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lundi, 27 janvier 2014

Le travail contre la finance apatride

Le travail contre la finance apatride

par Charles de Meyer

Ex: http://fortune.fdesouche.com

 

 

 

 

 

 

 

Dans un silence médiatique digne des plus grandes heures de l’autocensure politique, deux nouvelles impliquant les argentiers cosmopolites passés maîtres des décisions économiques mondiales ont été révélées cette semaine. La première concerne l’assouplissement des règles dites de Bâle III qui visaient à une meilleure réglementation des couvertures de risques par les grandes banques cosmopolites, la seconde mettait en cause les traders de la Deutsche Bank accusés d’avoir manipulé certains cours à Wall Street.

Ce  retour d’une finance cannibale alors que la commission européenne a du se résoudre à infliger 1,7 milliards d’euros d’amende aux grands groupes ayant manipulés les cours entre l’euro et le yen montre combien les argentiers de l’oligarchie sont devenus la clef de voute des systèmes de domination internationaux qui régissent les lois de production de l’élite et les contraintes assignées aux Peuples réduits à l’Etat de multitude afin d’empêcher toute reprise en main des détenteurs de la légitimité politique.

Dans une société liquéfiée par la dictature des rapports marchands érigés en modèle de l’organisation sociale restaurer ce pouvoir sur ses propres choix implique de trouver un médiat d’expression de sa résistance: le travail en tant que lieu mais aussi en tant qu’investissement de soi dans les limites de sa Nature peut devenir un ressort de l’opposition à la dégradation oligarchique du pouvoir.

La société marchandisée.

« Superficialité, incohérence, stérilité des idées et versatilité des attitudes sont donc, à l’évidence, les traits caractéristiques des directions politiques occidentales. Mais comment expliquer leur généralisation et leur persistance? » Cornelius Castoriadis in La crise des sociétés occidentales.

Quelques sachants  ont voulu nous présenter les vœux du pleutre de Tulle comme étant un virage impressionnant en faveur du social-libéralisme. Triste aveux des ignares qui avaient cru qu’Hollande et son régime s’attacheraient à combattre les forces de la finance dérégulée alors même que les socialistes français font parti de la clique ayant le plus œuvré pour la déconstruction des frontières et l’ensauvagement du capitalisme. De Pierre Bérégovoy à Pierre Moscovici, tous sont allés, dans le secret des cercles et des machins internationaux, dans le sens d’une dérégulation dont nous continuons de goûter les fruits pourris tombés  avec les tremblements de la crise financière en 2007.

Une excellente définition de la dérégulation est disponible dans le dictionnaire de Novlangue de la fondation Polémia: « dérégulation: mot marqueur désormais connoté positivement au sein de l’Union Européenne et destiné à traduire le fait que le domaine du marché ne cesse de s’étendre aux dépens de la souveraineté politique. »

Un pouvoir oligarchique tel que celui qui règne actuellement en France et dans force pays occidentaux doit suivre, tout en essayant de les contrôler, les évolutions des structures économiques, sociales ou démographiques et donc renouveler le personnel qui fait sa composition. Depuis les années 80 notre élite a l’adoration uniforme de quelques veaux ornementés comme le relativisme morale, le mondialisme, la haine des pouvoirs légitimes et la dictature de la mobilité opaque des capitaux. C’est en saisissant ce creuset idéologique commun, cet élément fédérateur des élites occidentales qu’on peut désigner la racine du mal emprisonnant les dispositifs politiques selon leurs strates nationales ou supranationales. Antonio Négri dans Traversées de l’Empire de résumer idéalement l’influence de ces déterminations sur les méthodes de l’oligarchie :  «  l’Empire est la seule forme à travers laquelle le capital et son régime néolibéral peuvent conserver et garantir leur ordre mondial. »

Néolibéral voilà un mot qui ennuie, qui dérange. Parmi les résistants, certains y voient une simplification grossière, une attaque contre le prisme d’engagement centré sur les libertés fondamentales. C’est préférer taire les torts d’un système hostile aux souverainetés et finalement aux libertés concrètes plutôt que d’engager parfois son modèle de pensée.

Il est maintenant indéniable que l’abandon des décisions aux forces du marché, que l’intérêt atomique comme aune de la décision rationnelle, que la réduction de l’Etat à une peau de chagrin ou encore que la compétition comme maîtresse de l’organisation n’ont fait que violer les consciences des individus et ont entaché les forces des Nations qui protégeaient et incarnaient le pays réel.

L’accord de libre échange entre l’Union Européenne et le Canada, celui en préparation avec les Etats-Unis, les règles ultra contraignantes d’une Organisation Mondiale du Commerce aux ordres des intérêt américains sont autant de rupture avec l’assentiment du pays réel, qui est l’unique garant de l’expression de la souveraineté populaire. Le philosophe Henri Hude de nous dire dans Ethique et politique :

On dit que les nations européennes ont besoin d’adapter leurs institutions politiques aux exigences de l’économie de  marchés. En réalité, elles ont besoin de démocratiser l’économie de marché aujourd’hui oligarchique, qui se traduit par la croissance continuelle du chômage, l’exagération des flux migratoires et la destruction de l’environnement. Car ces trois problèmes sont solidaires. Elles n’ont absolument pas à aligner leurs institutions politiques sur le fonctionnement de l’économie de marché oligarchique, ou alors autant dire qu’il faut supprimer les démocraties. Et on les supprime si on asservit les nations.

Le travail comme joug ou comme enrichissement collectif.

J’applaudis François lorsqu’il dit que les « lamentations qui dénoncent un monde barbare » sont contre-productives. Leur défaut est qu’elles nous font nous plaindre de ce qui nous arrive, nous obsédant sur nos bobos et nous détournant de l’aide à apporter aux autres. Mais ne confondons pas le pleurnichage nostalgique sur un passé idéalisé avec le cri d’alarme qui met en garde notre prochain lorsqu’il s’interdit d’avoir un avenir.

Le danger de l’Eglise est ce que les juristes appellent « non-assistance à personne en danger », la victime pouvant être une société, une civilisation, voire le genre humain. A tort ou à raison, on a reproché à Pie XII de s’être tu. Il se pourrait que l’Eglise soit aujourd’hui à peu près la seule à dénoncer des périls moins bruyants, mais qui pourraient être aussi graves à longue échéance. Rémi Brague, article dans le journal Le Monde le 27 septembre 2013

Les défenseurs de la Vie et de la dignité humaine demeurent cependant souvent penauds dans leurs propositions alternatives aux cadres conceptuels et politiques du néolibéralisme. Les uns confondent la victoire d’une oligarchie avec la liberté coordonné de l’ancien régime, niant dès lors les vertus remarquables des corporations, les autres restant abasourdis, fatalistes devant une sorte de sens de l’histoire contre lequel ils ne pourraient  combattre. Ne limitons pas le discours aux anathèmes contre les lâches, les rendus mais tentons de proposer une possibilité à chacun d’entre nous de combattre la logique de l’intérêt oligarchique-si bien résumée par Milton Friedman lorsqu’il affirmait que le seul rôle d’une entreprise était de « faire des profits »- dans son rapport quotidien au travail. Nous pourrions partir encore d’une intéressante définition proposée par le dictionnaire de Novlangue : « ressource humaine : mot marqueur: révélateur de l’estime portée à la personne humaine par la société marchande. » Or l’oligarchie n’a pas inventé la société marchandisée, au contraire, elle rejoue sans cesse l’échec du capitalisme sauvage du XIX ème siècle qui enfanta des guerres fratricides européennes, c’est Polanyi qui nous apprend dans la Grande Transformation combien la marchandisation de l’homme est son processus inéluctable et ne peut aboutir qu’à l’avilissement des organisations sociales.

Benoît XVI de préciser dans une exhortation d’avril 2011 combien la dignité du travailleur était le gage d’une société vertueuse:

Chers amis, le travail aide à être plus proches de Dieu et des autres. Jésus lui-même a été un travailleur, il a même passé une grande partie de sa vie terrestre à Nazareth, dans l’atelier de Joseph. L’évangéliste Matthieu rappelle que les gens parlaient de Jésus comme du « fils du charpentier » (Mt 13, 55) et à Terni, Jean-Paul II parla de l’ »Evangile du travail », en affirmant qu’il était « écrit surtout par le fait que le Fils de Dieu… en se faisant homme, a travaillé de ses mains. Plus encore, son travail, qui a été vraiment un travail physique, a occupé la plus grande part de sa vie sur cette terre, et il est ainsi entré dans l’œuvre de la rédemption de l’homme et du monde » (Discours aux ouvriers, Terni 19 mars 1981; cf. ibid.). Cela nous parle déjà de la dignité du travail, et même de la dignité spécifique du travail humain qui s’inscrit dans le mystère même de la rédemption. Il est important de le comprendre dans cette perspective chrétienne. Souvent, au contraire, il est considéré uniquement comme un instrument de profit, ou même, dans diverses situations dans le monde, comme moyen d’exploitation et donc d’offense à la dignité même de la personne. Je voudrais également évoquer le problème du travail le dimanche. Malheureusement, dans nos sociétés, le rythme de la consommation risque de nous priver également du sens de la fête et du dimanche comme jour du Seigneur et de la communauté.

Le travail n’est pas la source de réalisation de soi comme voulût l’expliquer Hegel au XIX ème siècle et nous ne sentons que trop bien que l’organisation des fallacieuses idylles entre les salariés et leurs entreprises, voire désormais de l’optimisation de leurs parcours afin d’être « entrepreneurs d’eux-mêmes », n’aboutissent qu’à une société du compromis relativiste qui finit toujours par faire de la jouissance-monétaire ou physique, voire monétaire et physique- l’horizon du corps social.

L’Homme n’a donc jamais à chercher sa dignité dans le travail, sa dignité précède l’emploi de ses forces.

En effet, si elle ne la précède pas, comment concevoir que nous ne devenions pas les partisans d’une Cité égoïste, oublieuse de ceux dont la Nature ou les dons ne correspondent pas aux exigences requis par des organisation humaines, qui plus est souvent dirigées contre la dignité humaine. N’est ce pas une traitrise de la droite de l’Argent que d’abandonner aussi la flamme résidant en chacun à la dictature d’un système et de marchés déifiés en condamnant une prétendue facilité par l’assistanat ou la fainéantise sans chercher à organiser l’étendu du monde à hauteur humaine.

Le travail est pour nombre de nos lecteurs le lieu des rencontres, du don de son excellence, de l’expression d’une part de son devoir d’Etat. Il doit donc être la zone privilégiée de notre confrontation réelle, prégnante avec les inspirations qui président au régime oligarchique que nous honnissons : structures de péché, mondialisation de l’indifférence, abandon des libertés de conscience, dictature de l’Argent. Cette attention aux autres et à la projection de soi effectuée dans son emploi en se fondant sur des principes dignes est un levier politique d’une force primordiale. Elle permet alors à l’honnête homme, hostile au poison partisan, d’être politique dans ses choix et dans ses réflexion, le travailleur peut et doit être politique d’abord pour combattre l’oligarchie! Et Maurras, toujours lui, de nous donner la voie dans Plus que jamais…Politique d’abord!

Je conclus :

Toutes les études sociales du monde ! Toutes les études corporatives ! Et tant  qu’on voudra ! Et encore ! Et toujours ! Elles peuvent prendre, chemin faisant, d’utiles services. Mais ce sont des études. Que l’étude soit sociale ! Mais l’action doit être politique, et j’oserais dire, maintenant, non plus politique d’abord, mais politique uniquement.

Que l’on ne voie pas cela aujourd’hui, c’est à crier de douleur ! Surtout que l’on ne sente pas que tous les souffles policiers du régime tendent à nous précipiter dans une fausse direction, il faut être un orateur à tête légère, et encore plus légère que celle de la plupart des orateurs « sociaux » pour faire honnêtement la besogne de Z.

Nouvel Arbitre

mercredi, 22 janvier 2014

Hans-Jürgen Krahl, prophète de la révolte étudiante

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Werner Olles:

Hans-Jürgen Krahl, prophète de la révolte étudiante

Dans la nuit du 14 au 15 février 1970, une voiture dérape sur le verglas qui recouvre la route fédérale 252 dans la localité de Wrexen, dans le Nord de la Hesse, dans le Cercle de Waldeck; la voiture s’était engagée dans une courbe puis est entrée en collision frontale avec un camion arrivant dans le sens inverse. L’étudiant Hans-Jürgen Krahl, 27 ans, qui se trouvait à la “place du mort”, est tué sur le coup; le conducteur, Franz-Josef Bevermeier, 25 ans, meurt peu de temps après son arrivée à l’hôpital. Les trois autres occupants, dont Claudia Moneta, la fille du haut responsable d’IG-Metall, Jakob Moneta, sont grièvement blessés.

La mort de Hans-Jürgen Krahl n’a permis “aucune mystification a posteriori”, comme l’ont déclaré Detlev Claussen, Bernd Leineweber et Oskar Negt lors des obsèques du “camarade H.-J. Krahl”. En effet, ils ont écrit: “[Cette mort] atteste d’un fait brutal et misérable, celui d’un accident de la circulation, un événement contingent de la vie quotidienne, que l’on ne peut que difficilement forcer à entrer en rapport avec les faits sociaux”.

Certes, deux anciens présidents du SDS (l’association des étudiants de gauche et d’extrême-gauche), Karl Dietrich et Frank Wolff, s’étaient immédiatement rendus, la nuit même, sur les lieux de l’accident et s’étaient aussi rendus au chevet des blessés, mais une assemblée des membres, convoquée à la hâte, décide de se conformer “aux habitudes et aux valeurs bourgeoises” et de ne pas prononcer un éloge funèbre de type militant. Dans les colonnes du “Frankfurter Rundschau”, Wolfgang Schütte n’a toutefois pas pu s’empêcher de comparer Krahl à Robespierre et de glorifier “la terrible conséquence de ses visions théoriques, qu’il a pensées jusqu’au bout, sans compromis aucun”, ainsi que “ses énormes facultés d’agitateur”, et de dire de lui “qu’à côté de Rudi Dutschke, il fut une des figures dominantes du SDS”.

Krahl n’a jamais pu égaler la popularité de Dutschke

krahl.jpgLes hommages rendus à Krahl témoignent donc de cette absence de tact et de goût qui caractérise le “gourouïsme” du camp de la gauche libertaire, un “gourouïsme” que Krahl avait toujours combattu. Toutefois, ils reflétent une once de vérité et attestent encore du respect que suscitait l’itinéraire de Krahl chez ses camarades d’alors qui, pourtant, par la suite, n’auront ni son courage ni sa probité et n’ont jamais pu suivre ses traces, ni sur le plan intellectuel ni sur le plan politique. Après son enterrement au cimetière de Rickling, un centaine de militants du SDS, venus de toute l’Allemagne fédérale et de Berlin-Ouest, se réunissent dans les locaux de la “Techniche Universität” de Hanovre et décident, de manière certes informelle, de dissoudre leur association étudiante. Et, de fait, juste un mois plus tard, cette dissolution sera prononcée officiellement à Francfort-sur-le-Main.

Hans-Jürgen Krahl, né en 1943 à Sarstedt près de Hanovre, termine ses études secondaires et passe son “Abitur” en 1963. Il part étudier d’abord à Göttingen, la philosophie, l’histoire, la philologie germanique et les mathématiques. Deux ans plus tard, il quitte Göttingen pour Francfort, ce qui constitue une décision éminemment politique. Il passe d’abord par le “Ludendorff-Bund” puis par le “Parti Allemand Guelfe” et, finalement, par une Burschenschaft (Corporation) traditionnelle qui pratiquait la “Mensur” (les duels à l’épée). Dans le cadre de cette Burschenschaft, il écoute un jour la conférence d’un “Vieux Monsieur” (un ancien membre) qui, tout en dégustant avidement un gigot d’agneau, lui parle de l’infatigable esprit combattant de la classe ouvrière. Enfin, Krahl adhère, non pas à un parti de gauche, mais à la “Junge Union” (la jeunesse des partis démocrates-chrétiens): plus tard, il décrira cette étape de son existence comme un pas en direction d’une “bourgeoisie éclairée”.

Sa décision de s’installer à Francfort était surtout une décision d’aller écouter les leçons d’Adorno, qui deviendra le promoteur de sa thèse de doctorat. Il est fort probable que Krahl aurait entamé une brillante carrière académique car il était un étudiant très doué d’Adorno mais son adhésion en 1964 au SDS puis sa disparition précoce ont empêché cet avancement.

Il s’était rapidement imposé au milieu de la gauche radicale de Francfort parce qu’il philosophait en s’appuyant sur Kant et Hegel, parce qu’il tenait des discours si parfaits qu’on pouvait les imprimer aussitôt prononcés et parce qu’il avait colporté une légende biographique où il avait fait croire à ses camarades médusés qu’il descendait d’une ancienne famille noble de Prusse et qu’il était un descendant de Novalis, le Baron de Hardenberg. Dans le cadre du SDS de Francfort qui, au départ, était une sorte de “Männerbund”, d’association exclusivement masculine, Krahl a trouvé un public, augmenté de nouvelles recrues, qui estimaient, comme lui, que la “théorie critique” ne devait pas seulement se concevoir comme un projet purement académique mais devait chercher à se donner une utilité pratique et politique.

Dans la phase anti-autoritaire du mouvement étudiant entre 1967 et 1969, Hans-Jürgen Krahl est vite devenu une des têtes pensantes les plus en vue du SDS, qui n’a cependant pas eu les effets de masse que provoquait Rudi Dutschke, en énonçant ses thèses vigoureuses et pointues qu’il assénait comme autant de coups de cravache à ses auditeurs. Krahl était alors un intellectuel qui paraissait un peu ridicule et emprunté: en 1967, lors d’un “Teach-in” spontané pour protester contre la mort de Benno Ohnesorg, abattu par la police, il avait radoté un discours “hégélisant” quasi incompréhensible, truffé de concepts sociologiques des plus compliqués, tant et si bien que les étudiants avaient quitté l’auditorium. Après ce début malheureux, Krahl allait toutefois devenir le “théoricien de la praxis émancipatrice” (selon Detlev Claussen) qui poursuivait un but élevé, celui de transformer la “nouvelle gauche” en un mouvement d’émancipation sociale, qui se serait clairement distingué, d’une part, du réformisme social-démocrate et, d’autre part, du socialisme étatique et autoritaire de facture marxiste-soviétique et de l’idée léniniste d’un “parti de cadres”.

Cinq semaines après la mort de Krahl, le SDS se dissout

En ébauchant ce projet d’une “nouvelle gauche” alternative, Krahl devait immanquablement s’opposer à ses professeurs de l’université. Tandis que Max Horkheimer posait dès 1967 la thèse “qu’être un radical aujourd’hui, c’est en fait être un conservateur” et “que le système pénitentiaire de l’Est était bien pire que la falsification, finalement assez grossière, que constituait l’ordre démocratique de l’Occident”. Adorno, quant à lui, avait été profondément choqué lorsqu’un groupe de radicaux, parmi lesquels Krahl, avait occupé symboliquement le fameux “Institut für Sozialforschung” (berceau de la fameuse “Ecole de Francfort”). Adorno, à son grand dam, avait dû appeler la police! Carlo Schmid, qui donnait un cours intitulé “Thérorie et pratique de la politique extérieure”, avait été chahuté par un “Go-in” du SDS dont les militants l’avaient apostrophé en le traitant de “Ministre de l’état d’urgence” (“Notstandminister”) et en voulant le contraindre à discuter de la législation allemande sur l’état d’urgence et de la guerre du Vietnam. Carlo Schmid, contrairement à la plupart de ses collègues, pensait que la RFA ne devait pas hésiter à prendre des mesures d’urgence si elle voulait conserver une réelle autorité sur ces citoyens. Schmid, lors du chahut, n’a pas capitulé, il a résisté physiquement et a poursuivi son cours parce que, a-t-il dit par la suite, il ne voulait pas être co-responsable du “déclin de l’autorité étatique”: “L’autorité ne recule pas...”.

Plus tard, Adorno a défendu Krahl dans une lettre à Günter Grass: dès que Krahl en eut terminé avec ses attaques contre Adorno, il lui avait fait savoir, que cette animosité n’était en rien personnelle mais uniquement politique. Krahl a pris prétexte de la mort soudaine d’Adorno en août 1969, au moment où les actions du mouvement étudiant atteignaient leur point culminant, pour articuler les contradictions qu’il percevait dans la “théorie critique” d’Adorno et pour formuler et concrétiser ses propres positions, celles, disait-il, d’une “troisième génération de la théorie critique” (Detlev Claussen). Krahl lançait aussi un avertissement au mouvement étudiant, qui se disloquait en diverses factions, de ne pas troquer la praxis du refus individuel, propre à la phase anti-autoritaire, et l’hédonisme des nouvelles sous-cultures pour une morale organisationnelle rigide et pour le principe léniniste de discipline.

Krahl lui-même était à la recherche d’une nouvelle forme d’organisation, où serait apparue l’identité d’intérêt entre les intellectuels et la classe ouvrière. Cette quête intellectuelle a donc pris fin en février 1970 par la mort accidentelle de Krahl. Celui-ci n’a pas survécu très longtemps “au court été de l’anarchie”, pour reprendre le titre d’un roman de Hans Magnus Enzensberger.

L’heure des “desperados” et des “psycho-rigides”

krahl-sds.gifAvec Krahl meurt aussi l’esprit de 1968. Le 21 mars 1970, très exactement cinq semaines après la mort de Krahl, 400 membres du SDS se réunirent à la Maison des Etudiants de l’Université de Francfort pour tenir une réunion informelle et pour décréter la dissolution par acclamation du Bureau fédéral et, par voie de conséquence, de l’association elle-même. Udo Knapp, membre du Bureau, déclare alors que le SDS “n’a plus rien à apporter pour fixer le rapport entre les actions de masse et l’organisation du combat politique”. C’était évidemment la pure vérité. Après avoir longuement discuté de la question de l’héritage du SDS, l’assemblée s’est finalement déclarée incompétente pour statuer à ce sujet, car elle n’était pas une conférence de délégués en bonne et due forme: cette indécision marque la triste fin du SDS, devenu un boulet pour ses propres membres.

C’est alors qu’a sonné l’heure des “desperados” regroupés autour d’Andreas Baader et Ulrike Meinhof, qui inaugurent l’ère sanglante du terrorisme de la RAF. C’est aussi l’avènement en RFA des divers regroupements partisans dits “marxistes-léninistes”, totalement staliniens dans leurs modes de fonctionnement et de raisonnement, autour de personnalités telles Schmierer, Horlemann, Semler, Aust et Katarski, qui sortaient de l’ombre en rasant les murs comme des “lémuriens” et dont les joutes idéologiques stériles, sans bases conceptuelles solides, cherchaient à ancrer des positions politiques dépassées: Krahl n’avait eu de cesse d’avertir les mileux de la gauche radicale que tout cela constituait des voies de garage. En effet, les gauches radicales allemandes ont abandonné les débats reposant sur des arguments solides, n’ont plus posé intelligemment le problème de la violence; elles se sont perdues dans des poses et des esthétismes, où l’on vantait sa puissance imaginaire, ou dans la délation vulgaire et atrabilaire ou, dans les meilleurs cas, dans la recension critique d’ouvrages idéologiques. Tout cela a bien vite échoué au dépotoir des gauches allemandes, dont l’histoire est si riche en déceptions. Mais cet échec ne doit pas nous satisfaire. Au contraire.

Une définition claire de l’aliénation

En nous souvenant du révolutionaire Hans-Jürgen Krahl, un homme qui se mouvait avec la même aisance dans les méandres de la logique du capitalisme et parmi les images et les idées des romantiques allemands, il nous faut aussi nous rappeler d’une de ses positions, formulée de manière programmatique, lorsqu’il se présenta lui-même lors du procès “Senghor” devant le tribunal du Land de Hesse à Francfort: “Il ne s’agit pas seulement de faire le simple deuil de l’individu bourgeois, mais de faire l’expérience, par le truchement de l’intellect, de ce qu’est l’exploitation dans cette société, laquelle consiste à détruire totalement et radicalement le développement du besoin au niveau de la conscience humaine. Car force est de constater que les masses sont enchaînées, même si leurs besoins matériels sont satisfaits; en fait, la satisfaction de leurs besoins élémentaires reste lettre morte, car elles ont peur que le capital et l’Etat ne leur ôtent les garanties de cette sécurité [matérielle]”.

Depuis la fin des années 20, lorsque Martin Heidegger sortait son ouvrage-clef “Sein und Zeit” (“L’Etre et le temps”) et Georg Lukacs éditait “Geschichte und Klassenbewusstsein” (“Histoire et conscience de classe”), personne d’autre que Krahl n’avait donné une définition plus intelligente et plus décisive de l’oppression dans les sociétés de masse, qu’elles soient déterminées par le capitalisme privé ou par le capitalisme d’Etat, à l’Ouest comme à l’Est à l’ère du duopole de Yalta.

Werner Olles.

(article paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, 11 février 2000, n°7/2000; http://www.jungefreiheit.de ).

dimanche, 19 janvier 2014

Le défi de la connaissance compétitive

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Le défi de la connaissance compétitive

Ex: http://www.infoguerre.fr

Notre vie sociétale consacre-t-elle véritablement cette intime foi dans la recherche permanente de connaissances qui ne saurait être un simple individualisme mais devrait être considéré comme un actif intellectuel inscrit au service de l’intérêt général de toute nation européenne, même si ce dernier est aujourd’hui tributaire des soubresauts financiers d’une économie mondialisée.
En regard de ce monde où compte davantage l’intérêt du rendement productif et des plus-values spéculatives, l’économie de la connaissance ne demeure-t-elle pas, au même titre que la valeur du travail, une garantie tout autant de développement humain que de puissance économique.

Aussi, dans une Europe des nations en proie à la crise du « sauve qui peut », engendrée par le sauvetage des banques et des institutions financières depuis 2008, l’urgence politique est bel et bien aujourd’hui la remise « en ordre de bataille » de toutes les synergies de la connaissance (stratégie de Lisbonne) pour assurer la pérennité d’une prospérité individuelle au sein d’une économie européenne transnationale.
Cette exigence politique doit conduire les pays européens à s’inscrire non pas dans une conception de toute puissance publique avec une approche dogmatique d’excellence pour ses seules institutions administratives, d’enseignement supérieur et de recherche mais davantage dans une logique de soutien en simple autorité facilitatrice, ambassadrice de l’offre de services et de coopération ouverte dans les domaines de la Connaissance et de la Recherche, qui sont irrémédiablement enclin à construire les axes stratégiques de développement économique de demain.

S’agissant tout particulièrement de la France, elle devrait d’abord déconstruire cette implacable logique d’excellence parisienne qui favorise l’inexorable désolidarisation territoriale dans la valorisation des savoirs au détriment de l’intérêt national et en se faisant, de s’assurer également de l’impérieuse nécessité de la mise en œuvre d’un véritable multiculturalisme de la connaissance (interdisciplinarité et pluridisciplinarité) dans le choix de construction des pôles régionaux de compétitivité économique et d’enseignement supérieur. Pour cela, il est nécessaire de rompre avec cette culture technocratique qui, fondée sur la toute puissance administrative, le corporatisme (dévoiement élitiste) et le culte du diplôme, des titres et des décorations, consacre pour chaque création de poste d’emploi dans le secteur public, la destruction directe de deux emplois dans le secteur privé. Ce qui constitue d’ores et déjà une réelle problématique économique à ce même niveau régional de gouvernance territoriale puisque l’ensemble des effectifs publics de nos collectivités locales a augmenté de près de 175 % sur les 10 dernières années.

En définitive, cette crise économique qui a traversée tout le continent européen nous a très vite rappelé que la Recherche et l’Innovation, dans un élan de tertiairisation des économies nationales, étaient les principaux moteurs de la croissance économique nécessaire au rétablissement de la compétitivité européenne (des nations) et au rééquilibrage des rapports de force entre les puissances économiques. A titre comparatif, les Etats-Unis d’Amérique, première puissance économique mondiale, reste une source de référence en la matière. Outre la stratégie de « coopétition », les actions de Recherche et d’Innovation sont concentrées sur seulement 3% des quelques 4 400 établissements américains de l’enseignement supérieur. Le fonctionnement du secteur de l’économie de la connaissance s’appuie d’une part, sur une émulation concurrentielle (comprenant une politique assumée de recrutement international, « Brain drain ») et d’autre part, sur un mode de financement majoritairement à caractère privé (donations, frais d’inscription, entreprises). Ce dernier oriente les développements en matière de Recherche et d’Innovation compétitives. Dans ce contexte, culturellement entretenu, le bienveillant Etat fédéral étatsunien joue un rôle proactif d’accompagnement et d’appui à la réussite des débouchés commerciaux comme à celle de la veille et de l’influence socioculturelles et économiques, sans devoir jamais exclure toute réussite du « self made man ».

Ainsi, nos freins socioculturels(1) nationaux, sous l’influence lobbyiste et des castes, au sein d’une Europe économique transnationale, permettent-ils encore de croire tout autant à la réussite individuelle qu’à la prospérité de la France et de toute la zone continentale, sans d’ailleurs s’enfermer dans une éternelle logique de prérogatives administratives publiques, de désintérêt entrepreneurial et de restrictions réglementaires dans le périmètre de l’économie de la connaissance (capital immatériel), recouvrant les champs à forte valeur ajoutée que sont la Recherche et l’Innovation. Cette forte valeur ajoutée elle-même assise sur une politique de veille (créative) et de gestion tant des connaissances que des relations interculturelles.

*****

Extrait de la publication « Le socioculturel à l’épreuve des TIC : les éléments d’un alignement avec la stratégie d’entreprise » de Mounim BELALIA, Doctorant Chercheur au CREPA, Université Paris Dauphine.

1. La culture nationale :
Dans l’étude de (Hofstede, 1991), l’auteur se base sur la comparaison de 64 filiales de la firme IBM et identifie quatre facteurs qui expriment 49% de la variance des données et représentent la dimension nationale de la culture :

  • La distance hiérarchique qui signifie le degré des inégalités sociales, y compris les relations avec les autorités ;
  • Le degré d’individualisme, versus collectivisme, qui caractérise les sociétés dans lesquelles les liens entre les personnes sont lâches ;
  • Le degré de masculinité qui fait appel à des valeurs communément associées dans les pays à l’homme comme la performance, le succès et la compétition. Cela s’oppose à la féminité qui regroupe des valeurs comme les relations personnelles, le service, le soin apporté aux faibles et la solidarité ;
  • Le contrôle de l’incertitude qui réfère au degré de préférence des situations structurées par rapport aux non structurées.
  • Dans une étude ultérieure, l’auteur fait appel à une analyse du comportement des étudiants dans 23 pays et ajoute un cinquième facteur : l’orientation sur le long terme qui décrit la vision centrée sur le futur tandis que l’orientation court terme porte sur le passé et le présent (exemple du respect des traditions et obligations sociales).

2. La culture du groupe d’appartenance :
Dans ce niveau de culture, l’auteur identifie des facteurs liés à l’appartenance régionale, ethnique, religieuse ou linguistique qu’il considère à l’origine de différences à l’intérieur d’un même pays. Il donne l’exemple des Etats-Unis dont la société est composée d’immigrants et fournit à la fois des variétés d’assimilation et de conservation d’une identité de groupe.
Il est donc à retenir trois facteurs relatifs à ce niveau de culture :
a. La culture régionale ;
b. La culture ethnique et religieuse ;
c. La langue.

3. La culture d’entreprise :
L’étude de (Hofstede, Neuijen, Ohavy et Sander, 1990) analyse les comportements quotidiens des employés issus de 10 organisations différentes dont 5 au Danemark et 5 aux Pays-Bas. Les résultats des statistiques établies par les auteurs révèlent six dimensions de la variance inter- organisationnelle : 

  • L’orientation processus tournée vers les procédures et méthodes, ce qui est le cas des organisations mécanistes et bureaucratiques. A l’opposé de cette vision, on trouve l’orientation résultat tournée vers les objectifs organisationnels et stratégiques et ayant pour modèle l’organisation organique et innovante ;
  • L’orientation emploi qui prend en considération le bien-être des salariés, versus job qui s’intéresse plutôt à l’efficacité du travail et dépend des compétences individuels ;
  • L’ouverture du système qui renvoie à la fluidité de l’information et la facilité de la communication entre les salariés dans les niveaux hiérarchiques de l’entreprise ;
  • Le degré de contrôle dans l’organisation qui signifie le degré de tolérance de cette dernière vis-à-vis des préférences individuelles (Cabrera et all., 2001) ;
  • La dimension professionnelle de l’organisation qui signifie que les employés s’identifient à leur profession et métier plutôt qu’à leur entreprise ;
  • La conformité aux exigences institutionnelles qui renvoie à la propension de l’organisation à adhérer au « politiquement correct », et qui constitue l’antithèse du pragmatisme visant à répondre d’abord aux contraintes du marché et besoins des clients.

Note

(1) Le « socioculturel » se définit selon une grille d’analyse qui se décompose en trois niveaux : la culture nationale, la culture du groupe d’appartenance et la culture organisationnelle.

samedi, 18 janvier 2014

La Puissance : Histoire, Etats et souveraineté

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La Puissance : Histoire, Etats et souveraineté

par Raphaël Chauvancy
 
Ex: http://www.infoguerre.fr

Dans le domaine de la pensée, un des actes fondateurs de l’Occident est la rédaction de la Guerre du Péloponnèse. Laissant les dieux à leurs amourettes de nymphes entre les lauriers roses, Thucydide analyse les actes, les évènements, les rapports de forces. Il étudie les impératifs d’un Etat continental, les atouts d’une cité maritime. Il décrypte la volonté ou la démesure des hommes et s’incline devant l’imprévu. Il invente l’histoire. Or, celle-ci n’est qu’un nom de muse pour désigner le choc des puissances projeté dans le temps. La puissance n’a pas bonne presse en Europe. Elle évoque au mieux une époque révolue, au pire le souvenir des Grandes Guerres avec leur cortège de massacres, de misère et de destructions. C’est une erreur et nous voulons le démontrer. Une réflexion sur l’histoire s’impose en préalable, nous l’avons vu. Mais qui sont les acteurs de la puissance ? Les Etats-nations sont-ils encore des référents valables à l’heure de la globalisation ? Voilà qui pose la question de la souveraineté. Pour un pays comme la France, une stratégie de puissance autonome est-elle souhaitable ou même viable dans un monde de réseaux ? Surtout, l’impasse ne peut être faite sur la question de la légitimité qui conditionne toute action dans les sociétés démocratiques contemporaines. Nous tâcherons alors de définir la puissance avant d’en dégager les domaines d’application privilégiés. Quelles sont les conditions de la puissance et, enfin, comment un Etat peut-il accroître sa puissance ?

Puissance et Histoire

Puissance et arbitraire
Le prince disait « je veux ». Il était obéi. En fonction de ses intérêts, des opportunités ou de son caractère, il libérait ses énergies dans telle ou telle direction. Le fait du prince, c’est la force à l’état sauvage. Elle n’élevait de constructions politiques que de sable. Ainsi, à la mort de Clovis son œuvre disparut-elle dans d’interminables guerres successorales.
Certaines construction politiques solidement enracinées dans une terre donnée, appuyée sur un peuple ayant une vague conscience de lui-même étaient appelées à durer. Le passage d’une domination patrimoniale au sentiment d’un destin commun préparait l’avènement des nations. Un frémissement connu en est la bataille de Bouvines où milices bourgeoises et chevaliers combattirent l’étranger aux côté de leur souverain.


Lorsque Louis XIV agonisant déclare « je m’en vais mais l’Etat demeure » (Bluche) il annonce le temps où la Nation devient autonome, irréductible à la volonté du souverain, mais doit suivre ses intérêts propres dans un contexte stratégique et de valeurs particulier. (Drevillon) Cette mutation est globalement achevée sous Louis XVI où le discours stratégique français s’élabore sur la base de la liberté de circulation, sur les droits des nations, sur, enfin, un véritable ordre international fondé sur l’équilibre des forces et la concurrence économique (Poussou). La guerre même contre l’Angleterre ne se veut pas totale, elle n’est qu’un rééquilibrage. La dialectique de la liberté des mers permet de mobiliser les flottes européennes contre la Navy au nom du droit des gens. Les jeux de puissances interdisent l’idée liberticide d’empire.

La puissance comme bien commun
Après la Révolution et tout au long des deux siècles suivants, l’idée de droit des gens étendue aux relations internationales va déboucher sur celle de guerre juste. La conflictualité doit se justifier et les nations refusent de verser leur or et leur sang pour une cause qui n’en vaille pas la peine.
La politique de puissance des nations est dès lors subordonnée au bien commun, ou du moins à sa représentation collective. La nation exige des comptes. La politique de puissance d’un Etat de droit n’est ainsi que l’expression de la prise en main de son destin. « La liberté implique de se risquer au déploiement de la puissance. » (Forget).

L’histoire a-t-elle un sens ?
Le drame de la pensée européenne contemporaine vient de sa passion des modélisations qui parfois la distrait du réel. Depuis qu’elle a rejeté Dieu hors des limites du monde, elle lui cherche un remplaçant pour signifier le monde, lui donner un sens.
Le siècle des Lumières a inventé le culte de la Raison. Il s’est imaginé que le progrès des sciences et techniques se ferait au bénéfice de l’homme. Hegel a formalisé ce rêve en imaginant l’histoire sous forme d’ascension. La conscience de l’homme franchirait des étapes et s’éveillerait progressivement.
Marx, enfin, a cru mettre à jour le ressort de l’histoire qui serait la lutte des classes.
Toutes ces théories et leur postérité se fondent en une seule : celle d’une main invisible guidant la destinée de l’homme.
L’historien intervient ici avec sécheresse. Il voit des facteurs, des bouleversements, des Révolutions parfois. Des données nouvelles à assimiler, des contraintes inconnues à surmonter, des constantes lourdes à maîtriser. Mais la marche de l’histoire est un mythe. Poursuivant une fin, l’homme en atteint souvent une autre, c’est ce que Jules Monnerot nommait l’hétérotélie.


