apple, Microsoft, Netflix et Google, ainsi que des banques et sociétés financières comme JP Morgan et BlackRock, ont accru leur surplus américain grâce à l’écoulement de leurs profits vers les États-Unis.

D’après ces données, il en ressort que, si aucune évolution significative ne se produit par rapport aux tendances actuelles, la balance entre l’Europe et les États-Unis — tant pour les échanges commerciaux que pour les comptes courants — deviendra bientôt déficitaire pour le vieux continent. Ainsi, les États-Unis continueront à extraire encore plus de ressources de l’Europe.

La philosophie de la modernité et sa réfraction en Russie

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La philosophie de la modernité et sa réfraction en Russie

Le présent texte est un essai écrit pour l’un des cours de Daria Platonova Douguina à la Faculté de philosophie de l’Université d’État de Moscou.

par Alexandre Douguine

La philosophie occidentale est arrivée en Russie de manière plutôt étrange. Il n’y avait ni logique ni succession cohérente. Nous avons pris certaines choses de l’Occident, souvent par coïncidence, comme ce qui était populaire là-bas, tout en négligeant d’autres éléments plus importants. D’où l’étrangeté du dialogue philosophique russo-occidental. Par moments, ces fragments ont été réconciliés de manière absolument exotique. La logique a été détournée pour devenir morale, et la philosophie rationnelle sèche a inspiré des écrivains et des poètes à tirer des conclusions et des images complètement inattendues.

Malgré le fait que les penseurs et écrivains russes ont parfois interprété la philosophie occidentale de manière totalement arbitraire, voire déformée, ils ont saisi certains aspects de cette philosophie avec une profondeur telle qu’il en est même venu à l’Occident l’idée que les Russes avaient découvert quelque chose de nouveau et d’inattendu, qui leur avait échappé.

Dans l’ensemble, la corrélation entre la pensée européenne occidentale et sa lecture en Russie aux XVIIIe-XIXe siècles est un sujet à part entière. En partant de la nature chaotique de cette réception, on peut établir de nombreux parallèles et comparer à la fois des sources d’influence évidentes et moins apparentes.

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Pourtant, les auteurs russes les plus profonds et les plus originaux ont compris ce qui est avant tout dans la culture occidentale de la modernité. Vladimir Soloviev (illustration) qualifiait cela d’atomisation de la culture, de désintégration individualiste en fragments, et il voyait dans cela le destin de la modernité européenne. Dès le début de son article programmatique « Trois forces », Soloviev parlait d’une culture d’unité forcée qu’il identifiait à l’Est, et d’une seconde force opposée, celle de l’Occident moderne. Soloviev écrivait à propos de la force culturelle occidentale :

"Elle cherche à briser le bastion de l’unité morte, à donner partout la liberté aux formes de vie individuelles, à la liberté de l’individu et de son activité ; sous son influence, les éléments individuels de l’humanité deviennent les points de départ de la vie, agissent exclusivement pour eux-mêmes et à partir d’eux-mêmes, et le commun perd la signification de l’être réel et essentiel, et se transforme en quelque chose d’abstrait, de vide, en une loi formelle, et est finalement complètement dépourvu de sens. L’égoïsme universel et l’anarchie, une multitude d’unités individuelles sans lien intérieur — c’est l’expression extrême de cette force. Si elle devait prendre, seule, le contrôle, alors l’humanité se désintégrerait en composants, la connexion de la vie serait déchirée, et l’histoire finirait dans une guerre de tous contre tous avec l’autodestruction de l’humanité" (1).

En effet, la civilisation européenne de la modernité a conduit à cet « égoïsme universel et cette anarchie » ainsi qu’à une « multitude d’individus sans aucun lien intérieur ». Malgré le fait que tout ait commencé avec un rationalisme totalement unificateur et universaliste — Descartes et encore plus Leibniz et ses disciples — l’Occident s’est dirigé vers la désintégration progressive et la décomposition de la société en atomes. Les Russes ont perçu ce processus dans toute son ampleur et ont posé la question: qui empêchera cela de se développer jusqu’à la dislocation de l’être humain en tant que tel ? Après tout, la force déchaînée de la civilisation dépasse les capacités de l’individu. Cela signifie qu’à partir de la monade universelle et de sa téléologie, nous arrivons non seulement à l’individu, mais à des phases encore plus avancées dans la fragmentation de l’être humain en parties individuelles.

Ces réflexions m’ont conduit à comparer deux figures totalement hétérogènes : le philosophe allemand précis et pédant Christian Wolff, disciple de Leibniz, et le génie de l’écrivain russe Nikolai Gogol.

Note:

(1) V. Solov’ev, “Tri sily” (1877) [ https://www.vehi.net/soloviev/trisily.html   ].

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Sacrifier ses enfants pour la guerre

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Sacrifier ses enfants pour la guerre

Nicolas Maxime

Source: https://www.facebook.com/nico.naf.735

Après le Covid, ses injonctions morales, ses états d’exception comme le confinement ou les couvre-feu, son pass sanitaire, voilà que depuis le début de la guerre entre l'Ukraine et la Russie, on nous parle d’une menace pour notre sécurité comme si une confrontation avec Moscou était inévitable. Désormais, un chef d’état-major évoque à mots à peine couverts l’idée qu’il faudrait « accepter de perdre nos enfants ». On nage en plein délire. Le pays serait sommé d’intégrer psychiquement la perspective d’un sacrifice générationnel pour se préparer à une guerre contre un ennemi imaginaire. Car enfin, la Russie n'a ni les moyens matériels, ni les capacités humaines d’ouvrir un front contre l’Europe, et encore moins contre la France — surtout après la guerre menée en Ukraine.

Ce qui choque n’est pas seulement la phrase — déjà scandaleuse en soi — mais le climat intellectuel qui l’autorise. Un syncrétisme idéologique délirant se met en place par un mélange incohérent de discours guerrier, de storytelling sacrificiel, de rhétorique de crise permanente, qui finit par brouiller totalement les frontières entre ce qui relève de la propagande, du tragique ou de l’absurde. On nous explique qu’il faut être « prêts » — prêts à quoi ? — comme si la société civile devait se convertir à une théologie militaire.

Si ce type de discours passe désormais sans provoquer l’effondrement moral qu’il devrait entraîner, c'est parce que la société usée par des années de chocs (sanitaires, économiques, climatiques, géopolitiques), tolère désormais l’idée d’un horizon où l’on pourrait « sacrifier les enfants ». Comme l’avait montré René Girard, les sociétés en crise cherchent toujours un sacrifice pour conjurer leur propre impuissance — et voilà que nos élites semblent redécouvrir ce réflexe archaïque en le projetant sur la jeunesse elle-même.

