Le mois dernier, nous avions parlé un peu de Kant, et de ce qu’était une histoire de l’humanité conçue de manière téléologique, (une philosophie de l’histoire en somme). Par contraste, l’ouvrage de Carl Schmitt intitulé Terre et Mer offre un point de vue a-théologique sur l’histoire mondiale. L’histoire n’y est pas la conséquence d’un « plan caché de la nature », mais bien le fait des hommes, des sociétés. Elle ne signifie rien et ne mène vers rien (privée de terme, elle ne peut donc être ni perpétuellement en progrès ni perpétuellement en déclin). Il est amusant de voir que pour le catholique Schmitt, l’histoire (du moins dans ce texte), n’est absolument pas gouvernée par une Providence. Dieu a été évacué, la logique du devenir historique repose sur les rapports de force immanents à l’humanité. Il s’agit donc d’une histoire à la fois pourvue d’une certaine intelligibilité (cf p.23) , mais a-signifiante. Sur ce point, Terre et Mer nous semble surpasser même le Manifeste communiste (les deux grilles de lectures n’étant pas incompatibles, comme le souligne Laurent Henninger).
« L’homme est un être terrestre, un terrien. La terre ferme est le lieu où il vit, se meut, se déplace. Elle est son sol et son milieu. C’est elle qui fonde ses perspectives, détermine ses impressions, façonne le regard qu’il porte sur le monde. Né sur la terre, évoluant sur elle, l’homme en tire non seulement son horizon, mais son allure, sa démarche, ses mouvements, sa silhouette, sa stature. C’est pourquoi il appelle « terre » l’astre sur lequel il vit bien que la surface du globe soit constituée, on le sait, aux trois quarts d’eau et d’un quart seulement de terre ferme et que même les plus vastes continents ne sont que d’immenses îles flottantes. Et depuis que nous savons que notre terre a une forme sphérique, nous parlons tout naturellement de « globe terrestre ».Imaginer un « globe marin » nous paraîtrait étrange.
Toute notre existence d’ici-bas, notre bonheur, nos malheurs, nos joies et nos peines, sont pour nous la vie « terrestre », c’est-à-dire, selon les sujets, un paradis ou une vallée de larmes. On comprend donc que dans nombre de mythes et de légendes qui expriment les souvenirs et les épreuves les plus lointains et les plus intimes des peuples, la terre apparaisse comme la mère primitive des hommes. Les livres sacrés nous racontent que l’homme, issu de la terre, retournera à la terre. […] Parmi les quatre éléments (la terre, l’eau, l’air et le feu), c’est la terre qui est vouée à l’homme et qui le marque le plus fortement. L’idée qu’il pourrait être marqué aussi fortement par un autre de ces quatre éléments apparaît, de prime abord, chimérique : l’homme n’est ni un poisson ni un oiseau et encore moins un être-du-feu, à supposer que celui-ci puisse exister. » (p.17-18)
« Sommes-nous fils de la terre ou de la mer ? La réponse ne peut être tranchée : nous ne sommes ni l’un ni l’autre totalement. » (p.20)
« L’homme n’est pas un être entièrement agi par son milieu. Il a le pouvoir de conquérir, par l’histoire, son existence et sa conscience. » (p.22)
« L’histoire mondiale est l’histoire de la lutte des puissances maritimes contre les puissances continentales et des puissances continentales contre les puissances maritimes. » (p.23)
« Selon les interprétations des cabalistes médiévaux, l’histoire du monde est un combat entre la puissante baleine, le Léviathan, et le non moins puissant Béhémoth, animal terrien que l’on imaginait sous les traits d’un éléphant ou d’un taureau. » (p.23)
« A Salamine (480 av. J.C), c’est derrière des murailles de bois (ses vaisseaux) qu’Athènes la libre se défendit contre son ennemi, le « Perse tout puissant » et elle dut son salut à cette bataille navale. Dans la guerre du Péloponnèse, elle-même fut vaincue par Sparte, puissance terrienne, mais celle-ci, justement parce que telle, ne sut pas unifier les cités et ethnies helléniques et prendre la tête d’un empire grec. A l’opposé, Rome qui, chez elle, était une république rurale d’Italie et une puissance purement continentale, se hissa à la dimension impériale dans sa lutte contre Carthage, puissance maritime et commerciale. » (p.24-25)