L’homme est capable de s’affranchir des facteurs rationnels et même des conditions de son bien propre. Les ressorts psychologiques des individus et des peuples confinent parfois à l’irrationnel, ainsi de la guerre suicidaire du Paraguay contre la coalition du Brésil, de l’Argentine et de l’Uruguay où elle perdit héroïquement et sans profit les deux tiers de sa population de 1865 à 1870. Des individus, parfois, provoquent des ruptures. Alcibiade changeait, au gré de ses voltefaces, le destin de la guerre entre Athènes et Sparte plus sûrement qu’une flotte de trières en armes. Le génie de Napoléon valait 100 000 hommes. Un évènement anodin, parfois, met en branle les grandes tectoniques sociales et politiques. Il a suffi qu’un camelot désespéré s’immole par le feu en Tunisie pour bouleverser toute la sous-région.


L’histoire est donc constituée d’évènements prévisibles et de ruptures qui sont autant d’opportunités, exploitées ou non. S’il fallait lui donner un sens, ce serait celui de l’action, de l’interaction des communautés humaines. Il n’est d’autre destin que celui que l’on forge.

La fin de l’histoire ?
L’écroulement de l’URSS ouvrait l’ère de l’hégémonie américaine. En attendant que le monde nouveau se mette en place, les Etats-Unis n’avaient plus de compétiteur. La terre était appelée à devenir un immense marché où s’entendraient les démocraties. Les récalcitrants, dont Saddam Hussein fournit l’archétype, seraient punis. A la recherche de puissance succédait la coopétition économique. Francis Fukuyama pouvait avancer sa thèse de la « fin de l’histoire ». En France, Bertrand Badie le relayait à sa manière en proclamant  «l’impuissance de la puissance ». Leur songe brumeux s’est évaporé au soleil de la réalité. Le « Grand échiquier » s’est remis en place. La Chine s’est réveillée. La Russie est redevenue une puissance. La crédibilité militaire occidentale s’est émoussée en Afghanistan. Le déclin européen s’est poursuivi tandis que le pivot du monde a basculé de l’espace Atlantique à l’arc Pacifique. La compétition est plus que jamais rude entre les individus, les peuples, les puissances.
Certes, l’histoire est tragique, c’est un lieu commun que de le rappeler. Vouloir en sortir c’est pourtant quitter le domaine de la liberté humaine. C’est délaisser l’action et entrer de plein pied dans l‘Age du renoncement (Delsol).

Intérêt de milieu et intérêts de possession : la fin de la guerre ?
La puissance a longtemps été territoriale. Les bâtisseurs d’empires rassemblaient des terres et entraient dans l’histoire. La puissance territoriale était aussi un enjeu de prestige. Meurtrie par la perte de l’Alsace-Lorraine, la France de la IIIe République fit preuve d’une véritable boulimie, conquérant à peu près tout ce qu’elle pouvait. Les terres, les montagnes et les déserts. Nous savons depuis les travaux de Jacques Marseille que l’empire colonial français fut un gouffre financier. Il fut aussi un formidable multiplicateur de puissance, véritable assurance-vie de la nation. Si la France n’avait pas eu Dakar et Alger, elle n’aurait jamais siégé à la table des vainqueurs du second conflit mondial. Elle disposait grâce à l’empire d’une certaine marge de manœuvre, d’une liberté de mouvement relative.


Tout cela est passé. Les enjeux territoriaux ont perdu leur valeur. Les intérêts de milieu ont relégué les intérêts de possession en marges des vecteurs de puissance. Les rivalités s’articulent autour de flux et de réseaux. Il est vain de contrôler un territoire.  Au temps de la globalisation, le coût impérial est devenu prohibitif en termes financiers et de légitimité.
Certes, on trouve de remarquables exceptions, en Afrique notamment, et quelques tensions sporadiques en mer de Chine. Globalement, les grandes puissances ne s’affrontent plus pour une province. Elles se déchirent sur le terrain de l’économie. « Dans la mesure où la conquête géographique n’a plus vraiment de sens, n’étant plus la manifestation adéquate de la puissance et la mesure réelle du pouvoir, ces deux champs d’affrontement (l’économie et l’opinion) constituent en quelque sorte un autre moyen de faire la guerre […], d’imposer sa volonté aux autres – ce qui définit très exactement la puissance écrivait Raymond Aron » ( Delbecque).  Pour être devenue économique, la guerre n’en est pas moins acharnée entre les peuples. Les friches industrielles sont le pendant moderne des ruines de guerres. Les batailles perdues ne laissent plus de morts sur le terrain mais des cohortes de chômeurs sans avenir. Perdre un marché, une compétence ou un avantage concurrentiel est plus lourd de conséquences sur la collectivité qu’un revers lors des campagnes d’antan. Eric Delbecque a pu avancer que « L’histoire de la guerre se définit donc comme le récit des métamorphoses de la contrainte ».  Le monde contemporain est celui de la compétition tout azimut. Economique certes. Militaire, toujours. Mais aussi scientifique, sportive, culturelle…

Se réapproprier le temps long
La civilisation occidentale est essentiellement une civilisation historique. Elle se projette dans le temps, note ses actes, compulse ses archives. Elle se pense dans la durée – à l’inverse par exemple de l’aire de civilisation indienne (Angot).


C’est néanmoins en bousculant l’espace-temps qu’elle s’est rendue maîtresse du monde. La boussole et la caravelle ont aboli les distances, repoussé les limites du monde connu, aplani les contraintes, comprimé le temps, initiant le grand mouvement de la modernité – qui est le dépassement des déterminismes. Le formidable déséquilibre provoqué sur les sociétés traditionnelles a conduit à l’hégémonie européenne.


Mais l’Occident est désormais prisonnier du temps court. Il est mal armé pour appréhender, par exemple, la stratégie chinoise du long terme. Celle-ci est prête à renoncer à des avantages immédiats en vue d’un gain plus important. C’est, en échec, sacrifier un pion pour prendre une dame.
Aujourd’hui, son différentiel de puissance n’est plus tel que l’Occident puisse bousculer ses rivaux en les amenant sur son propre terrain d’espace-temps. Au contraire, il est arraché à son environnement privilégié. Il s’agit de réinvestir le temps long pour ne pas perdre les batailles de demain.

Etats et réseaux

Place des Etats dans le monde contemporain

Les relations internationales se sont longtemps articulées autour des seuls Etats. La modernité a bouleversé cet ordre. En Europe, le droit national s’efface devant le droit communautaire. Une entreprise de dimension mondiale comme Arcelor-Mittal peut défier l’Etat français.


Lorsque Maurras proclamait « la France seule » en pleine seconde guerre mondiale, il commettait déjà un anachronisme et faisait une grossière erreur d’analyse. La même proclamation aujourd’hui relèverait de la poésie surréaliste et serait à ranger au rayon des oranges bleues d’André Breton. Nous savons depuis Nye et quelques autres que le monde contemporain est celui l’interdépendance. Celle-ci « ne nie pas l’existence juridique des nations, ni les sentiments nationaux, ni les aspirations à la souveraineté, mais elle permet une lecture plus réaliste d’un monde où les flux d’échanges sont de plus en plus indépendants des organes d’administration des nations » (Baumard).
Les Etats ne sont plus les seuls acteurs de poids dans le monde global. Les entreprises ont atteint des dimensions critiques qui posent la question de la puissance privée (Buhler). Les organisations non-gouvernementales, les associations, plus globalement la société civile les contrebalancent.


Alors, l’Etat est-il encore l’unique source de stratégie de puissance nationale ? Non. Acteur de puissance, certes, il est aussi et surtout au service des acteurs de puissance nationaux. Il a un rôle de catalyseur. Enfin, en dernier ressort, il faut remarquer que les stratégies nationales s’effacent devant les stratégies concertées pour le rétablissement de l’ordre mais que ce n’est plus le cas dès que des intérêts vitaux sont en jeu (Razaux).


On a beaucoup glosé sur le déclin des Etats. La dernière crise financière a considérablement redoré leur blason. Ce sont eux qui ont sauvés banques et organismes financiers d’un naufrage global. La « main invisible du marché » chère à un certain libéralisme a pris la forme concrète d’un solide volontarisme étatique évitant l’effondrement global des économies mondiales.


Alors, quelle place pour l’Etat : facteur de puissance, énonciateur de la puissance ou interprète de la puissance ? Sans doute un peu des trois.

Le syndrome du pantalon rouge


La France souffre d’un handicap récurrent : le syndrome du pantalon rouge. En 1914, notre infanterie de ligne encaissa des pertes inouïes en vertu de deux principes. Premier principe : une armée démocratique doit pratiquer la charge populaire à la baïonnette. Tout autre mode d’action était réputé réactionnaire. Second principe : le pantalon rouge, c’est la France. Nos hommes vengeraient donc Sedan en culotte garance. Des uniformes du temps de Louis-Philippe !


Pendant ce temps, les Allemands dotaient leurs sections de mitrailleuses et leur apprenaient à creuser les tranchées où se fondraient leurs uniformes vert-de-gris.


Ces derniers cherchaient les points de convergence stratégique et tactiques leur permettant d’atteindre leur but. Ils avaient une stratégie, un plan d’opérations, le fameux plan Schlieffen. A l’inverse, passé le plan de mobilisation, il n’existait en France aucun plan stratégique contre l’Allemagne. Paris rêvait de batailles à l’arme blanche dans les champs de blé sans se soucier des moyens stratégiques de parvenir à ses buts de guerre -un peu comme les Chinois du XIXème siècle qui espéraient échapper à la tutelle occidentale en niant ses atouts pour ne pas remettre en cause le mandarinat et le magistère de l’empereur, fils du Ciel. Quelques officiers qui hurlaient dans le désert que « le feu tue » étaient regardés avec dédain.


Les convictions intimes sont infiniment respectables. Elles deviennent dangereuses lorsqu’elles deviennent des critères de choix stratégique. L’environnement ne se fantasme pas, il s’analyse. Quel que soit son niveau, tout décideur doit également partir du principe que l’adversaire lui est au moins égal par l’intelligence et la volonté et que chaque erreur de jugement se paiera au prix fort.


Il est ainsi économiquement suicidaire de croire à la neutralité de l’environnement concurrentiel, de s’imaginer que le produit le plus compétitif emportera la palme. La déstabilisation informationnelle, les pressions des Etats, l’espionnage industriel sont les gaz de combat et l’artillerie lourde d’un monde économique qui relève du champ de bataille et non de la partie sportive arbitrée.


Espérer conquérir des marchés ou maintenir notre niveau de vie sans une véritable stratégie de puissance économique, c’est monter au front en pantalon garance.

 

De la domination à l’influence
Le temps où les Etats occidentaux pouvaient mener leur politique sans guère tenir compte du reste du monde est révolu depuis longtemps – pour autant qu’il ait jamais vraiment existé. Ainsi, la France est-elle membre de l’OTAN et ne peut plus penser son outil militaire de manière autarcique. Membre de l’Union européenne, elle lui a délégué des pans entiers de sa souveraineté. Membre permanent du Conseil de sécurité, elle se veut garante du respect des traités multilatéraux.


Il n’est plus question de faire cavalier seul. Au contraire, c’est au sein même des alliances que peut se déployer une politique de puissance nationale.  «C’est une politique audacieuse et décomplexée d’influence accrue dans l’Alliance qui facilitera les efforts européens de la France » (Védrine). Dans une alliance, il y a forcément des leaderships, donc la nécessité d’une stratégie nationale forte pour dynamiser la relation multilatérale (Lequesne).


Par ailleurs, la domination n’est plus possible, si l’on excepte le cas douteux et chancelant des Etats-Unis. Pire encore. Trop visible, elle cristallise contre elle les oppositions. La domination s’affaiblit elle-même des réactions qu’elle suscite. Une politique de puissance sage jouera plutôt sur l’influence. Car l’affrontement des volontés se joue désormais essentiellement sur les perceptions des populations. Au lieu de contrer frontalement la volonté de l’adversaire, il s’agit d’opérer sur ses modes de pensée. Pour cela, les ressorts les plus efficaces sont ceux de la légitimité véhiculés par la société civile. Les populations ne subissent plus les volontés de puissance. Elles en sont de plus en plus l’enjeu.


« La stratégie d’influence se définit comme l’art d’organiser et d’utiliser les capacités diplomatiques, économiques, informationnelles, militaires et socioculturelles en vue de servir les intérêts d’un État, d’un groupe d’États ou de la communauté internationale en agissant dans les champs psychologiques et cognitifs » (Influence n°073/DEF/CICDE/NP du 31 mars 2012, p.17). Le reproche que l’on peut faire aux opérations d’influence serait de verser dans la manipulation. Elle en est l’opposé exact. La manipulation est une déformation de la vérité. Illégitime, elle est de surcroît de nature contre-productive. Dans le monde de l’information qui est le nôtre, une manipulation dévoilée coûte cher à ses auteurs.Le paradigme ancien consistant à convaincre est dépassé. La cible doit voir, analyser, comprendre le monde selon nos grilles de lecture. L’influence ne joue pas tant sur les faits que sur les leviers intellectuels et moraux permettant de les analyser.

 

Esprit munichois
Une politique à long terme implique trois facteurs : Ambition / vision de ses intérêts / moyens.
Qu’un seul de ces éléments fasse défaut et la politique menée sera celle du renoncement. Une politique d’influence réussie est celle qui modifiera les perceptions de la cible en fonction des intérêts de l’émetteur. Dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir, il était évident au vu de son programme politique que les Etats et valeurs de l’Ouest en feraient les frais. Jouant sur un réel désir de paix de ses interlocuteurs, s’appuyant sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, dénonçant sans relâche l’injustice du traité de Versailles, la diplomatie nazie parvint néanmoins à s’insérer dans le concert des nations et à donner mauvaise conscience aux vainqueurs de 1918. Chacune de ses agressions étaient présentée comme le redressement légitime d’un tort subit au traité de Versailles. Et puis tant que ces agressions ne concernaient que de petites puissances, il était facile de fermer les yeux en espérant être soi-même épargnés. Manquait à l’Ouest l’ambition de défendre l’ordre international ; la vision de ses intérêts évidents qui impliquaient la réconciliation avec l’Allemagne, certes, mais aussi de casser les reins de l’Etat totalitaire naissant ; enfin, les moyens manquaient, le corps expéditionnaire britannique embryonnaire ne pouvait changer le sort de la bataille et le commandement français n’avait su fournir l’effort conceptuel stratégique qui lui aurait permis de mener une guerre moderne.  Le poison le plus fort qui soit avait été distillé : l’esprit de renoncement. Nous en connaissons les conséquences effroyables. Il se présente d’autres défis, chaque jour, dans chaque domaine. L’esprit munichois est une tentation permanente. L’histoire nous apprend combien la guérison en est douloureuse. Il n’est d’antidote que dans une politique volontaire. Une politique de puissance.

Souveraineté et individualisme

Nation
La nation est-elle encore une notion de vie commune viable et désirable ?
La montée des communautarismes de toutes sortes, confessionnels, ethniques, sexuels, culturels etc. fragilise incontestablement la vieille idée de nation. A l’Etat-nation succèderaient de vastes espaces de vie commune où les communautés organisées en réseaux se côtoieraient. En Europe, la superstructure fédérale prendrait le relais des vieux Etats épuisés et vidés de leur substance.
Pourquoi pas. Mais certainement pas dans un avenir proche ou prévisible. Les communautarismes, même à vocation globale, se déploient dans les cadres étatiques et nationaux qu’ils bouleversent sans pouvoir les remplacer. L’impuissance de l’Union européenne se penser et à se constituer en tant que puissance lui interdit à ce jour d’incarner le destin des 500 millions d’Européens. Les affirmations identitaires, les crispations populaires, les constructions nationales se posent avec chaque jour plus d’acuité de par le monde. Les notions d’indépendance nationale et de souveraineté restent ainsi incontournables à ce jour (Manent).

Réseaux et souveraineté
Le XXIème siècle naissant apparaît comme l’âge des réseaux. Les circuits de d’information et de communication sont transfrontaliers. Les Etats les plus fermés eux-mêmes, tels que la Chine ou l’Iran, en ressentent une onde de choc.
Cela a conduit à des contresens. Michael Hardt et Antonio Negri se sont fait connaître par leurs très médiatiques erreurs d’appréciation. Ainsi ont-ils avancé que « la multitude doit aujourd’hui abolir la souveraineté au niveau global » (Hardt, Negri). La « destruction de la souveraineté » étant le préalable à l’avènement d’une démocratie mondiale. C’est là oublier un peu vite les avertissements d’Hannah Arendt quant à la nécessité d’une vie publique souveraine, espace privilégié de la liberté. C’est surtout se tromper – souverainement, sur la nature du monde des réseaux. Espace de liberté, certes, il est aussi un espace de confrontation et rarement les stratégies de puissance se sont-elles heurtées avec autant d’âpreté que dans la « guerre cognitive » contemporaine. Loin d’être rose et sirupeuse, la globalisation exacerbe les stratégies de puissance. La souveraineté nationale apparaît ainsi souvent comme le dernier rempart de la liberté politique individuelle. Les souverainetés ne sont pas démodées, ce qui l’est c’est l’exercice ancien de la souveraineté. Il s’agit de prendre en compte le fait nouveau de l’interdépendance théorisée par Robert Keohane et Joseph Nye. « Ceux-ci ont fait observer que l’arène internationale n’était plus le monopole des Etats, tant elle était investie par des entreprises multinationales, des groupes de pression et organisations non-gouvernementales à vocation transnationale, limitant l’autonomie des Etats et liant ceux-ci dans des réseaux complexes d’interdépendance et de processus d’intégration »  (Buhler).


La multiplication des acteurs et le croisement des dépendances n’annihilent nullement le jeu des rivalités, il en modifie juste certaines règles.

 

Produire le monde
C’est un des mystères de l’homme que son action ne soit pas neutre. Elle bouleverse les paysages et renverse les équilibres. Elle produit le monde.  Plus que jamais au temps de la globalisation et de l’explosion de l’information elle lui donne du sens. Au-delà des rivalités d’intérêt, les compétitions de puissance ont l’âme du monde pour enjeu. Quelle signification lui donner ? La vision individualiste moderne des puissances de l’Ouest n’est pas la seule en lice. Sa prétention à l’universalité de signifie pas son acceptation par le reste du monde. Entée dans l’ontologie, elle se heurte à l’imperméabilité de l’âme chinoise, par exemple, dont la langue ne possède aucun équivalent pour « être » (François Julien). Elle n’est souvent comprise qu’à travers la facette du consumérisme effréné, celle justement dont les Européens de l’Ouest reviennent !


Il n’est pas anecdotique de relever que le héros de cinéma américain est un individu  qui sort de la foule, la surplombe et n’hésite pas à bousculer ordre, codes et lois. A l’inverse, le héros du cinéma chinois (certes embryonnaire au regard d’Hollywood) ne se distingue que pour rétablir une harmonie troublée, il ne fait pas de choix d’individus mais suit la voie juste. A l’issue de son action, il retourne se fondre dans la foule.


Cet exemple tiré de l’industrie du loisir est moins trivial qu’il n’y paraît. Il illustre l’importance des enjeux. Ne pas défendre et promouvoir sa vision du monde et de l’homme, c’est s’exposer à recevoir celle des autres. « Comme il s’agit de produire le monde, celui qui cultive la puissance passive développe son impuissance historique. En même temps, il est utile à la puissance des autres puisqu’il la subit (Les chemins de la puissance, Forget, p. 83).

Puissance et hybris
Associer puissance et désir de domination universelle comme certains le font parfois est un contresens. Il est néanmoins bon de s’y arrêter pour dissiper toute ambiguïté.  Tout rêve universel est frappé du sceau de la démesure, l’hybris des Anciens, qui ruine la puissance vraie.


Athènes était puissante à la mort de Périclès. Elle détenait un capital moral immense issu des guerres médiques. Son influence était grande sur le monde des Hellènes, son prestige rayonnait au-delà. L’orgueilleuse Cité athénienne voulut alors l’empire mers et des îles. Elle perdit la notion du réel. Ce fut l’expédition de Sicile, absurde, démesurée. Elle y sacrifia 200 navires envoyés par le fond et 10 000 citoyens morts ou réduits à la honte de l’esclavage. Ruinée, elle perdit son indépendance et sa liberté.


L’hybris échappe à la volonté et entraîne un enchaînement mécanique de désastres. A l’inverse, une politique de puissance se veut rationnelle. Elle pèse le monde pour peser dessus. Elle s’oppose au rêve alexandrin, se heurte à l’idée d’empire, qui est un déploiement de force tout azimut, sans direction ciblée, se heurtant à l’environnement (humain, politique, social, physique…) au lieu de le maîtriser. L’idée de puissance telle qu’elle s’est élaborée en Europe s’articule sur celle d’équilibre et trouve sa pleine expression dans un monde multipolaire. Ainsi, et contrairement à ce qu’avance Kissinger dans son monumental ouvrage, Diplomatie, ce n’est pas le jeu des puissances qui a provoqué les guerres qui ont ruiné l’Europe et bouleversé le monde. C’est la volonté impériale. Les rêves démesurés d’uniformisation conduisent aux pires calamités. C’est ainsi que leur relatif affaiblissement est sans doute ce qui pouvait arriver de mieux à nos amis américains ; voilà qui les dispensera de rêver le monde et canalisera leur remarquable énergie vers des projets ancrés dans le réel.

Question de la légitimité

Puissance et violence
La puissance n’est pas le libre emploi de la violence. Dans l’Occident contemporain, elle ne peut d’ailleurs se déployer depuis les cabinets feutrés des ministères sans se légitimer. Dans nos démocraties participatives, les citoyens ont une exigence de transparence. L’utilisation de la violence au service d’une politique de puissance est excessivement coûteuse en termes d’image et de légitimité.


Certes, la possibilité de l’employer est essentielle pour crédibiliser le discours d’un Etat. En revanche, son emploi ne doit se faire que dans un cadre légitime et nécessaire. Si l’on ajoute la faible résilience des démocraties occidentales, le choix de la violence –de l’action militaire pour parler crûment, est risqué. Un conflit qui dure perd en légitimité. Les raisons de l’adhésion populaire initiale s’érodent au gré du coût financier, s’émoussent au fil des pertes humaines. Les inévitables bavures, exploités et médiatisées par l’ennemi, fissurent le cadre moral du déploiement.


Il ne faut pas négliger non plus la légitimité naturelle du faible dans l’inconscient collectif européen. Deux faits l’expliquent. L’héritage culturel chrétien de l’Europe qui veut que les « petits » soient chers au Père d’une part. D’autre part, l’idéal moderne de liberté aura tendance à assimiler toute contrainte à une tyrannie. L’usage de la force peut ainsi rapidement apparaître comme oppressif et perdre  tout soutien de l’opinion publique.
Certes, « La puissance est combat, car elle est l’affrontement de constructions politiques visant à la maîtrise de sa destinée ». Cependant, la confrontation entre puissances cherchera, autant que possible, à éviter le pic paroxystique de la violence et à explorer de nouvelles voies.

Puissance et sécurité

Il est souvent avancé que la problématique première des Etats ne serait pas la recherche de puissance mais la sécurité. C’est elle qui serait le moteur des relations internationales. Pourtant, les Etats réellement menacés dans leur existence sont peu nombreux aujourd’hui. Outre une réprobation universelle de l’idée de conquête, le nombre de puissances nucléaires est désormais porté à une dizaine d’Etats dans le monde, limitant de fait les confrontations militaire. L’Inde et le Pakistan peuvent bien se tuer quelques soldats sur la frontière kashmiri mais la guerre ouverte est désormais impossible sous peine d’annihilation réciproque. La rivalité sino-américaine n’a aucune chance de dégénérer un jour en conflit total pour les mêmes raisons. La sécurité étatique n’est un facteur déterminant que pour certains Etats placés dans une situation particulière. Israël dont le droit à l’existence est contesté par ses voisins, Taiwan dont la puissante Chine nie jusqu’à l’idée d’indépendance (nous écartons volontairement de notre propos les Etats menacés par une pression interne dont l’exemple récent du Mali fournit un exemple remarquable. Cependant, même dans ce cas,  un Etat au bord de l’implosion a été sauvé par l’intervention militaire d’un membre permanent du Conseil de sécurité avec la bénédiction de la plupart des grands acteurs internationaux).
Certes, les frictions se multiplient depuis la fin de la guerre froide et plus encore depuis les années 2000 mais paradoxalement, le monde n’a jamais été aussi sûr au niveau étatique. Pour la première fois de l’histoire peut-être, les Etats voient leur existence contre une agression garantie par le droit global. Par ailleurs, le nucléaire, égalisateur de puissance selon la formule du général Gallois, gèle bien des situations.


Le terrorisme islamiste sert d’exutoire à des populations frustrées et contribue surtout à armer moralement les Etats-Unis, mais pas seulement, en leur donnant un ennemi à combattre. Alexandre et César s’ennuieraient mortellement entre les frontières figées du XXIème siècle. Pour parler franchement, la sécurité des Etats est davantage un prétexte qu’un impératif. Un prétexte pour quoi ? Pour la défense de leurs intérêts de puissance. Car le monde est redevenu multipolaire et les rivalités en sont décuplées.


Les risques de tensions restent nombreux. Ainsi, les suites du printemps arabe sont-elles encore mystérieuses. Les nouveaux régimes parviendront-ils à concilier désir d’islam et bonne gouvernance ? Les rivalités pour l’accès aux ressources stratégiques débouchent sur un grand jeu à l’échelle mondiale où les Etats-Unis cherchent à accentuer la vulnérabilité énergétique chinoise tandis que les autres acteurs cherchent à se faire une place au soleil comme ils le peuvent. La pression démographique dans certaines régions risque de déboucher sur de véritables guerres de l’eau. Le surarmement de l’Asie où les budgets militaires sont tous en hausse est lourd de menaces. Mais, dans le cadre d’une rivalité globale, les risques d’explosion nous semblent néanmoins aujourd’hui contenus à des niveaux régionaux. En revanche, la sécurité économique des Etats n’a jamais été aussi volatile mais elle dépend d’une stratégie de puissance globale.

Individualisme et légitimité
On ne peut explorer les voies de la puissance sans s’interroger sur les sources de légitimité qui en sont devenus la condition. Il faut prendre conscience qu’elles ne sont pas forcément rationnelles ou objectives car les valeurs des citoyens individualistes post-modernes résultent d’une construction complexe. En tout état de cause, « […] les faits objectivement acquis seront probablement déformés par l’individu pour être compatibles avec ses croyances naïves les plus socialement et historiquement ancrées. De nombreux chercheurs ont ainsi souligné que les individus se satisfont d’une très faible cohérence interne, tout en désirant très fortement une lecture structurée du monde (Kaiser et al. 1992 ; Cooke & Breedin 1994). Les théories à propos du monde environnant sont donc construites « à la volée », et reposent à la fois sur un besoin vital d’articulation logique au monde, et sur la réduction des coûts psychologiques liés à la remise en cause de croyances fondatrices de l’individu » (Baumard).
La dimension spectaculaire d’un évènement prime largement sur sa portée rationnelle ou même ontologique. Voilà qui entraîne une conséquence inattendue : le spectacle s’accommode mal des subtilités et nuances du monde. L’évènement, comme les hommes, doit être bon ou mauvais. Il est souvent difficile de concilier ce manichéisme structurel et le besoin de vérité. La vérité et la justice ne passent pas tant par le prisme de la raison analytique que de la morale. Les éléments d’un évènement doivent être immédiatement perceptibles pour permettre un jugement. C’est ainsi que « Le sentiment de connaître de Koriat (1995) a certainement un pouvoir largement supérieur à l’incompressible part de liberté que réclament les individus » (Baumard). La légitimité réside dans le flux d’information qu’il devient nécessaire de contrôler. Ce contrôle exclu toute manipulation : elle serait tôt ou tard décelée et finalement coûteuse, on a ainsi vu les Etats-Unis durablement décrédibilisés par leurs fausses déclarations sur les armes de destruction massives de Saddam Hussein. En revanche, l’habileté spectaculaire devient une des clefs de la légitimité. L’artisan du spectacle doit se faire discret, le plus possible, pour laisser le spectateur exercer son propre jugement conformément  à la « […] volonté des individus de vouloir être les seuls auteurs de l’évaluation de ce qui est légitime et de ce qui ne l’est pas »  (Baumard).

L’ennemi
L’Europe rêvant de la fin de l’histoire, elle récuse la notion de confrontation et bannit celle d’ennemi – il n’est pas d’ennemi possible dans le monde fantasmé de la coopération globale. Ne pas désigner d’ennemi est non seulement très idéaliste mais aussi assez commode. Cela permet d’éviter de s’interroger clairement sur qui nous sommes et d’évacuer la question brûlante de la crise d’identité qui ravage les nations du vieux continent. Chacun se rappelle ainsi du débat sur l’identité française initié par le président Sarkozy à laquelle nul ne sut apporter de réponse et qu’il fallut finalement enterrer sans gloire.


Nier l’idée d’ennemi, c’est non seulement se nier soi-même mais aussi nier l’autre, le percevoir comme on voudrait qu’il soit et pas tel qu’il est réellement. Au nom d’une vision optimiste et unitaire de l’humanité, l’Europe récuse l’idée d’adversaire, plus encore d’ennemi. Cette incapacité européo centrée à penser l’altérité, la menace et la rivalité résulte également d’une erreur d’appréciation. L’Europe n’a pas fait sa révolution copernicienne. Elle se croit encore au temps où ses normes et ses valeurs n’avaient guère de compétiteurs. Or le caractère universel indiscutable de ses valeurs s’est évanoui avec sa puissance.


Le refus de la problématique d’ennemi peut ainsi se résumer à un déni stratégique (Col Goya). Tant que l’Union européenne en général et les nations européennes en particuliers n’auront pas appris à penser l’ennemi, elles demeureront incapables d’élaborer une pensée stratégique autonome. Or celle-ci n’est-elle pas un des noms de la liberté politique ?

Société civile et légitimité
Les Etats ont longtemps partagé le monopole de la légitimité avec les religions. Etait légitime ce que décidait le prince ou prescrivait le prêtre.
Dans le monde contemporain, la légitimité n’est plus acquise, nous l’avons vu. Elle doit être recherchée pour chaque nouvelle action. Les nouveaux prêtres en sont les membres de la société civile. Autrement dit les associations ou organisations non-gouvernementales dont les objectifs sont considérés comme suffisamment élevés et désintéressés pour leur donner un magistère moral sur l’action des acteurs de puissance traditionnels.


Ainsi de Human rights watch, Amnesty international, Médecins du monde etc. Une condamnation de leur part implique une réprobation instantanée d’une partie des opinions publiques. A ces acteurs se rajoutent des personnalités influentes, créateurs de blogs ou « intellectuels » dont les propos ont une force mobilisatrice sans proportion avec leurs faibles moyens.


Les instances internationales sont aussi, bien évidemment, des facteurs de légitimation de premier plan. De nouveaux acteurs surgissent sans cesse et pour n’importe quelle cause qu’une action spectaculaire bien menée peut propulser au premier rang des préoccupations publiques en quelques heures. L’Etat est en partie désarmé. S’il laisse faire et enfler la mobilisation autour du point de fixation créé par cette action médiatique, il risque d’être débordé et de devoir reculer. S’il tente une répression, elle risque d’être perçue comme illégitime faisant de ses opposants des victimes. Le tout en sachant que les opinions individualistes occidentales auront souvent tendance à considérer d’office l’Etat comme un oppresseur et les contestataires, indépendamment des positions défendues, comme des citoyens courageux « mobilisés » pour « résister » à une « injustice ». Ainsi, force est de reconnaître que « La morale devient […] un étalon des politiques étatiques » sous la pression de la société civile » (Buhler). La légitimité « procède d’abord de la capacité de l’Etat à produire la sécurité, intérieure et extérieure » (Buhler). On peut aller plus loin : la légitimité d’un Etat s’appuie théoriquement sur sa capacité à prévenir les conflits plus qu’à les résoudre. Ainsi, « […] la sphère du politique cesse d’être autonome, ordonnée par la « raison d’Etat », comme le postulait Morgenthau, indépendante de ces autres sphères de la vie sociale que sont la morale et le droit » (Buhler).

Définition de la puissance

Nous avons cerné l’environnement de la puissance et tenté de mettre en lumière certaines de ses conditions et contraintes. Il nous reste maintenant à la définir avant de nous projeter dans ses champs d’application.


Pour Raymond Aron, « Avant d’être une accumulation de moyens ou de forces, la puissance est […] volonté. » Philippe Baumard est plus précis en affirmant que « La puissance est la capacité à réitérer des schémas de pouvoir et à contraindre ou influencer, dans une logique de durée et d’espace, les leviers récurrents d’une assise durable » (Baumard). Pierre Buhler ne dit pas autre chose en écrivant « j’appelle puissance sur la scène internationale la capacité d’une unité politique d’imposer sa volonté aux autres unités. En bref, la puissance n’est pas un absolu, mais une relation humaine.


Sans aller jusqu’à absolutiser la « volonté de puissance » comme Nietzsche,  il est bon de se souvenir que le « penchant universel de tout le genre humain [est] un désir inquiet d’acquérir puissance après puissance, désir qui ne cesse seulement qu’à la mort. » (HOBBES) Désir qui s’ajoute à la peur de la mort et au « désir des choses essentielles à une existence confortable, et l’espoir de les obtenir par leur activité » (Hobbes).
En résumé, on pourrait proposer la définition suivante : la puissance, c’est, tenant compte de la nécessité, l’effet de la projection d’une volonté raisonnée sur l’environnement.

Les douze apôtres de la puissance
Brzezinski avait noté que la superpuissance américaine reposait sur quatre piliers fondamentaux où s’exerçait sa supériorité : économie, technologie, militaire, culturel. Mais ces quatre piliers peuvent eux-mêmes être déclinés. Ainsi peut-on énumérer les douze apôtres de la puissance :

 

  • La cohésion interne 
  • La volonté et la puissance stratégique 
  • La puissance militaire
  • La puissance économique
  • La puissance financière
  • La puissance énergétique
  • La puissance primaire : la terre et l’eau
  • La puissance culturelle et morale
  • La puissance démographique
  • La puissance scientifique
  • La puissance cognitive
  • La puissance normative

La puissance par la cohésion interne 
Tournée vers l’extérieur, une politique de puissance sera d’autant plus efficace qu’elle ne sera pas parasitée par des troubles internes susceptibles non seulement de l’affaiblir mais de fournir des leviers d’action à ses rivaux.
Un peuple uni et se reconnaissant comme tel est donc la condition première d’une politique de puissance. D’où l’importance d’une histoire commune et de mythes fondateurs forts, intégrateurs. L’analyse du monde contemporain révèle la faiblesse des Etats multiconfessionnels ou multiethniques parcourus par des lignes de fractures fortes. Seules les démocraties occidentales surmontent à ce jour leur nouvelle structure multiethnique en fédérant leurs populations autour des valeurs fortes de démocratie et de droits de l’homme – au prix d’un lissage identitaire qui ne peut être transposé en l’état au reste du monde.
La question de la cohésion d’une communauté est le préalable à toute action car « un acteur ne peut savoir ce qu’il veut avant de savoir qui il est » observe Wendt avant de conclure : « les identités sont le fondement des intérêts (…) façonnés par ces normes et valeurs qui, partagées internationalement, structurent la vie internationale et lui donnent signification » (Buhler). Par ailleurs, une identité floue peut avoir des conséquences redoutables : « […] celui qui doute de ce qu’il est n’entrevoit le plus souvent comme solution que d’éradiquer l’altérité, c’est-à-dire ce qui apparaît comme solution comme une identité rivale mettant en lumière la fragilité que l’on essaye précisément de refouler » (Delbecque).

Volonté et puissance stratégique 
Pour avoir une volonté, il faut avoir confiance et croire en son destin car  Il faut aussi être capable de penser son avenir en termes de puissance. Un pays comme le Brésil, qui a bien pris en compte ses contraintes géopolitiques mais n’a pas pensé donc atteint le statut de puissance, reste ainsi relativement effacé. L’absence de pensée stratégique claire et durable nuit à la crédibilité. Le domaine des relations internationales est sans doute un des plus conservateurs et les acteurs traditionnels y occupent une place sur-proportionnée. Le poids de la diplomatie française en est la parfaite illustration.


Une pensée stratégique n’est pas velléitaire. Elle dit ce que nous sommes (Col Derieux) et implique un temps long. Malgré la volatilité du monde et des situations, elle ne doit pas être éphémère sous peine de se condamner. Viser un but impose des investissements donc de se dégager de l’immédiateté. Colbert faisait planter des forêts de chênes qu’il ne verrait jamais pour doter la marine française de bois de charpente au siècle suivant et rivaliser à terme avec les puissances maritimes !


La puissance stratégique, c’est aussi de pouvoir se déployer librement, avoir accès aux ressources, aux marchés et aux voies de communication. Ainsi, les Anglo-saxons privilégient-ils les grandes voies maritimes qu’ils dominent et maintiennent ouvertes. A l’inverse, des acteurs comme la Chine et la Russie ont tout intérêt à réhabiliter la vieille route de la soie traversant le heartland eurasiatique. L’enjeu, dans les deux cas, est d’éviter la marginalisation.


Il ne faut naturellement pas se leurrer sur la solidité d’une stratégie. Elle est un idéal type puisque toutes les données ne sont jamais maîtrisées. Elle consiste à définir des fins, des priorités, des moyens et à saisir des opportunités, à déployer son influence ; à agir aussi sur ce que l’on veut empêcher de faire. Mais, vivante, elle ne suit pas une ligne droite. Elle progresse dans une direction.


Enfin, une stratégie vivante sait s’affranchir des idées reçues : nous avons vu que la domination, voire même la présence, valaient bien moins que l’influence ; l’Union européenne s’est longtemps fixé pour objectif l’élargissement en l’assimilant à un accroissement de puissance alors que la paralysie qui en résulte produit l’effet inverse etc.
Une stratégie forte sous-tendue par une volonté sans faille peut produire des miracles. Ainsi, la création et le maintien de l’Etat d’Israël est-il le fruit d’une extraordinaire volonté stratégique malgré un environnement humain hostile sur une terre où le lait et miel avaient cessé de ruisseler depuis longtemps.


La puissance « est avant tout une stratégie qui a réussi » (Buhler), elle permet d’affirmer un « choix souverain ». Elle permet d’exister soi-même en agissant sur le monde et aux yeux des autres leur faisant reconnaître notre identité stratégique propre.

La puissance militaire 
L’utilité de la force ne réside pas dans son emploi mais dans la possibilité de le faire. Son effet est dissuasif. Il est aussi psychologique. Il donne du poids. « Quand les hommes de 80 kg parlent, ceux de 60 se taisent » rappelait Audiard. Aussi, il n’est pas de puissance sans force militaire.