Faute de récit collectif positif, l’Occident en phase terminale ne peut plus mobiliser qu’un discours anxiogène en agitant le sacrifice à venir d’une génération. Lorsque les sociétés ne savent plus quoi construire, elles s’occupent à prévenir ce qu’elles croient devoir détruire.

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dimanche, 23 novembre 2025

“Plan de paix”: capitulation en grande pompe de l’OTAN

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“Plan de paix”: capitulation en grande pompe de l’OTAN

Wellington Calasans

Source: https://jornalpurosangue.net/2025/11/21/plano-de-paz-rend...

Avec le soi-disant plan de paix de 28 points divulgué par The Telegraph, qui aurait été élaboré conjointement par les États-Unis et la Russie, il devient évident que la proposition, qu'il contient, représente une reconfiguration géopolitique majeure de l’Europe de l’Est.

L’accord, encore non confirmé officiellement par aucune des parties, exigerait des concessions territoriales radicales de la part de l’Ukraine, notamment la reconnaissance de la Crimée et de tout le Donbass comme territoires russes, ainsi que le gel des lignes de front dans les oblasts de Kherson et de Zaporizhzhia.

La proposition limiterait également la souveraineté ukrainienne par l’interdiction d’adhérer à l’OTAN et par de sévères restrictions à ses capacités militaires, créant un nouvel équilibre des pouvoirs clairement favorable aux intérêts russes dans la région. C'est ce que l’on peut appeler le trophée du vainqueur.

La tentative de l’Europe de rejeter le plan, en arguant qu’il s’agit d’une “capitulation sans humiliation”, s’avère problématique lorsqu’on analyse ses détails concrets. Il est temps, pour les Européens, de réduire leur arrogance et d’embrasser cette dernière occasion d’effectuer une “sortie honorable”.

Le document mentionne des garanties de sécurité et un programme de reconstruction robuste avec des ressources issues des actifs russes gelés, une concession consentie par les Russes que personne ne pourrait ignorer comme un réel geste au bénéfice de la “paix”.

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Pour l’Europe et les politiciens ukrainiens corrompus, l’essence de l’accord subvertit l’intégrité territoriale ukrainienne acquise depuis 1991. Quelqu’un doit avertir ces figures déconnectées de la réalité que la défaite est inévitable. Je suggère qu’ils traduisent la chanson du chanteur et philosophe Falcão: “Je pense qu’il vaut mieux s’enfuir en sentant mauvais que mourir en sentant bon.”

La réintégration de la Russie dans le G7 (qui redeviendra ainsi le G8) et la levée progressive des sanctions représenteraient une normalisation des relations internationales avec Moscou, une manière cohérente de réparer toutes les erreurs commises suite au non-respect des accords de Minsk.

Le grand défi sera d’assurer que toutes les parties respecteront des mécanismes de contrôle efficaces et accepteront des conséquences claires pour les violations futures de l’accord de paix et des garanties de sécurité, car seules ces mesures rendront ces promesses sincères.

Si l’Union européenne insiste pour maintenir l’Ukraine “comme un zombie” – économiquement dépendante de l’aide extérieure et militairement incapable de défendre son intégrité territoriale complète – les conséquences seraient encore plus dévastatrices pour le projet européen.

Le continent européen fait déjà face à un déclin relatif de son influence mondiale, l’Allemagne étant particulièrement affectée par les crises énergétiques et une désindustrialisation accélérée. Même les Allemands n’ont pas de perspectives concrètes pour réagir: ils perdent des entreprises et manquent désormais cruellement de compétitivité.

Maintenir un État-client en dépendance permanente épuiserait les ressources européennes, qui sont déjà limitées, approfondirait les divisions internes entre États membres et renforcerait les récits des euro-sceptiques. Si les eurocrates au pouvoir s'inquiètent de la montée de ce qu’ils appellent "l’extrême droite" et si cette inquiétude est fondée, il est temps, alors, de cesser de répéter les mêmes erreurs.

De plus, ce scénario transformerait l’Ukraine en un champ permanent d’influence étrangère, alimenté par le fantôme de l’invasion russe, déguisé en défense de la souveraineté ukrainienne, et minerait toute crédibilité restante quant à la promesse occidentale d'assurer la sécurité des pays frontaliers, car en pratique, cela revient à utiliser un pays comme territoire d’une guerre par procuration.

Ce scénario proposé reflète une réalité militaire et géopolitique où le pouvoir de négociation de l’Occident a considérablement diminué depuis le début du conflit. La réticence des États-Unis à fournir des armes de longue portée à l’Ukraine et la lassitude croissante face à la guerre dans les capitales européennes ont créé les conditions pour proposer cet accord qui privilégie la stabilité immédiate par des suggestions réalistes capables de garantir la paix...

La fin des relations amoureuses en Europe occidentale

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La fin des relations amoureuses en Europe occidentale

André Waroch 

Depuis la disparition des mariages forcés/arrangés, au XXème siècle, nous sommes entrés, concernant la vie amoureuse des hommes et des femmes en Occident, dans ce que Houellebecq a appelé, dans les années 90, l’extension du domaine de la lutte, c’est-à-dire l’extension du libéralisme à tous les domaines de la vie, y compris le sexe et les relations amoureuses, ce que nous appellerons, plus précisément, les relations sexualo-affectives.

Jusqu’aux années 2010, nous étions toujours dans la première version de ce libéralisme, telle que décrite par Houellebecq: l’homme cherchait à avoir une relation sexuelle (ou sexualo-affective) avec une ou plusieurs femmes. La femme se chargeait de choisir entre tous ses prétendants (en général issus de son entourage direct). Nous étions déjà dans l’hypergamie: cette tendance qu’ont les femmes à n’accepter une relation sexualo-affective qu’avec une très petite partie des hommes et à rejeter totalement tous les autres.

C’est une tendance naturelle qu’on peut observer dans son expression la plus pure chez les animaux. Dans un groupe de gorilles, un seul mâle féconde toutes les femelles du groupe. Les autres, à moins d’oser affronter le mâle dominant et le terrasser, n’auront tout simplement aucun rapport sexuel de leur vie.

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Chez les paons, il ne s’agit pas pour le mâle d’être le plus fort physiquement, mais d’être jugé par les femelles comme faisant la plus belle roue. Mais le principe est le même, ainsi que le résultat: 70 à 90% des mâles meurent sans jamais avoir réussi à séduire suffisamment une femelle pour s’accoupler avec elle.

Cette hypergamie a une fonction évidente: éviter la détérioration de l’espèce en faisant en sorte que les seuls mâles les plus viables puissent transmettre leurs gènes. 

Mais une société humaine ne fonctionne pas exactement comme une société animale. Ainsi cette hypergamie a été corrigée au fil des siècles d’une manière différente par chaque civilisation. L’Occident l’a réprimée avec la plus extrême sévérité: mariage arrangé décidé par les familles, interdiction de l’adultère et de la polygamie (cette dernière n’étant que l’officialisation, la codification et l’aboutissement logique de l’hypergamie) et condamnation morale et sociale du célibat. 