« L’empire romain décadent se voit ravir la domination des mers par les Vandales, les Sarrasins, les Vikings et les Normands. Après une longue suite de revers, les Arabes finissent par prendre Carthage en 698 et fondent Tunis, la nouvelle capitale, instaurant ainsi pour plusieurs siècles leur domination en Méditerranée occidentale. L’empire romain d’Orient, c’est-à-dire l’empire byzantin dirigé de Constantinople, fut un empire côtier. Il disposait encore d’une flotte puissante et possédait de surcroît une arme secrète, le fameux« feu grec ». Pourtant, il fut entièrement réduit à la défensive. En tant que puissance maritime, il put néanmoins accomplir ce que l’empire de Charlemagne, purement continental, ne put réaliser : être une digue, un rempart, un katechon, comme l’on dit en grec ; malgré ses faiblesses, il« tint » plusieurs siècles contre l’Islam, empêchant les Arabes de s’emparer de toute l’Italie. Sans lui, l’Italie aurait été intégrée au monde musulman, comme l’Afrique du Nord, et toute la civilisation antique et chrétienne aurait été détruite. Les croisades favorisèrent alors l’émergence d’une puissance maritime nouvelle dans l’Europe chrétienne : Venise.
Un nouveau nom mythique fit son entrée dans la grande politique mondiale : pendant près d’un demi-millénaire, la République de Venise symbolisa la domination des mers, la richesse fondée sur le commerce maritime et ce tour de force qui concilia les exigences d’une haute politique avec « la création la plus étrange de l’histoire économique de tous les temps ». Tout ce que les anglophiles ont admiré dans l’Angleterre, du XVIIIème au XXème siècle, fit déjà le renom de Venise : la grande richesse, la supériorité diplomatique par laquelle la puissance maritime exploitait les rivalités entre puissances continentales et faisait mener ses guerres par d’autres, l’aristocratisme qui semblait avoir résolu le problème de l’ordre politique intérieur, la tolérance religieuse et philosophique, l’asile donné aux idées libérales et à l’émigration politique. A cela s’ajoute la séduction exercée par des fêtes somptueuses et par la beauté artistique. […]
Le rayonnement de cette légendaire « reine des mers » s’accrut sans cesse de l’an 1000 à 1500. Vers l’an 1000, Nicéphore Phocas, empereur byzantin, pouvait avec raison proclamer : « La domination des mers dépend de moi seul ». Cinq siècles plus tard, le sultan turc de Constantinople déclara aux Vénitiens : « Jusqu’ici, la mer était votre épouse ; désormais, elle est à moi ».Entre ces deux dates se situe l’époque de la suprématie vénitienne sur l’Adriatique, la Mer Egée et sur la Méditerranée occidentale. C’est de ces années que date la légende qui attirera à Venise, jusqu’aux XIXème et XXème siècles, d’innombrables voyageurs, des romantiques célèbres de toutes les nations européennes, des poètes et des artistes comme Byron, Musset, Wagner et Barrès. Nul n’échappera à l’envoûtement et rien ne serait plus étranger à mon propos que de vouloir ternir l’éclat d’un tel rayonnement. Toutefois, si nous posons la question de savoir si nous sommes là en présence d’un destin purement maritime, d’un choix véritable en faveur de l’élément marin, nous comprenons tout de suite l’exiguïté d’une puissance maritime limitée à l’Adriatique et au seul bassin méditerranéen au moment où s’ouvrent les étendues immenses des océans du globe. » (p.25-27)
« Même du point de vue de la technique de navigation, la République de Venise ne quitta pas, jusqu’à son déclin en 1797, la Méditerranée et le Moyen Age. A l’instar des autres peuples méditerranéens, Venise ne connut que le bateau à rames, la galère. C’est de l’Océan atlantique que fut introduite en Méditerranée la grande navigation à voile. » (p.29)
« Entre 1450 et 1600, les Hollandais inventèrent plus de nouveaux types de navires que tous les autres peuples. » (p.31)
« Les premiers héros d’une existence tournée vers la mer ne furent pas des doges distingués sur leurs navires d’apparat, mais des aventuriers intrépides, des écumeurs des mers, d’audacieux baleiniers, des voiliers téméraires qui sillonnaient les océans. Dans deux domaines essentiels : la chasse à la baleine et la construction navale, les Hollandais furent, au début, le modèle incontesté. » (p.32)