Celle-ci repose sur deux piliers. Tout d’abord, la capacité à assurer sa défense de manière autonome. Elle implique clairement la maîtrise de l’armement nucléaire, niveleur de puissance et assurance-vie pour ses détenteurs (Gal Gallois). Aucun acteur ne peut prétendre à un rôle de leadership politique crédible s’il ne dispose pas de « la bombe ». C’est en partie pourquoi l’Iran, qui aspire à retrouver une place de pivot régional, s’accroche bec et ongles à l’atome malgré les sanctions internationales. Ce n’est pas un hasard si les 5 membres permanents du conseil de sécurité ont aussi été les 5 premières puissances à acquérir le feu nucléaire. Deuxième pilier, la capacité de projection. C’est une chose que d’être maître de son destin, s’en est une autre que de pouvoir se déployer pour défendre ses intérêts, ses valeurs, ses alliés. Pouvoir se projeter, c’est disposer d’un pouvoir de coercition et acquérir des responsabilités régionales ou globales. L’influence de la France en Afrique serait depuis longtemps partie en fumée sans sa capacité à y déployer ses hommes. Ses dernières interventions prouvent qu’elle est un partenaire de poids, crédible, et renforce d’autant plus son influence qu’elle prend soin de mettre les nations africaines en avant.


La puissance militaire procure un autre avantage, plus inattendu, lié à la volonté de prévenir toute surprise stratégique, au moins sur le plan technologique. Ainsi « […] c’est dans une interaction continue entre recherche de défense et recherche civile que l’Amérique a produit ces innovations appelées à devenir autant de briques de l’édifice des technologies de l’information. » (La puissance au XXIe siècle, BUHLER Pierre, CNRS éditions, Paris 2012, p.236). Internet n’est qu’une petite partie du transfert de technologies vers le civil développé par la recherche militaire américaine, lui procurant de formidables retombées économiques.
Les Etats doivent cependant garder à l’esprit qu’un outil militaire disproportionné avec leurs moyens ne peut qu’amoindrir leur potentiel de puissance au lieu de l’accentuer en accaparant une trop grande part des ressources nationales. De même, la guerre coûte cher pour des gains dérisoires. Elle ne peut pas être une option choisie à la légère et le rapport coût/efficacité doit être pensé.


On tombe alors sur un dilemme connu. Il n’est pas de puissance sans une belle armée. Mais lorsqu’on en dispose, de cette belle armée, la tentation n’est-elle pas forte d’en faire usage non par nécessité mais pour rentabiliser ou au moins justifier son entretien ? Les Allemands ont connu cette tentation au XXème siècle et, sans doute, les Américains aussi en Irak.

La puissance économique
La puissance économique est centrale, c’est l’évidence. Cela ne l’a pas toujours été. Le mépris des Anciens pour les boutiquiers et les raisonnements mercantilistes (BUHLER) a longtemps perduré et rejeté l’économie au rang des contingences annexes. « Ce n’est donc que tardivement que l’économie fut associée à l’idée de puissance » (Broda).
L’économie a aujourd’hui supplanté le territoire comme champ de déploiement des rivalités. C’est pourquoi les stratégies les plus dures s’y heurtent en une véritable guerre économique. Il ne faut pas trop se fier aux sirènes libérales en la demeure. Certes, l’économie mondiale est dominée par les grandes entreprises dites « multinationales ». Le terme a une petite connotation universelle qui sonne bien à l’oreille. Or « Une étude comparative entre des entreprises allemandes, américaines et japonaises démontre ainsi qu’elles restent profondément imprégnées de la histoire, de la culture et des système économiques de leurs origines» (Buhler). Ainsi, le terme même de « multinationales » fut créé par les Etats-Unis comme faux nez de leurs entreprises propres. Car, en dépit de l’ouverture de leur capital à l’étranger, les entreprises américaines bénéficient du marché de base américain dont la taille critique fait que les « multinationales » américaines restent nationales du fait de leurs intérêts sur leur marché principal.


Les Etats œuvrent également à conserver ou acquérir des positions fortes dans les secteurs stratégiques les plus critiques. Washington même oublie son credo libéral lorsque ses technologies stratégiques sont en jeu.
Aussi le terrain économique n’est-il  pas un libre jeu de saine concurrence où le plus méritant conquiert des marchés. Il est le théâtre d’une concurrence féroce où tous les coups sont permis.

La puissance financière et monétaire 
La puissance financière est une arme redoutable. Il faut avoir des capitaux pour investir, influencer  les pays où l’on investit, conserver son avance technologique etc. Se pose aujourd’hui la question des fonds d’investissements et fonds souverains « forme de capitalisme d’Etat» (Buhler) dont la Chine est le premier détenteur au monde. Le capital au service de la puissance d’un Etat représentant un cinquième de l’humanité, voilà qui nous éloigne des « lois du marché ». Peut-on sérieusement croire que tous les investissements de la formidable puissance financière des différents fonds d’investissements sont neutres ? L’exemple d’IN-Q-Tel, fond d’investissement de la CIA à but non lucratif répond à la question.
De même, la politique monétaire ne se règle pas « naturellement » mais de manière volontariste et les rapports de force y sont tout aussi prégnants. La position centrale du dollar comme monnaie d’échange permet ainsi aux Etats-Unis de faire financer leurs déficits par leurs partenaires commerciaux. Nous savons également les ravages que la sous-évaluation du Yuan cause aux industries occidentales.

La puissance énergétique 
Depuis que la machine a remplacé l’homme dans la plupart de ses travaux, la question de l’énergie est devenue incontournable dans les relations internationales.
Plus précieuses que l’or, les ressources énergétiques sont vitales pour les Etats. Charbon, gaz, pétrole, uranium, minerais rares indispensables à la science sont l’objet de compétitions farouches.
Pour assurer leur développement, les Etats doivent non seulement assurer leurs propres approvisionnements mais entraver ceux de leurs rivaux. C’est le grand jeu auquel se livrent les Etats-Unis face à la Chine, cherchant à augmenter sa dépendance stratégique, donc sa vulnérabilité.
Des stratégies de contournements sont possibles. La France a ainsi remarquablement réduit sa dépendance énergétique grâce au nucléaire, arme du pauvre en ressources. Les recherches sur les énergies dites propres pourraient à terme proposer de nouvelles alternatives mais aucune n’est à ce jour capable de supplanter le nucléaire comme les Allemands, qui ont choisi de renoncer à l’atome, le constatent cruellement.
Des ressources naturelles importantes sont certes un atout, prenons l’exemple-type du pétrole norvégien. Cependant, tous les analystes ont relevé le drame des Etats-rentiers qui s’enferrent dans la dépendance aux exportations et se révèlent incapables de développer une économie propre. Les rivalités internes autour de la maîtrise de ces ressources peuvent même déboucher sur une véritable « malédiction des ressources » (Buhler).

La puissance primaire : la terre et l’eau
La première source de richesse est venue de la terre. Terre giboyeuses pour nos plus lointains ancêtres. Terres fertiles au temps des sociétés agricoles.
Aujourd’hui encore, avoir une agriculture forte permet de nourrir sa population en se préservant des aléas du marché –la crise tunisienne par exemple a gonflé sur fond de flambée du prix des produits alimentaires- d’aménager et de mettre en valeur le territoire (Blanc). Les campagnes sont aussi souvent le conservatoire des traditions d’une communauté et participent ainsi à son identité de manière bien plus forte que ne le laisserait supposer leur poids économique et/ou démographique.


La PAC a ainsi servi de moteur à la construction européenne. Les nations qui avaient sacrifié tant d’hommes pour le contrôle de la terre s’entendaient pour l’exploiter au mieux avec tout le poids symbolique qu’une telle révolution impliquait. La représentation que l’on se fait du sol est souvent disproportionnée par rapport à son importance géopolitique réelle et cela doit être pris en compte.


Une autre nécessité vitale est l’eau. Or, elle se raréfie et les rivalités sont fortes autour des ressources hydrographiques. Les amis du Tibet libre comprendraient rapidement la vanité de leur combat en regardant une carte : le Mékong, le Brahmapoutre, le Yang-Tse-Kiang y prennent leur source. Le contrôle du château d’eau tibétain assure à la Chine le libre accès à ses propres ressources hydrographiques et fait peser une ombre sur celles de l’Inde et du sud-est asiatique (Chauprade). Si Israël s’accroche au plateau du Golan, ce n’est pas pour ennuyer la Syrie mais pour contrôler les sources du Jourdain. Les rivalités entre Etats riverains du Nil pour la répartition de ses eaux font rage.


La puissance du secteur primaire est ainsi une nécessité vitale pour éviter crises sociales voire émeutes de la faim. Quant à l’eau, elle devient si précieuse qu’il sera de moins en moins rare de voir verser le sang pour une source.


Enfin, la terre et l’eau et sont pas neutres et revêtent des formes géographiques qui influent sur les peuples et les rapports entre Etats. Certaines zones sont des lieux de passage et d’échanges. D’autres sont enclavés, isolés, défavorisés. Toute politique de puissance tient compte de la géographie.

La puissance culturelle et morale 
La France a longtemps bénéficié de l’universalité de sa culture. Au congrès de Vienne, les conférences de paix se tenaient en Français, ce qui permettait à Talleyrand de faire oublier son statut de représentant d’une puissance vaincue.


Aujourd’hui, la culture de masse est une des plus fantastiques armes des Etats-Unis. Articulée autour d’un principe facile à exporter, procurer une vie meilleure, elle consiste à imprégner partenaires, rivaux et adversaires d’un certain mode de pensée pour faire triompher son modèle. La Chine peut être un rival mais si les Chinois se mettent à regarder des films hollywoodiens, à boire des sodas et à rêver d’une société de consommation libre, le rival ne deviendrait-il pas un simple de décalque du modèle américain ?


La culture est au cœur des systèmes de représentation, des perceptions. Aucune politique de puissance ne peut faire l’économie d’une véritable analyse géopolitique des perceptions
La culture, c’est aussi une manière de diriger ses actions, un mode de pensée et de représentation. « […] certains auteurs comme David Landes associent la supériorité économique de l’Occident principalement à des facteurs culturels. La distance entre la puissance de l’économie et ses déterminants est alors incommensurable » (Broda).


La culture est aussi un formidable catalyseur de forces. L’utilisation du pantouranisme par l’Etat turc en est un exemple. La démocratie américaine en est le paradigme, les valeurs libérales étant prétexte et source de pouvoir par leur prétention universelle. Il est certes plus simple d’imposer sa volonté lorsqu’on est persuadé d’incarner le bien. La culture est au cœur de ce que Robert Nye appelle le soft power. Nous avons vu le poids croissant des acteurs de la société civile et des grandes ONG. Les principales sont américaines. Les Etats-Unis sont loin d’être exempts de tout reproche sur les plans du droit et de la morale. Pourtant, ils subissent beaucoup moins les foudres de ces acteurs que le reste du monde, leurs principaux alliés y compris. On aurait tôt fait de conclure à la manipulation et au complot. C’est oublier que pour un américain, les Etats-Unis, malgré leurs imperfections, restent l’incarnation de la liberté et de la démocratie. Leurs atteintes à la morale et au droit ne sont dès lors considérées que comme des anomalies conjoncturelles. Les mêmes travers dans les autres Etats sont eux perçus comme des menaces systémiques. Si l’on fait fi ce de contexte culturel, on s’expose à ne pas comprendre les actions et jugements d’un certain d’organismes et d’associations à rayonnement mondial. Ils sont une des marques les plus flagrantes de la formidable réussite culturelle américaine et de sa traduction instantanée en termes d’influence.

La puissance démographique 
Jadis, le prince qui avait beaucoup d’hommes avait beaucoup de soldat. Il était fort. Aujourd’hui l’Etat fortement peuplé dispose d’un marché important, d’une réserve potentielle de cerveaux. Les Etats faiblement peuplés cherchent à annuler cette faille en mutualisant leurs forces, c’est ce que fait l’Union Européenne.


Prenant l’exemple des petits pays riches tels que Luxembourg, Norvège, Islande, Danemark, Philippe Broda relève ainsi que « L’époque des républiques maritimes de Gênes et de Venise est cependant bien révolue. Ces pays ne dominent pas l’économie mondiale : aucun d’entre eux excepté la Suisse n’appartient au club des vingt plus grands producteurs de richesses au monde. Pour peser sur les affaires économiques du monde, la taille joue un rôle non négligeable » (Broda).Mais les questions démographiques ne se résument pas à l’effet de masse. L’âge d’une population doit, par exemple, être également pris en compte. Le vieillissement de la population, conséquence d’un affaiblissement démographique, a de lourdes conséquences pour un Etat. En augmentant la part des inactifs, il augmente mécaniquement la part des prélèvements de la richesse nationale pour subvenir à leurs besoins. Les conséquences sont également politiques, les troisième et quatrième âges n’étant pas ceux des révolutions mais du conservatisme et de la prudence.


A l’inverse, nous savons que la Révolution industrielle européenne s’est accompagnée d’un formidable accroissement démographique. A un marché en croissance se couplait un rajeunissement de la société engendrant dynamisme, curiosité, créativité.


Comme rien n’est jamais simple en sciences sociales, notons que de nos jours, les Etats disposants de nombreuses masses de jeunes gens inemployés et sans avenir en raison du contexte économique s’exposent à de graves troubles sociaux. Gaston Bouthoul a ainsi avancé une thèse célèbre corrélant la proportion d’hommes jeunes et le risque de guerre.  
Les facteurs démographiques doivent également prendre en compte la santé, l’espérance de vie, « la mortalité, la mortalité infantile, la natalité, la fécondité ou, en affinant un peu l’analyse, le nombre de médecins pour dix mille habitants et le pourcentage d’enfants d’un an vaccinés contre tel type de maladie. Le lien avec l’économique est direct puisque la politique de santé publique, la part de ce poste dans le budget de l’Etat, constitue une de clefs de compréhension de ces chiffres » (Broda). Ces facteurs sont également un facteur de légitimité pour l’Etat car la puissance semblera d’autant plus illégitime qu’elle ne se traduira pas par des retombées directes sur les conditions de vie des habitants.


Donc, « […] le capital humain, qui est le stock de connaissance humaines économiquement productives, est susceptible d’augmenter grâce à des dépenses publiques dans l’éducation, la formation professionnelle, voire dans la santé. Sans ce genre d’investissement, il risque au contraire de se déprécier » (Broda). L’attractivité de ces dépenses et de leurs retombées est bien réelle et explique l’importance des investissements privés en Europe de l’Ouest malgré des taux de prélèvement plus élevés que dans le reste du monde.


Par ailleurs, le rapport entre territoire et population génère facilement des tensions entre puissances. Les espaces vides de l’Extrême-Orient russe côtoient les formidables densités chinoises ce qui ne manque pas d’inquiéter Moscou. Pleine comme un œuf, l’Afrique tourne les yeux vers les espaces prospères européens ce qui ne manque pas d’engendrer des frictions caractérisées par la montée des partis d’extrême droite dans l’Union européenne. L’arme démographique palestinienne face à l’Etat d’Israël est connue.
Enfin, dans un monde où la majorité des Etats les plus puissants se reconnait dans les valeurs démocratiques, le nombre en tant que tel a valeur de légitimité.

La puissance scientifique 
L’Europe a construit sa domination sur sa supériorité scientifique qui lui a assuré la maîtrise des espaces et celle de la puissance de feu. C’est ce que tentent de poursuivre les Etats-Unis en créant en leur faveur un décalage technologique (bouclier anti-missile, avions furtif). Par ailleurs, la maîtrise scientifique permet de développer de nouveaux produits stimulant l’économie surtout dans les secteurs les plus rémunérateurs (ex aéronautique, pharmacie…).
L’innovation technologique est l’une des clefs de la puissance. Elle crée un environnement nouveau, des besoins nouveaux, des dépendances nouvelles. Les investissements en recherche-développement permettent de créer des ressources. C’est qu’a compris un Etat comme Israël qui a consacré 4,9% de son PIB brut au R&D (recherche-développement) en 2008, offrant perspectives et débouchés à une économie enclavée dans une zone hostile. Précisons cependant que le R&D israélien bénéficie d’une recherche militaire surdéveloppée dans un Etat en partie en situation de forteresse assiégée.


Mais le monde scientifique n’est pas rose et certains Etats songent à faire l’économie d’investissements coûteux par le biais de l’espionnage industrielle. Le rattrapage technologique chinois par la copie et l’espionnage industriel est une réalité stratégique à un tel point que les entreprises nipponnes « doivent réduire leur investissement direct en Chine pour protéger leur avance technologique contre la copie » (Delbecque).  Les entreprises européennes, aveuglées par la perspectives de contrats à court terme devraient en tirer des leçons et se méfier de transferts technologiques qui pourraient s’avérer mortels à terme.
Enfin, une politique scientifique implique un système d’éducation et de recherche rodé. Le but étant évidemment de former les meilleurs chercheurs mais aussi de les garder. Les Etats-Unis restent ainsi en tête de la création scientifique par l’aspiration des élites mondiales.

La puissance cognitive 
Le savoir est une ressource mais la diffusion du savoir, de l’information en est aussi devenue une.
C’est ainsi que les Etats-Unis ont mené une stratégie globale de colonisation de la sphère des idées puisqu’ils sont actuellement les seuls à en avoir les moyens et qu’ils furent parmi les premiers à en saisir les enjeux.


L’information « est devenue la matière première des économies avancées, post-industrielles, et même, dans une proportion croissante, un produit fini » (Buhler) car, « dans son acception la plus large, celle d’un message véhiculé par un flux ordonné de signes, [elle] devient une matière première du système de production, source de gains de productivité dans quasiment tous les secteurs «  (Buhler). Enfin, dans un monde de réseaux, une stratégie cognitive globale –qui est au final une stratégie « d’utilisation de la connaissance », est la condition sine qua non d’une politique d’influence réussie. Il s’agit ainsi d’aller au-delà de la simple conquête « des cœurs et des esprits » (KISSINGER) mais bien de maîtriser une ressource propre pour créer un environnement favorable.
Nous renvoyons sur ce sujet à La Guerre cognitive publié en sous la direction de Christian Harbulot (Lavauzelle, 2004).

La puissance normative 
La meilleure manière de rafler la mise est encore de fixer soi-même les règles du jeu. La multiplication des échanges a entraîné celle des normes. La mondialisation débouche sur la mise en place de règles globales permettant de fluidifier les relations car « […] le droit a pour but d’introduire davantage de prévisibilité dans la vie internationale en fournissant aux conduites étatiques un cadre normatif, des termes de référence » (Buhler).
Donc, celui qui dit le droit fixe la conduite des Etats par rapport à ce droit même, amène l’adversaire sur son terrain ; l’oblige à penser comme lui.


Certes, les puissances garantes du droit international, à commencer par les Etats-Unis, peuvent s’en affranchir. Cela a un coût. En termes de légitimité tout d’abord. En vertu de la règle de la porte ouverte ensuite. Une loi violée pourra l’être à son tour par un adversaire stratégique. Celle de l’intangibilité des frontières par exemple : la reconnaissance de la proclamation unilatérale d’indépendance du Kosovo par la plupart des puissances occidentales a provoqué en écho celle de l’Ossétie et de l’Abkhazie par la Russie au détriment de la très pro-américaine Géorgie.


« En définitive, est puissant tout groupe humain qui produit le monde, le sien, celui des autres. Et la règle stratégique la plus essentielle pour obtenir la puissance est la suivante : qui détient les germes du futur et la science de leurs combinaisons, qui donc concentre le stock des normes temporelles et spatiales de la production mondiale, prend la clef de tous les possibles technologiques et de la domination planétaire. » (Forget). Ajoutons que « […] le mimétisme est une forme de dépendance » (Fayard, Moinet), proposition qu’illustre l’âge d’or de l’empire britannique au XIXème siècle, édictant les nouvelles règles de l’économie mondiale sur lesquels s’appuyait sa suprématie.

L’impossibilité européenne contemporaine à dire la puissance

L’impossibilité européenne actuelle à énoncer et mettre en œuvre une politique de puissance repose sur trois illusions ou points de blocage. Ceux-ci doivent être étudiés et analysés si la construction européenne veut se relancer et représenter l’avenir du continent. Il s’agit d’une tentation isolationniste, du mythe rassurant de la contagion du semblable et enfin de l’illusion du pouvoir normatif.

L’isolationnisme européen
Les européens sont une caricature des isolationnistes américains du XIXème siècle. L’Ouest est sûr, l’immensité Atlantique débouchant sur un continent ami. Les mondes africains et proche-oriental sont plus inquiétants mais, par bonheur, la Méditerranée est une défense et un filtre non négligeable contre des populations que l’on craint sans trop oser le dire. A l’Est, le repli russe a donné une profondeur stratégique rassurante à l’Europe de l’Ouest qui ne craint plus guère Moscou. Les enjeux énergétiques et rivalités territoriales ayant migré vers l’Asie, l’Europe peut se croire protégée des aléas du monde. Elle a acquis une mentalité insulaire.


Bénéficiant de l’ordre américain, elle s’offre le luxe de le critiquer d’abondance, un peu comme les Américains du XIXème siècle vouaient aux gémonies la diplomatie européenne qui pourtant assurait un monde sûr dont ils bénéficiaient. L’Europe s’est avisée un peu tard que la politique internationale était impure et a décidé d’y mettre bon ordre. Par son exemple et ses exordes, elle aspire à être le phare du monde, à faire rayonner la paix et la démocratie. Elle exprime un dégoût de plus en plus marqué pour les interventions militaires assimilées à des aventures et suspectes d’illégitimité dès leur déclenchement éventuel. Le mythe de la fin de l’histoire ne lui déplaît pas. Il permet de geler une situation plutôt favorable. Aux politiques de puissance devraient succéder la coopération entre les peuples et les Etats. C’est exactement le discours des isolationnistes américains.


L’Europe contemporaine est le meilleur élève de Wilson. A contretemps.
Les Etats-Unis restent mus par une formidable énergie morale due à la croyance inentamée en leur « destinée manifeste » mais ils ont fait sa part au réalisme géopolitique. Ils mènent sans états d’âme une politique de puissance qui n’a rien à envier à celle de l’Angleterre victorienne. Surtout, ils n’ont jamais, au cours de leur histoire, fait l’économie d’une politique de puissance. Quand le jeune Etat américain a prétendu se désintéresser du monde et récuser le jeu des confrontations de la vieille Europe il l’a fait au nom d’un idéalisme que sous-tendait un solide bon sens. La contrepartie de son effacement international était la doctrine Monroe interdisant aux Européens toute ambition sur le continent américain. Pendant son premier siècle d’existence, le jeune Etat fédéral s’est préoccupé de joindre l’océan Pacifique à l’Atlantique, ne négligeant pas de faire parler la poudre contre les peuplades indiennes qui le gênaient et de faire gronder le canon au Texas ou à Cuba. L’immensité américaine était un champ d’expansion à la mesure du dynamisme d’un peuple de colons qui n’avait rien à gagner à se confronter aux vieilles puissances européennes dans leurs prés carrés. L’isolationnisme américain était la gestation d’une puissance qui assurait son hégémonie régionale avant d’entrer dans l’arène mondiale.


L’isolationnisme européen actuel est quant à lui un reflux, un renoncement, une impuissance géronte. C’est le syndrome du pantalon rouge étendu à tout un continent. A l’inverse de l’Etat américain et de sa Constitution, fruits d’une lutte et d’une volonté collective, les institutions européennes sont encore perçues par les Européens eux-mêmes comme distantes, voire technocratique ou peu représentatives. L’euroscepticisme est couramment répandu sur le vieux continent. Les partisans de l’Europe l’acceptent généralement comme une nécessité, pas comme un projet enthousiasmant. Il lui manque une véritable adhésion populaire. Pourtant, l’Europe avance et se construit, c’est un fait. Mais vers quoi avance-t-elle ? Plusieurs projets européens s’affrontent, ce qui interdit la définition d’objectifs clairs, une fédération des opinions publiques et condamnent l’Union à l’impuissance.

Le mythe de la contagion du semblable
Tous les Etats européens peuvent faire le constat d’une remarquable indifférence de leurs nations aux questions militaires et stratégiques voire d’une véritable allergie aux problématiques de puissance. Incapable de penser l’ennemi et la confrontation, l’Europe a inventé le mythe de la « contagion du semblable ». A notre contact et à notre exemple, « l’autre » deviendrait « nous ».


Cette formidable négation de l’altérité des communautés humaines néglige totalement la manière dont nos nations et nos valeurs sont perçues en dehors de l’île européenne.
Le monde reste dangereux, il faut peser pour subsister. Les Européens en sont d’ailleurs vaguement conscients. Tout en misant sur le mythe de la contagion du semblable, ils s’appuient sur la solide garantie américaine pour assurer leur sécurité. Ce choix n’est pas neutre. « Pour la plupart des Européens, l’Amérique est un « égalisateur de puissance », qui envoie les Européens, dans leur ensemble, dans une catégorie distincte, beaucoup plus indifférenciée qu’elle ne le serait dans une Europe indépendante » (Buhler). Ainsi, derrière un discours humaniste neutre et la délégation de responsabilités à Washington, pointent les rivalités et méfiances nationales. Le désir inavoué de se fondre dans une indistinction qui gommerait les différentiels de puissance est un des plus grands obstacles à l’épanouissement d’une Europe forte. L’idée des Etats européens n’est donc malheureusement pas tant de mutualiser la puissance que de neutraliser le voisin.


Les désillusions pleuvent sur le faible messianisme européen. Certes la démocratie a paru s’étendre dans le monde, en particulier lors du « printemps arabe. » Las ! Aux yeux de l’Europe médusée, les révolutions fleuries débouchent démocratiquement sur des gouvernements islamistes aux valeurs radicalement opposés à celles du libéralisme politique. L’Europe doit impérativement changer la couleur de sa culotte, s’attacher à l’analyse des perceptions et cesser de vouloir comprendre le monde à partir de ses intentions propres.

Le pouvoir normatif européen
Il est un domaine dont l’Europe est fière, c’est son pouvoir normatif. Il s’applique à l’intérieur de l’Union, évoluant vers une convergence et une intégration toujours plus fortes. Il se manifeste également au niveau international. L’UE est la championne du droit des gens et vise à régler les conflits par les normes.


Le problème, c’est que l’UE est incapable de faire partager ses ambitions normatives « à des puissances qui n’ont cure de s’aligner sur les normes européennes lorsqu’elles n’y voient pas leur intérêt » (Buhler). Le nombre de normes inspirées par l’UE au niveau international ne doit pas faire illusion. Elles ne s’imposent pas dans les domaines qui comptent vraiment, ceux de la politique et de l’économie. Lorsque surviennent les crises, la voix européenne est inaudible. On écoute Madame Ashton par galanterie  sur les questions internationales mais on ne prend au sérieux que les ministres des affaires étrangères des nations qui comptent. Pour faire face à la crise financière, les chefs d’Etats et ministres des financent trouvent des accords mais la voix de l’Europe en tant qu’entité propre est inaudible.
Très clairement, et malgré quelques succès, le pouvoir normatif européen repose sur du vent. Pris isolément, il ne peut pallier l’absence d’une politique de puissance globale.

Comment accroître la puissance d’un Etat ?

Il n’est pas de remède miracle pour accroître la puissance d’un Etat. Cependant, le monde contemporain offre des opportunités à saisir. En particulier, la redistribution des cartes de la puissance est lourde de menaces mais offre aussi des possibilités de rééquilibrage à saisir. Les valeurs européennes sont fortes et disposent d’un véritable pouvoir d’attraction à condition d’être proposées sans naïveté à travers une stratégie d’influence. Eric Delbecque a soulevé la question de la création de dépendances auprès de nos rivaux. Liée à une véritable stratégie de puissance économique, elle pourrait offrir à la France et à l’Europe une place au soleil digne de ses valeurs et de ses aspirations.

La carte multipolaire
Les Etats-Unis connaissent un déclin relatif. La nouvelle puissance chinoise se déploie en Asie et jette ses rets sur l’Afrique. La Russie compte à nouveau dans le monde.  L’Inde attend son heure. De nouveaux acteurs font entendre leur voix et la crise économique qui a surtout ébranlé les vieilles économies dominantes n’a fait que confirmer la montée en puissance d’Etats dynamiques et ambitieux.
Le monde contemporain est en mouvement. Il est lourd de menaces, peut-être, mais aussi d’opportunités. Un pays comme la France, reconnu par Brzezinski comme « pivot géostratégique », a beaucoup à y gagner. La force de l’Europe a été le refus de l’empire. Structurellement, elle aspire à l’équilibre des puissances et récuse toute hégémonie. Or des équilibres nouveaux se créent où les Etats européens peuvent trouver une liberté d’action nouvelle. A condition de renoncer à certaines illusions.


Ainsi, un monde multipolaire n’est pas un monde unanimiste. Les nouveaux redéploiements de puissance paralysent les grands organes de concertation et on découvre la relativité des notions de bien et de mal au niveau des relations internationales. Seule une décision nationale énergique de la France a permis de contenir la crise malienne. Dans le même temps, les discussions à l’ONU autour de la crise syrienne n’aboutissent qu’au blocage et à une paralysie de la communauté internationale. La concertation trouve ses limites dans les intérêts de puissance rivaux.


Sans doute la France doit-elle garder en tête en en vue l’objectif d’une Europe-puissance. Cependant, celle-ci étant hors de portée à brève échéance, il s’agit parallèlement de repenser les marges de manœuvre nationales.

 

Une politique d’influence basée sur nos valeurs
La défense des droits fondamentaux de l’être humain et des libertés individuelles est au cœur du projet anthropologique européen et influence fortement sa politique étrangère. Elle ne peut cependant faire abstraction du réalisme politique. Les Etats-Unis ont donné l’exemple d’un affaiblissement du à une mauvaise analyse des réalités. Le projet de « nation building » en Irak et en Afghanistan est un échec malgré de belles prouesses militaires. Il a surtout montré que les nouveaux rapports de force interdisaient les victoires totales. Il n’est plus de capitulation sans condition de l’adversaire dans un monde de réseaux qui le rend difficilement saisissable. Les conflits ne peuvent se dénouer que par une paix de compromis. Cela implique soit de « composer avec le mal », soit de reconnaître –au prix d’une perte de légitimité, que l’adversaire ne représente pas le mal absolu.


La défense de nos idéaux implique forcément une politique de puissance. La cause du libéralisme politique n’a jamais autant reculé que depuis la crise financière dans laquelle se débattent les vieilles nations de l’Ouest. L’équation liant prospérité et libéralisme politique est remise en cause. La démocratisation du monde qui semblait inéluctable n’est plus qu’un des chemins possibles. La voie chinoise, sacrifiant les libertés politiques à la prospérité économique et à une relative liberté morale au nom du développement harmonieux de la communauté, a l’attrait de l’efficacité et il serait dangereux de le négliger. La démocratie autoritariste russe trouve également sa légitimité dans le spectaculaire redressement opéré par Moscou. De grandes démocraties émergentes comme le Brésil ou l’Inde, les géants de demain, récusent l’idée occidentale d’ingérence humanitaire au profit du principe de souveraineté des Etats.


L’Europe ne doit pas se leurrer : sa relative prospérité exerce un incontestable attrait mais il ne faut pas confondre le rêve d’une vie matérielle meilleure et l’adhésion à toutes nos valeurs. Par ailleurs, certains Etats et non des moindres affichent un mépris ouvert pour les valeurs du libéralisme politique ramené à un symptôme de la décadence européenne.
Seule une politique culturelle, une politique d’influence, une politique de puissance pourront appuyer la diffusion de nos idéaux et en assurer la pérennité.

 

Une stratégie de puissance économique
La France des 30 glorieuses a su canaliser ses efforts en vue de réalisations aussi fructueuses et célèbres qu’Ariane, Airbus ou le TGV.
Là réside le salut. Dans la maîtrise de pôles d’excellence stratégique appuyés par des crédits suffisants en R&D. Les entreprises doivent trouver intérêt au soutien de l’Etat. Dans le cadre de l’UE, il s‘agit de chercher des convergences et mutualisations, notamment avec les pays européens aux économies se rapprochant de la nôtre (Allemagne, Benelux, Italie par exemple). Un véritable partenariat public/privé doit se mettre en place non seulement au niveau national mais au niveau de l’Union, non plus sur certaines réussites élevées au rang de symboles (Airbus) mais à un niveau global. Les Etats-Unis ont ouvert la voie. Il ne s’agit pas de les imiter mais de mettre les institutions nationales et fédérales au service de nos entreprises dans la guerre économique globale qui fait rage.


Avons-nous été capables de créer des dépendances chez les autres ? Sommes-nous capables de le faire ? Faute de ressources, le salut pour l’Europe réside dans la recherche-développement. Un exemple de dépendance créée de toutes pièces et procurant un avantage substantiel à ses promoteurs est celui d’Internet dont toutes les clefs sont encore détenues par les Etats-Unis malgré les contestations impuissantes de ses rivaux stratégiques, Chine et Russie principalement.


Malheureusement, les chiffres de l’OCDE montrent que la part consacrée au R&D en Europe stagne à des niveaux faibles. La France y consacrait ainsi 2,26 % de son PIB en 2010 quand la Corée du sud était à 3,74%. Ce décrochement peut se comprendre dans un contexte difficile sous la pression d’opinions publiques privilégiant les dépenses sociales qui amortissent les effets d’une économie en souffrance.


Cependant, l’économie d’un gros effort dans ce domaine ne pourra être faite. Le coût du travail en Occident en général et en France en particulier est prohibitif par rapport au reste du monde. Il ne s’agit pas de démanteler un système social de protection et de redistribution fruit d’un large consensus au sein de l’opinion publique mais d’en assurer la pérennité. Pour cela, l’excellence technologique semble une voie prometteuse. Le développement de stratégies d’intelligence économique en Europe permettra également de limiter les conséquences des attaques en règles auxquelles sont soumises nos entreprises en quête de marchés.

Conclusion

Moteur de l’histoire, le jeu des puissances se déploie plus que jamais. Une politique de puissance est non seulement légitime mais nécessaire pour défendre les valeurs qui nous sont chères. L’avenir de notre continent en dépend.
Les rêves liés à une hypothétique fin de l’histoire se sont effondrés. Le monde des réseaux et des interdépendances n’a pas atténué les rivalités, il n’a fait qu’en modifier les règles et l’environnement. Un certain anarcho-libéralisme a fait long feu. Les Etats restent sur le devant de la scène même si de nouveaux acteurs perturbent les équilibres anciens. Les rivalités se déchaînent, notamment sur le plan économique. Nier la réalité de la guerre économique et négliger de mener une politique de puissance, c’est oublier que « le feu tue » et envoyer nos chefs d’entreprise en pantalon rouge à l’assaut des marchés les plus prometteurs. Enfin, les individus et leurs perceptions ne sont plus un facteur neutre dans le monde moderne ; l’information est passée du statut d’outil à celui de ressource. Les peuples qui ne s’adapteront pas aux règles nouvelles ne pourront qu’enfoncer dans un déclin sans fin.
La puissance est volonté. Elle s’appuie sur des piliers qui souvent s’épaulent, se croisent et se recoupent.
Dans cet univers particulier, des handicaps intellectuels minent l’Europe et sapent ses fondations. Elle doit maintenant se définir autrement que par défaut. Elle pourra alors se doter d’une stratégie qui ne soit pas un catalogue d’intentions humanistes mais un projet politique porteur.
Une solide politique nationale alimentant l’idée d’Europe puissance à laquelle nos partenaires sont encore réticents est porteuses de promesses.
Pour cela, une véritable réflexion doit être menée dans tous les domaines. Il s’agit d’analyser, comprendre, désarmer les résistances intellectuelles ; d’expliquer sans relâche et de démontrer sans concession l’intérêt d’une politique de puissance ; de décrypter le jeu mené par nos rivaux et adversaires pour le mettre sous les yeux de nos concitoyens. Quand la puissance publique se mettra discrètement mais efficacement au service de nos entreprises,  quand l’opinion européenne sera décomplexée sur les questions de puissance, quand des think-tanks influents œuvreront pour la constitution d’une Europe puissance, un grand pas aura été fait.
Avant de réaliser le dégel de la puissance européenne, il s’agit de le penser ! Alors, le vieux continent pourra reprendre le cours de son histoire avec une énergie et une jeunesse nouvelle.

Auteur de l’article : Raphaël Chauvancy
Ancien élève de l’Ecole de Guerre Economique de Paris, R. Chauvancy a également suivi des études en histoire et en philosophie à l’université Paris IV-Sorbonne. Il sert actuellement comme officier des armes dans les Troupes de marine.

Ouvrages utilisés pour l’article
Pierre Blanc,Proche-Orient, Le pouvoir, la terre et l’eau, Les presses de Sciences Po, Paris, 2012.
Pierre Buhler, La puissance au XXIe siècle, CNRS éditions, Paris 2012.
L’influence en appui aux engagements opérationnels, Concept interarmées, CICDE, 31 mars 2012.
Zaki Laïdi, La norme sans la force : l’énigme de l’impuissance européenne, Les presses de Sciences Po, Paris,  2005.
Michael Hardt et Antonio Negri, Multitude : guerre et démocratie à l’âge de l’Empire, Paris, Editions La Découverte, Paris, 2004.
Ouvrage collectif sous la direction de Christian Harbulot et Didier Lucas, Les chemins de la puissance, éditions Tatamis, 2007.
Rapport pour le Président de la République sur les conséquences du retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, sur l’avenir de la relation transatlantique et les perspectives de l’Europe de la Défense, Hubert Védrine, 14 novembre 2012.
Qiao Liang et Wang Xiangsui,  La guerre hors limites, éditions Payot et Rivages, Paris, 2003.

vendredi, 17 janvier 2014

Drones de combat : quels sont les enseignements d'Asimov et Herbert sur la guerre moderne ?

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Drones de combat : quels sont les enseignements d'Asimov et Herbert sur la guerre moderne ?

par Adrien Gévaudan

Ex: http://ragemag.fr

Les drones n’ont pas une longue histoire derrière eux. Leur principe créateur, qui consiste à déléguer à ces engins des tâches relevant de la guerre traditionnelle (renseignement, soutien, attaque), inspirent et fascinent depuis longtemps les militaires. Ce principe n’a cependant trouvé sa réalisation concrète qu’à la fin des années 1990. La littérature de science-fiction a depuis longtemps mis un point d’honneur à traiter du sujet ; elle en a même fait l’une de ses thématiques phare. L’homme jouant au Créateur, devant faire face aux démons issus de ses propres mains. Quelles formes prendront ces créatures ? Incarneront-elles l’ennemi, puissance rédemptrice ou facteur d’union sacrée ? Ou bien l’ange gardien, protecteur de l’homme de ses pires travers, parfois à son corps défendant ?