Tout cela, nous l’avons dit, a volé en éclats au XXème siècle. C’est maintenant la femme qui choisit librement, mais, jusqu’à une date très récente, elle ne pouvait choisir qu’entre les hommes de son entourage immédiat: amis, collègues d’école ou de travail, etc…

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Dans les années 2010, l’avènement du numérique a causé deux révolutions qui se sont nourries l’une de l’autre: le triomphe du féminisme et le triomphe de l’hyper-hypergamie des applications de rencontre.

Le féminisme a convaincu les femmes que les hommes étaient essentiellement des violeurs, des menteurs, des exploiteurs, des harceleurs, des égoïstes, des abrutis et des pervers ; qu’ils opprimaient les femmes depuis des dizaines de milliers d’années et que toutes les mauvaises actions entreprises contre eux ne seraient que revanche légitime. Idéologie  illustrée par de nombreux hashtags:  #metoo, #balancetonporc, #allmenaretrash, etc. Dans ce contexte il était bien évident que toute tentative de drague dans l’espace public (rue, bar, boite de nuit, école, travail) serait désormais assimilée à un comportement anormal et déviant. Il a donc été intimé aux hommes de ne plus tenter d’approcher les femmes nulle part, sauf dans des lieux payants et prévus plus ou moins à cet effet: bars, boites de nuit, et surtout, bien sur, dans le cadre virtuel et sans risque des applications de rencontre.

Alors que le harcèlement de rue est maintenant à son apogée (les véritables sociopathes n’ont eu que faire de cette campagne d’intimidation, puisqu’ils n’étaient de toute façon pas visés), les hommes normaux qui n’avaient pas encore renoncé à toute vie amoureuse ont fait tout ce que les militantes féministes (soutenues par les autres femmes) leur ont dit de faire: ils se sont inscrits sur les sites de rencontre. Ainsi l’hypergamie a-t-elle pu se déchainer. Au lieu de devoir choisir entre les cents ou deux cents mâles de son entourage, la femme moyenne a pu avoir accès à des dizaines de milliers d’hommes dans toute sa région. Alors que la majorité des hommes avaient déjà beaucoup de mal à trouver une femme, cette difficulté s’est transformée en quasi-impossibilité.

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Il ne faut pas chercher plus loin la récente baisse de fréquentation de ces applications, reconnue du bout des lèvres par le Système, qui essaie tant bien que mal d’en camoufler la vraie raison, et d’assurer que « les jeunes » sont partis parce qu’ils préfèrent maintenant faire des rencontres « dans la vraie vie » (comprendre: dépenser de nouveau leur argent dans les boites de nuit et dans les bars.)

En réalité, ce ne sont pas « les jeunes » qui ont fui ces applis. Ce sont les hommes, et ils les ont fuies parce que les femmes ne veulent pas coucher avec eux. Et ils n’ont pas fui pour se remettre à draguer « dans la vraie vie » (ce qu’on leur avait interdit et qu’on leur interdit toujours de faire, ce qui était une des principales raisons pour lesquelles ils s’étaient résignés à le faire sur les applis) ; ils ont tout simplement pris acte de la fin de non-recevoir définitive délivrée par les femmes occidentales et ont cessé avec elles toute tentative d’interaction amoureuse.

D’étranges vidéos circulent, ces derniers temps, principalement sur TikTok,  de femmes se plaignant et ne « comprenant pas pourquoi » les hommes ne les draguent plus. Rappelons-le à toute fin utile, ces femmes n’ont aucune intention de coucher avec les hommes à qui il prendrait l’envie de les aborder de nouveau. Elles ne cherchent que la validation qui leur permettra d’acquérir la « confiance en soi » nécessaire pour être candidate au « chad », c’est-à-dire l’homme ultime, musclé, intelligent, beau et riche, qui n’a plus besoin, lui, de « draguer » ; à peine a-t-il à lever le petit doigt.

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Cet homme, le « chad », qui représente au maximum 5% des hommes, est, en réalité, le seul bénéficiaire de cette révolution numérique des rapports amoureux. L’engagement monogame qu’attendent de lui les femmes n’a jamais été plus éloigné de ses préoccupations. Lui peut se permettre de choisir parmi le stock illimité de femelles qui se tiennent à sa disposition, et de changer de partenaire au gré de ses caprices.

Deux évolutions qui pourraient paraitre contradictoires à première vue (étude de l’INSERM, voir source): de 2006 à 2023, le nombre de rapports sexuels des femmes a baissé, voire s’est effondré de 28%  (contrairement à ce que font croire tous ces youtubeurs se plaignant qu’elles soient devenues d’ignobles dépravées) alors que le nombre de leurs partenaires sexuels, lui, a presque doublé. L’explication est simple: les femmes couchent beaucoup moins, notamment parce qu’elles sont de moins en moins souvent en couple, mais en privilégiant les coups d’un soir avec des « chads » dont elles espèrent qu’un d’entre eux va finir par lui passer la bague au doigt, et qui se contentent en fait de les « faire tourner » entre eux.

Ce triomphe concomitant de l’hyper-hypergamie et du féminisme a, concrètement, donné le résultat suivant : des citadines bardées de diplômes croupissent encore, à quarante ans, célibataires et sans enfants, dans un studio puant la pisse de chats. Quant aux hommes, ils semblent en réalité moins affectés. Ils se sont résignés à l’impossibilité de toute relation sexualo-affective avec une femme occidentale. Une minorité d’entre eux part à l’étranger chercher une épouse. Pour les autres, c’est une vie consacrée au travail, aux loisirs entre hommes, et un recours de plus en plus massif à la prostitution et à la pornographie.

Alors que les femmes postent également des vidéos où elles se plaignent que la vie de célibataire est trop dure à assumer financièrement, les hommes, au contraire, semblent satisfaits du fait que cette même vie de célibataire les rend beaucoup plus autonomes sur le plan économique. L’explication de cette apparente contradiction est simple: les femmes choisissent des métiers très mal payés, rechignent à faire beaucoup d’heures, et ont un mode de vie dispendieux ; les hommes optent pour des métiers plus rentables, et n’hésitent pas à faire des heures supplémentaires pour financer des plaisirs dont ils calculent le coût pour ne pas vivre au-dessus de leurs moyens.

Pour le dire autrement : les femmes sont en train de redécouvrir que le couple était une structure qui permettait à la femme de faire du shopping avec l’argent de l’homme. Et qu’elles ont mis fin elles-mêmes, par bêtise et inconséquence, à leur propre existence de parasite.

André Waroch.