« L’Espagne elle-même, pourtant puissance mondiale, dut affréter des vaisseaux hollandais pour pouvoir maintenir ses échanges avec ses comptoirs d’outre-mer. » (p.38)
« Le XVIème siècle voit également apparaître le nouveau navire de guerre qui inaugure un âge nouveau de la guerre sur l’eau : un voilier armé de pièces à feu tire par salves, ou bordées, sur son adversaire. Ce type de combat transforme l’affrontement naval en duel d’artillerie à longue distance, livré avec un art extrêmement poussé de la manœuvre à la voile. On peut alors, et alors seulement, parler de batailles navales car, nous l’avons vu, le choc des équipages des galères à rames n’était en fait qu’un combat terrestre livré « à bord ». Ce fut une révolution radicale de la tactique du combat naval et de l’art de la guerre sur mer, la naissance d’un art nouveau et élaboré de la manœuvre avant, pendant et après l’engagement. » (p.38)
« Tous les peuples du centre et de l’Ouest de l’Europe participent à la grande épopée de la découverte des terres nouvelles, qui soumit le monde à la domination européenne. […] De grands astronomes et d’éminents géographes allemands contribuent à l’éclosion d’un nouveau regard sur le monde […] Sous son génial ministre de la marine, Colbert, la France du XVIIème siècle surclassa, pour plusieurs décennies, l’Angleterre dans la construction de navires de guerre. » (p.39)
« Les corsaires des XVIème et XVIIème siècles représentent un chapitre à part dans l’histoire de la piraterie. Il fallut la paix d’Utrecht (1713) pour les faire disparaître : à cette date, le système européen des Etats se consolida, les flottes de guerre des puissances maritimes pouvaient désormais assurer un contrôle efficace des mers et la nouvelle domination mondiale de l’Angleterre, fondée sur l’élément marin, commençait à s’affirmer. » (p.42)
« Tous ces Rochellois, gueux de mer et boucaniers ont un ennemi politique commun : l’Espagne, puissance catholique. Aussi longtemps qu’ils restent fidèles à eux-mêmes, ils ne capturent en principe que les navires catholiques, besogne qu’ils considèrent, en toute bonne conscience, comme bénie de Dieu. Ils participent ainsi d’un grand front de l’histoire mondiale : celui du protestantisme mondial d’alors contre le catholicisme mondial d’alors. » (p.43-44)
« Il est vrai que la reine Elisabeth passe pour avoir été la grande fondatrice de la suprématie maritime anglaise et qu’elle a bien mérité ce renom : c’est elle qui engagea la lutte contre la puissance mondiale catholique, l’Espagne. C’est sous son règne que fut vaincue dans les eaux de la Manche l’Armada espagnole (1588). C’est elle également qui honora et encouragea des héros de la mer comme Francis Drake ou Walter Raleigh. C’est elle enfin qui, en 1600, accorda les privilèges commerciaux à la Compagnie anglaise des Indes orientales qui devait plus tard offrir à l’Angleterre l’Inde entière. Au cours des 45 années de son règne (1558-1603), l’Angleterre devint un pays riche, ce qu’elle n’avait jamais été auparavant. Autrefois, les Anglais étaient des éleveurs de moutons qui vendaient leur laine en Flandre ; et voici que de toutes les mers du globe, confluait vers l’île d’Angleterre le butin légendaire des corsaires et des pirates anglais. La reine s’en félicitait et s’enrichissait. […] Des centaines, des milliers d’Anglais et d’Anglaises devinrent descorsairs capitalists. » (p.44-45)
« Ce furent les Anglais qui, finalement, surclassèrent tous leurs rivaux […] Certes, les grands empires coloniaux d’autres peuples européens continuèrent d’exister : l’Espagne et le Portugal, par exemple, conservèrent d’immenses possessions outre-mer ; mais ils perdirent le contrôle des mers et des voies de communication. » (p.49)
« La France, elle, n’a pas suivi le grand élan maritime lié au protestantisme des Huguenots. Par sa tradition spirituelle, elle resta en fin de compte un pays romain et en prenant parti pour la catholicité contre les Huguenots (nuit de la Saint-Barthélemy en 1572 et conversion d’Henry IV au catholicisme), elle choisit par là même la terre contre la mer. Certes, son potentiel maritime restait considérable et aurait pu, même sous Louis XV, tenir tête à celui de l’Angleterre. Mais lorsqu’en 1672, le roi français congédia Colbert, son grand ministre du commerce et de la marine, le choix en faveur de la terre devint irréversible. » (p.50)