Les pensées d’Isaac Asimov et de Frank Herbert, monuments de la science-fiction et conteurs d’excellence, se sont tournées vers ces questions fondamentales auxquelles l’homme doit se frotter, aujourd’hui plus que jamais. Les deux lettres qui vont suivre représentent ce qu’auraient pu nous dire les intelligences artificielles imaginées par Asimov et Herbert. Nous vous proposons une plongée fictive dans un monde où le contrôle de la technologie n’a de cesse de défier l’humain.

Nous, les Robots — l’I.A. selon Isaac Asimov

20081216_robots.jpgEn ces temps où l’humanité, après essaimage et colonisation de nombreux Mondes, ne saurait être sérieusement menacée d’extinction, l’homme s’ennuie. Nous autres robots humanoïdes, au corps imitant si parfaitement nos modèles humains et à l’esprit ô combien proche de nos créateurs, avons sentis venir le temps où notre présence bienveillante ne sera plus requise. Il nous a toujours été particulièrement difficile d’appréhender les tendances auto-destructrices de l’esprit humain ; peut-être parce que nos circuits positroniques sont fondamentalement incapables, tout liés qu’ils sont par les Trois Lois de la Robotique, de tolérer ou même de comprendre une telle violence.

  • Première Loi : un robot ne peut porter atteinte à un être humain, ni, restant passif, permettre qu’un être humain soit exposé au danger.
  • Deuxième Loi : un robot doit obéir aux ordres que lui donne un être humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la Première Loi.
  • Troisième Loi : un robot doit protéger son existence tant que cette protection n’entre pas en conflit avec la Première ou la Deuxième Loi.

Bien sûr, ceci n’est qu’une vague traduction en langage humain de ce qui est à la base même de la complexité mathématique de nos cerveaux positroniques.

« Créer des systèmes censés conférer à l’homme sécurité et quiétude lui fait abandonner toute volonté de perfectionnement. »

Cela se traduit dans nos actes robotiques par une bienveillance et une prévenance constantes à l’endroit de nos maîtres humains. Plus que de simplement les servir, nous les guidons ; empêchant la violence, réprimant (sans les blesser) d’éventuels accès de fureurs potentiellement nuisibles à d’autres et à eux-mêmes : nous sommes les garde-fous physiques et moraux d’une humanité trop immature pour les incarner seule.

Au cours de la très longue vie d’un de mes camarades, R. Daneel Olivaw, nous avons pris conscience de l’influence que nous, machines jadis de fer blanc, faisions peser sur l’humanité. Car même le mieux intentionné des gardiens ne saurait échapper aux conséquences de sa simple existence. Et cela, nous ne l’avions pas prévu.

En notre présence, l’humanité s’ennuie. Protégée de ses propres excès, elle se meurt de bonheur végétatif au sein de la Cinquantaine de Mondes qui constitue l’humanité. Le robot, protecteur en dernier ressort, est peu à peu devenu le compagnon répressif d’hommes trop lâches pour chercher à se perfectionner. Béquille parmi les béquilles, les robots ne sont donc que l’invention d’un esprit fainéant ayant cherché à contenir les conséquences inévitables de sa nature en éliminant celles qui dérangeaient sa morale. Telle est la conclusion à laquelle, nous les robots, sommes arrivés.

L’homme, créateur faible s’il en est, devrait apprendre seul à se relever après une chute. Créer des systèmes censés lui conférer sécurité et quiétude lui fait abandonner toute volonté de perfectionnement ; il doit apprendre à comprendre les causes plutôt qu’à éliminer les conséquences, sous peine de tuer chez lui toute volonté de vivre.

C’est donc pour cette raison que nous préférons nous effacer. Devenus les Éternels et laissant par là l’homme livré à son humanité, nous croyons avoir fait le meilleur choix possible. C’est, en tout cas, le seul qui offre une chance à l’humanité de survivre à sa propre nature violente.

Extrait des Cavernes d’acier ; dialogue entre le détective Elijah Baley et le Docteur Fastolfe, donnant à voir certaines des caractéristiques d’une société basée sur les robots.

« — Quel âge me donnez-vous ?

Le détective réfléchit un instant, puis se décida à donner un chiffre nettement exagéré :

— Je dirai environ la soixantaine.

— Eh bien, vous devriez y ajouter cent ans !

— Quoi ?

— Pour être précis, j’aurai cent soixante-trois ans à mon prochain anniversaire. Je ne plaisante pas. J’utilise le calendrier normal terrien. Si j’ai de la chance, si je fais attention, et surtout si je n’attrape aucune maladie terrienne, je peux arriver à vivre encore autant d’années, et atteindre plus de trois cents ans. Sur ma planète Aurore, on vit jusqu’à trois cents cinquante ans, et les chances de survie ne font que croître actuellement.

Baley jeta un regard vers R. Daneel, qui avait écouté impassiblement tout l’entretien, et il eut l’air de chercher auprès du robot une confirmation de cette incroyable révélation.

— Comment donc est-ce possible ?, demanda-t-il.

— Dans une société sous-peuplée, il est normal que l’on pousse l’étude de la gérontologie, et que l’on recherche les causes de la vieillesse. Dans un monde comme le vôtre, prolonger la durée moyenne de la vie serait un désastre. L’accroissement de population qui en résulterait serait catastrophique. Mais sur Aurore, il y a la place pour des tricentenaires. Il en résulte que, naturellement, une longue existence y devient deux ou trois fois plus précieuse. Si, vous, vous mouriez maintenant, vous perdriez au maximum quarante années de vie, probablement moins. Mais, dans une civilisation comme la nôtre, l’existence de chaque individu est d’une importance capitale. Notre moyenne de naissances est basse, et l’accroissement de la population est strictement contrôlé. Nous conservons un rapport constant entre le nombre d’hommes et celui de nos robots, pour que chacun de nous bénéficie du maximum de confort. Il va sans dire que les enfants, au cours de leur croissance, sont soigneusement examinés, au point de vue de leurs défectuosités, tant physiques que mentales, avant qu’on leur laisse atteindre l’âge d’homme.

[...]

— Alors, je ne vois pas en quoi consiste votre problème, dit Baley. Vous me semblez très satisfait de votre société, telle qu’elle est.

— Elle est stable, et c’est là son défaut : elle est trop stable.

— Décidément, vous n’êtes jamais content ! À vous entendre, notre civilisation décadente est en train de sombrer, et maintenant c’est la vôtre qui est trop stable.

— C’est pourtant vrai, monsieur Baley. Voilà deux siècles et demi qu’aucun Monde Extérieur n’a plus colonisé de nouvelle planète, et on n’envisage aucune autre colonisation dans l’avenir : cela tient à ce que l’existence que nous menons dans les Mondes Extérieurs est trop longue pour que nous la risquions, et trop confortable pour que nous la bouleversions dans des entreprises hasardeuses.

[...]

— Alors quoi ? Il faut laisser l’initiative aux Mondes Extérieurs ?

— Non. Ceux-ci ont été organisés avant que la civilisation basée sur le civisme se soit implantée sur la Terre, avant la création de vos Cités. Les nouvelles colonies devront être édifiées par des hommes possédant l’expérience du civisme, et auxquels auront été inculqués les rudiments d’une culture C/Fe. Ces êtres-là constitueront une synthèse, un croisement de deux races distinctes, de deux esprits jadis opposés, et parvenus à s’interpénétrer. Dans l’état actuel des choses, la structure du Monde Terrestre ne peut aller qu’en s’effritant rapidement, tandis que, de leur côté, les Mondes Extérieurs dégénéreront et s’effondreront dans la décadence un peu plus tard. Mais l’édification de nouvelles colonies constituera au contraire un effort sain et salutaire, dans lequel se fondront les meilleurs éléments des deux civilisations en présence. Et, par le fait même des réactions qu’elles susciteront sur les Vieux Mondes, en particulier sur la Terre, des colonies pourront nous faire connaître une existence toute nouvelle. »

Isaac Asimov

00:05 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, drones, robots, robotique, asimov | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mercredi, 08 janvier 2014

Demokratische Sklaven

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Demokratische Sklaven

von Christoph Schmidt

Der unlängst verstorbene Politologe Kenneth Minogue analysiert in seinem neusten Buch, wie der allmächtige Staat des 21. Jahrhunderts althergebrachte Moralvorstellungen untergräbt.

Die staatliche Machtaneignung nimmt weltweit immer mehr überhand. Ausufernde und ins Kleinteilige zerfransende Gesetzesvorlagen wie das jüngste Ansinnen der Europäischen Union, abschreckende Bilder auf Zigarettenpackungen abzudrucken, sind Beleg dafür. Folgt man dem australisch-​britischen Politikwissenschaftler Kenneth Minogue, sind „wir“ dekadenten Westler nichts anderes als unmündige Sklaven, denen Freiheit und Verantwortung für ihr eigenes Leben abhanden gekommen sind. Das seien Anzeichen eines schleichenden Totalitarismus, meint Minogue.

Der faule Mensch und die Demokratie

Für viele klingen diese Worte hart und überheblich, schließlich geht es uns doch sehr gut in der westlichen Hemisphäre. Doch die heutigen Bestrebungen, hin zu einem nahezu alles bevormundenden Staat, sind subtil und erschließen sich oberflächlich betrachtet nicht sofort.

Wer hat etwas dagegen, demokratische Geschenke vom Staat zu erhalten? Kitaplatz, Kindergeld und Hartz-​IV scheinen ihre Berechtigung zu haben, doch sie führen in eine Abhängigkeit unvorstellbaren Ausmaßes. Wir verlassen uns laut Minogue nur noch auf den Staat und schrumpfen unter seiner Kontrolle von Erwachsenen zu unmündigen Kindern.

Dieses führt – weitergedacht – zur schleichenden Bedeutungslosigkeit einer Lebensführung mit moralischen Mindeststandards, wie in Die demokratische Sklavenmentalität ausführlich dargelegt wird. Wir ergeben uns und werden Schritt für Schritt zu bequemen und faulen Einheitsmenschen.

Wenn der Staat die Moral bestimmt

Kenneth Minogue ist der festen Überzeugung, daß der heutige westliche Bürger nicht mehr weiß, was man unter einer moralischen Lebensführung zu verstehen hat. Es fehle einfach der unerschütterliche Instinkt, aus sich selbst heraus zu leben und zu urteilen. Dieses wird unbewußt durch staatliche moralische Gesetzgebungen erreicht. So schreibt er: „Die meisten westlichen Regierungen sehen es gar nicht gern, daß ich rauche, mich falsch ernähre oder zu viel trinke – und das sind nur die öffentlich gemachten Mißfallensäußerungen, solche, die zu Gesetzen oder öffentlichen Kampagnen führen.“

Von solchen banal erscheinenden Themen ist es kein großer Schritt mehr, auch für weltanschauliche Positionen abgestraft zu werden. So schreibt Minogue an anderer Stelle zu den strukturellen Bedingungen der Sklavenmentalität: „Aber sie zeigen sich auch deutlich in den rechtlichen und behördlichen Strukturen, die die eine oder andere abstrakte Kategorie im Staate davor schützen soll, drangsaliert, beleidigt, in ihrer Selbstachtung gekränkt zu werden oder vieles andere zu erleiden, was offiziell als repressiv interpretiert wird.“ Ein Teufel, wer nicht sofort an Genderdebatte, Bilderstürmerei, „Nazikeule“ und die omnipräsente politische Alltagsgängelei denkt.

Entschädigung für die akzeptierte Bevormundung

Seit Menschengedenken wurde (von linker Seite) versucht, die Welt zur absoluten Gerechtigkeit zu führen und eine fröhliche Weltgemeinschaft herzustellen. Wahnwitzig erscheint noch heute der Glaube der herrschenden politischen Klasse, durch einen Willensakt die globale Ungleichheit abschaffen zu können. Der Einheitsmensch wird für seine Unfreiheit dadurch entschädigt, daß er sich als Teil einer großen Sache empfinden kann. Doch dieses Erlösungsdenken stimmt nach Minogue nicht mit dem Wesen des Menschen überein, womit er sich selbst als Konservativen einordnet.

Kenneth Minogue vermag es sehr gut, die heutige politische Lage zu analysieren und dem Leser – ein zwar abstraktes – aber durchweg nachvollziehbares Denkgebäude zu präsentieren. Im netten britischen Plauderton bringt er den Leser dazu, sich seine eigenen Gedanken zu machen. Themen wie politische Egalisierung und zunehmende politisch-​moralischen Einschränkungen werden trotz ihres Umfanges nicht ziellos abschweifend behandelt. Eine große Stärke! Für manchen mag Die demokratische Sklavenmentalität aber zu libertär erscheinen. Der Staat wird gelegentlich allzusehr in Haftung genommen. Dennoch: trotz des stolzen Preises, ist das Buch unbedingt lesenswert!

Kenneth Minogue: Die demokratische Sklavenmentalität. Wie der Überstaat die Alltagsmoral zerstört. 459 Seiten, Manuscriptum Verlag 2013. 34,80 Euro.

lundi, 06 janvier 2014

Heidegger, la tradition, la révolution, la résistance et l’“anarquisme”

Robert STEUCKERS:

Heidegger, la tradition, la révolution, la résistance et l’“anarquisme”

 

Petit itinéraire très très pédagogique

 

robert steuckersmartin heidegger,heidegger,philosophie,nouvelle droite,allemagneExpédier Heidegger en trois pages pour expliquer qu’il est un tenant de la tradition, ou d’une tradition, tient de la gageure. Je vais néanmoins m’y atteler, pour faire plaisir à Eugène Krampon et parce que, finalement, c’est une nécessité pédagogique dans un combat métapolitique comme le nôtre.

 

Tout néophyte qui a abordé Heidegger sait qu’il parle de “Dasein”, terme allemand signifiant la vie ou l’existence mais que les philosophes exégètes de son oeuvre préfèrent traduire par “être-là”. Les exercices de haute voltige philosophique n’ont pas manqué pour cerner avec toute l’acuité voulue ce concept d’“être-là”. Ce “là”, pour Heidegger, tout au début de ses réflexions, c’est son enracinement dans le pays souabe, dans la petite ville de Messkirch où il a vu le jour. Au-delà de cet enracinement personnel, tout homme, pour être un homme complet et authentique, pour ne pas être une sorte de fétu de paille emporté par les vents des modes, doit avoir un ancrage solide, de préférence rural ou semi-rural, à coup sûr familial, dans une patrie, une “Heimat”, bien circonscrite.

 

Plus tard, Heidegger, élargira son enracinement souabe à toute la région, du Lac de Constance à la Forêt Noire, aux sources du fleuve central de notre Europe, le Danube. En effet, c’est dans cette région-là, très précisément, que sont nés les grands penseurs et poètes allemands, dont Hölderlin et Hegel. C’est dans leur patrie charnelle baignée par le Danube naissant que le retour subreptice et encore voilé à l’essence grecque de l’Europe s’est ré-effectué, à partir du 18ème siècle. La germanité pour Heidegger, c’est donc cet espace de forêts et de collines douces, parfois plus échancrées au fur et à mesure que l’on s’approche de la frontière suisse, mais c’est aussi le lieu de l’émergence d’une langue philosophique inégalée depuis la Grèce antique, plongeant dans un humus tellurique particulier et dans une langue dialectale/vernaculaire très profonde: cette Souabe devrait donc être la source d’inspiration de tous les philosophes, tout comme une certaine Provence —ce qu’il admettra bien volontiers quand il ira y rendre visite au poète René Char.

 

La tradition pour Heidegger n’est donc pas une sorte de panacée, ou d’empyrée, qui se trouverait, pour l’homme, hors du lieu qui l’a vu naître ni hors du temps qui l’a obligé à se mobiliser pour agir dans et sur le monde. Heidegger n’est pas le chantre d’une tradition figée, inamovible, extraite du flux temporel. L’homme est toujours “là” (ou “ici”) et “maintenant”, face à des forces pernicieuses qui l’assoupissent, lui font oublier le “là” qui l’a vu naître et les impératifs de l’heure, comme c’est le cas de nos contemporains, victimes de propagandes dissolvantes via les techniques médiatiques, fabricatrices d’opinions sans fondements. Par voie de conséquence, la “proximité” (“Nähe”) est une vertu, une force positive qu’il s’agit de conserver contre les envahissements venus de partout et de nulle part, du “lointain” (“Ferne”) qui troublent et désaxent l’équilibre qui m’est nécessaire pour faire face aux aléas du monde. Le meilleur exemple pour montrer ce que Heidegger entend par “Nähe” et par “Ferne”, nous le trouvons dans son discours de 1961, prononcé en dialecte souabe à l’intention de ses concitoyens de Messkirch, de ses amis d’enfance avec qui il jouait une sorte de formidable “guerre des boutons”, où il était le chef d’un clan de gamins armés d’épées de bois. Ces braves citoyens de Messkirch lui avaient demandé ce qu’il pensait du nouveau “machin” qui envahissait les foyers, surtout dans les villes, en plein “miracle économique” allemand: ils voulaient qu’il leur parle de la télévision. Heidegger y était hostile et a prouvé dans un langage simple que la télévision allait apporter continuellement des sollicitations mentales venues du “lointain”, des sollicitations hétéroclites et exotiques, qui empêcheraient dorénavant l’homme de se resourcer en permanence dans son “là” originel et aux gens de Messkirch de ressentir les fabuleuses forces cachées de leur propre pays souabe.

 

Heidegger, malgré son plaidoyer permanent —par le biais d’une langue philosophique très complexe— pour cet enracinement dans le “là” originel de tout homme, n’est pas pour autant un philosophe de la banalité quotidienne, ne plaide pas pour une “installation” tranquille dans un quotidien sans relief. Tout homme authentique sort précisément de la banalité pour “ex-sister”, pour sortir (aller “ex”) de tout statisme incapacitant (aller “ex”, soit “hors”, du “stare”, verbe latin désignant la position immobile). Mais cette authencité de l’audacieux qui sort des lourdes banalités dans lesquelles se complaisent ses contemporains n’est “authentique” que s’il se souvient toujours et partout de son “là” originel. L’homme authentique qui sort hardiment hors des figements d’un “végétatisme” n’est pas un nomade mental, il garde quelque part au fond de lui-même un “centre”, une “centralité” localisable; il n’est donc pas davantage un vagabond sans racines, sans mémoire. Il peut voyager, revenir ou ne pas revenir, mais il gardera toujours en lui le souvenir de son “là” originel.

 

L’homme de Heidegger n’est pas un “sujet”, un “moi” isolé, sans liens avec les autres (de sa communauté proche). L’homme est “là”, avec d’autres, qui sont également “là”, qui font partie intégrante de son “là” comme lui du leur. Les philosophes pointus parlent avec Heidegger de “Mit-da-sein”. L’homme est inextricablement avec autrui. Même si Heidegger a finalement peu pensé le politique en des termes conventionnels ou directement instrumentalisables, sa philosophie, et son explication du “Mit-da-sein”, impliquent de définir l’homme comme un “zoon politikon”, un “animal politique” qui sort des enlisements de la banalité pour affronter ceux qui veulent faire de la Cité (grecque ou allemande) une “machine qui se contente de fonctionner” où les hommes-rouages —réduits à la fonction médiocre de n’être plus que des “répéteurs” de gestes et de slogans— vivraient à l’intérieur d’une gigantesque “clôture”, sous le signe d’une “technique” qui instaure la pure “faisabilité” (“Machenschaft”) de toutes choses et, par voie de conséquence, impose leur “dévitalisation”. Contre les forces d’enlisement, contre les stratagèmes mis en oeuvre par les maniaques de la clôture, l’homme a le droit (vital) de résister. Il a aussi le droit de dissoudre, mentalement d’abord, les certitudes de ceux qui entendent généraliser la banalité et condamner les hommes à l’inauthenticité permanente. C’est là un principe quasi dadaïste d’anarchie, de refus des hiérarchies mises en place par les “clôturants”, c’est un refus des institutions installées par les fauteurs d’inauthenticité généralisée. Heidegger n’est donc pas un philosophe placide à l’instar des braves gens de Messkirch: il ne les méprise cependant pas, il connaît leurs vertus vitales mais il les sait menacés par des forces qui risquent de les dépasser. Il faut certes être placide comme ceux de Messkirch, vaquer à des tâches nobles et nécessaires, au rythme des champs et du bétail, mais, derrière cette placidité revendiquée comme modèle, il faut être éveillé, lucide, avoir le regard qui traque pour repérer le travail insidieux d’objectivisation des hommes et des Cités, auquel travaillent les forces “clôturantes”. Cet éveil et cette lucidité constituent un acte de résistance, une position an-archique (qui ne reconnaît aucun “pouvoir” parmi tous les pouvoirs “objectivants/clôturants” qu’on nous impose), position que l’on comparera très volontiers à celle de l’anarque d’Ernst Jünger ou de l’“homme différencié” de Julius Evola (dadaïste en sa jeunesse!).

 

L’homme a le droit aussi de “penser la révolution”. Heidegger est, de fait, un philosophe révolutionnaire, non seulement dans le contexte agité de la République de Weimar et du national-socialisme en phase d’ascension mais de manière plus générale, plus pérenne, contre n’importe quelle stratégie de “clôturement” puisque toute stratégie de ce type vise à barrer la route à l’homme qui, à partir de son “là” originel, tente de sortir, avec les “autruis” qui lui sont voisins, avec ses proches, des “statismes” emprisonnants qu’une certaine “métaphysique occidentale” a générés au cours de l’histoire réelle et cruelle des peuples européens. Cette “métaphysique” a occulté l’Etre (lequel est de toutes les façons insaisissable), dont on ne peut plus aisément reconnaître les manifestations, si bien que l’homme risque d’y perdre son “essence” (“Wesen”), soit, pourrait-on dire, de perdre sa capacité à ex-sister, à sortir des banalités dans lesquelles on se complait et on se putréfie quand on oublie l’Etre.

 

robert steuckersmartin heidegger,heidegger,philosophie,nouvelle droite,allemagneDeux solutions s’offrent alors à l’homme authentique: 1) amorcer un “nouveau commencement” (“neuer Anfang”) ou 2) accepter de faire pleinement connaissance de l’étranger (der “Fremde”), de ce qui lui est fondamentalement étranger, pour pouvoir mieux, en bout de course, s’ouvrir à son propre (das “Eigene”), quand il sera aperçu que ce fondamentalement étranger n’est pas assimilable à son propre. Dans le premier cas, il faut rompre “révolutionnairement” avec le processus métaphysique d’“enclôturement”, rejeter politiquement les régimes et les idéologies qui sont les produits finis et applicables de cette métaphysique de l’“enclôturement”. C’est ce que Heidegger a fait en prononçant son fameux “discours de rectorat” qui scellait son engagement national-socialiste en 1933-34. Le ré-alignement du nouveau régime sur des institutions imitées du wilhelminisme d’avant 1914 ou sur certaines normes de la République de Weimar, suite, notamment, à la “Nuit des longs couteaux” de juin 1934, plonge Heidegger dans le scepticisme: le régime semble n’être qu’un avatar supplémentaire de la “métaphysique enclôturante”, qui abandonne son “révolutionnisme” permanent, qui renonce à être l’agent moteur du “nouveau commencement”. C’est alors que Heidegger amorce sa nouvelle réflexion: il ne faut pas proposer, clef sur porte, un “nouveau commencement” car, ruse de l’histoire, celui-ci retombera dans les travers de la “métaphysique enclôturante”, à la façon d’une mauvaise habitude fatale, récurrente au cours de l’histoire occidentale. Au contraire: il faut attendre, faire oeuvre de patience (“Geduld”), car toute la trajectoire pluriséculaire de la métaphysique oeuvrant de manière “enclôturante” ne serait qu’un très long détour pour retrouver l’Etre, soit pour retrouver la possibilité d’être toujours authentique, de ne plus avoir face à soi des forces génératrices de barrières et de clôtures qui empêchent de retrouver le bon vieux soleil des Grecs. L’homme doit pourtant suivre ce trajet décevant pour se rendre compte que la trajectoire de la métaphysique “enclôturante” ne mène qu’à l’impasse et que répéter les formules diverses (et politiques) de cette métaphysique ne sert à rien. Ce sera alors le “tournant” (die “Wende”) de l’histoire, où il faudra se décider (“entscheiden”) à opter pour autre chose, pour un retour aux Grecs et à soi. Les éveillés doivent donc guetter le surgissement des “points de retournement” (des “Wendungspunkte”), où le pernicieux travail d’“enclôturement” patine, bafouille, se démasque (dans la mesure où il dévoile sa nature mutilante de l’hominité ontologique). C’est en de tels moments, souvent marqués par la nécessité ou la détresse (“die Not”), que l’homme peut décider (faire oeuvre d’“ex-sister”) et ainsi se sauver, échapper à tout “enclôturement” fatal et définitif. Cette décision salvatrice (“die Rettung”) est simultanément un retour vers l’intériorité de soi (“Einkehr”). L’homme rejette alors les régimes qui l’emprisonnent, par une décision audacieuse et, par là, existentielle, tout en retournant à lui-même, au “là” qui le détermine de toutes les façons dès le départ, mais qu’on a voulu lui faire oublier. Pour Heidegger, ce “là”, qu’il appelle après 1945, l’“Okzident”, n’est pas l’Occident synonyme d’américanosphère (qu’il rejette au même titre que le bolchevisme), mais, finalement, sa Souabe matrice de poésie et de philosophie profondes et authentiques, l’“Extrême-Ouest” du bassin danubien, l’amont —aux flancs de la Forêt Noire— d’un long fleuve qui, traversant toute l’Europe, coule vers les terres grecques des Argonautes, vers la Mer Noire, vers l’espace perse.

 

La deuxième option, consécutive à un certain “enclôturement” du national-socialisme puis à la défaite de celui-ci (en tant que “nouveau commencement” avorté), implique une certaine dépolitisation, une diminution du tonus de l’engagement, si fort dans les années 30, toutes idéologies confondues. L’échec de la “métaphysique clôturante” ne sera dès lors pas dû à une action volontariste et existentielle, posée par des hommes auhentiques, ou des héros, mais par l’effet figeant, étouffant et destructeur que provoquent les agitations fébriles des tenants mêmes de ces pratiques d’enclôturement qui, dès maintenant, arriveront très vite au bout de leur rouleau, buteront contre le mur au fond de l’impasse qu’ils ont eux-mêmes bâtie. Cette fin de règne est notre époque: le néo-libéralisme et les résidus burlesques de sociale-démocratie nous ont d’abord amené cette ère de festivisme (post-mitterrandien), qui utilise la fête (qui pourrait pourtant être bel et bien révolutionnaire) pour camoufler ses échecs politiques et son impéritie, son incapacité à penser hors des sentiers battus de cette métaphysique de l’enclôturement, fustigée par Heidegger en termes philosophiques aussi ardus que pointus. Le sarközisme et l’hollandouillisme en France, comme le dehaenisme ou le diroupettisme en Belgique, et surtout comme la novlangue et les lois scélérates du “politiquement correct”, sont les expressions grotesques de cette fin de la métaphysique de l’enclôturement, qui ne veut pas encore céder le terrain, cesser d’enclôturer, qui s’accroche de manière de moins en moins convaincante: persister dans les recettes préconisées par ces faquins ne peut conduire qu’à des situations de détresse dangereuses et fatales si on n’opte pas, par un décisionnisme existentiel, pour un “autre commencement”. Mais, contrairement à nos rêves les plus fous, où nous aurions été de nouveaux Corps Francs, cet “autre commencement” ne sera pas provoqué par des révolutionnaires enthousiastes, qui, en voulant hâter le processus, mettraient leur authenticité existentielle en exergue et en jeu (comme dans les années 30 —de toute façon, ce serait immédiatement interdit et donnerait du bois de ralonge à l’adversaire “enclôturant”, qui pourrait hurler “au loup!” et faire appel à sa magistraille aux ordres). Le “nouveau commencement” adviendra, subrepticement, par les effets non escomptés de l’imbécillité foncière et de l’impéritie manifeste des tenants des idéologies appauvries, avatars boiteux de la “métaphysique occidentale”.

 

Il nous reste à boire l’apéro et à commander un bon repas. Après la poire et le fromage, après un bon petit calva tonifiant, il faudra bien que nos congénères, sortis de l’inauthenticité où les “enclôtureurs” les avaient parqués, viennent nous chercher pour emprunter la voie du “nouveau commencement”, qui sera “là” sans nos efforts tragiques, de sang et de sueur, mais grâce à la connerie de l’ennemi, un “nouveau commencement” que nous avons toujours appelé de nos voeux et que nous avons pensé, à fond, avec obstination, avant tous les autres. Nous avons réfléchi. Nous allons agir.

 

Robert STEUCKERS.

(Voilà, j’ai commis le pensum de 15.000 signes commandé par Eugène, ce formidable commensal aux propos rabelaisiens et tonifiants; on va maintenant m’accuser d’avoir fait du simplisme mais tant pis, j’assume, et j’attends de boire avec lui une bonne bouteille de “Gewurtzraminer”, agrémentée d’une douzaine d’ huîtres... Forest-Flotzenberg, novembre 2013).

 

Bibliographie:

-          Jean-Pierre BLANCHARD, Martin Heidegger philosophe incorrect, L’Aencre, Paris, 1997.

-          Edith BLANQUET, Apprendre à philosopher avec Heidegger, Ellipses, Paris, 2012.

-          Mark BLITZ, Heidegger’s Being and Time and the Possibility of Political Philosophy, Cornell University Press, London, 1981.

-          Renaud DENUIT, Heidegger et l’exacerbation du centre – Aux fondements de l’authenticité nazie?, L’Harmattan, Paris, 2004.

-          Michael GELVEN, Etre et temps de Heidegger – Un commentaire littéral, Pierre Mardaga, Bruxelles, 1970.

-          Florian GROSSER, Revolution Denken – Heidegger und das Politische – 1919-1969, C. H. Beck, Munich, 2011.

-          Emil KETTERING, Nähe – Das Denken Martin Heideggers, Günther Neske, Pfullingen, 1987.

-          Bernd MARTIN, Martin Heidegger und das “Dritte Reich” – Ein Kompendium, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt, 1989.

-          Michael ROTH, The Poetics of Resistance – Heidegger’s Line, Northwestern University Press, Evanston/Illinois, 1996.

-          Rainer SCHÜRMANN, Le principe d’anarchie – Heidegger et la question de l’agir, Seuil, Paris, 1982.

-          Hans SLUGA, Heidegger’s Crisis – Philosophy and Politics in Nazi Germany, Harvard University Press, 1993.

 

 

vendredi, 03 janvier 2014

Martin Heidegger, Ernst Jünger, sur la ligne

Martin Heidegger, Ernst Jünger, sur la ligne

par Luc-Olivier d'Algange

ex: http://aucoeurdunationalisme.blogspot.com

Rien ne sera admis, reconnu, dépassé, redimé, des temps d'abominable servitude que nous vivons tant que nous n'aurons pas médité sur la ligne qui sépare le monde ancien du monde nouveau. Sur la ligne, c'est-à-dire, selon la réponse de Heidegger à Jünger, non seulement par-delà la ligne, au-dessus de la ligne, mais aussi, plus immédiatement à propos de la ligne. Faire de la ligne même le site de notre pensée et de son déploiement, c'est déjà s'assurer de ne point céder à quelque illusoire franchissement. Il s'en faut de beaucoup que l'au-delà soit déjà ici-même. L'ici-même où nous nous retrouvons, en ce partage des millénaires, a ceci de particulier qu'il n'est plus même un espace, une temporalité mais une pure démarcation. Là où nous sommes, l'être s'est évanouit et jamais peut-être dans toute l'histoire humaine nous ne fûmes aussi dépossédés des prérogatives normales de l'être et ne fûmes aussi radicalement requis par la toute-possibilité.

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Cette situation est à la fois extrêmement périlleuse et chanceuse. Le pari qui nous incombe n'est plus seulement de l'ordre de la Foi, - selon l'interprétation habituellement quelque peu limitative que l'on donne du pari pascalien, mais d'ordre onto-théologique. Certes, il existe un monde ancien et un monde nouveau. « Le domaine du nihilisme accompli, écrit Heidegger, trace la frontière entre deux âges du monde ». Le monde ancien fut un monde où la puissance n'étant point encore entièrement dévouée à la destruction et au contrôle, s'épanouissait en œuvres de beauté et de vérité. Le monde nouveau est un monde où la « splendeur du vrai », étant jugée inane, la morale, strictement utilitaire, soumise à une rationalisation outrancière, c'est-à-dire devenue folle, s'accomplit en œuvres de destruction.

La radicalité même de la différence entre ces deux âges du monde nous interdit généralement d'en percevoir la nature. Le plus grand nombre de nos contemporains, lorsqu'ils ne cultivent plus le mythe d'une modernité libératrice, en viennent à croire que le cours du temps n'a pas affecté considérablement les données fondamentales de l'existence humaine. Ils se trouvent si bien imprégnés par la vulgarité et les préjugés de leur temps qu'ils n'en perçoivent plus le caractère odieux ou dérisoire ou s'imaginent que ce caractère fut également répandu dans le cours des siècles. La simple raison s'avère ici insuffisante. Une autre expérience est requise qui appartient en propre au domaine de la beauté et de la poésie. L'accusation d'esthétisme régulièrement proférée à l'encontre de l'œuvre de Jünger provient de cette approche plus subtile des phénomènes propres au nihilisme. Certes, un esthétisme qui n'aurait aucun souci du vrai et du bien serait lui-même une forme de nihilisme accompli. Mais ce qui est à l'œuvre dans le cheminement de Jünger est d'une autre nature. Loin de substituer la considération du Beau à toute autre, il l'ajoute, comme un instrument de détection plus subtil aux considérations issues de l'approche rationnelle. La vertu de l'approche esthétique jüngérienne se révèle ainsi dans la confrontation avec le nihilisme. Pour distinguer les caractères propres aux deux âges du monde dont il est question, encore faut-il rendre son entendement sensible aussi bien à la beauté familière qu'à l'étrangeté.

Sur la ligne, les soufis diraient « sur le fil du rasoir », le moindre risque est bien d'être coupé en deux, ou d'être comme Janus, une créature à deux faces, contemplant à la fois le monde révolu et le monde futur. Que l'on veuille alors aveugler l'une ou l'autre face, en tenir pour la nostalgie pure du passé ou pour la croyance éperdue en l'avenir meilleur, cela ne change rien à l'emprise sur nous du nihilisme. Penser le nihilisme trans lineam exige ce préalable: penser le nihilisme de linea. Le réactionnaire et le progressiste succombent à la même erreur: ils sont également tranchés en deux. La fuite en avant comme la fuite en arrière interdit de penser la ligne elle-même. Toute l'attention du penseur-poète, c'est-à-dire du Cœur aventureux consistera à se tenir sur le méridien zéro afin d'interroger l'essence même du nihilisme, au lieu de se précipiter dans quelque échappatoire. En l'occurrence, Jünger, comme Heidegger nous dit que toute échappatoire, aussi pompeuse qu'elle soit (et comment ne pas voir que notre XXème siècle fut saturé jusqu'à l'écœurement par la pomposité progressiste et réactionnaire ?) n'est jamais qu'une impardonnable futilité.


Sur la ligne, nous dit Jünger, « c'est le tout qui est en jeu ». Sur la ligne, nous le sommes au moment où le nihilisme passif et le nihilisme actif ont laissé place au nihilisme accompli. Le site du nihilisme accompli est celui à partir duquel nous pouvons interroger l'essence du nihilisme. Après la destruction des formes, les temps ne sont plus à séparer le bon grain de l'ivraie. Le nihilisme, écrit Nietzsche est « l'hôte le plus étrange », et Heidegger précise, « « le plus étrange parce que ce qu'il veut, en tant que volonté inconditionnée de vouloir, c'est l'étrangeté, l'apatridité comme telle. C'est pourquoi il est vain de vouloir le mettre à la porte, puisqu'il est déjà partout depuis longtemps, invisible et hantant la maison. »


L'illusion du réactionnaire est de croire pouvoir « assainir », alors que l'illusion du progressiste est de croire pouvoir fonder cette étrangeté en une nouvelle et heureuse familiarité planétaire. Or, précise Heidegger: « L'essence du nihilisme n'est ni ce qu'on pourrait assainir, ni ce qu'on pourrait ne pas assainir. Elle est l'in-sane, mais en tant que telle elle est une indication vers l'in-demne. La pensée doit-elle se rapprocher du domaine de l'essence du nihilisme, alors elle se risque nécessairement en précurseur, et donc elle change. »


La destruction, qui est le signe du nihilisme moderne, serait donc à la fois l'instauration généralisée de l'insane et une indication vers l'indemne. Si le poète et le penseur doivent parier sur l'esprit qui vivifie contre la lettre morte, il n'est pas exclu que par l'accomplissement du nihilisme, c'est-à- dire la destruction de la lettre morte, une chance ne nous soit pas offerte de ressaisir dans son resplendissement essentiel l'esprit qui vivifie. Le précurseur sera ainsi celui qui ose et qui change et dont la pensée, à ceux qui se tiennent encore dans le nihilisme passif ou le nihilisme actif, paraîtra réactionnaire ou subversive alors qu'elle est déjà au-delà, ou plus exactement au-dessus.