Source (texte à télécharger) :

https://anrs.fr/actualites/actualites/premiers-resultats-...

 

Les Nostalgériens de l’autre bord

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Les Nostalgériens de l’autre bord

par Georges Feltin-Tracol

Jeudi 30 octobre 2025. La république hexagonale vacille sur ses bases vermoulues. Le « cordon sanitaire » se déchire au Palais-Bourbon. Profitant de sa niche parlementaire annuelle, le groupe RN obtient une courte majorité en faveur de sa résolution qui réclame l’abrogation de l’accord franco-algérien de 1968. Certes, le texte passe de justesse: 184 "contre" et 185 "pour", grâce au vote décisif du président de séance, le RN Sébastien Chenu. Mais, à côté des voix marinistes et de leurs alliés de l’UDR ainsi que de trois non-inscrits et de deux élus du groupe transpartisan LIOT, 26 députés LR et 17 Horizons, soit deux composantes du fameux et fumeux « socle commun » gouvernemental, l’approuvent. Cette adoption fait l’effet d’un séisme politique maximal et enrage une gauche toujours plus hystérique.

cyrielle-chatelain-la-deputee-sortante-et-candidate-du-nouveau-front-populaire-(nfp)-sur-la-2-e-circonscription-l-a-emporte-largement-photo-archives-le-dl-jean-baptiste-bornier-1720389477-474998340.jpgAussitôt le résultat connu, la présidente du groupe écologiste et social, Cyrielle Chatelain (photo), député de l’Isère au bord des larmes, s’adresse aux journalistes. La scène est à enregistrer et à repasser les soirées de cafard pour retrouver une bonne humeur à l’instar d’ailleurs du visionnage des mines traumatisées des militants socialistes présents au siège de Lionel Jospin au soir du 21 avril 2002. Il y a parfois des moments d’intenses jubilations politiques. La réaction lacrymale des Verts prouve qu’ils devraient remplacer le tournesol par du soja. En plus de la « gauche-caviar », il faut maintenant se farcir la « gauche-soja » ! La combinaison culinaire qui en ressort, guère ragoûtante, incite à des vomissements immédiats…

Même si le Sénat entérine cette résolution, sa dénonciation dépend du seul pouvoir exécutif et, en premier lieu, du chef de l’État qui ne cesse de temporiser avec Alger. Pourquoi ? Les autorités algériennes auraient-elles quelques renseignements exclusifs et croustillants sur le cas d’une enseignante de français et de théâtre qui a dispensé quelques cours naguère en Algérie ?

9782080462824-2795036392.jpgLe régime algérien, militariste, oligarchique, ploutocratique et gérontocratique, a en soixante-trois ans ruiné l’Algérie et appauvri son peuple sans que les mauvaises conditions économiques et sociales ne freinent une explosion démographique démente. Soucieuse de jouir de la retombée financière des hydrocarbures, la clique au pouvoir encourage sa jeunesse à se rendre en France perçue à la fois comme le déversoir naturel de son excédent de population et la cause originelle du déclin. Elle y exporte aussi des activités interlopes. Installée à Marseille, la tristement célèbre DZ Mafia en est une démonstration. Apparu au début de la décennie 2010, ce cartel criminel revendique son origine algérienne avec l’indicatif de codification des pays: DZ signifie « el-Djazaïr », le nom arabe d’Algérie.

L’Algérie dispose ainsi dans l’Hexagone de nombreux relais prêts à faire pression sur le gouvernement français et les corps constitués. Outre des centaines de milliers de bi-nationaux, il existe parmi les Français de racines européennes des « Nostalgériens » qui rêvent non pas d’une Algérie française illusoire, mais d’une France algérienne cauchemardesque. Ce milieu poursuit l’action ignoble des « porteurs de valises » du FLN (Front de libération nationale). Ces stipendiés – ou non – d’Alger hurlent aux massacres perpétrés pendant la conquête au XIXe siècle par le général Bugeaud. Ils s’indignent des tortures pratiquées au cours de la bataille d’Alger en 1957 contre le terrorisme et du prétendu massacre du 17 octobre 1961 si bien déconstruit par Bernard Lugan. Non seulement ces bien-pensants « algériolâtres » se taisent sur le génocide vendéen de 1793 – 1794, mais ils n’admettent pas qu’Alger fut jusqu’en 1830 la plaque tournante de la piraterie barbaresque. Des équipages cabotaient le long des rivages septentrionaux de la Méditerranée, voire dans l’Atlantique Nord. Ils organisaient des razzias meurtrières, commettaient de nombreux pillages et ramenaient au Maghreb des milliers d’esclaves européens. Les descendants de ces victimes blanches attendent toujours des excuses officielles et de justes réparations financières de la part d’Alger.

550x835-1397350608.jpgLe vote de la résolution du 30 octobre permet de mettre des noms et des visages à ces « Nostalgériens » de l’autre bord. Dans le quotidien sur-subventionné Libération de 3 novembre 2025, un certain Paul-Max Morin voit dans ce vote historique « la fiction d’une France qui pourrait nier sa part algérienne ». Ben voyons ! Ce sociologue – immense respect ! – estime que « l’immigration algérienne, loin d’être un “ problème ”, est constitutive de ce que nous sommes. Elle a bâti les routes, les usines, les voitures, les villes ». Or, entre 1944 et 1948 environ, selon le même raisonnement, des milliers de prisonniers de guerre allemands ont eux aussi contribué à la reconstruction de la France. Doit-on insister sur la part allemande de la France ?

Furieux de ce vote transgressif, Jean-Luc Mélenchon écrit sur X dès Midi que « l’Algérie, le Maroc [sa terre natale], la Tunisie sont des nations-sœurs de la France. Nos peuples ont tant de familles et d’amour en commun ! ». Ah bon ? Le chef de file de la soi-disant France Insoumise tord l’histoire. Les vraies nations-sœurs de la France, exception faite pour l’espace de la Francité, se nomment l’Italie, l’Allemagne, voire l’Angleterre. L’historien Thierry Dutour écrit dans La France hors la France. L’identité avant la nation XIIe – XVe siècles (Vendémiaire, 2022) que les premiers textes en français médiéval apparaissent en Angleterre normande. Il est prévu que la minable Commission de Bruxelles étende le programme Erasmus au Maghreb qui, tout le monde en convient, appartient au continent européen. À quand son prolongement à l’Érythrée ou à la République populaire et démocratique de Corée ?