« Toute transformation historique importante implique le plus souvent une nouvelle perception de l’espace. » (p.52)
« La Chute de l’empire romain, l’expansion de l’Islam, les invasions arabes et turques entraînent pour plusieurs siècles un rétrécissement de l’espace et une « continentalisation » de l’Europe. Le recul de la mer, l’absence de flotte, une territorialisation totale, sont caractéristiques du Haut Moyen Age et de son système féodal. Entre 500 et 1100, l’Europe était devenue une masse continentale féodale et agraire où la classe dominante, les seigneurs féodaux, laissaient les choses de l’esprit, et même la lecture et l’écriture, à l’Eglise et au clergé. Des monarques et des héros fameux de cette époque ne savaient ni lire ni écrire. Pour cela, ils avaient leur moine ou leur chapelain. On peut penser que dans un empire maritime, les gouvernants n’auraient guère pu se permettre d’ignorer longtemps l’art de lire et d’écrire, comme ce fut le cas dans un tel complexe purement territorial, terrien, continental. Or, les croisades furent l’occasion, pour les chevaliers et les marchands français, anglais et allemands, de connaître le Proche-Orient. […]
Mais cet élargissement de l’espace fut en même temps une mutation culturelle profonde. Partout en Europe, apparaissent de nouvelles formes de vie politique. La France, l’Angleterre, la Sicile, voient naître des administrations centralisées qui annoncent, à bien des égards, l’Etat moderne. L’Italie centrale et septentrionale voit se développer une nouvelle civilisation citadine. Des universités apparaissent, où l’on enseigne une nouvelle science théologique et juridique, jusque-là inconnue, et la redécouverte du droit romain crée une nouvelle science théologique et juridique, jusque-là inconnue, et la redécouverte du droit romain crée une nouvelle catégorie de gens éduqués : les juristes, brisant ainsi le monopole du clergé d’Eglise, propre à la féodalité du Moyen-Age. Dans l’art nouveau, dit gothique, en architecture, dans les arts plastiques et la peinture, un mouvement puissant surmonte l’espace statique de l’ancien art roman et le remplace par un champ de forces dynamiques, véritable espace en mouvement. La voûte gothique est une structure où les éléments et parties s’équilibrent et se soutiennent réciproquement par leur seule pesanteur. Comparé aux masses lourdes et statiques de l’édifice roman, c’est là un sentiment de l’espace entièrement nouveau. » (p.56-57)
« Dans le système philosophique de Giordano Bruno, le système solaire dans lequel la planète Terre se déplace autour du soleil n’est qu’un des nombreux systèmes solaires au sein d’un firmament infini. Les expériences scientifiques de Galilée firent de ces spéculations philosophiques une vérité mathématiquement démontrable. Kepler calcula les ellipses des planètes mais frissonna devant l’infinité de ces espaces où les galaxies évoluent sans frontières concevables ni centre. Les théories de Newton proposèrent à toute l’Europe éclairée la nouvelle conception de l’espace. » (p.59)
« Tout ordre fondamental est un ordre spatial. Parler de la constitution d’un pays ou d’un continent, c’est parler de son ordre fondamental, de son nomos. Or, l’ordre fondamental, le vrai, l’authentique, repose essentiellement sur certaines limites spatiales, il suppose une délimitation, une dimension, une certaine répartition de la terre. L’acte inaugural de toute grande époque est une appropriation territoriale d’envergure. Tout changement important de la face du monde est inséparable d’une transformation politique, et donc d’une nouvelle répartition de la terre, d’une appropriation territoriale nouvelle. » (p.62-64)
« Les luttes intestines, les affrontements fratricides et les guerres civiles sont, on le sait, les plus cruelles de toutes les guerres. » (p.65)
« La lutte pour la possession du Nouveau Monde devint une lutte entre la Réforme et la Contre-Réforme, entre le catholicisme mondial des Espagnols et le protestantisme mondiale des Huguenots, des Néerlandais et des Anglais. » (p.68)