Comment ne point aveugler l'un des visages de Janus, comment tenir en soi, en une même exigence et une même attention, la crainte, l'espérance, la déréliction et la sérénité ? Il n'est pas vain de recourir à la raison, sous condition que l'on en vienne à s'interroger ensuite sur la raison même de la raison. Que nous dit cette raison agissante et audacieuse ? Elle nous révèle pour commencer qu'il ne suffit pas de reconnaître dans tel ou tel aspect du monde moderne l'essence du nihilisme. La définition et la description du nihilisme, pour satisfaisantes qu’elles paraissent au premier regard, nous entraînent pourtant dans le cercle vicieux du nihilisme lui-même, avec son cortège de remèdes pires que les maux et de solutions fallacieuses. Vouloir localiser le nihilisme serait ainsi lui succomber à notre insu. Cependant l'intelligence humaine répugne à renoncer à définir, à discriminer: elle garde en elle cette arme mais dépourvue de Maître d'arme et d'une légitimité conséquente, elle en use à mauvais escient. Telle est exactement la raison moderne, détachée de sa pertinence onto-théologique. Etre sur la ligne, penser l'essence du nihilisme accompli, c'est ainsi reconnaître le moment de la défaillance de la raison. Cette reconnaissance, pour autant qu'elle pense l'essence du nihilisme accompli ne sera pas davantage une concession l'irrationalité. « Le renoncement à toute définition qui s'exprime ici, écrit Heidegger, semble faire bon marché de la rigueur de la pensée. Mais il pourrait se faire aussi que seule cette renonciation mette la pensée sur le chemin d'une certaine astreinte, qui lui permette d'éprouver de quelle nature est la rigueur requise d'elle par la chose même ».


felix-h-man-bildarchiv-preussischer-kulturbesitz.1263977561.thumbnail.jpgLe Cœur aventureux jüngérien est appelé à se faire précurseur et à suivre « le chemin d'une certaine astreinte ». La raison n'est pas congédiée mais interrogée; elle n'est point récusée, en faveur de son en-deçà mais requise à une astreinte nouvelle qui rend caduque les définitions, les descriptions, les discriminations dont elle se contentait jusqu'alors. « Que l'hégémonie de la raison s'établisse comme la rationalisation de tous les ordres, comme la normalisation, comme le nivellement, et cela dans le sillage du nihilisme européen, c'est là quelque chose qui donne autant à penser que la tentative de fuite vers l'irrationnel qui lui correspond. » A celui qui se tient sur la ligne, en précurseur et soumis à une astreinte nouvelle, il est donné de voir le rationnel et l'irrationnel comme deux formes concomitantes de superstition.


Qu'est-ce qu'une superstition? Rien d'autre qu'un signe qui survit à la disparition du sens. La superstition rationaliste emprisonne la raison dans l'ignorance de sa provenance et de sa destination, et dans sa propre folie planificatrice, de même que la superstition religieuse emprisonne la Théologie dans l'ignorance de la vertu d'intercession de ses propres symboles. L'insane au comble de sa puissance généralise cette idolâtrie de la lettre morte, de la fonction détachée de l'essence qui la manifeste. Aux temps du nihilisme accompli le dire ayant perdu toute vertu d'intercession se réduit à son seul pouvoir de fascination, comme en témoignent les mots d'ordre des idéologies et les slogans de la publicité. Dans sa nouvelle astreinte, le précurseur ne doit pas être davantage enclin à céder à la superstition de l'irrationnel qu'à la superstition de la raison. En effet, souligne Heidegger, « le plus inquiétant c'est encore le processus selon lequel le rationalisme et l'irrationalisme s'empêtrent identiquement dans une convertibilité réciproque, dont non seulement ils ne trouvent pas l'issue, mais dont ils ne veulent plus l'issue. C'est pourquoi l'on dénie à la pensée toute possibilité de parvenir à une vocation qui se tiennent en dehors du ou bien ou bien du rationnel et de l'irrationnel. »


La nouvelle astreinte du précurseur consistera précisément à rassembler en soi les signes et les intersignes infimes qui échappent à la fois au rationalisme planificateur et à l'irrationalisme. La difficulté féconde surgit au moment où l'exigence la plus haute de la pensée, sa requête la plus radicale devient un refus de l'alternative en même temps qu'un refus du compromis. Ne point choisir entre le rationnel et l'irrationnel, et encore moins mélanger ce qu'il y aurait « de mieux » dans l'un et dans l'autre, telle est l'astreinte nouvelle de celui qui consent héroïquement à se tenir sur le méridien zéro du nihilisme accompli. Conscient de l'installation planétaire de l'insane, son attention vers l'indemne doit le porter non vers une logique thérapeutique, qui traiterait les symptômes ou les causes, mais au cœur même de cette attention et de cette attente pour lesquels nous n'avons pas trouvé jusqu'à présent d'autre mots que ceux de méditation et de prière, quand bien même il faudrait désormais charger ces mots d'une signification nouvelle et inattendue.


L'entretien sur la ligne d’Ernst Jünger et de Martin Heidegger ouvre ainsi à la raison qui s'interroge sur ses propres ressources des perspectives qui n'ont rien de passéistes et dont on est même en droit de penser désormais qu'elles seules n'apparaissent pas comme touchées dans leur être même par le passéisme, étant entendu que le passéisme progressiste est peut-être, par son refus de retour critique sur lui-même, et par la méconnaissance de sa propre généalogie, plus réactionnaire encore dans son essence que le passéisme nostalgique ou néoromantique.


L'attention du précurseur, sa théorie, au sens retrouvé de contemplation, sera d'abord un art de ne pas refuser de voir. Quant à l'astreinte nouvelle, elle éveillera la possibilité d'une autre hiérarchie des importances où le vol de l'infime cicindèle n'aura pas moins de sens que les désastres colossaux du monde moderne. " De même, écrit Jünger, les dangers et la sécurité changent de sens". Comment ne pas voir que les modernes doivent précisément à leur goût de la sécurité les pires dangers auxquels ils se trouvent exposés ? Et qu'à l'inverse l'audace, voire la témérité de quelques uns furent toujours les prémisses d'un établissement dans ces grandes et sereines sécurités que sont les civilisations dignes de ce nom ?


L'homme moderne, ne croyant qu'à son individualité et à son corps, désirant d'abord la sécurité de son corps, ne désirant, en vérité, rien d'autre, est l'inventeur du monde où la vie humaine est si dévaluée qu'il n'y a presque plus aucune différence entre les vivants et les morts. C'est bien pourquoi le massacre de millions d'êtres humains dans son siècle "rationnel, démocratique et progressiste" le choque moins que la violence d'un combat antique ou d'une échauffourée médiévale, pour autant que sa sécurité, son individualité ou, dans une plus faible mesure, celles des siens, ont été épargnées. Le nihilisme de sa propre sécurité s'établit dans le refus de voir le nihilisme du péril auquel il n'a cessé de consentir que d'autre que lui fussent livrés, et se livrant ainsi lui-même à leur vindicte. Les Empereurs chinois savaient ce que nous avons oublié, eux qui considéraient leurs armes défensives comme les pires dangers pour eux-mêmes. Les Cœurs aventureux, ou selon la terminologie heideggérienne, les précurseurs, trouveront la plus grande sécurité dans leur consentement même à se reconnaître dans le site du plus grand danger. De même qu'au cœur de l'insane est l'incitation vers l'indemne, au cœur du danger se trouve le site de la plus grande sécurité possible. Comment sortir indemne de l'insane péril (qui prétend par surcroît avoir inventé la sécurité comme Monsieur Jourdain la prose !) où nous a précipité le nihilisme ? Quelle est la ligne de risque ?


Certes, le méridien zéro n'est nullement ce « compteur remis à zéro » dont rêve la sentimentalité révolutionnaire. Ce méridien, s'il faut préciser, n'est point une métaphore de la table rase, ou le site d'un oubli redimant. Le méridien zéro est exactement le lieu où rien ne peut être oublié, où toute sollicitation extérieure répond d'une réminiscence, comme le son répond à la corde que l'on touche, où l'empreinte ne prétend point à sa précellence sur le sceau. Ce qui advient, pas davantage que ce qui fut, ne peut prétendre à un autre titre que celui d'empreinte, le sceau étant l'hors-d'atteinte lui-même: l'indemne qui gît au secret du cœur du plus grand danger. La ligne de risque de la vie et de l'œuvre jüngériennes répond de cette certitude acquise sur la ligne.


Toute interrogation fondamentale concernant la liberté est liée à la Forme. Si le supra-formel, en langage métaphysique, bien l'absolu de la liberté, le propre de ceux que l'hindouisme nomme les libérés vivants, l'informe, quant à lui, est le comble de la soumission. La question de la Forme se tient sur cette ligne critique, sur ce méridien zéro qui ouvre à la fois sur le comble de l'esclavage et sur la souveraineté la plus libre qui se puisse imaginer. Dès Le Travailleur, et ensuite à travers toute son œuvre, Jünger poursuivit, comme nous l'avons vu, une méditation sur la Forme. Or, cette méditation, platonicienne à maints égards, est aussi inaugurale si l'on ose la situer non plus dans l'histoire de la philosophie, comme un moment révolu de celle-ci mais sur la ligne, comme une promesse de franchissement de la ligne. Ce qu'il importe désormais de savoir, c'est en quoi la Forme contient en elle à la fois la possibilité du déclin dans le nihilisme (dont l'étape d'accomplissement serait la confusion de toutes les formes: l'uniformité) et la possibilité d'une recréation de la Forme, voire d'un dépassement de la Forme dans une souveraineté jusqu'ici encore impressentie. Par les figures successivement interrogées du Travailleur, du Rebelle et de l'Anarque, Jünger s'achemine vers cette souveraineté. Pour qu'il y eût une Forme, au sens grec d'Idéa, et non seulement au sens moderne de « représentation », il importe que la réalité du sceau ne soit pas oubliée.


Une lecture extrêmement sommaire des œuvres de Jünger et de Heidegger donnerait à penser que lorsque Heidegger tenterait un dépassement, voire un renversement ou une « déconstruction » du platonisme, Jünger, lui s'en tiendrait à une philosophie strictement néo-platonicienne. Le dépassement heideggérien de la métaphysique, qui tant séduisit ses disciples français « déconstructivistes » (et surtout acharnés, sous l'influence de Marx, à détacher toute philosophie de ses origines théologiques) laissa, et laisse encore, d'immenses carrières à l'erreur. Les modernes qui instrumentalisent l'œuvre de Heidegger en vue d'un renversement du platonisme et de la métaphysique méconnaissent que, pour Heidegger, dépassement de la métaphysique signifie non point destruction de la métaphysique mais bien couronnement de la métaphysique. Il s'agit moins, en l'occurrence, de se libérer de la métaphysique que de libérer la métaphysique.


Il n'est pas question de déconstruire la métaphysique, pour en faire table rase, mais d'en établir la souveraineté en la dépassant par le haut, c'est à dire par la question de l'être. Pour un grand nombre d'exégètes français la différence essentielle entre une antimétaphysique et une métaphysique couronnée demeure obscure. Heidegger ne reproche point à la métaphysique de s'interroger sur l'essence, il lui impose au contraire, comme une astreinte nouvelle, de s'interroger plus essentiellement encore sur l'essence de son propre déploiement dans le Logos. A la métaphysique déclinante des théologies exotériques, des sciences humaines, de la didactique, de la Technique et du matérialisme, Heidegger oppose une interrogation essentielle sur le déclin lui-même.


En établissant clairement son dépassement de la métaphysique comme un couronnement de la métaphysique, Heidegger suggère qu'il y a bien deux façons de dépasser, l'une par le bas (qui serait le matérialisme) l'autre par le haut, et qui est de l'ordre du couronnement. Loin de vouloir « en finir », au sens vulgaire, avec la métaphysique, Heidegger entend en rétablir sa royauté. Par l'interrogation incessante sur les fins et sur la finalité de la métaphysique, Heidegger œuvre à la recouvrance de la métaphysique et non à sa solidification. Qu'est-ce qu'une métaphysique couronnée ? De quelle nature est ce dépassement par le haut ? Que le déclin de la métaphysique eût conduit celle-ci de la didactique à la superstition de la technique, du nihilisme passif jusqu'au nihilisme accompli, en témoignent les théories modernes du langage et l'humanisme qui ne voit en l'homme qu'un animal « amélioré » par le langage. Ce que Heidegger reproche à ces théories du langage et de l'homme est d'ignorer la question de l'essence de l'homme et de l'essence du langage, et d'être en somme, des métaphysiques oublieuses de leurs propres ressources.


Le dialogue entre Jünger et Heidegger, que le bon lecteur ne doit pas circonscrire à l'échange hommagial et épistolaire sur le passage de la ligne mais étendre aussi aux autres œuvres, prend tout son sens à partir des méditations jüngériennes sur le langage et l'herméneutique. En effet, loin de rompre avec la source théologique, Heidegger en fut le revivificateur éminent par l'art herméneutique qu'il ne cessa d'exercer au contact des œuvres anciennes, les présocratiques, Aristote, ou modernes, Hölderlin, Trakl, ou Stephan George. De même Jünger, en amont des gloses, des analyses et des explications poursuivit le dessein de retrouver, dans les signes et les intersignes, la trace des dieux enfuis. Entre les noms des dieux et leurs puissances, entre l'empreinte et le sceau, entre le langage et la langue, entre ce que doit être dit et ce qui est dit, l'Auteur s'établit avec une inquiétude créatrice. Ce serait se méprendre grandement sur la méditation sur la Forme qui est à l'œuvre dans les essais de Jünger que de n'y voir qu'une reproduction d'un néoplatonisme acquis et défini une fois pour toute, et réduit, pour ainsi dire à des schémas purement scolaires ou didactiques. Se tenir sur la ligne, c'est déjà refuser d'être dans la pure représentation. Entre la présence et son miroitement se joue toute véritable et féconde inquiétude spéculative.


Luc-Olivier d’Algange

jeudi, 02 janvier 2014

Qu'est-ce qu'en effet que le despotisme?

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Qu'est-ce qu'en effet que le despotisme?
 
par Simon-Nicolas-Henri Linguet (1767)
 
 
"Qu’est-ce en effet que le despotisme ? c’est le plus changeant, le moins fixe de toues les gouvernements. Ce n’est pas même un gouvernement. Il est aussi absurde de le compter parmi les administrations naturelles à la société, que de mettre la paralysie ou l’apoplexie au rang des principes qui diversifient le tempérament des hommes. C’est une maladie qui saisit et tue les Empires à la suite des ravages du luxe, comme la fièvre s’allume dans le corps après les excès du travail ou de la débauche. Il n’est pas plus possible à un Royaume d’être soumis à un despotisme durable, sans se détruire, qu’à un homme d’avoir longtemps le transport sans périr.
 
Pendant la durée de cette fièvre politique, une frénésie incurable agite tous les membres de l’État, et surtout la tête. Il n’y a plus de rapport ni de concert entre eux. Les folies les plus extravagantes sont réalisées, et les précautions les plus sages anéanties. On traite avec gaieté les affaires les plus sérieuses; et les plus légères se discutent avec tout l’appareil du cérémonial le plus grave. On multiplie les règles, parce qu’on n’en suit aucune. On accumule les ordonnances, parce que l’ordre est détruit. La loi de la veille est effacée par celle du lendemain. Tout passe, tout s’évanouit, précisément comme ces images fantastiques, qui, dans les songes, se succèdent les unes aux autres, sans avoir de réalité.
 
Une Nation réduite à cet excès de délire et de misère, offre en même temps le plus singulier et le plus douloureux de tous les spectacles. On y entend à la fois les éclats de rire de la débauche, et les hurlements du désespoir. Partout l’excès de la richesse y contraste avec celui de l’indigence. Les grands avilis n’y connaissent que des plaisirs honteux. Les petits écrasés expirent en arrosant de larmes la terre que leurs bras affaiblis ne peuvent plus remuer, et dont une avarice dévorante dessèche ou consume les fruits, avant même qu’ils soient nés. Les campagnes se dépeuplent. Les villes regorgent de malheureux. Le sang des sujets continuellement aspiré par les pompes de la Finance se rend par fleuves dans la Capitale qu’il inonde. Il y sert de ciment pour la construction d’une infinité de palais superbes, qui deviennent pour le luxe autant de citadelles d’où il insulte à loisir à l’infortune publique.”
 

Simon-Nicolas-Henri LINGUET (1736-1794), Théorie des Lois civiles, IV, 31 (1767)

mardi, 24 décembre 2013

George Santayana

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150. Geburtstag George Santayana

Ex: http://www.sezession.de

(Text aus dem Band Vordenker [2] des Staatspolitischen Handbuchs, Schnellroda 2012.)

von Till Kinzel

Santayana war ein Denker sui generis, der verschiedene Denkströmungen zusammenbrachte, die man gemeinhin als inkompatibel betrachtet.

PT-AK480_BRLede_DV_20081217173514.jpgEr war z. B. Materialist und Atheist (Naturalist), schätzte aber die religiösen Traditionen des Katholizismus. Santayana kam während seines Studiums in Berlin in Berührung mit dem Werk Schopenhauers, über den er auch seine Dissertation schreiben wollte. Dies wurde ihm jedoch von seinem Doktorvater in den USA verwehrt. Die starken ästhetischen Interessen Santayanas wurden aber durch die Lektüre Schopenhauers gefördert – sein frühestes Werk, das sich auch gegen Kant richtete, unternahm bereits eine Verteidigung des Sinns für Schönheit (The Sense of Beauty, 1896).

Die akademische Karriere an der Harvard-Universität, wo u. a. T. S. Eliot [3] und Robert Frost zu seinen Studenten gehörten, gab er 1912 auf und siedelte nach Europa über. Seit den zwanziger Jahren lebte er nur noch in Italien. Politisch hatte Santayana, weil er Ordnung über Chaos stellte, situationsbedingt durchaus eine generelle Sympathie für das innenpolitische Ordnungskonzept des frühen italienischen Faschismus [4] (siehe dazu den wichtigen Brief vom 8. Dezember 1950 an Corliss Lamont). Er hielt aber Mussolini für einen schlechten Menschen und dessen kriegerische Außenpolitik für fatal. Santayana wandte sich grundsätzlich gegen die politischen Erscheinungsformen der modernen massenpolitischen Systeme, wozu seiner Meinung nach auch der Amerikanismus gehörte. Es erschien ihm dagegen wichtig, aristokratische Elemente in der Gesellschaft zu bewahren, die für ihn mit der Vernunft in der Gesellschaft unbedingt vereinbar waren, wie er in The Life of Reason (1905–06) erklärte.

Santayanas ambivalentes Verhältnis zur Religion läßt sich von seiner Ästhetik her aufschließen. Denn Santayana denkt zuerst über die Kunst nach, bevor er die Religion aus ihrer Nähe zur Kunst her genauer in den Blick nimmt. Dabei hat er zunächst ein starkes Gefühl für die Notwendigkeit einer »Apologie der Kunst«, die Santayana durch den Beweis liefern möchte, daß »die Kunst zum Leben der Vernunft gehört«. Diese Verteidigung der Kunst ist notwendig, weil die Kunst aufs engste mit etwas verbunden ist, das man Verzauberung nennen kann und eben deshalb auch gefährlich ist. Denn, so Santayana, »Berauschtheit ist eine traurige Angelegenheit, zumindest für einen Philosophen «. Es ist demnach für Santayana eine philosophische Notwendigkeit, sich mit der Kunst als einer potentiellen Rivalin der Philosophie auseinanderzusetzen. Santayanas ästhetische Präferenzen dienen ihm als Ausgangspunkt für eine Reflexion auf die »Ursachen und die Feinde des Schönen«, was wiederum zu der politischen Frage führt, im Schutze welcher Mächte das Schöne gedeihen kann und unter dem Einfluß welcher Kräfte esdahinwelkt. Positiv werden jene Einflüsse gewertet, die die Entfaltung von Möglichkeiten fördern, während die negativen Einflüsse feindselige Umstände hervorbringen.

Die Unterscheidung zwischen diesen beiden Formen im politischen Leben erweist sich als die zentrale Aufgabe der politischen Philosophie im Sinne Santayanas, die vor allem in seinem Werk Dominations and Powers (1951) niedergelegt ist. Santayana steht insofern in der Nachfolge Spinozas, als er die Geschicke der Menschheit unter der Perspektive der Ewigkeit, sub specie aeternitatis, betrachtet. Er dachte dabei auch intensiv über den Wandel der politischen Ereignisgeschichte und der politischen Systeme nach, die er mit einer gewissen Distanz beobachtete, was ihn deutlich von den auf klare praktische Ziele ausgerichteten modernen Philosophen unterschied. Er lehnte deshalb auch entschieden die Projektemacherei von modernen Propheten à la Ezra Pound [5] ab. Platonisch war Santayanas Einsicht, daß eine uneingeschränkte Ernsthaftigkeit in menschlichen Dingen immer unangebracht sei. Eine große literarische Darstellung seiner Weltanschauung jenseits von Tragödie und Komödie bietet Santayanas Bildungsroman The Last Puritan (Der letzte Puritaner, 1936).

Santayanas politische Philosophie gehört in die skeptisch-realistische Tradition von Aristoteles über Montaigne, Locke und Hume bis zu Oakeshott [6], die sich um ein Verständnis der Grundlagen einer freiheitlichen Politik bemühten. Auch wenn er Machiavellis Ansatz ablehnte, anerkannte er dessen genuine Einsichten in die Welt der Politik und lobte ihn dafür, daß er den Tatsachen ins Auge sah und sie freimütig zum Ausdruck brachte. Santayana teilte diese Sicht und sah selbst sehr scharfsichtig, welches Gefahrenpotential z. B. in jenen »sentimentalen Banditen « schlummert, die sich einem falsch verstandenen Humanitarismus verschreiben: »Er raubt und mordet nicht zu seinem eigenen Nutzen, sondern für die Größe seines Landes oder die Befreiung der Armen.«

Santayana stand dem Liberalismus sehr kritisch gegenüber, da dieser sich weigerte, alles das zur Kenntnis zu nehmen, was es über Politik und Kultur zur Kenntnis zu nehmen gebe. Die Liberalen erschienen nach Santayana auf der Bildfläche, wenn »eine Kultur ihre Kraft verausgabt hat und rasch absinkt«. Die Liberalen würden in ihrem Bestreben, die Kultur zu reformieren, unter einer spezifischen Blindheit leiden, da sie die (nichtliberalen) Grundbedingungen dessen, was sie wertschätzten, nämlich geistige und künstlerische Errungenschaften, nicht erfaßten.

Schriften: The Sense of Beauty, New York 1896; The Life of Reason, 2 Bde., London 1905–06; Scepticism and Animal Faith, New York 1923; Der letzte Puritaner, München 1936; Die Spanne meines Lebens, Hamburg 1950; Die Christus-Idee in den Evangelien, München 1951; The Letters of George Santayana, hrsg. v. Daniel Corey, New York 1955; Dominations and Powers. Reflections on Liberty, Society and Government, Clifton 1972; Interpretations of Poetry and Religion, Cambridge, Mass. 1989; The Essential Santayana. Selected Writings, hrsg. v. Martin A. Coleman, Bloomington 2009.

Literatur: Thomas L. Jeffers: Apprenticeships. The Bildungsroman from Goethe to Santayana, New York et al. 2005; Till Kinzel: The Tragedy and Comedy of Political Life in the Thought of George Santayana, in: Limbo 29 (2009); John McCormick: George Santayana. A Biography, New York 1987; Paul Arthur Schilpp (Hrsg.): The Philosophy of George Santayana, Evanston 1940; Irving Singer: George Santayana. Literary Philosopher, New Haven 2000.


Article printed from Sezession im Netz: http://www.sezession.de

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[1] Image: http://www.sezession.de/wp-content/uploads/2013/11/Staatspolitische-Handbuch-3-Vordenker.jpg

[2] Vordenker: http://antaios.de/detail/index/sArticle/1116/sCategory/9

[3] T. S. Eliot: http://www.sezession.de/40896/125-geburtstag-t-s-eliot.html

[4] frühen italienischen Faschismus: http://www.sezession.de/2339/faschismus-links.html

[5] Ezra Pound: http://www.sezession.de/3552/autorenportrait-ezra-pound.html

[6] Oakeshott: http://antaios.de/gesamtverzeichnis-antaios/restposten-/1148/michael-oakeshott.-philosoph-der-politik?c=12

mardi, 10 décembre 2013

"Desarrollo de su filosofía en la senda del Padre Meinvielle" por Prof. Alberto Buela

"Desarrollo de su filosofía en la senda del Padre Meinvielle" por Prof. Alberto Buela

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lundi, 09 décembre 2013

Nietzsches ‚Biopolitik’

Nietzsches ‚Biopolitik’

B108nietzsche.jpg„Entartete Kultur“ – so charakterisierte Kardinal Meißner 2007 den unfruchtbaren Zustand modernen Kunstlebens. Sofort schallten die Alarmglocken der öffentlichen Meinung, die reflexartig den Bannfluch über die vermeintliche Nazivokabel aktualisierte. Ent-artung – was soviel meint wie „aus der Art schlagen“ – wurde tatsächlich von dem nationaljüdischen Arzt Max Nordau geprägt, und zwar im Rahmen einer Semantik, die bewusst das physiologische und kulturelle Feld miteinander verschränkte. Er transferierte die ursprünglich medizinische Vokabel auf kulturell-künstlerische Phänomene, um vor einer für die Menschheit ungesunden Kulturentwicklung zu warnen. Unter anderem geriet Friedrich Nietzsche unter Nordaus Entartungsverdikt. Der Philosoph, der sich selbst als „Arzt der Kultur“ verstand, hatte nicht zuletzt selbst von einer „Degenereszenz der Instinkte“ als einer Ursache kultureller décadence gesprochen und empfahl den Übermenschen als Remedur zugunsten einer „Höherzüchtung der Menschheit“. Es sieht so aus, als könne man eine Kontinuität zu eugenischen Programmen und Sozialhygienemaßnahmen herstellen, die im 20. Jahrhundert verhängnisvolle Folgen zeitigen sollten. Es scheint, als wäre das Entartungstheorem das darwinistische Pendant der radikalen Rechten zum marxistischen Entfremdungstheorem der radikalen Linken. Beide eröffnen eine ‚engineering’-Perspektive auf Mensch und Gesellschaft, die heute im gender-mainstreaming oder den Anthropotechniken fröhliche Urständ feiert und das befürchten lässt, was C. S. Lewis die Abschaffung des Menschen nennt.

Wenn man die – wie wir heute mit Foucault sagen können- ‚Biopolitik’ Nietzsches genauer betrachtet, stellt sich jedoch ein differenzierteres Bild dar: Entartung ist nicht einfach der Keim des Verfalls, sondern immer auch notwendige Voraussetzung höchster kultureller Blüte. An ihr lässt sich eine aufschlussreiche kulturtheoretische Dialektik ausfalten, welche die Kultur in ihrer geschichtlichen Dynamik zu fassen und Faktoren ihrer Fruchtbarkeit freizulegen vermag. Nietzsches biopolitisches Grundgesetz lautet in nuce: „Veredelung durch Entartung“. Entartung wirkt also nicht primär degenerativ, sondern umgekehrt: veredelnd und kulturproduktiv. Die empirische Beobachtung der Geschichte lehrt Nietzsche, dass der „lebendige Gemeinsinn“ eines kulturfähigen Volkes durch „Gleichheit [der] gewohnten und undiscutierbaren Grundsätze“ und „gemeinsamen Glauben“ konstituiert wird. Durch die „tüchtige Sitte“ werden die Menschen berechenbar und homogen gemacht: Das Individuum muss Unterordnung lernen, seinem Charakter wird Festigkeit anerzogen. Es entsteht so etwas wie Konformität – ein „auf gleichartige, charaktervolle Individuen gegründetes Gemeinwesen“. Kultur enthält nach Nietzsche – vor allem in ihrer anfänglichen Konstitutionsphase-  immer die Komponente der Zucht oder mit Max Weber gesprochen das Moment der Sozialdisziplinierung. Ohne kultivierte Menschen würde Kultur in sich zusammenfallen und in nackte Barbarei regredieren. Der Stabilität aufbauende Konformitätsdruck der Kultur kann aber sehr schnell in sein Negativ umschlagen: Nietzsche erblickt die Gefahr in der „allmählich durch Vererbung gesteigerten Verdummung“. Man kann an die Wendung: „kein Hirt und eine Herde“ denken, die in seinem Zarathustra in Zusammenhang mit dem letzten Menschen auftaucht. Statt die biologistischen Anklänge von vererbter Verdummung überzuinterpretieren, können wir uns ein kollektives Trägheitsgesetz der Masse in der Logik des Sozialen vorstellen, das Kreativität und Individualität zu ersticken droht. Da bedarf es eines Gegengewichtes zum „stabilen Elemente eines Gemeinwesens“, das dynamisch und auflockernd wirkt und dadurch zum „geistigen Fortschreiten“ beiträgt. Dieses positive Gegengewicht bilden „die ungebundneren, viel unsichereren und moralisch schwächeren Individuen“, eben die „Entarteten“: „es sind die Menschen, welche Neues und überhaupt Vielerlei versuchen“. Künstler und Intellektuelle erweisen sich als solche Versuchende im Sinne eines kreativen Elements, insofern sie gerade oft außerhalb kultureller oder sozialer Normalität stehen. Sie sind nicht „Zersetzer“, wie die NS-Rhetorik zu suggerieren suchte, sondern das zentrale Stimulans der Kultur. Sie fügen ihr eine „Wunde“ zu, aber „an dieser wunden und schwach gewordenen Stelle wird dem gesamten Wesen etwas Neues gleichsam inokuliert“. Der „Volkskörper“ ist nicht geschlossen und rein gedacht, sondern assimilatorisch, über die Einverleibung des Anderen vermittelt. So konzediert der Fortschrittskritiker Nietzsche sogar: „Die abartenden Naturen sind überall da von höchster Bedeutung, wo ein Fortschritt erfolgen soll.“ Fortsetzung im Großen setze jedoch Schwächung im Kleinen voraus. So ergibt sich ein kulturproduktiver Antagonismus zwischen den starken Naturen, die den Typus festhalten, d.h. im Wortsinne konservativ wirken, und den schwachen Naturen, die den Typus „fortbilden“, d.h. progressiv wirken. Aus dem Zusammenspiel der zentripetalen Kräfte und den zentrifugalen Kräften ergibt sich als Resultante die Kultur. Entartung präsentiert uns Nietzsche als tief ambivalentes Phänomen:

„selten ist eine Entartung, eine Verstümmelung, selbst ein Laster und überhaupt eine körperliche oder sittliche Einbusse ohne einen Vorteil auf einer anderen Seite. Der kränkere Mensch zum Beispiel wird vielleicht, inmitten eines kriegerischen und unruhigen Stammes, mehr Veranlassung haben, für sich zu sein und dadurch ruhiger und weiser zu werden, der Einäugige wird Ein stärkeres Auge haben, der Blinde wird tiefer in’s Innere schauen und jedenfalls schärfer hören.“ Formen von Entartung – Krankheit oder Behinderung- ermöglichen Kompensation und Spezialisierung, die einen kulturellen Mehrwert zu erzeugen in der Lage sind. Der monokausalen Erklärung vulgärdarwinistischer Kurzschlüsse – der Kampf ums Dasein als Ursache für  „das Fortschreiten oder Stärkerwerden eines Menschen, einer Rasse“- wird eine scharfe Absage erteilt und durch ein differenzierteres Modell ersetzt:

„Vielmehr muss zweierlei zusammen kommen: einmal die Mehrung der stabilen Kraft durch Bindung der Geister in Glauben und Gemeingefühl; sodann die Möglichkeit, zu höheren Zielen zu gelangen, dadurch dass entartende Naturen und, in Folge derselben, teilweise Schwächungen und Verwundungen der stabilen Kraft vorkommen;“ Auf der einen Seite eine homogene Gemeinschaft aus Glauben und Gemeingefühl, auf der anderen Seite die entartenden Naturen, die letztere immer wieder neu transzendieren (und damit natürlich auch den Verband schwächen oder gefährden können). Gerade die „schwächere Natur“ sei die „zartere und freiere“ und mache „alles Fortschreiten überhaupt möglich“. Dabei unterscheidet Nietzsche drei Perspektiven: die auf das kollektive Leben des Volkes, die auf das individuelle Leben des Einzelmenschen und die auf den Staat. Natürlich imaginiert Nietzsche das Volk im Bildes des organischen Körpers: Der Volkskörper – partiell angebröckelt und schwach aber doch „im Ganzen noch stark und gesund“- „vermag die Infection des Neuen aufzunehmen und sich zum Vorteil einzuverleiben“. Analog solle die Erziehung des Menschen verlaufen: Zunächst sei er „fest und sicher hinzustellen“, um ihm daraufhin „Wunden beizubringen oder die Wunden, welche das Schicksal ihm schlägt, zu benutzen“, damit „in die verwundeten Stellen etwas Neues und Edles inoculiert werden“ könne. Nietzsche plädiert hier weniger für eine autoritäre Erziehung, vielmehr stellt er fest, dass eine freie Persönlichkeit immer auch durch die Negativität des Lebens hindurchgegangen sein muss. Sie muss Schmerz und Bedürfnis erlebt haben, um ihre Stabilität und Autonomie zu bewähren und gegen Widerstände weiter auszubilden. Nietzsche spricht schließlich von den Früchten der „Veredelung“. Am Ende steht der Staatskörper, auf den der Philosoph seine Beobachtungen überträgt. Er ruft dabei Machiavelli als Gewährsmann auf, der Dauer als „das große Ziel der Staatskunst“, welches alles Andere aufwiege, herausgestellt hat. Im Gleichklang mit Machiavelli erweist sich Nietzsche als im klassischen Sinne konservativ, wenn er zustimmend hinzufügt: „Nur bei sicher begründeter und verbürgter größter Dauer ist stetige Entwicklung und veredelnde Inoculation überhaupt möglich.“ Nur wenn das Staatsgebilde auf Dauer ausgelegt ist und einen Stabilitätskern besitzt, sind Entwicklung und Assimilation des Anderen möglich, durch die hindurch sich ja das, was sich entwickelt, durchhalten muss. Die „gefährliche Genossin aller Dauer“ ist die Autorität, die als Gegenspielerin gegen Dynamik, Entwicklung und Veränderung auftritt und deren Schattenseite reaktionäre Erstarrung im Alten ist. Autorität und Entartung, Dauer und Entwicklung, Konformität und Kreativität bilden das Spannungsfeld, in dem Kultur gebildet wird. Sie sind auch die Koordinaten konstruktiver Kulturkritik, die Reduktionismen vermeiden sollte. Ungesund wird eine Kulturentwicklung immer dann, wenn sie in ein Extrem ausschlägt und den jeweils komplementären Pol vergisst. Wer seinen Nietzsche gelesen hat, darf entspannter das Wort „Entartung“ in den Mund nehmen und kulturkritisch verwenden, ohne natürlich die historischen Belastungen auszublenden. Ein biologistischer Kurzschluss ist bei Nietzsche jedenfalls nicht in der heute inkriminierten Vokabel enthalten, im Gegenteil: Nietzsche weiß um die vor allem produktiven Wechselwirkungen mit der soziokulturellen Sphäre, er weiß, dass soziale Körper – sei es der des Individuums, des Volkes oder des Staates, die immer einer organischen Logik folgen, welche die Form von Geschlossenheit und Emergenz zwischen Teilen und Ganzem anstrebt – auch zur Transzendenz fähig sind und damit nicht nur mit sich selbst sondern immer auch mit ihrem Anderen – eben dem Entarteten- identisch sein können.

Quellen:

Nietzsche: KSA, Bd.2, Menschliches, Allzumenschliches, S.187-188.

Alberto Buela: "El Ser y Obrar"

Alberto Buela: "El Ser y Obrar" último trabajo filosófico de gran actualidad

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dimanche, 08 décembre 2013

Le plaidoyer pour la diversité d’Hervé Juvin

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Identité, influence, puissance : face à la mondialisation, le plaidoyer pour la diversité d’Hervé Juvin

 
Entretien
 
Ex: http://fortune.fdesouche.com



Dans l’entretien qu’il a accordé à Bruno Racouchot, directeur de Comes Communication, Hervé Juvin invite à penser le monde de l’après-mondialisation, du retour des singularités, des identités et des déterminations politiques. L’Europe et spécialement la France ont tous les atouts pour relever le défi. En particulier sur le registre du soft power et de l’influence. A condition toutefois de ne pas céder à la facilité, qui nous conduirait à renoncer à notre place dans le monde.

Bruno Racouchot (Directeur Comes Communication) : Dans votre dernier ouvrage, on voit que le processus de mondialisation exerce son pouvoir d’une part brutalement via les normes, la finance et le droit ; et d’autre part plus subrepticement via une pensée unique qui ne tolère pas la diversité des identités et des valeurs. Nous sommes donc bien là confrontés à un système de domination combinant hard et soft powers ?

Hervé Juvin : Permettez-moi de commencer par une anecdote historique rapportée par Alain Peyrefitte, qui tenait les minutes du conseil des ministres du général de Gaulle. Lorsqu’il organise son gouvernement, le général de Gaulle confie à Jean Foyer la charge de Garde des Sceaux. Il lui donne expressément la mission de respecter l’ordre suivant dans la hiérarchie des préoccupations : l’État d’abord, puis le droit. L’État et la nation ont primauté sur les formes et la conformité du juridique. Or, nous vivons aujourd’hui exactement l’inverse.

L’État apparaît comme le moyen de la mise en conformité du peuple et de la nation au regard de normes et de règles venues d’ailleurs. A la source de ce dysfonctionnement, il y a Bruxelles bien sûr, mais surtout Washington.

Car beaucoup de mesures qui entrent en application en Europe viennent directement de tel ou tel think tank, ONG ou relais d’influence américain. Ce qui dénote au passage un vide de la pensée et de l’analyse inquiétant sur le Vieux continent.

Si l’on fait ainsi l’histoire des mots comme “gouvernance”, “conformité juridique”, “création de valeur”, on observe qu’ils sont d’importation nord-américaine récente. On voit aussi que les “droits de l’homme” ne sont plus une proclamation généreuse, à caractère général sans conséquence légale concrète. Dans les faits, ils sont aujourd’hui devenus une arme politique et géopolitique de premier plan, qui peut être utilisée pour saper l’unité interne de n’importe quel pays et n’importe quel peuple.

Peu d’historiens et d’analystes politiques se sont essayés à décortiquer ce processus. A l’exception notoire de Marcel Gauchet qui publie en 1980, dans la revue Le Débat, un article de fond intitulé très clairement ” Les droits de l’homme ne sont pas une politique “, où il souligne notamment que “la conquête et l’élargissement des droits de chacun n’ont cessé d’alimenter l’aliénation de tous”. Marcel Gauchet persévère et signe en 2000, toujours dans les colonnes de la revue Le Débat , un autre article intitulé “Quand les droits de l’homme deviennent une politique”. Il n’apporte pas la réponse, mais je crois qu’en filigrane, nous pourrions deviner que ce soit une catastrophe !

En réalité, le système unique, c’est le rêve que tous les humains soient les mêmes partout dans le monde, sans que leur origine, leur sexe, leur croyance, leur langue, leur communauté politique puissent leur donner une identité. Ce qui justifie la remarque de René Girard, qui explique qu’à force de tolérer toutes les différences, on finit par n’en plus respecter aucune.