Histoire+des+Algéries-732345620.jpgLa coterie hexagonale pro-algérienne oublie enfin que l’Algérie est une création française récente. Le territoire nominal rassemble une certaine diversité de peuples, de terroirs et de paysages. Bernard Lugan titre avec raison son dernier essai Histoire des Algéries (Éditions Ellipses, 2025, 26 €). Le Sahara donné au FLN sans aucune contrepartie, ni aucun lien historique véritable devait devenir à l’origine un condominium franco-africain. L’Ouest de l’Algérie (Tindouf, Colomb-Béchar, Adrar, Tlemcen, Figuig et le Touat) sont d’anciennes terres marocaines. Quant à la Kabylie, portion majeure des Berbères, son peuple fier et courageux porte en lui un héritage boréen dû à la présence de légionnaires romains d’origine latine et celte et à l’installation à la fin de l’Antiquité des Vandales d’origine germanique. L’Algérie n’est qu’un agrégat étatique artificiel qui parvient à se brouiller avec la Confédération des États du Sahel (Mali, Niger et Burkina Faso).

Tandis que le Maroc prend un net ascendant diplomatique en Afrique noire ex-francophone (et pas seulement !), l’Algérie sclérosée s’enfonce dans la kleptocratie et le ressentiment anti-français. Plutôt que de se préparer à une hypothétique guerre en Europe de l’Est, les généraux français – des combattants de bureau ou de salon – devraient plutôt envisager un conflit majeur sur notre flanc méridional avec un État failli, revanchard et agressif.   

GF-T

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 175, mise en ligne le 22 novembre 2025 sur Radio Méridien Zéro.

samedi, 22 novembre 2025

La Deuxième Guerre mondiale prendra-t-elle bientôt fin? 

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La Deuxième Guerre mondiale prendra-t-elle bientôt fin? 

Cristi Pantelimon

Source: https://www.facebook.com/profile.php?id=100005135564621  

Après la réconciliation franco-allemande des années 90 (qui a eu ses détracteurs) et après la réconciliation russo-allemande de la même période, qui a rendu possible la réunification de l'Allemagne, il semble que ce soit maintenant au tour de la réconciliation russo-américaine, qui met pratiquement un terme définitif aux répercussions de la Seconde Guerre mondiale, à la guerre dite froide.

Tant que l'élargissement de l'OTAN vers l'est s'est poursuivi après 1990, le danger d'une confrontation russo-américaine est devenu de plus en plus aigu, culminant avec l'initiative d'intégrer l'Ukraine dans l'OTAN, ce qui, si cela avait eu lieu, aurait signifié, en pratique, la défaite de la Russie dans la lente confrontation à l'époque de la guerre froide.

Les États-Unis n'ont à aucun moment cru que la Russie pouvait être vaincue sur son propre terrain, mais ils ont forcé cet épisode de l'intégration de l'Ukraine dans l'OTAN afin d'avoir un avantage dans les négociations avec la double facette de l'Europe unie après 1990, le noyau franco-allemand à l'ouest et l'Ostpolitik germano-française à l'est.

Les États-Unis ont réussi à se réinstaller au centre de l'Europe, profitant de l'incapacité militaire de l'Europe occidentale et de la myopie politique de l'élite européenne, qui a gobé la propagande sur le danger russe, du moins en apparence. C'est un fait géopolitique objectif dont il faut tenir compte.

L'UE n'est pas satisfaite du résultat des négociations russo-américaines. Il est évident qu'une Ukraine sous la tutelle conjointe de la Russie et des États-Unis, et la perspective d'une entente russo-américaine pour l'exploitation des ressources arctiques ne peut satisfaire une Europe déjà désorientée sur le plan géopolitique, dépourvue de ressources, qui a détérioré ses relations avec la Russie et s'est aliéné l'Europe de l'Est, désireuse de respirer un autre air (souverainiste) que celui prescrit par la Commission européenne.

De nombreux autres aspects de ce jeu compliqué apparaîtront au fur et à mesure, dans les coulisses de ces négociations.

Soyons honnêtes: les Russes et les Américains, vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, ne pouvaient pas laisser l'Allemagne vaincue, la France tolérée parmi les vainqueurs et l'Angleterre dépassée par sa propre victoire, récolter les fruits de cette étape géopolitique. C'est une leçon dure, mais naturelle.

L'Ukraine a le plus à perdre dans cette guerre cynique. Mais à qui doit-elle en vouloir ? Qui l'a trompée ? Laissons les Ukrainiens décider eux-mêmes !

Pour nous, les Roumains, une étape importante nous attend.

Si les conséquences de la Seconde Guerre mondiale ont été éliminées (espérons-le !), nous devrions nous demander si la République de Moldavie a encore un sens en tant qu'État « indépendant », entre un Occident (dont nous faisons partie) qui, en théorie, n'a plus de tensions avec la Russie, et une Russie qui, d'autre part, nous classe à la dernière place parmi les pays hostiles...

Henri de Man - l'homme qui avait un Plan...

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Henri de Man - l'homme qui avait un Plan...

Jan Huijbrechts

Source: https://www.facebook.com/jan.huijbrechts.9 

Hendrik de Man était et reste une figure controversée avec laquelle les socialistes, en particulier, ne se sont jamais réconciliés. Ce mois-ci, cela fait 140 ans qu'il est né à Anvers.

De Man a grandi dans un milieu libéral, littéraire, artistique et flamand – son grand-père maternel était le poète flamingant Jan Van Beers –, ce qui explique pourquoi il s'est intéressé très jeune aux questions flamandes et sociales. Lorsqu'il a rejoint la Jeune Garde socialiste anversoise (SJW) en 1902, il a flirté, comme beaucoup de ceux qui ont grandi dans le milieu où il a lui-même grandi, avec l'anarchisme. Il l'a toutefois rapidement troqué pour la variante radicale du marxisme. Plus tard, il formula toutefois de nombreuses critiques à l'égard du marxisme et, à un stade encore plus avancé, De Man évolua, en tant que cadre du Parti ouvrier belge (BWP), vers une forme de socialisme éthique. Tout cela ne lui a pas porté préjudice. Sous l'aile protectrice du président du BWP, Emile Vandervelde, qui avait reconnu les nombreux talents de De Man, ce dernier est passé de militant SJW et correspondant de divers journaux socialistes à secrétaire de la Centrale pour l'éducation ouvrière.

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Photo de jeunesse.

Au début de la Première Guerre mondiale, il s'est immédiatement porté volontaire pour la guerre et est devenu officier. Ses expériences au front ont eu une grande influence sur ses idées ultérieures.

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Il écrivit plus tard que la guerre avait fondamentalement changé sa perspective sur la lutte des classes et le concept marxiste de « survie du plus apte », et qu'il avait dû « brader » ses anciennes idées marxistes. Grâce à ses idées progressistes, il en est venu à la conclusion que la lutte des classes ne pouvait plus être considérée comme une lutte entre des classes concurrentes et que l'État devait jouer un rôle plus important dans l'émancipation de la classe ouvrière.