« Depuis le XVIème siècle, les pays du continent européen avaient arrêté les formes de la guerre terrestre : l’idée fondamentale était que la guerre est une relation d’Etat à Etat. Elle met aux prises, de part et d’autre, la force militaire organisée de l’Etat et les armées s’affrontent en rase campagne. Les adversaires en présence sont les armées : la population civile, non-combattante, reste en dehors des hostilités. Elle n’est pas l’ennemi, et n’est d’ailleurs pas traitée comme tel aussi longtemps qu’elle ne participe pas aux combats. La guerre sur mer, par contre, repose sur l’idée qu’il faut atteindre le commerce et l’économie de l’adversaire. Dès lors, l’ennemi, ce n’est plus seulement l’adversaire en armes, mais tout ressortissant de la nation adverse et même, finalement, tout individu ou Etat neutre qui commerce avec l’ennemi ou entretient des relations économiques avec lui. La guerre terrestre tend à l’affrontement décisif en rase campagne. La guerre maritime n’exclut pas le combat naval, mais ses méthodes privilégiées de la guerre sur mer sont dirigés aussi bien contre les combattants que contre les non-combattants. Un blocus, par exemple, frappe sans diction toute la population du territoire visé : militaires, civils, hommes, femmes, enfants, vieillards. » (p.75)
« Dès que l’Angleterre se fut choisi un destin exclusivement maritime, toutes ses relations essentielles avec le reste du monde, et notamment avec les pays du continent européen, furent bouleversées. Tous les critères, toutes les mises en perspectives, toute la logique de la politique anglaise furent dès lors inconciliables avec ceux de tous les autres pays d’Europe. » (p.80)
« Après Waterloo qui vit la défaite de Napoléon au terme d’une aventure guerrière de vingt années, commença l’ère de la suprématie totale et incontestée de l’Angleterre. Elle devait traverser tout le XIXème siècle. » (p.81)
« Si la guerre de Crimée fut encore menée avec des voiliers, la guerre de Sécession vit apparaître le navire à vapeur cuirassé. Elle inaugura la guerre moderne, industrielle et économique. » (p.83)
« Dans un texte de juillet 1904, [l’amiral américain] Mahan évoque une réunification possible de l’Angleterre et des Etats-Unis d’Amérique. A ses yeux, la raison déterminante d’une telle réunification, ce n’est pas la communauté de race, de langue ou de civilisation. […] Ce qui importe, c’est de maintenir la suprématie anglo-saxonne sur les mers du globe et cela n’est possible que sur une base « insulaire » : par le mariage des deux puissances anglo-américaines. Le monde a changé, l’Angleterre est devenue trop exiguë, elle n’est plus « île » au sens où elle l’avait été jusque-là. Les Etats-Unis d’Amérique, en revanche, sont l’île parfaitement adapté à son époque. […] L’Amérique est la « plus grande île », celle à partir de laquelle la maîtrise britannique des mers se perpétuera, sur une échelle plus vaste, sous la forme d’un condominium maritime anglo-américain. » (p.84-85)
« L’apparition de l’avion marqua la conquête d’une troisième dimension après celle de la terre et de la mer. L’homme s’élevait au-dessus de la surface de la terre et des flots et se dotait en même temps d’un moyen de communication entièrement nouveau –et d’une arme non moins nouvelle. Ce fut un nouveau bouleversement des échelles de référence et des critères, et les possibilités de domination humaine sur la nature et les autres hommes devinrent incalculables. » (p.87)
« Nous ne vivons que la fin des rapports traditionnels entre la terre et la mer. Mais la peur du nouveau est souvent aussi vive que la peur du vide –même lorsque le nouveau surmonte le vide. Cela explique pourquoi beaucoup ne voient que chaos absurde là où un sens nouveau cherche à imposer son ordre des choses. Certes, l’ancien nomos disparaît, entraînant dans sa chute tout un système de valeurs, de normes et de relations traditionnelles. Mais rien ne dit que ce qui vient soit forcément démesure ou néant étranger à tout nomos : de l’affrontement acharné entre forces anciennes et nouvelles peut éclore une juste mesure, une proportion chargée de sens :
Là encore les Dieux sont là qui règnent
Grandes sont leurs limites. » (p.89-90)
-Carl Schmitt, Terre et Mer. Un point de vue sur l’histoire mondiale, Paris, Éditions du labyrinthe, 1985 (1944 pour la première édition allemande), 121 pages.