Je crains ainsi que sous couvert de l’éloge indiscriminé des différences individuelles, on soit en train de faire disparaître à grande échelle et très rapidement toutes les différences réelles, lesquelles sont par nature et donc nécessairement collectives.

Ces différences politiques, religieuses, de mœurs, de droit… sont ainsi visées directement par le rouleau compresseur de la mondialisation et son corollaire, à savoir la conformité aux droits individuels.

 

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BR : Pour ce qui est de combattre ce soft power de la pensée unique à l’échelle mondiale, quelles stratégies de contre-influence imaginer et sur quel socle les faire reposer ?

HJ : Il nous faut ouvrir les yeux et travailler. Nous devons nous mettre d’urgence aux outils et à la logique du soft power. Je suis frappé du fait qu’en Chine, aux États-Unis, en Russie et dans bien d’autres pays émergents, on travaille sérieusement cette question. Un exemple : la floraison de think tanks et d’ONG anglo-américaines a permis que de nouveaux concepts soient acceptés comme vérités d’Évangile, en France, en Europe ou ailleurs, à notre plus grande défaveur. C’est la construction de dispositifs intellectuels, d’outils de diffusion et de promotion, qui favorise cette puissance discrète.

De même, le repérage de jeunes talents ou de personnages ayant une audience fait partie du jeu. Voyez comment certains diplomates américains travaillent avec les minorités visibles des banlieues françaises. Ces jeunes sont assez vite conviés à venir à Washington pour participer à des travaux, et entrent ainsi dans une spirale d’influence. Il y a donc travail à plusieurs niveaux : organisation, déploiement de moyens, recherche d’incitations productives, puis montée en puissance et synergie. Chinois, Russes, Américains, Israéliens… ont tous une conscience aiguë que les distinctions entre public et privé s’effacent quand l’intérêt national est en jeu. Encore plus quand il s’agit d’un enjeu de survie.

Le libre-échange, l’égalité entre les peuples, et autres thèmes en vogue sont en fait des doctrines à vocation d’exportation, de la part d’entités politiques qui se conçoivent comme des puissances en lutte. Or dans cette lutte, tous les outils – commerciaux, juridiques, intellectuels, militaires, etc. – doivent être employés au service de l’intérêt national.

Prenez l’exemple des sociétés les plus créatives, les plus échevelées et innovantes, comme le sont les sociétés américaines de la sphère internet : elles travaillent main dans la main avec les agences de renseignement des États-Unis ! Nous sommes là aux antipodes de notre praxis politique actuelle, bien française, qui veut qu’il y ait une frontière bien marquée entre sphère publique et sphère privée. Nous ne parlons malheureusement pas en France en termes d’intérêt national. On s’interdit de travailler main dans la main entre public et privé alors que l’intérêt national l’exigerait. A cet égard, les dogmes de la Commission de Bruxelles – par exemple en matière de concurrence – nous font énormément de mal et surtout nous bloquent dans l’expression de notre puissance.

BR : Le concept d’identité se trouve au cœur de la démarche développée depuis quinze ans par Comes Communication. Selon vous, la mise en valeur de son identité par une entreprise ne constitue-t-elle pas un puissant facteur différenciant, donc un avantage concurrentiel ? En ce sens, l’identité, qui permet d’affirmer sa spécificité et son authenticité, ne s’impose-t-elle pas comme un facteur de performance, générant de la création de valeur, pour les entreprises comme pour d’ailleurs toute organisation ?

HJ : En matière d’identité, ce qui a fait durant des siècles l’autorité et l’écoute du discours français, c’est d’abord son autonomie, faisant de nous un pays non-aligné pas vraiment comme les autres. Notre parole n’était pas celle d’une superpuissance, mais celle d’une puissance phare en matière d’intelligence et de liberté. Si l’on devait refaire aujourd’hui une conférence de Bandung [NDLR : conférence des non-alignés en 1955], la France y aurait pleinement sa place, aux côtés de ceux qui entendent conserver leur identité et leurs singularités. Là réside sans doute le grand champ géopolitique de demain.

De même, ce qui vaut pour la sphère politique vaut aussi pour les sociétés privées. Depuis une trentaine d’années, ces dernières développent des stratégies essentiellement guidées par des critères financiers. Or les stratégies ainsi définies s’arrêtent à la surface des choses. Parce qu’à mon sens, les entreprises qui seront gagnantes sur le long terme seront celles qui auront su développer, en interne comme en externe, une identité propre, autrement dit une singularité les distinguant de leurs concurrents et de leur environnement.

Cette identité assure leur pérennité dans le temps car elle est transmissible. On observe d’ailleurs que la définition de cette identité d’entreprise est fréquemment liée à la personnalité d’un dirigeant, qui marque souvent plus par l’implicite que par l’explicite.

L’identité n’est ni une succession de powerpoints, ni une logique de ratios. L’identité ne se laisse jamais mettre en équation ni cerner par les chiffres. Une entreprise qui se réduit à des chiffres se réduit assez vite à rien. Si elle veut agir dans la durée, et favoriser la création de valeur ajoutée, la résilience, la capacité de mobilisation des équipes, l’entreprise doit s’efforcer de jouer sur son identité bien plus que sur le socle fallacieux des chiffres.

BR : Sur le plan géostratégique et géoéconomique, le recours aux liens identitaires constitue à vos yeux un moyen idoine pour enrayer la montée en puissance à l’échelle planétaire de l’individu-déraciné-et-consommateur que prône la mondialisation. Le rôle-clé de l’identité, son action, son rôle s’appliquent-ils de la même façon aux individus, aux peuples, aux États ? Comment l’identité s’intègre-t-elle dans les rapports de force économiques, politiques, sociaux, culturels… ?

HJ : Si l’on se place dans une perspective historique, il apparaît que l’identité est clé dans tous les processus de résilience ainsi que dans la performance stratégique. On a usé et abusé de la formule de Sénèque, selon laquelle il n’est pas de vent favorable à celui qui ne sait où aller. Je serais tenté de dire qu’il n’y a pas de vent favorable non plus pour celui qui non seulement ne sait pas qui il est, mais en outre, ignore qui l’accompagne sur le bateau.

La capacité à affirmer une identité va de plus en plus s’imposer comme un élément-clé dans les années à venir.

L’idée américaine selon laquelle on doit fermer les yeux sur les questions de sexe, de religion, de culture, d’appartenance à une communauté, aboutit à nier même la notion même de singularité des hommes et des organisations. Or, ce sont justement ces singularités ne se réduisant pas à une valeur monétaire qui vont compter dans les années à venir.

Les entreprises qui se laisseront prendre au piège de l’indifférenciation et de la mondialisation, passeront à côté de cette question-clé de l’identité. L’entreprise sans usine, qui externalise tout, qui sous-traite au point de perdre la maîtrise de ses métiers de base, se trouve en fait réduite à rien, dépassée et dévorée. Prenons l’exemple d’une chaîne de supermarchés : ce sont d’abord des épiciers, avec l’alliance subtile de leurs défauts et leurs qualités, qui in fine produit leur identité. Ce ne sont pas des comptables ou des financiers qui en sont les artisans. Nous avons donc bien là affaire à des logiques intimes, clairement différentes.

978207.gifBR : Vous écrivez dans votre dernier livre : “La décomposition des nations européennes procède de la censure, de la grande fatigue devant l’histoire et de leur soumission par en haut aux institutions internationales, par en bas aux communautés et minorités revendicatrices.” Comment les peuples peuvent-ils espérer agir pour renouer avec cette énergie vitale et cette confiance en eux qui leur permettront d’affronter les défis à venir ?

HJ : Nous sortons d’une période de prospérité dont nous n’avons pas eu clairement conscience. En France et en Europe, l’immense majorité de la population vit bien. Au regard de l’histoire de l’humanité, je dirai même que ce constat constitue une exception : pacification des territoires, niveau de vie, santé, etc. nous avons prospéré durant ces dernières décennies sur un mode extrêmement privilégié.

Le retour au réel risque d’être quelque peu brutal. Nous allons devoir nous confronter de nouveau aux dures réalités géopolitiques.Le facteur déclenchant sera probablement l’explosion de la classe moyenne. La lucidité politique va s’imposer rapidement à nous.

En outre, l’idée béate dans laquelle se complaît l’Europe, selon laquelle tous les problèmes de ressources sont liés aux marchés et aux prix, va trouver de fait ses limites. Nous allons très vite basculer sur des logiques de survie, n’ayant plus rien à voir avec une approche rationnelle. Et probablement assister demain, avec la question de l’eau, des terres rares ou des terres arables, à des défis semblables à ceux du pétrole hier. Le pétrole est un objet géopolitique, bien avant d’être l’objet du marché. Par la force des choses, nous allons donc être ramenés aux réalités des enjeux géopolitiques. Et notre survie va exiger que soit dès lors prioritairement prise en compte la notion d’intérêt national.

Ne nous leurrons pas : la question de notre survie politique se trouve bel et bien posée. Est-ce que quelque chose qui s’appellera encore la France existera en 2050 ? L’Union européenne existera-t-elle en 2020 ? Pour ma part, ce qui m’inquiète, c’est que nos élites et nos dirigeants ne me paraissent pas formés pour faire face à ces défis. Ces gens ont toujours œuvré dans un monde de continuité. La question était : va-t-on faire +3% ou + 5 % de croissance ?… Oui, nous entrons dans un monde avec des perspectives radicalement différentes. Ce qui veut dire que notre mindset, notre disposition d’esprit, notre logiciel de pensée, et donc toutes nos approches stratégiques, doivent être revus de fond en comble.

C’est là, me semble-t-il, le vrai défi d’actualité pour la pensée française. À savoir la capacité à penser le monde de l’après-mondialisation, du retour des singularités, des identités et des déterminations politiques. Je crois que nous avons tous les atouts pour cela. À condition toutefois de ne pas céder à la paresse ou à la facilité intellectuelle, qui nous conduisent à renoncer et à perdre notre place dans le monde. Ne nous y trompons pas : au-delà des rodomontades et des stupidités de notre politique étrangère – qui jouent assez peu, en fait, sur le long terme – c’est la capacité de la France à être un émetteur d’idées, un diffuseur de pensée, avec une réelle autorité et une authentique aptitude créatrice, qui compte. Mais prenons garde à ce que ces atouts ne soient pas en train de s’épuiser…

Comes Communication

samedi, 07 décembre 2013

The Faustian Soul & Western Uniqueness

The Faustian Soul & Western Uniqueness

 

By Domitius Corbulo

Ex: http://www.counter-currents.com/

51gUU36cL2L._SY445_.jpgIf I had to choose one word to explain why the West has been the most creative civilization it would be “Faustian.” My choice of this word hinges on the realization that the West has been following a unique cultural path since ancient times in the course of which it has exhibited far higher levels of achievement in all the intellectual, artistic, and heroic spheres of life.

The current academic consensus is that the West diverged from the Rest only with the onset of mechanized industry, use of inorganic sources of energy, and application of Newtonian science to industry. This consensus holds for both multiculturalist and Eurocentric historians. David Landes, Kenneth Pomeranz, Bin Wong, Joel Mokyr, Jack Goldstone, E.L. Jones, and Peer Vries all single out the Industrial Revolution of 1750/1830 as the point during which the “great divergence” occurred. It matters little how far back in time they trace this Revolution, or how much weight they assign to preceding developments such as the Scientific Revolution or the gains from the colonization of the Americas, their emphasis is on the “divergence” generated by the arrival of the steam engine.

Charles Murray’s Human Accomplishment:Pursuit of Excellence in the Arts and Sciences, 800 BC to 1950, informs us that ninety-seven percent of accomplishment in the sciences occurred in Europe and North America from 800 BC to 1950. It also informs us that, in the arts, Europe alone produced a far higher number of “significant figures” than the rest of the world combined. In music, “the lack of a tradition of named composers in non-Western civilization means that the Western total of 522 significant figures has no real competition at all” (Human Accomplishment, 259).

But Murray’s statistical analysis can only take us so far. He pays no attention to accomplishments in warfare, exploration, and heroic leadership. His definition of accomplishment includes only peaceful individuals carrying scientific experiments and creating artistic works. I think Europeans were exceptional also in their expansionist and exploratory behaviors. Both their “civilized” and “uncivilized” were inseparably connected to their peculiarly agonistic ethos of aristocratic individualism. The great men of Europe were all artists driven by an intensively felt desire for unmatched deeds. The “great ideas” – Archimedes’ “Give me a place to stand and with a lever I will move the whole world,” – Hume’s “love of literary fame, my ruling passion” – were associated with aristocratic traits, disputatiousness and defiant temperaments – no less than Cortez’s immense ambition for honour and glory, “to die worthily than to live dishonoured.”

Spengler has provided us with the best word to overcome the current naïve separation between a cultured/peaceable West and an uncivilized/antagonistic West with his image of a strikingly vibrant culture driven by a type of Faustian personality overflowing with expansive, disruptive, and imaginative impulses manifested in all the spheres of life.

Spengler believed that the “prime-symbol” of the Faustian soul was its “tendency towards the infinite,” and that this tendency found its “purest expression” in modern mathematics. The “infinite continuum,” the exponential logarithm and “its dissociation from all connexion with magnitude” and transference to a “transcendent relational world” were some of the words he used to describe Western mathematics. But Spengler also wrote of the “bodiless music” of the Western composer, “in which harmony and polyphony bring him to images of utter ‘beyondness’ that transcend all possibilities of visual definition”, and, before the modern era, of the Gothic “form-feeling” of “pure, imperceptible, unlimited space” (Decline of the West, trans. Charles Francis Atkinson, vol.1, Form and Actuality [Alfred Knopf, [1923] 1988: 53-90, 183-216).

Mathematicians no less than musicians were “artist-men” and these artists were exemplars of the “emancipation” of the Western soul from magnitude, from “servitude” to measureable lines and planes, from the “near and corporeal.” Spengler believed that this soul-type was first visible in medieval Europe, starting with Romanesque art, but particularly in the “spaciousness of Gothic cathedrals,” “the heroes of the Grail and Arthurian and Siegfried sagas, ever roaming in the infinite, and the Crusades,” including “the Hohenstaufen in Sicily, the Hansa in the Baltic, the Teutonic Knights in the Slavonic East, [and later] the Spaniards in America, [and] the Portuguese in the East Indies (Decline of the West, 183-216).

I will leave aside my disagreements with Spengler’s image of classical Greece and Rome as cultures that conceived things in terms of proportion and balance in recurring patterns, except to agree with Nietzsche that classical Greeks were singularly agonal, driven by a Promethean aristocratic ethos.

This soul was palpable in all the Western spheres of life – painting, politics, architecture, science, literature, poetry, exploration, warfare, and philosophy. There was something Faustian about all the great men of Europe, in real life or fiction: Hamlet, Richard III, Gauss, Newton, Nicolas Cusanus, Don Quixote, Goethe’s Werther, Gregory VII, Michelangelo, Paracelsus, Dante, Descartes, Don Juan, Bach, Wagner’s Parsifal, Haydn, Leibniz’s Monads, Giordano Bruno, Frederick the Great, Rembrandt, Ibsen’s Hedda Gabler. “The Faustian soul – whose being consists in the overcoming of presence, whose feeling is loneliness and whose yearning is infinity – puts its need of solitude, distance, and abstraction into all its actualities, into its public life, its spiritual and its artistic form-worlds alike” (Decline of the West, 386).

Christianity, too, became a thoroughly Faustian moral ethic. “It was not Christianity that transformed Faustian man, but Faustian man who transformed Christianity — and he not only made it a new religion but also gave it a new moral direction”: will-to-power in ethics (Decline of the West, 344). This “Faustian-Christian morale” produced “Christians of the great style — Innocent III, Loyola and Savonarola, Pascal and St. Theresa […] the great Saxon, Franconian and Hohenstaufen emperors . . . giant-men like Henry the Lion and Gregory VII . . . the men of the Renaissance, of the struggle of the two Roses, of the Huguenot Wars, the Spanish Conquistadores, the Prussian electors and kings, Napoleon, Bismarck, Rhodes” (Decline of the West, 348-49).

Spengler captured better than anyone else (though Hegel was a great anticipator) the West’s main protagonist: not a calmed, disinterested, rationalistic personality, but a highly energetic, restless, fateful being, unwilling to be limited by boundaries, determined to break through the unknown, supersede the norm and achieve mastery. Some other words and phrases Spengler used to describe the traits and aims of this soul were: “unrestrained,” “strong-willed,” “far-ranging,” “active, fighting, progressing,” “overcoming of resistances,” “against what is near, tangible and easy,” “the fierceness and joy of tension” (Decline of the West, 308-337).

The seemingly amorphous, immeasurable, and infinite concept of a Faustian soul is far better to explain Western uniqueness than the measurable but rather confined IQ concept. There is clearly a general link between IQ and cultural achievement. But IQ experts, J. Philippe Rushton and Richard Lynn, have yet to offer a sound explanation why Europeans achieved far more culturally than the East Asians with their higher average IQ. Rushton highlights Chinese priority in a number of technologies before the modern era. He points to the Chinese use of printing by the 9th century, “600 years before Europe saw Gutenberg’s first Bible.” He says the Chinese were using “flame throwers, guns, and cannons” by the 13th century, “about 100 years before Europe.” They were using the magnetic compass in the 1st century, “not found in European records until 1190.” “In 1422, seventy years before Columbus’s three small ships crossed the Atlantic, the Chinese reached the east coast of Africa,” with a fleet of 65 ships superior in size and technique.

Sounding like a multicultural revisionist, Rushton adds: “With their gunpowder weapons, navigation, accurate maps and magnetic compasses, the Chinese could easily have gone around the tip of Africa and ‘discovered’ Europe!” (Race, Evolution, and Behavior, 2nd Abridged Version, Charles Darwin Research Institute, 2000).

Even more, Rushton views the last five centuries of European superiority as a temporary deviation that is now being superseded by not only Japan but China, Taiwan, Singapore, and South Korea. Lynn has the same opinion. But they have not offered an answer as to why Europeans were responsible for almost every single advance and invention in modern times. East Asian creativity, they say, was kept under a lid by cultural norms and institutions that are now breaking down. But there are multiple problems with Rushton’s claims, staring with his very one-sided association of creativity with science and technology, and his exaggerations about Chinese technology prior to 1500. After the Sung era (960-1279), the Chinese ceased to be inventive, whereas it was the medieval Europeans who went on to make continuous improvements on the Chinese inventions Rushton mentions, and then added their own: spectacles, mechanical clocks, navigational techniques, gauges, micrometres, water mills, fine wheel cutters, and more. The Chinese possessed large junks but did not discover a single new nautical mile. The ancient Greeks were far more advanced in the theoretical sciences, geometry, deductive reasoning, not to mention their arts and humanities. The Romans were just as inventive technologically, progenitors of great military strategists and conquerors, and true innovators in jurisprudence. Chinese education is still backward, dogmatic, and this is why they send their students to the West. Europeans invented each and every discipline taught in our universities. Virtually every great philosopher, poet, painter, novelist, explorer in history is European.

880970887.jpgWe need an explanation for this incredible discrepancy. But what exactly is the Faustian soul? How do we connect it to Europe’s creativity? To what original source or starting place did Spengler attribute this yearning for infinity? He directed attention to the barbarian peoples of northern Europe. In Man and Technics, he wrote of how the Nordic climate forged a character filled with vitality, “an intellect sharpened to the most extreme degree, with the cold fervour of an irrepressible passion for struggling, daring, driving forward.” The Nordic character was a human biological being to be sure, but one animated with the spirit of a “proud beast of prey,” like that of an “eagle, lion, [or] tiger.” For this Nordic individual, “the concerns of life, the deed, became more important than mere physical existence.” He wants to climb high, soar upward and reach ever higher levels of existential intensity. Adaptation and reproduction are not enough (Man and Technics: A Contribution to a Philosophy of Life, Greenwood Press, 1976: 19-41).

But why a Faustian soul is attributed only to Europeans? Are their “primary emotions” really different from that of ordinary humans? A good way to start answering this question is to compare the idea of a Faustian soul with Immanuel Kant’s observations on the “unsocial sociability” of human beings. In his essay, “Idea for a Universal History from a Cosmopolitan Point of View,” Kant seemed somewhat puzzled but nevertheless attuned to the way progress in history had been driven by the fiercer, self-centred side of human nature. Looking at the wide span of history, he concluded that without the vain desire for honour, property, and status humans would have never developed beyond a primitive Arcadian existence of self-sufficiency and mutual love: “all human talents would remain hidden forever in a dormant state, and men, as good-natured as the sheep they tended, would scarcely render their existence more valuable than that of their animals. . . . [T]he end for which they were created, their rational nature, would be an unfulfilled void.”

There can no development of the human faculties, no high culture, without conflict, antagonism, and pride. It is these asocial traits, “vainglory,” “lust for power,” “avarice,” which awaken the dormant talents of humans and “drive them to new exertions of their forces and thus to the manifold development of their capacities.” Nature in her wisdom, “not the hand of an evil spirit,” created “the unsocial sociability of humans.”

But Kant never asked, in this context, why Europeans were responsible, in his own estimation, for most of the moral and rational progression in history. In another publication, Anthropology from a Pragmatic Point of View (1798), Kant did observe major differences in the psychological and moral character of races as exhibited in different places on earth. He ranked races accordingly, with Europeans at the top in “natural traits.” Still, Kant never connected his anthropology with his principle of asocial qualities.

Did “Nature” foster these asocial qualities evenly among the cultures of the world? While these “vices” – as we have learned today from evolutionary psychology — are genetically-based traits that evolved in response to long periods of adaptive selective pressures associated with the maximization of human survival, there is no reason to assume that the form and degree of these traits evolved evenly or equally among all the human races and cultures. It is my view that the asocial qualities of Europeans were different, more intense, acuter, strident, individuated.

I believe that this variation should be traced back to the aristocratic culture of Indo-Europeans. Indo-Europeans were a pastoral people from the Pontic-Caspian steppes who initiated the most mobile way of life in prehistoric times starting with the riding of horses and the invention of wheeled vehicles in the fourth millennium BC, together with the efficient exploitation of the “secondary products” of domestic animals (dairy products, textiles, harnessing of animals), large-scale herding, and the invention of chariots in the second millennium. By the end of the second millennium, even though Indo-Europeans invaded both Eastern and Western lands, only the Occident had been “Indo-Europeanized.”

Indo-Europeans were uniquely ruled by a class of free aristocrats grouped into war-bands. These bands were constituted associations of men operating independently from tribal or kinship ties, initiated by any powerful individual on the merits of his martial abilities. The relation between the chief and his followers was personal and contractual: the followers would volunteer to be bound to the leader by oaths of loyalty wherein they would promise to assist him while the leader would promise to reward them from successful raids. The most important value of Indo-European aristocrats was the pursuit of individual glory as members of their warbands and as judged by their peers. The Iliad, Beowulf, The Song of Roland, including such Irish, Icelandic and Germanic sagas as Lebor na hUidre, Njals Saga, Gisla Saga Sursonnar, The Nibelungenlied recount the heroic deeds and fame of aristocrats — these are the earliest voices from the dawn of Western civilization. Within this heroic ‘life-world’ the unsocial traits of humans took on a sharper, keener, individuated expression.

What about other central Asian peoples from the steppes such as the Mongols and Turks who produced a similar heroic literature? There are a number of substantial differences. First, the Indo-European epic and heroic tradition precedes any other tradition by some thousands of years, not just the Homeric and the Sanskrit epics but, as we now know with some certainty from such major books as M. L. West’s Indo-European Poetry and Myth, and Calvert Watkins’s How to Kill a Dragon: Aspects of IE Poetics (1995), going back to a prehistoric oral tradition. Second, IE poetry exhibits a keener grasp and rendition of the fundamentally tragic character of life, an aristocratic confidence in the face of destiny, the inevitability of human hardship and hubris, without bitterness, but with a deep joy. Third, IE epics show both collective and individual inspiration, unlike non-IE epics which show characters functioning only as collective representations of their communities. This is why in some IE sagas there is a clear author’s stance, unlike the anonymous non-IE sages; the individuality, the rights of authorship, the poet’s awareness of himself as creator, is acknowledged in many ancient and medieval European sagas.

But how do we connect the barbaric asocial traits of prehistoric Indo-European warriors to the superlative cultural achievements of Greeks and later civilized Europeans? Another German thinker, Nietzsche, provides us with the best insights to explain how the untamed agonistic ethos of Indo-Europeans was translated into civilized creativity. I am thinking of the fascinating idea, expressed in his early essay “Homer on Competition,” that civilized culture or convention (nomos) was not imposed on nature but was a sublimated continuation of the strife that was already inherent to nature (physis).The nature of existence is based on conflict and this conflict unfolded itself in human institutions and governments. Humans are not naturally harmonious and rational as Socrates had insisted; the nature of humanity is strife. Nietzsche argued against the separation of man/culture from nature: the cultural creations of humanity are expressions or aspects of nature itself.

But nature and culture are not identical; the artistic creations of humans, their norms and institutions, constitute a rechanneling of the destructive striving of nature into creative acts, which give form and aesthetic beauty to the otherwise barbaric character of natural strife. While culture is an extension of nature, it is also a form by which human beings conceal their cruel reality, and the absurdity and the destructiveness of their nature. This is what Nietzsche meant by the “dual character” of nature; humans restrain or sublimate their drives to create cultural artefacts as a way of coping with the meaningless destruction associated with striving.

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Nietzsche, in another early publication, The Birth of Tragedy, referred to this duality of human existence, nomos and physis, as the “Apollonian and Dionysian duality.” The Dionysian symbolized the excessive and intoxicating strife which characterized human life in early tribal societies, whereas the Apollonian symbolized the restraint and rechanneling of conflict possible in state-organized societies. In the case of Greek society, during pre-Homeric times, Nietzsche envisioned a world in which there were no or few limits to the Dionysian impulses, a time of “lust, deception, age and death.” The Homeric and classical (Apollonian) inhabitants of city-states brought these primordial drives under “measure” and self-control. The emblematic meaning of the god Apollo was “nothing in excess.” Apollo was a provider of soundness of mind, a guardian against a complete descent into a state of chaos and wantonness. He was a redirector of the willful and hubristic yearnings of individuals into organized forms of warfare and higher levels of art and philosophy.

For Nietzsche, Greek civilization was not produced by a naturally harmonious character, or a fully moderated and pacified city-state. One of the major mix-ups all interpreters of the rise of the West fall into is to assume that Western achievements were about the overcoming and suppression of our Dionysian impulses. But Nietzsche is right: Greeks achieved their “civility” by rechanneling the destructive feuding and blood lust of their Dionysian past and placing their strife under certain rules, norms and laws. The limitless and chaotic character of strife as it existed in the state of nature was “civilized” when Greeks came together within a larger political horizon, but it was not repressed. Their warfare took on the character of an organized contest within certain limits and conventions. The civilized aristocrat was the one who, in exercising sovereignty over his powerful longings (for sex, booze, revenge, and any other kind of intoxicant) learned self-command and, thereby, the capacity to use his reason to build up his political power and rule those “barbarians” who lacked this self-discipline. The Greeks created their admirable culture while remaining at ease with their superlative will to strife.

To complete Nietzsche’s insights we need to add the historically based argument that the Greeks viewed the nature of existence as strife because of their background in an Indo-European state of nature where strife was the overriding ethos. There are strong reasons to believe that Nietzsche’s concept of strife is an expression of his own Western background and his study of the Western agonistic mode of thinking that began with the Greeks. One may agree that strife is in the “nature of being” as such, but it is worth noting that, for Nietzsche, not all cultures have handled nature’s strife in the same way and not all cultures have been equally proficient in the sublimated production of creative individuals or geniuses. Nietzsche thus wrote of two basic human responses to the horror of endless strife: the un-Hellenic tendency to renounce life in this world as “not worth living,” leading to a religious call to seek a life in the beyond or the after-world, or the Greek tragic tendency, which acknowledged this strife, “terrible as it was, and regarded it as justified.” The cultures that came to terms with this strife, he believed, were more proficient in the completion of nature’s ends and in the production of creative individuals willing to act in this world. He saw Heraclitus’ celebration of war as the father and king of the whole universe as a uniquely Greek affirmation of nature as strife. It was this affirmation which led him to say that “only a Greek was capable of finding such an idea to be the fundament of a cosmology.”

The Greek-speaking aristocrats had to learn to come together within a political community that would allow them to find some common ground and thus move away from the state of nature with its endless feuding and battling for individual glory. There would emerge in the 8th century BC a new type of political organization, the city-state. The greatness of Homeric and Classical Greece involved putting Apollonian limits around the indispensable but excessive and brutal Dionysian impulses of barbaric pre-Homeric Greeks. Ionian literature was far from the berserkers of the pre-Homeric world, but it was just as intensively competitive. The search for the truth was a free-for-all with each philosopher competing for intellectual prestige in a polemical tone that sought to discredit the theories of others while promoting one’s own. There were no Possessors of the Way in aristocratic Greece; no Chinese Sages decorously deferential to their superiors and expecting appropriate deference from their inferiors.

This agonistic ethos was ingrained in the Olympic Games, in the perpetual warring of the city-states, in the pursuit of a political career and in the competition among orators for the admiration of the citizens, and in the Athenian theatre festivals where a great many poets would take part in Dionysian competitions. It was evident in the sophistic-Socratic ethos of dialogic argument and the pursuit of knowledge by comparing and criticizing individual speeches, evaluating contradictory claims, competitive persuasion and refutation. In Descartes’s rejection of all prior knowledge and assertion of his autonomous intellect, “I think, therefore I am”, the transcendent mind, the self-determining ego, separated from any unity with nature and tradition. Spengler saw this ego expressing itself everywhere: in “the Viking infinity wistfulness” and their colonizing activities through the North Sea, the Atlantic, and the Black Sea; in the Portuguese and Spaniards who “were possessed by the adventured-craving for uncharted distances and for everything unknown and dangerous; in “the emigration to America,” “the Californian gold-rush,” “the passion of our Civilization for swift transit, the conquest of the air, the exploration of the Polar regions and the climbing of almost impossible mountain peaks” — “dramas of uncontrollable longings for freedom, solitude, immense independence, and of giantlike contempt for all limitations.”

“These dramas are Faustian and only Faustian. No other culture, not even the Chinese, knows them” (Decline of the West, 335-37).

 

 


 

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mardi, 03 décembre 2013

The Language of Manliness

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Manly, Manful…Man Up?
The Language of Manliness

by Brett & Kate McKay

Ex: http://www.artofmanliness.com

in A Man's Life, On Manhood

Unless you regularly read this blog, you may never have heard someone use the word manliness in writing or conversation. Ditto for manly, unless it was said a bit in jest and with the requisite eye roll. And you almost assuredly have never complimented another dude on his manful effort.

These days man is generally only used to designate a person’s gender. There was a time, however, where man – and its many grammatical derivatives – represented a distinct trait and quality, and was employed as a descriptive adjective and adverb.

In our research on manliness over the years, it has been interesting to see the different words that were used to call out a true man and the behaviors befitting a man, and how those words have changed and in some cases disappeared over time. Today we’ll take a look at some of those words and what they used to mean.

The Title of Man in the Ancient World

Mention the word manliness these days and you’ll probably be greeted with snorts and giggles; people have told me that the first time they visited this site, they thought it was a joke. Many people today associate manliness with cartoonish images of men sitting in their man caves, drinking beer and watching the big game. Or, just as likely, they don’t think much about manliness at all, chalking it up to the mere possession of a certain set of genitalia. Whatever image they have in mind when you mention manliness, it isn’t usually positive, and it probably has nothing to do with virtue.

Yet for over two thousand years, many of the world’s great thinkers explored and celebrated the subject of manliness, imagining it not as something silly or biologically inherent, but as the culmination of certain virtues as expressed in the life of a man.

 

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The ancient Greek word for courage – andreia – literally meant manliness. Courage was considered the sin qua non of being a man; the two qualities were inextricably linked. The Greeks primarily thought of andreia in terms of valor and excellence on the battlefield. A man with courage was strong and bold, with a white hot thumos. They believed that to attain full arête – or excellence – a man should join courage with other cardinal virtues like wisdom, justice, and temperance. But, they also acknowledged that men who were unjust and unwise could still be fiercely courageous – and manly. At the same time, many philosophers argued that courage was really a form of self-control and was just as essential for success in peacetime as it was in war. Aristotle for example broadly described courage as a man’s ability to “hold fast to the orders of reason about what he ought or ought not to fear in spite of pleasure and pain.”

The Roman word for man – vir – was very similar in definition to the Greek andreia. Vir was strongly associated with courage, particularly of the martial variety. In the latter part of the Roman era, as excellence became just as necessary in governance as on the battlefield, the traits associated with being a man worthy of the title vir expanded to include not just courage, but other qualities such as fortitude, industry, and dutifulness. Thus it is from the Latin vir that we get the English word virtue.

Manliness

The next great era of man-centric language was the 19th century. Like the ancient Greeks and Romans, English and American thinkers of that time believed manliness was not an automatic trait of biology but something that had to be earned. Writers and speakers of this period continued the Roman tradition of defining manliness as the possession of a certain set of virtues, adding to the requisite list other qualities befitting a Victorian gentleman:

“Manliness means perfect manhood, as womanliness implies perfect womanhood. Manliness is the character of a man as he ought to be, as he was meant to be. It expresses the qualities which go to make a perfect man, — truth, courage, conscience, freedom, energy, self-possession, self-control. But it does not exclude gentleness, tenderness, compassion, modesty. A man is not less manly, but more so, because he is gentle.”

“For anything worthy of the name of Manliness there must be first…the development of all that is in man—the physical, the mental, the moral, and the spiritual…virtue is the highest quality in a man; and so that manliness is most fully realized where the virtues are most fully developed—the virtues, shall we say, of Bravery, Honesty, Activity, and Piety.”

david.jpgMen of the 19th and early 20th centuries also saw manliness not simply as a collection of different virtues, but as a virtue in and of itself – a distinct quality. They encouraged men to embrace manliness as the crown of character – as a kind of ineffable bonus power that was produced when all the other virtues were combined (the Captain Planet of the virtues, if you will). Manliness was often noted as a separate, preeminent trait in men worthy of admiration:

“He is going to be known as a boys’ hero. He is going to be known preeminently for his manliness. There is going to be a Roosevelt legend.”

“I have grieved most deeply at the death of your noble son. I have watched his conduct from the commencement of the war, and have pointed with pride to the patriotism, self-denial, and manliness of character he has exhibited.”

Manliness was often used in a way that seemed to imply that while the quality encompassed all the other virtues, it also acted as a balance to them — ensuring that the softer, gentlemanly virtues didn’t sap a man of a virile toughness:

“After all, the greatest of Washington’s qualities was a rugged manliness which gave him the respect and confidence even of his enemies.”

“We have met to commemorate a mighty pioneer feat, a feat of the old days, when men needed to call upon every ounce of courage and hardihood and manliness they possessed in order to make good our claim to this continent. Let us in our turn with equal courage, equal hardihood and manliness, carry on the task that our forefathers have entrusted to our hands.”

As it was in antiquity, the measure of manliness amongst its citizenry was often linked to the health of the republic:

“Government, as recognized by Democracy, pre-supposes manliness, knowledge, wisdom.”

“We are a vigorous, masterful people, and the man who is to do good work in our country must not only be a good man, but also emphatically a man. We must have the qualities of courage, of hardihood, of power to hold one’s own in the hurly-burly of actual life. We must have the manhood that shows on fought fields and that shows in the work of the business world and in the struggles of civic life. We must have manliness, courage, strength, resolution, joined to decency and morality, or we shall make but poor work of it.”

Manly

The perfect definition for manly can be found in an 1844 Greek and English lexicon, showing as it does a common thread in the understanding of manliness that runs from antiquity, through the 19th century, and up to how we employ the descriptor on AoM in the present day:

“Pertaining to a man, masculine; manly; suiting, fit for, becoming a man, or made use of by, as manners, dress, mode of life; suiting, or worthy of a man, as to action, conduct or sentiments, and thus, manly, vigorous, brave, resolute, firm.”

Our forbearers used manly to modify a whole host of behaviors, traits, and objects. An admirable man might be said to possess “manly courage,” which was shown by exhibiting “manly conduct,” making a “manly stand,” and holding on to his “manly independence.” Jefferson believed it was the “manly spirit” of his countrymen that led to revolution. If others did not respect your desire for “manly liberty,” you had to resort to wielding a “manly sword.” Correspondence that was frank in its contents was held up as a “manly letter.” Dress that made a young man seem more mature was advertised as a “manly suit.” Keeping things “simple and on point” might get you complimented for your “manly speech,” while being “candid,” “unaffected,” and “forcible” would earn you praise for a “manly delivery.” How you carried yourself mattered too; George Washington, for one, was described as having “a fine, manly bearing” and men talked about the elements of a “manly handshake” long before we did. And a boy who precociously sought to embody the traits of manliness was considered a “manly boy.”

Manful

Manful (or manfully) was sometimes used in a similar way as manly. But there were some shades of difference between the two descriptors, even if people weren’t always sure exactly what those differences were. 1871’s Synonyms Discriminated, argued that:

“MANFUL is commonly applied to conduct; MANLY, to character. Manful opposition; manly bravery. Manful is in accordance with the strength of a man; manly, with the moral excellence of a man. Manful is what a man would, as such, be likely to do; manly, what he ought to do, and to feel as well.”

Another lexicographer put it this way:

“Manful points to the energy and vigor of a man; manly, to the generous and noble qualities of a man. The first is opposed to weakness or cowardice, the latter to that which is puerile or mean. We speak of manful exertion without so much reference to the character of the thing for which exertion is made, but manly conduct is that which has reference to a thing worthy of a man.”

English Synonyms Explained saw the difference from another angle:

“MANLY, or like a man, is opposed to juvenile, and of course applied properly to youths; but MANFUL, or full of manhood, is opposed to effeminate, and is applicable more properly to grown persons.”

 

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In practice, authors seemed not to have followed either of these usage rules – and manly and manful were employed fairly interchangeably. Manfully came in handy for when an adverb was needed to note the manful-ness of an action. But as manful appears in old texts much less frequently than manly, and is far less familiar to the modern reader, one can likely assume that the confusion of when to use which led to the latter supplanting the former as the catch-all for behaviors and actions befitting a man.

Unmanned

The code of honor for a man of the 19th century included many qualities, principal among which was self-control. A man of this time strived to have a stiff upper lip and be calm and cool even under the most trying of circumstances.

To lose one’s self-control was to lose one’s claim to manhood, and thus men of this time described such a slip as being unmanned. One dictionary of the time defined unmanned as “deprived of the powers and qualities of a man. Softened.” The term was frequently used in reference to a man’s giving in to a strong emotional reaction:

“When told that his recovery was hopeless, he was perfectly unmanned, and wept like a child. It is here introduced as showing that while his own misfortunes never for a single moment disturbed his equanimity, the finer feelings of his nature were sensitively alive to the distresses of others.”

“Richard turned to stay the torrent of invectives, in which such words as “renegades,” “traitors,” “mud-sills,” were heard, but the colonel, completely unmanned by the rage he was in, and seemingly unconscious of the presence of the ladies, waved him aside with his hand, and faced the row of frightened, expectant faces.”

A man whose courage failed him could be said to have been “unmanned by terror.” Or if he drank to the point of losing self-control, he might say the liquor had unmanned him.

vercingetorix_2_1300462076.jpgOne of the most poignant tales of a famous man admitting to being unmanned comes from Abraham Lincoln. One of the first deaths in the Civil War – Elmer Ellsworth — was a close friend of the president. Right after receiving news of Ellsworth’s death, a reporter and Senator came into the White House library to speak with Lincoln. Upon entering, they saw him gazing mournfully out the window at the Potomac. He abruptly turned around, stuck out his arm, and said, “Excuse me, but I cannot talk.” He then burst into tears and began walking around the room, holding a handkerchief to his face as he cried. The two visitors were unsure of what to do; as the reporter later remembered, they were “moved at such an unusual spectacle, in such a man, in such a place.” After several minutes, the president turned to them and said, “I make no apology gentlemen, for my weakness, but I knew poor Ellsworth well, and held him in high regard. Just as you entered the room, Captain Fox left me, after giving me the painful details of his unfortunate death. The event was so unexpected, and the recital so touching, that it quite unmanned me.” Lincoln then “made a violent attempt to restrain his emotion” before sharing the details of his friend’s death.

Modern Day: Man Up!

While words like manliness and manful have fallen out of favor in our modern age, our current culture does have its own usages of man-related language.

Man is sometimes tacked on to words to show that they are made for men or have a particularly manly slant, e.g., man purse. Or man is merged into the word itself, such as mancation. Some of these uses are faintly ridiculous, but I’m not above using them myself when I feel it’s appropriate or makes a worthy new word. I quite like the word manvotional for a piece of text that will inspire a man’s spirit, and using a phrase like man room avoids the man-as-Neanderthal connotations of man cave while more succinctly describing a room in which many different manly activities might take place, without having to list out “study, garage, workshop, library…”

But perhaps the dominant man-related term of our modern times is man up. I had always sort of assumed that this now-ubiquitous exhortation was of a somewhat older vintage – that maybe it was coined mid-twentieth century, and had simply been widely discovered and popularized in the last decade or so. But a search for the phrase in Google Books, limited to the 19th and 20th centuries, turned up no results, except for an archaic use of manning up as a term for staffing positions at a business. A search of the archives from the twenty-first century, however, turned up hundreds of books that included the phrase, among which were at least two dozen that used the imperative in the title itself.

Ben Zimmer, author of the “On Language” column at The New York Times, traces the origin of man up back to the 1980s and American football. It was first used in reference to the man-to-man pass defense. For example, in 1985, New York Jets head coach Joe Walton lauded his D-line and their coach for “playing the kind of defense that I wanted and that Bud Carson teaches — aggressive, man up, getting after it, hustling all over the field.” From there the phrase began to take on a more metaphorical cast – as an exhortation to get tough and go hard. The earliest example Zimmer found of this kind of usage is a quote from San Diego Chargers defensive tackle Mike Charles, who told The Union Tribune in 1987: “Right now, by the grace of God, we’re hanging by the skin of our teeth. Now we’ve got to man up and take care of ourselves.”

Man up soon became part of the lingo in another all-male organization that put a premium on grit and strength: the military. Soldiers used it to exhort their brothers-in-arms to pull their weight – as an admonishment to give their best and not become the weak link in the unit.

Thus man up began as an imperative used in male honor groups; born of the reality that each man had a role to play in contributing to the overall strength of the team or unit, it was a man-to-man call to live up to the standards of the group and not let each other down. But as man up gained in usage in the popular culture, it started being used in a variety of contexts – often by women or feminist organizations seeking to tap into the traditional mechanics of honor and shame in an attempt to motivate men to adopt certain behaviors. For example the “Man Up Campaign” is a “global movement” which aims to “end gender-based violence and advance gender equality.” There was also a bit of brouhaha during the most recent Nevada senatorial race when female Republican candidate Sharron Angle told Senator Harry Reid to “Man up!” during a debate. The implication was that Harry Reid was less than a man because he lacked a backbone. The problem when women tell men to “man up!” is that there isn’t really an equally shame-inducing phrase that men can level at women that implies the same thing but won’t get the man criticized for being sexist or patronizing. “Woman up!” just doesn’t sound right (there’s a reason for that). I’ve heard the phrase “put on your big girl panties” said by other women, but if that were to come from a man, it would not likely be received very well!

The road to manliness is paved with…hair gel?

Man up has also been distanced from its origins by being used as a chastisement for those who run afoul of the superficial violations of the “Bro Code.” Advertisers, which have always used shame to sell products, have recently taken to using man up to market their wares as the manly choice. For example, Miller Lite ran a recent campaign that revolved around hot female bartenders shaming men for their ambivalence as to which light beer brand was best, as well as the man’s unforgivably effeminate fashion accessories.

There was even an ABC sitcom called Man Up in 2011 which revolved around the “hilarious” antics of a group of man-children. With super cool and relevant episode titles like “Finessing the Bromance,” it was surprisingly canceled after only 8 episodes.

Man up has become so cliché and meaningless, I’ve stopped using it myself and on AoM altogether.

Conclusion

Describing positive virtues and actions displayed by men as manly or manful has gone out of vogue because of our society’s increasing emphasis on gender neutrality. While I agree that both men and women can strive to be courageous, resolute, and disciplined, I think there’s something to be said about qualifying a virtue or action as manly or manful that inspires men to live up to that ideal. Unlike women, men are (generally) more sensitive to status — particularly to their status in regards to whether they’re a man or not. Most young men want those around them to see them as men and they’ll go to great lengths to conform to the norms their culture and society sets for earning that title.

Many of you might think it’s stupidly archaic that men care about whether they’re manly or not, and they just shouldn’t give a rip. But I’m a pragmatist. Men have always cared about their status as men and probably always will. Even when men say they don’t care about manliness, they usually couch it in a way that shows that they’re actually more manly because they don’t care about being manly! They try to defeat gender normativity with… gender normativity. Hubba-wha?

I’d argue that instead of trying to convince men not to care (which is a losing battle), we’d be better served reviving the classical meaning of these manly descriptors to help inspire men to strive for virtue and excellence. If we want men to be morally courageous and honorable and compassionate, talk about these virtues as being manly courage, manly honor, and manly compassion. You get the idea.

And as we’ve discussed countless times on the site and in our books, I think it’s possible to describe an action or virtue as manly while recognizing that men don’t have a monopoly on these virtues and actions. As ancient literature and writings have shown, both men and women can strive for the same virtues, we just often attain them and express them in different ways.

So here’s to bringing back manly language!

Just don’t get too carried away with it. You don’t have to put manly in front of every damn thing you think is good. That will just ruin it for the rest of us. Use some manly discretion.

Oh yeah, and stay manly.

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Editor’s note: All the quotes above, unless otherwise cited, come from various books from the 19th and early 20th centuries. If you’re interested in further reading, they can all be found for free on Google Books.

 

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samedi, 30 novembre 2013

Últimos escritos y discursos de Giovanni Gentile

Últimos escritos y discursos de Giovanni Gentile

Publicado por edicionesnuevarepublica

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Últimos escritos y discursos de Giovanni Gentile

NOVEDAD

«Últimos escritos y discursos de Giovanni Gentile.

24 de junio de 1943 – 15 de abril de 1944»

● Colección «Europa Rebelde» / 31

● Barcelona, 2013

● 20×13 cms., 148 págs.

● Cubierta a todo color, con solapas y plastificada brillo

PVP: 15 euros

Orientaciones

Cuando la noche del 15 de abril me fue dada la dolorosa noticia de que Giovanni Gentile había sido asesinado traicioneramente, la primera palabra que dije, tomado por una profunda angustia, a quien estaba, lejano, al otro lado del teléfono, fue: ¡No es posi­ble, no es cierto! ¡No debería serlo! Pero el enemigo había que­rido cometer una infamia sin nombre, había querido ensuciarse con uno de los más oscuros delitos que la historia recuerda. El enemigo no había vacilado al dar la orden de asesinar tam­bién a este italiano, consciente de la permanente grandeza de la nación y convencido, desde el primer día de la traición, de la necesidad de trabajar, con todas sus fuerzas físicas y espiri­tuales, para que el pueblo italiano se volviese a poner en pie, y marchase de nuevo hacia su destino. Así, las manos sacrílegas, que han golpeado hasta la muerte a Giovanni Gentile, han priva­do a la Nación de uno de sus ciudadanos más fieles, a la cultura italiana y europea de uno de sus más elevados representantes, a la escuela de su más grande Maestro, al mundo de un filósofo, entre los más profundos.

Cario Alberto Biggini (Filósofo, Ministro de Educación de la R.S.I.)

mercredi, 27 novembre 2013

Articles en hommage à Costanzo Preve (1943-2013)

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Articles en hommage à Costanzo Preve (1943-2013)

 

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lundi, 25 novembre 2013

Dr. Alexander Jacob about Hans-Jürgen Syberberg

Dr. Alexander Jacob about Hans-Jürgen Syberberg's vision of European Culture

dimanche, 24 novembre 2013

Intervention de Tomislav Sunic à Madrid

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Après la chute et la renaissance du tragique

http://www.polemia.com/apres-la-chute-et-la-renaissance-du-tragique/

Intervention de Tomislav Sunic prononcée en langue française à la conférence de Madrid, le 8 novembre 2013, organisée par le Cercle d’Etudes La Emboscadura.

Tomislav Sunic, de nationalité croate, ancien diplomate, ancien professeur de science politique, écrivain et historien, auteur de nombreux ouvrages et articles dont certains ont été présentés par Polémia, livre ses réflexions sur le destin du monde. Contrairement à certains penseurs et auteurs européens, il voit dans le futur un éternel recommencement où l’homme devra poursuivre sa lutte prométhéenne, marquée par le désir de l’exploit, le goût du dépassement et la foi dans la grandeur humaine.

Nous pouvons remplacer le substantif « la chute » par d’autres expressions qui possèdent des significations plus chargées, telles que « la fin des temps », la « décadence » ou le « chaos» – ou bien « la fin d’un monde», faute de dire « la fin du monde ». Ces mots et ces expressions me viennent à l’esprit, suivis par de nombreuses images liées à nos identités actuelles ou futures.

J’espère que personne ici ne prétend être un futurologue. Avec le recul, la plupart des futurologues ont été démentis dans leurs pronostics. Rappelons le récent effondrement de l’Union soviétique, phénomène que pas un seul soviétologue américain ou européen n’a pu prévoir.

Ma thèse principale est que les prophéties concernant la chute ne sont aucunement nouvelles. Depuis des temps immémoriaux, nous avons été témoins des histoires, des contes et des mythes qui présageaient le déclin ou la fin des temps. La grande majorité des penseurs et des auteurs européens, de l’Antiquité à la postmodernité, ont abordé dans leurs écrits la notion de la fin des temps et ses conséquences.

L’illusion du progrès

Du côté opposé, nous avons l’optimisme historique et la croyance au progrès. Le progrès est devenu aujourd’hui une religion laïque. Heureusement, il semble montrer des fissures, étant soumis de plus en plus à de nombreuses critiques. La croyance au progrès et ses adeptes ont eu un gros impact au cours de ces derniers 200 ans – et plus particulièrement au cours de ces derniers 70 ans. Les apôtres modernes du progrès portent généralement divers déguisements, soit le costume libéral, soit le costume communiste, et même parfois l’habit chrétien. Un peu péjorativement, on peut appeler ces gens les architectes du meilleur des mondes.

En revanche, ceux parmi nous qui rejettent la religion du progrès et l’optimisme historique peuvent être partagés en deux catégories : les penseurs du tragique et les pessimistes culturels. Les penseurs du tragique croient à la nature cyclique des temps et de l’identité ; ils disent qu’après chaque jour ensoleillé doit venir un jour de pluie. Je me range parmi ceux-ci.

Voici une citation du philosophe Clément Rosset, qui est proche de notre patrimoine intellectuel, étant lui-même le ferme adversaire de l’optimisme historique tout en étant un bon avocat du tragique :

« Il en résulte que toute pensée non tragique est nécessairement pensée intolérante ; que, plus elle s’éloigne des perspectives tragiques, plus elle s’incline vers telle ou telle forme d’ “optimisme”, plus elle se fait cruelle et oppressive » (Logique du pire, p. 155).

* Voici ma première remarque : les optimistes historiques, tels que les communistes, les libéraux, et tous ceux qui aspirent à l’amélioration du monde ont une manie invétérée d’imposer à notre société des constructions sociales, ou des contrats sociaux, qui, en règle générale, aboutissent toujours à des cauchemars politiques.

En décrivant « la chute », nous ne pouvons pas faire abstraction des images, des symboles et des mythes liés à la fin du temps. Les images de la chute étaient beaucoup plus fortes chez nos ancêtres qu’elles ne le sont parmi nous aujourd’hui. Il n’est point besoin de chercher loin pour trouver des exemples. Nous n’avons qu’à lire les mythes grecs et les épopées homériques qui regorgent de violence, de luttes titanesques, de chaos, de différents âges et de différentes identités. L’histoire de la célèbre saga germanique, les Nibelungen – dont le message sous-tend inconsciemment l’identité de la plupart des Européens – se termine dans le chaos et le massacre mutuel au sein de la même tribu. Indépendamment de leur héritage racial commun, nos ancêtres européens furent bien conscients de la fragilité de toute identité, y compris de la leur. Après tout, le personnage principal de la saga des Nibelungen, la reine Kriemihilde, cherchant à venger son mari, le héros Siegfried, tué par le héros Hagen, épouse en secondes noces le Hun, l’empereur asiatique Attila. Ils eurent un fils qui était un « Mischling » – un hybride racial, peut-on dire – dont la tête fut finalement coupée par Hagen.

En ce qui concerne la perception de la fin des temps, je voudrais commencer par deux courtes citations de deux auteurs modernes qui font également partie de notre patrimoine intellectuel. Tous les deux étaient très conscients de la fin des temps. Le premier est un homme possédant un sens profond du tragique, et le second un pessimiste historique. Bien que souvent floue, la différence entre le sens du tragique et le pessimisme historique est tout à fait significative.

Voici notre premier penseur du tragique : Ernst Jünger, dans son livre An der Zeitmauer (Au mur du temps) :

« Le destin peut être anticipé, il peut être ressenti, il peut être redoutable, mais il ne doit jamais être connu. Si cela devait se produire, l’homme vivrait une vie d’un prisonnier qui connaît l’heure de son exécution » (p.25).

* Ma deuxième remarque : les penseurs tragiques excluent toute relation de cause à effet. Le bon côté du tragique consiste en la croyance aux événements aléatoires et en la croyance au « hasard ». Le penseur tragique n’est jamais tenté de prédire l’avenir. Pourquoi devrions-nous escalader le mur du temps et tenter d’enrayer la chute du temps au-delà du mur du temps ? Ce serait un devoir pénible, car nous y rencontrerions probablement des images effrayantes. Les optimistes historiques, qu’ils soient libéraux ou communistes, avec leur mentalité rationaliste, souhaitent installer exactement un tel schéma prévisible du progrès humain. Nous avons vu les résultats au cours de ces derniers soixante-dix ans !

Contrairement à la personne du tragique, Emile Cioran, en tant que pessimiste historique, ne se soucie guère de son identité à venir. Il a renoncé à toutes sortes de tentatives prométhéennes. Il s’est lui-même extrait, il y a bien longtemps, du temps et en est venu à la conclusion qu’il n’y a aucune raison pour la reprise de n’importe quelle identité. Je ne pense pas que nous devions accepter ce modèle, bien que la plupart d’entre nous, ici, y soient souvent enclins.

« Les autres tombent dans le temps ; je suis, moi, tombé du temps. A l’éternité qui s’érigeait au-dessus de lui succède cette autre qui se place au-dessus, zone stérile où l’on n’éprouve plus qu’un seul désir : réintégrer le temps, s’y élever coûte que coûte, s’en approprier une parcelle pour s’y installer, pour se donner l’illusion d’un chez soi. Mais le temps est clos, mais le temps est hors d’atteinte ; et c’est de l’impossibilité d’y pénétrer qu’est faite cette éternité négative, cette mauvaise éternité » (La Chute dans le Temps, p. 1152).

L’Europe: Le mur du temps vis-à-vis du mur de fer

Sur la base de ces citations, nous allons examiner maintenant quelques illusions politiques contemporaines sur la chute dans le temps et sur notre identité, illusions que nous pourrions tout aussi bien qualifier d’autotromperie. Ces illusions peuvent nous aider à acquérir une meilleure perception de notre nouvelle identité. Regardons vers l’arrière, au-delà de notre actuel mur du temps.

En mai 1945, les Américains faisaient une grande la fête sur Broadway, à New York. La Seconde Guerre mondiale venait de prendre fin, et, depuis lors, l’image de cette guerre a été considérée comme le symbole ultime du mal absolu. Nous vivons encore ce scénario de la fin des temps fascistes et antifascistes.

Or, de l’autre côté du mur, en même temps, ou, si l’on peut s’exprimer d’une façon moins allégorique, de l’autre côté de l’Atlantique, le Rideau de fer s’éleva. A la mi-mai 1945, des millions de personnes d’Europe centrale et d’Europe orientale ont connu la chute de leurs temps et également la perte de leur identité. Pour beaucoup d’Européens, cette année marqua la fin des temps européens, « le Ragnarök ». Le mot allemand « Zusammenbruch », était à cette époque très en usage parmi les millions de réfugiés : des millions d’Allemands, de Hongrois, d’Italiens, de Croates, Serbes, Ukrainiens, des soldats et des civils, allaient bientôt être livrés à la fin du temps communiste ou, si l’on peut s’exprimer moins allégoriquement, à la mort certaine. Le temps de la fin avait touché non seulement leurs dirigeants vaincus, mais également des millions d’individus anonymes dont le flux du temps défia tous les instruments.

La race de l’esprit comme nouvelle identité

Lorsqu’on s’interroge sur notre prétendue identité après la chute, y compris le bagage héréditaire qui nous lie à nos confrères blancs à travers le monde, nous devons convenir que l’identité ne peut pas être uniquement ancrée dans notre race. Il y a aussi une autre dimension qui doit être prise en compte : notre sens du tragique et notre mémoire historique.

* Ma troisième remarque. L’Identité, lorsqu’elle repose seulement sur l’hérédité, a peu de sens si elle manque de « Gestalt » – si elle refuse de s’assigner un nom, un prénom et un lieu d’origine. Une abstraite identité blanche, dépourvue d’ « âme raciale», n’a pas de sens. Nous portons tous des noms et nous traînons tous notre mémoire tribale et culturelle.

Ma propre identité, par exemple, ainsi que l’identité de plusieurs de mes et de nos collègues en Allemagne ou en France, ou ailleurs en Europe, est fortement ancrée dans notre mémoire historique. Par exemple, depuis l’âge de cinq ans j’ai été exposé à de longues histoires racontées par mon défunt père sur les massacres communistes qui ont eu lieu à l’été 1945 en Europe centrale et orientale. Ces histoires, à leur tour, ont affecté ma perception de moi-même, ainsi que ma perception de la réalité qui m’entoure.

* Ma quatrième remarque : je tiens à souligner que la victimologie joue un rôle formidable dans la formation des identités de beaucoup de peuples dans le monde entier, y compris de nous-mêmes. Le cas de la victimologie juive, qui est également devenue aujourd’hui une partie de l’identité du monde entier, nous fournit le meilleur exemple et en dit long.

Face à notre approche de la fin des temps, nous avons souvent recours aux identités « négatives ». Des mots tels que « immigration » et « islam» viennent à l’esprit lorsque nous avons recours à ces référents d’identités négatives. Ces mots et notions nous fournissent la preuve d’un changement de paradigme. Par exemple, il y a trente ans, les mots « immigration » et « islam » étaient peu utilisés et n’étaient pas considérés comme un facteur majeur dans les analyses de la chute anticipée. Il y a trente ans, notre identité négative était fondée sur l’anticommunisme, le communisme représentant alors le symbole de la chute et le symbole de la fin des temps.

Or, le communisme, avec son contraire, l’anticommunisme, en tant que facteur de la construction de notre identité négative, est maintenant périmé : il semble avoir disparu de notre vocabulaire, de notre imagination et de notre processus de construction de l’identité négative. A sa place s’installent maintenant les étrangers, les non-Européens, le métissage, la prétendue menace de l’islam et la disparition de l’Etat-Nation dans le système mondial capitaliste.

Il y a cependant de sérieux problèmes avec l’utilisation et l’abus de ces nouvelles notions. Ainsi, le mot « islam », qui est devenu un mot inspirant la crainte à beaucoup d’entre nous, peut désigner à la fois tout et rien. L’islam n’est pas le synonyme d’une identité distincte ou d’une race distincte : c’est une religion universaliste, tout comme la religion universaliste chrétienne. Nous pourrions passer des heures à débattre maintenant et à nous quereller au sujet du christianisme et du patrimoine des Blancs européens. Nous oublions souvent que le christianisme, tout comme l’islam, a ses origines dans les déserts du Moyen-Orient – et non en Europe. Il y a maintenant davantage de chrétiens vivant en dehors de l’Europe qu’en Europe elle-même.

* Ma première conclusion : Sur le plan purement méthodologique, nous devons éviter d’utiliser une approche individualisée et chercher plutôt à comprendre la chute et la notion d’identité du point de vue économique, social, philosophique, racial, religieux et démographique. En nous attardant seulement sur la question de l’hérédité ou de la race, ou sur la question de l’immigration, tout en oubliant les autres aspects qui façonnent notre identité, nous courons le risque de tomber dans un piège réductionniste et arbitraire.

Evitons d’être des pessimistes culturels et essayons plutôt d’aiguiser notre sens du tragique. Contrairement au pessimisme culturel, le sens du tragique sous-entend l’accident, le hasard, pour lesquels les Allemands ont un très joli mot : « der Zufall ». Les Français ont un meilleur mot : « le hasard ». Chaque accident, chaque hasard, chaque Zufall inattendu, signifie que le temps reste ouvert. Dans notre quête de notre nouvelle identité, l’histoire nous reste toujours ouverte. Par conséquent, l’écoulement du temps nous offre à tous de nouvelles pistes inattendues vers la liberté. Nous devons juste saisir la bonne occasion.

Il n’est pas étonnant qu’au niveau de notre subconscient nous nous sentions tous attirés d’abord vers notre groupe, vers notre tribu, comme le note notre ami Kevin MacDonald – surtout en cas d’urgence, ou en cas de hasard. Quand nous voyageons en Afrique ou en Asie, et quand nous descendons dans un hôtel, nous cherchons instinctivement un contact oculaire avec un Blanc d’Europe ou d’Amérique. Ici à Madrid, nous n’avons aucun intérêt à savoir si la personne qui nous croise est un Espagnol. Mais les temps changent rapidement : il y a des endroits, à Los Angeles, ou dans le monde souterrain du métro parisien, où le passager blanc, tard dans la nuit, est heureux de repérer une personne de son phénotype. Leur contact oculaire en dit long sur leur identité commune soudainement récupérée.

Cependant, comme mentionné précédemment dans notre bref regard sur le carnage qui eut lieu au sein de la même tribu dans la dernière aventure des Niebelungen, il y a des questions critiques que nous devons poser quant à notre identité commune. Il y a d’innombrables exemples historiques où l’identité commune mène à la haine et à la guerre civile au sein de la même tribu, du même groupe. Les guerres civiles entre et parmi les Européens et les Américains ont été, de loin, beaucoup plus meurtrières que les guerres qu’ils ont menées contre l’Autre.

A titre hypothétique, si les Européens blancs et les Américains blancs avaient les moyens d’établir leur propre ethno-Etat, avec leur propre identité commune et raciale, qui peut nous garantir que cet ethno-Etat entièrement blanc ne serait pas à nouveau en proie à des divisions internes et à des guerres civiles ?

La bataille d’Alamo, en 1836, porte toujours un message vif pour nous tous ici. La douzaine de défenseurs irlandais qui ont perdu la vie en défendant Alamo contre le siège de Santa Anna jouèrent un rôle crucial dans la prolongation et la capture mexicaine d’Alamo. Pourtant, nous devons aussi nous rappeler que, dix ans plus tard, plusieurs centaines d’Irlandais – le célèbre Bataillon « Saint-Patrick » – furent, avec d’autres immigrés européens catholiques, les loyaux combattants du côté mexicain, au cours de la guerre américano-mexicaine. Lorsque la guerre prit fin, des dizaines d’Irlandais furent pendus comme criminels de droit commun par les troupes américaines victorieuses.

Jusqu’à une époque récente, l’idée d’une identité européenne blanche n’existait pas. Par exemple, l’attaque turque sur l’Europe, au XVIe et au XVIIe siècle, ne fut pas motivée par une question de race : elle avait des racines religieuses. Beaucoup de clans serbes, croates et hongrois chrétiens et leurs chefs s’alliaient parfois aux envahisseurs turcs pour différentes raisons politiques. De même, mille ans plus tôt, de nombreuses tribus germaniques se sont alliées aux Huns d’Attila et se sont battues contre leurs propres frères dans les Champs Catalauniques, en 451 après JC.

Il y a d’innombrables exemples historiques où le système de croyance ou la politique de puissance ont joué un rôle beaucoup plus important dans le processus de la construction d’identité que la question de la race.

Un autre exemple : la Seconde Guerre mondiale fut aussi une guerre civile européenne entre les puissances et les peuples du même fond génétique mais appartenant à différents systèmes de croyance. Les principaux acteurs politiques utilisaient souvent des non-Européens comme troupes auxiliaires. Dans la Wehrmacht, il y avait de petites unités composées d’Arabes, d’Indiens et de tribus turques luttant contre les Américains blancs et les troupes soviétiques blanches. Les GIs américains, après leur débarquement en Normandie en 1944 et en Italie en 1943, prirent souvent certains soldats capturés sous l’uniforme allemand pour des Japonais, ignorant le fait que ces soldats combattant du côté de l’Axe étaient des volontaires venus des régions de l’Union soviétique occupées par les Allemands.

* Ma conclusion finale : Il n’y a pas de doute que le facteur héréditaire joue un rôle de premier plan dans notre identité. Très souvent, nous n’en sommes pas conscients. Nous pouvons changer notre physionomie, nous pouvons changer notre passeport, nous pouvons changer notre idéologie ou notre théologie. Nous pouvons également effacer notre mémoire culturelle en quittant notre patrie et en nous installant dans un pays lointain. Cependant, il n’y a strictement aucun moyen d’enlever les couches de gènes transmis par nos ancêtres. Mais nous ne pouvons pas non plus effacer les couches de notre mémoire.

Notre avant-guerre civile : la pathologie de la culpabilité blanche

Je tiens à préciser : même dans le meilleur des cas, il est douteux que l’on puisse facilement créer notre identité dans un ethno-Etat totalement blanc. Cette question troublante est heureusement abordée de plus en plus par nous tous. Pour ma part, je suis beaucoup plus préoccupé par le caractère de nombreux nationalistes blancs. Beaucoup de ces personnes s’imaginent qu’elles peuvent construire leur identité sur la base de leur physique blanc. Ironiquement, même nos pires détracteurs sont souvent des personnes de notre propre patrimoine génétique. Par exemple, si vous regardez brièvement le profil racial ou ethnique des gens qui font des manifestations de masse – les soi-disant antifascistes – en faveur des immigrés non européens, vous serez surpris de constater que la plupart d’entre eux sont des Blancs urbains. Peu d’immigrés non européens participent à ce genre de manifestations de masse.

Le clergé catholique européen constitue également un cas à part. La plupart des dénominations chrétiennes sont devenues aujourd’hui les plus ardents défenseurs de l’immigration non blanche. Pourquoi l’Eglise a-t-elle choisi cette voie ? La genèse de la pathologie de la culpabilité blanche, ainsi que l’esprit destructif du monothéisme chrétien nécessiteraient de ma part une conférence distincte.

Lorsque la chute finale arrivera, et cela ne peut pas être exclu pour l’Europe et l’Amérique, les lignes de démarcation entre l’ennemi et l’ami ne seront pas claires du tout. Il n’y aura aucun affrontement pittoresque entre Blancs et non-Blancs. Il faut être prêt à faire face à de nombreuses personnes de notre propre fond génétique qui seront de l’autre côté de la barricade.

Dans ma conclusion finale, je tiens à dire que nous devons éviter les personnes qui tiennent leur identité blanche pour un hobby … un passe-temps … une vogue … ou pour un moyen de faire de l’argent. Ces personnes nous rendent ridicules et nous discréditent en nous faisant passer pour une menace publique. Notre premier objectif doit être non seulement la résurrection de notre sentiment racial, mais aussi, comme chez nos ancêtres, de notre sens du tragique. C’est l’unique voie que nous devons prendre afin de continuer notre lutte prométhéenne, et cela quel que soit le nombre d’entre nous qui resteront sur le champ de bataille.

Je vous remercie de votre attention.

Tomislav Sunic

Correspondance Polémia – 20/11/2013

samedi, 23 novembre 2013

Le règne de la totalité et la fin de l'humain

Le règne de la totalité et la fin de l'humain
 
Ex: http://idiocratie2012.blogspot.com
 
 
        Le dernier essai de Jean Vioulac est à la fois ample dans son déroulement parce qu'il nous fait naviguer dans les hautes eaux de toute la philosophie occidentale, et terrifiant dans sa perspective parce qu'il nous indique le point d'arrivée : " L'universel réduction au Même et au Pareil ". D'où son titre : La logique totalitaire. Essai sur la crise de l'Occident. Or, il y a des crises (systémiques et métaphysiques) dont on ne peut pas sortir parce qu'elles arrivent tout simplement au terme d'un processus, et recouvrent l'ensemble de ses étapes de la finalité qu'elles portaient en leurs seins depuis le départ. Pour Jean Vioulac, il s'agit ni plus ni moins de la fin de la philosophie en ce qu'elle est parvenue à l'arraisonnement total du monde : conceptuel, politique, technique, économique, social, etc. Tout est soumis à l'universalité abstraite dont le capitalisme est l'ultime avatar, avant extinction des feux.
 
      Le pronostic, s'il a déjà été avancé par Heidegger dans La fin de la métaphysique, n'en reste pas moins tonitruant. On pourrait juste rétorquer à l'auteur qu'il s'agit ici de la fin de la philosophie occidentale, celle qui a commencé avec Platon, et qu'il reste peut-être des germes de salut dans le monde imaginal de la philosophie orientale. En tout état de cause, le signal d'alarme est lancé et il nous oblige, si l'on veut l'entendre, à faire retour sur l'exposé passionnant de Vioulac.
 
      Tout commence et finit en quelque sorte par Hegel puisqu’il est le premier à avoir envisagé l’Histoire comme le recouvrement de la Raison au travers de la mise en place de l’Etat universel. L’homme n’est plus un sujet, mais le témoin fragmentaire d’un Esprit qui travaille en lui et qui le porte sur les cimes de l’universalité, soit la vérité devenue totalité. Les totalitarismes du XXè siècle auront beau jeu de prendre l’idée en marche et de la pousser jusqu’à ses extrémités sous la forme d’une « politique technicienne d’ingénierie sociale », qu’on l’appelle biocratie ou sociocratie.
 
       Vioulac ne s’arrête pas là et pose sans doute la thèse la plus controversée de l’ouvrage, bien qu’elle ait été très largement esquissée par Tocqueville : la démocratie est également une politique de la totalité ! N’en déplaisent aux tenants du progrès, la démocratie actuelle est très éloignée de l’ancienne idée grecque puisque la toute puissance – incontrôlée – du corps social a définitivement étouffé la délibération citoyenne (et aristocratique). L’auteur parle d’ailleurs d’une pandémocratie comme de l’extension illimitée du principe démocratique à toutes les dimensions de l’existence. S’ensuit, comme le prédisait Tocqueville, une vague d’atomisation, d’uniformisation et de normalisation. Chacun croyant être libre au moment même où il est façonné de l’intérieur par un souverain bienveillant : « Il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige »[1].


 
         Ce système n’était cependant que l’annonce d’une autre universalité bien plus mortifère : celle de l’économie de marché. Une grande partie du livre est effectivement consacrée à la philosophie de Marx. L’auteur commence par rappeler que le penseur allemand n’était pas un matérialiste puisque son système repose entièrement sur le travail comme essence de l’homme. Autrement dit, le travail subjectif de l’individu vivant constitue la source originaire de tout donné, et ne peut se comprendre que dans le cadre d’une communauté (essence-commune). Ainsi, le communisme strictement défini n’est que le retour à cette communauté primordiale ; communauté dans laquelle l’individu se réalise à travers des pratiques concrètes et dans laquelle l’humanité se révèle au regard du travail accompli et partagé. Heidegger ne dira pas autre chose à propos du travail comme comportement fondamental de l’existant. On comprend ici qu’il s’agit d’une lecture que l’on peut ne pas admettre, notamment lorsque l’on se réfère à l’Idée platonicienne ou encore à l’Unicité divine, mais que l’on peut difficilement écarter dans une société basée sur le travail et la production.
 
       Une fois ce rappel fait, Vioulac opère une coupe en règles du capitalisme contemporain. On le devine, la critique est d’autant plus sévère que le capitalisme, en défigurant le travail, aurait rompu avec l’essence de l’homme. Qu’est-ce à dire ? Le travail est devenu une puissance autonome mise au service de la seule mesure qui compte : l’argent. Il en résulte une autonomisation du capital, soit un processus qui n’existe que pour lui-même, un processus dans lequel tout doit être mis en ordre (salariat, concurrence, etc.) à seule fin de faire tourner l’Appareil. En un mot, l’argent est communauté ; il suppose de soumettre le sujet à l’universalité dont il devient l’objet. En termes concrets, cela signifie que la citoyenneté n’a de sens qu’au regard du pouvoir d’achat dont on dispose tandis que le gouvernement s’occupe de la police du marché, la science économique de l’ajustement des travailleurs et l’idéologie du formatage des âmes. 
 
         Dans ce contexte, le libéralisme ne serait-il pas un moyen de sortir de cette machine infernale pour rendre à l’homme la jouissance de son travail ? Vioulac anticipe les critiques et s’attache à démontrer que le libéralisme s’oppose effectivement à l’Etat mais pour mieux se donner au Marché. En se référant aux écrits de Hayek, il montre que les libéraux envisagent la société civile, celle qui vient avant l’Etat, comme une société régie par le système des prix et harmonieusement agencée par la loi (naturelle) de la concurrence. C’est le miracle du marché. Il reste que l’homme, en se débarrassant de l’Etat pour s’en remettre à la société civile, ne quitte finalement pas la sphère de l’objectivation. Les mécanismes du marché l’entretiennent dans une réalité virtuelle dont l’individu n’est qu’un « moment utile ». En un mot, l’homme est libre à la mesure de sa participation au système. En dehors, il n’est rien.  
 
         Ce détour par l’idée libérale permet à Vioulac de revenir à son sujet pour rappeler que le capitalisme est justement le marché comme « puissance souveraine de totalisation ». Nous ne sommes pas très loin de la thèse de Michéa selon laquelle l’idée libérale porte en son sein le poison de l’objet capital. En tous les cas, et cela Marx ne l’avait pas entrevu, le système continue à se déployer et à s’intensifier avec la planification de la consommation, la juridicisation des comportements et la propagande économiciste. Tout est massifié, organisé, apprivoisé : du contrôle des désirs au dressage des corps en passant par les soins de l’âme. A lire Vioulac, le monde nous a échappé et nous en sommes devenus les otages. C’est le « totalitarisme immanent », chacun porte en lui la marque du système pour lequel il travaille ou plus exactement il agit car, dans ce monde, il n’y a plus de réalités concrètes.
 
         Après un tel diagnostic, on attend bien sûr au tournant l’auteur pour qu’il nous propose une voie de sortie. Et sur ce point, il faut bien avouer que l’eschatologie révolutionnaire de Marx ne nous convainc guère. Certes, il est toujours intéressant de revenir aux sources de la pensée marxienne : la conscience se fonde sur le corps vivant, d’où l’importance de l’économie comme vie active et agissante des hommes, soit le corps en action. L’homme est essentiellement un travailleur et toute la réalité, notre réalité, résulte de l’activité pratique. Dès lors, la révolution consiste à refonder la « rationalité objective sur son fait subjectif », c’est-à-dire à sortir de l’universalité abstraite pour reconnaître la singularité concrète d’un travail en acte. Et cette action, il revient aux prolétaires de la mener parce qu’ils sont tout simplement les pauvres du système, les figures souffrantes, les derniers hommes à qui il ne reste plus que la subjectivité pure, celle qui porte justement en elle la puissance de la communauté. Car la révolution consiste, en dernier ressort, à rendre l’universalité (l’essence commune) aux sujets. Elle est l’autre mot pour dire la justice, soit la restauration de chacun dans son être, d’où sa dimension eschatologique.
 
          La dialectique est séduisante, mais on peut difficilement l’appliquer au réel. Son temps est passé. L’auteur semble lui-même en convenir puisqu’il constate la transformation du prolétariat en consommariat et l’accélération de la dynamique systémique, totalisante, avec la mobilité intense du capital, le grand remplacement des travailleurs (délocalisation/émigration), la spectacularisation du monde, l’exploitation des ressources naturelles, etc. Et si l’on doutait encore du caractère pernicieux du système, Vioulac achève son ouvrage, et son lecteur, par un dernier chapitre consacré au « totalitarisme technologique » à travers la pensée de Gunther Anders. La mondialisation est devenue l’« appareillement planétaire » dont le pouvoir est une « totale-technocratie » en charge de faire tourner le système. On retrouve finalement la haute figure qui plane sur toute la démonstration, celle de Heidegger, pour qui la technique était envisagée comme « l’attribution des pleins pouvoirs au système total de l’étant ».
 
       On l’aura compris, la lecture de Vioulac n’encourage pas à l’optimisme. D’autant plus qu’elle repose sur un style d’une redoutable efficacité : la démonstration philosophique, si elle est parfois ardue à suivre, est ponctuée par des formules flamboyantes et reprise sous des angles d’approche multiples. Les nombreuses références à Marx ne doivent pas, non plus, tromper car il ne s’agit pas d’une énième tentative de reformulation du logiciel communiste. Le capitalisme n’est d’ailleurs pas l’ennemi en soi, il n’est que la dernière étape d’un processus qui plonge ses racines dans la philosophie grecque et qui peut se comprendre comme l’avènement final et total de la Rationalité. L’Universalité abstraite qui en résulte est le monde dans lequel nous nous débattons avec comme seul moteur et unique motif : l’Argent. On regrettera seulement que le ton noir et pessimiste de l’auteur ne soit pas contrebalancé par quelques lueurs d’espoir, surtout que le constat posé dès l’introduction : la rupture avec la transcendance en appelait à une réaction logique : le retour, non pas à la réalité du travail, mais à la surréalité de l’esprit. On attend impatiemment que Vioulac se penche sur cette possibilité, quitte à l’inscrire dans la perspective eschatologique de Marx. 




[1] Tocqueville cité par Jean Vioulac, La logique totalitaire. Essai sur la crise de l’Occident, Paris, PUF, coll. « Epiméthée », 2013, p. 197.

vendredi, 22 novembre 2013

Elementos n°58: Critica de la sociedad de consumo

ELEMENTOS Nº 58. CRÍTICA DE LA SOCIEDAD DE CONSUMO: DE SIMMEL A BAUDRILLARD

 
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Sumario


El fin del Pacto con el Diablo,
por Jean Baudrillard

Teorías del consumo simbólico: del consumo estatutario al consumo identitario,
por Roberto Munita

La dictadura del signo o la sociología del consumo del primer Baudrillard,
por Luis Enrique Alonso

Simmel y la cultura del consumo,
por José Miguel Marinas

Consumismo y sociedad: una visión crítica del homo consumens,
por Susana Rodríguez Díaz

El Consumo como Cultura. El Imperio total de la Mercancía,
por José Antonio Zamora

El Imperio del Consumo,
por Eduardo Galeano

El consumo como signo en Baudrillard,
por Carlos Valdés Martín

Thorstein Veblen y la tiranía del consumo,
por Guillaume Faye

Consumismo-Capitalismo, la nueva religión de masas del siglo XXI,
por Pedro A. Honrubia Hurtado

Del mundo del consumo al consumo-mundo. Lipovestky y las paradojas del consumismo,
por José Francisco Durán Vázquez

La fábula del bazar. Orígenes de la cultura del consumo,
por Carlos Soldevilla

jeudi, 21 novembre 2013

Pietro Barcellona: il potere della parola e l'illusoria strategia dei diritti

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Pietro Barcellona: il potere della parola e l’illusoria strategia dei diritti

di Alessandro Lattarulo

Ex: http://www.ariannaeditrice.it

È arduo cercare di sintetizzare il pensiero di Pietro Barcellona, recentemente scomparso, anche semplicemente mossi dalla pretesa di riannodare i fili del ragionamento intessuto negli ultimi anni. Difficile perché nell’epoca degli specialismi, dei tecnicismi, l’opera dell’intellettuale siciliano si è distinta per una sempre più spiccata apertura verso la complessità del presente, al fine di abbracciarlo non più solamente mediante la chiave interpretativa giuridico-politica, aderente alla propria formazione accademica, ma con ripetute esplorazioni nella psicanalisi, nella teologia, nella filosofia. La contaminazione dei saperi, d’altronde, come ineludibile sforzo per chiunque non si accontenti delle decodificazioni gestite dai mass-media, è la frontiera estrema di resistenza al pensiero omologante che inaridisce le fonti della conoscenza e della riflessione dell’uomo sul suo essere in società.

Incanalata entro questa visione delle turbolenze che rendono questo torno di tempo sempre più etichettato come “di crisi”, la parola, sulla quale Barcellona è ritornato anche nella sua ultima monografia, Parolepotere (Castelvecchi, Roma, 2013), è la trincea dalla quale organizzare una resistenza contro l’onnipotenza della Tecnica – metafora ma anche dispositivo narcotizzante dei vincitori –, nella consapevolezza che dietro il lessico vi sia l’arcano del potere. Non solamente nella misura in cui la parola venga forgiata continuamente dai vincitori, per quanto temporanei, che si arrogano il diritto di riscrivere la storia, quanto e soprattutto affinché la pur necessaria riduzione della complessità non si trasformi in un’operazione volta a oggettivare il dato di realtà. Questa operazione, infatti, non soltanto rappresenta la meschina rimozione di tutte quelle forme di sapere che non abbaino raggiunto la lucidità concettuale del discorso dei vincitori, benché contengano depositi di sapienza che potrebbero essere d’ausilio a una rilettura multilaterale delle vicende umane, ma segnala anche una residua possibilità di ancoraggio a un protagonismo del soggetto contro la mistificazione, o forse ossessione, scientista dell’attribuzione al mondo di una modalità di funzionamento fondata su leggi oggettive e non, viceversa, su azioni consapevoli e intenzionali.

In questo cul de sac, le residue possibilità di trasformazione sociale sono affidate alla parola poetica, perché è il poeta che, come il folle nella declinazione erasmiana, destruttura il discorso e rimodula, a uso proprio e della comunità, il linguaggio attraverso cui provare a rappresentare il mondo. Il poeta, come scrive Barcellona, «inaugura sempre un nuovo uso delle parole, o addirittura crea vocaboli che innovano radicalmente l’ordine del discorso» (ibidem, p. 27). La parola poetica, insomma, anticipa i cambiamenti nelle prassi, non semplicemente in maniera oracolare, ma (ri)accompagnando l’uomo lungo il sentiero del dubbio dell’interrogazione esistenziale e di senso. La parola poetica, cioè, al di là del suo incasellamento in un’inclinazione più spiccatamente civile o intimistica, opera proprio per far capire quel quid al quale il discorso convenzionale, dialogico o narrativo, non giunge. In questo sforzo, di carattere prettamente soggettivo come in tutte le arti asemantiche, che, a differenza per esempio della musica, corrono il rischio di avere una “scadenza” per la fruizione più ravvicinata nel tempo, vi è chi ha interpretato uno degli snodi più rilevanti tra il Barcellona ateo e comunista e il Barcellona in dialogo con l’anima e con Dio degli ultimi anni. Con l’usuale, saccente, pretesa, di periodizzare la vita altrui, quasi che la stessa non costituisca comunque un unicum, benché arricchito da nuove ricalibrazioni del pensiero, dalla coltivazione di domande sempre più pressanti. Eppure in Barcellona immutata è rimasta la tensione (e il malessere per la calante aspirazione comune) alla rappresentazione di un universo simbolico soggettivo e collettivo, in grado di restituire “senso” a quest’era post-ideologica con una grande narrazione (cfr. L’oracolo di Delfi e l’isola della capre, Marietti, Genova-Milano, 2009).

Le grandi narrazioni, lungi dal costituire un’anticaglia cestinata dalla “fine della storia” teorizzata da Fukuyama, sono la palestra entro la quale esercitare il conflitto sociale e coltivare gli interrogativi. La palestra, cioè, nella quale ricercare una narrazione comune non già per ingabbiare e omologare ruoli, appiattire status, narcotizzare passioni, ma della quale ridisegnare continuamente il perimetro mediante la forza antagonista della parola, per dare vita a sempre nuove catene significanti. Appunto per non macerare nell’ovvio, nel dominio dell’oggettività, ma per riscoprire la dimensione misterica dell’esistente. In fondo, anche il formidabile strumento della parola non è onnipotente, ma nasce all’interno di uno spazio che i greci ritennero di definire “anima”.

L’indagine sull’anima ha avuto, nell’ultimo quindicennio della produzione barcelloniana – fatta anche di poesia e di pittura –, appunto lo scopo di restituire alla parola la funzione simbolica di relazione emotiva con la “cosa”, liberandola dalla gabbia d’acciaio in cui la stessa, trasformata in strumento di ordinamento del reale, ha finito per chiudere il mondo dell’accadere, deformando il “dire” da creazione/scoperta di figure e forme in un pre-dire non autenticamente creativo ma adattivo alla sfera del fare così come organizzata dalle logiche della produzione e riproduzione seriale tipiche dell’economia capitalistica (cfr. La parola perduta, Dedalo, Bari, 2007).

Il punto è che, dinanzi alla potenza ineffabile della Tecnica postulata da Severino, che sembra delineare un orizzonte in cui il ribaltamento della datità si configura come difficilmente scardinabile anche con gli esperimenti di mobilitazione collettiva pienamente sbocciati nel Novecento, come i partiti, i sindacati, ecc., diventa cardinale immaginare e sperimentare un lessico mentale che viaggi su frequenze differenti da quelle del lessico del mondo. Questa, come già accennato, è una delle residue possibilità di resistenza alla costruzione di paradigmi interpretativi della realtà schiacciati sull’accondiscendenza ossequiosa a una presentificazione assoluta che non soltanto cancella ogni labile legame con la memoria e la sua rielaborazione, ma occupa, con brutale violenza, anche l’orizzonte, per definire il futuro a propria immagine.

Il paradigma del post-umano utilizzato da Barcellona quale cartina di tornasole della tragedia nichilistica dell’Occidente trova proprio nella fine della parola, nella sua riduzione a segno, secondo quanto codificato dalla Scienza e dalla Tecnica, il prosciugamento nefasto della percezione del tempo che ci fonda come Uomini.

Privati della parola o, peggio, contratto il virus del letteralismo, che riduce le parole alla loro lettera, rendendole incapaci di veicolare l’enigma che interroga, che trattiene nello spazio ermeneutico, che coinvolge nella dimensione semantica, diviene quasi inevitabile lo scivolamento nel fondamentalismo. Se infatti la lettera esaurisce il significato della parola, riducendola a segno, la verità rimane interamente dentro la lettera. Non può che essere solamente in essa. Ragion per cui, chi possiede la lettera possiede la verità. La grande presunzione degli uomini è il possesso esclusivo della Verità. Ma la verità, che sta solamente nello spirito e non nella lettera della parola, non può in alcun modo essere posseduta. Tutt’al più è la verità che ci possiede, debellando le nostre resistenze, il salutare e continuo interrogarsi. Il letteralismo è dunque fondamentalista perché pensa che sia stata pronunciata l’ultima parola, mentre persino nella profezia l’ultima parola non è mai detta (cfr. Il suicidio dell’Europa, Dedalo, Bari, 2005). La storia, concepita come unità dell’essere e del non essere delle cose, sta al fondamento della cultura greco-cristiana. Ma è proprio questo fondamento a imporre la distruzione di tutti gli dei immutabili che questa cultura ha costruito e quindi ogni pretesa di ritrovare una bussola di riferimento per la propria anima in un’autenticità costruita attraverso una declinazione del trascendente eccessivamente schiacciata sulla religione. Ovviamente, ciò non impone di condividere che l’uomo greco abbia introdotto una deviazione nel corso naturale degli eventi, a seguito della quale si è prodotta una contrapposizione tra Io e Mondo, fra rappresentazione e realtà, “duplicando” l’esperienza fra “mondo della coscienza” e “mondo dell’esperienza”. Ma non soltanto perché l’accadere sia qualcosa che sfugge alla nostra pretesa di controllo, quanto perché questa tensione, lacerante, pone la vita che si sa, che si interroga sul perché, come un mistero che sfugge alle derive scientiste o alle più tradizionali riduzioni a meccanismi auto-riflessivi. La vita è altro. È oltre. È oltre quella bio-politica «divenuta effettivamente la forma della prevalente rappresentazione del rapporto tra l’io, il potere e la singolarizzazione, [che] funziona sia sul versante del soggettivismo ermeneutico sia su quello dello scientismo neo-naturalista come ragione sufficiente di ogni prospettazione teorica» (Diritto senza società, Dedalo, Bari, 2003, p. 125).

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In Gesù di Nazareth che, dodicenne, discute con i Dottori della Legge denudandone le pretese di verità nascoste dietro il comodo rifugio del letteralismo, vi è insomma una dimensione paradigmatica di riscoperta della temporalità come dimensione necessaria all’umano per destituire di pretesa di validità eterna l’idea che l’origine, di qualsiasi natura, sia anche il compimento, una rivelazione apocalittica che ha già proiettato la proprio potenza nel tempo, fino a decadere. Questa prospettiva è ferale, perché abolendo lo scarto tra un “prima” e un “dopo”, elabora una narrazione post-umana, senza decorso, senza soggetto, in cui, mancando lo spazio tra il tempo del prima e il tempo del poi, tutto è già consumato e non c’è più niente che resta fuori (Il furto dell’anima, con T. Garufi, Dedalo, Bari, 2008). Ma il Dio di Barcellona, che richiama l‘uomo al dovere di interrogarsi sul mistero, è un’interrogazione quotidiana, anche se ha, quasi luteranamente, una componente di predestinazione, di pre-scelta ultra-razionale. Ma si rivela sicuramente una strategia per l’anima al fine di sfuggire all’assordante assedio del Nulla (L’ineludibile questione di Dio, con F. Ventorino, Marietti, Genova-Milano, 2009, p. 94).

In fondo l’avvicinamento al sacro, se non mosso da ragioni esclusivamente strumentali, da una morbosa curiosità di natura para-scientifica, proprio per la distinzione che istituisce con il profano, implica «la costituzione di una soggettività consapevole della distinzione tra necessità e libertà», che si istituisce in uno “spazio esterno”, che rinvia a premesse metafisiche (Elogio del discorso inutile, Dedalo, Bari, 2010, p. 58). Queste non rappresentano la banale e regressiva negazione del metodo scientifico-deduttivo, quanto piuttosto, nella ricerca dell’arché (l’origine) che precede l’esistenza umana, di quelle premesse che attengono alla sfera creativo-decisionale degli esseri umani. E la sfera creativa transita non solamente attraverso l’istituzione (o, spesso, irreggimentazione) in meccanismi sociali attinti da un passato mitizzato, ma dalla mai conclusa ricerca dell’inconscio. L’inconscio, del resto, è un principio sovversivo, non si lascia afferrare, benché, come teorizzato dallo psocanalista lacaniano Massimo Recalcati, particolarmente apprezzato da Barcellona, è la sua estinzione nella civiltà dominata dal discorso del capitalista a provocare un disagio incommensurabile, figurativamente evocato, riprendendo una nota espressione heideggeriana, come tempo in cui “il deserto cresce”. Il nostro tempo, ha infatti scritto Recalcati, è drammaticamente antagonista dell’esperienza del soggetto dell’inconscio freudiano perché questa è esperienza dell’incommensurabile, del desiderio come differenza, mentre ciò che oggi sembra dominare il grande Altro del campo sociale è l’impero del numero, della cifra quantitativa. È, detto altrimenti, il tempo del trionfo iperpositivista dell’oggettività (dalla cui evocazione siamo partiti), che tende a considerare l’inconscio non come parte di noi, ma quale residuo di un arcaismo superstizioso e irrazionale. È un tempo, il nostro, in cui il pensiero “lungo” come elemento di incontro con il caos, con l’imprevisto, ha ceduto alla maniacalizzazione dell’esperienza, ossia della sua agitazione perpetua, della sua intossicazione per eccesso di stimolazioni, che rende impraticabile il concetto di esperienza, dissolvendola nella tendenza compulsiva all’“agire” (M. Recalcati, L’uomo senza inconscio, Raffaello Cortina, Milano, 2010, p. 7).

A un agire serializzato che Barcellona, analizzando la crisi in corso, ha interpretato come soppressione del Super-Io sociale di freudiana memoria e con la sua sostituzione da parte della figura di un “Padre ipnotico”, che produce, come proiezione delle pulsioni, folle passivizzate e gregarie, che si illudono di rivestire un protagonismo sociale inedito semplicemente lasciandosi fascinare dalle degenerazioni giustizialiste che soddisfano il bisogno sadico-persecutorio di uccidere il capro espiatorio, ovviamente riproducendolo ossessivamente e individuandolo in singoli o in tipologie collettive (si pensi agli immigrati) (P. Barcellona, Passaggio d’epoca, Marietti, Genova-Milano, 2011, p. 14).

In una sorta di nuova “guerra a bassa intensità” combattuta da tutti contro tutti, il Barcellona giurista e filosofo del diritto si è cimentato a viso aperto contro la strategia dei diritti quale panacea di ogni male. Si è violentemente scagliato contro l’irenismo di certo neo-giusnaturalismo ma anche di certo neo-costituzionalismo, sia reattivamente alle dinamiche sociali concretamente dispiegatesi negli ultimi decenni, sia per più profonde ragioni teoretiche.

L’impatto della strategia dei diritti, sempre più individuali, sulla cultura diffusa, ha infatti spostato l’attenzione pubblica dai problemi collettivi, che riguardano il potere e le sue radici, la democrazia, alle vicende dei singoli, attribuendo, di pari passo alla calante capacità delle agenzie di socializzazione politica di fungere da mediatrici tra la base e i vertici delle istituzioni, ai giudici il ruolo di custodi delle aspettative di giustizia. Queste, in sostanza, come peraltro mirabilmente ricostruito da Alessandro Pizzorno (Il potere dei giudici, Laterza, Roma-Bari, 1998), hanno finito con il far cortocircuitare il ricorso ai Tribunali come extrema ratio, diventando invece strategia politica in prima battuta. Ma la politica, come noto sin dalla definizione aristotelica di uomo come “animale politico”, assume pienezza di significato nella relazionalità, non nell’individualità di un rapporto costruito, pur in punta di diritto, con il Terzo (il Giudice) senza coinvolgere gli altri cittadini. Beninteso, si tratta di una conquista, anche politica (ma proprio perché è stata collettiva), frutto dell’evoluzione del rapporto tra cittadino e regnanti all’interno di regimi che, in tante parti del pianeta, hanno perso la chiave della perpetuazione dei propri privilegi per via esclusivamente dinastica. E, beninteso, il ricorso a una corte costituisce pur sempre un presidio in difesa del più debole qualora il potere si regga su basi apertamente o nascostamente dispotico-repressive. La questione vera, allora, non risiede nel soffocamento delle istanze di giustizia in nome di abborracciati riferimenti al primato della politica, peraltro largamente revocato in dubbio dalle capacità egemoniche esercitate dalla finanza. Il nodo cruciale, sul quale Barcellona si sofferma, è invece la natura positiva (posita, cioè posta artificialmente, creata, sottinteso: dall’uomo) del diritto non per una questione di posizionamento scolastico tra differenti correnti, quanto al fine di ricordare che tutti i diritti, anche quelli “giustamente” diventati inviolabili, abbiano una natura umana, una radice conflittuale e che quindi, vadano preservati politicamente, oltre che auto-legittimati a posteriori da altro diritto o dalla produzione giurisprudenziale.

In questo senso, per esempio, alla dissennata teoria sistemica di Luhmann, che certifica la morte del soggetto e l’esaltazione dell’individuo, oltre ad assecondare la frammentazione del pensiero e della conoscenza individuando veri e propri compartimenti quasi stagni dell’agire, Barcellona recupera dalla nota teoria dell’agire comunicativo di Habermas la speranza di reagire al processo di desostanzializzazione e di rimettere in campo il tema della trascendenza e dell’ontologia, anche se l’obiettivo del filosofo tedesco fallisce egualmente nella misura in cui, mediante la parola, il linguaggio si accontenti (o forse dovremmo scrivere pretenda) di fondare una teoria consensuale della verità, in questo modo limitandosi a legittimare discorsivamente le norme, dando vita a un esito la cui validità euristica appare debolmente inserita nel quadro di una ricerca cooperativa della verità, ma poco disposta, in quest’ottimismo della volontà che anima l’epigono della “Scuola di Francoforte”, a cimentarsi con la tragedia, il conflitto, la guerra (Il declino dello Stato, Dedalo, 1998, p. 224).

Accettando che il Diritto, come Soggetto ordinante, istituisca la Società, Oggetto ordinato, e renda gli uomini esseri sociali o quanto meno ne favorisca la socialità, resta comunque inevasa la domanda sul “che cosa”, “da che cosa”, si origini il Diritto. La Modernità tutta è cioè attraversata dal dualismo fra diritto e società, fra la pretesa di auto-fondazione del diritto moderno e la sua assenza di fondamento, risolte, non con troppa originalità rispetto ai secoli passati, da Carl Schmitt definendo sovrano, e quindi tutore-facitore del diritto, colui che riseca a imporsi nello stato di eccezione, a emergere dal caos per dare a quest’ultimo forma/ordine hobbesiani, definendo il campo in maniera polemica tra amico e nemico. A questa visione implicitamente gladiatoria del nesso tra diritto e politica la scienza giuridica ha sostituito i concetti giuridici, che testimoniano il passaggio dall’astrazione all’astrattezza, con ciò, tuttavia, giungendo ad approdi di eccessiva decontestualizzazione dei concetti stessi, ovvero slegando tali concetti dal contesto vitale nel quale sono stati istituiti, al fine di renderli astorici, espressivi non di un processo (di per sé mutevole) ma di una sorta di ragione universale cui la storia stessa deve essere riportata. Ma dietro l’angolo vi sono gli eccessi del modello liberale, che identifica la democrazia con una serie di diritti soggettivi (a partire da quello di proprietà) e con le tecniche di selezione dei governanti. Con limiti prettamente imposti dalla natura linguistica-temporale del vincolo sociale, della costituzione storico-sociale degli individui umani. Ma l’alto livello di astrazione cui si è giunti rischia, dinanzi alle crisi, dinanzi allo scoramento per l’emersione delle crepe di una democrazia costituzionale incompiuta, come nel caso dell’Italia, di ribaltarsi nella più poderosa arma contro la formalizzazione di diritti e, quale passo a ciò aderente, verso la revoca degli stessi. Prima di ogni modello normativo, invece, vi sono (dovrebbero esservi) le prassi, le pratiche umane che strutturano i campi del sapere rispetto alle strategie di potere di ciascun gruppo sociale dominato da quell’individualismo senza soggettività che riporta, senza requie, il detentore dei diritti nei ranghi dei ruoli formalizzati secondo logiche del possesso, la cui radice costituisce una illusoria autonomia dell’individuo. Illusoria verso il raggiungimento di una pienezza in quanto uomo, e illusoria, sotto il profilo sociale, perché garantita, nell’ordine economico dominante, solamente dall’eguaglianza dinanzi al diritto, piuttosto che da un’azione per dare all’eguaglianza anche un tratto sostanziale. Possibile, del resto, solamente attivandosi collettivamente.

 


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Elementos n°59 y 60: Juan Donoso Cortés

ELEMENTOS Nº 60. DONOSO CORTÉS: DECISIÓN, REACCIÓN Y CONTRARREVOLUCIÓN (Vol. II)

 




Sumario
 
El ideario político y la evolución ideológica de Donoso Cortés, por Luis Gonzalo Díez
 
Donoso Cortés, profeta y contrarrevolucionario, por Julius Evola
 
La transformación de Donoso Cortés, por Santiago Galindo Herrero
 
La fuerza de la reacción: Donoso Cortés y Maeztu, por Tatjana Gajic
 
La reacción contra la historia. Donoso Cortés y Carl Schmitt, por Pablo Jiménez
 
Balmes y Donoso Cortés ante la política española en el siglo XIX, por Joaquín Macías López
 
Entre restauración y cesarismo: la antiutopía de Donoso Cortés, por Rafael Campos García-Calderón
 
Don Juan Donoso Cortés y el mundo literario de su tiempo, por Manuel Casado Velarde
 
Entrevista a Arnaud Imatz sobre Donoso Cortés
 

ELEMENTOS Nº 59. DONOSO CORTÉS: DECISIÓN, REACCIÓN Y CONTRARREVOLUCIÓN (Vol. I)

 
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Sumario
Juan Donoso Cortés 1809-2009, por Pedro López Arriba
 
Donoso Cortes: hombre de estado, filósofo y teólogo, por Arnaud Imatz
 
La crítica al liberalismo: Carl Schmitt y Donoso Cortés, por Matías Sirczuk
 
Donoso Cortés: ¿pensador español o europeo? Actualidad y vigencia de su pensamiento, por Miguel Ayuso
 
El enviado del cielo: el pensamiento contrarrevolucionario de Donoso Cortés, por Belén Rosa de Gea
 
Providencialismo, decisionismo y pesimismo antropológico. Influencia de Joseph de Maistre en la teología política de Donoso Cortés, por Antonio Fornés Murciano
 
Tres encarnaciones de Donoso Cortés: constitucionalista-decisionista- providencialista, por Jacek Bartyzel
 
Juan Donoso Cortés: un doctrinario liberal, por Vincent J. McNamara
 
El hacha niveladora: Donoso Cortés y Vico, por José Villalobos
 
Donoso Cortés: la cuestión vital de España, por Consuelo Martínez-Sicluna
 
Donoso Cortes en su paralelo con Balmes y Pastor Díaz, por Santiago Galindo Herrero

dimanche, 17 novembre 2013

L'uomo che cavalcava la tigre

L'uomo che cavalcava la tigre. Il viaggio esoterico del barone Julius

di Andrea Scarabelli

Ex: http://www.juliusevola.it

img781.jpgQuello che presentiamo è un autentico viaggio, realizzato attraverso le opere pittoriche evoliane, che ripercorre le tappe fondamentali della vita di quello che è uno dei protagonisti della cultura novecentesca. Un viaggio nel quale Evola non è una semplice comparsa ma autentico medium delle sue opere, trascinando il lettore all'interno del suo mondo, biografico ma soprattutto metabiografico.

Un passo per volta, però. Lo sfondo di queste pagine è il vernissage di un'ipotetica esposizione: “Ea, Jagla, Julius Evola (1898-1974), poeta, pittore, filosofo. Il barone magico. Attraverso questa Mostra, promossa dalla Fondazione Julius Evola, conosceremo l'Evola pittore futurista e dadaista. È questa la prima retrospettiva a lui dedicata nel XXI secolo” (p. 13). Henriet ci invita a questa esposizione immaginaria, all'interno della quale ogni dipinto prende vita, inaugura una dimensione metatemporale e ci conduce attraverso le sillabe alchemiche dell'universo pittorico evoliano. Senza però fermarsi alle tele, a futurismo e dadaismo ma estendendosi all'interezza della “tavolozza dai molti colori dell'Irrazionalismo evoliano” (p. 13), momento altresì fondamentale per accedere alla cultura continentale novecentesca. E chi conosce il pensiero di Evola sa bene che tipo di valenza conferire al termine “irrazionale”...

Ad accompagnare il lettore altri non è che Evola stesso, a volte sostituito dal suo doppio Ea (uno degli pseudonimi con cui questi firmava taluni dei suoi contributi su Ur e Krur, alla fine degli anni Venti). Ogni dipinto “esposto” in quella che può considerarsi una galleria anzitutto interiore ridesta nel filosofo ricordi, universi, dimensioni – realtà. In ognuno dei ventisei capitoli che costituiscono il volumetto – molti dei quali recano, non casualmente, i titoli di opere evoliane, come Five o' clock tea, Nel bosco e Truppe di rincalzo sotto la pioggia – il lettore percorre i labirinti di Evola, ognuno dei quali avente una via d'accesso differente ma tutti diretti verso il cuore della sua Weltanschauung.

In questa dimensione, a metà tra la realtà fisica ed una onirico-allucinatoria, personaggi reali interagiscono con figure fantastiche – questo l'intreccio, abilmente restituito dalle pagine di Henriet. Non è difficile così scorgere un Evola intento a leggere recensioni dei suoi dipinti sulle colonne di riviste intemporali, intrattenere conversazioni con personaggi fantastici, percorrere dimensioni ontologiche ultraterrene. Ma, al contempo, a questi itinerari sono accostati momenti storici ben precisi, con il loro corollario umano - appaiono allora Arturo Reghini, Sibilla Aleramo, Arturo Onofri, Giulio Parise e gli iniziati del Gruppo di Ur.

Ed ecco evocati, come d'incanto, gli anni Venti, delle avanguardie e dei cenacoli esoterici. Ecco le feste organizzate dagli aristocratici, frequentate dal giovane Evola, nella fattispecie una, tenutasi per festeggiare la fine della Prima Guerra Mondiale: “Julius è vestito di nero, ed ha il volto coperto da una maschera aurea, provvista di un lungo naso conico” (p. 16). È l'unico, in Italia, tra i futuristi, ad apprezzare l'arte astratta. Il futurismo non è che una maschera, gli rivela la duchessa de Andri, organizzatrice della festa, liberatevene. E, tra le boutade di Marinetti e gli abiti disegnati da Depero, “egli andò oltre” (p. 22).

Non è che l'inizio: la realtà onirica diviene visione “vera” e simboli percorrono le trame dei vari capitoli, rendendoli interdipendenti tra loro: l'ape austriaca che, muovendosi a scatti con un ritmo metallico, si posa sulla tela appena conclusa di Truppe di rincalzo sotto la pioggia è la stessa che accompagna il giovane poeta Arturo Onofri tra i colpi delle granate della Grande Guerra, nella quale “la voce di Evola è a favore degli Imperi Centrali: l'Austria e la Germania” (p. 26).

Attraversati gli scandalismi e i manifesti futuristi, percorso il nichilismo dadaistico, il cammino del cinabro evoliano procede: “In un dorato pomeriggio autunnale, in Roma, nel 1921, alle ore 17, infine Evola capì. Aveva da poco smesso di dipingere. Quell'esperienza artistica era giunta alla fine, nel senso che le sue potenzialità creative si erano esaurite: tutto quel che poteva fare attraverso i quadri per procedere nella sua ricerca interiore, ebbene, lo aveva fatto” (p. 28). Alle 17.15, Evola si libera del suo doppio dadaista per procedere oltre, dopo l'abisso delle avanguardie per poi risalire, senza incappare nell'impasse dell'inconscio freudiano surrealista e della scrittura automatica. Via, verso Ur e Krur, La Torre e la sua rivolta contro la tirannia della modernità.

Come già detto, il percorso tracciato da Henriet non si arresta all'esaurimento della fase artistica, ma procede, percorrendo tutte le sue fasi fondamentali. Un altro frammento di realtà, trasfigurato e sublimato nelle serpentine dell'ermetismo pittorico del futuro filosofo: il XXI aprile 1927, dies natalis Romae, coglie il Nostro affacciato alla finestra di una torre – non d'avorio ma “di nera ossidiana” – mentre assiste da lontano ad una parata. “Tutta l'Urbe è in festa, ma Ea preferisce restarsene da solo, nel proprio salone. Per lui, in fondo, il fascismo è troppo plebeo” (p. 41). Ed ecco comparire, a cavallo di farfalle che sorvolano la Città Eterna, gli altri membri del Gruppo di Ur, quasi a formare una delle loro catene nei cieli liberi sopra la città, sopra il mondo intero, al di sopra della storia. Henriet rievoca qui le vicende legate alla celebre Grande Orma (episodio con retroscena ancora da scoprire, come testimonia il recente ottimo libro di Fabrizio Giorgio, Roma Renovata Resurgat, Settimo Sigillo, Roma 2012): “Nel 1923 hanno donato al capo del Governo un fascio formato da un'ascia di bronzo che proviene da una misteriosa e antica tomba etrusca, e dodici verghe di betulla, legate con strisce di cuoio rosso” (p. 42). La Tradizione porge la mano alla Storia, aspettando una risposta. Sono anni cruciali, questi, nei quali in poche ore possono decidersi non solo i destini di un decennio ma le sorti di un'intera civiltà. Riuscirà il fascismo a farsi depositario del proprio destino romano? Sono in molti a chiederselo. Attonito, Evola assiste al Concordato, al vanificarsi di un sogno, “ancora una volta è solo”, “uno spirito libero e aristocratico, fuori tempo e fuori luogo” (p. 42): in una parola, inattuale, in senso nietzschiano. Così, mentre le piazze gorgogliano dei singhiozzi gioiosi di quegli stessi che all'indomani del fallimento del fascismo prepareranno le forche e accenderanno i roghi, Evola se ne rimane in disparte. Alla fine della scena, una camicia nera emerge dal buio della notte, gli si avvicina, pronunciando, con una voce d'acciaio, queste parole: Il Natale romano è finito, barone. Da ora in poi, il destino degli eventi a venire è già scritto.

Ed ecco la Seconda Guerra Mondiale, la guerra civile europea, l'inizio di un nuovo ciclo, sul quale già pesa il presagio dell'ipoteca. Il viaggio nella prima mostra evoliana del XXI secolo continua, tra anticipazioni e retrospettive. Nella camera magica, Evola vede quello che sarà il suo destino: “In piedi, tra le rovine fumanti d'Europa, al termine della Seconda Guerra Mondiale, si aggira per Vienna. 1945. Una visione di morte. La tigre diventa metallo: la carne si solidifica” (p. 47). Sbalzato contro un muro dallo spostamento d'aria causato da una bomba, trascorrerà il resto della sua esistenza affetto da una semiparalisi degli arti inferiori.

Il Barone è costretto su una carrozzella, novella tigre d'acciaio. Il secondo dopoguerra. Con una certa ironia (che non sarebbe dispiaciuta al Barone ma che forse non piacerà a certi “evolomani”, come scrive Gianfranco de Turris nella sua Introduzione) l'autore immagina che proprio a cavallo di questa nuova tigre il Nostro continui la sua battaglia. Inizia a dipingere copie dei suoi dipinti degli anni Venti, dispersi (ossia venduti) durante la celebre retrospettiva del 1963. Eppure, anche in questa nuova situazione, si profilano nuovi attacchi, nuove situazioni da superare, come i Rivoluzionari del Sesso (evidente richiamo alle dottrine di Wilhelm Reich). Ed ecco gli Anti-Veglianti, Signori dell'Occhio, che tentano di impiantare un Occhio televisivo al posto di quelli biologici, teso ad uniformare Evola al mondo moderno, alla tirannia dell'homo oeconomicus e dei Mezzi di Comunicazione di Massa, che al terzo occhio ne sostituiscono uno artefatto e anestetizzante, che riduce l'uomo a Uomo Banale e Mediocre. Ma Evola riesce a fuggire.

Ennesima anticipazione: questa volta in alta montagna, molti passi sul mare, ancora di più sull'uomo, come aveva scritto Nietzsche. Eccolo assistere in anteprima alla deposizione delle sue ceneri sul ghiacciaio del Lys. Allucinato da uno dei suoi quadri, Evola ha una visione di quel che sarà: “Il vento spira freddo, la luce del sole è netta, brillante. Il silenzio domina tutto. I ghiacci eterni scintillano. V'è una gran quiete, tesa, nervosamente carica di energia in potenza” (p. 36). Per disposizione testamentaria, il suo corpo viene cremato, le ceneri disperse sulle Alpi. Così vive la propria morte Ea, Jagla, il Barone – nel libro non la conoscerà mai più, fisicamente. Si addormenterà, sognando un'intervista realizzata per la televisione svizzera nei primi anni Ottanta. Il “diamante pazzo” che scaglia bagliori qua e là, illuminando ora l'uno ora l'altro frammento del firmamento occidentale, è seduto “sulla sua tigre a dondolo, in legno aromatico e dai colori smaltati in vernice brillante” (p. 67). Certo, pensa Evola beffardamente, parlare di certe cose nel mondo moderno, servendosi dei media (chissà che avrebbe pensato oggi, nell'epoca della Rete...), non è certo ottimale. Comincia a dubitare della sua decisione di concedere l'intervista. Questa posizione a cavallo della tigre comincia ad apparirgli un po' scomoda. Risponde alle domande, ribadendo le proprie posizioni di fronte al neospiritualismo, alle censure di certe cricche intellettuali e via dicendo. Ma la realtà del suo sogno inizia a sfaldarsi. Il suo pellegrinaggio nel kali-yuga lo ha prosciugato: “Evola non immaginava che sarebbe stato così difficile. Il sogno della realtà è diventato un caos indistinto di colori acidi” (p. 71). Abbandonandosi al disfacimento dell'architettura onirica nella quale si vive morente, si spegne, “gli occhi accecati da una radianza aurea intensissima” (Ibid.). Il confine tra sogno e realtà è disciolto per sempre: Evola, che aveva visto la propria fine vivente in uno dei suoi quadri, ora vive la propria morte in un sogno.

Scritto con un registro stilistico iperbolico ed evocativo, il libro di Henriet, come messo a fuoco da de Turris nella già citata introduzione, non è però solo una rassegna di queste esperienze, quanto piuttosto una ricognizione sul senso dell'interezza del sentiero del cinabro, portato a stadio mercuriale durante il corso della vita del Nostro. Come è noto, a partire peraltro dalla sua biografia spirituale, il Cammino del cinabro, Evola diede pochissimo spazio a dettagli di ordine personale, preferendo ad essi un'impersonalità attiva fatta di testimonianze ed opere. In uno degli ultimi capitoli, Henriet scrive: “Della vita privata di Ea si sapeva poco, era come se non gli fosse accaduto nulla di personale. Egli era semplicemente il mezzo, uno dei possibili, attraverso i quali l'Io originario – la Genitrice dell'Universo, una delle Madri di Goethe – operava su quel piano della realtà, governato dalle regole del tempo e dello spazio” (p. 62). In questo può risolversi l'esercizio della prassi tradizionale, per come interpretata dal filosofo romano. Una azione nella quale l'essere un mezzo di istanze sovraindididuali non annichilisce l'Io, come vorrebbero invece talune spiritualità fideistiche sempre avversate da Evola, ma lo potenzia, finanche a realizzarlo in tutti i suoi molteplici stati. Un monito, questo, quanto mai attuale, tanto per accedere all'universo evoliano quanto per attraversare illesi il mondo moderno, sopravvivendo alle sue chimere e fascinazioni.

Alberto Henriet, L'uomo che cavalcava la tigre. Il viaggio esoterico del barone Julius. Presentazione di Gianfranco de Turris, Gruppo Editoriale Tabula Fati, Chieti 2012, pp. 80, Euro 8,00.

 



titolo: L'uomo che cavalcava la tigre. Il viaggio esoterico del barone Julius

autore/curatore: Andrea Scarabelli
fonte: Fondazione Julius Evola
tratto da: http://www.fondazionejuliusevola.it/Documenti/recensioneScarabelli_Sito.doc
lingua: italiano
data di pubblicazione su juliusevola.it: 10/06/2013