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Après la guerre, il fut impressionné par les idées du président américain Woodrow Wilson, qui prônait le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, et il partit pour les États-Unis. À son retour en 1921, il devint directeur de l'École supérieure ouvrière à Uccle. Grâce à son travail dans le domaine de l'« éducation ouvrière », il renoua avec ses contacts d'avant-guerre avec les socialistes allemands. Après avoir accepté le poste de secrétaire de l'Organisation internationale des travailleurs, De Man accepta en 1923 un poste universitaire à l'université de Francfort. Il y fut impressionné par les jeunes vétérans de la Première Guerre mondiale qui voulaient plus que ce socialisme comptable et austère qui ne leur offrait qu'un avenir de remboursements dans le cadre des accords de Versailles. Ils voulaient changer le monde, en accord avec l'esprit du temps, qui respirait la volonté, le dynamisme et le nationalisme. 

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Influencé par ces idées, propagées notamment par l'aile socio-révolutionnaire du NSDAP naissant, De Man publia en 1926 son ouvrage Zur Psychologie des Sozialismus (en français: Au delà du marxisme), dans lequel il rompait avec le socialisme matérialiste et prônait un socialisme guidé par « l'intuition et des éléments tels que la force, l'énergie, l'inspiration et les instincts ». Un socialisme qui promettait de mettre fin aux humiliations de Versailles.

P1500674-2219126125.jpgAprès l'arrivée au pouvoir des nationaux-socialistes en Allemagne, De Man perdit sa chaire. Il dut nécessairement retourner dans notre pays, où il œuvra  à l'élargissement du mouvement ouvrier et tenta de concevoir un nouveau cadre de réflexion pour le socialisme. Son livre De Socialistische Idee (L'idée socialiste, 1933) fut publié dans de nombreuses langues et fit quelque bruit. Avec le Plan du Travail qu'il avait conçu, il tenta à partir de 1933 de faire barrage aux conséquences de la crise économique. À ses yeux, c'était la meilleure réponse à l'influence croissante du fascisme et du communisme. Hendrik de Man devint vice-président du BWP en 1934 et, après la mort d'Emile Vandervelde en 1938, il lui succéda à la présidence. À cette époque, une profonde méfiance régnait déjà à l'égard de De Man. De plus, connu pour son caractère difficile, de Man avait eu pendant des décennies des conflits violents avec des personnalités importantes au sein et en dehors du BWP, ce qui n'avait pas vraiment contribué à accroître sa popularité.

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, De Man était un homme politique déçu. Son ambitieux Plan du Travail s'était soldé par un échec total. En tant que ministre, De Man avait également échoué. Il affirmait que les pontes de son propre parti et l'attitude hostile des pouvoirs financiers l'avaient contrarié et écarté. Sa désillusion quant au fonctionnement du système des partis et de la démocratie parlementaire en général le poussa vers une conception autoritaire de l'État.

L'invasion allemande du 10 mai 1940 marqua un tournant dramatique dans sa carrière. Selon lui, la capitulation belge du 28 mai scella l'échec du système démocratique parlementaire. Alors que la plupart des dirigeants socialistes fuyaient le pays, De Man resta en Belgique. Il offrit ses services au roi Léopold III et fut le seul homme politique de renom à rester à ses côtés. Les dirigeants du BWP qui avaient fui prirent la décision, le 31 mai 1940 à Limoges, en France, d'exclure De Man du parti. Cette décision fut toutefois gardée secrète jusqu'à ce qu'il puisse être prouvé qu'il agissait réellement en cavalier seul. C'est finalement ce qu'il fit aux côtés de Léopold III.

Le 28 juin 1940, De Man publia un « Manifeste aux membres du parti » controversé, dans lequel il affirmait sans ambages que le rôle du BWP sur la scène politique belge devait être considéré comme terminé. Au cours de l'été et de l'automne 1940, il élabora plusieurs plans visant à réformer en profondeur le paysage politique, mais ceux-ci se heurtèrent aux ambitions du Vlaams Nationaal Verbond (Union nationale flamande), parti collaborateur, et ne suscitèrent pas non plus l'enthousiasme des occupants allemands. Désabusé, De Man, après avoir été licencié de son poste de professeur à l'université de Bruxelles en novembre 1941, choisit de s'exiler volontairement en Haute-Savoie. À la fin de la guerre, il s'enfuit en Suisse où il obtient l'asile politique.

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Le 12 septembre 1946, il fut condamné par contumace par le tribunal militaire de Bruxelles à 20 ans de prison et à verser 10 millions de francs belges de dommages et intérêts. Une peine relativement très lourde. Si le jugement ne pouvait être exécuté – ce qui fut le cas, car De Man ne revint jamais en Belgique –, une sanction civile lui retirait sa nationalité belge. L'État belge n'a jamais demandé son extradition, ce qui renforce la supposition de nombreux historiens selon laquelle on préférait se débarrasser de lui et surtout le mettre définitivement hors jeu sur le plan politique. Hendrik De Man est décédé le 20 juin 1953 avec son épouse dans un accident de voiture que certains ont considéré comme un possible suicide...

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MAGA et la Croix en une époque de fausse paix - Pas de trêve, pas d’illusions, seulement du momentum

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MAGA et la Croix en une époque de fausse paix

Pas de trêve, pas d’illusions, seulement du momentum

Alexandre Douguine

Alexandre Douguine nous avertit que les différends mis en scène par l’Occident masquent une tentative coordonnée d’arrêter l’avance de la Russie, alors qu’un nouvelle voie vers un ordre civilisationnel commence à émerger.

Une certaine partie de la société américaine, réveillée par MAGA, cherche désespérément une véritable sortie hors de la situation actuelle. L’orthodoxie est la voie la plus élevée possible parce qu’elle est la vérité et la véritable forme du christianisme. C’est la véritable Révolution Conservatrice, plutôt qu’une série de simulacres. La conversion et le chemin spirituel du père Seraphim (Rose), un adepte de René Guénon, sont la vraie voie pour l’Amérique. D’ailleurs, ses disciples—anciens punks et révolutionnaires—ont depuis longtemps créé aux États-Unis le mouvement remarquable qu'est "Death to the World", lequel promeut l’ascétisme orthodoxe. Ce n’est qu’à travers la Croix que nous serons sauvés, disent-ils. Seulement par le Christ. Seulement par l’Église orthodoxe russe. Le chemin le plus direct et fiable. C’est le christianisme. Tout le reste est contrefait.

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Il y a l’opinion que l’Occident monte actuellement une mise en scène pour nous. Le but est d’arrêter notre avancée par tous les moyens et de figer la Ligne de Contact. À cette fin, ils simulent des différences entre les positions de Trump d’une part, et de Zelensky et de l’UE d’autre part. Pourtant, en réalité, ces deux camps sont également effrayés par nos succès et veulent les stopper immédiatement.