« Le géocentrisme, avec ses connotations de stabilité et de fermeté, semble comme constitutif de notre vision ordinaire du monde.
La mer, par contre, nous apparaît comme l’immensité de l’inconnu ; elle l’image d’une mobilité qu’on ne peut affronter qu’avec des moyens artificiels. Nous marchons en toute tranquillité sur la terre, mais la mer est dangereuse, inhabitable, inhospitalière. Aussi associons-nous volontiers l’idée de mer à tout ce qui est mouvant, flottant, fluctuant, fuyant et fragile. […]
En même temps, par l’impression qu’elle nous donne d’un horizon lointain qui se perd dans l’infini, la mer est également symbole de l’espérance, de l’aspiration et de l’attente, à la différence de la terre, ferme, mais lourde, commune et vulgaire. » (p.92)
« La conception de l’espace terrien demeure différente de la conception de l’espace maritime, tout comme de l’espace aérien ou sidéral, ces deux derniers présentant de nombreux points communs. L’homme y fait des incursions, par exemple avec les avions, mais n’y réside pas. L’espace maritime et aérien, en effet, n’offre pas les commodités de l’espace terrien, car si les hommes s’y engagent, c’est grâce à la technique, c’est-à-dire grâce à des moyens mobiles dans lesquels la vie est concentrée, inconfortable dans la durée et asservie à des conditions de sécurité précautionneuses et exceptionnelles, à la différence de la terre où l’habitat est en général sédentaire (maison ou appartement) dans le cadre de la plus grande liberté de mouvement. » (p.98)
« La mer est en quelque sorte le paradigme des théories de l’état de nature. Ce n’est sans doute pas un hasard si ce genre de théories a vu le jour, avec Hobbes et Locke, dans un Etat thalassocratique, la théorie du contrat social apparaissant par contrecoup comme celle d’un équilibre terrien ou continental. La liberté des mers figure, au moins en principe, l’anarchie, c’est-à-dire le droit du plus fort. » (p.108)
« J’ai consacré plusieurs ouvrages, articles et conférences à la décadence irréversible de l’Europe. Il y a cinquante ans, celle-ci était la maîtresse des terres et des mers du globe ; aujourd’hui, depuis qu’elle s’est retirée sur son espace géographique, elle est en peine de se défendre elle-même. L’Europe a perdu sa puissance parce qu’elle ne contrôle plus son espace propre. Je voudrais ajouter, dans cette perspective, que le déclin de l’Europe ira s’accentuant. Marx prévoyait avec raison que le centre de la politique mondiale est dépendant des mers : ce fut d’abord la Méditerranée et, après la découverte de l’Amérique, l’Atlantique. Le Pacifique est en train de prendre le relais, pour peu qu’on veuille prendre en considération l’essor économique des pays riverains de cet océan. […] Or, parmi les cinq continents, l’Europe est le seul à ne pas disposer d’une ouverture ou d’un accès direct à l’Océan Pacifique. » (p.114)
« En politique, la lucidité consiste à savoir prévoir le pire, afin de se donner les moyens pour empêcher qu’il arrive. » (p.115)
- Julien Freund, « La Thalassopolitique », postface à Carl Schmitt, Terre et Mer. Un point de vue sur l’histoire mondiale, Paris, Éditions du labyrinthe, 1985 (1944 pour la première édition allemande), 121 pages.
Es gibt kaum eine Tradition, die heute stärker kritisiert, verachtet und bekämpft wird, als der Stierkampf. Die blutige Tötung eines Stieres mutet als archaisches Überbleibsel einer vergangenen Zeit an – gerade aus mitteleuropäischer Sicht. Der typische Stierkampf existiert so nur noch in Spanien, einigen ehemaligen Kolonien und im Süden Frankreichs. Doch auch in Spanien tobt ein moralischer Kampf um den „corrida de toros“. Vor einigen Jahren wurde in der Provinz Katalonien der Stierkampf gesetzlich verboten. Im Oktober 2016 kassierte diesen Beschluss das spanische Verfassungsgericht jedoch wieder. Nach mehrjähriger Abstinenz dürfen wieder Stierkämpfe veranstaltet werden.
Emotionale Tradition gegen rationale Postmoderne
Doch auch in anderen Gefilden kämpft die Tradition gegen die rationale Postmoderne .Kirchen, Glaube, Nation, Gefühl, Schönheit, Eros. Das sind alles Kategorien, die nicht gemessen und nicht gekauft werden können und rücken deshalb ins Hintertreffen. Die wenigsten Leute verstehen die Anhänger solcher Paradigmen, belächeln und hassen sie. Und wenn dabei noch Blut fließt, ein Tier, das größer als eine Mücke ist, sein Leben lässt, ist es mit der Toleranz schnell vorbei. Der Tierschutz wird auf den Plan gerufen und verstärkt das Unverständnis gegenüber einer Tradition mit ideologischer Aufladung.
Henry de Montherlant (1895-1972) verfasste 1926 den Roman Tiermenschen mit autobiographischen Zügen über die Erlebnisse des jungen adligen Albans, der aus dem wohlbehüteten, aber langweiligen Frankreich in die andalusische Welt der Stierkämpfe aufbricht, um … Ja, warum eigentlich? Die Motivation des jungen Helden ist so vielschichtig und unerklärlich, und doch zieht sie ihn mit stählernem Zwang in den Staub der Arena zu seinen geliebten Stieren. Nur wenige Autoren schaffen es, eine andere Zeit und eine fremde Welt so unglaublich nah und vollkommen plausibel erscheinen zu lassen, dass der Kampf gegen den „Bösen Engel“, einen tückischen und unberechenbaren Kampfstier, die logische Konsequenz für den unerfahrenen, aber ehrenhaften Alban bedeutet.
Nach der Anti-Stierkampf-Demo geht’s zu Burger King
Das gesamte Buch arbeitet auf diese mystische und religiöse Katharsis hin, die dem Leser die Bedeutung des Stierkampfes immer klarer hervortreten lässt, bis man sich wünscht auch an diesen Spektakeln teilzunehmen. Die greifbare Spannung des Finales des Buches ist von unvorstellbarer Brillanz. Man vermutet, dass der Autor Montherlant an den Corridas selbst teilgenommen haben muss, um diese Fülle von Emotionen und Gedanken zu schreiben und dem Leser plausibel erscheinen zu lassen. Auch auf die Vorbehalte vieler Stierkampfgegner geht Montherlant in seinem Buch ein und lässt seinen Helden vieles erklären. Zwar kann er einem Außenstehenden nicht den „Sinn“ der Corridas erklären, da man diesen fühlen müsse, doch ist die Kritik vieler Gegner heuchlerisch, wie Alban ausführt:
„Welche Partei findet heute bei uns das Gemetzel der Stierkämpfe skandalös? Die gleiche, die mit allen Mitteln die eine Hälfte der Nation zum Gemetzel der anderen aufstachelt. […] Sie erhebt Protest gegen den Pferdemord in der Arena, aber sie würden nicht protestieren, wenn man in der Arena Andersdenkende vor die Hörner schicken würde.“
Auch das Leben eines Kampfstieres ist alles anders als schrecklich. Früher, wie auch heute, sind die meisten Kampfstiere schon einige Jahre alt, bevor sie in die Arena gebracht werden. In ihrem Leben vor dem Stierkampf bewegen sie sich frei über das spanische Land, da Zäune oder Ställe sie ihrer Fähigkeiten als gute Kampfstiere berauben würden. Ein derartiges Leben, mit einem anschließenden Kampf, sollte jeder Massentierhaltung vorzuziehen sein. Doch betrachten Kritiker und Aktivisten nur das blutige Finale und lassen nicht weiter mit sich reden. Meist sind es diejenigen, die nach der Stierkampf-Demo noch schnell bei Burger King vorbeischauen.
Urinstinkt und große Literatur
Zurück zu Albans Erlebnissen auf dem Weg zu seinem großen Kampf. Auch die Liebe zu Soledad, der Tochter des ebenfalls adligen Stierzüchters, gerät im Hinblick auf den spirituellen Zweikampf immer weiter ins Hintertreffen und sinkt in die Bedeutungslosigkeit. Sie, die Alban an seiner Ehre packte und ihn zwang gegen den „Bösen Engel“ zu kämpfen, wird im Zeichen Albans Bestimmung nicht einmal mehr bedacht, geschweige denn in das Ende des Buches einbezogen. Der junge Held hat mehr erlebt und gelernt, als sich weiterhin von dieser verzogenen Frau abhängig zu machen.
Dieser Urinstinkt, der Alban etwas Größeres, Spiritistisches erkennen lässt, ist Balsam auf die geschundene Leserseele, die in den letzten Jahren immer mehr von belangloserer Literatur geplagt wurde. Die zeitgenössischen Bücher à la Darm mit Charme, Feuchtgebiete oder dem restlichen Gewäsch drittklassiger Schreiber, die das 21. Jahrhundert nur noch durch Tabubrüche und feminisierte Lebensgeschichten entwürdigen, verlieren im Wettkampf mit Montherlants staubigen Stierabenteuer gänzlich an Wert.
Männlichkeitsideale und Gesellschaftskritik
Spannend ist ebenfalls das Gesellschaftsbild während der Auflösungserscheinungen des alten, snobistischen Adels, den Alban verachtet, da dieser nur aufgrund der gesellschaftlichen Bedeutung den Stierkämpfen beiwohnt. Generell kommen Adlige und die spanische „High-Society“ schlecht weg. Selbst sein ihn protegierender adliger Ziehvater, der ihm den Kampf vermittelt, wird gelegentlich von Alban verachtet. Montherlant sucht längst einen neuen Adel mit anderen Attributen, dessen Eigenschaften er teilweise im andalusischen Volk, aber generell im noch nicht verdorbenen Charakter der südländischen Menschen erkennt. Nur im Stierkampf können diese vergessenen Ideale noch hervortreten. Selbst der kleine Jesús, ein verarmter spanischer Junge, der als Helfer am entscheidenden Kampf teilnimmt, hat mehr „Rasse“ und Ehrgefühl, als die Loge der Blaublüter und die „Schattenseite“ der Arena zusammen. (Die schattigen Plätze in der Arena konnten sich nur die reicheren Bürger leisten.)
Man ist keineswegs befriedigt nach dem Ende dieses großartigen Buches. Stattdessen will man mehr erfahren über den Brauch des Stierkampfes, uralte Ideale und die Jahre vor dem ersten großen Krieg. So schafft es Henry de Montherlant mit seiner stimmungsvollen Erzählung, dass man sich wünscht Spanier zu sein, um den Stierkampf zu verstehen, und Franzose zu sein, um den Roman in seiner Originalsprache lesen zu können. Wo wir gerade beim Wünschen sind. Man wünscht sich ebenfalls auf ein derartiges Buch zu stoßen, das unserer Zeit entspringt. Bis es soweit ist, kann man ja in der Vergangenheit kramen.
Für die Jünger-Fans eine abschließende Anekdote: Beide Autoren, aufgrund ähnlichen Alters und geistiger Nähe, waren gute Bekannte. Montherlant, vom Leid gezeichnet und schwer an Krebs erkrankt, beendete sein Leben im Zeichen seiner eigenen, konsequenten Ideale. Er verhinderte den fortschreitenden körperlichen und geistigen Verfall, indem er sich am 21. September 1972 in seiner Wohnung in Paris in den Kopf schoss und gleichzeitig mit Zyankali vergiftete. Das Blut seines zerschossenen Gehirnes tropfte auf ein zuvor niedergeschriebenes Zitat Ernst Jüngers: „Le suicide fait partie du capitalde l‚humanite“ (Der Selbstmord ist Teil des Kapitals der Menschheit.)
Henry de Montherlant: Tiermenschen. Zuletzt erschienen 1998 im Steidl-Verlag. Erstmals auf Deutsch 1929 im Insel-Verlag. Auf Amazon ab 0,01 Euro erhältlich!