Trump est incapable de négocier, déjà à un niveau purement physiologique. Ce n’est plus du MAGA. MAGA est plutôt en opposition avec lui désormais. MAGA soutiendrait un cessez-le-feu en Ukraine, mais ne peut influencer Trump de quelque manière que ce soit s’il change encore une fois de position sous l’influence des néoconservateurs. En matière de "grande géopolitique", MAGA n’est pas encore ni puissance ni acteur. C'est dommage, mais c’est ainsi.

Les plans de trêve dans lesquels l’UE ne participerait apparemment pas—mais en réalité oui—contenaient de nombreuses dispositions radicalement inacceptables pour nous. Essentiellement, ils tentent de sauver le régime nazi de Kiev et d’acheter du temps pour une remise à zéro, y compris pour leur remilitarisation.

Pour nous, il serait plus sage de ne pas engager de négociations pour l’instant. Une autre fois. Il y a plus qu’assez de raisons pour cela.

Pour la première fois depuis longtemps, nous avons obtenu de vrais succès. Les défenses de l’ennemi ont vacillé, son économie commence à chanceler, et psychologiquement, nous sommes au seuil d’un tournant majeur.

Les illusions sont dangereuses : croire que Trump a repris ses esprits et a expulsé l’UE et Kiev. Rien de tout cela. C’est une réaction calculée et cynique face à nos succès: qui ne sont pas encore décisifs, mais déjà importants.

Regardez, en 2014, l’Ukraine n’avait rien. Nous avons alors offert à l’ennemi—avec l’arrêt du printemps russe—les huit années dont il avait besoin. Nous voyons comment nous-mêmes nous sommes préparés (du moins militairement), et nous voyons comment ils se sont aussi préparés.

Aujourd’hui, nous sommes dans une situation similaire: nous avons l’avantage, une supériorité claire, et encore une fois, l’ennemi tente de nous séduire avec la “paix”. Une paix américaine, une Pax Americana. Ce dont nous avons besoin, c’est de la Russie éternelle, qui commence tout juste à prendre forme, même si c’est seulement à feu doux.

Pour une raison quelconque, nos réseaux d’information mettent en avant les aspects soi-disant attrayants de l’accord, tout en dissimulant les principaux aspects qui, eux, sont totalement inacceptables. Nous voyons certains fuites délibérées, même en Occident. C’est une guerre de l’information: l’ennemi ne nous dira jamais la vérité. Tout ce qu’il fait vise à tromper, à nous déséquilibrer.

Nous devons libérer toute l’Ukraine et sécuriser notre position à Kiev. Personne ne nous propose cela, et personne ne le fera jamais. Rien qui se rapproche d’un tel résultat n’est à la table des négociations. Et sans cela, la Russie éternelle ne peut exister. Et si la Russie éternelle n’existe pas, alors il n’y aura pas de monde du tout.

Même Israël, petit Etat mais féroce, annonce quelque chose de similaire, prêt à déclarer la guerre à Rome—qu’il s’agisse de l’UE ou des États-Unis. Nous sommes la Grande et Bonne Russie. Et le monde sera à nous. Du moins, notre monde.

Trump a commencé à faire des gestes en direction d’un rapprochement avec MAGA, bien qu’il ait tout fait auparavant pour cracher grossièrement sur ses propres supporters. On dit qu’il a été convaincu de le faire par Susie Wiles, sa principale stratège en relations publiques, qui dirige maintenant l’administration de cette maison de fous qu'est devenue la Maison Blanche. Contrairement à son image d'homme rude, Trump ressemble à un vieillard ré-infantilisé, dépourvu de toute stratégie. Chacune de ses déclarations et actions successives contredisent les précédentes.

Ce qui est absolument certain, c’est qu’on ne peut rien négocier sérieusement avec lui.

“L’Amérique ne mourra pas pour vous : merci, au revoir” - Europe 2025 : toujours hystérique, mais désormais sans nounou

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“L’Amérique ne mourra pas pour vous: merci, au revoir”

Europe 2025 : toujours hystérique, mais désormais sans nounou

Par @BPartisans (Telegram)

Il y a eu un petit moment de flottement à Berlin, le genre de silence gêné qu’on entend quand quelqu’un dit tout haut une vérité que tout le monde tente d’étouffer sous des powerpoints. Matthew Whitaker, émissaire spécial de Trump auprès de l’OTAN, a lâché la phrase qui tue — littéralement :

« Dans 15 ans, peut-être même avant, l'Europe annoncera peut-être qu'elle est prête à assumer le leadership réel que les États-Unis ont exercé au cours des 76 dernières années. »

Traduction simultanée :

“On ne viendra plus mourir pour vos frontières. Bon courage, bisous.”

À côté, le général allemand Wolfgang Wien a avoué être « quelque peu surpris ». Surpris ? Depuis vingt ans, Washington répète que les Européens “doivent faire plus”. Ils ont même inventé une définition nouvelle du mot plus : payer votre défense au lieu de squatter la nôtre.

Les Européens, eux, continuent de jouer au Monopoly stratégique avec des billets en papier recyclé. On parle d’une Union européenne qui peine à aligner deux brigades réellement opérationnelles, mais qui veut “contrer la Russie”, “protéger l’ordre international”, et — cerise sur le désastre — “assurer la sécurité mondiale”.

Et voilà que Whitaker propose de confier le commandement suprême de l’OTAN en Europe à l’Allemagne.

L’Allemagne.

Le pays où l’armée doit parfois acheter ses pièces détachées sur eBay.

Le plus drôle, c’est que ce poste n’a JAMAIS été européen depuis 1949. Pourquoi ? L’OTAN l’explique elle-même : le commandant doit pouvoir contrôler les forces armées et l’arsenal nucléaire américain, ce qui nécessite une liaison directe avec le président des États-Unis.

Et maintenant Washington dit : “Tiens, prends-le, fais-toi plaisir. Le bouton rouge n’est plus compris dans le package.”

Derrière l’emballage diplomatique, le message claque comme une porte : les Américains ne mourront pas pour Berlin, Paris ou Varsovie. Ils ne vont pas échanger un soldat du Kansas contre un district de Brandenburg ou une banlieue de Gdańsk.

Ils ont d’autres priorités : la Chine, leurs élections, et leur dette publique qui enfle comme un projet de budget européen.

Soudain, les grandes envolées européennes sur “la défense de nos valeurs” prennent une couleur étrange — un peu jaunâtre, comme un fromage oublié. D’autant que les mêmes capitales passent leur temps à proclamer l’imminence d’une guerre :

“La Russie va attaquer dans 3 ans !”

Ou deux.

Ou demain matin.

On ne sait plus. L’important, c’est de paniquer.

Mais voici le twist final : si guerre il y a, l’Europe devra la faire seule.

Avec quoi ?

Des budgets encore théoriques, des arsenaux à moitié vides, des usines en grève et des gouvernements qui annoncent des “réarmements” comme on annonce des régimes détox : beaucoup de promesses, très peu de résultats.

L’Amérique, elle, a tranché.

Vous vouliez l’autonomie stratégique ?

Elle est dans le couloir, emballée dans du carton, estampillée : “À monter soi-même. Sans assistance.”

Bonne chance, Europe.

Ne perdez pas la notice.

@BPARTISANS

vendredi, 21 novembre 2025

L’illusion divine de la vitesse – Critique du technocapitalisme chez Fabio Vighi

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L’illusion divine de la vitesse – Critique du technocapitalisme chez Fabio Vighi

Markku Siira

Source: https://geopolarium.com/2025/11/18/kiihtyvyyden-jumalharh...

Fabio Vighi examine, à la lumière de la psychanalyse de Jacques Lacan, la structure de croyance dominante de l’ère technocapitaliste et applique le concept de « paranoïa réussie », qu’il décrit comme une illusion qui ne détruit pas le sujet mais, au contraire, le maintient cohérent et opérationnel.

Selon Vighi, nous sommes passés d’une compréhension cynique de la société et d’un déni fétichiste à une « illusion collective totale qui compense la décomposition inévitable de l’ordre symbolique et des liens sociaux » dans un contexte de déclin du capitalisme.

Lorsque l’ordre symbolique faiblit, l’identité ne se construit plus par l’interaction linguistique et les compromis. Elle est, à la place, installée dans des paquets prêts à l’emploi, fournis par les infrastructures numériques et le branding personnel commercialisé: « microcultures algorithmiques, étiquettes de diagnostic et modèles de personnalité téléchargeables ». Vighi insiste sur le fait que nous ne sommes pas seulement des victimes passives de la technologie, mais des « participants actifs à une illusion qui confère au technocapitalisme une autorité divine incontestée ».

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Ce faux investissement lie les citoyens au système financier digitalisé et empêche qu’ils affrontent la machine automatique et dénuée de sens du capital. « Les promesses du progrès technologique et leurs contreparties symboliques » — politique identitaire, consommation éthique, greenwashing — « fonctionnent ensemble comme des illusions stabilisatrices » rendant presque impossible toute critique de la politique économique.

Aux extrêmes de cette illusion, Vighi distingue deux tendances miroir: l’accélérationnisme de droite, représenté par la pensée anglo-américaine des « Lumières obscures », et l’accélérationnisme de gauche, avec ses fantasmes nostalgiques d’humanisation.

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Les deux s’appuient sur l’interprétation lacanienne de Daniel Paul Schreber—juriste allemand devenu un cas classique de psychiatrie en raison de sa schizophrénie paranoïde. Selon Lacan, la paranoïa de Schreber était contrôlable parce que « la société lui laissait de l’espace ». Cela s’est concrétisé dans le fait que Schreber a pu publier ses mémoires et que ses déclarations écrites ont été prises en compte dans le procès, donnant une légitimité sociale à son univers délirant. Par exemple, sa conviction qu’il devait se transformer en femme pour que Dieu puisse le féconder et sauver le monde a été traitée comme une revendication sérieuse au tribunal.

En appliquant cette analogie, les accélérationnistes de droite—notamment les partisans du manifeste technoptimiste de la Silicon Valley—« adoptent une posture messianique comme Schreber: ils se soumettent complètement à la puissance sacrée de la rationalité technocapitaliste ». Ils croient que l’automatisation technologique mènera à un ordre techno-féodal autoritaire, ce qui, dans leur imagination, sauvera le monde.

À l’opposé, l’accélérationnisme de gauche repose sur une illusion nostalgique selon laquelle « la force brute du capitalisme pourrait encore être domptée par des corrections éthiques » et conduirait à un paradis post-humain égalitaire. Selon Vighi, cette position refuse de faire face à la logique inéluctable de l’automatisation du capital. En pratique, les solutions proposées par l’accélération de gauche—planification algorithmique, inclusion et IA éthique—ne peuvent pas sauver le sujet humain.

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Dans les deux cas, le sujet schreberien « se donne à voir à ‘l’éclat divin’—dans ce cas, aux algorithmes et au capital—et considère cette reddition comme une mission de libération et de salut ». Cette illusion repose sur un système de croyance anachronique qui ne correspond plus aux conditions objectives de l’accumulation accélérée du capital.

Vighi souligne surtout que la majorité des courants actuels de la gauche se sont retirés dans « des récits de salut technologique, de responsabilité des entreprises, de consommation éthique ou de luttes morales fragmentaires ». La critique de la politique économique a été remplacée par « des formes politiques centrées sur l’identité et des sujets individuels », où « l’opposition est construite autour du ‘faux’ ou du ‘mal’ de l’autre ». Cela laisse intacte la problématique centrale du capitalisme—« l’effondrement de la valorisation du travail de masse ».

Sur un plan concret, la bulle technologique se révèle être une bulle de dettes. Les entreprises technologiques américaines ont émis un nombre record d’obligations, et la dette totale des cinq grandes sociétés—Amazon, Microsoft, Apple, Meta et Alphabet—s’élève à 457 milliards de dollars. Les investissements dans l’IA, les centres de données et les services cloud sont majoritairement déficitaires—seulement environ 5% des applications d’IA déployées créent une véritable valeur—mais les prix des actions montent grâce à un optimisme spéculatif.

Par ailleurs, les fraudes sur les marchés du crédit privé se multiplient, comme les techniques de financement de dettes de type subprime récemment révélées, annonçant une nouvelle crise systémique. Ces pratiques rappellent fortement la période précédant la crise financière de 2008, lorsque des risques s’accumulaient dans des instruments financiers invisibles.

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C’est précisément à cette intersection entre réalité économique et illusion psychique que l’analyse de Vighi révèle tout le mécanisme de la paranoïa. Le technocapitalisme n’est pas seulement un système économique, mais aussi un mécanisme psychologique profond: la bulle de dettes alimente l’illusion qui, à son tour, favorise la croissance de la bulle. Comme Vighi le dit: « Nous ne sommes pas tant gouvernés par le système techno-capitaliste lui-même que par la fantasme qu’il nous sauvera finalement. »

Vighi conclut avec une réflexion philosophique: seule la reconnaissance et la sortie de l’illusion peuvent ouvrir la voie à une véritable résistance. Comme dans la théorie critique, il reste ouvert aux possibles méthodes concrètes qui pourraient mener à cette prise de conscience. Le diagnostic est précis, mais le programme de traitement reste flou. Sommes-nous alors condamnés à rester fonctionnels et socialement intégrés—mais en même temps inévitablement illusoires, héritiers de Schreber dans le royaume du dieu du technocapitalisme?

19:35 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, fabio vighi, technocapitalisme | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook