Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

vendredi, 04 septembre 2009

L'Australie entre géographie et histoire

immigration-australie.jpg

 

 

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES  - 1998

L'Australie entre géographie et histoire

 

Journal de référence de l'establishment londonien, le Financial Times évoquait récemment "la débâcle de l'homme blanc". Ce type d'analyse et de problématique n'est pas rare dans le monde anglo-saxon, où l'on prend plus volontiers en compte les différences raciales, ethniques et culturelles. Déjà en 1994, aux Etats-Unis, la conquête du Congrès par le "Grand Old Party" et la volonté affichée des Républicains, emmenés par Newt Gingrich, de conduire une "révolution conservatrice" avait été interprétée comme la revanche du "mâle blanc", malmené par le féminisme ambiant, la politique d'affirmative action et le Big Government. Autre pays anglo-saxon au cœur de cette problématique, l'Australie. Tiraillé entre géographie et histoire, ce pays-continent est au cœur de la crise d'identité qui frappe l'ensemble du monde dit occidental.

 

Un Occident des Antipodes

 

Entraperçue par les Portugais et explorée par les Hollandais au XVII°siècle, conquise par les Anglais au XVIième, l'Australie est un Occident des Antipodes. Par sa géographie humaine tout d'abord: ce pays-continent est peuplé d'Anglo-Saxons, leur installation commençant en 1788 avec la fondation de la première colonie. Très vite, le mouvement s'accélère et dès 1820, le nombre des hommes libres l'emportent sur les bagnards. Par la nature de ses institutions politiques ensuite: fédéralisme à l'américaine et parlementarisme à l'anglaise. En 1850, l' Australian Colonies Act met en place des gouvernements responsables dans quatre des six colonies existantes et bientôt les conseils législatifs élus entament les pouvoirs des gouverneurs dépêchés depuis Londres. En 1885, un Conseil fédéral est institué et les Etats-Unis d'Australie voient le jour en 1901, tout en conservant le monarque britannique comme chef d'Etat. Élisabeth II exerce toujours cette fonction. Enfin, l'Australie est occidentale de par ses engagements géostratégiques: Canberra et ses alliés anglo-américains partagent les mêmes appréhensions -l'expansion navale et coloniale allemande début XIXième, l'impérialisme japonais des années trente, la poussée soviétique et communiste ensuite-, et donc les mêmes inimitiés. La fraternité d'armes des deux guerres mondiales trouve son prolongement dans la participation active de l'Australie au dispositif géopolitique mis en place par les Etats-Unis pour endiguer l'URSS. Membre fondateur de l'ANZUS (traité signé en 1951 entre l'Australie, la Nouvelle-Zélande et les Etats-Unis) et de l'OTASE (alliance militaire couvrant, sous l'égide des Etats-Unis, l'Asie du Sud-Est/1954), elle envoie des troupes combattre au Vietnam. L'Australie assume alors son héritage historique.

 

D'autres forces sont pourtant à l'œuvre et la géographie exerce des effets contraires à l'histoire. Ils jouent à plein à partir de 1969, lorsque Richard Nixon, président des Etats-Unis, prononce le discours de Guam et sonne la retraite. Le désengagement honteux d'Indochine et la crise du leadership américain qui suit amènent les politiques et militaires australiens à privilégier la défense immédiate du continent, au détriment des engagements à distance et des obligations internationales précédemment contractées (thématique de la Fortress Australia). Ce recentrage géostratégique s'accompagne d'un recentrage géopolitique sur l'Océanie et l'Asie-Pacifique, légitimé par l'adhésion de la Grande-Bretagne à la CEE (1973). Faisant mentir Sir Winston Churchill, l'ancienne métropole semble-t-elle préférer le continent au "grand large"? Le gouvernement travailliste de Canberra privilégie dès lors la géographie océanienne de l'Australie. Les droits fonciers et culturels des Aborigènes sont reconnus (cf. encadré) et Canberra se pose en protecteur des micro-Etats mélanésiens, ses voisins du Pacifique-Sud. Très active au sein du Forum du même nom, l'Australie entreprend de combattre la présence et l'influence françaises dans cette partie du monde; son hostilité particulièrement marquée aux essais nucléaires de Mururoa, en 1995, découle de cette posture.

 

Simultanément, Canberra se tourne vers l'Asie. Les travaillistes mettent fin en 1973 à la politique dite de la White Australia instituée au début du siècle et ouvrent le pays aux flux migratoires asiatiques. Les nouveaux venus prospèrent à l'abri du multiculturalisme prôné par l'establishment et pourraient représenter d'ici 2010 plus de 15% de la population d'Australie contre environ 5% aujourd'hui. L'asiatisme de Canberra est aussi économique: les flux commerciaux et financiers d'Asie-Pacifique enserrent ce géant territorial et les "décideurs" australiens méditent les modèles de développement des Nouveaux Pays Industriels de la région (stratégies d'IPE/industrialisation par promotion des exportations). La diplomatie accompagne le mouvement: Canberra promeut l'idée d'une "OCDE du Pacifique" et joue un rôle moteur dans la création en 1989 du Forum de coopération économique Asie-Pacifique (APEC). Des casques bleus australiens sont aussi dépêchés au Cambodge dans le cadre d'une mission de l'ONU, dite de restauration de la paix (l'APRONUC/1992).

 

Adepte de la political correctness, l'Australie légale se veut exemplaire -elle est le "bon citoyen" du monde asiatique- et refoule son histoire occidentale. Dans ce dessein, une partie de l'establishment va jusqu'à se prononcer contre la monarchie, le passage à la république devant marquer la rupture du cordon ombilical qui relie cet Occident des Antipodes à l'œkoumène européen.

 

Le "syndrome Hanson"

 

Il n'est pourtant pas dit que la géographie, et la mauvaise conscience de l'"Australie légale", l'emportent sur l'histoire. Après de longues années de travaillisme, les électeurs ont en mars 1996 ramené au pouvoir une coalition libérale-conservatrice dont le chef, John Howard, est un monarchiste convaincu, bien décidé à enterrer le républicanisme. Ce fait symptomatique s'accompagne d'un réveil des forces identitaires, le "syndrome Hanson". Député indépendant du Queensland, Pauline Hanson a prononcé au Parlement fédéral un discours remarqué: "Nous risquons, clame-t-elle, d'être engloutis par les Asiatiques", pour ensuite dénoncer "le gouvernement (...) scandaleusement généreux à l'égard des Aborigènes". Plus loin, elle poursuit: "Une société multiculturelle ne peut être forte et vigoureuse" (1). Ces propos vigoureux ont immédiatement reçu le soutien d'une large partie de la population australienne et initié une vague de populisme qui pourrait bien prendre des allures de déferlante. Pour faire amende honorable, l'heure est à la repentance, le parlement de Canberra a adopté à la quasi unanimité une motion sur la "tolérance raciale", mais rien n'y fait. P. Hanson a depuis lancé un nouveau parti nationaliste, One Nation, dont la montée en puissance pourrait bien perturber le jeu politique.

 

Le maintien de bonnes relations diplomatiques entre l'Australie et son environnement géopolitique se révèle par ailleurs malaisé. Les milieux militaires australiens persistent à s'inquiéter du pesant voisinage de l'Indonésie (200 millions d'habitants) et, au grand dam de Djakarta, divers scénarios du type "camp des saints" inspirent planification stratégique et manœuvres tactiques (2). Les Etats asiatiques demeurent pour leur part rétifs à l'asiatisme proclamé de Canberra. Ils ont refusé la participation de l'Australie au sommet Europe-Asie de Bangkok (1995) et nombre d'entre eux ont voté contre l'attribution d'un des sièges tournants du Conseil de sécurité de l'ONU à Canberra (1996). Tout récemment, la révélation par les media du contenu d'un rapport du ministère australien des finances a suscité l'ire des Etats du Pacifique-Sud. Le ministre papou des affaires étrangères y est en effet qualifié de "lèche-bottes", le premier ministre des îles Cook de "fanfaron vaniteux" et les 93 pages de ce document sont de la même veine. Les Etats invectivés crient au racisme et dénoncent les fantômes de la White Australia policy.

 

 

L'Australie a donc déployé moult efforts, dont l'abandon du God save the Queen donne quelque idée, pour répudier son passé. Le dessous finit pourtant par prendre le dessus et la quête d'une nouvelle centralité asiatique et océanienne semble bel et bien menacée, d'autant plus que les secousses consécutives à la crise financière asiatique mettent à mal le discours officiel sur "la tyrannie de la distance" (par rapport à l'Europe) et "l'avantage de la proximité" (par rapport à l'Asie). A l'évidence, on ne gouverne pas un pays contre son histoire et sa culture; cette leçon politique vaut aussi pour l'hémisphère boréal.

 

Louis SOREL.

 

(1) Citations extraites du discours du 10 septembre 1997.

(2) Voir Hervé Coutau-Bégarie, Géostratégie du Pacifique, IFRI-Economica, 1987. Pareillement confrontées à la montée en puissance de la Chine populaire, dont les ambitions maritimes s'exercent bien au-delà de ce que prévoit le droit de la mer, les armées australiennes ont procédé à des échanges de vues. L'ère Suharto a depuis pris fin et nul doute que l'Australie suive avec beaucoup d'attention les développements d'une situation très instable.

 

DOSSIER "AUSTRALIE" (I) : Les Aborigènes

 

Le terme d'Aborigène désigne les populations mélanésiennes d'Australie, arrivées voici 50 000 ans et peut-être même avant, selon de récentes découvertes archéologiques (des peintures rupestres datées d'il y a 75.000 ans). Organisés en sociétés de chasseurs-cueilleurs, les Aborigènes ont été victimes, avec l'arrivée des Anglo-Saxons, du choc microbien et de divers massacres. Une vigoureuse politique d'assimilation a suivi, avec retrait forcé de 40.000 à 100.000 enfants aborigènes à leurs parents à partir de 1880 et jusqu'à la fin des années 1960. Les Aborigènes sont aujourd'hui 100.000 (50% de métis), soit quatre fois moins qu'il y a deux siècles. Le plus grand nombre vit dans des réserves du désert central, du Territoire du Nord et dans la partie septentrionale de l'Australie-Occidentale, sur environ 12% de la superficie de l'Australie.

 

Les droits fonciers et culturels des Aborigènes sont aujourd'hui promus par le pouvoir fédéral. Citoyens à part entière depuis 1967, suite à un référendum, ils se sont vus restitués de vastes territoires à partir de 1976. Les Aborigènes bénéficient d'une importante aide sociale et de redevances versées par les compagnies minières opérant sur leurs territoires. La Haute Cour a rejeté en 1992 le principe de terra nullius  -principe selon lequel l'Australie était vide avant la colonisation-  ce qui légitime de nouvelles revendications sur de larges portions de l'Australie. Ce mouvement de restitution a été prolongé par le Native Title Act de 1993 et un jugement de 1996 a pour la première fois accordé un native title sur des baux pastoraux, d'où l'inquiétude des compagnies minières et des fermiers. Ce climat est aggravé par l'ambiance d'auto-flagellation collective qui sévit à Canberra. En mai 1997, un rapport présenté au Parlement fédéral a dénoncé le génocide commis par les Australiens à l'encontre des Aborigènes, génocide comparé par le Conseil national des églises à l' "holocauste". Le Premier ministre a exprimé ses "regrets" et il n'est depuis question que d'excuses et de compensations. Par réaction, une frange de la population se rallie aux arguments de Pauline Hanson et de One Nation. (LS).

 

DOSSIER "AUSTRALIE" (II) : La porte occidentale de l'Asie

 

Placée au quinzième rang mondial, et au quatrième dans le Pacifique oriental (après le Japon, la Chine populaire et la Corée du Sud), l'économie australienne est moins "asiatique" qu'il n'y paraît. Certes, le Japon est depuis 1963 son premier partenaire commercial, les deux tiers des exportations sont à destination de l'Asie et la forte croissance économique de la région a permis à l'Australie de diversifier son économie: exportation de produits agro-alimentaires et manufacturiers en sus des matières premières, produits énergétiques et biens alimentaires bruts. En contrepoint, les exportations à destination de l'Union européenne et des Etats-Unis ne représentent plus que 11% du total. La globalisation a indubitablement modifié les paramètres de l'économie australienne.

 

Il faut pourtant savoir que la part de Canberra sur les marchés asiatiques a régressé -4% des importations en 1988; 2,5% en 1996- tandis que l'Union européenne et les Etats-Unis assurent 43% des importations du pays. Les investissements de ces deux entités sont également très importants pour l'économie australienne. Les facteurs explicatifs sont multiples: l'héritage historique; la reprise de la croissance depuis 1991, l'attraction des privatisations (transports, télécommunications, énergie, eau); la proximité des "pays émergents" d'Asie orientale; la volonté gouvernementale d'encourager des alliances entre firmes nationales d'une part, firmes européennes et nord-américaines d'autre part pour partir à la conquête des immensités asiatiques (le ministère de l'industrie a sélectionné et approché systématiquement 650 entreprises étrangères). Avec plus de 200 sièges de firmes multinationales, Sydney et Melbourne sont devenues des métropoles régionales et font figure de têtes de pont des Européens et des Nord-américains vers l'Extrême-Orient. Economiquement parlant, l'Australie n'est pas un "tigre" mais la porte occidentale de l'Asie.

 

Il est à noter que les formes hystériques prises par l'opposition australienne aux essais nucléaires de Mururoa et le Don't buy French n'ont pas produit d'effets économiques décisifs sur les positions françaises, bien au contraire. Si les produits symboliques ont effectivement souffert -champagne, vins et cognacs, restaurants français et parfums-, 1996 s'est révélée être la meilleure année commerciale entre la France et l'Australie. Les exportations se sont accrues de 8% et les investissements de 30%! Les sociétés françaises sont au nombre de 200, emploient plus de 40.000 personnes et représentent entre 25 et 30 milliards de chiffre d'affaires. Sont présents sur place Péchiney, la Cogema, Rhône-Poulenc, les Chargeurs Textiles dans l'industrie; Indosuez, le Crédit Lyonnais, la Société Générale et Axa (qui a racheté National Life, la deuxième compagnie australienne d'assurance-vie) dans la finance; Bouygues (le métro de Sydney) dans les BTP et Alcatel dans les télécommunications; Accor et le Club Méditerranée dans le tourisme. La présence française s'est fortement accrue, les investissements ont été multipliés par plus de 2 entre 1990 et 1996, mais le rang est encore modeste comparé aux autres pays développés à économie de marché: la France est en Australie le onzième exportateur et le treizième investisseur. Loin derrière le Japon, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l'Allemagne (LS).

 

DOSSIER "AUSTRALIE" (III) : L'Australie et le réseau "Echelon"

 

La fraternité d'armes entre Anglo-Saxons se traduit aussi par la participation de l'Australie au pacte dit UKUSA (United Kingdom + United States of America) mis sur pied par les Etats-Unis en 1948. Cette alliance des services d'espionnage anglo-saxons (Australie, Canada, Etats-Unis, Grande-Bretagne et Nouvelle-Zélande) a mis en place un système de surveillance du monde entier, le réseau Echelon. Au centre de ce maillage planétaire -chargé tout d'abord d'intercepter les communications politiques et militaires du bloc soviétique, dans le cadre du containment de Harry Truman- le QG de la National Security Agency de Fort Meade (Maryland), aux Etats-Unis. C'est là que sont décryptés, analysés et exploités les messages numériques et analogiques interceptés par les "grandes oreilles" des pays connectés au réseau. La station australienne de recueil des données satellitaires se trouve à Geraldton et la CIA gère sur place les bases de Pine Grap et Shoal Bay, tournées vers l'interception des communications transitant par les satellites indonésiens.

 

Cet "aspirateur à communications" (Frédéric Pons) a été modernisé pendant les années 70: interconnexion des ordinateurs du réseau UKUSA; adoption de nouveaux procédés de décryptage, sélection, analyse et exploitation des données; recentrage sur l'espionnage du monde civil. Ce système a aujourd'hui la capacité d'intercepter les conversations téléphoniques, les télex et télécopies, le courrier électronique. Dans le cadre de la guerre économique tous azimuts à laquelle se livrent les grands pays développés, le réseau Echelon constitue pour les Etats-Unis une arme de choix. Son existence dévoile la réalité géopolitique de l'"Occident" moderne: un club fermé et solidement constitué de nations anglo-saxonnes.

 

Député au Parlement européen, où il préside la Commission d'évaluation des choix technologiques et scientifiques, Alain Pompidou est l'auteur d'un rapport sur le pacte UKUSA et le réseau Echelon, rapport intitulé Evaluation des technologies de contrôle politique. Le n°3207 de Valeurs Actuelles, daté du 16 mai 1998, en a largement rendu compte (dossier dirigé par Frédéric Pons) (LS).

 

DOSSIER "AUSTRALIE" (IV) : L'Australie : carte d'identité

 

GÉOGRAPHIE-DÉMOGRAPHIE

. superficie: 7 682 000 km2 (14 fois la France)

. population: 18 000 000 d'hab.

. densité humaine: 2,3 hab. / km2

. espérance de vie: 77 ans

. indice synthétique de fécondité: 1,9

ÉCONOMIE

. PNB / hab.: 18 530 $

. indicateur de développement humain : 0,93 1/14° rang mondial. L'IDH combine les niveaux de santé, d'instruction et de revenu.

. monnaie: le dollar australien (1$ australien = 1,38 FB = 0,23 FF)

POLITIQUE

. régime politique: fédération de six Etats autonomes. Démocratie parlementaire. La constitution date de 1901.

. chef de l'Etat: Elisabeth II d'Angleterre; elle est représentée par un gouverneur.

. premier ministre: John Howard

. majorité parlementaire: coalition libérale-conservatrice (parti national et parti libéral)

 

DOSSIER "AUSTRALIE" (V) : L'Australie : repères historiques

 

. 1601: les Portugais entraperçoivent l'Australie.

. 1606: les Néerlandais abordent la Nouvelle-Hollande.

. 1770: le navigateur anglais James Cook prend possession, au nom de la couronne, de la côte Est. L'insularité de l'Australie est établie.

. 1788: fondation de la première colonie anglaise, la Nouvelle Galles du Sud.

. 1813: début de l'exploration intérieure. La première traversée Sud-Nord est réalisée en 1862. Le Nord-Ouest est exploré en 1879.

. 1823-1836: fondation des colonies du Queensland, de l'Australie Occidentale, de Victoria et de l'Australie-Sud.

. 1850: grand "rush de l'or"; de 1851 à 1852, la population passe de 50.000 à 250.000 âmes.

. 1850: adoption de l' Australian Colonies Act; mise en place de gouvernement responsables devant les conseils législatifs (parlementarisme).

. 1885: institution du Conseil fédéral pour coordonner l'action des colonies.

. 1901: naissance des Etats-Unis d'Australie ou Commonwealth d'Australie.

. 1914: entrée dans la première guerre mondiale aux côtés du Royaume-Uni.

. 1927: Canberra devient capitale fédérale.

. 1939: entrée dans la deuxième guerre mondiale aux côtés du Royaume-Uni.

. 1951: adhésion à l'ANZUS (Australia, New-Zealand, United States).

. 1954: adhésion à l'OTASE (Organisation du Traité de l'Asie du Sud-Est)

. 1969: doctrine Nixon (discours de Guam). Les Etats-Unis préparent leur désengagement du Vietnam. Amorce de repli de Canberra sur la Fortress Australia.

. 1971-1972: l'Australie participe en tant que membre fondateur à la création du Forum du Pacifique-Sud.

. 1973-1975: fin de la White Australia policy. Institution du multiculturalisme.

. 1984: abandon du God save the Queen.

. 1989: fondation de l'APEC (Forum de Coopération économique Asie-Pacifique).

. 1995: violente campagne australienne contre les essais nucléaires français de Mururoa.

. 1997: le prix Nobel de médecine Peter Doherby rallie avec fracas le camp républicain.

. 1998: réunion en février de la convention constitutionnelle australienne. Par 89 voix contre 52 et 11 abstentions, elle s'est déclarée en faveur de la république mais ce vote ne revêt qu'un caractère consultatif. Un référendum serait organisé fin 1999, avant les Olympiades de Sydney.

Bibliographie indicative:

 

- ALBAGLI Claude (Dr), Conjoncture 1998, Bréal, 1997.

- ANTHEAUNE Benoît, BONNEMAISON Joël, BRUNEAU Michel, TAILLARD Christian, Asie du Sud-Est, Océanie/Géographie universelle (sous la direction scientifique de Roger BRUNET), tome VII, 1995.

-           LACOSTE Yves (Dr), Dictionnaire de géopolitique, Flammarion, 1993.

 

00:17 Publié dans Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : australie, géopolitique, océanie, pacifique, histoire | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mercredi, 02 septembre 2009

Partout l'état d'urgence! Les nouveaux visages de la guerre au 21ème siècle

bundeswehr_afgh_781988g.jpg

 

 

Michael WIESBERG:

Partout l’état d’urgence: les nouveaux visages de la guerre au 21ème siècle

 

Il n’y a pas de guerre ! Voilà le message que le ministre allemand de la défense Franz Josef Jung (CDU) veut faire passer ces jours-ci, lorsqu’on évoque l’engagement de l’armée allemande en Afghanistan. Depuis la mort de trois soldats de la Bundeswehr dans un combat à l’arme à feu et depuis la participation de la Bundeswehr à une offensive militaire qui vient de s’achever, où l’on a utilisé des blindés et des armes lourdes, Jung est désormais bien le seul à défendre son point de vue. Partout où des soldats sont amenés à ouvrir le feu ou à essuyer des tirs, il y a la guerre, du moins pour ceux qui conservent le sens commun. Et même si de tels combats sont baptisés “mission de paix” dans le nouveau langage euphémisant de la communication. Jung ne parle pas de guerre pour des raisons qui touchent au droit des gens: en effet, s’il s’agissait d’une “guerre”, on devrait accorder aux talibans le “statut de combattant”. Leurs activités deviendraient ipso facto des actes belliqueux légitimes.

 

Wolfgang Schneiderhan, le plus haut gradé des forces armées allemandes, parle, lui, un langage plus clair: il nous explique que nous trouvons impliqués dans un “conflit asymétrique” et qu’il entend dès lors parier pour un “effet de dissuasion”. Cependant Schneiderhan doit tout de même savoir qu’un “conflit asymétrique” possède toutes les caractéristiques d’une guerre, mais s’il s’agit d’une forme de guerre qui a peu de chose à voir avec ce que l’on entendait par “guerre” en Europe jusqu’à la fin du conflit Est/Ouest.

 

Notamment par l’impact des travaux du politologue berlinois Herfried Münkler, on commence de plus en plus souvent à définir ces guerres comme de “nouvelles guerres”; et Münkler entend par “nouvelles guerres” celles qui ont pour objet la maîtrise des ressources, celles qui cherchent à imposer une pacification ainsi que les guerres de destruction à motivation terroriste. Les deux premiers types de guerre ont pour exemples la guerre contre l’Irak de 2003 et la guerre du Kosovo de 1999. On pourrait aussi les nommer “guerres pour le Nouvel Ordre Mondial”: elles serviraient alors à consolider les “grands espaces” émergeants. Vu le coût exorbitant de ces guerres, elles ne pourraient plus être menées que par les Etats-Unis seuls ou uniquement dans des cas exceptionnels (par exemple une frappe militaire contre le programme atomique iranien?). La même règle vaudrait aussi pour les puissances régionales ou les autres puissances mondiales comme l’Inde, la Chine ou la Russie.

 

Si l’on compare ces guerres actuelles aux guerres d’antan, une chose saute aux yeux: à la place d’armées régulières, nous voyons désormais se manifester sur le terrain des acteurs très différents les uns des autres: cela va des forces d’intervention dûment dotées d’un mandat délivré par une organisation internationale aux terroristes, en passant par les firmes militaires privées comme la “Blackwater Security Consulting” ou par les “Warlords” (les seigneurs de la guerre), équipant et dirigeant leurs armées personnelles. Les meilleurs exemples que nous pourrions citer se trouvent aujourd’hui en Afrique: les guerres y sont menées généralement par des “guerriers” recrutés au hasard, dont bon nombre sont des “enfants-soldats”. Tous les experts sont d’accord pour dire que les guerres de ce type réduisent considérablement les difficultés pour accéder à l’état de parti belligérant, ce qui entraîne des conséquences de grande ampleur pour les Etats concernés: les armées privées échappent non seulement au contrôle de l’Etat, seule instance autorisée à user de violence, mais accélèrent le déclin de l’Etat et favorisent l’éclosion de la corruption et de la criminalité organisée. Conséquence: sur la carte du monde, on voit apparaître de plus en plus de zones “incontrôlées”.

 

Le mode même des “conflits asymétriques”, tels que les pratiquent les seigneurs de la guerre et les terroristes, frappent directement la population civile qui est consciemment impliquée dans les combats, en étant soit la cible d’attentats soit acteur dans les opérations logistiques. Dans une telle situation, un acquis du droit des gens en cas de guerre vient à disparaître: la distinction entre combattants et non combattants.

 

Mais il n’y a pas qu’à ce niveau-là que s’estompent les distinctions. L’envoi de forces internationales, qui ont pour mission de pacifier une région donnée, conduit à estomper la distinction entre “guerre” et “action de police”, entre le rôle d’une police et celui d’une armée, dans les régions en crise; d’un côté, la police est contrainte de garantir la sécurité intérieure avec  des moyens de plus en plus militarisés et, de l’autre, les forces armées mènent des guerres que les médias internationaux définissent par euphémisme comme des “missions de police”. Les Etats-Unis surtout font appel à des armées privées, composées de mercenaires, pour soutenir leur armée officielle; ces mercenaires, selon les critères du droit des gens, sont certes considérés comme des “combattants illégaux”, mais ils s’avèrent indispensables pour toute superpuissance interventionniste comme les Etats-Unis, vu la rapidité avec laquelle ils peuvent être envoyés sur le terrain.

 

La volonté d’intervention globale des Etats-Unis laisse augurer que les conflits contre les terroristes resteront longtemps encore à l’ordre du jour de la politique occidentale. Dans l’avenir, pour parler comme Carl Schmitt, la lutte anti-terroristes deviendra un “état d’exception permanent” à l’échelle du globe tout entier. En d’autres mots: nulle part dans le monde nous n’aurons ni véritable paix ni véritable guerre.

 

La situation se révèle encore plus grave parce que quasiment personne ne comprend les objectifs pour lesquels luttent les terroristes; dans le cas des talibans, c’est pour réétablir un Etat théocratique islamique. Ces objectifs apparaissent aux yeux de l’Occident irréalisables et c’est pourquoi le courage face à la mort de ces “criminels” (dixit Jung) irrite. D’après Münkler, c’est là qu’il faut percevoir une lacune dans “l’auto-affirmation politique de l’Occident”: les Etat de facture moderne, qui, de plus, présentent des taux de natalité insuffisants, sont des “sociétés post-héroïques” auquel se heurte le “potentiel d’héroïsme” de sociétés jeunes, héroïsme qui se justifie par des religiosités sotériologiques ou par le nationalisme. C’est la raison qui explique pourquoi, dans de tels conflits, les terroristes ou les insurgés gagnent la bataille, malgré l’utilisation par leurs adversaires des technologies militaires les plus avancées.

 

L’historien militaire israélien Martin van Creveld ne voit que deux pistes pour s’en sortir avec succès: le “massacre” délibéré, perpétré sans le moindre état d’âme, comme le perpétra le régime d’Assad à Hama contre les frères musulmans ou le renoncement aux armes lourdes, tout en acceptant la longue durée, comme l’avaient pratiqué les Britanniques en Irlande du Nord. Aucune de ces pistes n’est plus empruntable en Afghanistan aujourd’hui, si bien qu’il pourrait bien arriver ce que van Creveld  annonce depuis longtemps: une guerre d’usure, qui broie le moral des soldats, même les plus endurants. Ce serait là un avertissement bien fatidique pour tous les conflits à venir.

 

Michael WIESBERG.

(article paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, n°34/2009; trad. franç.: Robert Steuckers).

 

 

mardi, 01 septembre 2009

Variations autour du thème "Russie"

russie-316.jpg

 

 

Robert STEUCKERS:

 

Variations autour du thème “Russie”

 

Discours de Robert Steuckers lors du colloque de la “nouvelle alternative solidariste” à Ruddervoorde/Bruges, 11 octobre 2008

 

La Russie  –vous l’entendez et le lisez chaque jour dans les médias du système—  est l’objet d’une inlassable propagande, toujours dénigrante et négative, d’un harcèlement permanent des esprits, qui la campent comme un immense foyer où se succèdent sans discontinuité horreurs et entorses à la “bonne gouvernance”; cette propagande a été bien réactivée depuis la “Guerre d’août” dans le Caucase, il y a deux mois. Cette propagande négative, cette “Greuelpropaganda” (“gruwelpropaganda”), n’est pas nouvelle, car, les historiens le savent, elle s’est déjà déployée dans l’histoire des deux derniers siècles, essentiellement pour deux faisceaux de motifs:

 

Premier faisceau de motifs:

D’abord à cause de l’autocratisme de certains tsars: Paul I, qui voulait marcher avec Napoléon contre l’Inde britannique et démontrait, par cette volonté, que la maîtrise de la Mer Noire et de la Caspienne permettait à terme de déboucher en Inde, arsenal civil et source de profit pour la puissance dominante anglaise; et Nicolas I, qui a entamé la marche des armées russes en direction du Caucase et de l’Asie centrale; ce tsar voulait régler la question d’Orient en liquidant l’Empire ottoman, ce qui a déclenché la Guerre de Crimée. Ce reproche d’autoritarisme fait partie d’un arsenal propagandiste récurrent car il s’adresse également à des tsars d’ouverture tels Alexandre II, qui lance un programme d’industrialisation, de modernisation et de libération des serfs, ou Nicolas II, qui sera tantôt ange tantôt démon, selon les fluctuations de la géopolitique anglaise, qui entendait d’abord ébranler la Russie pour s’emparer des pétroles du Caucase puis s’allier à elle dans le cadre de l’Entente pour faire pièce à une Allemagne devenue ennemie principale, prenant ainsi, au titre de cible première des propagandes dénigrantes, le relais de l’Empire des Tsars comme le démontre d’excellente manière le géopolitologue suédois William Engdahl dans son ouvrage sur la guerre du pétrole (1). Nicolas II partage avec les Mexicains Zapata et Pancho Villa le triste honneur d’avoir été tout à la fois, en l’espace de quelques années seulement, tyran sanguinaire et brave allié. Les deux Mexicains, rappellons-le, voulaient nationaliser les pétroles de leur pays, les arracher aux tutelles britannique et yankee... L’an passé, nous avons eu à déplorer la disparition de Henri Troyat, de l’Académie Française, écrivain de souche russe et arménienne, qui nous a laissé des biographies de tous les tsars: elles nous expliquent en long et en large les grands axes de leur politique, dans un langage clair et limpide, accessible à tous, sans jargon. Je conseille à chacun de vous de s’y référer.

 

Deuxième faisceau de motifs:

Ensuite à cause du bolchevisme et de la bolchevisation de la Russie, après 1917, la démonisation propagandiste se focalise sur l’idéologie et la pratique du communisme. Elle a la tâche bien plus facile car le tsarisme était moins démonisable que le soviétisme. Le monde catholique belge et flamand, notamment, dépeint la Russie soviétisée comme le foyer du mal absolu, surtout pour empêcher tout envol du communisme en Belgique même; la publication de l’album d’Hergé, “Tintin au pays des Soviets” relève, pour ne donner qu’un seul exemple, de cet anti-communisme catholique et militant des années 20 et 30. Cette propagande anti-soviétique a laissé des traces: en dépit de l’effondrement définitif de l’Union Soviétique et de la débolchevisation de la Russie, les réflexes anti-russes mobilisés pour combattre le soviétisme, notamment la propagande en faveur de l’OTAN, restent ancrés dans les mentalités, incapables d’intégrer les nouvelles donnes géopolitiques d’après 1989. A cet anti-communisme, mis en sourdine à partir de 1941 pour raisons d’union sacrée contre le nazisme et pour couvrir les agissements de la résistance communiste (en tant qu’instrument de la “guerilla warfare”), succède un anti-stalinisme, partagée par certains communistes ailleurs dans le monde; cet anti-stalinisme prête tous les travers du communisme à la seule gestion stalinienne de l’Union Soviétique. Comme Nicolas II, tyran sanguinaire puis “bon père des peuples de toutes les Russies” selon la propagande londonienne, Staline sera un monstre, puis le brave “Uncle Joe”, puis le “petit père des peuples” puis à nouveau un dictateur infréquentable.

 

Dans mon article, intitulé “La diplomatie de Staline” (cf. http://euro-synergies.hautetfort.com), et dont la teneur m’a été souvent reprochée (2), j’ai souligné l’originalité, après 1945, de la diplomatie soviétique, qui pariait sur des rapports bilatéraux entre puissances et non sur une logique des blocs, du moins au départ. De fait, le pacte de Varsovie nait en 1955 seulement, après la mort du leader géorgien. Ce Pacte a bétonné la logique des blocs et est l’oeuvre du post-stalinisme que Douguine dénonce, aujourd’hui à Moscou, comme une émanation d’un certain “atlanto-trotskisme”. En dépit d’atrocités comme l’élimination des koulaks dans les terres noires et si fertiles d’Ukraine, qui a privé l’Union Soviétique d’une paysannerie capable de lui assurer une totale autonomie alimentaire, et comme les épurations du parti et de l’armée lors des grandes purges de 1937, il faut objectivement mettre à l’acquis de la période stalinienne tardive les notes de 1952, proposant la neutralisation de l’Allemagne sur le modèle prévu pour l’Autriche, en accord avec le filon “austro-marxiste” de la social-démocratie autrichienne.

 

Déstalinisation et logique des blocs

 

La volonté de réhabiliter les rapports bilatéraux entre puissances, selon les vieux critères avérés de la diplomatie classique, et le projet de neutralisation d’une large portion du centre de l’Europe entre l’Atlantique et la frontière soviétique, dont l’arsenal industriel allemand appelé à renaître de ses cendres (“les Hitlers vont et viennent, l’Allemagne demeure”), sont deux positions qui ont l’une et l’autre déplu profondément à Washington et entraîné ipso facto une propagande anti-stalinienne puis, dans la foulée, la déstalinisation, au profit d’une logique des blocs parfaitement schématique, qui condamnait l’Europe à la division et la stagnation, au blocage géopolitique permanent. La déstalinisation, en dépit de la “bonne figure” qu’elle se donnait, interdisait de revenir au message de la fin de l’ère stalinienne: diplomatie classique et neutralisation de l’Allemagne.

 

La Chine actuelle, partiellement héritière de ce communisme de la fin des années 40 et du début des années 50, préconise des relations internationales basées sur des rapports bilatéraux, dans le respect des identités politiques des acteurs de la scène internationale, en dehors de toute  formation de blocs et de toute idéologie “immixtionniste” (wilsonisme, stratégie cartérienne et reaganienne des “droits-de-l’homme”, etc.) (cf. nos articles sur la question: Robert Steuckers, “Les amendements chinois au ‘nouvel ordre mondial’” & “Modernité extrême-orientale et modèle juridique ‘confucéen’”; ces deux  articles sont repris dans: Robert Steuckers, “Le défi asiatique et ‘confucéen’ au ‘nouvel ordre mondial’”, Synergies Européennes, Forest, 1998; les deux textes figurent dorénavant sur: http://euro-synergies.hautetfort.com).

 

Le retour des thématiques anti-autocratiques

 

Avec Poutine et Medvedev, la propagande habituelle recompose les thématiques de l’anti-autocratisme, de l’hostilité à tout pouvoir non seulement fort mais simplement solide, à celle des résidus de communisme, dans le sens où toute réorganisation des anciennes terres de l’Empire russe et toute velléité de contrôler l’économie et le marché des matières premières s’assimilent à un retour au communisme. Ce sont des pièges dans lesquels il ne faut pas tomber, en tenant compte des arguments suivants:

-          la Russie a besoin d’un pouvoir plus contrôlant que les terres situées à l’Ouest du sous-contient européen, la coordination des ressources de son immense territoire exigeant davantage de directivité;

-          dans une perspective européenne et russe, le contrôle pacifique de l’Asie centrale, du Caucase, de la Caspienne et de la Mer Noire est un atout géopolitique et géostratégique important, dont il ne faut pas se défaire avec légèreté, sous peine de voir triompher le voeu le plus cher de la géopolitique anglo-saxonne, dont les fondements ont été théorisés par Halford John Mackinder et Homer Lea dans la première décennie du 20ème siècle;

-          la démonisation de la Russie a une forte odeur d’hydrocarbure; chaque étape historique de cette démonisation est marquée par l’un ou l’autre enjeu pétrolier; hier comme aujourd’hui, dans le Caucase;

-          le communisme, en tant que messianisme qui s’exporte et ébranle les équilibres politiques des nations voisines, a cessé d’exister et les réflexes défensifs que son existence dictait n’ont plus lieu d’être et vicient, s’ils jouent encore, la perception de la réalité actuelle;

-          la propagande anti-russe d’hier et d’aujourd’hui participe de la stratégie immixtionniste et internationaliste mise en oeuvre à Londres hier, à Washington depuis la présidence de Teddy Roosevelt et du système wilsonien; elle a eu pour résultat de torpiller toutes les  oeuvres d’unification continentale et de faire, à terme, de l’Europe un nain politique, en dépit de son gigantisme économique.

 

L’historiographie dominante fait donc de la Russie un croquemitaine et cette historiographie est dictée aux agences médiatiques, à la presse internationale, par des officines basées à Londres ou à Washington. Il s’agit désormais, dans les espaces de liberté comme le nôtre, de contrer les poncifs toujours récurrents de cette propagande et de se référer à une autre interprétation de l’histoire, à une historiographie alternative, différente aussi de l’historiographie soviétique/communiste (liée à l’historiographie anglo-saxonne pour les événements de la seconde guerre mondiale).

 

Le souvenir de “Pietje Kozak”

 

Dans le cadre restreint du mouvement flamand, il faut se rappeler que sans les cosaques d’Alexandre I, les provinces sud-néerlandaises n’auraient jamais été libérées du joug napoléonien et que leur identité culturelle et linguistique aurait disparu à tout jamais si elles étaient demeurées des départements français. Si un quartier s’appelle “Moscou” à Gand, c’est en souvenir des libérateurs cosaques, conduits par “Pietje Kozak”, dont les chevaux avaient galopé d’Aix-la-Chapelle aux rives de l’Escaut, en passant par Bruxelles, où ils avaient campé à la Porte de Louvain, l’actuelle Place Madou. Les cosaques n’ont pas laissé de mauvais souvenirs. Ils ne sont pas restés longtemps: ils ont foncé vers Paris, tandis que les Gantois volontaires étaient incorporés dans l’armée prussienne, armée pauvre, levée en masse, selon les consignes de Clausewitz, qui voulait faire pièce à la conscription républicaine puis napoléonienne. Cette armée devait vivre sur la population, notamment sur la rive orientale de la Meuse que la Prusse convoitait, en inquiétant les Anglais, qui voyaient une grande puissance s’approcher d’Anvers et occuper une vallée mosane menant directement au Delta et au Hoek van Holland, à une nuit de navire à voile de Londres, comme au temps de l’Amiral De Ruyter. Les réquisitions prussiennes ont laissé de mauvais souvenirs, surtout en pays de Liège, dans les Ardennes et le Condroz. Les Anglais, eux, payaient tout ce qu’ils prenaient et se taillaient bonne réputation: c’est là qu’il faut voir l’origine de l’anglophilie belge.

 

Après l’effondrement du système napoléonien qui avait l’avantage peut-être d’unir l’Europe mais le désavantage de le faire au nom des philosophades modernistes de la révolution française, l’Europe acquiert, à Vienne en 1814-15, une sorte d’unité restauratrice. Ce sera la Pentarchie, le concert des cinq puissances (Prusse, Russie, Angleterre, Autriche, France) dont le territoire s’étend de l’Atlantique au Pacifique. Nous avons donc pour la première fois dans l’histoire un espace européen et eurasien entre les deux plus grands océans du globe. La cohérence de cet espace demeure un idéal et une nostalgie, en dépit des faiblesses de cette Pentarchie, sur lesquelles nous reviendrons. Rappellons qu’elle subsistera à peu près intacte jusqu’en 1830 et que les premières lézardes de son édifice datent justement de cette année fatidique de 1830, de la révolte belge de Bruxelles, où Français et Britanniques acceptent les exigences des insurgés, les uns dans l’espoir d’absorber petit à petit le pays; les autres pour briser l’unité des Pays-Bas, qui alliaient de considérables atouts à l’aube de la révolution industrielle: une industrie métallurgique liégeoise, des mines de charbons de Mons à Maastricht, une bonne industrie textile en Flandre et dans la Vallée de la Vesdre, une flotte hollandaise impressionnante et des colonies en voie de développement en Insulinde (Indonésie), un pôle germanique continental et littoral aussi attrayant, sinon plus attrayant, pour les populations d’Allemagne du Nord que la Prusse et le Brandebourg (3). Tandis que Français et Britanniques favorisaient la sécession belge, les autres puissances européennes y voyaient une première entorse à la cohésion “pentarchique” et le triomphe d’un particularisme stérile.

 

La Doctrine de Monroe contre la Pentarchie

 

Preuve des potentialités immenses de la “Pentarchie”: c’est à l’époque de sa plus forte cohésion que les puritains d’Amérique du Nord s’en inquiètent, tout en devinant les potentialités de leur propre vocation continentale et bi-océanique dans le Nouveau Monde. La proclamation de la Doctrine de Monroe en 1823 constitue un défi américain à cette formidable cohésion européenne qui s’impose sur la masse continentale eurasiatique (4). Il fallait de l’audace pour oser ainsi défier les cinq puissances de la Pentarchie. Avec un culot inouï, sans avoir à l’époque les moyens de défendre sa politique sur le terrain, James Monroe a osé prononcer ce programme d’exclusion des puissances européennes, à commencer par l’Espagne affaiblie, car si la Pentarchie l’avait voulu, elle se serait partagé le Nouveau Monde en zones d’influence et les treize colonies rebelles n’auraient pas pu dépasser les Appalaches ni atteindre le bassin du Mississippi si Bonaparte n’avait pas eu la funeste idée de leur vendre la Louisiane en 1803.

 

La Guerre de Crimée (5) va définitivement rompre la cohésion de la Pentarchie et inaugurer l’ère des compositions et recompositions d’alliances qui conduiront à l’explosion de 1914, à la première guerre mondiale et à l’implosion de la culture européenne. Le Tsar Nicolas I entendait parachever le travail de liquidation de l’Empire ottoman, commencé en 1828, où les flottes anglaise, française et russe, de concert, avaient forcé le Sultan à concéder l’indépendance à la Grèce, qui aura un roi bavarois. L’objectif du Tsar était de liquider progressivement l’Empire ottoman, corps étranger à la Pentarchie sur le sous-continent européen, en protégeant puis en accordant l’indépendance aux sujets chrétiens (orthodoxes) de la Sublime Porte. La logique du Tsar est continentaliste: il veut un élargissement de “l’ager pentarchicus” et la ré-occupation de positions statégiques-clefs que les impérialités européennes, romaines et byzantines, avaient tenues avant les raz-de-marée arabe et ottoman. L’élargissement de “l’ager pentarchicus” impliquait, après la parenthèse de l’indépendance grecque soutenue par tous, d’englober tout le territoire maritime pontique et de débouler, partiellement ou par nouvelles petites puissances orthodoxes interposées, dans le bassin oriental de la Méditerranée, avec la Crète et Chypre, à proximité de l’Egypte. La logique de l’Angleterre est, elle, maritime, thalassocratique. Pour le raisonnement impérial anglais, l’Empire des Tsars, avec ses immenses profondeurs territoriales et ses énormes ressources, ne peut pas s’avancer aussi loin vers le Sud, peser de tout son poids sur la ligne maritime Malte-Egypte, au risque de couper la voie vers les Indes, car on compte déjà à Londres percer bientôt l’isthme de Suez.

 

Le centre névralgique de l’Empire britannique n’est plus en Europe

 

Les préoccupations anglaises du temps de la Guerre de Crimée (1853-1856) demeurent actuelles, à la différence près que ce sont désormais les Américains qui les font valoir. Pour Londres hier et pour Washington aujourd’hui, la Russie, ni aucune autre puissance européenne d’ailleurs, ne peut avoir la pleine maîtrise de la Mer Noire ni disposer d’une bonne fenêtre sur la Méditerranée orientale. En 1853, Londres prendra fait et cause pour la Turquie, entraînant la France dans son sillage, et les deux puissances occidentales ruinèrent ainsi définitivement la notion féconde et apaisante de Pentarchie: elles sont responsables devant l’histoire de toutes les catastrophes qui ont saigné l’Europe à blanc depuis la Guerre de Crimée. L’unité et la cohésion de l’Europe ne comptent pas pour Londres et Paris, puissances excentrées par rapport au coeur du sous-continent. L’Occident s’alliera avec n’importe quelle puissance ou n’importe quelle peuplade extérieure à l’Europe pour détruire toute force de cohésion émanant du centre rhénan, danubien ou alpin de notre sous-continent. Cette stratégie de trahison et d’anti-européisme avait commencé avec François I, le Sultan et Barberousse au 16ème siècle (6); l’Angleterre vole, elle, au secours de l’Empire ottoman moribond, prolonge la servitude des peuples balkaniques en ne montrant aucune solidarité avec des Européens croupissant sous un joug musulman, parce que le centre névralgique de la puissance britannique ne se situe plus en Europe, ni même dans la métropole anglaise, mais en Inde. L’Angleterre possède donc un empire dont le centre, sur le globe, est le sous-continent indien; bien qu’hegemon, elle se situe en périphérie de l’espace-tremplin initial, du coeur même de son propre empire et combat tout ce qui, autour de l’Inde, pourrait, à moyen ou long terme, en réalité ou en imagination, en menacer l’intégrité territoriale. Les logiques française et anglaise de la seconde moitié du 19ème siècle ne sont donc plus euro-centrées mais exotiques. Ce glissement scelle la fin de la cohésion pentarchique.

 

C’est à la suite de la Guerre de Crimée que le terme “Occident” devient péjoratif en Russie. Nul autre que Dostoïevski ne l’a expliqué aussi clairement que dans son “Journal d’un écrivain”. En 1856, quand la Russie doit accepter les clauses humiliantes de la paix, une première césure traverse l’Europe pentarchique, une césure qui constitue une première étape vers l’épouvantable cataclysme d’août 1914. En effet, la césure sépare désormais une Europe occidentale (France et Angleterre), d’une Europe centrale et orientale (Prusse, Russie, Autriche-Hongrie). En dépit de la méfiance autrichienne avant et pendant la Guerre de Crimée, qui voyait d’un mauvais oeil la Russie qui tentait de s’installer dans le delta du Danube en prenant sous sa protection les principautés roumaines (Valachie et Moldavie), de confession orthodoxe. Sous l’impulsion de Bismarck, les trois puissances impériales chercheront à reproduire, à elles seules, la cohésion de la Sainte-Alliance. Après l’unification allemande de 1871, on parlera de “l’alliance des trois empereurs” (“Drei-Kaiserbund”). Bismarck exhortera les Autrichiens à ne pas succomber aux tentations occidentales, ce qui sera d’autant plus aisé que l’Autriche n’a jamais eu de colonies extra-européennes.

 

La crainte de voir renaître un Empire russo-byzantin sur le Bosphore

 

Le théoricien le plus pertinent de la “Pentarchie” fut incontestablement Constantin Frantz (7): c’est lui qui a démontré que “l’excentrage” exotique de l’Angleterre en direction des Indes principalement et de la France en direction de l’Afrique (Algérie, Saint-Louis/Dakar, Côte d’Ivoire, Gabon, avant 1860) brisait la cohésion de l’Europe et pouvait induire sur son territoire des conflictualités générées ailleurs. La Guerre de Crimée est la première conflagration inter-européenne après 1815, dont les motivations dérivent de préoccupations extra-européennes: l’Angleterre ne veut pas d’une flotte russe en Méditerranée orientale parce que cela menace l’Egypte et comporte le risque de voir s’installer des postes et bases russes en Mer Rouge, avec accès à l’Océan Indien; la France n’en veut pas davantage car une flotte russe dans les bases auparavant ottomanes risque de menacer l’Algérie fraîchement conquise, qui, rappelons-le, était tout de même la base la plus avancée des Ottomans en Méditerranée occidentale au 16ème siècle. La crainte partagée par Paris et Londres en 1853 était de voir se reconstituer, sur les débris de l’Empire ottoman, un empire russo-byzantin rechristianisé capable, avec les réserves russes, de contrôler les principaux points stratégiques à la charnière des masses continentales asiatiques et africaines, et de remplacer ainsi l’Empire ottoman. Cette crainte n’existait pas encore vingt-cinq ans auparavant, au moment de l’accession de la Grèce à l’indépendance: la France n’avait pas encore débarqué ses troupes en Algérie et l’Angleterre escomptait simplement faire de la Grèce un satellite plus solide que le seul petit cordon d’îles ioniennes, dont elle avait fait, en 1815, une république sous protectorat anglais.

 

Revenons à la propagande anti-russe actuelle: elle remonte à l’époque de la Guerre de Crimée. Aujourd’hui encore, les linéaments de cette propagande et les motifs géopolitiques qu’elle dissimule ou travestit demeurent et s’utilisent toujours. Et montrent plus de virulence dans la sphère anglo-saxonne et en France qu’ailleurs en Europe, mis à part les pays de l’est fraîchement libéré du communisme. Les cénacles, journaux, publications des milieux dits “nationalistes” ou “nationaux-conservateurs” de l’Occident français et anglais évoquent bien moins souvent une alliance euro-russe que leurs pendants d’Europe centrale germanique (Allemagne, Autriche). En Flandre, nous assistons à une contagion anglaise, à une véritable “anglo-saxonnite aigüe”, totalement contraire aux intérêts européens de cette région liée à la Rhénanie-Westphalie, et improductive pour tout combat métapolitique face au danger français, à l’heure où la conquête n’est plus militaire ou culturelle mais économique.

 

Les “nouveaux philosophes”, instruments de la russophobie

 

La propagande anti-russe, et aujourd’hui hostile à Poutine, fonctionne à merveille dans la sphère linguistique anglo-saxonne. C’est au départ d’officines de moins en moins britanniques et de plus en plus américaines qu’elle se déploie sur la planète entière. En France, cette propagande se distille, sous un déguisement différent, au départ, non pas de cercles conservateurs ou nationaux-conservateurs, mais de réseaux trotskistes, d’obédience affichée ou infiltrés dans les cénacles syndicaux ou socialistes et surtout au départ des niches médiatiques et journalistiques où s’est incrustée la secte des “nouveaux philosophes”, à cheval entre une gauche nouvelle (les fameuses deuxième et troisième gauches) et une droite atlantiste, molle, libérale et “orléaniste” qui cherche à tourner le dos au gaullisme. Ce bastion, bien positionnée sur le carrefour entre droite centriste et gauche centriste, permet à cette propagande de s’insinuer partout et d’empêcher l’éclosion d’une pensée géopolitique alternative, non atlantiste, qui pourrait émerger dans plusieurs franges politiques potentielles, aujourd’hui houspillées dans les marges de la politique dominante et souvent décriées comme “extrémistes”: communiste, gaulliste (dans le sens de Couve de Meurville), nationaliste, souverainiste ou néo-maurrassienne.

 

La Guerre de Crimée a donc fracassé définitivement la Pentarchie, la seule cohésion européenne de l’ère moderne et contemporaine. Néanmoins, le conflit dominant, celui dont les enjeux  géopolitiques avaient le plus d’envergure territoriale car ils concernaient et la Terre du Milieu  (sibérienne et centre-asiatique) et l’Océan du Milieu (l’Océan Indien avec le sous-continent indien), demeurait le conflit russo-britannique. Le conflit franco-prussien de 1870-71, perçu comme essentiel en France ou en Allemagne car il était local, reste marginal, malgré tout, malgré son importance, malgré qu’il est l’une des sources majeures des deux conflits mondiaux du 20ème siècle.

 

Versailles ou le retour de la politique de Richelieu

 

Cependant, la permanence du conflit anglo-russe aux confins de l’Hindou Kouch, la rivalité entre Londres et Saint-Pétersbourg en Asie centrale et la volonté française de revanche et de reconquête de l’Alsace et de la Lorraine thioise vont peser d’un poids suffisant pour modifier la donne entre 1871 et 1914. La France va investir en Russie, afin d’avoir un “allié de revers”, comme François I s’était allié au Sultan et aux pirates barbaresques pour prendre le Saint-Empire et l’Espagne en tenaille et faire échouer l’offensive espagnole et vénitienne en Afrique du Nord et en direction de la Méditerranée orientale. On ne mesure pas encore complètement l’impact désastreux de cette politique. La politique française des investissements en Russie, mieux connue sous l’appelation des “emprunts russes” va contribuer à la dislocation progressive de l’alliance des “Trois Empereurs”, ultime résidu de l’esprit de la Pentarchie de 1814. A ce projet de s’adjoindre le “rouleau compresseur russe”, s’ajoutera une volonté maçonnique d’émietter l’espace de la “monarchie danubienne” austro-hongroise, de fractionner l’Europe centrale et orientale en autant de petits Etats que possible, tous condamnés à la dépendance ou à l’inviabilité économique: ce sera une réactualisation de la politique de Richelieu, visant la “Kleinstaaterei” dans les Allemagnes (pluriel!), qui trouvera un nouvel aboutissement dans le Traité de Versailles.

 

Bismarck serait indubitablement parvenu à maintenir la cohésion de l’alliance des Trois Empereurs. Ses successeurs n’auront pas cette intelligence politique et ce “feeling” géopolitique. Ils laisseront libre cours, sans réagir de manière opportune, à cette politique française de satellisation de la Russie. Quand celle-ci bascule définitivement dans le camp français, la politique alternative de l’Allemagne sera d’aller chercher dans l’Empire ottoman moribond un espace pour écouler les biens d’exportation de sa nouvelle industrie et y puiser des matières premières. Cette politique heurtera la volonté russe de trouver un débouché au-delà des Dardanelles, en direction de la Méditerranée orientale, de Suez et de l’Egypte et la volonté britannique de maintenir ou de créer un verrou partant du Caire pour aboutir à Calcutta au Bengale, afin de parachever, avec les possessions anglaises d’Afrique et d’Australie, une domination absolue sur l’ensemble des rivages de l’Océan Indien.

 

Une vingtaine d’années pour parfaire l’Entente

 

Il faudra cependant une vingtaine d’années pour consolider l’alliance que sera l’Entente entre Londres, Paris et Saint-Pétersbourg. Les sources de conflits potentiels demeurent latentes entre l’Angleterre et la France, en Indochine où l’Angleterre accepte, bon gré mal gré, que les Français contrôlent la façade pacifique de cette Indochine mais n’acceptent aucune extension de ce contrôle en direction du Siam et du Golfe du Bengale. De même, l’Angleterre voit d’un mauvais oeil la conquête violente  puis la pacification de Madagascar par le Général Gallieni (qu’ils détesteront même au plus fort de la bataille de la Marne en 1914, alors que cette bataille a décidé du sort de la guerre en faveur des alliés). Ensuite, l’affaire de la prise de contrôle par les Britanniques du Canal de Suez ne s’est pas apaisée rapidement, a connu des rebondissements, surtout, notamment, quand l’expédition du Capitaine Marchand en direction de Fachoda au Soudan laissait présager une installation française sur les rives du Nil, axe liant l’Egypte à l’Afrique du Sud.

 

Une présence française sur le Nil aurait pu briser la cohésion territoriale de l’Empire britannique en Afrique en s’alliant soit à la Somalie sous domination italienne soit à l’Abyssinie chrétienne soit au Congo belge. Il y aurait eu une présence européenne continentale  sur une portion importante du littoral africain de l’Océan Indien, avec, d’une part, une grande profondeur territoriale, reliant l’Atlantique à l’Océan du Milieu, et d’autre part, une base navale (et, plus tard, un porte-avion) malgache en face du Mozambique portugais, du Tanganyka alors allemand et surtout des mines d’Afrique du Sud, où demeurait une population boer rebelle, partiellement d’ascendance française. Imagine-t-on aujourd’hui quelle puissance aurait pu avoir un bloc colonial européen, regroupant les colonies françaises, belges, allemandes et portugaises et les Etats indépendants boers? La Mer Rouge aurait été contrôlée à hauteur d’Aden et de Djibouti par une constellation européenne germano-turque, italienne et française. Pour Londres, l’un des résultats les plus intéressants de la première guerre mondiale a été de contrôler la Mer Rouge de Suez à Aden, d’y éliminer toute présence germano-turque et, indirectement, française, la France sortant exsangue de la Grande Guerre.

 

Ratzel, Tirpitz et le réveil de l’Allemagne

 

Dans les années 90 du 19ème siècle, les Russes se rendent encore maîtres de l’actuel Tadjikistan et exercent une influence prépondérante sur le “Turkestan chinois” au nord du Tibet. Tandis que pour contrer ce gain de puissance, les Anglais annexent à l’Empire des Indes les régions afghanes aujourd’hui pakistanaises et que l’on appelle la “zone ethnique” pachtoune, actuellement en pleine rébellion et sanctuaire des rebelles talibans en lutte contre l’occupation de l’Afghanistan. Entre 1890 et 1900, rien ne laissait augurer une alliance anglo-russe, tant les conflits potentiels s’accumulaient encore le long des frontières afghanes. Le très beau film “Kim”, d’après une nouvelle de Rudyard Kipling, met en scène un Indien musulman local, fidèle à la Couronne britannique, et des explorateurs russes, soupçonnés d’espionnage et de venir soulever les tribus hostiles à la présence anglaise. Le scénario du film se déroule précisément dans les années 90 du 19ème siècle.

 

Après la guerre des Boers et l’élimination impitoyable de leurs deux républiques libres d’Afrique australe, période où l’Angleterre victorienne avait été honnie dans toute l’Europe, l’Allemagne devient l’ennemi numéro un, parce qu’elle développe des stratégies commerciales efficaces, concurrence les produits industiels britanniques partout dans le monde, se met à construire une flotte sous l’impulsion du géopolitologue Friedrich Ratzel et de l’Amiral von Tirpitz, exerce une influence prépondérante dans les “Low Countries”, propose une “Union de la Mittelafrika” à la Belgique et au Portugal susceptible de ruiner les projets de Cecil Rhodes et surtout réorganise l’Empire Ottoman pour un faire un espace complémentaire de son industrie (un “Ergänzungsraum”), coupant la route des Russes vers Constantinople et occupant des positions stratégiques en Méditerranée orientale, en prenant, avec l’Autrriche-Hongrie et ses marins dalmates, le relais de Venise la “Sérénissime” dans cet espace maritime, en face de Suez et sur un segment important de la route maritime vers l’Inde.

 

Mackinder et le “Terre du Milieu”

 

Malgré l’émergence, pour Londres, d’un “danger allemand”, la Russie demeure implicitement l’ennemi principal dans le dicours que tient Halford John Mackinder en 1904, pour expliquer, par la géographie, la dynamique Terre/Mer de l’histoire, où l’Angleterre tient la Mer et les Indes et la Russie, la Terre et l’Asie centrale, rebaptisée “Terre du Milieu” et posée comme inaccessible à l’instrument naval de la puissance anglaise. Mackinder tire en quelque sorte le signal d’alarme en cette année 1904, parce que, contrairement à l’époque de la Guerre de Crimée, la Russie commence, sous l’impulsion de Sergueï Witte, à se doter d’un réseau de chemins de fer et d’une ligne ferroviaire transsibérienne qui lui procurent désormais la capacité militaire de transporter rapidement des troupes vers la Mer Noire, le Caucase, l’Asie centrale et l’Extrême-Orient. Sur le plan technologique, la donne a donc changé. La Russie, handicapée par l’immensité de ses territoires et les problèmes logistiques qu’ils suscitent, venait d’acquérir un supplément non négligeable de mobilité terrestre. Elle pèse d’un poids plus considérable sur les “rimlands”, dont la Perse et l’Inde, qui donnent accès à l’Océan Indien, “Océan du Milieu”.

 

De facto, la Russie devient la protectrice de la Chine, après la guerre sino-japonaise de 1895, ce qui lui permet de faire passer le Transsibérien à travers la riche province chinoise de Mandchourie. Cette Russie plus mobile, grâce au chemin de fer, et donc plus “dangereuse”, inquiète l’Angleterre: elle doit dès lors être tenue en échec par une politique d’endiguement et par la constitution d’un “cordon sanitaire” de petites puissances dépendantes de la principale thalassocratie de la planète. Mieux: la politique extrême-orientale de la Russie, face aux anciennes et nouvelles puissances asiatiques de la région, reçoit le plein aval de Guillaume II d’Allemagne, qui détourne ainsi la Russie du Danube et désamorce les conflits potentiels avec l’Autriche-Hongrie; face à ces encouragements allemands, l’Angleterre, qui voit en eux un danger de plus pour ses intérêts, entend ramener, à terme, la Russie en Europe, pour qu’elle agisse contre l’Autriche, principal allié de l’Allemagne montante.

 

La Russie avance ses pions vers le Pacifique

 

L’Entente se dessine: la France finance la Russie, mais la lie ainsi à elle, et l’Angleterre dispose de deux “spadassins continentaux” pour abattre la puissance qu’elle juge la plus dangereuse pour elle, avec le sang de leurs millions de conscrits. Sergueï Witte préconisait une politique de petits pas en Extrême-Orient: l’acquisition par l’Allemagne de la base chinoise de Tsingtao précipite les choses, oblige les Russes à abandonner leur modération initiale et à revendiquer et occuper Port Arthur; du coup, les Anglais s’emparent de Weihaiwei. Les puissances s’abattent sur la Chine, grignotent sa souveraineté pluriséculaire, déclenchant une révolte xénophobe, celles des Boxers, soutenue in petto par l’Impératrice douairière. Pour mater cette révolte, les puissances organisent une expédition punitive, au cours de laquelle les Russes prennent l’ensemble de la Mandchourie. Via Kharbin et Moukden, le Transsibérien est prolongé jusqu’à Port Arthur: du coup, la Russie est présente dans les eaux chaudes du Pacifique (8). L’Amiral Alexeïev, gouverneur de la région, entreprend l’exploitation du port et de la nouvelle base navale puis lorgne directement vers la péninsule coréenne, susceptible de fournir un pont territorial entre Vladivostok et Port Arthur. Sur le cours du fleuve Yalou, les Russes découvrent de l’or. La politique d’Alexeïev heurte le Japon qui convoite la Corée. Le scénario est en place pour une nouvelle guerre. Cette fois contre le Japon, avec le désavantage que cette guerre est très impopulaire, ne correspond pas aux mythes politiques habituels du peuple russe, qui veut toujours un élan vers Constantinople, les Balkans et l’Egée.

 

En 1905, lors de la guerre russo-japonaise, l’Angleterre et déjà les Etats-Unis, soutiennent le Japon, archipel en lisière du “rimland” sino-coréen. Le Japon devient ainsi le petit soldat asiatique de la première politique d’endiguement, immédiatement après le discours de Mackinder. La propagande contre Nicolas II, posé comme “bourreau” de son peuple, bat son plein. Quelques cercles révolutionnaires perçoivent de mystérieux financements. La flotte russe de la Baltique, qui part du Golfe de Finlande pour porter secours à celle du Pacifique, ne peut s’approvisionner en charbon le long de son itinéraire, dans les bases britanniques, les plus  nombreuses. Résultat: le désastre de Tchouchima.

 

Notons, dans ce contexte, l’ignoble hypocrisie de la France, qui avait promis monts et merveilles à son “allié” russe, mais l’a froidement laissé tomber face au Japon, pour ne pas désobliger l’Angleterre. Jeu dangereux car, un moment, cette trahison a failli ramener la Russie dans un système d’alliance comprenant l’Allemagne sans exclure la France. L’Axe Paris-Berlin-Saint-Pétersbourg a failli voir le jour en octobre 1904. La France a refusé et le Tsar, dépendant des fonds français, n’a pas signé. En juillet 1905, deuxième tentative de rétablir une unité européenne avec l’Allemagne, la France et la Russie, lors de l’entrevue entre Guillaume II et Nicolas II dans l’île suédoise de Björkö. Ces entretiens ne relèvent que de la bonne volonté des deux monarques qui ne bénéficiaient d’aucun contre-seing ministériel. Une fois de plus, la France refuse, tablant sur son alliance anglaise et sur les avantages immédiats que lui procurait celle-ci au Maroc. Pour les Anglais, l’affaiblissement de la Russie, suite à sa défaite face au Japon, ne permettait plus aucune manoeuvre dangereuse en direction de l’Inde. Elle n’est donc plus l’ennemi principal.

 

Terrible année 1905

 

La Russie, battue par le Japon et fragilisée par les menées révolutionnaires, assouplit ses positions: elle est mûre pour entrer dans l’Entente franco-britannique, signée en 1904. Pire, à l’humiliation militaire succède un dissensus civil de nature révolutionnaire: dès juillet 1904, les nihilistes assassinent le ministre de l’intérieur Plehwe; en janvier 1905, une manifestation menée par le Pope Gapone tourne au carnage; en février 1905, c’est au tour du Grand-Duc Serge d’être assassiné; des troubles surgissent en Mandchourie sur l’arrière des troupes; en juin, des mutineries éclatent sur les bâtiments de la flotte de la Mer Noire, dont le fameux cuirassé Potemkine; en octobre 1905, Lénine organise un premier mouvement révolutionnaire à Saint-Pétersbourg, qui débute par une grève générale; les frondes paysannes procèdent à des “illuminations”, c’est-à-dire des incendies de châteaux ou de bâtiments publics, dans les provinces; les Baltes s’attaquent à l’aristocratie allemande et incendient ses domaines; en décembre 1905, Lénine frappe à Moscou mais les troupes sont revenues de Mandchourie et le mouvement bolchevique est maté. Witte, rappelé aux affaires, lance le “Manifeste d’Octobre”, promettant la création d’une Douma dûment élue et des réformes. En 1906, quand la Russie renonce à sa politique d’expansion extrême-orientale, quand elle accepte de nouveaux prêts français, les troubles intérieurs cessent “miraculeusement”; le Tsar, de “monstre” qu’il était, redevient un “brave homme”.

 

En 1907, Britanniques et Russes signent un accord sur le dos de la Perse des Qadjars décadents, se partageant le pays en zones d’influence. L’année suivante, 1908, est marquée par deux événements majeurs: l’annexion par l’Autriche de la Bosnie-Herzégovine et la révolution des “Jeunes Turcs”. En dépit des menées franco-britanniques pour créer la discorde entre Vienne et Saint-Pétersbourg, les relations austro-russes étaient au beau fixe. En juin, les Autrichiens envisagent de construire une voie ferrée à travers le Sandjak de Novi Pazar, afin d’organiser la péninsule balkanique selon leurs intérêts. Cette intention provoque imméditement un renforcement des liens entre la Russie et la Grande-Bretagne, suite à l’entrevue entre Nicolas II et Edouard VII à Reval. En juillet, les “Jeunes Turcs” triomphent, réclament une constitution et des élections, auxquelles sont conviés les habitants de Bosnie-Herzégovine, administrés par les Autrichiens mais toujours citoyens ottomans. La Russie craint que les “Jeunes Turcs” donnent une vitalité nouvelle à la Turquie, s’allient aux Français et aux Britanniques, comme lors de la Guerre de Crimée, et reprennent la vieille politique de verrouiller les Détroits. La révolution des “Jeunes Turcs” rapproche Autrichiens et Russes. Ährental et Iswolski, ministres des affaires étrangères, lors des accords secrets de Buchlau en Moravie, seraient convenus de la politique suivante: 1) L’Autriche-Hongrie abandonne ses projets ferroviaires dans le Sandjak de Novipazar; 2) Vienne promet de soutenir tous les efforts russes en vue de déverrouiller les Détroits. Forts de ces accords, les Autrichiens annexent en octobre 1908 la Bosnie-Herzégovine, sans en référer aux Italiens et aux Allemands, leurs alliés réels ou théoriques au sein de la Triplice. Les Bulgares en profitent pour se déclarer totalement indépendants de la Turquie. Les épouses monténégrines de deux Grands-Ducs russes et du Roi d’Italie, hostiles à Vienne, incitent les partis bellicistes et interventionnistes à combattre toute politique autrichienne dans les Balkans. Stolypine ne veut pas la guerre, oblige les bellicistes à la modération, mais la Russie n’a plus aucun appui en Europe pour soutenir ses visées sur les Détroits. Les diplomates  britanniques, tels l’Ambassadeur Nicolson et Sir Eyre Crowe, répandront la légende que les Autrichiens, et derrière eux, les Allemands, sont les seuls et uniques responsables du verrouillage des Détroits. En 1909, l’Angleterre appuie les prétentions françaises sur le Maroc, en échange d’une reconnaissance définitive de la prépondérance anglaise en Egypte.

 

De l’assassinat de Stolypine à l’attentat de Sarajevo

 

En 1911, avec l’assassinat de Stolypine par un révolutionnaire exalté, toutes les chances d’éviter un conflit germano-russe et austro-russe s’évanouissent. Sazonov, beau-frère de Stolypine et successeur d’Iswolski, opte pourtant pour une politique pacifiste et suscite une dernière entrevue entre Guillaume II et Nicolas II à Postdam, où Bethmann-Hollweg et Kiderlen-Wächter tenteront, pour la dernière fois, de sauver la paix, en proposant aux Russes de se joindre au projet de chemin de fer Berlin-Bagdad et de les associer à une future ligne ferroviaire dans le nord de la Perse. Mais les bellicistes ne désarmaient pas: l’ambassadeur russe à Belgrade, Hartwig, appuie le mouvement grand-serbe contre l’Autriche; Delcassé ordonne la marche des troupes françaises sur Fez au Maroc, bouclant ainsi la conquête définitive du royaume chérifain, où l’Allemagne perd tous ses intérêts; Lloyd George menace directement l’Allemagne. Celle-ci cède au Maroc, en acceptant, pour compensation, une bande territoriale qu’elle adjoindra à sa colonie du Cameroun. En Europe, elle est bel et bien encerclée. Le scénario est prêt: il n’attend plus qu’une étincelle; ce sera l’attentat de Sarajevo, le 28 juin 1914.

 

En 1918, quand l’Allemagne perd définitivement la guerre et que la Russie devient bolchevique, plusieurs voix s’élèvent, à gauche et à droite de l’échiquier politico-idéologique, pour réclamer une nouvelle alliance germano-russe. Ces tractations conduiront aux accords de Rapallo entre Tchitchérine et Rathenau (1922). L’Allemagne et la Russie maintiendront des rapports privilégiés, notamment sur le plan de la coopération militaire, jusqu’en 1935, date où Hilter décide de réintroduire le service militaire obligatoire, de réoccuper la Rhénanie et de relancer un programme de réarmement.

 

En 1936, avec l’Axe Rome-Berlin et la création du Pacte Anti-Komintern, les liens sont rompus avec la Russie soviétisée. Quand éclate la guerre civile espagnole, l’Allemagne soutient les nationalistes de “l’Alzamiento nacional” et l’URSS les Républicains du “Frente Popular”, qui comptent les communistes dans leurs rangs. Le soutien à Franco rapproche définitivement l’Allemagne de l’Italie, mais les communistes espagnols et leurs alliés soviétiques se désolidarisent du bloc, d’abord uni, du “Frente Popular” et se heurtent aux autres factions militantes de gauche, anarchistes et trotskistes (POUM), dans les territoires contrôlés par les Républicains espagnols, notamment à Barcelone, contribuant à la ruine définitive du “Frente Popular” et à l’effondrement de ses forces armées. Après la victoire du camp franquiste et l’émiettement du camp des gauches, tout est en place pour rapprocher l’Axe, et plus particulièrement l’Allemagne, de l’URSS. En août, le fameux Pacte germano-soviétique, ou Pacte Ribbentrop-Molotov, est signé à Moscou. L’Allemagne est libre pour tourner toutes ses forces vers l’Ouest, tout en recevant pétrole et céréales soviétiques. L’idylle durera jusqu’en 1941, quand Molotov, déjà inquiet de la politique balkanique des Allemands, ne peut admettre leur contrôle définitif de la Yougoslavie et de la Grèce. Ces dissensus, renforcés par les menaces réelles que les Anglais faisaient peser sur le Caucase à portée des appareils de la RAF, constituent les préludes de l’Opération Barbarossa, déclenchée le 22 juin 1941. Les rapports germano-russes entre 1918 et 1945 méritent à eux seuls qu’on leur consacre un séminaire entier. Ce n’est pas notre propos aujourd’hui. C’est pourquoi je demeurerai bref sur ce thème pourtant capital afin de comprendre la dynamique du siècle (9).

 

Pas d’Europe libre si la bipolarité Est/Ouest persiste

 

Après 1945, la Guerre Froide s’installe avec le blocus de Berlin et le coup de Prague. Elle durera plus de quarante ans, imprègnera les esprits car tous imaginaient que cette situation allait perdurer pour les siècles des siècles. Dans ce contexte bipolaire, où l’idéologie semblait dominer, l’Europe était coupée en deux, l’Allemagne était traversée par un Rideau de Fer et partagée en deux républiques antagonistes; le Danube, artère centrale de l’Europe, était bloqué peu après Vienne; l’Elbe, principal fleuve de la plaine nord-européenne, qui mène de Prague à Hambourg, était coupée dès l’hinterland immédiat de ce grand port. Une telle Europe n’était plus qu’un comptoir atlantique. Dans les années 50, elle possédait encore pleinement son poumon extérieur colonial. Dès la décolonisation des premières années des “Golden Sixties”, ce poumon n’est plus garanti et le palliatif des multinationales, qui créent de l’emploi et remplacent les vocations coloniales, plonge l’Europe dans une dépendance dangereuse. Voilà le contexte politique international dans lequel émergera la conscience politique de ma génération. Pour ma part, elle émergera cahin-caha à partir de mes quatorze ans; après cinq ou six années de tâtonnements, vers 1975-76, nos groupes informels, plutôt des groupes de copains, inspirés par la postérité de l’école des cadres de “Jeune Europe”, innervés par de nouvelles lectures et stimulés par de nouvelles donnes politiques, en arrivent à la conclusion générale qu’il est impossible de donner un avenir libre à la portion occidentale de l’Europe si la bipolarité Est/Ouest persiste.

 

Dans le contexte belge, Pierre Harmel avait tenté une ouverture à l’Est, en multipliant les rapports bilatéraux entre la Belgique et de petites puissances du bloc communiste, telles la Pologne, la Roumanie ou la Hongrie. Il agissait de manière pragmatique, sans s’aligner sur la France de De Gaulle, qui, en tant que France, demeure toujours un danger pour l’intégrité psychologique et territoriale de notre pays (qui est, avec le G.D. du Luxembourg et avec ses frontières complètement démembrées au sud, le dernier lambeau indépendant du Grand Lothier de médiévale mémoire). Harmel n’imitait pas pour autant l’Ostpolitik de Willy Brandt, avec son discours empreint de ce sens allemand de la culpabilité, qui, en Belgique, n’était évidemment pas de mise. Harmel entendait restituer une “Europe Totale”, détacher le sous-continent de la logique figée des blocs. Ces efforts furent malheureusement de courte durée et, dans son propre parti, on ne l’a guère suivi. Après l’ère Harmel, l’ère Vanden Boeynants est arrivée, avec une politique atlantiste, pro-OTAN et philo-américaine. Plus tragique bien que moins visible: l’échec du “harmélisme” diplomatique signifie aussi la fin du catholicisme politique cohérent en Belgique, héritier de la tradition bourguignonne et impériale hispano-autrichienne. La Belgique oublie alors qu’elle a incarné cette tradition dans l’histoire de ces cinq derniers siècles, avec un brio inaltérable, et elle accepte, avec “Polle Pansj” (“Popol Boudin”, alias Vanden Boeynnants) et ses successeurs, le statut misérable de petit pion subalterne sur l’échiquier atlantiste. 

 

Kissinger “drague” la Chine de Mao

 

Dans ce contexte, postérieur aux agitations de 1968, la donne générale, sur l’échiquier international, était en train de changer: pour disloquer le bloc communiste eurasien, reposant sur le pilier chinois et le pilier soviétique, pour embrayer sur un conflit bien réel qui venait de surgir au sein de ce bloc rouge, soit la guerre chaude sino-soviétique le long du fleuve Amour, la diplomatie américaine de Kissinger, posant pour principe que Moscou demeure et restera l’ennemi principal, va “draguer” la Chine de Mao et nouer avec elle, dès 1971-72, des relations diplomatiques normales, tout en la soutenant en Asie orientale contre l’URSS. Cette diplomatie repose, une fois de plus, sur les théories géopolitiques de Mackinder et de ses disciples: dans l’optique de ces théories, il convient, le cas échéant, de soutenir une puissance du rimland (ou “inner crescent”), ou une alliance de moindres puissances du rimland, contre la puissance détentrice de la “Terre du Milieu”. Les maoïstes de mai 68 basculeront partiellement dans le camp américain contre les “mouscoutaires”: Washington avait déjà déployé ses propres “communistes”, principalement d’obédience trotskiste ou issus de l’ancien POUM de la Guerre Civile espagnole; à ceux-ci s’adjoindront bientôt des maoïstes, forts de la nouvelle alliance Washington/Pékin.

 

Avec la disparition, à l’avant-scène, de Harmel et de sa politique des rapports bilatéraux entre petites puissances du bloc occidental et petites puissances du bloc oriental, et avec la disparition, dans les marges militantes de la politique, de “Jeune Europe” de Jean Thiriart, qui visait une libération de notre sous-continent des tutelles américaine et soviétique, aucun champ d’action politique réel et concret ne s’offrait encore à nous. Nous vivions les prémisses de la “Grande Confusion”, avec des lignes de fracture qui scindaient désormais tous les camps qui avaient été présents sur le terrain avant la réconciliation sino-américaine. Cette grande confusion frappait essentiellement les groupes activistes de gauche mais ne permettait pas davantage de clarté dans les petites phalanges européistes et nationales révolutionnaires.

 

Rapprochement euro-russe, seule solution viable

 

Dans l’optique de la mouvance “Jeune Europe” des années 60, les deux superpuissances étaient posées et perçues comme également nuisibles à l’éclosion d’une Europe libre. Quand Washington se rapproche de la Chine et que le bloc rouge se scinde en deux puissances antagonistes, “Jeune Europe” ne peut plus préconiser ni des alliances ponctuelles et partielles entre petites puissances des deux blocs (comme lors du voyage de Thiriart en Roumanie) ni une alliance de revers avec la Chine pour obliger l’URSS à lâcher du lest en Europe danubienne. Le bloc sino-américain devient une menace pour l’Europe et, ipso facto, un rapprochement euro-russe apparaît comme la seule solution viable à long terme pour les tenants de la Realpolitik. Ce pas, le Général italien e.r. Guido Gianettinni, Jean Thiriart et l’écrivain franco-roumain Jean Parvulesco le franchiront, en étayant leurs positions d’arguments solides.

 

Entre-temps, en 1975, les Etats-Unis abandonnent le Sud-Vietnam exsangue au Nord vainqueur et pro-soviétique et déclenchent aussitôt, avec leurs nouveaux alliés chinois, une guerre sur la frontière sino-tonkinoise et arment, via la Chine, le Cambodge de Pol Pot pour harceler en Cochinchine le nouveau Vietnam réunifié. Le Vietnam sera ainsi neutralisé et cessera d’être une “poche de résistance” sur le rimland du Sud-Est asiatique, désormais étendu à la Chine, comme c’était prévu d’ailleurs sur toutes les cartes dessinées par l’école anglo-saxonne de géopolitique de Mackinder à Lea et à Spykman. Plus personne, aujourd’hui, surtout dans les jeunes générations, ne s’imagine encore quel était l’état de confusion mentale au sein des gauches militantes, où se disputaient âprement mouscoutaires, trotskistes, maoïstes pro-albanais, autogestionnaires titistes, maoïstes anti-soviétiques, partisans et adversaires de Pol Pot ou de Ho Chi Minh. Ce chaos a scellé la fin de la gauche militante classique entre 1975 et 1978-79, quand l’émiettement en chapelles antagonistes ne permettait plus de faire émerger un bloc politique offensif et viable. Les gauches dures, juvéniles et révolutionnaires, sont mortes, faute d’avoir eu un raisonnement géopolitique cohérent. Pire, parce qu’elles avaient auparavant accepté des raisonnements géopolitiques étrangers à leur propre nation ou nation-continent.

 

Carter et les “droits de l’homme”, Reagan et l’ “Empire du Mal”

 

Avec l’arrivée au pouvoir du démocrate Jimmy Carter à Washington en 1976, nous entrons de plein pied dans la période de gestation de l’univers mental qui règne aujourd’hui et qui est de  plus en plus ressenti comme étouffant. Les termes fétiches de la “political correctness” se mettent en place, avec l’introduction de la diplomatie dite des “droits de l’homme” et avec une opposition républicaine qui s’aligne sur les thèses du néo-libéralisme, par ailleurs propagées par Margaret Thatcher en Grande-Bretagne. En 1979, celle-ci inaugure l’ère néo-libérale qui prend fin avec la crise de cet automne 2008. En 1980, quand Reagan accède à la présidence américaine, sa version du néo-libéralisme, les “reaganomics”, vont étayer et non effacer la diplomatie cartérienne des “droits de l’homme”, et la mettre à la sauce apocalyptique en évoquant un “empire du Mal”, prélude à “l’Axe du Mal” de Bush junior.

 

En Europe, le discours sur les “droits de l’homme” oblitère tout et une partie de la gauche militante émiettée, orpheline, va marcher dans le sens de ce nouveau “subjectivisme” bien médiatisé, base philosophique première de la méthodologie hyper-individualiste du néo-libéralisme de Hayek, Friedmann, etc. Le moteur de cette nouvelle synthèse, dans une France marquée par l’étatisme gaulliste et communiste, sera le discours des “nouveaux philosophes”, porté essentiellement, en ces années-charnières, par deux écrits de Bernard-Henry Lévy, “Le Testament de Dieu” et “L’idéologie française”. Ce dernier constituant un véritable instrument de diabolisation de toutes les forces politiques françaises car, toutes, indifféremment, porteraient en elles les germes d’un fascisme ou d’une dérive menant à un univers concentrationnaire.

 

Les ingrédients idéologiques des deux manifestes de Lévy, dont les assises philosophiques sont finalement bien ténues, vont houspiller dans la marginalité politico-médiatique les discours plus militants de mai 68 et aussi, ce qui est plus grave parce que plus stérilisant, tout cet ensemble de pensées, de théories et de réflexions que Ferry et Renaud appelleront la “pensée 68”. Cette dernière constitue un dépassement intellectuel séduisant du simple militantisme étudiant et ouvrier de l’époque, qui était imbibé de ces vulgates rousseauistes et communistes (typiquement françaises) et avait reçu la bénédiction du vieux Sartre (“ne pas désespérer Billancourt”).

 

Potentialités de la “French Theory”, magouilles des “nouveaux philosophes”

 

Cette “pensée 68”, que les universitaires américains nomment dorénavant la “French Theory”, englobe Deleuze, Guattari, Lyotard et Foucault: elle est accusée, en gros par ses critiques parisiens, néo-philosophes à la Lévy ou néo-quiétistes à la Comte-Sponville, inquisiteurs tonitruants ou apologètes doucereux du ronron consumériste, de privilégier dangereusement la “Vie” contre le “droit”, d’opter tout aussi dangereusement pour des méthodologies généalogisantes et archéologisantes de nietzschéenne mémoire, etc. Pour le réseau, finalement assez informel, des “nouveaux philosophes”, “maîtres penseurs” allemands du 19ème (Glucksmann) et phares de la “French Theory” doivent céder la place à “un marketing littéraire et philosophique” (selon la critique cinglante que fit Deleuze de leur pandémonium médiatique), soit à un “prêt-à-penser” bien circonscrit qui se pose comme l’attitude intellectuelle indépassable qui va mettre bientôt un terme définitif aux horreurs de l’histoire, qui déboucheraient invariablement sur l’univers concentrationnaire décrit par Soljénitsyne dans “L’Archipel Goulag”. Les “nouveaux philosophes” et assimilés sont les “vigilants” qui veillent à ce qu’advienne la fin de l’histoire (Fukuyama) et que l’humanité aboutisse enfin à la grande quiétude antitotalitaire. La clique parisienne des “nouveaux philosophes” et assimilés entend représenter “l’espérance radicale de la disparition du mal”. L’antithèse de la pensée des maîtres penseurs, qui génèreraient l’univers concentrationnaire, se trouve tout entière concentrée dans le discours sur les droits de l’homme, inauguré par Carter, et constitue l’instrument premier pour lutter contre “l’Empire du Mal” et tous ses avatars, comme le voulaient Reagan et, plus tard, le père et le fils Bush. Le discours des “nouveaux philosophes” correspond donc bel et bien aux objectifs généraux de l’impérialisme américain, et son apparition dans le “paysage intellectuel français” n’est certainement pas l’effet du hasard: on peut sans trop d’hésitation le considérer comme une production habile et subtile des agences médiatiques d’Outre-Atlantique, fers de lance du “soft power” américain.

 

Ce glissement idéologique hors du questionnement inquiétant de la “French Theory”, a été systématiquement appuyé par les médias, qui ont écrasé toutes les nuances et les subtilités du discours politico-idéologique, pire, ne les tolèrent plus au nom d’une tolérance préfabriquée; il s’est opéré dès l’avènement de Thatcher au pouvoir à Londres et s’est considérablement renforcé quand Reagan a accédé à la Présidence américaine. Le passé maoïste militant de certains exposants, majeurs ou mineurs, de la “nouvelle philosophie” de Glucksmann, Lévy et autres homologues avait permis à Guy Hocquenghem d’ironiser dans une “Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary”. L’image est aussi pertinente que percutante: des maoïstes, jadis rabiques admirateurs sans fard des excès de la “révolution culturelle”, sont effectivement devenus “salonfähig”, dès le rapprochement sino-américain de la première moitié des “Seventies”. Dénominateur commun: l’anti-soviétisme. Ce soviétisme que leurs camarades trotskistes appelaient, pour leur part, le “panzercommunisme”. Donc, on peut aisément conclure que nos anciens révolutionnaires trotskistes ou maoïstes des barricades parisiennes avaient bien davantage que quelques points en commun avec Zbigniew Brzezinski. Celui-ci, rappellons-le, était l’avocat, au sein de la diplomatie américaine, d’une nouvelle alliance avec la Chine et le principal partisan d’une destruction de l’URSS par démantèlement de ses glacis caucasiens et centre-asiatiques. Plus tard en Afghanistan, il préconisera une alliance avec les mudjahiddins et, finalement, avec les talibans.

 

Le grand retour de la pensée slavophile

 

En Union Soviétique, la période qui va de 1978 à 1982 (année de la disparition de Brejnev) est marquée par une tout autre évolution intellectuelle. On assistait à une véritable “révolution conservatrice”, à un retour aux sources de la “russéité”, aux linéaments de la slavophilie du 19ème siècle, à un retour de Dostoïevski. La figure emblématique de ce renouveau “völkisch” (folciste) et slavophile a été sans conteste l’écrivain Valentin Raspoutine (10). Pour cet écrivain aux accents ruralistes, les notions de mémoire, de souvenir, de continuité sont cardinales et primordiales. Pour Raspoutine, la conscience n’est telle que parce qu’elle se souvient et s’inscrit dans des continuités imposées par le flux vital (et donc par l’histoire particulière du peuple dont le “je” fait partie). Une action humaine n’est justifiable moralement que si elle s’imbrique dans une continuité, que si elle lutte contre les manigances de ceux qui veulent, par intérêt particulier ou égoïste, provoquer des discontinuités. Le thème littéraire du déracinement et de l’aliénation (par rapport aux origines) implique celui de la perte simultané de l’intégrité morale. On l’avait déjà lu chez le Norvégien Knut Hamsun. L’oubli de son propre passé plonge l’homme dans la dépravation morale, la laideur d’âme.

 

Cette position philosophique fondamentale heurte de front les idéologies modernes de la “tabula rasa”, dont le communisme fut l’avatar le plus caricatural. Du jacobinisme ou du babouvisme français de la fin du 18ème siècle au communisme, court, sans discontinuité aucune, un fil rouge qui ne produit rien de bon, rien que germes et bacilles de déclin et de dépravation. Au moment où l’Union Soviétique atteignait son apogée, le faîte de sa puissance, et justifiait son existence et ses succès par une idéologie “progressiste” qui avait la prétention de laisser derrière elle tous les legs du passé, émergeait au sein même de la société soviétique un éventail de thèmes littéraires dont la teneur philosophique était radicalement différente de l’idéologie officielle. Je me souviens encore, dans ce contexte, avoir acheté, à la “Librairie de Rome”, avenue Louise, et à la “Librairie du Monde Entier”, gérée par le PCB, un exemplaire de “Sciences sociales”, revue de l’Académie de l’Union Soviétique, avec un long article de Boris Rybakov sur le paganisme russe avant la conversion au christianisme, et l’exemplaire de “Lettres soviétiques” consacré à la réhabilitation de Dostoïevski et édité, à l’époque, par Alexandre Prokhanov, l’éditeur de “Dyeïenn” et “Zavtra”, que j’allais rencontrer à Moscou en 1992. Les textes de Rybakov paraîtront dans les années 90 aux PUF.

 

“Occidentalistes” et “Slavophiles” dans la dissidence et dans l’établissement

 

Outre les articles de Wolfgang Strauss en Allemagne (11), l’ouvrage le plus significatif, à l’époque, qui explicitait, en le critiquant de manière fort acerbe, ce renouveau slavophile était dû à la plume d’un dissident exilé aux Etats-Unis: Alexander Yanov (graphie allemande: Janow), attaché à l’Institute of International Studies de Berkeley (Université de Californie). Pour donner ici les grandes lignes de l’ouvrage de Yanov (12), disons qu’il subdivisait, de manière assez binaire, le paysage politico-intellectuel de l’URSS de Brejnev, comme le champ d’affrontement entre “Zapadniki” (“occidentalistes”) et “Narodniki” (“populistes” voire “völkische/folcistes” ou, plus exactement, ce que nous appellons, nous, en Flandre, les “volkgezinden” ou au Danemark, les “folkeliger”). Yanov, émigré aux Etats-Unis se posait incontestablement comme un occidentaliste et fustigeait les nouveaux Narodniki ou néo-slavophiles, en les campant comme “dangereux”. Yanov, cependant, expliquait à ses lecteurs américains que la dissidence soviétique comptait en son sein des “zapadniki” et des “narodniki” (dont il convenait de se défier, bien entendu!), tout comme dans les hautes sphères du pouvoir soviétique où se côtoyaient également occidentalistes et populistes. Parmi les grandes figures qui tendaient vers le populisme, Yanov comptait Soljénitsyne. Sa conclusion? En URSS, fin des années 70, les populistes et les étatistes avaient gagné du terrain, par rapport aux occidentalistes, et constituaient in fine la force métapolitique majeure en Union Soviétique, une force certes non officielle et sous-jacente, mais néanmoins déterminante. Cette domination implicite des “Narodniki” sur les esprits devait, selon Yanov et bon nombre de dissidents occidentalistes, inciter les Etats-Unis et les atlantistes à la vigilance car, communiste ou non, la Russie demeurait un danger parce que son essence était intrinsèquement “dangereuse”, rétive aux formes “civilisées” de la gouvernance à l’occidentale ou à l’anglo-saxonne. Cette attitude “russophobe”, Soljénitsyne la fustigera avec toute la véhémence voulue, dans son tonifiant pamphlet “Nos pluralistes”. Nous nous empressons d’ajouter que la critique du “narodnikisme” sous toutes ses formes, nouvelles ou anciennes, et que les tirades haineuses que Soljénitsyne lui-même a dû essuyer, démontrent, toutes, que la russophobie qui visait les tsars du dix-neuvième siècle ou qui se profilait derrière un certain anti-soviétisme n’est pas prête à disparaître dans les discours occidentaux.

 

L’époque de la fin du brejnevisme était donc marquée par la nouvelle alliance sino-américaine, par le déploiement des thèses de Brzezinski chez les stratégistes du Pentagone et des services secrets, par la mise en place d’une russophobie déjà post-soviétique dans ses grandes lignes, et ensuite par l’alliance entre les Etats-Unis et les fondamentalistes wahhabites et, enfin, par l’élimination du Shah avec la création, de toutes pièces, d’un chiisme fondamentaliste et offensif en Iran. La carte du monde s’en trouve sensiblement modifiée: la cassure nette et duale, propre de l’hégémonisme duopolistique de Yalta, fait place à une plus grande complexité, notamment par l’avènement du facteur islamiste, voulu, dans un premier temps, par les stratégistes américains. Forts de cette alliance avec les mudjahhidins afghans, armés de missiles Stinger, les Etats-Unis tentent d’avancer leurs pions en Europe en déployant leurs fusées Pershing en Allemagne, face aux SS-20 soviétiques. En cas d’affrontement direct entre l’OTAN et le Pacte de Varsovie, l’Allemagne, le Benelux, l’Autriche, l’Alsace et la Lorraine risquaient d’être vitrifiés. Cette éventualité, peu rassurante, fit aussitôt renaître en Allemagne le mouvement neutraliste, oublié depuis les années 50. Pour nous, le mouvement neutraliste a été incarné principalement par la revue allemande “Wir Selbst”, fondée en 1979 par Siegfried Bublies dans l’intention de dégager le mouvement national de sa cangue passéiste, de ses nostalgies stériles et de ses rodomontades ridicules. Bublies entretenait en Flandre des relations amicales avec les fondateurs de la revue “Meervoud” qui existe toujours.

 

De la rhétorique des “droits de l’homme” à la guerre permanente

 

Le combat contre le déploiement des missiles en Europe a connu son apogée dans les années 1982-83, portée essentiellement par une gauche pacifiste, que l’on accusait d’être “crypto-communiste” et, par conséquent, d’être stipendiée par Moscou. Mais cette hostilité au bellicisme de l’OTAN n’était pas le propre des seuls mouvements pacifistes de gauche et d’extrême gauche. Ailleurs sur l’échiquier politique, bon nombre d’esprits s’inquiétaient des nouvelles rhétoriques cartériennes et reaganiennes, qui contaminaient les milieux libéraux et conservateurs, voire d’extrême droite, et avaient pour corollaire évident de miner les principes de la diplomatie traditionnelle. En effet, la rhétorique des “droits de l’homme”, maniée dans les médias par les démocrates cartériens et les “nouveaux philosophes”, ruinait le principe cardinal de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres Etats, propre de la diplomatie traditionnelle. Quand le Républicain Reagan ajoute à cette pernicieuse rhétorique “immixtionniste”, le langage apocalyptique des fondamentalistes religieux américains, les principes de la diplomatie metternichienne, la logique des traités de Westphalie et de Vienne, reculent encore d’une case. Le processus de déliquescence de la diplomatie classique s’achèvera quand les néo-conservateurs de l’entourage de Bush-le-Fils, décrèteront tout de go que le respect de ces principes est un “archaïsme frileux”, indigne des Américains, posés comme “les fils virils du dieu Mars”, et l’indice le plus patent de la lâcheté de la “Vieille Europe”, gouvernée par “les pleutres fils de la déesse Vénus”. Pour nous, à partir de 1983-84, ce sera le Général Jochen Löser, ancien Commandeur de la 24ème Panzerdivision de la Bundeswehr, qui énoncera les lignes directrices de nos argumentaires (13) : la rhétorique des “droits de l’homme” rend impossible l’exercice de la diplomatie classique; les dissensus internes, qu’elle exploite via les médias et les agences qui les informent, ne trouvent plus aucune solution équilibrée, s’en trouvent pérennisés, inaugurant de la sorte des cycles de “guerres longues”; les “droits de l’homme”, contrairement aux apparences, n’ont pas été hissés au rang d’idéologie dominante pour faire triompher sur la planète entière un humanisme de bon aloi, mais pour amorcer un processus infini de guerres, de révolutions et de troubles.

 

Le mouvement neutraliste, tel que nous le concevions au début des années 80, reposait donc sur trois piliers: 1) le refus du déploiement de missiles en Europe, afin d’éviter la transformation définitive de notre sous-continent en “son et lumière”; 2) le refus de perpétuer la logique des blocs, avec la dissolution de l’OTAN et du Pacte de Varsovie et la création d’un vaste espace neutre en Europe centrale, de la Mer du Nord à Brest-Litovsk et de la Laponie à l’Albanie; cet espace neutre devait organiser un système défensif performant sur le mode helvétique; il ne refusait donc ni les forces armées ni le principe du citoyen-soldat à l’instar des pacifistes de gauche; 3) il entendait revenir aux principes de la diplomatie classique et refusait de ce fait d’embrayer sur les discours imposés par les médias (ou le “soft power”). Le neutralisme, en prenant le contre-pied du prêt-à-penser médiatique, s’avérait un espace de liberté, face à la “novlangue” planétaire, si bien fustigée par George Orwell dans “1984”.

 

Nous avons eu la naïveté de croire à l’avènement d’une “Maison Commune” européenne

 

Si le mouvement neutraliste avait pu distiller ses arguments pendant une période plus longue, imprégner plus durablement les esprits, la pensée politique diffuse en Europe aurait pu générer des anti-corps. Mais l’effervescence anti-missiles et les réflexions neutralistes se sont étalées sur quatre années seulement. Dès 1984-85, Gorbatchev lance deux idées: celle, très positive, de “Maison Commune européenne” et, celle, double, de “perestroïka” et de “glasnost”, de réforme et de transparence. Ce changement de discours à Moscou mine définitivement le communisme soviétique traditionnel. Entre 1989 et 1991, en effet, le communisme en tant que bloc monolithique disparaît du paysage politique international. Notre conclusion à l’époque: s’il n’y a plus de communisme, il ne peut plus y avoir d’animosité à l’endroit des peuples d’au-delà de l’ancien Rideau de Fer. Les motifs d’un conflit éventuel n’existaient plus. Nous avons eu la naïveté de croire à l’avènement d’une Maison Commune européenne pacifiée, à l’ouverture d’une ère marquée par un esprit plus ou moins équivalent à celui qui se profilait derrière l’idée de paix perpétuelle chez Kant.

 

Rapidement, l’idée universaliste armée du communisme soviétique allait faire place à un néo-conservatisme, dérivé de la matrice du trotskisme américain et new-yorkais. Alliant le néo-libéralisme, nouvelle grande idéologie universaliste, à ce trotskisme fidèle à la notion de révolution permanente mais habilement masqué par une phraséologie conservatrice et puritaine, le néo-conservatisme va se  consolider en deux étapes: la première, avec Reagan, constituera un “mixtum” de paléo-conservatisme, d’anti-fiscalisme, de néo-libéralisme et, en politique internationale, d’une diplomatie en apparence plus classique qu’avec les droits de l’homme de Carter mais néanmoins érodée par une phraséologie apocalyptique (l’Empire du Mal, etc.). Reagan prend finalement le relais de Nixon, dernier président américain à avoir appliqué plus ou moins correctement les règles de la diplomatie classique. Mais, tout en prenant le relais de Nixon, il doit tenir compte des acquis ou des avancées de l’anti-diplomatie cartérienne, basée sur l’idéologie des droits de l’homme. Cependant, le langage apocalyptique s’atténuera pendant son second mandat.

 

Le néo-conservatisme crypto-trotskiste met un terme définitif à la diplomatie classique

 

Avec Bush le père commencent les tentatives de forcer la main aux instances internationales et de passer à de véritables offensives sur le terrain, la Russie d’Eltsine n’opposant aucun veto crédible. Clinton renouera, notamment pendant la Guerre des Balkans contre la Serbie, avec l’idéologie des droits de l’homme, prétendument bafouée par Milosevic dans la province du Kosovo. Avec Bush le fils, le néo-conservatisme crypto-trotskiste met un terme définitif à la diplomatie classique, la brocarde comme une “vieillerie” incapacitante, propre justement de la “Vieille Europe” et de la Russie (posée souvent comme “stalinienne” ou “néo-stalinienne” depuis l’avènement de Vladimir Poutine). Ce rejet de la diplomatie classique et des règles de bienséance internationale est l’indice le plus patent qui permet de démontrer, outre les liens et itinéraires personnels des exposants majeurs du  néo-conservatisme, que le néo-conservatisme est en réalité un trotskisme dans la mesure où il affine la notion de “révolution permanente” en abolissant toutes les règles en vigueur, toutes les règles communément acceptées, et en recréant un monde incertain, où le recours aux guerres et aux invasions redevient un mode de fonctionnement tout à fait naturel et acceptable. Le “Big Stick Policy” de Teddy Roosevelt est désormais au service d’une bande trotskiste qui entend plonger le monde dans un chaos permanent (assimilé à la “révolution”).

 

C’est uniquement avec le recul que l’on perçoit clairement les vicissitudes de cette politique américaine et son jeu d’avancées et de reculs, camouflé par l’alternance des Démocrates et des Républicains au gouvernail du pouvoir. L’accession à la magistrature suprême aux Etats-Unis de Bush le père constitue aussi l’arrivée des pétroliers texans qui savent à tout moment se souvenir que la puissance américaine dérive du contrôle des hydrocarbures dans le monde, et en particulier dans la péninsule arabique et le Golfe Persique. La crainte d’un prochain “pic” pétrolier implique la volonté de contrôler le maximum de puits dans cette région afin de garantir l’hégémonie globale de Washington, au moins jusqu’à la fin du 21ème siècle. D’où le projet PNAC (“Project for a New American Century”). Les chanceleries européennes savent parfaitement que l’Amérique entend perpétuer son hégémonisme en contrôlant les sources d’hydrocarbures moyen-orientales au détriment de toutes les autres puissances du globe et que le rejet de la diplomatie classique finit par être un “modus operandi” commode pour imposer sa volonté sans discussion ni débat ni concertation. Mais ces mêmes chanceleries sont incapables d’opposer, par manque de volonté et de cohérence intellectuelle, par fascination imbécile du modèle américain, une métapolitique européenne générale, un “soft power” européen capable de distiller dans les esprits, via les médias, des raisonnements et de “grandes idées incontestables” contrairement à leur homologue américaine, “grandes idées incontestables” véhiculées par les grandes agences médiatiques d’Outre Atlantique.

 

Les “blanches vertus” du démocratisme planétaire

 

L’Amérique est maîtresse du monde non seulement parce qu’elle contrôle les hydrocarbures mais aussi et surtout parce qu’elle forge, répand et impose les opinions dominantes dans le monde, spécialement en Europe. En 1999, quand le “bon apôtre” Clinton, posé comme tel parce que “démocrate” donc de “gauche”, lance ses bombardiers contre Belgrade, les pays européens de l’OTAN emboîtent le pas sans régimber. Depuis Franklin Delano Roosevelt, le démocrate qui avait lancé la croisade contre l’Europe allemande en 1941, la “bonté” politique, les blanches “vertus” du démocratisme planétaire sont incarnées, avant tout, par les démocrates américains. Par conséquent, si on ne suit pas leurs injonctions, on plonge dans le “mal”, dans le “crypto-nazisme” ou dans une résurgence quelconque de l’hitlérisme. Cet immense simplisme est profondément ancré dans les mentalités contemporaines et malheur à qui tente de l’extirper comme une mauvaise herbe! De fait, les réseaux pro-américains sont nés, en Europe, dans les années 40, sous l’impulsion de l’Administration Roosevelt, d’obédience démocrate; l’atlantisme militant avait au départ un ancrage plutôt social-démocrate (à l’exception de Schumacher en Allemagne de l’Ouest), que conservateur ou même libéral au sens européen du terme à l’époque.

 

La participation des pays européens de l’OTAN, France chiraquienne comprise, aux bombardements des villes serbes, est l’indice d’un parfait “écervèlement politique”: la politique de Clinton et de son adjointe Madeleine Albright (qui a eu pour étudiante Condoleezza Rice; vous avez dit continuité?) réintroduisait indirectement la Turquie dans les Balkans, en détachant de la Serbie comme de la Croatie, et en dépit des peuplements serbes ou croates, les anciennes provinces ottomanes du tronc commun, induisant ainsi l’émergence d’une “dorsale islamique” de la Méditerranée à l’Egée et à la Mer Noire. Tous les Etats voisins s’en trouvaient fragilisés: la Macédoine, la partie de la Grèce entre Thessalonique et la frontière turque, la Bulgarie qui compte de dix à quinze pourcents de musulmans, souvent ethniquement turcs, sans compter la sécession du Kosovo, prévisible dès 1998. De plus, les minorités non musulmanes au sein des nouveaux Etats majoritairement musulmans sont menacées à  terme en Albanie, au Kosovo, en Macédoine.

 

La création délibérée du chaos dans les Balkans n’est pas une politique démocrate, qui s’opposerait à une politique républicaine antérieure. Elle s’inscrit bien au  contraire dans une parfaite continuité. Bush le père, Républicain, installe ses troupes en lisière de l’Irak de Saddam Hussein, contrôle l’espace aérien irakien et prépare ainsi la seconde manche, soit l’invasion totale de l’Irak, qui aura lieu, sous le règne de son fils, en 2003. Clinton, Démocrate, lui, s’empare du tremplin de l’Europe en direction du Proche et du Moyen Orient depuis l’épopée d’Alexandre le Grand. La maîtrise des Balkans et celle de la Mésopotamie participent d’une seule et même stratégie grand-régionale. L’empire macédonien-hellenistique d’Alexandre le Grand, l’empire ottoman ont toujours maîtrisé à la fois les Balkans et la Mésopotamie au faîte de leur puissance. C’est une loi de l’histoire. Les stratégistes américains s’en souviennent.

 

Les réseaux pro-américains étaient au départ socialistes

 

La guerre contre la Yougoslavie résiduaire de Milosevic en 1999, premier conflit de grande envergure en Europe depuis 1945, est donc le fait d’un président et d’une équipe issus du parti démocrate américain. C’est la raison pour laquelle les puissances européennes, grandes et petites, ont suivi comme un seul homme, contrairement à ce qui allait se passer en 2003, lors de l’invasion de l’Irak. Cette unanimité s’explique tout simplement parce que l’Europe place toujours sa confiance dans une Amérique démocrate, en se méfiant de toute Amérique républicaine. Pourquoi? Parce que, je le répète, les réseaux pro-américains ont émergé, lors de la seconde guerre mondiale, sous la double impulsion du Président américain et de son épouse Eleonor et que l’atlantisme militant, le “spaakisme” dit chez nous le Prof. Coolsaet de l’Université de Gand, avait un ancrage socialiste plutôt que conservateur (Pierre Harmel s’efforcera au contraire de se dégager de la logique des blocs, que Spaak avait bétonné).

 

En transformant le tremplin balkanique en une zone contrôlée par les Etats-Unis, le tandem Clinton/Albright neutralisait la région à son profit: celle-ci n’allait plus pouvoir constituer un atout pour le bloc centre-européen germano-centré ni pour une Russie régénérée qui aurait fait valoir ses anciens intérêts dans les Balkans. En 1999, l’Europe a perdu tous les atouts potentiels qu’elle avait gagnés à partir de 1989. Elle les a perdus parce qu’elle n’a pas cultivé le sens de son unité, parce qu’elle n’a pas une vision claire de son destin géopolitique. En 2001, suite aux “attentats” de New York, l’Amérique parachève son projet “alexandrin” en s’emparant rapidement de la zone orientale de l’antique Empire du chef macédonien. En 2003, lorque le fils Bush entend terminer le travail de son père en Mésopotamie, l’Europe semble se réveiller et crée autour de Paris, Berlin et Moscou un front du refus que les services américains fragilisent aussitôt en semant le dissensus entre cet “Axe”, nouveau et contestataire, et de petites puissances comme les Pays-Bas, la Pologne, la République Tchèque et les Pays Baltes, tout en bénéficiant de l’appui de la Grande-Bretagne et de la pusillanimité de l’Espagne et de l’Italie. On se souviendra de la distinction opérée entre “Vieille Europe”, aux réflexes dictés par la diplomatie classique, et “Nouvelle Europe”, alignée sur la logique du fait accompli des néo-conservateurs.

 

“Révolutions colorées” et pétrole

 

Les services américains et le soft power de Washington, vont s’activer pour vider l’Axe Paris Berlin Moscou de son contenu: de Villepin en France est éliminé de la course à la présidence, à la suite d’un dossier de corruption sans doute préfabriqué, au bénéfice de Sarközy, qui mènera, comme on le sait, une politique pro-atlantiste. Le social-démocrate allemand Schröder devra céder la place à Angela Merkel, plus sceptique face au bloc continental européen, plus prompte à tenir compte des exigences des Etats-Unis. Schröder demeure toutefois en place, en gérant de main de maître les relations énergétiques entre l’Allemagne et la Russie. Les révolutions orange, qui ont éclaté en Ukraine, en Géorgie, en Serbie (avec “Otpor”) ou au Kirghizistan ne sont donc pas les seules interventions des services et du soft power: en Europe occidentale aussi la politique est manipulée en sous-main, l’indépendance nationale et/ou européenne minée à la base dès qu’elle tente de s’affirmer, par le biais de la manipulation des élections et des factions. Dans l’avenir, un bloc européen indépendant devrait s’abstenir de reconnaître les gouvernements issus de “révolutions colorées”.

 

En Géorgie, le pouvoir mis en place par la “révolution des roses” a pour objectif de garantir le bon déroulement de la politique pétrolière américaine dans le Caucase et en lisière de la Caspienne. Pour les stratégistes américains, la Géorgie doit être un espace de transit pour les oléoducs et gazoducs amenant les hydrocarbures du Caucase et de la Caspienne vers la Mer Noire et vers la Méditerranée via la Turquie. De là, ils parviendraient en Europe sous le contrôle américain. Le malheur de l’Europe, c’est de ne pas avoir de pétrole. Nous devons acheter la majeure partie de nos hydrocarbures en Arabie Saoudite ou dans les Emirats par l’intermédiaire de consortiums américains. L’affrontement russo-géorgien de l’été 2008, à propos de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, a pour enjeu réel l’énergie. Pour échapper à la dépendance énergétique, l’Europe doit tenter, par tous les moyens techniques possibles, d’abord, de réduire cette dépendance pétrolière en pariant sur des sources propres comme l’énergie nucléaire et toutes les autres sources imaginables et réalisables, selon une optique de diversification adoptée mais non parachevée en son temps par la France gaullienne. Les panneaux solaires constituent une première alternative parfaitement généralisable dans notre pays: en effet, pourquoi les ménages qui constituent notre nation ne pourraient-ils pas générer leur propre électricité domestique, ou une bonne part de celle-ci, sans passer par des fournisseurs contrôlés par l’étranger comme “Electrabel”, entièrement aux mains de l’ennemi héréditaire français, qui occupe depuis trois siècles et demi près des trois quarts du territoire du Grand Lothier! Certaines voix nous disent: par année, le nombre de journées d’ensoleillement est trop restreint en Belgique par rapport à la zone méditerranéenne pour constituer une alternative au pétrole. Peut-être. Mais un pays comme la Norvège, disposant pourtant de pétrole propre, la technique des panneaux solaires génère 50% de l’énergie domestique de ses ménages dans un pays où l’ensoleillement moyen est bien plus réduit que chez nous. Notre objectif premier est la réduction graduelle de la dépendance, non pas l’obtention immédiate d’une autarcie totale.

 

Pacte de Shanghai et initiatives ibéro-américaines

 

Nous venons de voir que l’emprise américaine sur notre politique étrangère est complète. Elle détermine aussi notre politique énergétique. L’Amérique séduit les esprits (ou plutôt les masses écervelées) par le truchement de son soft power omniprésent. Le princpal danger qui nous guette dans l’immédiat en Europe est la disparition graduelle et silencieuse des espaces encore neutres. Les pays qui ont gardé le statut de neutralité lorgnent de plus en plus vers l’OTAN. Je rappelle que notre position initiale, calquée sur celle du Général Jochen Löser dans les années 80 en Allemagne fédérale, visait au contraire l’élargissement de l’espace neutre en Europe. Non le contraire! Löser entendait élargir le statut de la Suisse, de l’Autriche, de la Yougoslavie, de la Finlande et de la Suède aux deux Allemagnes, aux Etats du Benelux, à la Pologne, à la Tchécoslovaquie et à la Hongrie. Aujourd’hui, ces trois derniers  pays font partie de l’OTAN et en sont même devenus les élèves modèles. De fiers représentants de la “Nouvelle Europe”, telle que l’a définie Bush jr. L’Europe, totalement abrutie par les propagandes distillées par le soft power, ne peut constituer, pour l’instant, dans les conditions actuelles, un espace de renouveau politique, exemplaire pour la planète entière. Les seuls môles de résistance cohérents se situent aujourd’hui en Asie et en Amérique latine. En Asie, la résistance s’incarne dans le “Pacte de Shanghai” et en Amérique latine dans les initiatives du Président vénézuélien Hugo Chavez, alliant, avec les autres contestataires ibéro-américains, les corpus doctrinaux péronistes, castristes et continentalistes qui, fusionnés, permettent aux Etats ibéro-américains de créer des structures unitaires capables de refouler l’ingérence traditionnelle des Etats-Unis dans leurs affaires politiques et économiques, au nom d’une idéologie soi-disant panaméricaniste, forgée au temps de la politique du “Big stick” de Teddy Roosevelt.

 

Sans le “Pacte de Shanghai” et sans la volonté indépendantiste et continentaliste des Ibéro-Américains, la domination américaine sur le monde serait totale, comme elle est quasiment totale en Europe depuis la  liquidation du gaullisme par Sarközy et le “mobbing” systématique de la Suisse et de l’Autriche (affaires Waldheim et Haider). Les espaces potentiels de résistance se font de plus en plus rares: il reste des bribes de gaullisme en France, de bons réflexes neutralistes en Allemagne, une volonté de conserver le statut de neutralité en Autriche, en Suisse et en Suède; l’opinion  publique en Belgique, d’après un sondage récent, craint davantage les initiatives bellicistes américaines que celles de la Russie de Poutine (en dépit de la propagande russophobe du “Soir”), alors qu’en Allemagne, où la russophilie de bon nombre de cercles établis est plus solidement ancrée, Washington et Moscou sont mis sur pied d’égalité.

 

“Volksgezindheid” et solidarisme

 

Pour faire éclore un môle de résistance en Flandre, il me paraît opportun de dire aujourd’hui qu’il devrait reposer sur deux piliers: la “volksgezindheid” (le populisme au sens défini par la tradition herdérienne ou par la tradition slavophile russe) et le solidarisme. La “volksgezindheid” est un sentiment plus profond que le “nationalisme” car il ne découle pas uniquement d’une option politique mais aussi et surtout d’un amour du passé et de la culture du peuple dont on ressort. Le terme “nationalisme”, de surcroît, recouvre des acceptions bien différentes selon les pays (14). L’utiliser peut semer la confusion, tandis que le terme “volksgezind”, lui, indique bien la teneur de notre propre tradition. Le solidarisme est un terme délibérément choisi pour remplacer celui de “socialisme”, désormais grevé de trop d’ambiguïtés ou assimilé à des déviances de tous ordres qui font que les socialistes officiels sont tout sauf socialistes. Le solidarisme devra exprimer dans l’avenir un socialisme sans atlantisme (à la Spaak ou à la Claes), un socialisme sans les “consolidations” à la Di Rupo (quand il s’agissait de privatiser la RTT pour qu’elle devienne “Belgacom”), un socialisme qui défende la solidarité de tous les producteurs directs de biens et de services contre les féodalités administratives et parasitaires. Un tel solidarisme découle aussi, pour ceux qui ont encore une culture classique, de la fameuse “fable de l’estomac” de la tradition romaine: “tous les organes de la communauté populaire servent les autres et construisent de concert l’harmonie”.

 

Une volonté de renouveau politique général basée sur la “volksgezindheid” et le solidarisme fera immédiatement se dresser devant elle des ennemis implacables. L’affirmation des valeurs populaires et solidaires implique automatiquement de désigner leurs ennemis, selon la formule de Carl Schmitt. Identifions-en trois aujourd’hui: 1) les médias formatés par le soft power américain; 2) l’idéologie néo-libérale, nouvel universalisme araseur des spécificités populaires et des politiques sociales, permettant le renouveau des élites (au sens où l’entendait Gaetano Mosca et Vilfedo Pareto); 3) l’idéologie festiviste qui noie les peuples dans l’impolitisme.

 

Le cas Verstrepen

 

“Volksgezindheid” et solidarisme impliquent de lutter contre tous les phénomènes culturels qui ne découlent pas naturellement d’une matrice populaire (la nôtre ou celle d’un autre peuple réel) mais nous  sont imposés par le soft power internationaliste et cosmopolite. Un exemple: vous vous rappelez tous de ce journaliste branché, Jürgen Verstrepen, égaré, on ne sait trop pourquoi, dans le mouvement national flamand, où il s’était fait élire. Dans un entretien récent, accordé à l’hebdomadaire de variétés “Dag allemaal”, ce Verstrepen se plaignait du “passéisme” de ses co-listiers, qui chantaient des chants traditionnels, qu’il posait d’emblée comme “ringards” ou désuets, un “ringardisme” et une désuétude qui suscitait chez lui un avatar de ce même effroi ressenti par les dévots devant les oeuvres réelles ou supposées du Malin. Toute expression de la culture vernaculaire suscite donc en lui, à l’entendre, le dégoût du progressiste, pour qui rien d’antérieur aux panades médiatiques ou de différent d’elles n’a le droit d’exister. Et plutôt que d’aller se recueillir dans une belle abbaye bourguignonne, comme son parti le lui avait suggéré, il préférait flâner dans un “mall” pour se choisir des fringues branchés, des bouts de chiffon marqués d’un logo, en compagnie d’une autre députée-gadget, allergique aux racines. Inconsciemment, dans son entretien à “Dag allemaal”, Verstrepen révélait un état de choses bien contemporain: la lutte entre le vernaculaire matriciel, les racines et la culture traditionnelle, d’une part, et le médiatiquement branché, d’autre part. Reste une question: comment conciliait-il, ce Verstrepen, dans son cerveau soumis à l’homogénéisation postmoderniste, ce culte dévot du médiatiquement branché et son aspiration à lutter contre le “politiquement correct”? On ne peut aduler l’un et lutter contre l’autre: on ne peut, de notre point de vue, que les rejeter tous deux. On ne peut être atlanto-hollywoodien, succomber à la séduction du babacoolisme californocentré et se réclamer simultanément d’un “nationalisme” en lutte contre l’idéologie liberticide du “politiquement correct”. Verstrepen incarne bien l’incohérence de bon nombre de nos contemporains dans la Flandre d’aujourd’hui. Espérons que la crise va leur dessiller les mirettes. Car le soft power a promu le néo-libéralisme, cause de la crise, en même temps que les manipulations médiatiques, les modes (captatrices d’attentions) et le festivisme.

 

“Volksgezindheid” et solidarisme impliquent donc de lutter contre toutes les formes de néo-libéralisme que l’on nous a imposées depuis Thatcher et Reagan, depuis le début de la décennie 80. Nos admonestations, jusqu’ici, surtout celles, au début de notre aventure, de Georges Robert et Ange Sampieru, n’y ont rien changé. G. Robert et A. Sampieru étaient très attentifs aux productions des éditions “La Découverte” qui amorçaient déjà la critique du libéralisme outrancier qui pointait à l’horizon. Aujourd’hui, dans le monde occidental, l’américanosphère, l’espace euro-atlantique, dans la Commission européenne complètement inféodée à l’idéologie néo-libérale, la domination de cette idéologie est totale. Et la crise de ce début d’automne 2008 laisse entrevoir quelles en seront les conséquences catastrophiques, avec pour seule consolation que le système a appris à freiner les effets des crises et des récessions, à les délayer dans le temps. La crise prouve que la recette néo-libérale ne fonctionne pas: tout simplement. En attendant, les délocalisations perpétrées depuis près d’une trentaine d’années laissent l’Europe privée d’un tissu de petites et moyennes industries, pourvoyeuses de travail, et affligée d’un secteur tertiaire improductif qui n’offre que des emplois détachés du réel de la production et injecte dans les mentalités une idéologie délétère du “non-travail” (dénoncée très tôt par Guillaume Faye dans un texte que de Benoist avait refusé de publier). Cette idéologie du non-travail est aussi celle du festivisme: elle a servi d’édulcorant intellectuel pour justifier le processus de démantèlement de nos tissus industriels locaux, par le truchement des délocalisations vers l’Extrême-Orient, l’Afrique du Nord ou la Turquie (surtout le textile) et pour exalter le travail non productif du secteur tertiaire, devenu dangereusement inflationnaire.

 

Néo-libéralisme et altermondialisme

 

L’avènement du néo-libéralisme a été rendu possible par une bataille métapolitique. On se rappellera l’engouement pour Hayek, qu’on exhumait de l’oubli en même temps que les “think tanks” de Mme Thatcher dès la fin des années 70. On insistait principalement sur son pamphlet “The Road to Serfdom” et non pas tant sur les dimensions organiques (et parfois intéressantes) de sa théorie économique, axée sur la notion de “catallaxie” (laisser faire les choses naturellement sans interventions étatiques volontaristes). L’infiltration néo-libérale du discours dominant a surtout été le fait des “nouveaux philosophes”, dont nous venons d’expliciter le rôle, et de personnages ultra-médiatisés comme Jacques Attali, biographe de banquiers, et Alain Minc, propagateur principal de la nouvelle vulgate dans les gazettes conservatrices. Nul mieux que François Brune, collaborateur du “Monde Diplomatique”, n’a défini l’idéologie contemporaine, dans son ouvrage “De l’idéologie, aujourd’hui” (Ed. Parangon/L’Aventurine, Paris,  2003): “L’idéologie est omniprésente: dans les sophismes de l’image, le battage événémentiel des médias, les rhétoriques du politiquement correct, les clameurs de la marchandise. Machine à produire du consentement, elle démobilise le citoyen en le vouant à l’ardente obligation de consommer, de trouver son identité dans l’exhibition mimétique (ndlr: niet waar, Meneer Verstrepen?), sa liberté dans l’adhésion au marché, et son salut dans la ‘croissance’... C’est cela l’idéologie d’aujourd’hui: une vaste grille mentale, faussement consensuelle, qui prescrit à chacun de se taire dans son malheur conforme, et qui aveugle nos sociétés sur la catastrophe planétaire où ses modèles socio-économiques entraînent les autres peuples” (présentation de l’éditeur).

 

Le système, en lançant l’opération du néo-libéralisme dès la fin des années 70, devinait bien que cette idéologie finirait par rencontrer assez vite des résistances diverses. Deux objectifs allaient dès lors être les siens: 1) empêcher la fusion de ces résistances telles que l’avait préconisée le théoricien ex-communiste Roger Garaudy (soit empêcher les complots “rouges-bruns”, comme s’y sont employés le journal “Le Monde” de Plenel à Paris et certains cercles ou personnalités autour du PTB/PvdA en Belgique); 2) créer une résistance artificielle (l’altermondialisme), de manière à neutraliser toute résistance réelle. L’altermondialisme énonce un tas d’idées intéressantes et séduisantes. Mais il les énonce sans une assise politico-étatique et géographique précise, sans un ancrage tellurique, condition sine qua non pour lui conférer une épaisseur réelle. Tout empire, et tout challengeur d’empire, s’arc-boute sur un terrain: l’hegemon américain d’aujourd’hui ne fait pas exception. Il dispose d’un territoire aux dimensions continentales. Il pratique le protectionnisme et une bonne dose d’autarcie, tout en prêchant aux autres de ne pas adopter les mêmes attitudes et en les maintenant ainsi en état de faiblesse. Si l’hegemon développe un “réseau”, il le fait au départ d’une vaste base logistique, soit au départ de son propre territoire biocéanique, de l’Atlantique au Pacifique, et de son prolongement pacifico-arctique, l’Alaska. Pour créer l’illusion d’une résistance planétaire, les services de diversion ont forgé le concept de “réseau” (qui a séduit le “parigogot” de Benoist, l’homme qui cherche sans cesse le statut de vedette du jour, au détriment de toute rigueur de jugement).

 

Ce n’est pas le “réseau” qui est contestataire mais les vieilles strucutres étatiques et impériales

 

L’altermondialisme militant entend être le seul grand réseau contestataire de l’établissement mondial. Mais depuis les émeutes bien médiatisées de Gênes ou de Nice, on ne voit pas très bien quel ébranlement du système en place ce fameux “réseau” a pu produire. La thèse de Michael Hardt et Toni  Negri sur l’“Empire”, dont les assises seront “un jour” définitivement sapées par le “réseau altermondialiste”, s’avère un leurre. Au temps de la Guerre Froide, les services américains avaient su faire émerger des “communistes de Washington” (pour reprendre l’expression de Jean Thiriart); il recycle désormais, en la personne de Toni Negri, d’anciens “terroristes” pour une opération de diversion d’envergure planétaire, qui absorbe et neutralise la contestation, en la médiatisant, en la transformant en un pur “spectacle” (Guy Debord), car nos contemporains, formatés comme les citoyens d’Océania, dans le “1984” d’Orwell, croient davantage aux images (télévisées) qu’aux faits (vécus), au spectacle qu’au réel. La résistance au système mondialiste américano-centré ne se retrouve pas, en réalité, dans un “réseau” planétaire de contestataires “babacoolisés” ou de nervis shootés à la cocaïne mais provient bien davantage de structures étatiques et impériales classiques, profondément ancrées dans le temps passé: Groupe de Shanghai avec une Chine aux traditions politiques millénaires, une Russie de Poutine qui retrouve sa mémoire, un indépendantisme ibéro-américain dans l’esprit du Mercosur et du président vénézuélien Chavez.

 

Combattre le festivisme

 

Enfin, après le “soft power” et le “néo-libéralisme”, le troisième aspect du système général d’ahurissement des masses et de déracinement, qu’il s’agit de combattre à outrance, est représenté par l’ambiance “festiviste”, celle que dénonçait avec force vigueur le philosophe français, récemment et prématurément décédé, Philippe Muray. Dans son tout dernier ouvrage, “Festivus festivus” (Fayard, 2006), Muray prononce un réquisitoire aussi virulent que tonifiant contre ce qu’il appelle le festivisme, mode de fonctionnement des sociétés occidentales avancées. Dans le long entretien, qu’est ce livre, avec la journaliste et philosophe vraiment non conformiste Elizabeth Lévy, Muray, dans son chant du cygne, fustige une société qui fonctionne uniquement sur le mode de la fiction médiatique, un mode qui vise la désinhibition totale, l’exhibition de tout ce qui auparavant était “privé”, “intime” et “secret” (dont évidemment les attributs et les pratiques sexuels). Le pouvoir, explique Muray, s’exercera avec une acuité maximale, quand les dernières enclaves du “secret” seront divulguées et exhibées, quand les dernières limites et les dernières distances (et les distances sociales font la civilisation, la promiscuité l’abolissant) auront été franchies et supprimées. La télévision avec ses émissions exhibantes (“Loft Story”, etc.) est l’instrument de ce pouvoir qui annonce la fête permanente et l’impudeur universelle, dans l’intention d’évacuer les îlots de “sériosité”, établie ou alternative, afin d’empêcher tout retour à un passé moins trivial ou toute préparation d’un futur cohérent. L’impudeur universelle brouille toutes les frontières et annonce un amalgame planétaire de promiscuité et d’indifférenciation, sous le signe de l’infantilisme “touche-pipi” et de l’ “adultophobie”.

 

Dans un ouvrage antérieur, intitulé “Désaccord parfait”, Muray qualifiait de “société disneylandisée” toute société “où les maîtres sont maîtres des attractions et les esclaves spectateurs ou acteurs de celles-ci”. Le “soft power” va donc imaginer et préfabriquer des “attractions”, pour tuer dans l’oeuf toute pensée libre, toute spontanéité créatrice ancrée dans le génie populaire, en substituant au créateur libre et spontané issu du peuple (celui de Rabelais et des carnavals contestataires) l’animateur officiel ou subsidié, et subsidié seulement après être passé sous les fourches caudines de l’idéologie imposée, après avoir appris son unique leçon qu’il répétera jusqu’à la consommation des siècles. Le “néo-libéralisme” va prospérer en marge de cette grande fête artificielle, forgée de toutes pièces, bien encadrée par de petits flics à gueule de bon apôtre, en dépit de son  désordre apparent, qui étouffera d’emblée toute révolte vraie. Par l’action des anciens contestataires arrivés au pouvoir, le “mixtum compositum” de mai 68 se réduira ainsi progressivement à ses seules dimensions festives, libidineuses et ludiques, tirées, par les agents de l’OSS, du livre “Eros et civilisation” d’Herbert Marcuse voire des vulgates caricaturales issues du freudo-marxisme de Reich, dont ils fabriqueront un “prêt-à-penser” allant dans le sens de leurs desseins. Dans son meilleur ouvrage, désormais un classique, “L’Homme unidimensionnel”, Marcuse craignait l’avènement d’une humanité formatée, réduites à ses seuls besoins matériels; il avait raison; mais les règles de ce formatage, c’est lui, probablement à son corps défendant, qui les a fournies au système. On a formaté et on a trouvé l’édulcorant dans sa définition de l’ “éros”, que l’on a quelque peu sollicitée pour les besoins de la cause. Ce ne sont pas les rigidités du monde totalitaire du “1984” d’Orwell mais le “Brave New World” de Huxley, avec ses paradis artificiels, que l’on tente de nous infliger.

 

Mort du “zoon politikon” et mort des peuples

 

Les bourgmestres (ou “maires”) de Paris et de Berlin, Delanoë et Wowereit, ou l’échevin Simons de Bruxelles, tout le socialisme français actuel (surtout à la gauche de Ségolène Royale) ont pour objectif stratégique réel (et à peine occulté) d’occuper les “citoyens” à toutes sortes de festivités, de concerts, de happenings, de “gay prides”, de “zinneke parades”, de manifestations antiracistes ou autres, afin qu’ils ne s’occupent plus directement de politique, afin qu’ils oublient définitivement ce qu’ils sont, la trajectoire dont ils procèdent. L’objectif? Eradiquer l’essence de l’homme qui est, dit Aristote, un “zoon politikon”. Il s’agit de distraire à tout prix l’imaginaire humain de toute tradition ou réalité historique. En Occident, dans le complexe atlantiste franco-anglo-américain selon la définition qu’en donnait mon professeur Peymans fin des années 70, la domination des castes mercantiles ou du tiers-état bourgeois français, a percuté, abîmé et détruit les ressorts les plus intimes des peuples (Irlande exceptée), si bien que Moeller van den Bruck, le traducteur de Dostoïevski, pouvait affirmer que quelques décennies de “libéralisme” suffisaient pour détruire définitivement un peuple.

 

Le festivisme, mode par lequel s’exprime le despotisme contemporain, contribue à donner l’assaut final aux ressorts intimes des peuples: il en pénètre le noyau le plus profond et y sème la déliquescence. Philippe Muray, pour revenir à lui, réactualise de manière véritablement tonifiante la critique de la “société du spectacle”, énoncée dans les années 60 par Guy Debord et l’école situationniste, tout en jetant un éclairage neuf et très actuel sur le processus de dissolution à l’oeuvre dans la sphère occidentale.

 

Lega Nord et FPÖ

 

Pour articuler une résistance à l’échelle européenne, pour traduire dans les faits nos options philosophiques et nos aspirations historiques, deux partis identitaires peuvent nous servir de modèle: la Lega Nord d’Italie du Nord et la FPÖ autrichienne. Je ne vois pas grand chose d’autre. Pourquoi? Parce que ce sont les deux seuls mouvements identitaires de masse qui affichent ou ont affiché clairement des options “non-occidentistes”. La “Lega Nord” et son quotidien “La Padania” ont eu une attitude très courageuse en 1999, quand l’OTAN bombardait la Serbie. Le journal et le “Senatur” Umberto Bossi n’ont pas hésité à fustiger vertement les Américans et leurs complices bellicistes en Europe. Ensuite, à la base de cette ligue, il y a un manifeste, “Come cambiare?” (“Comment changer?”), dû à la plume du grand juriste Gianfranco Miglio. Ce manifeste dénonce les travers de la partitocratie italienne, qui est si semblable à la nôtre. Les leçons de Miglio peuvent donc être directement retenues par tout militant politique de chez nous. La clarté des arguments et des suggestions de Miglio, que j’ai eu l’honneur de rencontrer en 1995 dans sa magnifique bibliothèque privée à Côme, nous permettrait de développer rapidement l’esquisse d’un contre-pouvoir (cf.: “L’Italie toute chamboulée...”, Entretien avec Gianfranco Miglio, propos recueillis par Andreas K. Winterberger, in; “Vouloir”, n°109-113, octobre-décembre 1993;  Alessandro Campi, “Au-delà de l’Etat, au-delà des partis: la théorie politique de Gianfranco Miglio”, in: “Vouloir”, n°109-113, oct.-déc. 1993; Luciano Pignatelli, “Les idées pratiques de Gianfranco Miglio:  comment changer le système politique italien”, in: “Vouloir”, n°109-113, oct.-déc. 1993; “Quelques questions à Gianfranco Miglio”, propos recueillis par Francesco Bergomi, in: “Vouloir”, n°109-113, oct.-déc. 1993; Robert Steuckers, “La Ligue lombarde”, in: “Le Crapouillot”, nouvelle série, n°119, mai-juin 1994; “L’Etat moderne est dépassé!”, Entretien avec le Prof. Gianfranco Miglio, propos recueillis par Carlo Stagnaro, in: “Nouvelles de Synergies Européennes”, n°46, juin-juillet 2000; “Pour une Europe impériale et fédéraliste, appuyée sur ses peuples”, Entretien avec le Prof. Gianfranco Miglio, propos recueillis par Gianluca Savoini, in: “Nouvelles de Synergies Européennes”, n°48, octobre-décembre 2000).

 

Dans l’orbite de la FPÖ, l’hebdomadaire “zur Zeit”, dirigé par Andreas Mölzer à Vienne, recèle chaque semaine des pages d’actualité internationale sans concession aucune à l’américanisme ambiant. Jörg Haider est décédé ce matin dans un accident d’automobile mais, en dépit de sa rupture récente avec la FPÖ et de son option personnelle en faveur de l’adhésion turque, il demeurera pour moi l’auteur impassable du livre-manifeste “Die Freiheit, die ich meine” (= “La liberté comme je l’entends”). La partitocratie autrichienne présentait, avant les coups de butoir de la FPÖ, d’étonnantes analogies avec la nôtre. La critique générale du système politique autrichien, telle que Haider l’a formulée, est très technique comme celle de Miglio. Mais elle ne recourt à aucun langage abscons. Et suggère des pistes pour sortir de l’impasse politique. La clarté de ces manifestes a donné à la “Lega Nord” et à la FPÖ une formidable impulsion dans les débats publics et, partant, dans les batailles électorales (cf. Robert Steuckers, “Autriche: Haider, le Capitaine du pays”, in: “Le Crapouillot”, nouvelle série, n°119, mai-juin 1994; “Nous sommes en avance sur notre temps!”, Entretien avec Jörg Haider, propos recueillis par Andreas Mölzer, in: “Au fil de l’épée” recueil n°8, février 2000; “Rafraîchir la mémoire des coalisés anti-Haider!”, in: “Au fil de l’épée”, recueil n°8, février 2000; Mauro Bottarelli, “Haider contre Chirac: non à l’UE centraliste et parisienne – la bonne santé de l’économie autrichienne”, in: “Au fil de l’épée”, recueil n°12, août 2000 – article traduit du quotidien “La Padania”, 11 juillet 2000).

 

Les succès constants de ces partis, leur impact indéniable sur le débat politique et sur les réformes en cours prouvent que les deux manifestes, que j’évoque ici, recèlent bel et bien les bonnes recettes. Si elles valent pour l’Autriche et pour l’Italie, elles devraient valoir pour nous, vu que les systèmes politiques de ces deux pays et leurs dysfonctionnements sont similaires et comparables aux nôtres. Et, qui plus est, la vision géopolitique de ces deux formations est européiste et anti-atlantiste, éléments essentiels pour une critique solide et positive du système en place qu’aucun parti ou mouvement n’a repris chez nous, rendant du même coup caduque toute efficacité concrète.

 

Les hommes de gauche qui ont opéré les bon aggiornamenti...

 

Pour nous servir d’inspiration complémentaire, nous ajouterions le corpus établi par des personnalités de gauche, devenues non conformistes au fil du temps, comme la famille de Rudy Dutschke ou son compagnon Bernd Rabehl, qui s’expriment régulièrement dans l’hebdomadaire berlinois “Junge Freiheit”; ou comme Günther Rehak en Autriche, ancien secrétaire du Chancelier socialiste Bruno Kreiski; en Suisse romande, toujours dans l’arc alpin, le mouvement “Unité populaire” parvient à nous livrer chaque semaine sur l’internet des analyses ou des réflexions dignes d’intérêt pour tous ceux qui rêvent à l’avènement d’un solidarisme qui soit capable de dépasser les contradictions et les enlisements du socialisme établi. En Italie, le quotidien romain “Rinascita”, issu du nationalisme classique, se présente actuellement comme le journal de la “sinistra nazionale” et opte pour une perspective européiste et eurasiste, anti-impérialiste et anti-capitaliste. Nos sources d’inspiration ne doivent pas se limiter aux seuls mouvements qui se donnent, à tort ou à raison, les étiquettes de “national”, de “régionaliste” ou d’ “identitaire”. Des cénacles, anciennement ou nouvellement classés à gauche sur les échiquiers politiques en Europe, ont procédé avec intelligence aux bons aggiornamenti: ils ont refusé toutes les involutions en direction des pistes suggérées par la “nouvelle philosophie” et ses satellites et ont rejeté l’attitude de ceux qui, en dépit de leur vibrant militantisme d’il y a quelques décennies, demeurent, par paresse intellectuelle, des “compagnons de route” des partis sociaux-démocrates partout en Europe. La posture du “compagnon de route” est le plus sûr moyen de s’enliser, de faire du sur place, d’entrer dans la spirale infernale du déclin, un déclin engendré par le “mimétisme” qui ne produit plus aucune différence (ni “différAnce” pour faire un clin d’oeil à Derrida), mais reproduit sans cesse, sur un ton morne, le même et le même du même. C’est le plus sûr moyen de devenir les béni-oui-oui du système, ses chiens de Pavlov.

 

La création d’un espace stratégique euro-sibérien est inséparable d’un remaniement complet de nos institutions nationales, dans le sens de la “volksgezindheid” et du solidarisme, dans le sens de la critique anti-partitocratique de Miglio et Haider, afin d’immuniser totalement ces institutions contre les bacilles du soft power jacobin ou américain.

 

C’est tout ce que j’ai voulu vous dire cet après-midi.

 

Robert Steuckers,

Octobre 2008.

 

 

NOTES :

(1)     William ENGDAHL, “Pétrole – une guerre d’un siècle – L’ordre mondial anglo-américain”, Ed. Jean-Cyrille Godefroy, Paris, 2007.

(2)     La parution de cet article, dans une publication du “Parti Communautariste National-Européen” avait induit l’inénarrable comploteur parisien Alain de Benoist, via son zélé vicaire campinois, à exciter un brave citoyen allemand, membre de la “DESG” (= “Deutsch-Europäische Studiengemeinschaft”), une association basée à Hambourg qui s’apprêtait alors à fusionner avec “Synergies Européennes”, à tenter un ultime baroud (de  déshonneur) pour torpiller cette fusion. L’homme, honnête, naïf et manipulé, a échoué dans ses manoeuvres. Il s’est dûment excusé quelques mois plus tard, à l’occasion d’un séminaire DESG/Synergies sur les relations germano-russes et euro-russes et sur la problématique de l’eurasisme, tenu à Lippoldsberg. Il avait enfin compris que l’instigateur de cette bouffonerie était un comploteur pathologique et que son vicaire n’était qu’un pauvre bas-de-plafond. Forcément: pour servir un tel maître...

(3)     Cf. L. SIMMONS, “Van  Duinkerke tot Königsberg – Geschiedenis van de Aldietsche Beweging”, Uitgeverij B.  Gottmer, Nijmegen,1980. Voir également: Alan SPANJAERS, “Constant Hansen”, in: “Branding”, n°2/2008.

(4)     Dexter PERKINS, “Storia della dottrina di Monroe”, Il Mulino, Bologna, 1960.

(5)     Alain GOUTTMAN, “La Guerre de Crimée 1853-1856, la première guerre moderne”, Perrin, 1995; vor également : “The Collins Atlas of Military History”, Collins, London, 2004.

(6)     Jacques HEERS, “Les Barbaresques - La course et la guerre en Méditerranée – XIV°-XVI° siècle”, Perrin, Paris, 2001-2008.

(7)     Robert STEUCKERS, “Constantin Frantz”, in: “Encyclopédie des Oeuvres philosophiques”, PUF, 1992.

(8)     Richard MOELLER, “Russland – Wesen und Werden”, Goldmann, Leipzig, 1941.

(9)     L’ouvrage le plus complet pour aborder cette thématique si complexe est le suivant: Gerd KOENEN, “Der Russland-Komplex – Die Deutschen und der Osten 1900-1945”, C. H. Beck, Munich, 2005.

(10)  Günther HASENKAMP, “Gedächtnis und Leben in der Prosa Valentin Rasputins”, Otto Harrassowitz, Wiesbaden, 1990.

(11)  Wolfgang STRAUSS, “Die Neo-Slawophilen – Russlands konservative Revolution”, in: “Criticon”, Munich, n°44, 1977. Cf. Robert STEUCKERS, “Wolfgang Strauss: les néo-slavophiles ou la révolution conservatrice dans la Russie d’aujourd’hui”, in “Pour une renaissance européenne”, Bruxelles, n°21, 1978.

(12)  Alexander YANOV, “The Russian New Right – Right-Wing Ideologies in the Contemporary USSR”, Institute of International Studies, University of California, Berkley, 1978.

(13)  Cf. Robert STEUCKERS, “Adieu au Général-Major Jochen Löser”,  in: “Nouvelles de Synergies  Européennes”, n°50, mars-avril 2001. Cf.  également: Detlev KÜHN, “En souvenir d’un soldat politique de la Bundeswehr: le Général-Major Hans-Joachim Löser”, ibidem. Ces deux textes figurent sur: http://euro-synergies.hautetfort.com .

(14)  Cf. nos deux études sur le nationalisme: Robert STEUCKERS, “Pour une typologie opératoire des nationalismes”, in: “Vouloir”, n°73/74/75, printemps 1991; Robert STEUCKERS, “Pour une nouvelle définition du nationalisme”, in: “Nouvelles de Synergies Européennes”, n°32, janvier-février 1998 (texte d’une conférence prononcée à Bruxelles le 16 avril 1997). On  peut lire ces deux textes sur: http://euro-synergies.hautetfort.com.

Der Zweite Weltkrieg hatte viele Väter

Tweede_wereldoorlog_inval_in_Polen_1939.png

Der Zweite Weltkrieg hatte viele Väter

Die Kriegsursachen waren komplexer, als es die gängige Schwarzweißmalerei erscheinen lässt

Ex: http://www.ostpreussen.de

Wir nähern uns dem 1. September und damit einem für unser Volk sehr bedeutsamen Tag, dem 70. Jahrestag des Kriegsbeginns. Jedem Deutschen ist dieses Datum durch Schulbücher, eine umfangreiche Geschichtsliteratur sowie durch Film- und Fernsehproduktionen ein Begriff. Das Bild, das sich dabei in den Jahrzehnten dieser Geschichtspräsentationen in unseren Köpfen festgesetzt hat, ist so eingängig und „schwarz-weiß“ wie es verzerrt ist und in Teilen falsch.

Dieses Bild zeigt ein Deutschland, das 1939 über Polen herfällt, eine Sowjet­union, die sich die Hälfte Polens raubt, und ein Polen, das dabei nur Opfer ist. Was diese Darstellungen der Geschichte in aller Regel auslassen, sind die Gründe, die zur Kriegseröffnung führten, die sich fast ein Jahr hinziehenden Bemühungen der damaligen deutschen Regierung, die deutsch-polnischen Probleme auf dem Kompromisswege zu lösen, sowie die intensiven und frühen Kriegsvorbereitungen auch in Polen.

Der Vertrag von Versailles hatte dem Deutschen Reich und Polen drei Problembereiche hinterlassen. Zum ersten wurde die zu 97 Prozent deutsch bewohnte Hansestadt Danzig von Deutschland abgetrennt und zur teilsouveränen Republik „Freie Stadt Danzig“ erklärt. Damit wurde sie zu einem eigenen Staat gemacht. Die Hypothek, die die Sieger den Danzigern dabei mitgegeben hatten, bestand darin, dass sie der Republik Polen besondere Zoll-, Post-, Bahn- und Handelsrechte in Danzig eingeräumt sowie die außenpolitische Vertretung Danzigs übertragen hatten. Ansonsten stand die Freie Stadt unter dem Protektorat des Völkerbunds, also der Siegermächte selbst.

Die Republik Polen begann alsbald, eine Vielzahl von Behörden im Freistaat einzurichten. Die Mischung polnischer und Danziger Behörden in den Bereichen Post, Bahn, Zoll und Wasserstraßen erzeugte ein endloses Kompetenzgerangel. Als der Staat Polen in den Folgejahren versuchte, sich Danzig in einer Serie vieler kleiner Schritte einzuverleiben und den Hohen Kommissar des Völkerbundes mit immer neuen Forderungen bombardierte, um den in Versailles erhobenen Anspruch auf Danzig doch noch durchzusetzen, erwies sich, dass dieses Konstrukt eines selbständigen Kleinstaats mit vielen ihm entzogenen Hoheitsrechten auf Dauer so nicht lebensfähig war.

Polen musste sich in den 20er Jahren wiederholte Male vom Völkerbund belehren lassen, dass es keine Oberherrschaft über Danzig auszuüben habe. Der Rat des Völkerbunds in Genf musste sich bis 1933 106mal mit Streitfällen zwischen Polen und der Freien Stadt befassen. Die Streitigkeiten zwischen Danzig und der Republik Polen nahmen bis zum Kriegsbeginn kein Ende.

Das zweite Faktum war, dass der größte Teil Westpreußens mit immerhin 70 Prozent deutscher Bevölkerung und der Provinz Posen mit noch 38 Prozent Deutschen sowie ein Teil Oberschlesiens von Deutschland abgetrennt und Polen zugesprochen worden waren. Damit waren rund zwei Millionen deutsche Bürger gegen ihren Willen polnische Staatsbürger geworden.
Als 1938 erst Österreich und dann die Sudetengebiete mit dem Deutschen Reich vereinigt wurden, stieg die Angst der Polen, Deutschland könnte auch von ihnen Land und Menschen aus dem Bestand des alten Deutschen Reichs zurückverlangen. Die Feindschaft der Polen gegen ihre deutsche Minderheit nahm wieder einmal scharfe Formen an. Terrorakte gegen Deutsche, die Zerstörung deutscher Geschäfte, die Schließung deutscher Firmen und die Brandstiftungen an deutschen Bauernhöfen nahmen 1939 ständig zu. Die Lage wurde unerträglich. Im Sommer 1939 schwoll die Zahl der Volksdeutschen, die dem entkommen und Polen „illegal“ verlassen wollten, ständig an. Bis Mitte August waren über 76000 Menschen ins Reich geflohen und 18000 zusätzlich ins Danziger Gebiet. Die Berichte über den Umgang der Polen mit ihrer deutschen Minderheit und die Schilderungen der Geflohenen waren Öl aufs Feuer des deutsch-polnischen Verhältnisses in den letzten Wochen und Tagen vor dem Kriegsausbruch.

Die dritte deutsch-polnische Belastung ergab sich ebenfalls aus der erzwungenen Abtretung Westpreußens an Polen. Damit entstand ein polnischer Landstreifen zwischen dem Kern des Deutschen Reichs und der von nun an von Deutschland abgetrennten Provinz Ostpreußen. Es entstand der „polnische Korridor“. Auf diese Weise hingen Ostpreußens Wirtschaft und besonders seine Energieversorgung auf einmal von den Verkehrswegen durch nun polnisches Gebiet ab. 1920 war dazu vertraglich festgelegt worden, dass die Verkehrsverbindungen nach Ostpreußen für Personen, Waren und vor allem Steinkohle aus Oberschlesien über acht Eisenbahnstrecken durch Polen laufen sollten, und dass die Transitgebühren dafür in Zloty zu entrichten wären. Während und nach der Weltwirtschaftskrise nahm Deutschland im Außenhandel jedoch nicht mehr genug Zloty ein. Um die Gebühren zu entrichten, überwiesen die deutschen Behörden die an Zloty fehlenden Beträge monatlich in Reichsmark. Doch Polen sah darin einen Vertragsbruch, was es streng nach dem Vertragstext ja auch war, und schloss zur Strafe ab 1936 eine Bahnverbindung nach der anderen. 67 Prozent der Eisenbahntransporte jedoch dienten der Energieversorgung Ostpreußens. Sie fuhren Kohle aus Oberschlesien für Industrie, Gewerbe, den Hausbrand und die Stromerzeugung in die abgeschnittene Provinz. Schließlich drohte die polnische Seite damit, bei weiterhin unvollständigen Zloty-Überweisungen auch die letzten Strecken zwischen Ostpreußen und dem Reichsgebiet zu schließen. Damit wäre Ostpreußen von seiner Energieversorgung abgeschnitten und dem wirtschaftlichen Ruin preisgegeben worden. So kam im Reichswirtschaftsministerium die Idee auf, mit den Polen statt über Zloty-Zahlungen über exterritoriale Verkehrsverbindungen von Pommern nach Ostpreußen in deutscher Hoheit und Regie zu sprechen.

Mit den drei Problemen, der Gründung eines eigenen Staates Danzig, mit der Zwangsunterstellung von zwei Millionen Deutschen unter Polens Herrschaft und mit der territorialen Abtrennung des Landesteiles Ostpreußen vom deutschen Kernland hatten die Siegermächte in Versailles so viel Konfliktstoff für Deutschland und für Polen aufgetürmt, dass ein gedeihliches Nebeneinander der zwei Nachbarstaaten ohne spätere Korrekturen fast ausgeschlossen war.

Nachdem Adolf Hitler Warschau im September 1938 im Streit mit Prag um das Gebiet von Teschen unterstützt hatte, sah er den Zeitpunkt als günstig für eine deutsch-polnische Verständigung an. Er ließ Verhandlungen mit Polen um Danzig, die Transitwege durch den Korridor und die Einhaltung der Minderheitenrechte der Deutschen in Polen eröffnen. Sein erstes Angebot: die Anerkennung der polnischen Gebietserwerbungen seit 1918 und die Verlängerung des deutsch-polnischen Freundschaftsvertrages von zehn auf 25 Jahre. Im Januar 1939 legte Hitler noch einmal nach. Er schlug vor: „Danzig kommt politisch zur deutschen Gemeinschaft und bleibt wirtschaftlich bei Polen.“

Am 14. März 1939 beging Hitler seinen großen Fehler. Er erklärte die Tschechei entgegen früher gegebenen Versprechen zum deutschen Protektorat und ließ sie besetzen. Nun brauchten die Briten Verbündete gegen Deutschland. Sie boten Polen einen Beistands­pakt an. Polen schloss Ende März 1939 einen Vertrag mit England, machte seine Truppen teilweise mobil und verdoppelte seine Truppenstärke, stellte sieben Armeestäbe auf und ließ Truppen in Richtung Ostpreußen aufmarschieren. Das alles im März 1939.

Hitler reagierte. Er gab am 3. April 1939 der Wehrmacht erstmals den Befehl, einen Angriff gegen Polen vorzubereiten.
Nun herrschte Eiszeit zwischen Deutschland und Polen. Die polnische Regierung erklärte, der Status der Freien Stadt Danzig beruhe ja nicht auf dem Vertrag von Versailles, sondern auf der jahrhundertelangen Zugehörigkeit Danzigs zu Polen, und Posen und Westpreußen gehörten de jure und de facto längst zu Polen. Die angebotene deutsche Anerkennung sei keine Gegenleistung.

Hitler bat danach die englische Regierung, für Deutschland bei den Polen zu vermitteln. Am 30. August 1939 machte Hitler Polen einen 16-Punkte-Vorschlag. Er schlug als wesentliche Punkte vor: „Die Bevölkerung im Korridor soll in einer Volksabstimmung unter internationaler Kontrolle selbst entscheiden, ob sie zu Polen oder zu Deutschland gehören will. Der Wahlverlierer bekommt exterritoriale Verkehrswege durch den Korridor. Bleibt der Korridor bei Polen, erhält Deutschland exterritoriale Verkehrswege nach Ostpreußen; geht der Korridor an Deutschland, bekommen die Polen exterritoriale Verkehrswege zu ihrem Hafen an der Ostsee, nach Gdingen.“ Und – auch das gehört zum Vorschlag – „der Hafen und die Stadt Gdingen bleiben unabhängig vom Wahlausgang bei Polen, damit Polen einen Ostseehafen hat. Und Polen behält außerdem seine Handelsprivilegien in Danzig.“ Das war der letzte deutsche Vorschlag vor dem Krieg.

Es bleibt noch nachzutragen, dass Polen seinen Kriegsaufmarsch mit der Mobilmachung am 23. März 1939 eingeleitet hatte, während die ersten neun deutschen Heeresdivisionen erst drei Monate danach, am 26. Juni 1939 an die deutsch-polnischen Grenzen verlegt worden waren. Soweit zum deutschen „Überfall“ auf Polen.

Wenn Polen Hitlers Kompromissvorschlag vom Januar 1939, „Danzig kommt politisch zur deutschen Gemeinschaft und bleibt wirtschaftlich bei Polen“, akzeptiert hätte, hätten sich wahrscheinlich auch die andern zwei deutschen Differenzen mit Polen überwinden lassen. Dann wäre Europa der furchtbare Zweite Weltkrieg vielleicht erspart geblieben. 
 Gerd Schultze-Rhonhof

Der Autor dieses Beitrages ist Verfasser des Buches „1939 – Der Krieg, der viele Väter hatte – Der lange Anlauf zum Zweiten Weltkrieg“, 6., verbesserte und erweiterte Auflage, Olzog, München 2007 gebunden, 608 Seiten.

von Gerd Schultze-Rhonhof

Veröffentlicht am 28.08.2009

mercredi, 12 août 2009

Escudé y la identitad iberoamericana

 

amerique.jpg

                       

 

 

  

Escudé y la identitad iberoamericana

Alberto Buela

La pregunta por la identidad es una de las más reiteradas en la ecúmene iberoamericana. Las razones de tamaña reiteración son muchas y variadas, como lo son las respuestas y los autores.

En Argentina han descollado sobre el tema autores conocidos como Borges y desconocidos como Murena, ingeniosos como Castellani y torpes como Martínez Estrada, nacionalistas como Gálvez y liberales como Massuh, religiosos como Marechal y antirreligiosos como Raurich pero lo que no había ocurrido hasta ahora era que hombres con carencia de enjundia intelectual se ocuparan del tema, como es el caso del artículo de Carlos Escudé (*) La identidad hispanoamericana aparecido en La Nación diario el 5/8/09.

 

La tesis del autor es en Nuestra América se habla castellano porque Gutemberg en 1455

inventó la imprenta.

Y además agrega la siguiente genialidad: “Que Argentina y Chile jamás han liberado una guerra (por hablar en castellano). En cambio desde que nosotros somos independientes Francia y Alemania han protagonizado tres…El origen de la diferencia fue la presencia o ausencia de la imprenta al momento de producirse los colapsos imperiales que hicieron posible el nacimiento de estos Estados”.

 

En nuestros largos años de lecturas pocas veces pudimos encontrar en un breve párrafo tanta cantidad de sandeces y errores. Y sobre todo proviniendo de un politólogo renombrado y publicitado por uno de los diarios más reconocidos de lengua castellana como La Nación.

 

En primer lugar Chile y Argentina no liberaron nunca una guerra porque la diferencia exponencial entre uno y otro es inconmesurable. Y los chilenos lo saben y los argentinos también. Chile no va a iniciar una aventura bélica que en principio puede serle favorable (en  24 hs. podría instalarse en San Rosa) pero sabe que finalmente fracasa, y Argentina no tuvo ni tiene ninguna necesidad geopolítica de invadir Chile.

 

En segundo lugar es falso que desde 1810 hasta el presente no hayamos tenido guerras los Estados de lengua castellana en América. Para limitarnos a América del Sur, nosotros tuvimos la guerra del Pacífico entre Chile(1879-1884) por un lado y Bolivia y Perú por el otro; la guerra de la Triple Alianza(1864-1870) que enfrentó al Paraguay contra Argentina y Brasil y la guerra del Chaco(1932-1935) donde lucharon Bolivia contra Paraguay. Peor aún, la guerra de la Triple Alianza es considerada como la primera guerra vae victis  de la modernidad.

 

En tercer lugar, en el siglo XV, momento de aparición de la imprenta, España está por entrar en su plenitud imperial y no en su colapso.

 

Vaya un pequeño comentario, para no gastar pólvora en chimangos, como comúnmente se dice cuando el tema no da para más.

España descubre América 37 años después del nacimiento de la imprenta y ya en 1472 comienza con la edición de sus primeros libros. En América la primera imprenta se establece en 1536 en México y al poco tiempo se funda la primera universidad en 1538 en Santo Domingo. Y el mayor trabajo de las imprentas americanas fue la publicación de catecismos y textos religiosos en las lenguas indígenas. Al respecto en un brillante artículo de Vittorio Messori América: ¿lenguas cortadas?  Afirma: “ En el virreinato más importante, el de Perú, en 1596 en la Universidad de Lima se creó una cátedra de quechua, la «lengua franca» de los Andes, hablada por los incas. Más o menos a partir de esta época, nadie podía ser ordenado sacerdote católico en el virreinato si no demostraba que conocía bien el quechua, al que los religiosos habían dado forma escrita. Y lo mismo pasó con otras lenguas: el náhuatl, el guaraní, el tarasco...”

Hay que saber que en el momento de nuestra independencia, alrededor de 1810, solo cinco millones de americanos hablaban castellano.

En realidad la imposición del castellano como lengua obligatoria nace a partir de esta fecha por parte de las oligarquías criollas ilustradas y afrancesadas. Hay que decirlo con todas las letras,  la monarquía católica española tomó muy en serio la evangelización de América y por eso obligó al esfuerzo de predicar el evangelio en las lenguas de los aborígenes, mientras que  por el contrario son los filósofos de la ilustración y la masonería inglesa y francesa que ejercen influencia total sobre las oligarquías locales para dejar de lado la inculturación del evangelio y con ello mismo, abandonar el uso de las lenguas telúricas.

 

Como vemos estas tesis de Escudé no solo son erróneas sino totalmente infundadas. Es una pena que el empobrecido Estado argentino gaste dinero a través del Conicet en semejante papanatas. Es de desear, ahora que se convirtió,  sea el Estado de Israel, que tiene más dinero que el nuestro, quien lo beque o le pague el sueldo.

 

 

(*) Politólogo, cuyo rasgo distintivo no es su producción en ciencias políticas sino el haberse convertido al judaísmo. ¿Cómo deben de sentirse “los paisanos serios” con semejante conversión?

Une nouvelle approche de la tourmente du III° siècle

51y1cLsF4uL._SS500_

 

Une nouvelle approche de la tourmente du III° siècle

« Dans les temps de crise que nous vivons, en ce début d’année 2009, il est agréable de se dire qu’à un moment de leur histoire des hommes ont été heureux… » Nous sommes au IIe siècle. Les Antonins ont fait de Rome une puissance insurpassable. La stabilité politique des institutions d’essence monarchique assure aux peuples de l’Empire, au moins jusqu’à Commode (180-192), sécurité et prospérité. La « Pax romana » règne partout. Elle dispose d’un instrument de fer : de 350.00 à 400.000 soldats, dont quelques 150.000 légionnaires postés pour l’essentiel aux frontières, face aux Barbares. Et c’est pourtant en pleine gloire, au faîte de sa puissance, que l’Empire romain va être touché au cœur.

Crise militaire, crise globale

La crise du monde romain au IIIe siècle est avant tout militaire. C’est l’affaiblissement de l’institution centrale de l’empire qui provoque en chaîne, et se nourrit par la même occasion, des crises politique, économique, financière, sociale et même religieuse – la « quête de sens » étant une constante des périodes troublées. Si tous les historiens s’accordent sur cet enchaînement des causes et des conséquences, rares sont les chercheurs à avoir tenté d’expliquer « comment un corps aussi solidement bâti que l’armée romaine a pu recevoir des coups aussi violents, être secoué dans d’aussi terribles difficultés ». C’est à ce choc initial, cette matrice de toutes les crises, que s’attache Yann Le Bohec avec le talent, l’érudition et l’humour qu’on lui connaît. Son ouvrage, pour être savant, est passionnant parce qu’il s’agit d’une véritable enquête dont la victime – l’Empire romain – et les auteurs – Germains et Iraniens pour l’essentiel – sont connus, mais les faits trop souvent ignorés à force d’être considérés comme acquis, et donc secondaires.

En s’attachant à proposer « une explication militaire pour une crise militaire », jusque dans les soubresauts des nombreuses « guerres civiles » induites, Le Bohec renouvelle en profondeur notre vision de cette époque, et n’hésite pas au passage à bousculer quelques certitudes historiographiques trop facilement admises.

Surtout, Le Bohec va à l’essentiel. Il ausculte, assume et revendique la gravité de la crise étudiée en réhabilitant « les trois conceptions du temps, court, moyen et long » de l’enseignement de Braudel, « ainsi que les liens qui unissent l’histoire à la géographie ». Son ouvrage est donc politique. Parce que l’essence même du politique réside finalement dans les questions de défense, comme l’ont bien compris depuis des générations les historiens anglo-saxons et l’illustre plus près de nous De Gaulle : « Quand on ne veut pas se défendre, ou bien on est conquis par certains, ou bien ou est protégés par d’autres. De toute manière, on perd sa responsabilité politique… ».  Et parce que l’essence même du politique, parfaitement illustrée par Carl Schmitt cette fois, réside dans la désignation – et donc la connaissance – de l’ennemi. Et c’est l’apport principal de cette « armée romaine dans la tourmente » que de s’attacher aux ennemis de celle-ci, en soulignant leur nombre, leur diversité, la nouvelle puissance issue de leur vitalité démographique, de leurs systèmes d’alliance (Quinquegentanei en Afrique, Pictes en Ecosse, Francs, Alamans et Goths en Europe continentale), et des progrès accomplis sur le plan militaire surtout, dans les domaines de l’armement et de la tactique face à des légions dont l’apogée capacitaire est définitivement atteint sous Septime Sévère (193-211).

Quand l’histoire éclaire le présent

L’ouvrage de Le Bohec est ainsi d’une criante actualité. Les analogies sont nombreuses avec les temps de confusions qui sont aussi les nôtres.

Il est certes tenant d’esquisser un parallèle entre les empires romain et étatsunien. Et il sera sans doute un jour daté que la fin de l’empire américain a débuté dans les villes d’Irak, comme autrefois l’empire romain dans les sables de Mésopotamie. « Rome ne s’interdisait jamais de passer à l’offensive, pour mener une guerre préventive ou de représailles, ou pour affaiblir un ennemi potentiel, ou encore tout simplement pour piller. Au cours du IIIe siècle, l’offensive n’eut jamais cours qu’en réaction contre une agression ; on ne connaît que des contre-offensives »…

Mais le choc du IIIe siècle reste, à l’image de l’Empire romain lui-même, une pièce maîtresse et indéfectible de l’histoire européenne. Il annonce les formidables mutations que vont affronter les peuples d’Europe, et les ruses dont l’Histoire aime à user : « Après avoir atteint le fond du gouffre, l’armée romaine a su s’en sortir. L’explication est sans doute double. Les ennemis sont devenus moins agressifs, parce qu’ils étaient fatigués de la guerre et parce que de nouveaux problèmes se posaient à eux, avec d’autres arrivées de barbares. L’armée romaine s’est mieux adaptée à la situation. Ce fut, si l’on en croit la critique, l’œuvre des empereurs illyriens ». La sortie de la crise est en effet attestée sous Dioclétien (284-305), mais l’Empire ne s’en remettra jamais. Au point de s’effondrer définitivement à peine un siècle et demi plus tard. La crise, aussi violente que profonde, apparaît dès lors comme une première alerte.

Une histoire à méditer. Parce que c’est la nôtre. Et que nous ne sommes qu’au IIe siècle…

GT
14/07/2009

Source: Polémia

©Polémia

L’armée romaine dans la tourmente. Une nouvelle approche de la crise du IIIe siècle, Yann Le Bohec, Editions du Rocher, collection L’Art de la Guerre, mars 2009, 315 p., 21 euros.

mardi, 11 août 2009

Les communistes belges dans la collaboration jusqu'au 22 juin 1941

fot_modotti_jpg.jpg

 

Les communistes belges dans la collaboration jusqu'au 22 juin 1941

 

Beaucoup plus important avant la guerre et dans l'immédiat après- guerre que dans les années 50, 60 et 70, le PCB, aujourd'hui disparu, qui n'a plus ni journaux ni parlementaires, était, comme son «grand frère» français, totalement inféodé à la politique de Moscou. C'était Bereï, délégué à Bruxelles de l'URSS, qui commandait, qui décidait, qui dictait les lignes de conduite. Dès la signature du pacte Ribbentrop-Molotov d'août 1939, l'anti-nazisme est mis au placard. De l'Allemagne, les militants journalistes ne disent plus ni du bien ni du mal. Le Professeur Jacques Willequet a repéré, dans son livre (1), toutes les tirades en faveur du bloc germano-russe qu'ont publiées les organes communistes La Voix du Peuple, Uilenspiegel, Clarté, Espoir, Temps Nouveaux, Jeunesse Nouvelle, Drapeau Rouge, Liberté, De Strijd, Het Vlaamsche Volk. «Commencer la guerre pour anéantir l'hitlérisme, c'est accepter une politique de sottise criminelle» (Het Vlaamsche Volk, 14 oct. 39). Les alertes de novembre 39 et de janvier 40, où les Allemands testent les capacités de l'armée belge et de sa DCA, sont qualifiées «d'invention des services secrets britanniques». La Finlande, qui résiste héroïquement aux armées de Staline pendant l'hiver 39-40, est la «patrie des gardes blancs» et sa défaite, une victoire du prolétariat. Les journaux communistes accueillent la victoire allemande de mai-juin 1940 comme une délivrance. Le député communiste liégeois Julien Lahaut circule dans le sud de la France, dans une grosse voiture prêtée par les services allemands, pour récupérer les Belges dispersés par l'exode ou internés dans les camps français, après avoir été arrêtés par la Sûreté du Royaume (parmi eux: anarchistes, communistes, rexistes et nationalistes flamands, ces derniers étant largement majoritaires). A ceux qui l'écoutent, Julien Lahaut déclare, d'après Léon Degrelle, lui-même détenu, et selon l'historien officiel de l'Ecole Royale Militaire, Henri Bernard: «Le national-socialisme réalise toutes nos aspirations démocratiques» (dans un discours prononcé à Villeneuve-sur-Lot, fin juin 40). Le journal La Voix du Peuple, organe des communistes bruxellois, ressuscite dès le lendemain de la prise de Bruxelles, mais est interdit le 23 juin; à Anvers, Uilenspiegel paraît dès le 2 juin 1940 et ne disparaît que le 1er mars 1941. La spécialité des jounraux communistes, fidèles aux clauses du pacte germano-soviétique, sera de fulminer contre les Anglais. Le gouvernement exilé en Angleterre est un ramassis de «laquais de la Cité de Londres et des 200 familles», qui, de srucroît, «ont souillé le blason du Roi» (ce qui, sous la plume d'un militant communiste, est assez étonnant, puisque les communistes s'opposeront avec la dernière énergie au retour du monarque après 1945 et que Julien Lahaut criera «Vive la République!», au moment de la prestation de serment de Baudouin 1er; Lahaut sera mystérieusement assassiné par des inconnus, sur le pas de sa porte, quelques semaines plus tard...). Le 16 juin 1940, Uilenspiegel se félicite de l'entrée des troupes de Mussolini dans les Alpes françaises: «cela hâtera la débâcle des impérialistes». Le même journal, le 21 juillet 40, applaudit aux propositions de paix de Hitler, en concluant: «Plus vite les boutefeux occidentaux seront battus, mieux cela vaudra». En septembre 1940, La Vérité se félicite du fait que l'URSS ait supprimé «ce foyer de guerre né de Versailles qu'était la Pologne des seigneurs»; et il ajoute: «Les fauteurs de guerre anglo-français et leurs valets, les chefs de la social-démocratie, rejetèrent dédaigneusement les propositions allemandes appuyées à l'époque par l'URSS». Le 15 janvier 1941, Clarté insulte les troupes belges recrutées à Londres: c'est une «Légion Etrangère» destinée à servir «les magnats britanniques auxquels [le gouvernement Spaak-Pierlot de Londres] a déjà livré le Congo» (et voilà les communistes défendant le colonialisme belge, pourtant ultra-capitaliste dans ses pratiques!). Liberté et Drapeau Rouge se félicitent de la révolte anti-britannique de Rachid Ali en Irak, des mouvements indépendantistes indiens qui sabotent le recrutement de troupes aux Indes, de la disparition de la Yougoslavie, et de l'occupation de la Grèce (qui avait eu le tort d'abriter des troupes britanniques «menaçant l'URSS»!) (éditions de mai 1941).

 

Mais ces vigoureuses tirades pro-allemandes et anti-britanniques se feront moins enthousiastes pour plusieurs motifs: 1) les autorités d'occupation sont conservatrices et refusent toutes concessions d'ordre social; 2) les Allemands se servent des stocks belges de vivres et de matières premières, accentuant la précarité dans les couches les plus pauvres de la population; 3) les divergences entre Allemands et Soviétiques se font sentir; ce qui conduit certains chefs communistes à suivre les mots d'ordre consignés dans un article prémonitoire, paru avant mai 40, de Temps Nouveaux (n°2, 1940), où on lit: «Ce qu'il faut souhaiter, c'est une paix juste et durable, par un accord entre les deux plus fortes puissances du globe: les Etats-Unis et l'URSS». Finalement, la presse communiste affirmera que «l'avenir n'appartient ni à Hitler ni à Churchill». Ou, comme l'exprime un titre sans ambigüité de Liberté (14 avril 41): «Churchill ou Hitler? Les travailleurs ne choisissent pas entre la peste et le choléra»; 4) Les communistes, tout comme les socialistes de l'UTMI, sont furieux de voir que les Allemands donnent les postes-clef aux militants des partis autoritaires de droite, Nationalistes flamands du VNV et Rexistes de Degrelle. Les Rouges se sentent floués.

 

Le 22 juin 1941, le pacte germano-soviétique a vécu. Les communistes poursuivront dès lors les mots d'ordre parus dans Temps Nouveaux: alliance avec Roosevelt et Staline, contre les vieilles puissances européennes.

 

Raoul FOLCREY.

   

 

lundi, 10 août 2009

La gauche et la collaboration en Belgique: De Man, les syndicats et le Front du Travail

sk014.jpg

 

De Man (debout) avec Emile Vandervelde avant la guerre

La gauche et la collaboration en Belgique

De Man, les syndicats et le Front du Travail

 

par Raoul FOLCREY

 

 

La collaboration de gauche en Belgique? Elle prend son envol avec le manifeste que Henri De Man, chef de file du Parti Ouvrier Belge (POB), publie et diffuse dès le 28 juin 1940. De Man (1885-1953) a été agitateur socialiste dès l'âge de 17 ans, polyglotte, correspondant en Belgique de la social-démocratie allemande et des travaillistes britanniques avant 1914, volontaire de guerre, diplomate au service du Roi Albert 1er, professeur à Francfort avant le nazisme, initiateur du mouvement planiste en Europe dans les années 30, ministre, président du POB; avec une telle biographie, il a été sans conteste l'une des figures les plus marquantes du socialisme marxiste européen. Hérétique du marxisme, sa vision du socialisme n'est pas matérialiste, elle repose sur les mobiles psychologiques des masses frustrées, aspirant à la dignité. Le socialisme, dans ce sens, est une formidable revendication d'ordre éthique. Ascète, sportif, De Man, issu de la bonne bourgeoisie anversoise, n'a jamais aimé le luxe. Le socialisme, déduit-il de cette option personnelle, ne doit pas embourgeoiser les masses mais leur apporter le nécessaire et les rendre spartiates.

 

Avec son fameux Plan du Travail de Noël 1933, De Man donne au socialisme une impulsion volontariste et morale qui séduira les masses, les détournera du communisme et du fascisme. Les intellectuels contestataires français, ceux que Loubet del Bayle a nommé les «non-conformistes des années 30», s'enthousiasmeront pour le Plan et pour ses implications éthiques. Pour l'équipe d'Esprit (regroupée autour d'Emmanuel Mounier), d'Ordre Nouveau (Robert Aron et A. Dandieu), de Lutte des Jeunes (Bertrand de Jouvenel), de l'Homme Nouveau (Roditi), De Man devient une sorte de prophète. Côté socialiste, en France, ce sera surtout le groupe «Révolution Constructive» (avec Georges Lefranc, Robert Marjolin, etc.) qui se fera la caisse de résonnance des idées de Henri De Man. Pierre Ganivet, alias Achille Dauphin-Meunier, adopte également le planisme demanien dans sa revue syndicaliste révolutionnaire L'Homme réel. Au sein du parti, Léon Blum craint le Plan du Travail:

- parce qu'il risque de diviser le parti;

- parce qu'il implique une économie mixte et tend à préserver voire à consolider le secteur libre de l'économie;

- parce qu'il crée une sorte de «régime intermédiaire» entre le capitalisme et le socialisme;

- parce que la critique du parlementarisme, implicite chez De Man, rapproche son socialisme du fascisme.

 

Pour Déat, les idées planistes, exposées notamment par De Man à l'Abbaye de Pontigny (septembre 1934), reflètent un pragmatisme de la liberté, une approche de l'économie et de la société proche du New Deal de Roosevelt, et ne relèvent nullement du vieux réformise social-démocrate. Le planisme, avait affirmé Déat dans l'Homme Nouveau (n°6, juin 1934), n'impliquait aucune politique de compromis ou de compromissions car il était essentiellement révolutionnaire: il voulait agir sur les structures et les institutions et les modifier de fond en comble. Presqu'au même moment, se tenait un Congrès socialiste à Toulouse: la plupart des mandats de «Révolution Constructive» s'alignent sur les propositions de Blum, sauf deux délégués, parmi lesquels Georges Soulès, alias Raymond Abellio, représentant le département de la Drôme. Georges Valois, proudhonien un moment proche de l'AF, est hostile à De Man, sans doute pour des motifs personnels, mais accentue, par ses publications, l'impact du courant para-planiste ou dirigiste en France.

 

Or, à cette époque, pour bouleverser les institutions, pour jouer sur les «structures», pour parfaire un plan, de quelque nature qu'il soit, il faut un pouvoir autoritaire. Il faut inaugurer l'«ère des directeurs». Pratique «directoriale», planification, etc. ne sont guère possible dans un régime parlementaire où tout est soumis à discussion. Les socialistes éthiques, ascètes et spartiates, anti-bourgeois et combatifs, méprisaient souverainement les parlottes parlementaires qui ne résolvaient rien, n'arrachaient pas à la misère les familles ouvrières frappées par le chômage et la récession. Dans son terrible livre, La Cohue de 40, Léon Degrelle croque avec la férocité qu'on lui connaît, un portrait du socialisme belge en déliquescence et de De Man, surplombant cet aréopage de «vieux lendores adipeux, aux visages brouillés, pareils à des tartes aux abricots qui ont trop coulé dans la vitrine» (p. 175). De Man, et les plus jeunes militants et intellectuels du parti, avaient pedu la foi dans la religion démocratique.

 

Dès le déclenchement des hostilités, en septembre 1939, De Man opte personnellement contre la guerre, pour la neutralité absolue de la Belgique, proclamée par le Roi dès octobre 1936. Fin 1939, avec l'appui de quelques jeunes militants flamands, dont Edgard Delvo, il fonde une revue, Leiding (Direction), ouvertement orientée vers les conceptions totalitaires de l'époque, dit Degrelle. Il serait peut-être plus juste de dire que le socialisme planiste y devenait plus intransigeant et voulait unir, sans plus perdre de temps, les citoyens lassés du parlementarisme en un front uni, rassemblé derrière la personne du Roi Léopold III.

 

Après l'effondrement de mai-juin 1940, De Man publie un «manifeste aux membres du POB», où figurent deux phrases qui lui ont été reprochées: «Pour les classes laborieuses et pour le socialisme, cet effondrement d'un monde décrépit, loin d'être un désastre, est une délivrance»; «[le verdict de la guerre] est clair. Il condamne les régimes où les discours remplacent les actes, où les responsabilités s'éparpillent dans le bavardage des assemblées, où le slogan de la liberté individuelle sert d'oreiller à l'égoïsme conservateur. Il appelle une époque où une élite, préférant la vie dangereuse et rapide à la vie facile et lente, et cherchant la responsabilité au lieu de la fuir, bâtira un monde nouveau».

 

Ces phrases tonifiantes, aux mâles accents, étaient suivies d'un appel à construire le socialisme dans un cadre nouveau. Cet appel a été entendu. De toutes pièces, De Man commence par créer un syndicat unique, l'UTMI (Union des Travailleurs Manuels et Intellectuels), officiellement constitué le 22 novembre 1940, après d'âpres discussions avec le représentant du Front du Travail allemand, le Dr. Voss. De Man, ami du Roi, voulait sauvegarder l'unité belge: son syndicat serait dès lors unitaire, ne serait pas scindé en une aile flamande et une aile wallonne. Le Dr. Voss, visant l'éclatement du cadre belge en deux entités plus facilement absorbables par le Reich, impose la présence des nationalistes flamands du VNV dans le comité central composé de socialistes, de démocrates-chrétiens, de syndicalistes libéraux. Edgard Delvo, ancien socialiste, auteur d'un ouvrage préfacé par De Man et paru à Anvers en 1939, collaborateur de Leiding, la revue neutraliste hostile à toute participation belge aux côtés des Anglais et des Français, théoricien d'un «socialisme démocratique» ou plutôt d'un populisme socialiste, est l'homme du VNV au sein de ce comité. En 1942, poussé par les services du Front du Travail allemand, Delvo deviendra le maître absolu de l'UTMI. Ce coup de force des nationalistes provoque la rupture entre De Man et son syndicat: l'ancien chef du POB quitte Bruxelles et se réfugie en Haute-Savoie, grâce à l'aide d'Otto Abetz. Il sera désormais un «cavalier seul». Les socialistes, les libéraux et les jocistes quittent l'UTMI en 1942, laissant à Delvo les effectifs nationalistes flamands et wallons, peu nombreux mais très résolus.

 

En Wallonie, dès la parution du Manifeste du 28 juin 1940, plusieurs journalistes socialistes deviennent du jour au lendemain des zélotes enragés de la collaboration. Ainsi, le Journal de Charleroi, organe socialiste bon teint depuis des décennies, était édité par une société dont l'aristocratique famille Bufquin des Essarts étaient largement propriétaire. Dès les premiers jours de juin 40, un rédacteur du journal, J. Spilette s'empare du journal et le fait paraître dès le 6, avant même d'avoir créé une nouvelle société, ce qu'il fera le 8. En novembre 1940, Spilette, avançant ses pions sans sourciller, s'était emparé de toute la petite presse de la province du Hainaut et augmentait les ventes. Els De Bens, une germaniste spécialisée dans l'histoire de la presse belge sous l'occupation, écrit que l'influence de De Man était prépondérante dans le journal. Spilette défendait, envers et contre les injonctions des autorités allemandes, les positions de De Man: syndicat unique, augmentation des salaires, etc. Spilette baptisait «national-socialisme» la forme néo-demaniste de socialisme qu'il affichait dans son quotidien. Ensuite, rompant avec De Man, Spilette et ses collaborateurs passent, non pas à la collaboration modérée ou à la collaboration rexiste/degrellienne, mais à la collaboration maximaliste, regroupée dans une association au nom évocateur: l'AGRA, soit «Amis du Grand Reich Allemand». L'AGRA, dont le recrutement était essentiellement composé de gens de gauche, s'opposait au rexisme de Degrelle, marqué par un héritage catholique. Les deux formations finiront par s'entendre en coordonnant leurs efforts pour recruter des hommes pour le NSKK. Le 18 octobre 1941, le Journal de Charleroi fait de la surenchère: il publie un manifeste corsé, celui du Mouvement National-Socialiste wallon, où il est question de créer un «Etat raciste» wallon. Spilette appelle ses concitoyens à rejoindre cette formation «authentiquement socialiste». 

 

A Liège, le quotidien La Légia, après avoir été dirigé par des citoyens allemands, tombe entre les mains de Pierre Hubermont, écrivain, lauréat d'un prix de «littérature prolétarienne» à Paris en 1931, pour son roman Treize hommes dans la mine. Les Allemands ou Belges de langue ou de souche allemandes, actionnaires de la société ou rédacteurs du journal, entendaient germaniser totalement le quotidien. Pierre Hubermont entend, lui, défendre un enracinement wallon, socialiste et modérément germanophile. Cette option, il la défendra dans une série de journaux culturels à plus petit tirage, édités par la «Communauté Culturelle Wallonne» (CCW). Parmi ces journaux, La Wallonie, revue culturelle de bon niveau. Dans ses éditoriaux, Hubermont jette les bases idéologiques d'une collaboration germano-wallonne: défense de l'originalité wallonne, rappel du passé millénaire commun entre Wallons et Allemands, critique de la politique française visant, depuis Richelieu, à annexer la rive gauche du Rhin, défense de l'UTMI et de ses spécificités syndicales.

 

Fin 1943, les services de la SS envoient un certain Dr. Sommer en Wallonie pour mettre sur pied des structures censées dépasser le maximalisme de l'AGRA. Parmi elles: la Deutsch-Wallonische Arbeitsgemeinschaft, en abrégé DEWAG, dirigée par un certain Ernest Ernaelsteen. Ce sera un échec. Malgré l'appui financier de la SS. DEWAG tentera de se donner une base en noyautant les «cercles wallons» de R. De Moor (AGRA), foyers de détente des ouvriers wallons en Allemagne, et les «maisons wallonnes», dirigée par Paul Garain, président de l'UTMI wallonne, qui pactisera avec Rex.

 

Quelles conclusion tirer de ce bref sommaire de la «collaboration de gauche»? Quelles ont pu être les motivations de ces hommes, et plus particulièrement de De Man, de Delvo et d'Hubermont (de son vrai nom Joseph Jumeau)?

 

La réponse se trouve dans un mémoire rédigé par la soeur d'Hubermont, A. Jumeau, pour demander sa libération. Mlle Jumeau analyse les motivations de son frère, demeuré toujours socialiste dans l'âme. «Une cause pour laquelle mon frère restait fanatiquement attaché, en dehors des questions d'humanisme, était celle de l'Europe. Il était d'ailleurs Européen dans la mesure où il était humaniste, considérant l'Europe comme la Patrie de l'humanisme (...) Cette cause européenne avait été celle du socialisme depuis ses débuts. L'internationalisme du 19° siècle n'était-il pas surtout européen et pro-germanique? L'expérience de 1914-1918 n'avait pas guéri les partis socialistes de leur germanophilie (...). ... la direction du parti socialiste était pro-allemande. Et, au moment de l'occupation de la Ruhr, ..., [mon frère] a dû aligner son opinion sur celle de Vandervelde (ndlr: chef du parti socialiste belge) et de De Brouckère (ndlr: autre leader socialiste), qui étaient opposés aux mesures de sanctions contre l'Allemagne. Le peuple (ndlr: journal officiel du POB), jusqu'en 1933, c'est-à-dire jusqu'à la prise du pouvoir par Hitler, a pris délibérément et systématiquement fait et cause pour l'Allemagne, dans toutes les controverses internationales. Il a systématiquement préconisé le désarmement de la France et de la Belgique, alors que tout démontrait la volonté de l'Allemagne de prendre sa revanche. Mon frère (...) n'avait pu du jour au lendemain opérer le retournement qui fut celui des politiciens socialistes. Pour lui, si l'Allemagne avait été une victime du traité de Versailles avant 1933, elle l'était aussi après 1933 (...). Et si la cause de l'unité européenne était bonne avant 1933, lorsque Briand s'en faisait le champion, elle l'était toujours après 1933, même lorsque les Allemands la reprenaient à leur compte (...). [Mon frère] partait de l'idée que la Belgique avait toujours été le champ de bataille des puissances européennes rivales et que la fin des guerres européennes, que l'unification de l'Europe, ferait ipso facto la prospérité de la Belgique».

 

Tels étaient bien les ingrédients humanistes et internationalistes des réflexes partagés par De Man, Delvo et Hubermont. Même s'ils n'ont pas pris les mêmes options sur le plan pratique: De Man et Hubermont sont partisans de l'unité belge, le premier, ami du Roi, étant centraliste, le second, conscient des différences fondamentales entre Flamands et Wallons, étant fédéraliste; Delvo sacrifie l'unité belge et rêve, avec ses camarades nationalistes flamands, à une grande confédération des nations germaniques et scandinaves, regroupées autour de l'Allemagne (ce point de vue était partagé par Quisling en Norvège et Rost van Tonningen aux Pays-Bas). Mais dans les trois cas, nous percevons 1) une hostilité aux guerres inter-européennes, comme chez Briand, Stresemann et De Brinon; 2) une volonté de créer une force politique internationale, capable d'intégrer les nationalismes sans en gommer les spécificités; une inter-nationale comportant forcément plusieurs nations solidaires; Delvo croira trouver cet internationalisme dans le Front du Travail allemand du Dr. Ley; 3) une aspiration à bâtir un socialisme en prise directe avec le peuple et ses sentiments.

 

De Man connaîtra l'exil en Suisse, sans que Bruxelles n'ose réclamer son extradition, car son procès découvrirait la couronne. Delvo sera condamné à mort par contumace, vivra en exil en Allemagne pendant vingt-cinq ans, reviendra à Bruxelles et rédigera trois livres pour expliquer son action. Hubermont, lourdement condamné, sortira de prison et vivra presque centenaire, oublié de tous.

 

Raoul FOLCREY.   

 

 

dimanche, 09 août 2009

El genocidio de Hiroshima

El genocidio de Hiroshima

Hace 64 años el presidente Truman ordeno lanzar la primera bomba atomica contra la humanidad, cometiendo un genocidio que aun no se ha juzgado en ningun tribunal internacional

El 6 de agosto de 1945 Estados Unidos asesino a mas de 200.000 civiles en la ciudad de Hiroshima, lanzando contra ella la primera bomba nuclear utilizada como arma de guerra en la historia de la humanidad, y tres dias despues sucedio lo mismo en Nagasaki. Se estima que hacia finales de 1945, las bombas habían matado a 140.000 personas en Hiroshima y 80.000 en Nagasaki, aunque solo la mitad había fallecido los días de los bombardeos y el resto por heridas incurables o enfermedades atribuidas al envenenamiento por radiación.

El presidente Harry S. Truman, quien ordeno el bombardeo, no lo hizo para acabar con la guerra y la escasa resistencia de Japon. Los mismos japoneses estaban intentando negociar la paz, y habian pedido la mediacion a Stalin. Antes de que la URSS pudiera aceptarla, EE.UU. se encargo de que las negociaciones de paz no tuvieran lugar y Japon se entregara a una rendicion incondicional. Japon ya estaba practicamente vencido, y la escusa de que la bomba se lanzo para evitar “mas muertes de civiles”, como cinicamente aseguro Truman, se desarma cuando miramos los miles de japoneses inocentes que murieron con los lanzamientos. En ningun caso hubieran muerto tantos si la guerra hubiera durado dos meses mas.


Estados Unidos demostro con el uso de la bomba atomica la calidad humana de sus dirigentes, su personalidad genocida. La Segunda Guerra Mundial pasara a la historia no solo por el holocausto perpetrado por los nazis, contra judios, gitanos, comunistas y homosexuales (entre otros), sino tambien por la extrema crueldad de Estados Unidos, que entonces demostro que la vida humana no le importa lo mas minimo, actitud que ha continuado de diversas formas asesinas hasta hoy dia.

El genocidio de Hiroshima y Nagasaki no ha sido juzgado por ningun tribunal internacional todavia, porque los genocidas fueron los vencedores en esta ocasion. No hubo Tribunal de Nuremberg para Truman y sus secuaces. Pero la historia, a pesar de las justificaciones que han inventado los medios de comunicacion actuando de silenciador moral, no deja de mostrarnos lo horrible de los actos de los que son capaces de utilizar cualquier metodo para lograr sus fines materiales.

Con una hipocresia que hiela toda capacidad de sentimiento, que indigna hasta a las piedras, los EEUU han venido acusando a todos sus enemigos de asesinos, crueles genocidas, o tiranos, mientras que ellos, tras el silenciador de la opinion publica, creada por los escribanos y voceros del sistema, muy bien pagados, continuan orgullosos de sus crimenes y ejecutándolos, de una manera u otra, hasta el presente y a lo largo de todo el planeta.

Aunque de sus horrendos y continuos crimenes el asesinato de 220.000 japoneses de un golpe, (sin contar las secuelas radioactivas producidas en los pocos supervivientes), el genocidio producido por el lanzamiento de las dos unicas bombas nucleares lanzadas hasta hoy contra la humanidad, es, si cabe, el mas ilustrativo de la verdadera naturaleza criminal del imperio yankee y del corazon podrido de sus primeros peones, los presidentes de Estados Unidos (independientemente del color de su piel).

Jose Luis Forneo

Extraído de CuestiónateloTodo.

samedi, 08 août 2009

1979: Guerres secrètes au Moyent Orient

1979: Guerres secrètes au Moyen Orient

51UBn2NmFAL._SS500_

L’incroyable année 1979 a vu se succéder des événements qui ont changé le cours de notre histoire : révolution iranienne, accords de Camp David, prise d’otages de La Mecque et de l’ambassade américaine à Téhéran, et enfin, invasion soviétique de l’Afghanistan… Voici comment, pendant cette période, la France a cru pouvoir manipuler l’ayatollah Khomeiny et prendre en Iran la place des Américains, comment le Mossad a organisé, en pleine révolution islamique, l’exode clandestin de dizaines de milliers de Juifs iraniens, et comment le royaume saoudien a fait appel au GIGN français pour libérer les lieux saints de l’islam occupés par des terroristes avec, à la clé, une récompense inattendue. On lève ici le voile sur les complicités occidentales qui ont permis au Pakistan, bien avant l’Iran, de mettre sur pied le premier programme nucléaire islamique et l’on découvre de quelle manière les services de renseignement saoudiens et pakistanais ont organisé les réseaux de financement et d’armement d’intégristes prêts à se retourner contre l’Occident. Les services secrets de tous bords – CIA, Sdece, Mossad… – et les présidents Carter et Giscard d’Estaing ont joué dans cette époque agitée un rôle crucial et parfois trouble, entraînant une série de réactions en chaîne. En quelques mois, le Moyen-Orient a basculé, et le monde entier avec lui, favorisant l’avènement d’un islamisme radical aujourd’hui florissant.

Yvonnick Denoël est éditeur et historien. Il a notamment publié Le livre noir de la CIA (Nouveau Monde éditions, 2007).

Disponible sur Amazon

14:32 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, années 70, géopolitique, moyen orient, guerre, iran | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mercredi, 29 juillet 2009

Réflexions sur le destin de Dara Shukoh

portrait_of_dara_shikoh_mf69.jpg

Réflexions sur le destin de Dara Shukoh

 

Un musulman peut-il être tolérant? Faire preuve de tolérance d’esprit? Etre sincèrement intéressé aux autres cultures? Oui, bien sûr, il existe indubitablement de tels musulmans. La seconde question que nous posons: quel a été leur sort?

 

Dara Shukoh (1615-1659) était le fils aîné de l’Empereur moghol Shah Jahan et de son épouse favorite Mumtaz Mahal. Lorsque celle-ci mourut à la suite de son quatorzième accouchement, son époux fit construire pour elle un superbe monument funéraire, en dehors de sa capitale Agra, le fameux Taj Mahal. Après l’achèvement du bâtiment, il fit trancher la main à tous les maîtres d’oeuvre de cette merveille architecturale, de façon à ce qu’ils ne puissent pas en reproduire de pareilles ailleurs. Le Prince héritier Dara Shukoh reçut une bonne éducation, large d’esprit, que nous aurions qualifié d’“humaniste” en Europe. Il devint adepte du soufisme, une branche mystique à l’intérieur de l’islam. Il était un élève du saint soufi Mian Mir de Lahore. En disant cela, je n’ai pas dit grand chose car le soufisme présente un vaste éventail de variétés et de tendances.

 

On dit souvent que le soufisme est plus tolérant et plus large d’esprit que l’islam ortohdoxe. C’est partiellement vrai. Certains soufis ont été d’effroyables fanatiques. Comme, par exemple, Mouïnouddin Tchichti  qui, en tant qu’espion, a préparé la plus sanglante invasion de l’Inde par Mohammed Ghori (en 1192). Même Faridouddin Attar, connu comme doux poète, a écrit un chant à la louange de Mahmoud de Ghazni, autre grand massacreur d’“infidèles”. Dara Shukoh lui, était d’une toute autre trempe. Il cherchait une base commune à l’hindouïsme et à l’islam. Dans ce but, il traduisit pour la toute première fois en persan les textes  qui forment le noyau de la philosophie indienne, les Upanishads (“l’enseignement confidentiel”). Il expliqua les conclusions de ses recherches dans un ouvrage intitulé “Madschma al-Bahrain”, ou “Le confluent de deux mers”. Oui, concluait-il, de fait, l’hindouïsme et l’islam dans sa variante soufie, sont une seule et même chose. Tous deux valorisent l’“unité de l’Etre”. En posant ces conclusions, Dara Shukoh donnait une base philosophique à la politique que menait la dynastie moghole depuis près d’un siècle: faire cohabiter dans l’harmonie hindous et musulmans en arrondissant les angles du principe musulman d’inégalité entre croyants et idolâtres. Contrairement au régime tyrannique et fanatique du Sultanat de Delhi (1206 à 1526), qui avait sans cesse été confronté à des révoltes hindoues et des vendettas entre divers partis musulmans, l’Empire moghol, à partir du grand-père de Dara Shukoh, Akbar (1556-1605), reposait sur un compromis avec les Hindous, notamment par l’abrogation de l’impôt de tolérance que devaient payer tous les non-musulmans, par l’autorisation de rebâtir les temples qui avaient été détruits et par l’intronisation de princes hindous dans l’appareil administratif de l’Empire. Ces princes devaient servir de contre-poids pour le régime du Padishah (l’Empereur moghol), qui avait bien des ennemis dans le camp musulman: certains seigneurs et les clercs les plus radicaux, sous la houlette de Ahmad Sirhindi (mort en 1624), qui condamnaient sa politique de compromis. Le plus jeune frère de Dara Shukoh, Aurangzeb, appartenait, lui, à l’école de Sirhindi. Aurangzeb fulminait contre la politique d’apaisement de Dara Shukoh, avec son principe de dialogue inter-religieux et sa valorisation de la spiritualité par-delà l’exotérisme des pratiquants. Aurangzeb reprochait également à son frère de pratiquer l’art de la peinture et de favoriser les arts de la scène. Reproduire le visage humain est explicitement interdit par la religion islamique, bien que les princes les plus éclairés l’aient toujours toléré, du moins tant qu’on ne cherchait pas à peindre ou dessiner Dieu ou le Prophète.

 

Aurangzeb était un homme de stricte obédience. Il fit tout ce qu’il put pour décourager des pratiques non islamiques comme le théâtre, la danse et la musique. Plus tard, quand il fut devenu Padishah, il congédia les musiciens de la cour; ceux-ci manifestèrent alors devant le palais, en trimbalant un cerceuil pour simuler l’enterrement de la Muse. Aurangzeb leur cria alors de l’enterrer bien profondément pour qu’il n’ait plus jamais à entendre parler d’elle dans l’avenir. Il voulait ainsi se montrer féal disciple du Prophète qui se bouchait les oreilles lorsqu’il entendait jouer de la musique. Ce fut donc Aurangzeb qui devint Padishah et non Dara Shukoh. En 1657, Shah Jahan tomba malade et, aussitôt, une querelle éclata entre ses quatre fils pour sa succession. Dara Shukoh, qui était l’aîné donc le prince héritier en titre, bénéficiait du soutien de son père. Dans un premier temps, il vainquit son frère, Shah Shuja, qui s’était proclamé Padishah. Mais il fut vaincu  à son tour le 8 juin 1658, lors de la Bataille de Samogarh, près d’Agra, où il faisait face aux troupes d’Aurangzeb. Dara Shukoh put prendre la fuite et commencer à lever une nouvelle armée lorsqu’un traître le livra à son frère. Les juges islamiques le condamnèrent à mort pour hérésie. On le couvrit de chaînes, on le promena à travers la ville pour l’humilier et on le tortura jusqu’à ce que mort s’ensuive. De sa propre main, Aurangzeb trancha la tête de Dara Shukoh, son frère, et l’envoya à leur père, qu’il avait fait enfermer dans une tour, où il resta les huit dernières années de sa vie, avec toutefois une faveur: il bénéficiait d’une vue sur le Taj Mahal. Le monument dédié à l’amour...

 

“Moestasjrik”/ “ ’t Pallieterke”  (Anvers, 21 juin 2006, trad. franç.: Robert Steuckers).

mardi, 28 juillet 2009

Le débarquement à Dieppe fut-il un fiasco?

debarquementdieppe_1942.jpg

 

 

Erich KÖRNER-LAKATOS:

 

Le débarquement à Dieppe fut-il un fiasco?

 

19 août 1942: dans le courant de l’après-midi la “radio grande-allemande” annonce une nouvelle depuis le quartier général du Führer, le Werwolf, situé alors près de Vinnitza en Ukraine. Après l’habituel morceau de musique, les auditeurs apprennent par leur poste qu’une “invasion” vient d’échouer à l’Ouest.

 

“Le Commandement suprême de la Wehrmacht fait savoir qu’un débarquement de grande ampleur de troupes anglaises, américaines, canadiennes et gaullistes, dont les effectifs s’élèvent à une division pour la première vague, a eu lieu dans les premières heures de la matinée près de Dieppe sur la côte française de la Manche; cette tentative de débarquement a bénéficié de l’appui de forces navales et aériennes importantes et a été soutenue par des blindés; les forces allemandes chargées de défendre la côte ont brisé l’élan de l’ennemi qui avait essuyé des pertes élevées et sanglantes (...)”.

 

Un mois plus tôt, le 22 juillet 1942, Staline avait exigé, sur le ton de l’ultimatum, que ses alliés  occidentaux ouvrissent un second front. En effet, le dictateur soviétique venait d’encaisser l’offensive estivale du groupe d’armées allemandes “Süd”: ses défenses étaient profondément ébranlées et il demandait qu’une offensive à l’Ouest soulage ses propres troupes. Ce sera surtout son représentant à Washington, son ancien ministre des affaires étrangères, Maxime Litvinov, qui insistera pour que les Occidentaux prennent des mesures concrètes. Winston Churchill temporise, promet aux Russes qu’il agira dans un an, car un débarquement exige des préparations de grande ampleur. La première tentative de s’incruster sur le sol français sera donc ce débarquement offensif, tenté sur les côtes normandes de la Manche, près de Dieppe.

 

Cette petite ville se situe dans le département de Seine-Maritime, à environ cent kilomètres au nord-est du Havre. Dès le départ, la tentative de débarquement des Alliés, dont le nom de code était “Jubilee”, connut la malchance. Une partie des trois à quatre cents navires de débarquement rencontra, quand la nuit était encore noire, un convoi de la marine allemande, chargé de surveiller le littoral. Elle perdit ainsi d’emblée tout effet de surprise.

 

A six heures du matin, le débarquement commence en trois endroits. 6100 hommes mettent pied à terre, pour la plupart appartenant à la 2ème Division canadienne du Général Roberts. Des unités de commandos de la Royal Navy les assistent.

 

L’ensemble de l’opération s’effectue sous un parapluie aérien de centaines de Spitfires et Hurricanes. Mais les attaquants se heurtent à une forte résistance, à laquelle ils ne s’attendaient pas: celle des hommes du 71ème Régiment d’infanterie du Lieutenant-Colonel allemand Bartel. L’artillerie côtière allemande est bien placée et les chasseurs Focke-Wulf procurent un appui-feu  appréciable.

 

Les Canadiens sont plus nombreux mais inexpérimentés: ils ne font pas le poids devant les soldats éprouvés de la Wehrmacht dans les combats rapprochés le long des plages. Dans le ciel, toutefois, aucun des deux camps n’a le dessus: les Anglais, les Polonais exilés et les Américains perdent 98 avions, tandis que les Allemands en perdent 91. Vers midi, les Canadiens doivent déjà se replier; leurs chefs décident que le réembarquement aura lieu vers 15 h. Peu parmi les soldats débarqués retourneront ce jour-là en Angleterre, seulement un petit tiers. 1179 attaquants (dont près de 900 Canadiens) tomberont au combat; 2190 seront prisonniers, dont 60 officiers canadiens. Six cents prisonniers sont blessés et soignés sur place. Les Alliés perdent 28 chars et de nombreux navires de débarquement, ainsi que quatre destroyers et sept navires de transport. La Wehrmacht annonce 311 morts ou disparus et 280 blessés.

 

Officiellement, Londres tente de minimiser l’échec de Dieppe comme étant “un exercice armé de reconnaissance”. Pour les Allemands, en revanche, ce 19 août est la journée qui a prouvé que le Mur de l’Atlantique pouvait tenir, sans qu’il ne faille, insistait le haut commandement de la Wehrmacht, engager des réserves supplémentaires, constituées de troupes aguerries.

 

Mais cette propagande allemande cachait la vérité: l’aventure de Dieppe n’est nullement l’échec allié qu’elle a décrit pour les besoins de la cause. L’objectif de l’Opération “Jubilee” n’était pas d’ouvrir un second front à l’Ouest comme le réclamait Staline (pour le faire, il aurait fallu des effectifs bien supérieurs à ceux d’une simple division); ce n’était pas davantage un exercice général en prévision du débarquement de 1944, car on aurait pu le faire à bien moindre prix en Angleterre sous la forme de manoeuvres. Non: l’objectif de “Jubilee” n’était ni plus ni moins “Freya”, la plus moderne des stations radar allemandes, installée près de Dieppe. Son rayon d’action dépassait les 200 km et couvrait une bonne partie de l’Angleterre, ce qui permettait aux Allemands de détecter le décollage des escadres de bombardiers alliés immédiatement après leur envol.

 

C’est pour mener à bien ce coup de main contre “Freya” que les Britanniques ont déployé cette opération commando surdimensionnée. Le personnage-clef de l’opération est un Canadien de 28 ans, d’origine juive-polonaise, Jack Nissenthal. Il était un expert en radar particulièrement doué. Il s’est retrouvé à la pointe des opérations, tout à l’avant, où cela “pétait” le plus. Il était l’un des rares savants qui connaissaient en tous ses détails la technologie alliée des radars. Lors du débarquement de Dieppe, il était flanqué de dix soldats d’élite, non seulement pour sa protection mais pour celle du savoir-faire allié en matières de radar, car ces hommes ont reçu aussi pour mission complémentaire  —et comme ordre strict—  de ne pas laisser Nissenthal tomber vivant aux mains des Allemands. Nissenthal avait d’ailleurs reçu à cette fin une capsule de cyanure.

 

Nissenthal, homme de beaucoup d’allant, athlétique et impétueux, est parvenu, sous une pluie de balles allemandes, en perdant sept de ses gardes-du-corps, à approcher par deux fois l’appareil “Freya” et d’en démonter d’importantes composantes qui ont fourni aux Alliés des connaissances précieuses sur les techniques radar allemandes.

 

Grâce à Dieppe et à Nissenthal, les attaques à grande échelle des bombardiers anglo-saxons sur l’Allemagne ont été rendues possible car les savants alliés avaient constaté qu’il suffisait de tromper les radars allemands en lançant de simple bandes de feuilles d’aluminium. L’effroyable attaque contre Hambourg, qui dura trois jours en 1943 et fut baptisée l’“Opération Gomorrhe”, eut lieu sans que les Allemands n’aient pu organisé la moindre défense sérieuse de la ville hanséatique.

 

Vu dans cette optique, le fiasco apparent de Dieppe est en réalité un succès préparé avec audace et obtenu au prix fort. C’est une entreprise de type “troupe d’assaut” qui a obligé par la suite les Allemands à garnir davantage le Mur de l’Atlantique, avec des forces qui leur ont cruellement manqué ailleurs.

 

Bien entendu, dans le contexte de l’époque, la propagande allemande ne pouvait voir l’affaire sous un tel angle. Dans les actualités allemandes, la “bataille victorieuse” de Dieppe a pris une ampleur considérable: on la passait et la repassait inlassablement au cinéma avant le film de fiction. En plus, les producteurs de reportages de guerre, issus des “PK” (les “compagnies de propagande”),ont publié une sorte de recueil, intitulé “Dieppe – die Bewährung des Küstenwestwalles”  (= “Dieppe – Comment le Mur de la côte occidentale a tenu”).

 

Erich KÖRNER-LAKATOS.

(article paru dans “zur Zeit”, Vienne, n°49/2005, trad. franç. : Robert Steuckers).

mercredi, 15 juillet 2009

Sur la question allemande: un ouvrage indispensable

brd_ddr.jpg

SYNERGIES EUROPÉENNES - Juillet 1986

Detlev BAUMANN:

Sur la question allemande: un ouvrage indispensable...

Quarante ans après la fin de la deuxième guerre mondiale, il est temps de tirer un bilan politique des événements en Allemagne et d'envisager les potentialités qu'offre l'a-venir et d'affronter les exigences d'un XXIème siècle qui va bientôt s'amorcer. LE politique interpelle les Allemands et il est urgent pour eux de répondre clairement, dans la cohérence, à cette interpellation. En effet, les générations nées après la plus grande cassure qu'ait connue l'histoire alle-mande se sont complues dans un consumé-risme matérialiste; elles sont sorties volon-tairement de l'histoire avec une confondante insouciance. Il en a résulté un dangereux vi-de spirituel, qui menace l'existence du peu-ple allemand plus que toute autre chose. C'est pourquoi un renouveau intellectuel s'impose, afin de reconstruire le pays et de lui donner la place qu'il mérite dans le con-cert international.

Parallèlement à l'effon-drement spirituel allemand dans le consumé-risme, un débat s'est ouvert depuis quelques années, celui qui a pris pour objet "l'identité allemande". Ce débat n'a cessé de s'ampli-fier. A gauche de l'échiquier politique, on est retourné à cette fameuse question natio-nale, préalablement délaissée au nom de l'internationalisme et de l'anti-fascisme. A l'étranger, bon gré mal gré, on commence à se rendre compte que cette question allemande n'est rien d'autre que LA grande question européenne et que la division de l'Allemagne, c'est la division de l'Europe. De plus en plus d'Européens, à l'Est comme à l'Ouest du Rideau de fer, savent désor-mais que les implications de Yalta et Pots-dam doivent être définitivement surmontées.

C'est sur la base de ce triple constat qu'ont décidé d'agir le Professeur Bernard WILLMS et Wigbert GRABERT, directeur des éditions Hohenrain de Tübingen. Dans un projet d'é-dition en trois volumes, ils souhaitent faire le tour de la question allemande et de poser les premiers jalons du renouveau qui s'im-pose. Le premier volume, sorti l'an dernier à l'occasion de la célèbre Foire du Livre de Francfort, rassemble les contributions de treize auteurs (B.WILLMS, M.RASSEM, G. WOLANDT, W.G.HAVERBECK, A. de BE-NOIST, M.VOGT, H.J. von LOHAUSEN, A.SCHICKEL, D.BLUMENWITZ, E. SCHWINGE, H.RUMPF, Caspar von SCHRENCK-NOTZING, A.MöLZER).

Trois contributions ont particulièrement retenu notre attention, d'autant plus que nous écrivons cette recension pour un public non-allemand, guère au courant des arcanes juridiques de la politique allemande, déter-minée par des traités internationaux, géné-ralement co-signés par les quatre puissances occupantes de 1945. C'est sans doute avec quelque tristesse que nous n'évoquerons pas, ici, les contributions de l'historien SCHI-CKEL, directeur du centre de recherches sur l'histoire contemporaine d'Ingolstadt, du ju-riste BLUMENWITZ, spécialiste des traités qui régissent actuellement l'Allemagne et de RUMPF, également juriste, spécialiste de la notion de souveraineté et auteur d'un livre sur Carl SCHMITT et Thomas HOBBES. Mais nous savons d'emblée que commenter, même superficiellement, la situation juridique d'une nation comme la nation allemande excède le cadre d'une simple recension. Plus impor-tantes pour notre propos, sont, à notre sens, les contributions de HAVERBECK, de VOGT et de SCHWINGE.

HAVERBECK aborde le sens philosophique et religieux de la notion de liberté (Freiheit) en langue allemande, en procédant par chro-nologie, c'est-à-dire en analysant ce que  "liberté" a signifié à chaque étape de l'his-toire allemande. VOGT analyse la question nationale allemande, telle qu'elle a été per-çue par les milieux socialistes de 1848 à 1985. SCHWINGE analyse le fameux "Plan Morgenthau" et fustige le mépris que les Américains ont affiché à l'égard du droit des gens au temps de l'occupation militaire directe de l'Allemagne.

Le point de départ de la notion de "liberté", pour HAVERBECK, c'est la Réforme portée par LUTHER. Le XVIème siècle voit l'éclo-sion de "la conscience qu'a l'homme de lui-même". Cette éclosion postule le respect de l'identité et de l'auto-détermination des in-dividus et des communautés. L'individu en communauté n'est pas isolé: il est une per-sonne qui sert sa communauté, en déployant ses talents, ses potentialités, son génie. Au XVIIIème, cette liberté s'exprimera de deux manières: chez GOETHE de manière per-sonnaliste et chez HERDER sous l'angle de la communauté populaire, dépositaire d'une spécificité propre. FICHTE prendra le relais dans son "Discours à la Nation Allemande", puis les "nationalistes romantiques et jaco-bins" ARNDT et JAHN vulgariseront, en un langage plus accessible, l'identité philo-sophique entre "déploiement de la per-sonnalité" et "engagement pour le Volkstum (JAHN) ou la Volkheit (GOETHE)". L'ex-pression politique et collective de cette phi-losophie a été le mouvement révolutionnaire des "Burschenschaften" (Corporations d'Etu-diants) qui organisa un grand rassemblement d'universitaires à l'occasion du tricentenaire de la Réforme, en octobre 1817.

Ce mouve-ment étudiant véhiculera, contre l'absolu-tisme, l'idée nationaliste, libertaire et socia-liste, la notion moderne de démocratie orga-nique et directe et rejetera toute construc-tion politique basée sur des oligarchies fer-mées à toute circulation des élites ou tirant leur justification d'un pouvoir étranger, com-me l'Eglise catholique romaine. Héritiers de ces "Burschenschaften" du début du XIXème, sont le mouvement de jeunesse "Wander-vogel" et les "Bündischen". L'idée de liberté germanique s'y est vécue en communauté, entre hommes et femmes libres de déter-miner leur agir. La Nation allemande, dans cette optique "réformée", n'a pas néces-sairement un contenu "biologique": elle re-présente un mode de vie, une conception li-bertaire de l'existence que tous peuvent par-tager, indépendamment de leurs origines eth-niques. Le patriotisme "allemand" qui en dé-coule procède dès lors d'une défense de cette manière de concevoir l'existence, si-multanément universelle et soucieuce des spécificités, créations de Dieu et, comme telles, aimées de Dieu. L'universalité, ici, n'implique pas le culte iconoclaste du bras-sage cosmopolite, du brouet insipide que constituerait le mélange indifférencié de toutes les ethnies, peuples et races de ce monde.

Différence et Universalité font ici bon mé-nage: une double leçon est à tirer de ce constat; 1) les cosmopolites actuels qui se réclament du marxisme ignorent généra-lement que c'est précisément cet arrière-plan luthérien, goethien, herdérien et fich-téen qui est à l'origine des forces populaires qui ont sous-tendu, à ses débuts, le mouve-ment socialiste et que cette ignorance con-duit leurs discours et leurs démarches à la stérilité; 2) l'actuel débat qui tracasse les intellectuels parisiens, rassemblés dans le sillage de la revue Globe,  quant à la gran-de lutte manichéienne opposant "univer-salistes" (eux et les néo-libéraux) et "identi-taires" (la "Nouvelle Droite", les régiona-listes, les écolos,...), s'avère pure vacuité pour quiconque possède un minimum de cul-ture "réformée".

Le texte de HAVERBECK recèle en consé-quence une portée universelle: il nous dé-voile les racines de la pensée politique anti-absolutiste du XIXème siècle et nous indique quels organisations politiques et cuturelles l'ont exprimée sans détours.

Michael VOGT aborde, pour sa part, l'histoire du marxisme allemand (le seul marxisme "pur" qui soit) et analyse, dans cette histoire, quels ont été les liens entre les mouvements sous-tendus par la philosophie marxiste et la pensée nationale allemande. Certes, en théorie, le marxisme ne retient pas la "nation" comme catégorie essentielle du jeu politique ou de la nature humaine mais la perçoit comme cadre concret de son action politique, de son combat quotidien. LENINE et STALINE ont eu des mots très durs pour les particularismes nationaux. STALINE réfutait les démonstrations des austro-marxistes RENNER et BAUER, qui revendiquaient l'auto-détermination des eth-nies au sein de l'Empire austro-hongrois. Le "nationalisme" n'est donc, selon STALINE, qu'un esprit de clocher stérile. Mais si ce nationalisme correspond à une libération na-tionale et sociale, dirigée contre la bour-geoisie cosmopolite et se révélant solidaire à l'égard des prolétaires en lutte ailleurs dans le monde, il acquiert, aux yeux de STALINE et des staliniens, une "valeur pra-tique positive".

VOGT va alors démontrer que, dans la tra-dition marxiste, le nationalisme allemand a quasiment toujours été considéré comme une valeur pratique positive. Chez LASSALLE, chef du mouvement ouvrier allemand jus-qu'en 1864 (année où il meurt en duel), le socialisme triomphera lorsqu'il sera garanti par la monarchie contre les égoïsmes de la bourgeoisie. Ce socialisme monarchiste, por-té par l'alliance de la couronne et des orga-nisations de base ouvrières, n'avait bien en-tendu rien de marxiste; néanmoins, il dé-signe l'ennemi commun du pouvoir politique pur et des masses déshéritées: l'indivi-dualisme bourgeois, libéral et égoïste, cos-mopolite et sans patrie.

Chez les pères fondateurs directs du mar-xisme, MARX et ENGELS, le nationalisme allemand, en tant qu'idée pratique, apparaît clairement, voire crument. Dès le "Manifeste du Parti Communiste" de 1848, ils réclament "la constitution d'une république grande-alle-mande unitaire et indivisible". En 1884, trente-six ans après, ENGELS n'a pas changé d'avis, nous rappelle VOGT: il refuse la prussianisation de l'Allemagne dans le cadre du Reich petit-allemand (sans l'Autriche ger-manique) de BISMARCK pour réclamer une "république unitaire et révolutionnaire" qui comprendra l'Autriche. L'oeuvre de BIS-MARCK est critiquée parce qu'incomplète. ENGELS pourtant ne considère pas cette oeuvre comme négative; pour lui, BIS-MARCK crée le cadre étatique où se dérou-lera la future révolution, en éliminant les privilèges des petits princes et en domptant les églises et la bourgeoisie, forces centri-fuges qui ne visent que leurs intérêts par-ticuliers. ENGELS critique sévèrement la condamnation du bismarckisme par les sociaux-démocrates regroupés autour de LIEBKNECHT: "Vouloir, comme Liebknecht, faire revenir l'histoire à la situation d'avant 1866, c'est de la bêtise...".

C'est ENGELS, en fait, qui est à l'origine du patriotisme unanimiste de la classe ou-vrière allemande en août 1914. La sociale-démocratie vote les crédits de guerre, afin de lutter contre l'autocratisme tsariste, en-nemi des libertés et du socialisme, et contre la France qui, malgré son républicanisme reste "bonapartiste". Seule une infime frac-tion, regroupée autour de Rosa LUXEM-BURG et Karl LIEBKNECHT s'affirme hos-tile à la guerre. Cette fraction n'aura le dessus qu'en 1918, quand des "conseils" (Räte) d'ouvriers, de soldats et de matelots déclencheront la révolte spartakiste. Cette révolte, ce seront les sociaux-démocrates embourgeoisés qui la materont et l'écrase-ront. Pour VOGT comme pour l'historien Hellmut DIWALD, réputé conservateur, le spartakisme, nonobstant ses discours interna-tionalistes, aurait pu forger une nation so-cialiste, créer un socialisme authentiquement allemand. VOGT poursuit: "Avoir écrasé la révolution rouge fut la grande faute de la République de Weimar; avoir négligé de ré-concilier les matelots rouges avec les sol-dats des corps francs dans le cadre d'un so-cialisme allemand, a été la grande erreur de la SPD. Elle a au contraire donné l'ordre aux corps francs, d'extrême-droite, d'écraser la révolution. Et pourtant, les hommes de ces corps francs, qui avaient expérimenté, dans les tranchées de la Grande Guerre, un socialisme frontiste, caractérisé par une ca-maraderie de soldats dépassant les clivages de classe, ne faisaient montre d'aucune nos-talgie monarchiste, n'avaient pas le moindre scrupule réactionnaire. L'histoire allemande a raté là une chance unique, celle de conci-lier les idéaux socialistes avec un patrio-tisme intransigeant. C'est pourquoi matelots révolutionnaires et combattants des corps francs demeurèrent des ennemis; le socia-lisme et le patriotisme devinrent des valeurs antagonistes".

LENINE, qui venait de triompher en URSS, se montrait aussi agressif que les natio-nalistes allemands à l'égard du Traité de Versailles: "une paix d'usuriers et d'é-trangleurs, de bouchers et de bandits". Le KOMINTERN, dont le représentant en Alle-magne est alors Karl RADEK, donne l'ordre à ses filiales d'embrayer sur le discours na-tionaliste allemand. Cette politique atteint son sommet lors de l'occupation de la Ruhr et de l'exécution d'Albert Leo SCHLA-GETER par les autorités militaires fran-çaises. Mais malgré Rapallo (1922), cette orientation du KPD s'enlise dans la querelle qui l'oppose aux "sociaux-fascistes" (STA-LINE) de la SPD. Pourtant le KOMINTERN demeure favorable en gros à un nationalisme puissant en Allemagne: en 1924, le parti communiste polonais est rappelé à l'ordre parce qu'il n'a pas inscrit dans son pro-gramme le retour des terres silésiennes et ouest-prussiennes (le "Corridor") à l'Alle-magne. En 1930, les communistes polonais et tchèques obéissent aux injonctions de Moscou et promettent le retour de la Haute-Silésie et des Sudètes au Reich. Le 10 janvier 1933, le KOMINTERN fait savoir qu'il sou-tient les revendications allemandes en ce qui concerne les révisions du Traité de Ver-sailles, qu'il soutient le combat du PCF pour l'autonomie alsacienne, du PCB pour les droits à l'auto-détermination du peuple fla-mand et des populations d'Eupen-Malmédy.

Ces proclamations patriotiques valent au KPD un regain de popularité et de sièges au Reichstag. Mais les communistes avaient perdu trop de temps, entre la Doctrine Ra-dek et l'opposition au Plan Young, soutenue par STALINE à l'extérieur et... HITLER à l'intérieur. Nazis, communistes et nationaux-conservateurs s'y opposent avec énergie. Plus tard, en 1935, le secrétaire général du KOMINTERN, Georgi DIMITROFF avoua que la stratégie et la propagande communistes avaient été inefficaces, mal adaptées aux besoins et aux aspirations du peuple. Selon DIMITROFF lui-même, les Nazis avaient mieux joué et s'étaient montrés plus cré-dibles. Wilhelm PIECK, futur Président de la RDA, prononcera la même auto-critique.  L'accession de HITLER au pouvoir et l'éli-mination du KPD de la vie politique al-lemande rafraîchiront les relations germano-soviétiques et permettront à l'interna-tionalisme gauchiste de prendre pied au sein des PC occidentaux. Les relations germano-soviétiques seront restaurées en août 1939, malgré les événements de la guerre d'Es-pagne, où STALINE n'avait pas pris les Ré-publicains au sérieux et où HITLER traitait FRANCO de "marchand de tapis venu du Maroc" (allusion au débarquement aérien des premières troupes franquistes en Andalousie). L'invasion allemande de juin 1941 mettra fin au tandem Moscou-Berlin, dirigé au fond contre les puissances occidentales.

VOGT analyse ensuite les projets de STALINE à l'égard de l'Allemagne. Dès mai 45, le chef de l'Union Soviétique proclame sa volonté de ne pas diviser l'Allemagne. Après que la coalition anti-hitlérienne se soit ef-fondrée avec la guerre froide, STALINE ne changera jamais d'avis et réitérera régu-lièrement ses propositions de voir se consti-tuer une Allemagne unie et neutre. Après lui, les Soviétiques reviendront à la charge en 1954 et en 1955. L'épisode tragique de la révolte ouvrière de Berlin en juin 1953, VOGT l'interprète comme une revendication légitime du prolétariat patriotique berlinois mais aussi comme un débordement incon-trôlé, satisfaisant pleinement les Américains qui gardent prudemment le silence, débor-dement qui a obligé les Soviétiques à réagir violemment, donnant prétexte aux pro-oc-cidentaux, regroupés derrière ADENAUER, à rejeter les propositions soviétiques de réu-nification. VOGT analyse méticuleusement le contenu des notes de STALINE, de BERIA et de KHROUTCHEV et signale que les diri-geants de la RDA n'ont jamais renié l'ob-jectif final de la réunification au profit de leur "état partiel". En témoigne notamment le testament politique laissé par Walter UL-BRICHT.

En dehors des cercles communistes orthodo-xes et de la SED est-allemande, l'idéal na-tionaliste a également été porté par la "gauche non dogmatique", surtout celle re-groupée autour de Rudi DUTSCHKE. Cette gauche s'opposait autant à l'occupation so-viétique en RDA qu'à l'occupation améri-caine en RFA. DUTSCHKE et son camarade RABEHL adoptèrent, au sein du SDS ("Sozia-listischer Deutscher Studentenbund" ou Fédé-ration des Etudiants Socialistes Allemands), des positions assez proches du nationalisme plus classique: ils organiseront une marche de protestation contre le Mur érigé en 1961 et une marche du souvenir en mémoire du massacre de juin 1953. En juin 1967, DUTSCHKE suggère un plan pour la réuni-fication allemande, partant d'une "république des conseils" berlinoise, d'une "Commune" semblable à celle de Paris en 1871. DUTSCHKE, comme d'ailleurs bon nombre de partis classés très hâtivement par les stratèges de l'ignorance à "l'extrême-droite" en Europe occidentale, parle de la com-plicité objective des deux super-gros, du ca-pitalisme yankee et de l'asiatisme soviétique (allusion aux théories de Karl A. WITT-VOGEL sur le despotisme oriental). Pour DUTSCHKE, il ne saurait être question de considérer le problème allemand comme clos. Ce serait renier le dynamisme inhérent à la vision socialiste de l'histoire et opter pour une approche fixiste des réalités poli-tiques.

La "gauche non dogmatique", depuis la dis-parition de DUTSCHKE, ne déploie plus le même sérieux, ne démontre plus le même souci pour les problèmes de "grande poli-tique", n'entretient plus la conscience histo-rique de ses militants, en mettant en exer-gue que l'aliénation économique et sociale de la vie quotidienne est le produit direct et immédiat d'une aliénation globale et na-tionale, produit de l'impérialisme étranger. La gauche a désormais opté, en majorité, pour la flexibilité théorique de l'écologisme. Mais dans ce magma un peu fumeux, le no-yau dur demeure "national", dans le sens où il prône le départ des troupes d'occupation. Dès 1979, la problématique des missiles américains passe à l'avant-plan, montrant à quel point la RFA n'a plus la moindre sou-veraineté (et pas seulement la RFA...). Un regain d'intérêt pour la question nationale saisit depuis lors l'ensemble des milieux po-litiques allemands. En conséquence, écrit VOGT, il faudrait remercier les présidents américains CARTER et REAGAN d'avoir dé-claré sans circonlocutions, que l'Europe Cen-trale, en cas de conflit, sera inévitablement atomisée et versée au bilan négatif, sa-crifiée sur l'autel de la démocratie libérale. Le libéralisme économique, la consommation effrénée, les productions cinématographiques de Hollywood valent-ils autant que le plus modeste des vers de GOETHE? J'en doute..

Le Dr. jur. Erich SCHWINGE commente deux livres américains d'Edward N. PETER-SON et John H. BACKER, consacrés à l'his-toire de l'occupation américaine en Alle-magne au lendemain de la seconde guerre mondiale. La conclusion des deux auteurs américains est très négative: "Malgré les ef-forts du Général Lucius D. CLAY, la poli-tique d'occupation américaine a été un la-mentable échec. Les Américains ont l'art de toujours gagner les guerres mais aussi de toujours perdre la paix". Cette dernière phrase signifie que la diplomatie américaine s'avère incapable de créer un "ordre" juste dans les régions du monde où elle est ame-née à intervenir militairement.

L'échec de la diplomatie américaine en Eu-rope Centrale était prévisible quand on se souvient des plans abracadabrants élaborés dans l'entourage de ROOSEVELT quant à l'avenir de l'Allemagne. EISENHOWER vou-lait liquider 3000 à 3500 dirigeants alle-mands (militaires, policiers et membres de la NSDAP). Joseph PULITZER, lui, rêvait de faire fusiller ou pendre 1.500.000 individus, industriels et banquiers compris.

Mais la palme du ridicule macabre revient indubitablement au Ministre américain Henry MORGENTHAU. Des militaires américains avaient élaboré un plan prévoyant la remise sur pied rapide de l'industrie allemande après les hostilités. Y avait notamment col-laboré le Ministre de la Guerre Henry Lewis STIMSON. Ce plan, serein, conforme à cer-taines tendances de la diplomatie américaine des années 20, ROOSEVELT le rejeta comme "mauvais", parce qu'il ne "punissait" pas les Allemands, ne prévoyait pas leur castration et leur éradication biologique (sic!). ROOSEVELT ne pouvait souscrire qu'à un plan farfelu, conforme à ses fantasmes; ce fut le "Plan Morgenthau". ROOSEVELT don-na l'ordre de retirer le plan Stimson de la circulation et donna aussitôt des directives à MORGENTHAU: 1) les Allemands ne pou-vaient plus posséder d'avions; 2) plus per-sonne en Allemagne ne pouvait porter d'uni-forme; 3) plus aucun défilé, plus aucune pa-rade ne pouvait avoir lieu en Allemagne. On mesure là la puérilité du Président des Etats-Unis. Mais, pour MORGENTHAU, l'es-sentiel était de briser définitivement les reins de l'industrie allemande. Le Reich, en conséquence, devait être transformé en "Etat agricole", de façon à ce que les in-dustries britannique et belge puissent prospé-rer. Les 18 millions de travailleurs alle-mands superflus devraient alors être dépor-tés en Afrique Centrale pour "y travailler" ou nourris par les cuisines roulantes de l'ar-mée d'occupation américaine (sic!). Les installations industrielles et les carrières de minerais devaient être dynamitées, les mines de charbon noyées, la Ruhr internationalisée, la Sarre annexée à la France, etc.

Après la mort de ROOSEVELT, survenue le 12 avril 1945, et l'accession à la présidence de TRUMAN, les idées farfelues de MOR-GENTHAU firent long feu. Les Britanniques (CHURCHILL excepté) considérèrent d'em-blée ces spéculations comme irréalisables et insensées. Ce sera STIMSON qui accom-pagnera TRUMAN à Potsdam. Mais l'esprit de MORGENTHAU continua à hanter bon nombre de cerveaux américains. Le régime d'occupation allait, malgré les efforts de STIMSON et de CLAY, ressentir les effets de la propagande orchestrée autour du Plan Morgenthau.

Les démocraties occidentales considéraient leur participation à la guerre comme une croisade en vue de rétablir le droit. Il y a tout lieu de rester sceptique à l'encontre de telles intentions, écrit SCHWINGE, lorsque l'on étudie la praxis réelle de l'occupation. Les Américains ont agi de manière systè-matique contre les conventions de La Haye. Celles-ci n'ont été en vigueur que tant que subsistait une situation de belligérance et un gouvernement allemand, en l'occurence celui de DöNITZ. Celui-ci cesse d'exister par dé-cret des quatre puissances occupantes le 5 juin 1945, décision confirmée lors de la con-férence de Potsdam, le 1 août 1945. Le gouvernement allemand est remplacé par une Commission interalliée qui représentera seule l'autorité jusqu'au début des années 50. Par l'inexistence d'un gouvernement, les limites que le droit international impose norma-lement aux occupations militaires tombent. Les alliés procèdent sans que n'existent des normes juridiques valables. En fait, l'Al-lemagne n'existait plus et, en conséquence, il n'y avait plus de "prisonniers de guerre" allemands; ceux-ci étaient traités comme des apatrides, comme des sujets dépourvus de droits.

SCHWINGE dénonce, dans son texte, trois pratiques en contradiction avec les con-ventions de La Haye: 1) L'arrestation auto-matique des suspects et leur concentration dans des "camps d'internement"; 2) rien n'avait été prévu pour le traitement des pri-sonniers de guerre en Allemagne; des cen-taines de milliers d'hommes sont massés sans abris, ne reçoivent aucune nourriture digne de ce nom et ne disposent pas des moindres installations d'hygiène; par ailleurs, les Français négocient avec certains Amé-ricains la livraison d'un million de pri-sonniers de guerre allemands, afin de "re-construire la France". CLAY s'y opposera, traitant ce maquignonnage de "marché d'es-claves". 3) La justice militaire américaine procède de manière incohérente, selon la plus ahurissante des fantaisies; elle devait essentiellement traiter des affaires de droit commun mais parfois aussi des cas plus compliqués, pour lesquels ses juges n'avaient aucune compétence.

Ces abus sont des conséquences directes des élucubrations de MORGENTHAU. Caspar von SCHRENCK-NOTZING, dans sa contribution, explique les implications politico-culturelles de l'occupation américaine: la "rééducation" (euphémisme pour "lavage de cerveau") et son corollaire immédiat, la crise d'identité qui a ravagé une ou deux générations d'Al-lemands et fait perdre à l'ensemble des Eu-ropéens toute compréhension globale de leur histoire.

L'initiative du Professeur WILLMS et de Wigbert GRABERT, mérite certes une plus grande attention que cette simple recension. L'ampleur des interrogations, la pertinence des bilans qui font ce livre montrent à quel point cette "question allemande", non réso-lue, récapitule le malaise européen, les nos-talgies libertaires qui tourmentent tous les peuples soucieux de leur auto-détermination, la crise actuelle du marxisme, détaché de ses racines historiques et perdu dans des spéculations souvent sans objets...

Detlef BAUMANN.

Bernard WILLMS (Hrsg.), Handbuch zur Deutschen Nation, Band 1, Geistiger Bestand und politische Lage, Hohenrain-Verlag, Tü-bingen, 1986, 457 S., 49,80 DM. 

mardi, 14 juillet 2009

Le rôle du Vatican dans l'élaboration du Traité de Versailles

PieX.jpg

 

 

SYNERGIES EUROPÉENNES - Septembre 1986

Le rôle du Vatican dans l'élaboration du "Diktat" de Versailles

C'est un document très curieux qu'a réédité la Faksimile Verlag de Brème. Rédigé par un certain "Mannhart", ce texte, datant de 1938, accuse le Vatican d'avoir voulu la destruction de l'Allemagne prusso-centrée, née du génie politique de Bismarck. Procédant systématiquement, "Mannhart" a épluché toute la presse allemande, vaticane, italienne et française pour étayer sa thèse. Son travail a ceci d'intéressant qu'il aide à mettre en exergue les manigances d'Adenauer, catholique rhénan francophile. Et ainsi d'expliquer quelque peu la division actuelle de l'Allemagne, voulue dans les années 50 par le calamiteux ex-bourgmestre de Cologne.

Si en août 1914 le Vatican de Pie X souhaite la victoire de l'Autriche-Hongrie, puissance catholique, contre les Serbes et les Russes orthodoxes, le vent tournera à Rome en octobre 1914 quand le Cardinal Gasparri devient "Secrétaire d'Etat du Vatican", au-trement dit Ministre des Affaires Etrangères de l'Eglise. Le 7 janvier 1915, dans un journal américain, le New York Herald,  les intentions de Gasparri apparaissent, à peine déguisées, pour la première fois: détacher les provinces catholiques de l'Allemagne du Sud de la Prusse protestante. Pour obtenir l'élimination du protestantisme en Allemagne septentrionale, donc pour "déprussianisé" l'ensemble créé par Bismarck, l'Eglise sera prête à tout, en tablant sur l'impérialisme français et en abandonnant l'Autriche-Hongrie. C'est parmi les partisans de cette "géopolitique" catholique que Clémenceau trouvera, en Allemagne, des alliés pour sa politique. A Versailles, le Vatican appuyera les annexions en faveur des nations catholiques, la France, la Belgique, l'Italie et la Pologne mais déplorera le démantèlement de la Monarchie austro-hongroise. Par la suite, ce jugement ambigu se maintiendra: anti-allemand à l'Ouest (en France et en Belgique, où la querelle se complique par l'avènement du mouvement flamand) et anti-bolchévique, c'est-à-dire anti-russe et relativement pro-allemand en Europe Centrale et en Europe de l'Est. "Mannhart" décrit avec minutie les complots du parti ultra-montain en Allemagne pendant la guerre.

Mannhart, Verrat um Gottes Lohn? Hintergründe des Diktates von Ver-sailles, Faksimile-Verlag, Bremen, 1985, 104 S., 13 DM.

Adresse: Faksimile-Verlag,

Postfach 66 01 80, D-2800 Bremen 66.

dimanche, 12 juillet 2009

Ein Gea(e)chteter - Ernst von Salomon

Ex: http://www.ostpreussen.de/

cadets.jpg

Ein Gea(e)chteter
Hans-Joachim v. Leesen zum 100. Geburstag Ernst v. Salomons

Frage 2 des Fragebogens: Name? Antwort: von Salomon, Ernst. Frage 4: Geburtsdatum? Antwort: 25. September 1902, morgens 2 Uhr 5 Minuten. Frage 5: Geburtsort? Antwort: Kiel. Doch bei so nüchternen Angaben beläßt es der Gefragte, der in diesen Tagen 100 Jahre alt geworden wäre, nicht. Und das gerade war die ebenso originelle wie zugkräftige Idee, die sein vor 51 Jahren erschienenes Buch "Der Fragebogen" zum ersten Bestseller der Bundesrepublik Deutschland machte, von dem bis heute 450.000 Exemplare verkauft sind. Hinzu kommen Übersetzungen in fast alle wichtigen Sprachen. Die Ausgabe als heute noch lieferbares rororo-Taschenbuch weist im Impressum die Angabe auf, im Dezember 1999 sei das 98. Tausend der Taschenbuchfassung ausgeliefert worden. Und wer sie sich jetzt nicht nur kauft, sondern auch liest, der wird verblüfft feststellen, daß das Buch immer noch so frisch und aktuell ist wie vor einem halben Jahrhundert.

Als die Sieger 1945 endlich Deutschland niedergerungen hatten, genügte ihnen nicht die Ausschaltung der deutschen Macht. Sie wollten vielmehr die Deutschen zu anderen Menschen machen. Das sollte mittels einer Methode vollbracht werden, die sie als "Umerziehung" bezeichneten, die später, als die Chinesen sich ihrer bedienten, als "Gehirnwäsche" in die Geschichte einging, treffender und umfassender aber wohl den Namen "Charakterwäsche" verdient. Die Besiegten sollten ihre Geschichte, so wie sie sie bisher gesehen hatten, verleugnen und sie so deuten, wie die Sieger es ihnen vorschrieben, wobei die Schwie- rigkeit darin bestand, daß die vorher so herzlich verbündeten Sieger sich sehr bald uneins wurden und jeweils eine ganz andere Auffassung von deutscher Geschichte demonstrierten. Die Deutschen sollten auch nicht mehr "autoritätsgläubig" sein, nicht mehr gemäß dem fünften Gebot Vater und Mutter ehren, überhaupt all das ablegen, was ein späterer Parteivorsitzender "Sekundärtugenden" nennen sollte. Diesem Ziel diente zunächst einmal der "Fragebogen der Alliierten Militärregierungen", den jeder erwachsene Deutsche ausfüllen sollte. In ihm stellte man den Deutschen 131 Fragen - von der Frage 1: "Für Sie in Frage kommende Stellung" bis zur Frage 131: "Kenntnis fremder Sprachen und Grad der Vollkommenheit". Die Fragen waren von einer Qualität wie etwa jene mit der Nummer 108, die da lautete: "Welche politische Partei haben Sie in der November-Wahl 1932 gewählt?", eine Frage, die Zweifel aufkommen ließ an dem Verständnis der demokratischen Sieger für eine allgemeine, gleiche und geheime Wahl, die nicht gerade dazu dienen konnte, die Hoffnung der Deutschen auf die kommende Demokratie zu festigen.

v. Salomon hatte sich, nachdem er anderthalb Jahre lang in einem US-Internierungslager inhaftiert worden war, um dann mit dem Vermerk "irrtümlich verhaftet" sang- und klanglos entlassen zu werden, vorgenommen, den Fragebogen ernst zu nehmen und ihn Punkt für Punkt ausführlich zu beantworten. Dabei beließ er es nicht bei den 131 Fragen, sondern nutzte die den Fragen sich anschließende Rubrik "Remarks/Bemerkungen", um auf 150 Druckseiten "Bemerkungen" über seine Erfahrungen in US-Haft niederzuschreiben.

Diese Schilderungen waren seinerzeit wohl ein wesentlicher Grund für den explosionsartigen Erfolg. Im ersten Jahr nach dem Erscheinen wurden 100.000 Bücher verkauft. Weder davor noch - wenn man richtig beobachtet - danach hat jemand dieses wichtige Kapitel deutscher Nachkriegsgeschichte in einer literarisch anspruchsvollen Form geschildert. Doch nicht nur die Form machte den Reiz aus, sondern ebenso die mitgeteilten Tatsachen, die bislang mit einem Tabu belegt waren. Un- menschlichkeiten wurden schon damals ausschließlich der deutschen Seite zugeschrieben, während man nun erkannte, daß sie auch den Siegern nicht fremd waren.

Aber weit darüber hinaus ist der "Fragebogen" ein menschliches Dokument über das Leben und das Denken in Deutschland in der ersten Hälfte des 20. Jahrhundert, gesehen durch die Brille eines Mannes, der politisch schwer einzuordnen ist. Man könnte ihn konservativ nennen, wenn er nicht auch die vorhandenen Verhältnisse auf dem Wege der Revolution hätte ändern wollen.

Mit Sicherheit war er kein Kommunist, weil er nichts von dem Ideal der Gleichheit hielt und auch der Brüderlichkeit gegenüber ein erhebliches Maß an Skepsis beibehielt. Den Liberalismus lehnte er entschieden ab und hielt die Ordnung für lebenswichtiger als die Freiheit. Man hat ihn eingeordnet in die Reihen der konservativen Revolutionäre wie etwa Ernst Jünger, dem er freundschaftlich verbunden war, Oswald Spengler oder Arthur Moeller van den Bruck.

Auf die Frage nach der Staatsangehörigkeit antwortete Ernst v. Salomon: "Ich bin Preuße. Die Farben meiner Fahne sind schwarz und weiß. Sie deuten an, daß meine Väter für die Freiheit starben, und fordern von mir, nicht nur bei hellem Sonnenschein, sondern auch in trüben Tagen ein Preuße zu sein. Es ist dies nicht immer einfach."

Er sei als Preuße "gewohnt, gehalten und gezwungen, den Tatsachen nüchtern ins Auge zu blicken," schreibt er. Das dürfte eine wichtige Aussage sein: Er läßt sich durch Phrasen nichts vormachen und bleibt der nüchterne Betrachter der Zeitläufe. Natürlich akzeptiert er, daß er nach dem Staatsangehörigkeitsprinzip Deutscher ist. Inhaltlich ist ihm aber das Preußische wichtiger, denn: "Preußen hat den Staat gelebt. Es gibt keinen Augenblick preußischer Geschichte, in welchem sich nicht, wer immer für Preußen verantwortlich war, mit dem Staate, mit der Idee des Staates befassen mußte. Preußen hat jeden Tag vor harten Wirklichkeiten gestanden. Die Gefährdung war ebenso ungeheuer wie die Aufgabe. Vielleicht ist es darum gewesen, daß sich ein Bündel edler Namen aus allen deutschen Geschlechtern zu Preußen hingezogen fühlte, preußisch wurde aus Wahl, durch Bekenntnis, daß die besten Preußen ihrer Herkunft nach nicht preußisch waren, nicht preußisch durch den Zufall der Geburt ... Und dies ist das Erstaunliche: das preußische Staatsgefühl hatte dem einzelnen nichts zu bieten als strenge Forderungen. Es verlangte vom König, der erste Diener des Staates zu sein, wertete niemals Absichten, immer nur Leistungen, es wahrte nicht Interessen und Vorteile, sondern Idee und Formen, es achtete nicht auf die Erfüllung. Im Ganzen ist dies Staatsgefühl ... bedeutend mehr ethisch als metaphysisch oder biologisch be- dingt ..."

Angesichts solcher Aussagen kann man nur zu dem Schluß kommen, daß der preußische Geist genau das Gegenteil ist vom bundesrepublikanischen Geist von heute.

Neben einigen anderen Büchern aus der Feder Ernst v. Salomons nach dem Kriege, wie etwa "Die schöne Wilhelmine", ein Unterhaltungsroman mit hohen Auflagen und Fernsehweihen, aber ohne politische Bedeutung, ragen seine bis 1945 erschienenen und dann von den Siegern natürlich sofort verbotenen Werke heraus. Sein erstes Buch trug den Titel "Die Geächteten" und erreichte nach Angaben des Verlages eine Auflage von 50.000, was nicht stimmen kann, liegt doch dem Berichterstatter ein Exemplar aus der Kriegszeit vor, das den Vermerk trägt "115.000 bis 119.000 Tausend". In ihm schilderte v. Salomon seinen Weg als preußischer Kadett im Jahre 1919 und in der Zeit der totalen Verwirrung während der ersten Nachkriegsjahre, die er den "Nachkrieg" nennt und in der er als Soldat in einem der von der sozialdemokratisch geführten Reichsregierung ins Leben gerufenen Freikorps mithalf, das Reich vor dem Untergang in kommunistischen Revolutionsversuchen zu bewahren. Dabei stellte er mit seinen Kameraden fest, daß sie eigentlich keineswegs die Absicht gehabt hatten, die alte Ordnung aufrechtzuerhalten. Er schilderte, wie die Idee des Frontsozialismus entstand, der aber angesichts der Gefährdung des Reiches von außen wie von innen nicht ausformuliert werden konnte.

Salomon kämpfte mit seinem Freikorps in Berlin gegen spartakistische Umsturzversuche, im Baltikum gegen die auf die deutschen Grenzen vorrückende Rote Armee. Er beschützte die Weimarer Nationalversammlung, arbeitete im Untergrund gegen die französische Besatzungsmacht im Westen Deutschlands und fand sich schließlich mit Tausenden seiner Kameraden zusammen, als es darum ging, Oberschlesien gegen den Ansturm polnischer Insurgenten zu verteidigen.

Als die Lage des Reiches vor allem aufgrund der Ausbeutung des Landes durch unermeßliche Tributzahlungen an die Sieger von 1918 immer verzweifelter wurde, gelangte er mit anderen Kameraden zu dem Schluß, daß die sogenannte Erfüllungspolitik der Reichsregierung zum Untergang des Landes führen mußte. Deshalb beschlossen sie, den in ihren Augen für das System repräsentativen Reichsaußenminister Walther Rathenau zu ermorden. Man glaubte, das Attentat könnte das Signal zu einer nationalen Erhebung sein. Sie hatten sich geirrt. Salomon war am Rande an den Vorbereitungen beteiligt. Er wurde gefaßt, vor Gericht gestellt und zu fünf Jahren Zuchthaus verurteilt, die er absaß.

Nach der Entlassung entdeckte der Verleger Ernst Rowohlt seine schriftstellerische Begabung und veranlaßte ihn, seine Erlebnisse und Empfindungen niederzuschreiben. Daraus entstand das Buch "Die Geächteten".

Ihm folgte in den dreißiger Jahren ein schmalerer Band über seine Kadettenzeit: "Die Kadetten". Salomon bemühte sich, die Geschichte der Freikorps in mehreren Büchern zu dokumentieren, so in dem jetzt wieder als Reprint vorliegenden Werk "Das Buch vom deutschen Freikorpskämpfer" oder in der mehr theoretischen Schrift "Nahe Geschichte".

Im Dritten Reich hielt er sich aus der Politik heraus. So hatte er sich das neue Deutschland nicht vorgestellt, war er doch nicht der Mann der Massen, sondern einer, der den Elitegedanken hochhielt. Überhaupt nichts anfangen konnte er mit den Bemühungen der Nationalsozialisten, die Geschichte und die Politik mit Hilfe des Rassegedankens zu interpretieren, ein ideologischer Ansatz, der nicht nur scheiterte, sondern auch zu schrecklichen Verbrechen führ-te.

Er war zunächst Lektor im Rowohlt-Verlag, dann Drehbuchautor bei der Ufa und bei der Bavaria. Zahlreiche Drehbücher, die meisten unpolitisch, entstammten seiner Feder.

Die einmarschierten US-Truppen nahmen in dem Bemühen, alle Elemente der bisherigen deutschen Elite auszuschalten, auch Ernst v. Salomon im Rahmen des "automatic arrest" fest. Er durchlief mehrere US-Internierungslager und erlebte all die Demütigungen, Schikanen und Brutalitäten, die sich auch die westlichen Sieger gegen die völkerrechtswidrig eingesperrten Internierten im Übermaß zuschulden kommen ließen.

Aus den Internierungserlebnissen entstand "Der Fragebogen", den er auf Sylt schrieb. Der Leser erfährt von der Gedankenwelt ebenso wie von den Taten der jungen Nationalrevolutionäre während der Weimarer Republik. Die Freikorpskämpfe werden wieder lebendig, ebenso wie die Anstrengungen der Landvolkbewegung Ende der 20er Jahre. Salomon schilderte die Zeit vom 30. Januar 1933 bis 8. Mai 1945, diese Spanne, die "gewöhnlich als die des Dritten Reiches, billig als die des Tausendjährigen Reiches, kurz als die des Nazi-Regimes, und gut als die der nationalsozialistischen Regierung in Deutschland bezeichnet wird", wie er es formuliert. Und schließlich holt er aus, um das zu schildern, was er als Internierter in US-Lagern erleben mußte.

Was damals den Deutschen am "Fragebogen" so gut gefiel und auch heute noch pures Lesevergnügen bereitet, ist jede fehlende Anpassung, jeder Mangel an vorauseilendem Gehorsam und politischer Korrektheit. Statt dessen schildert v. Salomon selbstbewußt, frech, teils auch wohl sarkastisch und auch nicht ohne Aggression die Zeit. Das Buch wirkte damals Anfang der 50er Jahre wie befreiend für die geistige Atmosphäre und wurde daher auch von den Inhabern der Macht angegiftet.

Von den Erträgen des Buches kaufte Salomon für sich und seine Familie ein Bauernhaus in Stöckte an der Luhe. Am 5. August 1972 ist dort Ernst v. Salomon im Alter von 69 Jahren gestorben. Der heimatlose Rechte liegt auf dem Waldfriedhof in Marienthal in der Lüneburger Heide begraben.

 

CD "Ein preußischer Revolutionär": Bereits mit 28 Jahren schrieb Ernst v. Salomon in seinem autobiographischen Werk "Die Geächteten" seine Erlebnisse als Freikorpskämpfer nieder. Es ist eines der bedeutendsten Dokumente über die Zeit des Bürgerkrieges in Deutschland, der Putschversuche und Aufstände sowie des Kampfes der Freikorps an den deutschen Grenzen. Die gelungene musikalische Untermalung macht die Lesung ausgewählter Kapitel zu einem Hörgenuß. Mit mehrfarbigem Beiheft. Zirka 70 Minuten, 14,95 Euro.

 

Die Staats- und Wirtschaftspolitische Gesellschaft e.V. und der Ostdeutsche Kulturkreis e.V. laden zu einer Gedenkveranstaltung am Donnerstag, 26. September 2002, um 19.30 Uhr im Saal "Kaiser Friedrich", Kiel, Hasselsdieksdammer Weg 2 (Eingang vom Wilhelmplatz aus). Der Historiker und Germanist Dr. Olaf Rose, Bochum, spricht über das Werk und den Menschen Ernst v. Salomon, der Rezitator Günther Pahl, Pinneberg, liest aus v. Salomons Büchern. Die Veranstaltung ist öffentlich, der Eintritt beträgt 5 Euro, für Schüler und Studenten 3 Euro.


mardi, 07 juillet 2009

Bibliographie sur les événements de "Yougoslavie"

yougoslavie1.gif

 

 

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1992

Bibliographie sur les événements de «Yougoslavie»

 

Pour comprendre la question croate

 

Walter SCHNEEFUSS, Die Kroaten und ihre Geschichte,  Wilhelm Goldmann Verlag, Leipzig, 1942.

Cet ouvrage a paru pendant la guerre, au moment où l'Allemagne hitlérienne soutenait l'Etat ousta­chiste d'Ante Pavélic. Son analyse de la réalité po­litique, par conséquent, est marquée par ce con­­texte et n'a plus aucun intérêt aujourd'hui. En revanche, son esquisse de l'histoire de la Croatie, depuis l'arrivée des premières tribus croates, en passant par les époques byzantines, italiennes, ot­tomanes et hongroises est l'une des pré­sen­ta­tions les plus claires de la question qui ait jamais été publiée en Europe de l'Ouest. L'auteur recon­naît les erreurs des administrations autrichienne et hon­groise en Croatie, ce qui a suscité des désirs d'u­nification yougo-slave chez les intellectuels croa­tes. Mais ces aspirations ont été dénaturées par la monarchie des Karageorgevitch. Les Croa­tes ont alors revendiqué leur indépendance. Un li­vre à rechercher chez les bouquinistes!

 

Wolfgang LIBAL, Das Ende Jugoslawiens. Chronik einer Selbstzerstörung, Europaverlag, Wien/Zürich, 1991, 176 S., DM 29,-/öS 198,-. ISBN 3-203-51135-5.

Correspondant de plusieurs agences de presse et journaux allemands, suisses et autrichiens, Wolf­gang Libal (né en 1912) est l'un des plus émi­nents spécialistes ès-affaires balkaniques de lan­gue allemande. Son verdict: la «Seconde You­go­slavie» de Tito est morte. Elle vient de connaître le même sort que la «Première Yougoslavie» des Karageorgevitch. Elle a succombé à ses contra­dictions internes. Aucun des peuples de l'espace sud-slave n'a accepté l'hégémonie serbe puis ser­bo-communiste. Le poids du passé, des diffé­ren­ces de tous ordres forgées au cours des siècles qui nous ont précédés, a pesé plus lourd que la volonté politique d'unir cette région d'Europe. Le livre de Libal retrace les péripéties de la vie po­li­tique et parlementaire yougoslave de 1918 à 1934, date de l'assassinat à Marseille du Roi Ale­xandre par les Macédoniens et les Oustachistes de Pavelic. Dans les querelles entre centralistes et fédéralistes, séparatistes et royalistes, nous re­trou­vons tous les clivages de l'espace you­go­sla­ve.

 

Jens REUTER, «Der Bürgerkrieg in Jugoslawien. Kriegsmüdigkeit, Kriegspsychose und Wirtschaftsverfall», in Europa Archiv. Zeitschrift für Internationale Politik, 1991/Nr. 24, 25.12.1991.

Bimensuel édité par la Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik, Verlag für Internationale Politik, Bonn (Adenauerallee 131, D-5300 Bonn). ISSN 0014-2476.

L'auteur examine l'état des «mouvements pour la paix» (la «Marche des Mères», la «Caravane de la Paix», le «Referendum contre la guerre», etc.) en Serbie et en Voïvodine. Le gros de la population est hostile à la guerre. Mais le gouvernement to­lè­re les parades de Tchetniks armés dans les rues et sur les places de marché de Belgrade. Le com­mer­ce des armes est libre et les partisans serbes peuvent vendre le produit de leurs pillages sur les marchés. Mais 30% seulement des réservistes ser­bes ont rejoint leurs unités lors de la mobili­sa­tion de l'automne 1991. A Belgrade, moins de 10%! Au Monténégro, 40% des rappelés ont répondu. A Zagreb, règne une psychose para­ly­sante: les irréguliers serbes ne campent pas loin de la capitale croate.

Reuter se penche ensuite sur le problème des dé­sertions, au début de l'automne 91: Bosniaques et Macédoniens ne veulent plus servir dans l'armée fé­dérale. En Macédoine, les fonctionnaires font dis­paraître les listes d'appelés; quelques jours plus tard, le Président macédonien Kiro Gligorov et son parlement décident officiellement de ne plus envoyer de soldats dans l'armée fédérale. La si­tuation économique est catastrophique: en Ser­bie, la planche à billets fonctionne sans in­ter­rup­tion, annonçant une inflation sans précédent; la Ser­bie a néanmoins pu dégager de substantiels sur­plus agricoles; en Croatie, l'économie est blo­quée à cause des combats; la Slovénie a perdu 23% de son marché, qui était auparavant inter-yougoslave. 

 

Wolfgang WAGNER, «Acht Lehren aus dem Fall Jugoslawien», in Europa Archiv. Zeitschrift für internationale Politik, 1992/2, 25.1.1992 (réf. et adresse ci-dessus).

Wagner énonce huit leçons de la crise you­go­sla­ve.

1. Quand l'Europe était partagée en deux blocs, el­le vivait davantage en paix qu'à l'heure actuelle, où cette confrontation globale a disparu.

2. Les élections libres ne sont plus une garantie de voir les peuples vivre côte à côte en harmonie.

3. Il est faux de croire que la guerre a cessé d'être perçue comme moyen de la politique en Europe, malgré les expériences tragiques des deux guerres mondiales.

4. Les Etats-Unis ne veulent pas intervenir en Europe. Ils estiment que c'est le rôle des Euro­péens de faire respecter les grands principes hu­ma­nitaires dans les Balkans.

5. L'idée qu'il faut intervenir dans les affaires in­térieures d'un Etat qui ne respecte pas les droits de l'homme reste une pure vue de l'esprit. Les réa­lités politiques continuent à s'imposer, dans tou­tes leurs dimensions tragiques, en dépit de ce vœu pieux, lancinant depuis la SDN.

6. Les moyens d'empêcher toute effusion de sang dans un conflit politique demeurent faibles.

7. Vu leur impuissance à agir et à résoudre les con­flits, les gouvernements cherchent des dériva­tifs humanitaires ou diplomatiques, non pas pour résoudre les problèmes par d'autres voies mais pour éviter qu'on ne leur reproche leur inaction.

8. Ni l'Europe ni le monde ne disposent d'une or­ganisation internationale capable d'enrayer et d'ar­rêter les conflits contre la volonté de leurs pro­tagonistes.

 

Waldemar HUMMER u. Peter HILPOLD, «Die Jugoslawien-Krise als ethnischer Konflikt», in Europa Archiv. Zeitschrift für internationale Politik, 1992/4, 25.2.1992.

Les auteurs partent du constat qu'en dépit des ex­pulsions massives de minorités (surtout alleman­des) après 1945, les conflits inter-ethniques en Eu­rope demeurent aigus. La crise «yougoslave» en est la plus sanglante illustration. Tito avait réus­si à maintenir l'équilibre entre les différents peu­ples de Yougoslavie en introduisant des mé­canismes de rotation du personnel politique et administratif. Mais cet équilibre était précaire. Dès la mort du Maréchal, les troubles ont com­mencé au Kosovo, conduisant, par la suite, Bel­gra­de à réduire l'autonomie accordée en 1963 à cette province ethniquement albanaise à 90%. Hum­mer et Hilpold analysent les textes de la nou­velle constitution croate et constatent que les rè­gles de protection des minorités, telles qu'elles ont été élaborées par les instances européennes, sont respectées. La constitution croate prévoit é­ga­lement l'autonomie des communes de la Kra­ji­na, où les Serbes sont majoritaires. Les Serbes, op­posés au nouvel Etat fédéral croate, contestent le principe de territorialité qui préside à l'attri­bu­tion ou à la non-attribution des droits de minorité, comme l'emploi de la langue serbe (rédigée en caractères cyrilliques). Pour eux, l'emploi de la lan­gue serbe devrait être possible partout sur le ter­ritoire de la Croatie indépendante. Ensuite, les droits des minorités doivent reposer sur le prin­cipe de réciprocité: si l'Etat A accorde des droits à la minorité B, majoritaire dans l'Etat B voisin, cet Etat B doit accorder les mêmes droits à la mi­no­rité A, majoritaire dans l'Etat A. Les Croates sont prêts à accorder ces droits aux Serbes de Croatie, à la condition que les Croates de Serbie jouissent exactement des mêmes droits. Les Slovènes ont exi­gé de l'Italie qu'elle accorde les mêmes droits aux 100.000 Slovènes d'Italie qu'accorde la Slo­vénie aux 3000 Italiens qui résident sur son terri­toire. Rome a refusé! 

Bibliographie sur les événements de "Yougoslavie"

yougoslavie1.gif

 

 

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1992

Bibliographie sur les événements de «Yougoslavie»

 

Pour comprendre la question croate

 

Walter SCHNEEFUSS, Die Kroaten und ihre Geschichte,  Wilhelm Goldmann Verlag, Leipzig, 1942.

Cet ouvrage a paru pendant la guerre, au moment où l'Allemagne hitlérienne soutenait l'Etat ousta­chiste d'Ante Pavélic. Son analyse de la réalité po­litique, par conséquent, est marquée par ce con­­texte et n'a plus aucun intérêt aujourd'hui. En revanche, son esquisse de l'histoire de la Croatie, depuis l'arrivée des premières tribus croates, en passant par les époques byzantines, italiennes, ot­tomanes et hongroises est l'une des pré­sen­ta­tions les plus claires de la question qui ait jamais été publiée en Europe de l'Ouest. L'auteur recon­naît les erreurs des administrations autrichienne et hon­groise en Croatie, ce qui a suscité des désirs d'u­nification yougo-slave chez les intellectuels croa­tes. Mais ces aspirations ont été dénaturées par la monarchie des Karageorgevitch. Les Croa­tes ont alors revendiqué leur indépendance. Un li­vre à rechercher chez les bouquinistes!

 

Wolfgang LIBAL, Das Ende Jugoslawiens. Chronik einer Selbstzerstörung, Europaverlag, Wien/Zürich, 1991, 176 S., DM 29,-/öS 198,-. ISBN 3-203-51135-5.

Correspondant de plusieurs agences de presse et journaux allemands, suisses et autrichiens, Wolf­gang Libal (né en 1912) est l'un des plus émi­nents spécialistes ès-affaires balkaniques de lan­gue allemande. Son verdict: la «Seconde You­go­slavie» de Tito est morte. Elle vient de connaître le même sort que la «Première Yougoslavie» des Karageorgevitch. Elle a succombé à ses contra­dictions internes. Aucun des peuples de l'espace sud-slave n'a accepté l'hégémonie serbe puis ser­bo-communiste. Le poids du passé, des diffé­ren­ces de tous ordres forgées au cours des siècles qui nous ont précédés, a pesé plus lourd que la volonté politique d'unir cette région d'Europe. Le livre de Libal retrace les péripéties de la vie po­li­tique et parlementaire yougoslave de 1918 à 1934, date de l'assassinat à Marseille du Roi Ale­xandre par les Macédoniens et les Oustachistes de Pavelic. Dans les querelles entre centralistes et fédéralistes, séparatistes et royalistes, nous re­trou­vons tous les clivages de l'espace you­go­sla­ve.

 

Jens REUTER, «Der Bürgerkrieg in Jugoslawien. Kriegsmüdigkeit, Kriegspsychose und Wirtschaftsverfall», in Europa Archiv. Zeitschrift für Internationale Politik, 1991/Nr. 24, 25.12.1991.

Bimensuel édité par la Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik, Verlag für Internationale Politik, Bonn (Adenauerallee 131, D-5300 Bonn). ISSN 0014-2476.

L'auteur examine l'état des «mouvements pour la paix» (la «Marche des Mères», la «Caravane de la Paix», le «Referendum contre la guerre», etc.) en Serbie et en Voïvodine. Le gros de la population est hostile à la guerre. Mais le gouvernement to­lè­re les parades de Tchetniks armés dans les rues et sur les places de marché de Belgrade. Le com­mer­ce des armes est libre et les partisans serbes peuvent vendre le produit de leurs pillages sur les marchés. Mais 30% seulement des réservistes ser­bes ont rejoint leurs unités lors de la mobili­sa­tion de l'automne 1991. A Belgrade, moins de 10%! Au Monténégro, 40% des rappelés ont répondu. A Zagreb, règne une psychose para­ly­sante: les irréguliers serbes ne campent pas loin de la capitale croate.

Reuter se penche ensuite sur le problème des dé­sertions, au début de l'automne 91: Bosniaques et Macédoniens ne veulent plus servir dans l'armée fé­dérale. En Macédoine, les fonctionnaires font dis­paraître les listes d'appelés; quelques jours plus tard, le Président macédonien Kiro Gligorov et son parlement décident officiellement de ne plus envoyer de soldats dans l'armée fédérale. La si­tuation économique est catastrophique: en Ser­bie, la planche à billets fonctionne sans in­ter­rup­tion, annonçant une inflation sans précédent; la Ser­bie a néanmoins pu dégager de substantiels sur­plus agricoles; en Croatie, l'économie est blo­quée à cause des combats; la Slovénie a perdu 23% de son marché, qui était auparavant inter-yougoslave. 

 

Wolfgang WAGNER, «Acht Lehren aus dem Fall Jugoslawien», in Europa Archiv. Zeitschrift für internationale Politik, 1992/2, 25.1.1992 (réf. et adresse ci-dessus).

Wagner énonce huit leçons de la crise you­go­sla­ve.

1. Quand l'Europe était partagée en deux blocs, el­le vivait davantage en paix qu'à l'heure actuelle, où cette confrontation globale a disparu.

2. Les élections libres ne sont plus une garantie de voir les peuples vivre côte à côte en harmonie.

3. Il est faux de croire que la guerre a cessé d'être perçue comme moyen de la politique en Europe, malgré les expériences tragiques des deux guerres mondiales.

4. Les Etats-Unis ne veulent pas intervenir en Europe. Ils estiment que c'est le rôle des Euro­péens de faire respecter les grands principes hu­ma­nitaires dans les Balkans.

5. L'idée qu'il faut intervenir dans les affaires in­térieures d'un Etat qui ne respecte pas les droits de l'homme reste une pure vue de l'esprit. Les réa­lités politiques continuent à s'imposer, dans tou­tes leurs dimensions tragiques, en dépit de ce vœu pieux, lancinant depuis la SDN.

6. Les moyens d'empêcher toute effusion de sang dans un conflit politique demeurent faibles.

7. Vu leur impuissance à agir et à résoudre les con­flits, les gouvernements cherchent des dériva­tifs humanitaires ou diplomatiques, non pas pour résoudre les problèmes par d'autres voies mais pour éviter qu'on ne leur reproche leur inaction.

8. Ni l'Europe ni le monde ne disposent d'une or­ganisation internationale capable d'enrayer et d'ar­rêter les conflits contre la volonté de leurs pro­tagonistes.

 

Waldemar HUMMER u. Peter HILPOLD, «Die Jugoslawien-Krise als ethnischer Konflikt», in Europa Archiv. Zeitschrift für internationale Politik, 1992/4, 25.2.1992.

Les auteurs partent du constat qu'en dépit des ex­pulsions massives de minorités (surtout alleman­des) après 1945, les conflits inter-ethniques en Eu­rope demeurent aigus. La crise «yougoslave» en est la plus sanglante illustration. Tito avait réus­si à maintenir l'équilibre entre les différents peu­ples de Yougoslavie en introduisant des mé­canismes de rotation du personnel politique et administratif. Mais cet équilibre était précaire. Dès la mort du Maréchal, les troubles ont com­mencé au Kosovo, conduisant, par la suite, Bel­gra­de à réduire l'autonomie accordée en 1963 à cette province ethniquement albanaise à 90%. Hum­mer et Hilpold analysent les textes de la nou­velle constitution croate et constatent que les rè­gles de protection des minorités, telles qu'elles ont été élaborées par les instances européennes, sont respectées. La constitution croate prévoit é­ga­lement l'autonomie des communes de la Kra­ji­na, où les Serbes sont majoritaires. Les Serbes, op­posés au nouvel Etat fédéral croate, contestent le principe de territorialité qui préside à l'attri­bu­tion ou à la non-attribution des droits de minorité, comme l'emploi de la langue serbe (rédigée en caractères cyrilliques). Pour eux, l'emploi de la lan­gue serbe devrait être possible partout sur le ter­ritoire de la Croatie indépendante. Ensuite, les droits des minorités doivent reposer sur le prin­cipe de réciprocité: si l'Etat A accorde des droits à la minorité B, majoritaire dans l'Etat B voisin, cet Etat B doit accorder les mêmes droits à la mi­no­rité A, majoritaire dans l'Etat A. Les Croates sont prêts à accorder ces droits aux Serbes de Croatie, à la condition que les Croates de Serbie jouissent exactement des mêmes droits. Les Slovènes ont exi­gé de l'Italie qu'elle accorde les mêmes droits aux 100.000 Slovènes d'Italie qu'accorde la Slo­vénie aux 3000 Italiens qui résident sur son terri­toire. Rome a refusé! 

lundi, 06 juillet 2009

Wann war das Dritte Reich?

Wann war das Dritte Reich?

Betrachtungen zu Beginn und Ende der Imperii auf deutschem Boden

von Richard G. Kerschhofer - http://www.ostpreussen.de/

Von wann bis wann existierte das Dritte Reich. Von 1933 bis 1945, werden viele sagen und vielleicht ergänzen, von der Machtergreifung am 30. Januar 1933 bis zur Kapitulation am 9. Mai 1945. Leider unrichtig, wie zu zeigen ist. Außerdem ist Hitlers Bestellung zum Reichskanzler nicht „die Machtergreifung“, denn die war ein Vorgang, der lange vor 1933 begonnen hatte und sich danach noch fortsetzte. Bis alle gleichgeschaltet oder ausgeschaltet waren.

Begonnen haben kann das Dritte Reich erst nach dem Ende des Zweiten Reiches – doch wann war das? Ebenfalls eine schwierige Frage. Der Anfang hingegen ist eindeutig: Das Zweite Reich, das „Wilhelminische Deutschland“, begann am 18. Januar 1871, als König Wilhelm I. von Preußen zum Deutschen Kaiser ausgerufen wurde.

Ebenso eindeutig sind die Eckdaten beim „Ersten Reich“, auch „Altes Reich“ genannt. Es begann am 2. Februar 962, als der zum deutschen König gewählte Sachsenherzog Otto I. von Papst Johannes XII. in Rom zum Kaiser gekrönt wurde. Dieses Reich ist später als „Sacrum Imperium“ belegt, dann als „Sacrum Romanum Imperium“ – Heiliges Römisches Reich – und am Beginn der Neuzeit wurde „deutscher Nation“ hinzugefügt. Es endete am 6. August 1806, als Kaiser Franz II. die Reichskrone niederlegte. Er hatte bereits 1804 das Erzherzogtum Österreich zum Kaisertum gemacht und war Kaiser Franz I. von Österreich geworden. Aber durfte der Kaiser das Reich beenden? Ob er durfte oder nicht – er mußte, auf Druck Napoleons.

Das Alte Reich war kein Nationalstaat, nicht einmal ein Staat im modernen Sinn – und schon lange vor Napoleon nur mehr eine Fiktion. Goethe läßt in Auerbachs Keller den einen Saufkumpan ein Spottlied auf dieses Reich anstimmen. Ein anderer bringt ihn zum Schweigen: „Ein garstig Lied! Pfui! Ein politisch Lied.“ Aber das wahrhaft Garstige war der dynastische Egoismus deutscher Fürsten, der das Reich in den Untergang trieb und die Anrainer zum Raub von Reichsgebiet einlud.

Das Erste Reich nannte sich nie „Erstes Reich“, denn kein Reich nimmt an, daß danach noch eines kommt. Auch das Zweite Reich nannte sich nicht „Zweites Reich“, denn für die allermeisten war es keine Wiedergeburt des Ersten Reiches. Es war ein weltliches Reich, keines „von Gottes Gnaden“, und es verkörperte nur die „kleindeutsche Lösung“, war also eher ein „großpreußisches Reich“.

Woher stammen dann die Ausdrücke „Erstes Reich“, „Zweites Reich“, „Drittes Reich“ und „Tausendjähriges Reich“? Sie kommen allesamt aus der Religion. Sie hängen zusammen mit dem „Millenarismus“ (lateinisch) oder „Chiliasmus“ (griechisch), mit dem Glauben an die Wiederkunft des Messias. Für „Drittes Reich“ steht auch „Tausendjähriges Reich“ – wobei „tausendjährig“ nach Ablauf des ersten Jahrtausends nicht mehr wörtlich genommen wurde, sondern soviel wie „ewig“ bedeuten sollte.

Erstmals in politischem Sinn verwendete diese Ausdrücke der deutsche Kulturhistoriker und Politiktheoretiker Arthur MOELLER VAN DEN BRUCK in seinem Buch „Das dritte Reich“ (1923). „Parteigenosse“ war er keiner und er starb schon 1925. Ob man ihn als „Wegbereiter“ bezeichnen kann, ist Geschmackssache, aber sicher erleichterte er die Arbeit nationalsozialistischer Ideologen. „Drittes Reich“ und „Tausendjähriges Reich“ paßten trefflich in das mythisch-mystische Gedankengebäude, das der religionsartigen Überhöhung einer durchaus weltlichen Politik diente. „Drittes Reich“ wird heute zwar pauschal für die NS-Zeit verwendet, war aber nicht mehr als ein Schlagwort der Propaganda. Es hatte nie ein Territorium und war nie ein Völkerrechtssubjekt.

Eines ist noch offen: Wann endete das Zweite Reich? Sicher nicht 1918, wie das die Nationalsozialisten sahen. Denn 1918 wie 1933/34 änderte sich jeweils nur die Regierungsform. 1938 entstand ein „Großdeutsches Reich“, das beinahe den großdeutschen Vorstellungen des 19. Jahrhunderts entsprach. Aber auch wenn im „Anschluß-Gesetz“ (RGBl Nr. 28 vom 18.3.1938) „Großdeutsches Volksreich“ steht – völkerrechtlich blieb es wie 1918 das „Deutsche Reich“.

Der Ausdruck „Drittes Reich“ war jetzt nicht mehr erwünscht und ab 10. Juli 1939 auf Weisung von Goebbels den Medien sogar untersagt. „Großdeutsches Reich“ findet sich im Gesetz zur Einverleibung der Rest-Tschechoslowakei (RGBl Nr. 47 vom 16.3.1939) und in anderen amtlichen Texten. Jener Erlaß der Reichskanzlei, der das Deutsche Reich auch formell in „Großdeutsches Reich“ umbenannte (RK 7669 E vom 26. Juni 1943), wurde aber nicht mehr publiziert. „Großdeutsches Reich“ stand nur auf den Briefmarken.

Anders als das Heilige Römische Reich Deutscher Nation wurde das Deutsche Reich nie durch irgendeinen Formalakt für beendet erklärt – nicht durch die Kapitulation, nicht durch die Besatzungsmächte, nicht durch Gründung der Bundesrepublik Deutschland und der Deutschen Demokratischen Republik, ja nicht einmal durch den „Zwei-Plus-Vier-Vertrag“. So wurde die Bundesrepublik zwar Rechtsnachfolgerin des nie für tot erklärten Reiches – mit allen daraus erwachsenen Nachteilen. Friedensvertrag gibt es aber keinen. Und auch Österreich hat nur einen „Staatsvertrag“ mit Einschränkungen der Souveränität, darunter das „Anschlußverbot“.

Opération Barbarossa: forces en présences et conclusions à tirer

Operation_Barbarossa_-_German_loot.jpg

 

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1991

 

 

Opération Barbarossa: les forces en présence et les conclusions qu'on peut en tirer

 

par Joachim F. WEBER

 

Un matin d'été, 3 h 30. La nuit est sombre du Cap Nord à la Mer Noire. Tout d'un coup, l'air est déchiré par le fracas assourdissant des canons. Des milliers d'obus forment une pluie d'acier et martèlent le versant sovié­tique de cette frontière. Les positions avan­cées de l'Armée rouge sont matraquées. Et quand les premières lueurs du jour appa­raissent, la Wehrmacht allemande et ses al­liés franchissent la frontière et pénètrent en URSS.

 

C'était le 22 juin 1941. Un jour historique où l'Allemagne a joué son destin. La lutte âpre qui commence en ce jour va se terminer un peu moins de quatre années plus tard, dans les ruines de la capitale allemande, à Berlin. Pendant 45 ans, on nous a répété que cette défaite était le juste salaire, bien mérité, de l'acte que nous avions commis ce 22 juin. L'historiographie des vainqueurs de 1945 et de leur clientèle parmi les vaincus a pré­senté pendant plusieurs décennies l' comme une guerre d'ex­ter­mination minutieusement planifiée, per­pé­trée par des parjures qui n'avaient pas res­pecté le pacte qui nous liait à notre voisine de l'Est. Les historiens qui osaient émettre des opinions différentes de celles imposées par cette sotériologie offi­cielle n'ont pas rigolé pen­dant quarante-cinq ans! Mais au­jour­d'hui, alors que l'ordre éta­bli à Yalta s'ef­fondre, de gros lambeaux de légende s'en vont également en quenouille. En cette année 1991, cinquante ans après les événements, on pourrait pourtant examiner les tenants et aboutissants de cette guerre et de ses prolé­go­mènes sans s'encombrer du moindre dog­me. En effet, on est impres­sionné par le grand nombre d'indices qui tendent à réfuter la thèse officielle d'une at­taque délibérée et injustifiée contre une Union Soviétique qui ne s'y attendait pas. Ces indices sont telle­ment nombreux qu'on peut se demander com­ment des historiens osent encore défen­dre cette thèse officielle, sans craindre de ne plus être pris au sé­rieux. Nous savons dé­sor­mais assez de choses sur ce qui s'est passé avant juin 1941, pour ne plus avoir honte de dire que l'attaque allemande du 22 juin a bel et bien été une guerre préventive.

 

Un vieux débat

 

Pourtant ce débat pour savoir si l' a été une attaque délibérée ou une guerre préventive n'est ni nouveau ni ori­ginal. Les deux positions se reflétaient déjà dans les déclarations officielles des an­tagonistes dès le début du conflit. Le débat est donc aussi ancien que l'affrontement lui-même. L'enjeu de ce débat, aujourd'hui, est de savoir si l'on veut continuer à regarder l'histoire dans la perspective des vainqueurs ou non.

 

L'ébranlement des armées allemandes qui a commencé en ce jour de juin a d'abord été couronné d'un succès militaire sans précé­dant. Effectivement, le coup brutal asséné par les troupes allemandes surprend la plu­part des unités soviétiques. Par centaines, les avions soviétiques sont détruits au sol; les positions d'artillerie et les concentrations de troupes sont annihilées. Au prix de lourdes pertes en matériel, les Soviétiques sont con­traints de reculer. Dès le début du mois de juillet, commencent les grandes batailles d'en­cerclement, où des centaines de milliers de soldats soviétiques sont faits prisonniers. En tout et pour tout, l'URSS perd, au cours des trois premières semaines de la guerre, 400.000 hommes, 7600 chars et 6200 avions: une saignée inimaginable.

 

C'est après ces succès inouïs que le chef de l'état-major général de l'armée de terre al­lemande, le Colonel-Général Halder, écrit dans son journal: . Une erreur d'appré­cia­tion, comme on n'en a jamais vue. Car au bout de 1396 jours, la campagne la plus coû­teuse que l'Allemagne ait jamais déclen­chée, se termine par une défaite.

 

Le désastre soviétique

 

Pourtant, le désastre soviétique paraissait complet. Au vu de celui-ci, on comprend l'eu­phorie de Halder, même si on ne prend pas seulement en considération les deux pre­mières semaines de la guerre mais ses six premiers mois. Jusqu'à la fin de l'année 1941, la Wehrmacht fait environ trois mil­lions de prisonniers soviétiques. C'est l'am­pleur de ces pertes qui incite les défen­seurs de la thèse de l'attaque délibérée à jus­tifier leur point de vue: en effet, ces pertes ten­de­raient à prouver que l'Union Soviétique n'é­tait pas préparée à la guerre, qu'elle ne se doutait de rien et qu'elle a été complètement surprise par l'attaque allemande.

 

Il est exact de dire, en effet, que l'Union So­vié­tique n'avait pas imaginé que l'Alle­ma­gne l'attaquerait. Néanmoins, il est tout-à-fait incongru de conclure que l'Union Sovié­tique ne s'était pas préparée à la guerre. Sta­line avait bel et bien préparé une guerre, mais pas celle qu'il a été obligé de mener à partir de juin 41. Pour les officiers de l'état-major allemand comme pour tous les ob­ser­va­teurs spécialisés dans les ques­tions mili­tai­res, c'est devenu un lieu com­mun, depuis 1941, de dire que l'avance alle­mande vers l'Est a précédé de peu une avance soviétique vers l'Ouest, qui aurait été menée avec beau­coup plus de moyens. La vé­rité, c'est que le déploiement soviétique, pré­lude à l'ébran­le­ment des armées de Staline vers l'Ouest, n'a pas eu le temps de s'achever.

 

Comparer les forces

et les effectifs en pré­sence

 

Lorsque l'on compare les forces et les effec­tifs en présence, on en retire d'intéressantes leçons. On ne peut affirmer que la Wehr­macht allemande  —sauf dans quelques uni­tés d'attaque aux effectifs ré­duits et à l'affec­tation localisée—  était supé­rieure en nom­bre. Les quelque 150 divisions allemandes (dont 19 blindées et 15 motori­sées), qui sont passées à l'attaque, se trou­vaient en face de 170 divisions soviétiques massées dans la zone frontalière. Parmi ces divisions sovié­tiques, 46 étaient blindées et motorisées. En matériel lourd, la supériorité soviétique était écrasante. Les unités alle­mandes attaquan­tes disposaient de 3000 chars et de 2500 a­vions, inclus dans les esca­drilles du front; face à eux, l'Armée Rouge aligne 24.000 chars (dont 12.000 dans les ré­gions mili­tai­res proches de la frontière) et 8.000 avions. Pour ce qui concerne les pièces d'artillerie, la Wehrmacht dispose de 7000 tubes et les Soviétiques de 40.000! Si l'on in­clut dans ces chiffres les mortiers, le rapport est de 40.000 contre 150.000 en faveur des Soviétiques. Le 22 juin, l'Armée soviétique aligne 4,7 mil­lions de soldats et dispose d'une réserve mo­bilisable de plus de 10 mil­lions d'hommes.

 

Les Landser allemands avançant sur le front russe constatent très vite comment les choses s'agençaient, côté soviétique: effecti­vement, les pertes soviétiques sont colos­sales, mais, ce qui les étonne plus encore, c'était la quantité de matériels que les Sovié­tiques étaient en mesure d'acheminer. Les Allemands abattent quinze bombardiers so­vié­tiques et voilà qu'aussitôt vingt autres sur­gissent. Quand les Allemands arrêtent la contre-attaque d'un bataillon de chars sovié­tiques, ils sont sûrs que, très rapidement, une nouvelle contre-attaque se déclenchera, ap­puyée par des effectifs doublés.

 

Un matériel soviétique

d'une qualité irrépro­chable

 

Sur le plan de la qualité du matériel, la Wehr­macht n'a jamais pu rivaliser avec ses ad­versaires soviétiques. Alors qu'une bonne part des blindés soviétiques appartiennent aux types lourdement cuirassés KV et T-34 (une arme très moderne pour son temps), les Allemands ne peuvent leur opposer, avant 1942, aucun modèle équivalent. La plupart des unités allemandes sont dotées de Panzer I et de Panzer II, totalement dépassés, et de chars tchèques, pris en 1938/39.

 

Pourquoi l'Allemagne ne peut-elle rien jeter de plus dans la balance? Pour une raison très simple: après la victoire de France, l'in­dustrie allemande de l'armement, du moins dans la plupart des domaines cru­ciaux, a­vait été remise sur pied de paix. Ainsi, les usines de munitions (tant pour l'infanterie que pour l'artillerie) avaient ré­duit leurs cadences, comme le prouvent les chiffres de la production au cours de ces mois-là. Est-ce un indice prouvant que l'Allemagne prépa­rait de longue date une guerre offensive?

 

Concentration et vulnérabilité

 

Mais cette réduction des cadences dans l'in­dustrie de l'armement n'est qu'un tout petit élément dans une longue suite d'indices. Surgit alors une question que l'on est en droit de poser: la supériorité sovié­tique était si impressionnante, comment se fait-il que la Wehrmacht n'ait pas été battue dès 1941 et que l'Armée Rouge ait dû at­tendre 1944-45 pour vaincre?. La réponse est sim­ple: parce le gros des forces soviétiques était déjà massé dans les zones de rassem­ble­ment, prêt à passer à l'attaque. Cette énorme concentration d'hommes et de ma­tériels a scellé le destin de l'Armée Rouge en juin 1941. En effet, les unités militaires sont ex­ces­­sivement vulnérables lorsqu'elles sont con­centrées, lorsqu'elles ne se sont pas en­co­re déployées et qu'elles manœuvrent avant d'a­voir pu établir leurs positions. A ces mo­ments-là, chars et camions roulent pare-chocs contre pare-chocs; les colonnes de vé­hicules s'étirent sur de longs kilomètres sans protection aucune; sur les aérodromes, les avions sont rangés les uns à côté des au­tres.

 

Aucune armée au monde n'a jamais pris de telles positions pour se défendre. Tout état-ma­jor qui planifie une défense, éparpille ses troupes, les dispose dans des secteurs forti­fiables, aptes à assurer une défense efficace. Toute option défensive prévoit le creusement de réseaux de tranchées, fortifie les positions existantes, installe des champs de mines. Sta­line n'a rien fait de tout cela. Au con­trai­re: après la campagne de Pologne et à la veil­le de la guerre avec l'Allemagne, Staline a fait démanteler presque entièrement la ligne dé­fensive russe qui courait tout au long de la frontière polono-soviétique pour préve­nir tou­te réédition des attaques polonaises; mieux, cette ligne avait été renforcée sur une pro­fon­deur de 200 à 300 km. Or, pourtant, l'Armée Rouge, pendant la guerre de l'hiver 1939-40 con­tre la Finlande, avait payé un très lourd tribut pour franchir le dispositif défen­sif fin­landais. Toutes les mesures défen­sives, tou­tes les mesures de renforcement des défen­ses existantes, ont été suspendues quelques mois avant que ne commence l'. Les barrières ter­restres ont été démontées, les charges qui minaient les ponts et les autres ouvrages d'art ont été en­levées et les mines anti-chars déterrées. Quant à la , bien plus per­fec­tionnée, elle a subi le même sort, alors que, depuis 1927, on n'avait cessé de la renforcer à grand renfort de béton armé. Et on ne s'est pas contenté de la démonter en enlevant, par exemple, toutes les pièces anti-chars: on a fait sauter et on a rasé la plupart des bun­kers qui la composaient. Ces démon­tages et ces destructions peuvent-ils être in­terprétés comme des mesures de défense? Le Maré­chal soviétique Koulikov disait en juin 1941: .

 

Les dix corps aéroportés de Staline

 

Bon nombre d'autres mesures prises par les Soviétiques ne sauraient être interprétées com­me relevant de la défense du territoire. Par exemple, la mise sur pied de dix corps aéroportés. Les troupes aéroportées sont des unités destinées à l'offensive. Entraîner et équiper des unités aéroportées coûtent des sommes astronomiques; pour cette raison bud­gétaire, les Etats belligérants, en géné­ral, évitent d'en constituer, ne fût-ce qu'un seul. L'Allemagne ne l'a pas fait, alors que la guerre contre l'Angleterre le postulait. Sta­line, pour sa part, en a mis dix sur pied d'un coup! Un million d'hommes, avec tous leurs équipements, comprenant des chars aéroportables et des pièces d'artillerie lé­gères. Au printemps de l'année 1941, l'in­dus­trie soviétique, dirigée depuis sa cen­trale moscovite, ordonna la production en masse des planeurs porteurs destinés au transport de ces troupes. Des milliers de ces machines sont sorties d'usine. Staline, à l'évidence, comp­tait s'en servir pendant l'été 1941, car rien n'avait été prévu pour les en­treposer. Or, ces planeurs n'auraient pas pu résister à un seul hiver russe à la belle étoile.

 

Ensuite, depuis la fin des années 30, l'in­dustrie de guerre soviétique produisait des milliers d'exemplaires du char BT: des blin­dés de combat capables d'atteindre des vites­ses surprenantes pour l'époque et dont le ra­yon d'action était impressionnant; ces chars avaient des chenilles amovibles, de fa­çon à ce que leur mobilité sur autoroutes soit en­co­re accentuée. Ces chars n'avaient au­cune utilité pour la défense du territoire.

 

En revanche, pour l'attaque, ils étaient i­déaux; en juillet 1940, l'état-major sovié­tique amorce la mise sur pied de dix armées d'a­vant-garde, baptisées  pour tromper les services de rensei­gnements étrangers. A ce sujet, on peut lire dans l'En­cyclopédie militaire soviétique:  (vol. 1, p. 256). Il s'agissait d'armées disposant de mas­ses de blindés, en règle gé­nérale, de un ou de deux corps dotés chacun de 500 chars, dont les attaques visait une pé­nétration en profondeur du territoire en­nemi.

 

Les préparatifs offensifs de l'Armée rouge peu­vent s'illustrer par de nombreux indices encore: comme par exemple le transport vers la frontière occidentale de l'URSS de gran­des quantités de matériels de génie pré­voyant la construction de ponts et de voies fer­rées. Les intentions soviétiques ne pou­vaient être plus claires.

 

Hitler prend Staline de vitesse

 

C'est sans doute vers le 13 juin que l'état-ma­jor général soviétique a commencé à met­tre en branle son 1er échelon straté­gique, donc à démarrer le processus de l'offensive. L'organisation de ce transfert du 1er échelon stratégique a constitué une opé­ration gi­gan­tesque. Officiellement, il s'agissait de ma­nœuvres d'été. A l'arrière, le 2ième échelon stratégique avait com­mencé à se former, dont la mission aurait été de prendre d'as­saut les lignes de défense allemandes, pour le cas (envisagé comme peu probable) où el­les auraient tenus bon face à la première vague.

 

Mais le calcul de Staline a été faux. Hitler s'est décidé plus tôt que prévu à passer à l'action. Il a précédé son adversaire de deux semaines. Côté soviétique, la dernière phase du déploiement du 1er échelon (trois mil­lions d'hommes) s'était déroulée avec la pré­cision d'une horloge. Mais au cours de ce déploiement, cette gigantesque armée était très vulnérable. Le matin du 22 juin, l'of­fen­sive allemande a frappé au cœur de cette su­perbe mécanique et l'a fracassée.

 

A ce moment, de puissantes forces sovié­tiques se sont déjà portées dans les balcons territoriaux en saillie de la frontière occiden­tale, notamment dans les régions de Bia­lystok et de Lemberg (Lvov). Les Allemands les ont encerclées, les ont forcées à se ras­sembler dans des secteurs exigus et les y ont détruites. Et ils ont détruit égale­ment d'é­nor­mes quantités de carburant et de munitions que les trains soviétiques avaient acheminés vers le front le matin même.

 

Staline jette ses inépuisables réserves dans la balance

 

Le désastre soviétique était presque parfait. Presque, pas entièrement. Les pertes étaient certes énormes mais les réserves étaient en­core plus énormes. De juillet à décembre 1941, l'Union Soviétique a réussi à remettre sur pied 200 importantes unités, dont les ef­fectifs équivalaient à ceux d'une division. La Wehrmacht n'a pas su en venir à bout. Pen­dant l'hiver, devant Moscou, l'Allemagne a perdu sa campagne de Russie. A partir de ce moment-là, la Wehrmacht n'a plus livré que des combats désespérés contre l'Armée Rou­ge, avec un acharnement aussi fou qu'inu­tile, tant l'adversaire était numériquement supé­rieur, et compensait ses pertes en maté­riel par les livraisons américaines.

 

Voici, en grandes lignes, les faits présents le 22 juin 1941. L'histoire des préliminaires de cette campagne de Russie, la question de sa­voir à quelle date précise les Allemands et les Soviétiques avaient décidé d'attaquer, res­tent matières à interprétation, d'autant plus que d'importantes quantités d'archives allemandes sont toujours inaccessibles, aux mains des vainqueurs, et que les archives soviétiques ne peuvent toujours pas être con­sultées par les chercheurs. La raison de ces secrets n'est pas difficile à deviner...

 

Joachim F. WEBER.

(texte issu de Criticón, Nr. 125, Mai/Juni 1991; adresse de la revue: Knöbelstrasse 36/0, D-8000 München 22).   

 

 

dimanche, 05 juillet 2009

H. Diwald: Der Kampf um die Weltmeere

Weltmeere_1_k.jpg

Der Kampf um die Weltmeere


S. 215 – 224 - Ex: http://www.hellmutdiwald.de

Die Linien
Das Ungeheuer Francis Drake
Die Achillesferse Spaniens
Vom Räuber zum Ritter

Die Linien

„Das Ringen der Mächte spielte sich in zwei verschiedenen Bereichen ab. Während des Dreißigjährigen Krieges im 17. Jahrhundert pendelte sich in Europa ein gewisses Religionsgleichgewicht ein. Neben der christlich-katholischen Ordnungsidee hatte sich der protestantische Sonderanspruch durchgesetzt und war akzeptiert worden. Außerhalb der Territorialregelungen der Friedensschlüsse wurde auch die Protestantenforderung nach Freiheit der Meere gelten gelassen - allerdings lediglich imaginär. Durch den atlantischen Ozean wurden gedachte Linien gezogen, an denen der Raum des europäischen Staatensystems völkerrechtlich endete. Jenseits dieser Linien verlor das zwischenstaatliche öffentliche Recht, das sich zu jener Zeit in Europa entwickelte, seine Verbindlichkeit.

Die Linienregelung geht dem Prinzip nach zurück auf den Vertrag von Cateau-Cambresis des Jahres 1559 zwischen Spanien und Frankreich. Was die Territorialbestimmungen betrifft, so handelt es sich bei diesem Friedensschluß um die Besiegelung einer empfindlichen französischen Niederlage. Der Text der Vereinbarung läßt keinen Zweifel daran. Frankreich muß auf seine italienischen Ansprüche verzichten und das Herzogtum Savoyen herausgeben. Der Vertrag enthält allerdings kein Wort von den mündlichen Absprachen, die während der Verhandlungen getroffen wurden: Die Friedensvereinbarungen besitzen nur für Europa Geltung, nicht aber für die Bereiche der Meere. Dort, jenseits von Europa, entscheiden nach wie vor die Waffen, entscheidet die maritime Kriegsmacht über Herrschaft und Besitz; die Kämpfe, zu denen es dabei kommen werde, wirken sich in keiner Weise auf das Verhältnis der beiden Staaten in Europa aus.

Die imaginären Linien, die durch das Meer gezogen wurden, waren sowohl Freundschafts- als auch Feindschaftslinien. Letzten Endes handelte es sich dabei um eine Abwandlung der Demarkationen, welche die Päpste vorgenommen hatten. Die neuen Linien grenzten lediglich den europäischen Landraum genauer von dem ozeanischen Freiraum ab, in dem kein Recht, keine Ordnung, kein Gesetz galt und in dem die Seefahrernationen einander bekämpften, als hätte es seit den prähistorischen Zeiten nie etwas anderes gegeben als das nackte Faustrecht. Daß dieser Kampf von Europa ausging, daß er die Form war, in der Europa eine unerhörte Expansion vollzog - die gewaltigste aller Expansionen der Weltgeschichte -, das legte trotz der Brutalität des ganzen Prozesses den hohen Rang Europas bis ins 20. Jahrhundert unwiderruflich und in historisch unvergleichlicher Form fest.

Durch die Ausgrenzung des Kampfgebietes vermittels Festlegung von Zonen, in denen vertragliches Recht galt, beziehungsweise nicht galt, sprach die europäische Welt ihrer Rechtsordnung nur in den bisher vertrauten, alten Bereichen Gültigkeit zu, sie billigte die Existenz einer »Neuen Welt« als eines Freiraums des gewaltsamen Zugriffs. Sie würden erst dann zu Objekten des europäischen Völkerrechts werden, wenn der Kampf um sie entschieden war. Solange dieser Zeitpunkt ausstand, hielt sich der Brauch der »Freundschaftslinien«. Im Süden verliefen sie entlang des Wendekreises des Krebses oder des Äquators, im Westen hielten sie sich an den Längengrad durch die Kanarischen Inseln oder die Azoren. Gelegentlich wurden sie sogar amtlich festgelegt - und damit ein Sachverhalt offiziell anerkannt, den es offiziell nicht gab. Der Widersinn dabei beruht darauf, daß an diesen Linien die Gültigkeit des europäischen Rechts endete und jenseits davon der Raum des gesetzlosen Kampfes um die Weltmeere, die Freiheit des Faustrechts begann. Ob in Europa zwischen den Seerivalen Frieden herrschte oder nicht: Jenseits »der Linie« lagen die Überseeräume der Gewalt. Der britische Seeheld Francis Drake gab dafür die Parole aus, eine Formel von welthistorischem Gewicht und drakonischer Kürze: »No peace beyond the line!- Kein Friede jenseits der Linie! «

Unter den Wahrzeichen der religiösen und sittlichen Begründungen von Rechts- und Unrechtsbestimmungen ist diese Linienabgrenzung etwas Ungeheuerliches. Sie beglaubigt die Existenz einer doppelten Moral und relativiert dadurch sowohl ihre christlich unterbaute als auch innerweltlich postulierte Unbedingtheit. Wie sollte ein gläubiger, ein sittlicher Mensch begreifen, daß sich christliche Herrscher dazu verstehen, für den unabsehbaren Raum des Ozeans die Barbareien und Ruchlosigkeiten eines Naturzustandes primitivster Art gelten zu lassen und sich gleichzeitig für den europäischen Kontinentalbereich auf das Gegenteil zu einigen? Wie ließ es sich rechtfertigen, die Meere als ein Reich der Anarchie auszugrenzen? Waren die Unterschiede zwischen Recht und Unrecht, Gut und Böse eine Frage der Geographie? Von solchen Zweifeln wurde der große Philosoph Pascal zu dem Seufzer hingerissen: »Die fundamentalen Gesetze wechseln. Ein Meridian entscheidet über die Wahrheit. «

So sah die eine Seite der Medaille aus. Die andere Seite bestand darin, daß durch die Linien-Übereinkunft die europäische Ordnung entscheidend stabilisiert wurde. Die Demarkationen verhinderten eine Zersetzung der Vertragsregelungen durch die rohe Willkür im Freiraum der See. In der Praxis bedeutete die »Freiheit der Meere« eine totale Befreiung von Recht, Moral und Gesetz; sie bedeutete aber genauso eine Rettung der innereuropäischen Ordnung, sie verhinderte hier den Rückfall in die Barbarei vorzivilisatorischer Zustände.

Das Ungeheuer Francis Drake

Am leidenschaftlichsten wurde diese Übereinkunft von England befürwortet. Das Königreich war damals der schwächste Partner in dem exklusiven Kreis der Seefahrernationen, und vielleicht erkannten gerade deshalb die britischen Staatsmänner und Herrscher besonders früh, daß England daraus den größten Nutzen ziehen konnte. Seine Piraten hatten fast ausnahmslos nichts anderes im Sinn, als in den Freiräumen der Meere Beute zu machen. Aber diejenigen von ihnen, die immerhin Anflüge von Format besaßen, achteten sorgsam darauf, daß ein hoher Prozentsatz des Geraubten am Königshof abgeliefert wurde - manchmal war es fast die Hälfte.

Das englische Freibeutergewerbe wurde erstmals von John Hawkins auf einen bemerkenswerten Stand gebracht. Er entstammte einer Familie von Kaufleuten und Schiffseignern aus Plymouth. 1562, 30 Jahre alt, segelte er mit einer Dreierflottille zu seiner ersten Fahrt nach Afrika. An der Sierra Leone überfiel er portugiesische Schiffe, raubte dreihundert Negersklaven und verkaufte sie mit riesigem Gewinn in Haiti. Königin Elisabeth I. wußte offiziell nichts von dieser Fahrt, was sie aber nicht hinderte, höchst offiziell die prachtvollen Perlen zu tragen, die ihr Hawkins aus Westindien mitbrachte.

1566 wurde John Hawkins von einem jungen Mann besucht, einem entfernten Verwandten seiner Familie. Dieser Francis Drake hatte sich kürzlich unter Kapitän John Lovell an einer Fahrt nach Mexiko beteiligt; sie war ein katastrophaler Mißerfolg gewesen, die Engländer wurden von den Spaniern völlig ausgeraubt. Von dieser Fahrt brachte Francis Drake vollendete seemännische Kenntnisse und einen maßlosen Haß auf die Spanier mit.

Hawkins bereitete für das folgende Jahr eine neue Kaperexpedition vor. Im Oktober 1567 lichteten sechs Schiffe die Anker. Das Flaggschiff »Jesus von Lübeck«, 700 Tonnen groß, hatte Königin Elisabeth dem Flottillenchef Hawkins selbst zur Verfügung gestellt; sie war an dem Unternehmen noch mit einem zweiten Schiff, der »Minion«, beteiligt. Francis Drake befehligte eine kleine Barke von 50 Tonnen, die »Judith«. An der Guineaküste erbeuteten die Engländer 500 Sklaven und segelten mit ihnen nach Amerika. Die Fahrt war ein halber Rachezug, denn sie liefen die Hafenstadt Rio de la Hacha an, in der Kapitän Lovell und Drake 1565 ausgeplündert worden waren. Als die Spanier jeden Handel mit den Engländern ablehnten, landete ein Kommando zu einem Plünderungszug, anschließend wurde die Stadt beschossen. Erst jetzt erklärten sich die Bewohner bereit, die Sklaven abzukaufen. Auf der Rückfahrt kamen die Schiffe in ein schweres Unwetter, das Flaggschiff schlug leck, Hawkins und Drake mußten in San Juan de Ulloa bei Veracruz Schutz suchen. Am nächsten Tag fuhren dreizehn spanische Geleitschiffe in den Hafen ein. Hawkins und der spanische Befehlshaber vereinbarten ein neutrales Verhalten. Wenig später brachen die Spanier jedoch das Abkommen, eröffneten das Feuer auf die britischen Schiffe und töteten jeden Engländer, der sich an Land befand. Hawkins und Drake konnten zwar vier Spanier in den Grund bohren, verloren aber selbst die »Jesus von Lübeck« und drei weitere Schiffe; nur die »Minion« und die »Judith« retteten sich, schwer beschädigt, aufs offene Meer. Drake erreichte am 20. Januar 1569 Plymouth, seine »Judith« kroch mehr in den Hafen als daß sie segelte. Eine Woche später erreichte auch Hawkins die Küste von Cornwall. Die »Minion« war in einem so jämmerlichen Zustand, daß er sie von hier nach Plymouth schleppen lassen mußte.

Das Mißgeschick der beiden Korsaren wurde in England als eine quasi öffentliche Demütigung empfunden. Hawkins und Drake, die sich genaugenommen nur hatten übertölpeln lassen, unterstützten diese Meinung durch kräftige Klagen über die Wortbrüchigkeit der Spanier. Der königliche Hof zeigte lebhaftes Verständnis für diese Version, denn durch den Verlust der »Jesus von Lübeck«, durch die unerfüllte Hoffnung auf ihren Anteil an der Beute und die havarierte »Minion« war auch Elisabeth I. geschädigt worden. Bei Hawkins hielten sich Rachegefühl und Resignation die Waage, Drakes verletzter Stolz dagegen ließ keine andere Empfindung zu als Haß.

Sein nächstes Unternehmen bereitete er außerordentlich gründlich vor. 1570 segelte er mit zwei kleinen Schiffen zu einer Erkundungsfahrt nach Westindien. Drake war zwar inzwischen in die Königliche Marine aufgenommen worden, doch die Expedition unternahm er auf eigene Faust, ebenso eine zweite Rekognoszierungsfahrt mit nur einem Schiff im darauffolgenden Jahr. Er lernte die Inseln der Karibik, die Küste Südamerikas, die Strömungen, Untiefen und Windverhältnisse, die Schlupfwinkel und versteckten Naturhäfen so gut kennen, als wäre er dort aufgewachsen. Drake wußte jetzt auch bis in die Einzelheiten, wie die spanischen Galeonen mit Gold beladen wurden, wie ihr Geleitzugsystem funktionierte, wie die Schatzschiffe gesichert wurden. Im Jahre 1626, dreißig Jahre nach dem Tod von Francis Drake, veröffentlichte einer seiner Neffen einen Bericht über das Unternehmen, zu dem Drake 1572 mit nur zwei Schiffen aufbrach. Die Notizen erschienen unter dem Titel »Sir Francis Drake redivivus fordert dieses stumpfsinnige und verweichlichte Zeitalter auf, seinen noblen Schritten nach Gold und Silber zu folgen«.

Die »noblen Schritte nach Gold und Silber« des Kapitäns Drake machten seinen Namen binnen wenigen Monaten in ganz Europa berühmt und berüchtigt. Es war eines der verwegensten Projekte der ganzen Epoche, würdig auch des Beinamens, mit dem Königin Elisabeth inzwischen von spanischen und französischen Diplomaten ausgezeichnet wurde: »Perfide, freche Jezabel des Nordens«. Und wirklich mehr als frech - sofern dieses Wort die Drakesche Expedition treffend charakterisiert - war seine spektakuläre Kaperfahrt, zu der er im Mai 1572 auslief.

Die Besatzung hatte Drake ausnahmslos aus Freiwilligen zusammengestellt, aus blutjungen Seeleuten, insgesamt 73 Mann. Ein volles Jahr trieb sich Drake mit ihnen an der Nordküste Panamas herum, überfiel Städte und Garnisonen, kaperte Fregatten, lieferte sich Gefechte mit spanischen Truppen, tauchte blitzschnell und völlig unerwartet auf, landete einen Coup und verschwand ebenso rasch, als hätte ihn die See verschluckt - offensichtlich ein ebenso genialer wie verrückter Abenteurer, der es nur darauf angelegt hatte, seinen Hals zu riskieren, aber mit dem Teufel im Bunde sein mußte, weil er jeder Falle entschlüpfte.

Verrückt mußte er deshalb sein, weil er auf eigene Faust, aber namens angemaßter Stellvertretung des kümmerlichen Inselkönigreiches England, die Weltmacht Spanien zu attackieren wagte, vielmehr: Ein einzelner Mann mit zwei kleinen Schiffen und einem Haufen verwegener Burschen führte Krieg gegen den spanischen König, gegen den faktischen Herren der Welt in dieser Zeit. Die Hälfte von Drakes Raubzügen schlug fehl, endete ganz anders als geplant, aber sein jähes Hervorbrechen und urplötzliches Verschwinden, die Tollkühnheit seiner Angriffe mit wenigen Männern, die Unverschämtheit, mit der er sowohl an Land als auch auf See alles überfiel, was ihm einen Versuch wert zu sein schien, festigte seinen Ruf bei den Spaniern: Der Einzelgänger Drake war kein normaler Kapitän, sondern ein Ungeheuer des Meeres. Dementsprechend wurde sein Name spanisch abgewandelt: »El draque — der Drache«. Soweit es die Mischung aus Bewunderung und Wut betraf, die darin lag, glaubte auch Drake selbst an seine »Ungeheuerlichkeit«, denn er war maßlos eitel auf seine Tollkühnheit und seemännische Überlegenheit und hatte unstreitig auch ein gewisses Recht dazu.

Sein Hauptziel war es, einen der großen Silber- und Goldtransporte, die von Peru über Land nach Panama zum Hafen Nombre de Dios gingen, zu überfallen. Ein erster Versuch mißglückte, der zweite wurde ein voller Erfolg. Der Transport bestand aus fast zweihundert Packtieren; um die ganze Beute fortzuschleppen, war die Zahl der Engländer zu gering, sie beschränkten sich deshalb auf das Gold. Anfang August 1573 fuhren die Schiffe Drakes in den Hafen von Plymouth ein, schwer beladen mit einer ungeheuren Beute.

Die Achillesferse Spaniens

England jubelte, Spanien schäumte vor Zorn, Francis Drake lachte - und plante das nächste Piratenstück, ein Projekt, das alles bisher Dagewesene in den Schatten stellte. Daß er, der Seemann, die Geldtransporte nach Panama an Land überfallen mußte, paßte so zu ihm, als wäre ein Hai gezwungen, außerhalb des Wassers zu jagen. Die Konvois über den Atlantik waren schwer bewacht; ein Überfall im Alleingang hatte von vornherein keine Aussicht, nur mit einem größeren Schiffsverband war ein erfolgreicher Angriff möglich. Dazu aber konnte sich die Königin nicht entschließen, England fehlte noch bei weitem die maritime Macht, um Spanien offen herauszufordern, so stetig Elisabeth I. auch die Flotte vergrößern ließ.

Andererseits handelte es sich bei dem Verbindungsweg zwischen der Karibik und dem iberischen Mutterland um den Lebensnerv des spanischen Weltreichs. Der gesamte Staatsschatz hing völlig von den Silber- und Goldtransporten über den Atlantik ab; wenn dieser Zustrom versiegte oder auch nur kurze Zeit unterbrochen wurde, konnten die Truppen in den Niederlanden nicht besoldet, die neuen Schiffe nicht gebaut, die europäische Politik Spaniens nicht fortgeführt werden. In der Karibik und in Peru, das die größten Goldvorräte besaß, befand sich die Achillesferse Spaniens. Drake erreichte eine Audienz und entwickelte der Königin seinen Plan. Das Edelmetall aus den Minen Perus wurde zu den Häfen der Pazifikküste Amerikas gebracht und dort auf die Schatzschiffe verladen, die nach Norden in den Golf von Panama fuhren. Hier wurden die Lasten auf Maultiere umgeladen und über die Landenge zu den karibischen Häfen transportiert, um dann an Bord der Schiffe nach Europa zu kommen. Drake hatte vor, durch eine Umsegelung Südamerikas in den Pazifik vorzudringen. Die Durchquerung der Magellanstraße war zwar nach dem Bericht Pigafettas das Entsetzlichste, was Seefahrer durchmachen könnten, aber er, Drake, schrecke vor nichts zurück. Auf der pazifischen Seite würde er dann in dem gewaltigsten Raubzug, den die Piratengeschichte kannte, die Schiffe des spanischen Königs ausplündern.

Elisabeth I. hungerte kaum weniger nach Gold als Drake. Der Plan versetzte sie in helle Begeisterung, sie versicherte Francis Drake, daß er ihre volle Unterstützung erhalten werde, und sie würde sich an dem Unternehmen auch finanziell beteiligen; offiziell könne und dürfe sie allerdings mit der Piratenfahrt nichts zu tun haben, besonders weil im Augenblick das Verhältnis Englands zu Spanien aufmerksamer denn je gepflegt werden müsse. Drake hatte für alles Verständnis, er wollte nichts weiter, als mit stillschweigender königlicher Rückendeckung seine Schiffe ausrüsten und schnellstens aufbrechen. Die Vorbereitungen wurden nicht eigens getarnt, um keine Neugier und keine Gerüchte zu wecken. Drake wußte, daß er seine Pläne am sichersten geheimhielt, wenn er möglichst offen vorging. Am 15. November 1577 verließ er mit fünf Seglern England.

Drakes Fahrt ähnelte in vielem dem Unternehmen Magellans, allerdings nur in nebensächlichen Dingen; beide brachen mit fünf Schiffen auf, beide mußten Meutereien niederschlagen, beide verloren Schiffe in Stürmen, beide Expeditionen endeten damit, daß nur ein einziges Schiff in den Heimathafen zurückkehrte. Drake durchquerte die Magellanstraße in der erstaunlich kurzen Zeit von sechzehn Tagen, mit drei Schiffen erreichte er im Herbst 1578 den Pazifik, verlor in einem wochenlangen Sturm zwei weitere Schiffe und segelte schließlich allein mit seinem Flaggschiff »Golden Hind« nach Norden.

Mit einem Überfall Valparaisos begann sein beispielloser Kaperzug. Er lief in den Hafen ein, plünderte die Stadt, raubte die Kirchen aus und überholte dann in aller Ruhe das Schiff, ergänzte die Vorräte und lag auf der Reede, bis sich die Mannschaft von den Strapazen erholt hatte. Während der nächsten fünf Monate segelte er ohne Hast die Küste entlang nach Norden, systematisch die Hafenstädte plündernd, über eine Strecke von mehr als 3000 Kilometer bis Lima. Die Stadt war der zentrale Stapelplatz für die Schätze Perus. Im Hafen ankerten zwölf große spanische Schiffe, die Kapitäne fühlten sich so sicher, daß die ganze Takelage an Land war; kein Mensch rechnete mit einem Überfall. Drake hatte kaum jemals so leichte Beute gemacht und noch nie in solchen Dimensionen.

In Lima erfuhr er, daß vor kurzem eine besonders große Galeone mit vielen Tonnen Silber, Gold und Schmuck nach Panama gesegelt war; das Schiff war allerdings schwer bestückt. Drake setzte dem Spanier sofort nach, holte ihn knapp jenseits des Äquators ein und konnte ihn trotz seiner Geschütze und der starken Besatzung entern. Außer Gold und Silber befanden sich unter Deck dreizehn Truhen mit Schmuck, Edelsteinen und anderen Kostbarkeiten.

Drake dehnte seinen Piratenzug bis nach Mexiko aus, als Beute nahm er jetzt nur noch Gold und Perlen mit. Den Nordkurs hatte er deshalb eingeschlagen, weil er den amerikanischen Kontinent nach einer Nordwestpassage absuchte. Er drang bis zum 48. Breitengrad vor. Auf der Höhe der Insel Vancouver gab er das Projekt auf, überquerte im Gefolge Magellans den Pazifik, erreichte die Molukken, wurde von den Herrschern freundlich empfangen, belud den restlichen Laderaum seiner »Golden Hind« mit den kostbarsten Gewürzen und nahm endlich Kurs in die Heimat, quer durch den Indischen Ozean und seine Stürme, um das Südkap Afrikas und durch den Atlantik vorbei an den Azoren. Im Herbst 1580 tauchte die »Golden Hind« vor Plymouth auf, zerlumpt und abgerissen wie ihre Besatzung, ein jämmerliches Schiff, doch bis über den Freibord beladen mit einem ungeheueren Schatz: die »Golden Hind«, der berühmteste Segler der Epoche.

Vom Räuber zum Ritter

Niemand hat nach so langer Zeit noch mit der Rückkehr Drakes gerechnet. Der Hafenkommandant von Plymouth begrüßt das Schiff mit Salutschüssen, die Stadt taumelt vor Begeisterung, der Jubel brandet über das Land, die Nachricht von Drakes Ankunft erreicht London in der Nacht, die Menschen rütteln sich gegenseitig wach, sie strömen auf die Straße, auch die Königin wird im Palast von St. James geweckt, sie wirft ein Neglige über, trommelt ihre Räte zusammen - so wird erzählt - und stammelt ihnen die Nachricht entgegen: »Drake ist zurück, er hat die Welt umsegelt!« Dabei rinnen Tränen über ihre Wangen. … „

mercredi, 01 juillet 2009

Cosa accadde davvero allo Scia' dell'Iran

COSA ACCADDE DAVVERO ALLO SCIA’ DELL’IRAN

http://www.sapere.it/tc/img/Storia/Rivol_Iran/pahlfarah2.jpg

Mi chiamo Ernst Schroeder, e siccome ho amici iraniani dai tempi della scuola e ogni tanto guardo la vostra rivista on line, ho pensato di inviarvi queste tre pagine prese da un libro che ho letto qualche mese fa, intitolato: Un secolo di guerra: la politica petrolifera anglo-americana e il Nuovo Ordine Mondiale. scritto dallo storico tedesco William Engdahl.
E’ un libro che tratta dell’intreccio tra la politica e il petrolio degli ultimi 100 anni.
Vi mando il brano perché lo pubblichiate sul vostro sito, dato che penso possa essere importante per tutte le persone di discendenza persiana.


DI WILLIAM ENGDAHL

“Nel novembre del 1978, il Presidente Carter nominò George Ball del Bilderberg Group,  un altro membro della Commissione Trilaterale , a capo di una speciale unità operativa iraniana della Casa Bianca sotto Brzezinski, Consigliere per la Sicurezza Nazionale.

Ball caldeggiò l’abbandono di Washington del sostegno allo Scià iraniano a favore dell’appoggio all’opposizione fondamentalista islamica dell’Ayatollah Khomeini. Robert Bowie della CIA fu uno dei principali “funzionari incaricati” nel nuovo colpo guidato dalla CIA contro l’uomo che 25 anni prima proprio le loro trame nascoste avevano messo al potere.


Il loro piano si basava su un dettagliato studio del fenomeno del fondamentalismo islamico, così come era stato presentato dall’esperto inglese dell’Islam Dott. Bernard Lewis, allora assegnatario di un incarico all’Università di Princeton, negli Stati Uniti. Il progetto di Lewis, reso noto durante l’incontro del Bilderberg Group nel maggio del 1979 in Austria, appoggiava il movimento radicale Fratellanza Mussulmana alle spalle di Khomeini, con l’intento di promuovere la balcanizzazione dell’intero Vicino Oriente mussulmano lungo linee tribali e religiose. Lewis sosteneva che l’Occidente dovesse incoraggiare gruppi indipendenti come i Curdi, gli Armeni, i Maroniti libanesi, i Copti etiopi, i Turchi dell’Azerbaijan, eccetera eccetera. Il disordine sarebbe sfociato in quello che egli definiva un “Arco di Crisi”, che si sarebbe diffuso nelle regioni mussulmane dell’Unione Sovietica.

Il colpo contro lo Scià, come quello del 1953 contro Mossadegh, fu pilotato dai servizi segreti inglesi e americani, con il pomposo Brzezinski che si prese il merito pubblico per la liberazione dallo Scià “corrotto”, mentre gli inglesi, tipicamente, rimasero al sicuro in posizione defilata.

Durante il 1978 erano in corso negoziati tra il governo dello Scià e la società British Petroleum per il rinnovo dell’accordo stipulato 25 anni prima sull’estrazione del petrolio. Nell’ottobre dello stesso anno le trattative furono mandate a monte per un’ “offerta” degli inglesi, che chiedevano diritti esclusivi sulle future esportazioni del petrolio iraniano rifiutandosi di garantirne l’acquisto. La dipendenza dell‘esportazione controllata dagli inglesi pareva giunta al termine, e l’Iran sembrava vicino all’indipendenza nella sua politica di vendita del petrolio per la prima volta dal 1953, con impazienti potenziali compratori in Germania, Francia, Giappone e altri paesi. In un editoriale di quel settembre, la testata iraniana Kayhan international scrisse:

Guardando al passato, la società venticinquennale con il consorzio [British Petroleum], e il rapporto cinquantennale con la British Petroleum che l’ ha preceduta, non sono stati soddisfacenti per l’Iran…D’ora in avanti, la NIOC [National Iranian Oil Company, Compagnia Petrolifera Nazionale Iraniana] dovrebbe fare in modo di gestire tutte le operazioni per conto proprio. (1)

Londra stava ricattando il governo dello Scià, e lo sottoponeva ad enormi pressioni economiche rifiutandosi di acquistare tutta la produzione petrolifera iraniana, comprando cioè soltanto circa 3 milioni di barili al giorno invece degli almeno cinque milioni di barili pattuiti. La cosa inflisse all’Iran drastiche ripercussioni sugli introiti, che favorirono un contesto in cui il malcontento religioso contro lo Scià poté essere ravvivato da agitatori appositamente addestrati, schierati dai servizi segreti inglesi e statunitensi. Inoltre, in questo frangente critico, ci furono scioperi tra i lavoratori del petrolio che ne paralizzarono la produzione.

Mentre i problemi economici interni dell’Iran crescevano, i consiglieri americani per la “sicurezza” della Savak, la polizia segreta dello Scià, attuarono in modo calcolato una politica di repressione ancora più brutale, per aumentare al massimo l’antipatia popolare verso lo Scià. Nello stesso momento il governo Carter cominciò cinicamente a protestare contro gli abusi dei “diritti umani” sotto lo Scià.

La British Petroleum, stando a quello che si dice, cominciò ad organizzare fughe di capitali fuori dall’Iran, per mezzo della sua considerevole influenza sul mondo finanziario e bancario iraniano. Le trasmissioni in lingua persiana della BBC, con dozzine di corrispondenti madrelingua inviati fin nel più piccolo villaggio, sollecitarono l’isteria collettiva contro lo Scià. Durante questo periodo La BBC diede all’Ayatollah Khomeini pieno appoggio propagandistico all’interno del paese. Questa organizzazione di emittenti radiotelevisive, di proprietà del governo inglese, si rifiutò di dare al governo dello Scià la stessa possibilità per poter ribattere. Ripetuti appelli personali dello Scià alla BBC non diedero alcun risultato. I servizi segreti anglo-americani si impegnarono in modo esplicito per rovesciare il suo governo. Lo Scià fuggì in Gennaio, e già dal febbraio del ’79 Khomeini era volato a Teheran per proclamare l’instaurazione del suo regime teocratico e repressivo in sostituzione del governo precedente.

Riflettendo sulla sua caduta qualche mese dopo, poco prima della sua morte, lo Scià in esilio osservò:

Allora non lo sapevo –o forse non volevo saperlo- ma ora mi è chiaro che gli Americani volevano estromettermi. E’ chiaramente questo ciò che i sostenitori dei diritti umani del Dipartimento di Stato volevano…che idea dovevo farmi sulla decisione improvvisa del Governo di chiamare l’ex sotto segretario di Stato George Ball alla Casa Bianca come consigliere sull’Iran?... Ball era tra quegli americani che volevano abbandonare me e, alla fine, il mio paese.

Con la caduta dello Scià e l’ascesa al potere dei seguaci fanatici di Khomeini in Iran si scatenò il caos. Al maggio del 1979, il nuovo governo Khomeini aveva stabilito i piani di sviluppo per l’energia nucleare del paese, e annunciato la cancellazione dell’intero programma per la costruzione del reattore nucleare francese e tedesco.

Le esportazioni di petrolio dell’Iran, circa 3 milioni di barili giornalieri, furono repentinamente bloccate. Stranamente, anche la produzione dell’Arabia Saudita in quei giorni critici del gennaio 1979 fu ridotta a circa 2 milioni di barili al giorno. In aggiunta alle pressioni sull’approvvigionamento mondiale, la British Petroleum proclamò lo stato di necessità e cancellò i contratti principali di fornitura del petrolio. Di conseguenza, all’inizio del 1979, i prezzi nel mercato di Rotterdam salirono alle stelle, fortemente influenzati dalla British Petroleum e dalla Royal Dutch Shell, le maggiori compagnie commercianti in petrolio. Il secondo “shock” petrolifero degli anni ’70 era in pieno svolgimento.

Gli indizi dicono che gli effettivi ideatori del colpo di stato di Khomeini, a Londra e tra i ranghi più alti delle organizzazioni liberali statunitensi, decisero di tenere il Presidente Carter del tutto all’oscuro di questa politica e dei suoi scopi ultimi. La crisi energetica che in seguito colpì gli Stati Uniti fu uno dei principali fattori che determinò la sconfitta di Carter un anno dopo.

Non ci fu mai una reale diminuzione nell’approvvigionamento mondiale di petrolio. Le effettive capacità produttive dell’Arabia Saudita e del Kuwait avrebbero potuto fronteggiare in qualunque momento la temporanea caduta di produzione di 5-6 milioni di barili giornalieri, come confermò mesi dopo un’inchiesta congressuale statunitense condotta dal General Accounting Office (Ufficio della Contabilità Generale).

Le scorte petrolifere insolitamente basse delle multinazionali petrolifere costituenti le Sette Sorelle contribuirono a generare un’enorme crisi del prezzo del petrolio, con un costo per il greggio che crebbe sul mercato da circa 14 dollari al barile del 1978 alla cifra astronomica di 40 dollari al barile per alcune qualità di greggio.
Lunghe code ai distributori di benzina in tutti gli Stati Uniti contribuirono a creare un generale senso di panico, e il segretario all’energia ed ex direttore della CIA, James R. Schlesinger, non aiutò a calmare le acque quando disse al Congresso e ai media nel febbraio del 1979 che la caduta della produzione del petrolio iraniano era “probabilmente più grave” dell’imbargo petrolifero arabo del 1973. (2)

La politica estera della Commissione Trilaterale del governo Carter fece in modo inoltre che fosse gettato al vento ogni sforzo europeo della Germania e della Francia per sviluppare accordi commerciali e relazioni economiche e diplomatiche con il loro vicino sovietico, sotto la protezione della distensione e dei vari accordi economici sovietico-europei sull’energia.

Il Consigliere per la Sicurezza di Carter, Zbigniew Brzezinski, e il Segretario di Stato, Cyrus Vance, perfezionarono la loro politica dell’ “Arco di Crisi”, diffondendo i disordini della rivoluzione iraniana lungo tutto il perimetro intorno all’Unione Sovietica. Per tutto il perimetro islamico dal Pakistan all’Iran, le iniziative statunitensi provocarono instabilità o qualcosa di peggio”.

Zbigniew Brzezinski, autore della teoria della “Cintura Verde” sotto la presidenza Carter, intendeva abbattere l’URSS circondandola con stati islamici alleati degli Stati Uniti



William Engdahl, Un secolo di guerra: la politica petrolifera anglo-americana e il nuovo ordine mondiale, © 1992, 2004, Pluto Press Ltd, pagine 171-174
William Eghdal

Note:

1) Nel 1978, il quotidiano iraniano Ettelaat pubblicò un articolo in cui si accusava Khomeini di essere un agente segreto britannico. I religiosi organizzarono violente dimostrazioni in risposta, che portarono alla fuga dello Scià qualche mese più tardi. Vedere U.S. Library of Congress Country Studies, Iran. The Coming of the Revolution, December 1987. Il ruolo delle trasmissioni in lingua persiana della BBC nella cacciata dello Scià è spiegato nei dettagli in Hossein Shahidi, “BBC Persian Service 60 years on”, in The Iranian, September 24, 2001.

2) Comptroller General of the United States. 'Iranian Oil Cutoff: Reduced Petroleum Supplies and Inadequate U.S. Government Response.' Report to Congress by General Accounting Office. 1979.

(
http://www.comedonchisciotte.net/modules.php?name=News&file=article&sid=108)

dimanche, 28 juin 2009

Quand les Celtes mesuraient le temps

kelten-coverk.jpg

 

 

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

Quand les Celtes mesuraient le temps

 

Le calendrier celtique remonte à des époques extrêmement éloignées. Il était transmis de bouche à oreille.

 

Les Druides furent les gardiens jaloux du calcul traditionnel des jours, des mois, des années et de l'évolution des saisons.

 

De la façon dont les Celtes subdivisaient l'année et les saisons, il ne nous reste plus que de rares indications, souvent peu objectives, qui nous viennent d'auteurs latins comme César ou Pline. Mais nous disposons aussi de quelques témoignages directs, très intéressants. Beaucoup d'encre a coulé après la découverte de fragments de calendriers gallo-romains en 1807 près du lac d'Antre, dans le Jura français et, en 1897, à Coligny, dans l'Ain. L'étude approfondie de ces restes nous révèle que le calendrier celtique remonte, pour ce qui est de son élaboration, à des époques extrêmement éloignées et, pendant des siècles, il a été transmis de génération en génération, exclusivement sous forme orale. C'est ainsi que le calcul des jours, des mois et des années, la cadence des fêtes au cours de l'année et le cycle des saisons, constituent une partie importante du vaste patrimoine des traditions celtiques, jalousement gardé par les Druides, ces prêtres qui étaient en quelque sorte les dépositaires de la sagesse dans le monde celtique. Les Druides étaient les seuls à connaître les vertus des plantes, à utiliser l'alphabet, à maîtriser les forces de la nature et à prévoir le cours d'événements et phénomènes naturels.

 

La doctrine numérique de Pythagore

 

D'après d'anciennes sources, les Druides étaient aussi des philosophes et ils connaissaient la doctrine numérique de Pythagore: c'est la preuve qu'ils possédaient un niveau de culture raffiné et qu'ils savaient accepter les apports culturels d'autres civilisations sans dénaturer la leur. Il semblerait que ce soient bien les Druides qui aient inventé le calendrier des Celtes et gardé ses secrets pendant des siècles. Selon les chercheurs, il est possible de distinguer deux phases d'élaboration du calendrier celtique: une très ancienne phase, puis une autre, plus récente et plus complexe, laissant transparaître l'influence d'autres civilisations, surtout latine et grecque. La phase la plus ancienne de l'élaboration de ce calendrier est aussi la moins connue.

 

Grâce à des études très poussées en archéo-astronomie, il a été possible de faire remonter ses origines à l'Age du Bronze. Ce genre de calendrier était établi d'après le lever du soleil, sur cette base, les dates les plus importantes de l'année étaient les solstices et les équinoxes. Ce fait a amené certains chercheurs à en conclure que déjà à l'Age du Bronze l'année était divisée d'après le nombre de jours pendant lesquels le soleil se trouvait en déclinaison +16° ou -16°. Puisque cela se vérifie aux alentours du 2 février (-16°), du 5 mai (+16°), du 6 août (+16°) et du 2 novembre (-16°) ces quatre jours devinrent les points de repère de l'année et on leur associait les fêtes principales qui marquaient ainsi les changements des saisons. Les fêtes, liées à des cultes et à des rites ancestraux avec la Terre et les éléments naturels, furent plus tard christianisées par l'Eglise Catholique qui entendait ainsi déraciner à tout prix le paganisme et l'héritage du monde celtique. Elles furent modifiées dans leur nom et leur signification, mais malgré ces changements, elles sont encore aujourd'hui bien vivantes, témoignage d'un lien plus étroit que jamais, et tout à redécouvrir, entre notre culture et celle de nos ancêtres celtiques.

 

Imbolc et Beltaine, Lughnasad et Samain

 

La fête de Imbolc était célébrée le 2 février ; celle dédiée au dieu de la lumière se tenait le 5 mai. Le 2 février on célébrait la fête de Imbolc, fête qui a survécu jusqu'à nos jours et qui est plus connue sous le nom de "Chandeleur". Quant à la fête de Beltaine, elle était célébrée le 5 mai et était dédiée à Bel, le dieu celtique de la lumière. Parfois elle était aussi appelée Cetsamain, qui signifie "début de la chasse". Comme cette date désignait l'apogée du printemps, c'était la fête de la liesse et de la musique : les jeunes dansaient et chantaient autour de l'arbre sacré en tapissant le sol de fleurs pendant que dans les champs on allumait des feux. Plus tard la date du 5 mai fut déplacée au 1 mai ; en Italie, elle est toujours célébrée sous le nom de Calendimaggio (Calendes de mai).

 

Le 6 août c'était la fête de Lammas, appelée aussi Lughmasa ou Lugnasad dans la tradition britannique; en Italie, cette fête correspond au 15 août et est connue sous le nom de Ferragosto. Enfin, Samain, qui inaugurait le long hiver celtique. Elle tombait le 2 novembre, était dédiée au culte du feu et entretenait des liens très étroits avec le culte des morts. Peut-être l'Eglise catholique choisit-elle le 2 novembre pour la commémoration des morts justement à cause de cette tradition ancestrale, dans le but évident d'éteindre tout souvenir du paganisme, en lui procurant une nouvelle signification, toute chrétienne.

 

Le Calendrier de Coligny

 

Les meilleures informations directes sur le calendrier celtique sont connues grâce à une table en bronze découverte à Coligny et qui date de la fin du IIième siècle après Jésus-Christ. La table, dont ne subsistent aujourd'hui que des fragments, fut gravée par les Druides pour préserver leurs connaissances astronomiques et leurs traditions du danger que la conquête romaine de la Gaule représentait, en quelque sorte pour que ces connaissances ne soient pas perdues à jamais. Ce calendrier témoigne d'une connaissance avancée des normes qui régissent les mouvements des astres et prouve que les Celtes, contrairement à ce qu'affirment péremptoirement les panégyristes de la culture latine, maîtrisaient des notions astronomiques et mathématiques fort avancées.

 

Le calendrier de Coligny est un calendrier lunaire qui s'étale sur une période de 5 ans, totalisant 62 mois; 5 mois comptaient 29 jours et 7 mois en comptaient 30, pour un total de 355 jours. La non correspondance avec l'année normale de 365 jours était corrigée en insérant, au long du cycle de 5 ans, deux fois un mois supplémentaire de 30 jours: une fois au début de la première année et une deuxième fois au milieu de la troisième année. Dans le calendrier de Coligny les 62 mois du cycle sont disposés en 16 colonnes comprenant chacune trois ou quatre mois. Les mois sont numérotés de 1 à 12, pendant que les jours de chaque mois sont subdivisés en quinzaines et précédés par des abrégés qui en indiquent la nature: D (jour), MB (bonne journée), AMB (mauvaise journée). Devant chaque jour il y avait un trou dans lequel on plantait un petit bout de bois pour signaler le jour en cours. Au début du mois apparaissait le nom du mois suivi par le terme MAT(U), complet, pour les mois de 30 jours, ou le terme ANM(ATU), incomplet, pour les autres mois.

 

Les prêtres connaissaient la doctrine numérique de Pythagore. Une journée était calculée, comme le font encore aujourd'hui les Juifs et les Musulmans, de coucher de soleil à coucher de soleil. Le mois débutait à la pleine lune. Les noms des mois et leur position reflètent le lien profond des Celtes avec la Terre et les saisons agricoles. L'année commençait au mois de Samonios (chute des semis qui correspondait à octobre/novembre), c'est-à-dire quand, à l'arrivée de l'automne, les noix et leurs coquilles tombent des arbres.

 

Le cycle celtique des mois

 

Suivaient, dans l'ordre: Dumannios (les plus sombres profondeurs, novembre/décembre), Riuros (temps froid, décembre/janvier), Anagantinos (temps de rester à la maison, littéralement: incapable de sortir, janvier/février), Ogronios (temps de la glace, février/mars), Cutios (temps des vents, mars/avril). A la fin du premier semestre, tous les 5 semestres, on intercalait un mois supplémentaire appelé Mid Samonios. Avec Giamonios (exposition des bourgeons, avril/ mai) commençait le deuxième semestre suivi par Simivisonios (temps de la lumière, mai/juin, quand le soleil est à son zénith), Equos (temps des chevaux, juin/juillet, idéal pour les voyages), Elembivos (temps des réclamations, juillet/août quand, à l'occasion des foires, on fêtait les mariages et on présentait les cas à débattre devant les juges), Edrinios (temps d'arbitrages, août/septembre, quand on tranchait les litiges) et Cantlos (temps des chants, septembre/octobre, quand les poètes s'installaient dans les villages pour y passer l'hiver).

 

Outre les tables de Coligny et du Lac d'Antre, il y a plus de trente ans, en 1967, ont été retrouvés d'autres fragments d'un calendrier celtique dans le sanctuaire de Villards d'Héria. Tout ce matériel constitue la preuve irréfutable de l'importance que les Celtes attachaient à la subdivision de l'année et à leur rapport, franc et direct, avec les saisons et les éléments de la nature dont dépendait la vie de leur civilisation. Les fêtes que nous célébrons aujourd'hui, les noms de nos territoires et de nos villes et la langue que nous parlons révèlent des matrices celtiques certaines. Et malgré les millénaires d'histoire et les différentes dominations, chacune apportant sa propre culture, notre lien avec la civilisation celtique reste extrêmement vivant et irréfutable. Aujourd'hui plus que jamais.

 

Elena PERCIVALDI.

(article issu de La Padania, Milan; trad. Franç.: LD)

 

samedi, 27 juin 2009

Petite bibliographie sur la Révolution Conservatrice allemande

Arthur_Mahraun.jpg

 

 

Petite bibliographie sur la Révolution conservatrice allemande

GENERALITES

-Armin MOHLER : La Révolution Conservatrice allemande (1918-1932), Pardès, Puiseaux, 1993 (Première édition 1950).

-Dominique VENNER : Histoire d’un fascisme allemand, les corps-francs du Baltikum et la Révolution Conservatrice, Pygmalion/Gerard Watelet,Paris, 1996.

-Stefan BREUER : Anatomie de la Révolution conservatrice, Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, Paris, 1996.

-Louis DUPEUX : Aspects du fondamentalisme national en Allemagne de 1890 à 1945 et essais complémentaires, Presses Universitaires de Strasbourg, 2001.

-Louis DUPEUX (sous la direction de) : La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar, Editions Kime, Paris, 1992.

-Barbara KOEHN (sous la direction de) : La Révolution conservatrice et ses élites intellectuelles, Presse Universitaires de Rennes, 2003.

-Paul LACOSTE : La Révolution Conservatrice allemande (1918-1932), Imperium, Epinay sur Orge, 1997.

-Edmond VERMEIL : Doctrinaires de la Révolution allemande 1918-1938, Nouvelles Editions Latines, Paris, 1948.

-Robert STEUCKERS (éditeur) : in Vouloir n°8 nouvelle série, Révolution Conservatrice, automne 1996.

-Robert STEUCKERS : La « Révolution Conservatrice » en Allemagne, 1918-1932 in Vouloir ancienne série n°59/60, novembre-décembre 1989, p : 11-16.

-Luc PAUWELS : Armin MOHLER et la « Révolution Conservatrice » in Vouloir ancienne série n°63/64, Printemps 1990, p : 13-19.

-Alain de BENOIST (entretien avec) : in Eléments n°70, printemps 1991, p : 24-37.

-Giorgio LOCCHI : Die Konservative Revolution in Deutschland 1918-1932 in Nouvelle Ecole n°23, automne 1973, p : 94-107.

-Erwin BUCHEL : Armin MOHLER, l’historien de la « Révolution Conservatrice » in Nouvelle Revue d’histoire n°8, septembre-octobre 2003, p : 22-23.

LES JEUNES CONSERVATEURS

-Oswald SPENGLER : Le déclin de l’Occident, 2 volumes, Gallimard, Paris, 1948.

-Oswald SPENGLER : Prussianisme et socialisme, Actes Sud/ Hubert Nyssen, Arles, 1986.

-Oswald SPENGLER : L’homme et la technique, Idées, Gallimard, Paris, 1969.

-Oswald SPENGLER : Années décisives, Copernic, Paris, 1980.

-Oswald SPENGLER : Écrits et pensées, Copernic, Paris, 1980.

-Robert STEUCKERS (éditeur) : Dossier Spengler in Orientations n°1, janvier 1982, p : 14-25.

-Thomas MANN : Considérations d’un apolitique, Grasset, Paris, 1975 (réédition 2002).

-Denis MAGNE : Thomas MANN ou la domination des contraires in Nouvelle Ecole n°41, Automne 1984, p : 11-44.

-Laurent SCHANG : La jeunesse « apolitique » de Thomas Mann in Nouvelles de Synergies Européennes n°33, mars-avril 1998, p : 21-22.

-Carl SCHMITT : La notion de politique/ théorie du partisan, Champs/Flammarion, Paris, 1992.

-Carl SCHMITT : Terre et mer. Un point de vue sur l’histoire mondiale, Labyrinthe, Paris, 1985.

-Carl SCHMITT : Du politique, « légalité et légitimité » et autres essais, Pardès, Puiseaux, 1990.

-Carl SCHMITT : Machiavel-Clausewitz, droit et politique face aux défis de l’histoire, Krisis, Paris, 2007.

-Carl SCHMITT : La dictature, Seuil, Paris, 2000.

-Carl SCHMITT : Théologie politique, Gallimard, Paris, 1988.

-Alain de BENOIST : Carl Schmitt actuel-« Guerre juste, terrorisme, état de guerre, Nomos de la terre », Krisis, Paris, 2007.

-Arthur MOELLER VAN DEN BRUCK : Le troisième Reich, Fernand Sorlot, Paris, 1981.

Arthur MOELLER VAN DEN BRUCK : La révolution des peuples jeunes, Pardès, Puiseaux, 1993.

-Alain DE BENOIST : Arthur MOELLER VAN DEN BRUCK, une « question à la destinée allemande » in Nouvelle Ecole n°35, Hiver 1979-1980, p : 40-73.

-Giselher WIRSING : L’âge d’Icare, de la loi et des frontières de notre temps, PanEuropa, Paris, 2003 (édition originale 1944).

LES NATIONAUX-REVOLUTIONNAIRES/NEO-NATIONALISTES

-Ernst JUNGER : Orages d’acier, Livre de poche, Paris, 1989.

-Ernst JUNGER : Le boqueteau 125, Christian Bourgois (nouvelle traduction), Paris, 1995

-Ernst JUNGER : La guerre comme expérience intérieure, Christian Bourgois, Paris, 1997 (nouvelle traduction de La guerre, notre mère).

-Ernst JUNGER : Feu et sang, Christian Bourgois, Paris, 1998.

-Ernst JUNGER : Lieutenant Sturm, Viviane Hamy, Paris, 1991.

-Ernst JUNGER : Le travailleur, Christian Bourgois, Paris, 1989.

-Ernst JUNGER : Sur les falaises de marbre, Gallimard, Paris, 1979.

-Alain de BENOIST : La figure du travailleur entre dieux et titans in Nouvelle Ecole, n°40, automne 1983, p :11-61.

-Alain de BENOIST (Editeur) : in Nouvelle Ecole, n°48, année 1996, Ernst JUNGER.

-Robert STEUCKERS (Editeur) : in Vouloir n°4 nouvelle série, printemps 1995, Ernst JUNGER 100 ans.

Robert STEUCKERS (Editeur) : in Nouvelles de Synergies Européennes, Hommage à Ernst JUNGER, n°33, mars-avril 1998, p : 2-10

-Isabelle GRAZIOLI-ROZET : JUNGER, Qui suis-je ?, Pardès, Grez-Sur-Loing, 2007.

-Isabelle GRAZIOLI-ROZET : Hommage à Ernst JUNGER in Eléments n°92, Juillet 1998, p : 4-8.

-Philippe BARTHELET (Sous la direction de) : Ernst JUNGER, Les Dossiers H, L’Âge d’Homme, Paris/ Lausanne, 2000.

-Ernst VON SALOMON : Les cadets, UGE/10-18, Paris, 1986.

-Ernst VON SALOMON : Les réprouvés, Christian Bartillat, Paris, 2007.

-Ernst VON SALOMON : Histoire proche, essai sur l’esprit corps-franc, Porte Glaive, Paris, 1987.

-Ernst VON SALOMON : Le questionnaire, Gallimard, Paris, 1982.

-Ernst NIEKISCH : « Hitler, une fatalité allemande » et autres écrits nationaux-bolcheviks, Pardès, Puiseaux, 1991.

-Thierry MUDRY : L’itinéraire d’Ernst NIEKISCH in Orientations n°7, septembre-octobre 1986, p : 34-37.

-Paul BAHN : L’itinéraire de Friedrich HIELSCHER, 1902-1990 in Nouvelle Ecole n°53-54 (Le Fascisme), année 2003, p : 170-182.

-Robert STEUCKERS : Friedrich-Georg JUNGER (1898-1977), la perfection de la technique, Synergies Européennes, Bruxelles, 1996.

-Robert STEUCKERS : L’itinéraire philosophique et poétique de Friedrich-Georg JUNGER in Vouloir n° 45/46 ancienne série, janvier-mars 1988, p : 10-12.

LES VOLKISCHEN/ FOLCISTES

-Ludwig FERDINAND CLAUSS : L’âme des races, L’homme Libre, Paris, 2001.

-Ludwig FERDINAND CLAUSS : David et Goliath in Etudes et Recherches nouvelle série, n°2, quatrième trimestre 1983, p :17-23.

-Hans F. K. GUNTHER : Platon, eugéniste et vitaliste, Pardès, Puiseaux, 1987.

-Hans F. K. GUNTHER Religiosité indo-européenne, Pardès, Puiseaux, 1987.

-Hans F. K. GUNTHER Mon témoignage sur Adolf Hitler, Pardès, Puiseaux, 1990.

-Hans F. K. GUNTHER Les peuples de l’Europe, Editions du Lore, 2006.

-Hans F. K. GUNTHER La race nordique chez les Indo-Européens d’Asie, L’Homme Libre, Paris, 2006.

-Otto RAHN : La cour de Lucifer, Pardès, Puiseaux, 1994.

-Robert STEUCKERS : L’œuvre de Hermann Wirth (1885-1981) in Vouloir n°101/102/103/104 ancienne série, avril-juin 1993, p : 53-55.

-Nicholas GOODRICK-CLARKE : Les racines occultistes du nazisme. Les Aryosophistes en Autriche et en Allemagne, 1890-1935, Pardès, Puiseaux, 1989.

LES BUNDISCHEN

-Karl HOFFKES : Wandervogel révolte contre l’esprit bourgeois, ACE, Saint-Etienne, 2001 (nouvelle édition augmentée).

-Alain THIEME : La jeunesse « Bundisch » en Allemagne au travers de Die Kommenden (janvier 1930-juillet 1931), ACE, Saint-Etienne, 2003.

-Walter FLEX : Le pèlerin entre deux mondes, Porte Glaive, Paris, 1996.

-Hans BLUHER : Wandervogel, histoire d’un mouvement de jeunesse, tome 1, Les Dioscures, Paris, 1994.

-Luc SAINT-ETIENNE : La sexologie politique de Hans BLUHER, GRECE, Paris, 1994.

LE LANDVOLKBEWEGUNG/ MOUVEMENT PAYSAN

-Ernst VON SALOMON : La ville, Gallimard, Paris, 1986.

-Michelle LE BARS : Le mouvement paysan dans le Schleswig Holstein 1928-1932, Peter Lang, Berne, 1986.

DIVERS

-Robert STEUCKERS : Conception de l’homme et Révolution Conservatrice, Heidegger et son temps in Nouvelle Ecole n°37, Printemps 1982, p : 55-75.

-Robert STEUCKERS : Le mouvement métapolitique d’Engelbert PERNERSTORFER à Vienne à la fin du XIXème siècle, précurseur de la « Révolution Conservatrice » in Nouvelles de Synergies Européennes n°55/56, avril-juillet 2002, p : 21-35.

-Stefan GEORGE : Dichtungen/Poèmes, édition bilingue, Aubier/Flammarion, Paris, 1969.

-Stefan GEORGE : L’étoile de l’alliance, Editions de la Différence, Paris, 2005.

-Jean-François THULL : Claus SCHENK Graf von Stauffenberg, un aristocrate dans la tourmente in Le Baucent, n° 19, mai-juin 2000, p : 25-30.

-Henri COURIVAUD : L’Allemagne secrète de Claus von Stauffenberg in Revue Catholica n°97, Automne 2007, p : 111-126.

-H.T. HANSEN : Julius EVOLA et la « Révolution Conservatrice » allemande, association les Deux Etendarts, Montreuil-sous-Bois, 2002.

-Werner SOMBART : Le bourgeois, Petite Bibliothèque Payot, Paris, 1966.

-Werner SOMBART : Le socialisme allemand, Pardès, Puiseaux, 1990.

-Alain de BENOIST : Le paradigme de la culture humaine in Les idées à l’endroit, Editions Libres/Hallier, Paris, 1979, p : 215-249.

-Ferdinand TONNIES : Communauté et société, Retz, Paris, 1977.

-Armin MOHLER : Le « style » fasciste in Nouvelle Ecole n° 42, Eté 1985, p : 59-86.

-Martin KIESSIG : Ludwig KLAGES et son temps in Vouloir ancienne série n°59/60, novembre-décembre 1989, p : 17-19.

-Thierry MUDRY : Le « socialisme allemand », analyse du télescopage entre nationalisme et socialisme de 1900 à 1933 en Allemagne in Orientations n°7, septembre-octobre 1986, p : 21-30.

-Thierry MUDRY : La figure du partisan, approche historique in Le Partisan Européen, n°7-8, Vendémiaire-Brumaire 1986, p :10-22.

-Thierry MUDRY : Le « socialisme allemand » de Werner Sombart in Orientations n°12, été 1990-hiver 1990-91, p : 22-27.

-Julien Freund : La décadence, Sirey, Paris, 1984.

Bibliographie réalisée par Pascal Lassalle Pour Novopress France

vendredi, 26 juin 2009

Pour une typologie opératoire des nationalismes

drapeaux-europe.jpg

 

 

Archives de Synergies Européennes - 1990

 

Pour une typologie opératoire des nationalismes

 

par Robert STEUCKERS

 

Le mot «nationalisme» recouvre plu­sieurs acceptions. Dans ce vocable, les langages politique et politologique ont fourré une pluralité de contenus. Par ailleurs, le nationalisme, quand il agit dans l'arène politique, peut promouvoir des valeurs très différentes selon les cir­constances. Par exemple, le nationa­lis­me peut être un programme de libéra­tion nationale et sociale. Il se situe alors à «gauche» de l'échiquier poli­tique, si toutefois on accepte cette dicho­tomie con­ventionnelle, et désormais dé­passée, qui, dans le langage politique, distingue fort abruptement entre une «droite» et une «gauche». Les gauches convention­nelles, en général, avaient accepté com­me «progressistes», il y a une ou deux dé­cennies, les nationa­lismes de libéra­tion vietnamien, algé­rien ou nicara­guéen car ils se dres­saient contre une forme d'oppression à la fois colonialiste et capitaliste. Mais le nationalisme n'est pas toujours de libé­ration: il peut éga­lement servir à asseoir un programme de soumission, d'impérialisme. Un cer­tain nationa­lisme français, dans les an­nées 50 et 60, voulait ainsi oblitérer les nationalismes vietnamien et algérien de valeurs jaco­bines, décrétées quintessen­ce du «nationalisme français» même dans les rangs des droites, pourtant tra­ditionnel­lement hostiles à la veine idéo­logique ja­cobine. Nous constatons donc, au regard de ces exemples historiques récents, que nous nageons en pleine con­fusion, à moins que nous ayons af­faire à une coïncidentia oppositorum...

 

Pour clarifier le débat, il importe de se poser une première question: depuis quand peut-on parler de «nationa­lis­me»? Les historiens ne sont pas d'accord entre eux pour dire à quelle époque, les hommes se sont vraiment mis à parler de nationalisme et à rai­sonner en ter­mes de nationalisme. Avant le XVIIIiè­me siècle, on peut re­pérer le messia­nisme national des Juifs, la notion d'ap­partenance culturelle commune chez les Grecs de l'Antiquité, la notion d'im­pe­rium chez les Romains. Au Moyen Age, les nations connaissent leurs différences mais les assument dans l'œkumène chrétien, qui reste, en ultime instance, le seul véritable réfé­rent. A la Renais­san­ce, en Italie, en France et en Alle­magne, la notion de «nation», comme ré­férent politique im­portant, est réservée à quelques huma­nistes comme Ma­chia­vel ou Ulrich von Hutten. En Bohème, la tragique aven­ture hussite du XVième siè­cle a marqué la mémoire tchèque, con­tribuant forte­ment à l'éclosion d'un par­ticularisme très typé. Au XVIIième siècle, l'Angleterre connaît une forme de na­tionalisme en instaurant son Egli­se na­tionale, indépendante de Rome, mais celle-ci est défiée par les non-con­for­mistes religieux qui se réclament de la lettre de la Bible.

 

Avec la Révolution Française, le senti­ment national s'émancipe de toutes les formes religieuses traditionnelles. Il se laïcise, se mue en un nationalisme pu­rement séculier, en un instrument pour la mobilisation des masses, appelées pour la première fois aux armées dans l'histoire européenne. Le nationalisme moderne survient donc quand s'effondre l'universalisme chrétien. Il est donc un ersatz de religion, basé sur des éléments épars de l'idéologie des Lumières. Il naît en tant qu'idéologie du tiers-état, aupa­ravant exclus du pouvoir. Celui-ci, à cause précisément de cette exclusion, en vient à s'identifier à LA Nation, l'aristo­cratie et le clergé étant jugés comme des corps étrangers de souche franque-ger­manique et non gallo-ro­mane (cf. Sié­yès). Ce tiers-état bourgeois accède seul aux affaires, barrant en même temps la route du pouvoir au qua­trième état qu'est de fait la paysan­nerie, et au quint-état que sont les ou­vriers des manu­factures, encore très minoritaires à l'é­poque (1). Le nationa­lisme moderne, il­lu­ministe, de facture jacobine, est donc l'idéologie d'une par­tie du peuple seu­lement, en l'occurrence la bourgeoisie qui s'est émancipée en instrumen­ta­li­sant, en France, l'appareil critique que sont les Lumières ou les modes angli­cisantes du XVIIIième siècle. Après la parenthèse révolutionnaire effervescen­te, cette bourgeoisie se militarise sous Bo­naparte et impose à une bonne partie de l'Europe son code juridique. La Res­tau­ration d'après Waterloo conserve cet appareil juridique et n'ouvre pas le che­min du pouvoir, ne fût-ce qu'à l'échelon com­munal/municipal, aux éléments a­van­­cés des quart-état et quint-état (celui en croissance rapide), créant ainsi les con­ditions de la guerre sociale. En Al­le­magne, les observateurs, d'abord en­thou­siastes, de la Révolution, ont bien vi­te vu que les acteurs français, surtout parisiens à la suite de l'élimination de toutes les factions fédéralistes (Lyon, Mar­seille), ne cherchaient qu'à hisser au pouvoir une petite «élite» clubiste, cou­pée du gros de la population. Ces ob­servateurs développeront, à la suite de cette observation, un «nationalisme» au-delà de la bourgeoisie, capable d'orga­ni­ser les éléments du tiers-état non encore politisés, c'est-à-dire les pay­sans et les ou­vriers (que l'on pourrait appeler quart-état ou quint-état). Ernst-Moritz Arndt prend pour modèles les consti­tutions suédoises des XVIIième et XVIIIiè­me siècles, où le paysannat, fait unique en Europe, était représenté au Parlement en tant que «quart-état», aux côtés de la noblesse, du clergé et de la bourgeoisie marchande et industrielle (2). Le Baron von Stein, juriste inspiré par la praxis prussienne de l'époque fré­­déricienne, par les théories de Herder et de Justus Möser, par les leçons de l'è­re révolutionnaire et bonapartiste, éla­bo­re une nouvelle politique agraire, pré­voyant l'émancipation paysanne en Prus­se, projette de réorganiser la bu­reaucratie d'Etat et d'instaurer l'auto­no­mie administrative à tous les niveaux, depuis la commune jusqu'aux instances suprêmes du Reich. Les desiderata d'Arndt et du Baron von Stein ne seront pas traduits dans la réalité, à cause de la «trahison des princes allemands», de l'«obstination têtue des principules et du­caillons», préférant l'expédiant d'une restauration absolutiste pure et simple.

 

Comment le nationalisme va-t-il évo­luer, à la suite de cette naissance tu­mul­­tueuse dans les soubresauts de la Révolution ou du soulèvement allemand de 1813? Il évoluera dans le plus parfait désordre: la bourgeoisie invoquera le na­­tionalisme dans l'esprit de 1789 ou de la Convention, les socialistes dans la perspective fédéraliste ou dans l'espoir de voir la communauté populaire politi­sée s'étendre à tous les états de la so­ciété, les Burschenschaften  allemandes contre les Princes et l'ordre imposé par Metternich à Vienne en 1815, les narod­niki  russes dans la perspective d'une émancipation paysanne généralisée, etc. Le mot «nationalisme» en vient à dési­gner des contenus très divers, à recou­vrir des acceptions très hétérogènes. En Hongrie, avec Petöfi, le nationalisme est un nationalisme ethnique de libération comme chez Arndt et Jahn. En Pologne, l'ethnisme slavisant se mêle, chez Mi­ckiewicz, d'un messianisme catholique anti-russe et anti-prussien, donc anti-or­­thodoxe et anti-protestant. En Italie, avec Mazzini, il est libéral et illuministe. En Allemagne avec Jahn et au Dane­mark, avec Grundtvig, il est nationa­lis­me de libération, ethniste, ruraliste, ra­cia­lisant et s'oppose au droit romain (non celui de la vieille Rome républi­cai­ne mais celui de la Rome décadente et orientalisée, réinjecté en Europe cen­tra­le entre le XIIIième et le XVIième siè­cles), c'est-à-dire à la généralisation d'un droit où l'individu reçoit préséance, au détriment des communautés ou de la nation.

 

Dans l'Allemagne nationale-libérale de Bismarck, le tiers-état allemand accède au pouvoir tout en concédant une bonne législation sociale au quint-état ouvrier. La France de la IIIième République con­solide le pouvoir bourgeois mis en selle lors de la Convention. Entre 1914 et 1918, le monde assiste à la conflagration généralisée des nationalismes tiers-éta­tistes. En 1919, à Versailles, l'Ouest im­pose le principe de l'auto-détermina­tion dans la Zwischeneuropa, l'Europe sise en­tre l'Allemagne et la Russie. La Fran­­­­ce va ainsi accorder aux Polonais et aux Tchèques ce qu'elle refusera tou­jours aux Bretons, aux Alsaciens, aux Corses et aux Flamands. Mais cette au­to-détermination n'est pas accordée di­rec­tement aux peuples pris dans leur globalité, mais aux militaires polonais ou roumains, aux clubs tchèques (Ma­sa­ryk), etc. Ces strates dirigeantes, ex­ploitant à fond les idéologèmes nationa­listes, ont affaibli leurs peuples en im­po­sant des budgets militaires colossaux, notamment en Pologne et en Roumanie. Dans ce dernier pays, ce n'est pas un ha­­sard non plus si la contestation néo-na­tionaliste, hostile au nationalisme de la monarchie et des militaires, se soit basée sur les idéologies agrariennes (po­po­ranisme) ou les ait faits dévier dans une sorte de millénarisme paysan, com­parable, écrit Nolte (3), aux milléna­ris­mes de la fin du Moyen Age ouest-euro­péen (Légion de l'Archange Michel, Gar­­de de Fer).

 

Devant ce désordre événémentiel, la pen­­sée européenne n'a pas été capable d'énoncer tout de suite une théorie scien­tifique, assortie d'une classification claire des différentes manifestations de l'idéologie nationaliste. Avec un tel dé­sor­dre de faits, une typologie est néces­saire, vu qu'il y a pluralité d'acceptions. Les linéaments de nationalisme se sont de surcroît mêlés à divers résidus, plus ou moins fortement ancrés, d'idéologies non nationales, non limitées à un espace ou à un temps précis. La première clas­sification opératoire n'a finalement été sug­gérée qu'en 1931 par l'Américain Carl­ton J.H. Hayes (4). Celui-ci distin­guait:

1) Un nationalisme humanitaire, fai­sant appel à des valeurs intériorisées et critique vis-à-vis du système en place. L'idéologie humanitaire pouvant repo­ser tantôt sur la morale tantôt sur la cul­­ture;

2) Un nationalisme jacobin, réclamant une adhésion formelle, donc extérieure, et s'instaurant comme système de gou­vernement;

3) Un nationalisme traditionaliste, auto­ritaire et contre-révolutionnaire, explo­rant peu les ressorts de l'intériorité hu­maine, et s'opposant au système en pla­ce au nom d'une tradition, posée comme pure, comme réceptacle exclu­sif de la vérité;

4) Un nationalisme libéral, se réclamant du droit ou des droits, généralement hos­tile au système en place, car celui-ci n'accorde aucun droit à certaines caté­gories de la population ou n'en accorde pas assez au gré des protagonistes du nationalisme;

5) Un nationalisme intégral, opérant une synthèse de différents éléments idéo­logiques pour les fusionner en un na­tionalisme opératoire. Maurras est le théoricien par excellence de ce type de nationalisme de synthèse, hostile, lui aussi, au régime en place.

Le découpage que nous suggère Carlton J.H. Hayes est intéressant mais l'ex­périence historique nous prouve que les nationalismes qui ont fait irruption sur la scène politique européenne ont sou­vent été des mixtes plus complexes, vu les affinités qui pouvait exister entre ces différents nationalismes, comme par exemple entre le nationalisme humani­taire et le nationalisme libéral, entre le libéralisme et le jacobinisme, entre les traditionalistes et les natio­na­listes in­té­graux, etc.

 

Hans Kohn (5), disciple de Meinecke, ré­duira conceptuellement la pluralité des nationalismes à deux types de base: 1) les nationalismes émanant de la Nation-Etat, d'essence subjective et politique, où l'on adhère à une nation comme à un parti. C'est une conception occidentale, d'après Kohn;

2) les nationalismes émanant de la Na­tion-Culture, d'essence objective et cul­turelle, déterminée par une apparte­nan­ce ethnique dont on ne peut se dé­barrasser aisément. C'est une concep­tion orientale, slave et germanique, d'a­près Kohn.

L'Occident, selon sa classification, déve­lopperait donc une idée de la nation comme communauté volontaire, comme un «plébiscite de tous les jours» (Re­nan). Jordis von Lohausen, géopoliti­cien autrichien contemporain, disait dans ce sens que l'on pouvait de­venir français ou américain comme l'on devient musul­man: par simple décision personnelle et par acceptation de valeurs universelles non liées à du réel concret, à un lieu précis et objectif.

L'Est européen développe une approche contraire des faits nationaux. Cette ap­proche, dit Kohn, est déterministe: on ap­partient à une nation comme on ap­partient à une famille, pour le meilleur et pour le pire.

Kohn en déduit que les approches occi­dentales sont libérales, démocratiques, rationnelles et progressistes. Les ap­proches orientales, quant à elles, sont irrationnelles, anti-individualistes, pas­séistes, voire «fascistes» et «racistes».

Cette dichotomie, un peu simple, mérite une critique; en effet, les nationalismes jacobins, occidentaux, de facture libérale et démocratique, se sont montrés agres­sifs dans l'histoire, bellogènes, inca­pables de créer des consensus réels et d'organiser les peuples (de faire des peuples des organismes harmonisés). Quant aux nationalismes dits orientaux, ils reposent sur un humanisme cultu­rel, dérivé de Herder, qu'il serait difficile de qualifier de «fasciste», à moins de condamner comme telle toute investiga­tion d'ordre culturel ou littéraire dans un humus précis. Par ailleurs, l'Irlan­de qui est située à l'Ouest du continent européen, n'est ni slave ni germanique mais celtique, déploye un nationalisme objectif, ethnique, culturel, littéraire qui n'a jamais basculé dans le fascisme. De même pour l'Ecosse, le Pays de Galles, la Flandre, la Catalogne, le Pays Bas­que. La Pologne, située à l'Est, assimile de force les Ruthènes, les Kachoubes, les Lithuaniens, les Ukrai­niens, les Alle­mands et les Tchèques qui tombent sous sa juridiction non pas au nom d'un nationalisme ethnique polo­nais mais au nom d'une idéologie uni­versaliste mes­sia­nisée, le catholicisme. Si bien que tous les Slaves catholiques sont considé­rés comme Po­lo­nais, en dépit de leur na­­tionalité pro­pre. Dans la Russie du XIXième siècle, le natio­na­lisme est un mixte qui n'a rien de la netteté dichoto­mique de Kohn: l'étatisme anti-volonta­riste, mi-occidental mi-orien­tal, se con­jugue au panslavisme culturel, «orien­tal» et non humaniste, et au narodni­kis­me, «oriental» et humaniste.

 

Theodor Schieder (6) critique les classi­fi­­cations de Hayes et de Kohn, parce qu'il les juge trop figées et parce qu'elles ne tiennent pas compte du facteur temps. La formation des nationalismes européens s'est déroulée en plusieurs étapes, dans trois zones différentes. La première étape s'est déroulée en Europe occidentale; la seconde étape, en Europe centrale; la troisième étape, en Europe orientale. En Europe occidentale, c'est-à-dire en France et en Angleterre, le cadre territorial national était déjà là; il n'y a donc pas eu besoin de l'affirmer. Le tiers-état s'émancipe dans ce cadre et conserve les éléments d'universalisme propre au Lumières parce que le ro­man­tisme attentif aux spécificités ethno-culturelles ne s'est pas encore dé­velop­pé. La culture est toujours au stade du subjectif-universaliste et non encore au stade de l'objectif-particulariste. Ce qui explique qu'en Angleterre, le terme «na­tionalisme» sert à désigner des mou­­vements de mécontents sociaux en Irlande, en Ecosse, au Pays de Galles. Cette acception, à l'origine typiquement britannique, du terme nationalisme est passée aux Etats-Unis: on y parle du «nationalisme noir» pour désigner le mé­contentement des descendants des es­claves africains importés en Amé­ri­que, jadis, dans les conditions que l'on sait. Aux Etats-Unis comme en France, le nationalisme ne peut être ni objectif ni linguistique ni ethnique mais doit être subjectif et politique parce ces pays sont pluri-ethniques et, au départ, peu peu­plés, donc contraints de faire appel à l'im­migration. Tout recours à l'objecti­vité ethno-linguistique y briserait la co­hésion artificielle, obtenue à coup de pro­pagande idéologique.

 

En Europe centrale, il a fallu d'abord que les nationalismes créent le cadre territorial sur le modèle des cadres oc­cidentaux. C'est ainsi que l'on a pu ob­server, dans la première moitié du XIXième siècle, les lents processus des unifications allemande et italienne. Il a fallu aussi chasser les puissances tu­tri­ces (la France en Allemagne; l'Autriche en Italie). L'obsession de se débarrasser des armées napoléoniennes et de l'ad­mi­nistration française ainsi que de ses re­liquats juridiques est bien présente dans les écrits des ténors du natio­na­lis­me allemand du début du XIXième: chez Arndt, chez Jahn et chez Kleist. Dans cette première phase, le nationa­lis­me émergeant révèle une xénophobie, qui unit le peuple en vue d'un objectif précis, la libération du territoire natio­nal, et qui, sur le plan théorique, cher­che à démontrer une homogénéité so­ma­tique de tout le corps social et popu­laire. Ensuite, la démarche unificatrice passe par l'élaboration d'un droit al­ternatif, devant nécessairement accor­der un plus en matière de représen­ta­tion que le droit ancien, imposé par une puissance extérieure. D'où, en Alle­ma­gne, la recherche constante d'une al­ter­native au droit romain et la volonté d'un retour au droit coutumier germanique, laissant plus de place aux dimensions communautaires, territoriales ou pro­fes­­sion­nelles (cf. Otto von Gierke), ce qui permet de répondre aux aspirations con­­crètes d'autonomie communale et aux volontés d'organisation syndicale, ex­primées dans la population.

 

En Europe orientale, les processus na­tio­­nalitaires se heurtent à une difficulté de taille: créer un cadre est excessi­ve­ment compliqué, vu la mosaïque ethni­que, à enclaves innombrables, qu'est la partie d'Europe sise entre l'Allemagne et la Russie. Cette difficulté explique la neutralisation de cette zone bigarrée au sein d'empires pluri-nationaux. La rai­son d'être de la monarchie austro-hon­groise était précisément due à l'impos­si­bilité d'un découpage territorial co­hé­rent sur base nationale dans cette ré­gion, ce qui l'aurait affaiblie face à la menace otto­mane. Pendant la guerre 14-18, Alle­mands et Autrichiens renon­cent, sur le plan théorique, à l'idéologie na­tionale, tandis que l'Entente et les Etats-Unis, malgré leurs idéologies do­minantes cos­mopolites, instrumentali­sent, contre la lo­gique fédérative autri­chienne, le fa­meux principe wilsonien de l'«auto-dé­ter­mination nationale» (7). Quand, à Versailles, sous l'impulsion de Wilson et de Clémenceau, on accorde à l'Europe orientale l'auto-détermi­na­tion, on le fait par placage irréfléchi du modèle jacobin, subjectivo-politique, sur la mosaïque ethnique, objectivo-cultu­rel­­le. Le mélange du nationalisme sub­jectif et des faits objectifs d'ordre ethni­que et culturel a provoqué l'explosion d'ir­rédentismes délétères.                     

 

Le nationalisme des «petits peuples» dans les travaux de Miroslav Hroch

 

Miroslav Hroch (8), de nationalité tchè­que, analyse le nationalisme des «petits peu­ples», soit les nationalismes norvé­gien, fin­landais, flamand, baltes et tchè­que. Ces nationalismes, tous culturels à la base, ont également évolué en trois étapes. La pre­mière de ces étapes est la phase intellec­tuelle, «philologique», où des érudits redé­couvrent le Kalevala en Finlande ou ex­hument de vieilles poésies ou épopées ou, encore, créent des romans historiques com­me Conscience en Flan­dre. L'archéologie, la littérature et la lin­guis­tique sont mo­bilisées pour une «pri­se de conscience». Vient ensuite la seconde phase, celle du réveil, où cette nou­velle culture encore marginale passe des érudits aux intellec­tuels et aux étu­diants. Le Tchèque Pa­lac­ky (9) a été, par exemple, l'initiateur d'un tel passage dans la société tchèque du dé­but du XIXième. La troisième phase est celle où le nationalisme, au préalable en­goue­ment d'érudits et d'intellectuels, de­vient «mouvement populaire», atteint les mas­­ses qui passent, ainsi, à une «cons­cience historique». C'est la litté­rature, dans tous ces cas, qui est le moteur d'un mouvement social. Au XIXième, dans le sillage du romantisme, c'est le roman qui a joué le rôle de diffuseur. Aujour­d'hui, ce pourrait être le cinéma ou la ban­de des­sinée.

 

Qui porte cette évolution? Ce n'est pas, comme dans les cas des nationalismes tiers-étatistes, la bourgeoisie industrielle ou marchande. Celle-ci ne montre aucun intérêt pour la philologie, la poésie ou le roman historique. Sur le plan culturel, elle est strictement analphabète (Kultur­anal­­­pha­bet, dirait-on en allemand). Le na­­tio­na­lisme des «petits peuples» émane au con­traire de personnalités cultivées, issues de classes diverses, mais toutes hos­tiles à la caste marchande inculte (les «Philistins», disait l'humaniste anglais Matthew Ar­nold). Schumpeter, en éco­no­­mie, Veblen, en sociologie, ont montré combien puis­san­te était cette hostilité du peuple, des cler­gés et des aristocrates  à l'encontre des ri­ches sans passé, por­teurs de la civilisation capitaliste. Cons­ta­tant que cette haine al­lait croissante, Schumpeter prévoyait la fin du capita­lis­me. Cette haine est donc partagée entre d'une part, les nationa­lis­mes culturels et, d'autres part, les gau­chismes de tou­tes moutures, qui, quand ils conjuguent leurs efforts et abandonnent le faux clivage gauche/droite en induisant un nouveau clivage, cette fois entre cultivés et non-cultivés, font sauter la domination des castes marchandes, spéculatrices et incultes («middelmatiques» disait le so­cia­liste belge Edmond Picard).

 

Des intellectuels

issus des milieux paysans

 

Les intellectuels qui initient ces natio­na­lismes de culture sont souvent issus de mi­lieux populaires paysans, ruraux, ou sont de petits hobereaux cultivés, déposi­taires d'une «longue mémoire». Miros­lav Hroch pose, après ce constat sur l'o­rigine sociale de ce type d'intellectuels, une question cruciale: sont-ils des «mo­der­­nisa­teurs» (progressistes) ou des «tra­­ditiona­listes» (réactionnaires et pas­sa­tistes)? Dans sa réponse, Hroch recon­naît que ces intellectuels sont plutôt des «moderni­sa­teurs», vu qu'ils cherchent à redonner un bel éclat à leur patrie et à souder leur peuple, de façon à ce qu'il échappe au dé­racinement de la révolu­tion industrielle. Les nationalismes de cul­ture sont tous nés dans des régions d'Europe développées, au passé riche. La Flandre a été une zone ur­banisée depuis le Moyen Age. Le Pays Basque est la zone la plus évoluée d'Es­pagne, qui, après une brève éclipse au XIXième siècle sur fond de pronuncia­men­tos castillans, a connu un nouvel essor au XXième. Même chose pour la Catalogne. La Finlande dispose d'une bonne industrie et présente un bon alliage politique fait de ruralité et de mo­dernité. La Norvège a toujours eu d'ex­cel­lents chantiers navals et dispose, au­jour­d'hui, d'une industrie élec­tronique de premier plan, capable de fa­briquer des missiles modernes. La Bo­hè­me-Moravie a été, après l'Allemagne, la principale zo­ne industrielle d'Europe cen­trale et Pra­gue a une université pluri-sé­culaire. Au vu de ces faits, le reproche de pas­séis­me qu'adressait Kohn aux nationa­lismes de culture ne tient pas. Notre con­clusion: le nationalisme est difficile­ment acceptable quand il émane du tiers-état, parce qu'il véhicule alors l'égoïsme de classe et l'impolitisme délétère à long terme du libéralisme; il est acceptable quand il émane d'une sorte de «première fonction» reconstituée dans le fond-de-peuple enraciné et encore doté de sa «longue mémoire». 

 

E.H. Carr et le reflet des périodes de l'histoire européenne dans la définition des nationa­lismes

 

Pour l'historien britannique E.H. Carr, les nationalismes, aux divers moments de leur évolution, sont des reflets de l'i­déo­logie politique et économique domi­nan­te de leur époque. Ainsi, avant 1789, le na­tionalisme  —ou ce qui en tenait lieu avant que le vocable ne se soit imposé dans le vocabulaire politique—  dans les Etats au cadre ter­ritorial formé, comme la France ou l'An­gleterre, est régalien; il est le coro­llaire du pouvoir royal et inclut dans ses corpus doctrinaux l'idéal mé­ca­niciste et abso­lu­tiste en vigueur chez les théoriciens du politique au XVIIIiè­me siècle. De 1789 à 1870, le nationalisme est démocratique; la révolution de 1789 est démocratique et li­bé­rale, bourgeoise et tiers-étatiste. En 1813, en Allemagne, avec Arndt et Jahn, elle s'adresse à l'en­semble du peuple, pay­sannerie compri­se. En 1848, elle est démo­cratique au sens le plus utopique du ter­me, tant à Paris qu'à Francfort. De 1870 à 1939, quand on abandonne petit à petit les principes libé­raux et l'économie du «lais­ser-faire», le nationalisme devient socia­liste car il faut impérativement organiser  l'industrie et les masses ou­vrières, ce que l'utopisme libéral n'avait pas prévu, aveu­glé qu'il était par le mythe de la «main invisible» que Hayek nommera, quelques décennies plus tard, la «catallaxie». Bis­marck ac­cor­de aux ouvriers une protection so­cia­le. Les idéologies planistes (De Man, Fre­yer), le stalinisme, le fascisme (sur-tout dans sa dimension futuriste et in-dustria­liste), le New Deal de Roosevelt et le natio­nal-socialisme hitlérien (avec ses construc­tions d'autoroutes et son Front du Travail) visent à faire accèder leur na­tion à la puis­sance et y parviennent en appliquant de nouvelles méthodes, cha­que fois différen­tes mais radicalement autres que celles appliquées aux époques antérieures. La France et l'Angleterre, vé­hiculant des na­tionalismes anciens, de type régalien, et appliquant en économie les théorèmes du libéralisme, intègrent mal leurs classes ouvrières et ne par­viennent pas à asseoir en elles une lo-yauté optimale.

 

L'Allemagne bismarckienne, en effet, a été un modèle d'intégration social à son époque. Appliquant les théories de l'éco­nomiste List sur les tarifs douaniers pro­tecteurs de toute industrie naissante, le gouvernement impérial impose les Schutz­zölle  en 1879 qui protègent non seu­lement le capital national mais aussi le travail national, ce qui lui vaut la re­con­naissance de la social-démocratie di­rigée à l'époque par Ferdinand Lassalle. Dès que le capital et le travail sont proté­gés, il faut les organiser, c'est-à-dire les rendre ou les re-rendre «organiques». Pour ce faire, il a fallu injecter de la pro­tection sociale et légiférer dans le sens d'une sé­curité sociale. La nation, dans cette opti­que, était le système qui «or­ga­nisait» et oc­troyait de la protection. Na­tion et sys­tème social se voyaient dé­sor­mais con­fondus dans la classe ouvrière: le pa­trio­tisme du «prolétariat» allemand en 1870 et en 1914 venait du simple fait que ces masses ne souhaitaient ni le knout russe archaïsant ni l'arbitraire libéral français ou anglais. En août 1914, les travailleurs al­lemands couraient aux armes pour que Russes et Français ne viennent pas ré­duire à néant la sécurité sociale cons­trui­te depuis Bismarck et non pas pour la gloire du Kaiser ou de la Sainte-Alle­magne des réactionnaires et des roman­ti­ques médiévisants.

 

Pour E.H. Carr, la phase 1 du natio­na­lis­me est régalienne et portée par les cours et l'aristocratie; la phase 2 est poli­ti­que et démocratique; sa classe por­teuse est la bourgeoisie; la phase 3 est éco­no­mique et portée par les masses. Les na­tions à nationalisme de phases 1 et 2 ont opté pour un colonialisme, où les terri­toi­res d'outre-mer devaient servir de dé­bou­chés à l'industrie métropolitaine que, du coup, on ne modernisait plus. Les na­tionalismes de phase 3 préfèrent la «co­lo­nisation intérieure», c'est-à-dire la ren­tabilisation maximale des terres en friches de la métropole, des énergies na­tionales, des ressources du territoire. Cette «colonisation intérieure» a pour corollaire un système d'éducation très so­lide et très complexe. En bout de cour­se, ce sont les nations qui ont renoncé au libéralisme stricto sensu et au colonia­lisme qui sortent victorieuses de la cour­se économique: le Japon et l'Allemagne.

 

Le nationalisme contre les établissements?

 

Donc tout nationalisme efficace doit être une idéologie contestatrice; il doit tou­jours vouloir miner les établissements qui s'endorment sur leurs lauriers ou veulent bétonner des injustices. Il doit vou­­loir l'émancipation des masses et des catégories sociales dont l'établis­se­ment re­fuse l'envol et vouloir aussi leur inté­gration optimale dans un cadre soli­de, épuré de toutes formes de dys­fonc­tion­ne­ments. Il n'y a aucun vrai na­tio-nalisme possible dans une société qui dys­fonc­tion­­ne à cause de sa maladie li­bé­rale. Les discours nationalistes dans les so­ciétés libérales sont des hochets, des jou­joux, de la propagande, de la pou­dre aux yeux. Dans les sociétés pro­té­gées, appli­quant intelligemment et sou­plement les principes du protection­nis­me, qui per­met l'éclosion d'un capi­ta­lis­me national, d'un socialisme natio­nal, d'une péda­go­gie nationale, le nationa­lis­me devient au­to­matiquement l'idéologie de ceux que favorise le protectionnisme, contre le cos­mopolitisme libéral et l'in­ter­­na­­tiona­lisme prolétarien qui sont des fois sans ancrage social réel et con­dui­sent les so­ciétés à la ruine ou à la déli­ques­cence. Au­jourd'hui, comme il n'y a plus de vo­lon­té protectionniste, ni à l'é­chelon étati­que ni à l'échelon continen­tal, il n'y a plus de nationalisme, si ce n'est des con­tre-façons grotesques, à ver­bo­sité mili­ta­riste, qui servent de véhicule à d'autres utopies internationalistes, com­­­me, par exemple, les intégrismes re­­­ligieux ou les stratégies néo-spiri­tua­listes qui nous vien­nent des Etats-Unis ou de Corée.

 

Les nouveaux fronts

 

Chaque étape du développement de la pensée nationale crée de nouveaux fronts politiques, que le manichéisme de la pen­­sée d'aujourd'hui refuse de perce­voir. Avant 1789, le morcellement terri­to­rial des Etats et les douanes intérieures constituaient des freins à l'expansion du libéralisme et de l'industrie. La nécessité de les éliminer a généré une idéologie à la fois nationale (parce que la nation était le cadre élargi nécessaire à la promotion des industries et manufactures) et libé­ra­le (l'accession du tiers-état marchand à la gestion des affaires). Cette idéologie mettait un terme aux dimensions ri­gi­difiantes et fossilisantes de l'Ancien Ré­gime. Mais quand le libé­ra­lisme a atteint ses limites et montré qu'il pouvait dis­soudre mais non orga­ni­ser, l'idéo­logie idéale à appliquer dans le cadre concret de la nation est devenue le pro­tection­nis­me. Par la création de zones au­­tarciques à dimensions territoriales pré­cises  —la nation, l'Etat—  le pouvoir met­tait un frein aux velléités cosmo­po­li­tes donc dis­solutives du libéralisme. L'An­gleterre, ayant une longueur d'a­van­­ce dans la cour­se à l'industria­lisa­tion, exploitait à fond la pratique du libre-échange pour inonder de ses produits les pays d'Europe non encore industrialisés ou moins in­dustrialisés, empêchant du même coup le développement d'un tissu industriel au­tochtone et privant la popu­la­tion d'op­por­tunités multiples. Le cos­mo­politisme est précisément l'idéo­lo­gie qui, sous pré­texte d'élargir les horizons à l'in­fi­ni, re­fuse de tourner son regard vers la con­crétude ambiante et con­dam­ne du même coup la population fixée dans et sur la concrétude ambiante à de­meurer dans ses chaînes. L'idéologie cos­mopolite des Lumières servait l'An­gle­terre au XIXiè­me siècle comme elle sert les Etats-Unis aujourd'hui.

 

De cet état de choses découlent préci­sé­ment les nouveaux fronts. Le regalien, qui est politique pur, et le pro­­tec­tion­nis­me, qui veut intégrer les masses ouvriè­res et fortifier l'économie, s'opposent avec une égale vigueur au libéralisme cos­mo­polite. Le monarchisme, le socia­lis­me et le syndicalisme (ersatz à l'ère in­dustirelle des associations pro­fes­sion­nel­les d'ancien régime) s'oppose tantôt dans le désordre tantôt dans l'ordre au libéralisme. Les idéologues libéraux com­me Hayek et von Mises ou, dans une moindre mesure, Myrdal, décrivent le socialisme et le syndicalisme comme «ré­actionnaires» parce qu'ils s'opposent à l'expansion illimitée du capitalisme. Cette attitude procède d'un refus des lé­viathans équilibrants, d'un refus de met­tre un frein aux désirs utopiques et sub­jectifs, irréalisables parce que trop pré­tentieux. Le politique étant pré­cisé­ment la création de tels «léviathans é­qui­librants», on peut déduire que le li­bé­ralisme, fruit de l'idéologie des Lumiè­res, est anti-politique, cherche à briser le travail éminemment humain —l'hom­me étant zoon politikon—  du politi­que. Le retour de Hayek et de von Mises dans un certain discours conservateur, aux Etats-Unis, en Angleterre et en France et d'une vulgate idéologique insipide ayant pour thème les «droits de l'homme», de même que la destruction de l'Irak baa­siste et de l'institutionalisation, amorcée par Kouchner, du droit d'ingérence dans les affaires intérieures de pays tiers, avec la triste affaire des Kurdes, participe d'u­ne totalitarisation du libéralisme qui, par la force militaire les trois puissances où le conser­vatisme se réclame de Hayek et les gauches du discours «droits-de-l'hommard», cher­che à homogénéiser la planète en brisant par déchaînement de violence outran­ciè­re (la destruction des colonnes irakien­nes en retraite par bom­bes à neutrons et à effet de souffle) les pe­tits léviathans locaux, ancrés régiona­lement. Comme par hasard, les trois puis­sances qui a­mor­cent cette apoca­lyp­se sont celles dites de l'«Ouest» dans le discours anti-im­pé­ria­liste de l'école na­tio­nale-bolchévique (Niekisch, Pae­tel)...

 

Le commun dénominateur politisant du con­servatisme monarchiste, créateur de lé­viathans non socialisés, et du syn­di­ca­lisme, organisateur du tissu social, ex­pli­que le rapprochement entre l'AF et les syndicalistes soréliens au sein du Cercle Proudhon en 1911-12, le rappro­che­ment en­tre De Man et Léopold III en Belgique, le rapprochement  —hélas mar­gina­li­sé—  entre le CERES de Che­vénement et la NAR monarchiste...

 

L'exemple latino-américain

 

En 1945, le monde assiste à l'achèvement de la dynamique enclenchée par les na­tionalismes européens. Ce ne sont plus désormais des nations qui s'af­fron­tent mais des blocs idéologiques trans­na­tio­naux à vocation globale. Une sorte de nouvelle guerre de religion commence, ré­cla­mant, sur­tout chez les commu­nis­tes, une forte do­se de foi, qu'un Sartre con­tribuera no­tamment à injecter. Le na­tionalisme glisse alors vers le tiers-monde, comme l'avait prévu le géopoliti­cien allemand Karl Haushofer. En effet, en 1949, la Chine de Mao pro­cla­me son au­tarcie par rapport aux grands flux fi­nanciers in­ternationaux, vecteurs du pro­cessus de dénationa­li­sa­tion. Malgré le discours communiste-in­ter­nationa­lis­te, la Chine se replie sur el­le-même, re­devient natio­nale-chinoise, re­­pli qui sera encore ac­centué par la «ré­volution cul­tu­relle» des années 60. En 1954, l'Egypte de Nasser, à son tour, ten­te de se décon­nec­ter des grands circuits occidentaux. Les natio­nalismes du tiers-monde visent donc l'indépendance, es­sa­yent la non-intégra­tion dans la sphère américaine, que Roosevelt et Truman vou­laient éten­dre au monde entier (d'où l'expression «mondialisme»). Le modèle dans le tiers-monde est, tacitement, celui de l'Al­lemagne nationale-socialiste, et, plus officiellement, celui de la Russie de Sta­line. Mais le tiers-monde n'est pas ho­mo­gène: l'Amérique latine, par ex­em­ple, était déjà, par l'action des bour­geoi­sies «monroeïstes», dans l'orbite amé­­­ri­caine avant-guerre comme nous le som­mes aujourd'hui. C'est pourquoi, les La­tino-Américains ont pensé un natio­na­­­lisme de libération continental qui peut nous servir d'exemple, à condition que nous ne le concevions plus sur le mo­de trop roman­tique du guévarisme d'ex­por­tation qui avait, jadis, séduit la géné­ra­tion de ceux qui ont aujourd'hui entre 40 et 50 ans. Mis à part ce natio­na­lisme de libération, l'Amérique latine pré­sente:

 

1) Un nationalisme d'intégration pour po­­pulations hétérogènes (Mexique-Bré­sil).

2) Un nationalisme hostile aux investis­seurs étrangers à l'espace latino-amé­ri­cain. Ce nationalisme continentaliste avait été surtout développé au Chili (a­vant Pinochet) et en Bolivie.

3) Un nationalisme qui est recours au pas­sé pré-colonial. Ce nationalisme a sur­­tout été théorisé par le Péruvien Ma­riategui. Il s'apparente du point de vue des principes aux nationalismes de cul­tu­re européens, comme le nationalisme finlandais qui exhume le Kalevala ou le nationalisme irlandais qui exhume ba­la­des celtiques et épopée de Cuchulain, etc. Ou qui recourt au passé pré-chrétien de l'Europe.

4) Un nationalisme dérivé du populisme urbain, dont l'expression archétypique de­­meure le péronisme argentin.

 

Ces quatre piliers théoriques du natio­na­­­lisme continentaliste latino-américain ré­duisent à néant les clivages gau­che/ droi­­te conventionnels; en effet, on a vu al­ter­nati­ve­ment groupes de «gauche» et groupes de «droite» se revendiquer tour à tour de l'un ou l'autre de ces pi­liers théoriques.

 

En quoi ces piliers théoriques peuvent-ils servir de modèles pour l'Europe?

A. Quand le nationalisme de la gauche chilienne exprime son agressivité tran­chée à l'égard des exploiteurs étrangers, il a le mérite de la clarté dans la défi­ni­tion et la désignation de l'ennemi, acte po­­litique par excellence, comme nous l'ont enseigné Carl Schmitt et Julien Freund.   

 

Quant au nationalisme péruvien, théo­ri­sé par Mariategui, il constitue un mixte de dialectique indigéniste et de dia­lecti­que économiste. La lutte contre l'exploi­ta­tion économique passe par une prise de conscience indigéniste, dans le sens où le retour aux racines indigènes implique automatiquement une négation du sys­tè­me économique colonial. L'anti-impé­ria­lisme, dans la perspective péru­vien­ne-in­digéniste, consiste à recourir aux ra­cines naturelles, non aliénées, du peu­ple. Cet indigénisme est hostile aux na­tionalismes des «bourgeoisies mon­roe­istes», d'origine coloniale et alignées généralement sur les Etats-Unis avec, comme seul supplément d'âme, un es­thé­tisme européisant, tantôt hispano­phi­­le, tantôt francophile ou anglophile.

 

Les mythes castriste, guévariste, sandi­niste, chilien ont eu du succès en Europe parce qu'inconsciemment, ils corres­pon­daient à des désirs que les Européens n'exprimaient plus en leur langage pro­pre, qu'ils avaient refoulés. Lorsque l'on analyse des textes cubains officiels, pa­rus dans la célèbre revue Politica In­ter­nacional  (La Havane) (10), on dé­couvre une analyse pertinente de l'offensive cul­turelle américaine en Amérique lati­ne. Par l'action dissolvante de l'améri­ca­nisme, la culture cesse d'être cons­cien­ce historique et politique et se mue en instrument de dépolitisa­tion, d'alié­na­tion, par surenchère de fic­tion, de psy­chologisme, etc. Nous pour­rions com­parer cette analyse, très cou­rante et gé­néralisée dans le continent la­tino-a­mé­ricain, à celle qu'un Steding (11) avait fait du neutralisme culturel dépoli­tisé en Hollande, en Suisse et en Scandi­navie ou à celle que Gobard avait fait de l'alié­na­tion culturelle et linguistique en France (12).

 

Indigénisme, populisme ou nationa­lisme?

 

En conclusion, toute idéologie et toute pra­tique politique qui veulent prendre en compte les racines du peuple, ses pro­duc­tions culturelles doivent: 1) tenir comp­te des lieux et du destin qu'ils im­po­sent, ce qui implique une politique ré­gionaliste fédérante à tous les échelons; c'est là une logique fédérante 2) opérer un retour aux racines, par un travail ar­­chéologique et généalogique constant, de façon à pouvoir repérer les moments où ont été imposées des structures alié­nantes, à comprendre les circonstances de cette anomalie et à en combattre les ré­sidus; c'est là une logique indigéniste; 3) déconstruire les mécanismes alié­nants introduits dans nos tissus sociaux au moment de la révolution industrielle (une relecture de Carlyle s'impose à ce niveau) et organiser les nouvelles jun­gles urbaines, ce qui signifie ré-enra­ci­ner les populations agglutinées dans les grandes métropoles; c'est là une logique justicialiste et populiste; 4) ras­sembler les peuples et les entités poli­tiques de di­mensions réduites au sein de grands es­paces économiques semi-au­tarciques, dé­passant l'étroitesse de l'Etat-Nation; c'est une logique continen­taliste ou «re­g­nique» (reichisch);  5) rompre avec les nationa­lismes séculiers et laïques clas­siques, nés à l'époque des Lumières et véhicu­lant sa logique d'homo­généisa­tion, éli­minatrice de nombreux possibles (l'omologazzione  de Pier Paolo Pasolini); rompre également avec les nationa­lis­mes qui se sont rebiffés contre les Lu­miè­res pour retomber dans le fantasme de la conversion forcée, dans un cultu­ra­­lisme passéiste conservateur et dé­réa­lisé.

 

Une idéologie politique est acceptable  —qu'elle se donne ou non l'étiquette de «na­tionaliste»—  si et seulement si 1) elle se fonde sur une «culture» enraci­née, impliquant une conscience histo­ri­que et portée par une sorte de nouvelle «pre­mière fonction» (au sens dumézilien du terme); 2) si cette nouvelle «première fonction» est issue du fond-du-peuple (prin­cipe d'indigénat); 3) si elle donne ac­cès à une représentation juste et com­plè­te à toutes les strates sociales; 4) si el­le organise une sécurité sociale et pré­voit une allocation fixe garantie à chaque ci­toyen, ce qui n'est possible que si l'on li­mi­te sévèrement l'accès à la citoyen­neté, laquelle doit désormais com­prendre le droit à un pécule mensuel ga­ranti, per­mettant une relative indépen­dance de tous (diminution de la dépen­dance du sa­lariat, égalité des chances, accès pos­si­ble au recylage professionnel ou à de nou­velles études, garantie de survie et d'indépendance de la mère au foyer, meil­leures chances pour les en­fants des familles nombreuses); comme la riches­se nationale ou régionale n'est pas ex­ten­sible à l'infini, les droits inhé­rents à la citoyenneté doivent rester limi­tés à l'«indigénat» (selon certains principes institués en Suisse); 5) si elle organise l'affectation des richesses fi­nancières nées des prestations de l'indigénat dans le cadre de son «espace vital», de façon à renoncer à toutes formes de colonialisme ou de néo-colonialisme financier alié­nant et à n'accepter, en matières de co­lo­nisa­tion, que les «colonisations inté­rieu­res» (ère agronomique en France au XIXième, assèchement des Polders aux Pays-Bas ou des marais pontins en Ita­lie, colonisation des terres en friche du Brandebourg ou de Transylvanie par des communautés paysannes autonomes, mobilisation de toutes les énergies de la population sans recours à l'immigration comme au Japon); 6) si elle traque toutes les traces d'universalisme militant et ho­mogénéisant, toujours susceptible de faire basculer les communautés hu­mai­nes concrètes dans l'aliénation par ir­réa­lisme têtu: cette traque, objet d'une vi­gilance constante, permet l'envol d'une appréhension du monde réellement uni­verselle, qui accepte le monde tel qu'il est: soit bigarré et kaléidoscopique.

 

Enfin, toute idéologie acceptable doit af­fronter et résoudre les grands problèmes de l'heure; ce serait notamment aujour­d'hui l'écologie. Le nationalisme classi­que, ou celui qui resurgit aujourd'hui, n'in­siste pas assez sur les dimensions in­digénistes, populistes-justicialistes et con­tinentalistes. Il est dans ce sens ana­chronique et incapacitant.  Il reste tiers-éta­tiste dans le sens où il n'est plus uni­versel comme l'était la pensée de la caste souveraine des sociétés traditionnelles, ce qui explique qu'il est incapable de pen­ser la dimension continentale ou l'i­dée de Regnum (Reich)  et qu'il refuse de prendre en compte le fait du fond-du-peu­­ple, propre des quart-état et quint-état. Le nationalisme risque d'occulter deux dimensions: l'ouverture au monde et le charnel populaire. Il reste à mi-che­­min entre les deux sans pouvoir les englober dans une pensée qui va au-delà du simple positivisme.

 

Robert STEUCKERS.   

 

1) Olof Petersson, Die politischen Systeme Nordeuropas. Eine Einführung, Nomos, Baden-Baden, 1989.

(2) Olof Petersson, op. cit.

(3) Ernst Nolte, Die faschistischen Bewegungen, dtv 4004, München, 1966-71, pp. 212-226.

(4) C.J.H. Hayes, Essays on Nationalism, New York, 1966; The Historical Evolution of Modern Nationalism, New York, 1968 (3ième éd.); Nationalism: A Religion, New York, 1960.

(5) H. Kohn, The Age of Nationalism. The First Era of Global History, New York, 1962; The Idea of Nationa­lism. A Study in its Origin and Background, New York, 1948 (4ième éd.); Prophets and Peoples: Studies in 19th Century Nationalism, New York, 1952.

(6) Th. Schieder, «Typologie und Erscheinungsformen des Nationalstaats in Europa», in Historische Zeitschrift, 202, 1966, pp. 58-81 (repris in: Heinrich August Winkler, Na­tionalismus, Athenäum/Hain, Königstein/Ts, 1978, pp. 119-137); Der Nationalstaat in Europa als historisches Phä­nomen,  Köln, 1964.

(7) Rudolf Kjellen, Die politischen Probleme des Welt­krieges,  1916.

(8) Miroslav Hroch, Die Vorkämpfer der nationalen Be­wegung bei den kleinen Völkern Europas, Prag, 1968; «Das Erwachen kleiner Nationen als Problem der kompa­rativen Forschung», in H.A. Winkler, Nationalismus, op. cit., pp. 155-172.

(9) Joseph F. Zacek, Palacky. The Historian as Scholar and Nationalist,  Mouton, Den Haag/Paris, 1970.

(10) Pedro Simón Martínez, «Penetración y explotación del imperialismo en la Cultura Latinoamericana», in Poli­tica Internacional, Instituto de politica internacional, La Ha­bana/Cuba, 19, 1967, pp. 252-255.

(11) Christoph Steding, Das Reich und die Krankheit der europäischen Kultur, 1942 (3ième éd.).

(12) Henri Gobard, L'aliénation linguistique. Analyse té­traglossique, Flammarion, Paris, 1976; La guerre cultu­rel­le. Logique du désastre, Copernic, Paris, 1979.  

 

jeudi, 25 juin 2009

De l'humanisme italien au paganisme germanique: avatars de la critique du christianisme dans l'Europe moderne et contemporaine

engel-der-gottin-u-yggdrasilp1020969.jpg

 

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1997

De l'humanisme italien au paganisme germanique: avatars de la critique du christianisme dans l'Europe moderne et contemporaine

 

Robert STEUCKERS

Conférence prononcée au Palais des Congrès d'Aix-en-Provence le 12 janvier 1997, à l'invitation de l'association Yggdrasil

 

Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, chers amis et camarades,

 

Le premier cadre unificateur solide qu'a connu la civilisation européenne reste l'empire romain, qui a d'abord été repris en mains par les Francs, puis par la Nation Germanique, mais flanqué d'une institution parallèle se réclamant elle aussi, dans une certaine mesure, de la “forme romaine”: l'Eglise catholique. De la chute de Rome à l'émergence des Etats nationaux à partir de la Renaissance, l'écoumène européen est un mixte complexe de romanité, de germanité et de christianisme, avec des apports importants, négligés jusqu'ici par l'historiographie ouest-européenne, mais étudiés en profondeur en Europe slave: ces apports sont la religiosité celtique déformée par les moines missionnaires irlandais et les “mystères pontiques”, nés sur le pourtour de la Mer Noire, liés à l'antique Iran avestique. C'est ce leg scythe-sarmate-iranien qui aurait transmis l'idéal (ou certains idéaux) de la chevalerie médiévale. Mais quand cesse de fonctionner plus ou moins harmonieusement cette synthèse qui a dominé vaille que vaille des Mérovingiens à Louis XI, à Charles le Hardi (dit le “Téméraire” en France) et à Maximilien de Habsbourg, quelques représentants de la pensée européenne entendent opérer un retour aux origines les plus vierges de l'européité.

 

Quels textes vont-ils être sollicités pour retourner aux sources les plus anciennes de l'Europe? Sources qui précèdent évi­demment la christianisation. Ces textes sont les seuls qui évoquent une Europe non marquée par les routines et les travestis­sements de la civilisation romaine ou chrétienne, non marquée par ses étiquettes et ses hypocrisies. Pour les humanistes du XVième siècle italien qui entendent retrouver une vigueur vitale simple derrière la rigueur compliquée et figée des étiquettes (celles des cours et, en particulier, de la Cour des Ducs de Bourgogne) ou qui entendent renouer avec une notion de liberté publique et civique pour faire face aux premières manifestations de l'absolutisme royal, le modèle de l'Europe pré-romaine et “pré-civilisée” est celle des peuples germaniques de l'antiquité. Ceux-ci ont gardé en eux les vertus simples et efficaces des premiers Romains, disent nos humanistes de la Renaissance. En 1441, l'historien italien Leonardo Bruni, qui s'inscrit dans une perspective républicaine au sens vieux-romain et germanique du terme, redécouvre les textes latins sur les Goths, no­tamment ceux de Procope de Césarée. C'est lui qui donne le coup d'envoi à l'“humanisme gothique”, qui poursuivra sa trajec­toire jusqu'à Vico et Montesquieu, fondera le nationalisme des Allemands, des Scandinaves et des Flamands et débouchera sur les spéculations et les communautés “völkische” de toutes tendances qui ont vu le jour dans le sillage des mouvements de jeunesse du début de notre siècle.

 

En 1453, un autre humaniste italien, Enea Silvio Piccolomini, rédige quelques réflexions sur le De origine actibusque Getarum  de Jordanès, permettant aux érudits de mieux connaître les origines des peuples germaniques. En 1470, à Venise, grâce à la nouvelle technique de l'imprimerie, Vindelino da Spira (Windelin von Speyer), réédite la Germania de Tacite, qui devient du même coup l'ouvrage de référence de tous ceux qui revendiquent une idéologie à la fois républicaine (au sens vieux-romain du terme) et communautaire, donnant à la représentation populaire une place cardinale dans la vie politique, les assemblées d'hommes libres se plaçant au-dessus des monarques. Avant cette réédition de la Germania  de Tacite, le texte n'était acces­sible qu'à une poignée de privilégiés, dans les bibliothèques des monastères; désormais, il est accessible à un grand nombre de lettrés. Les peuples germaniques n'apparaissent plus systématiquement comme des barbares cupides et violents qui avaient pillé Rome en 410 (ou en 412 comme on le croyait à l'époque). L'humaniste Flavio Biondo, entre 1438 et 1453, après avoir réhabilité prudemment la figure du Roi ostrogoth Théodoric, analyse les causes de la décadence de Rome: elles se ra­mènent pour l'essentiel à l'amenuisement des vertus républicaines, à l'abandon de la souveraineté populaire au profit d'un monarque isolé. Flavio Biondo anticipe ainsi Machiavel, fondateur d'une idéologie républicaine, fondée sur la virtù  politique, héritée de la Rome la plus ancienne.

 

Ce rappel de l'œuvre des premiers humanistes de la Renaissance italienne nous montre que le recours à une antiquité pré-chrétienne et païenne, en l'occurrence la Germanie non romanisée,  est une revendication républicaine, hostile à l'absolutisme et aux démarches de type théocratique. Il faut ajouter que le travail de Biondo ne participe nullement d'un primitivisme qui po­serait ante litteram  les Germains de Tacite comme de “bons sauvages” non exotiques. Biondo est anti-primitiviste: il ne veut pas d'une sympathique anarchie pastoraliste mais, au contraire, promouvoir un ordre non décadant: son Théodoric n'est dès lors pas décrit comme un barbare vertueux et inculte, qui végète sans orgueil dans une simplicité rustique, mais un Roi cultivé et efficace, qui consolide son pouvoir, administre ses Etats et restaure en Italie une Rome dans ses principes premiers, c'est-à-dire dans des principes antérieurs à la décadence, qu'il est capable d'imposer parce que, roi germanique, il a conservé les vieilles vertus romaines qui sont les vertus germaniques de son temps. Le Théodoric de Biondo est un Prince “humaniste”, qui annonce le Prince fictif de Machiavel, dont l'influence sur la science politique et la philosophie de l'Etat n'est pas à démontrer.

Reprocher aujourd'hui à des chercheurs de recourir à des passés anciens pour retrouver les principes premiers d'une com­munauté politique ou les fondements du droit, et considérer dans le même temps que ces reproches se justifient au nom d'une “idéologie républicaine”, est une contradiction majeure. Ne peuvent être considérés comme républicains au plein sens du terme que ceux qui n'ont de cesse de retourner aux principes premiers de l'histoire politique de leur peuple. Les autres traves­tissent en républicanisme leur autoritarisme ou leur théocratisme (qui est et demeure théocratisme même quand ils baptisent “Dieu”, “Logos”).

 

Enea Silvio (Æneas Silvius) Piccolomini, spécialiste des Goths et d'abord chancelier de l'Empereur germanique Frédéric III puis Pape sous le nom de Pie II (de 1458 à 1464), rejette explicitement le primitivisme et demande aux humanistes et érudits de ne pas interpréter la Germania  de Tacite dans un sens pastoraliste et primitiviste, ce qui reviendrait à rejeter tous les ap­ports de la civilisation, quels qu'ils soient. Polémiquant avec Martin Mayer (ou Mair) de Mayence, qui interprète Tacite au pied de la lettre et voit ses ancêtres chattes, suèves ou alamans comme de bons bergers idylliques, Piccolomini parie au contraire pour la Germanie de son temps, avec ses richesses, ses fabriques, ses industries, son agriculture, dont la Flandre et le Brabant sont les plus beaux joyaux. Cette Germanie élargie aux anciennes provinces romaines limitrophes (Belgica, Helvetia, Rhætia, Pannonia) doit sa prospérité matérielle et ses richesses culturelles à une vertu que Tacite avait bien mise en exergue: la liberté. Dans ses textes métapolitiques relatifs au monde germanique, en dépit de sa position de Chancelier impérial et de futur Pape, Piccolomini est donc un républicain, au même titre que Biondo et, plus tard, Machiavel. La liberté germanique est une vertu politique dans le sens où elle octroie à tous ses ressortissants des droits garantis, permettant le libre déploiement de leurs talents personnels. La liberté de Piccolomini n'est donc pas une “innocence” ou une “inactivité” mais un tremplin vers des réalisations sociales, politiques et économiques concrètes. Cette liberté-là, qui libère quantité de potentialités positives, doit être imitée par tous les Européens de son temps, pense-t-il, doit sortir de cette Germanie, qui est en charge de la dignité impériale depuis la translatio imperii ad Germanos. Depuis cette translatio,  les Germains sont “Romains” au sens politique du terme. Et comme ils sont les porteurs de l'impérialité, ils sont davantage “romains” que les Italiens du temps de Piccolomini. C'est derrière leur bannière que les peuples d'Europe doivent se ranger, écrit le futur Pie II, pour barrer la route à la puissance ottomane, qui, elle, n'est en rien “romaine” à ses yeux.

 

Ces réflexions sur la “pureté primitive” des Germains de Tacite, sur la notion germanique de liberté et sur l'impérialité mili­taire des Germains amènent Piccolomini à rédiger en 1458, quelques mois avant d'accéder à la dignité pontificale, un mani­feste européen, intitulé De Europa,  où la Germanie est décrite comme le centre de gravité géographique d'une Europe qui doit s'apprêter à affronter rapidement l'Empire ottoman, pour ne pas succomber sous ses coups. Piccolomini meurt en 1464, très désappointé de ne pas avoir été écouté et de ne pas avoir vu l'Europe entière unie autour de l'Empereur et du Saint-Siège, pour faire face en Méditerranée et dans les Balkans à la puissance ottomane. L'œuvre de Piccolomini, le futur Pape Pie II, est donc intéressante à plus d'un titre, car:

- elle autorise la référence constante aux racines les plus anciennes de l'Europe;

- elle fait de la liberté civique/populaire la vertu cardinale du politique;

- elle rejette les interprétations primitivistes qui sont politiquement incapacitantes (et refuse sans pitié les “germanismes” primitivistes);

- elle réinscrit ce double recours aux racines et à la liberté populaire dans un cadre géopolitique européen, dont les fondements n'apparaissent plus comme exclusivement chrétiens, mais comme consubstantiels à la population majoritaire du centre de l'Europe. 

 

Face à la “correction politique” que certains cénacles tentent d'imposer en France et ailleurs depuis deux décennies, il m'apparaît bon de méditer l'œuvre de ces humanistes et de ce Pape géopolitologue. En effet, les officines “politiquement cor­rectes”, en décrivant ces recours comme des avatars plus ou moins maladroits du nazisme, ignorent et rejettent le travail positif des humanistes et des érudits italiens du début de la Renaissance, qui s'apprêtaient à relancer dans le débat politique européen la notion de liberté républicaine, une liberté féconde pour les arts et l'industrie. Comment expliquer la réticence de ces cénacles français contemporains, qui se disent “républicains”, mais se montrent hostiles à la démarche intellectuelle, philologique, qui a réhabilité le républicanisme de la Vieille Rome, mis en évidence les vertus germaniques “primitives” et l'idée de liberté? Parce que dans la France du 16ième siècle, le recours aux racines germaniques, franques en l'occurrence, de l'histoire française n'est pas un recours à la liberté populaire, mais une justification du pouvoir franc sur le substrat démo­graphique “gallo-romain” ou “celto-ligure”. Ou du moins est-il perçu comme tel. La notion de “liberté” des humanistes et éru­dits italiens est en revanche une notion plus vaste, ne faisant pas référence à la conquête d'un territoire par une ethnie guer­rière dominante qui s'attribuera des franchises, mais à un principe général d'autonomie des communautés politiques, qu'il s'agit de conserver pour libérer des énergies positives. Le cas de la Gaule envahie par les Francs de souche germanique n'est pas un cas susceptible d'être généralisé à l'Europe entière.

 

De Machiavel à Vico, de Vico à Montesquieu, la notion de liberté est défendue et illustrée par des exemples tirés des sources latines classiques relative au monde germanique. Quand la France entre dans l'ère républicaine à partir de 1789, les roman­tiques allemands, libertaires se réfèrant à la vision idyllique de la Germanie primitive, adhèrent avec enthousiasme aux idées nouvelles. Mais ils déchantent très vite quand se déchaîne la Terreur et s'installe la Convention. Ainsi, le poète Friedrich Gottlieb Klopstock rédige en 1794 un poème appelant à une “guerre chérusque” contre une France qu'il juge faussement “républicaine”, au nom de ses propres valeurs républicaines. Dans cet appel guerrier, il invoque la puissance des dieux et des déesses de l'ancienne Germanie: Hlyn, Freya, Nossa, Wodan, Thor et Tyr. Dans ce texte, les dieux de l'Edda ne sont encore que des ornements poétiques. Pour Klopstock, la France a retrouvé brièvement sa liberté, a incarné par sa Révolution l'idéal multiséculaire de cette liberté germanique, mais elle s'en est très vite détournée. La seconde vague des révolutionnaires a trahi l'idée sublime de liberté que Montesquieu avait défendue et n'a pas davantage réalisé l'idéal de Thomas Jefferson qui voulait que le sceau du nouvel Etat nord-américain invoquât “les enfants d'Israël” d'une part, biblisme oblige, mais aussi les fi­gures de “Hengist et Horsa, chefs saxons, dont les Anglais descendaient et dont les nouveaux citoyens des Etats-Unis de­vaient défendre les principes politiques et reprendre les modes de gouvernement”. On le voit, dans un premier temps, le re­cours à la liberté germanique n'exclut pas les références à l'héritage biblique, mais, dans un deuxième temps, les figures de la Bible disparaissent et les spéculations idéologico-politiques se portent sur les dieux païens de l'antiquité germanique. Plusieurs facteurs ont provoqué cet infléchissement vers le passé le plus lointain de l'Allemagne ou de la Scandinavie, fac­teurs que nous retrouvons ultérieurement dans presque toutes les références habituelles aux paganismes que l'on énonce en Europe et en Amérique du Nord:

- premier facteur, l'idée de la relativité historique des cultures, véhiculée dans le sillage des travaux philosophiques de Herder;

- deuxième facteur, issu directement de l'idéologie des Lumières: la critique du cléricalisme qui entraîne une critique des missions chrétiennes de l'époque carolingienne. Le catholicisme d'abord, puis le christianisme en général, sont accusés d'avoir oblitéré la liberté germanique et d'avoir, via l'augustinisme, introduit un “courant doloriste”, dans la pensée européenne, rejetant et condamnant ce “bas-monde” imparfait en espérant le ciel, dévalorisant les cités terrestres au profit d'une hypothé­tique “Jérusalem céleste”. Les Romantiques, les vitalistes et les néo-païens rejettent instinctivement un courant fort complexe qui part d'Augustin pour retrouver les flagellants du Moyen Age, pour revenir sous d'autres formes chez les Puritains de Cromwell et chez les Jansénistes français, et, enfin, pour aboutir à certains “Républicains” français athées ou agnostiques, mais fascinés par les concepts géométrisés des Lumières, qu'ils opposent à toutes les turbulences de la vie des peuples, ju­gées comme des imperfections qu'il faut effacer pour “perfectionner” le monde.

 

Herder, bien que pasteur protestant, critique modérément les conversions forcées du Nord de l'Europe, mais, si ses critiques sont furtives, à peine perceptibles dans son œuvre, sa notion de la relativité des cultures et sa revalorisation des aurores cul­turelles font des disciples au langage plus idéologique, moins nuancé et plus programmatique. Ainsi, en 1802, le Conseiller d'Etat prussien Wilhelm Reynitzsch publie à Gotha un ouvrage qui donne véritablement le coup d'envoi aux futures spécula­tions “völkisch” (folcistes) et celtisantes, d'autant plus qu'il confond encore allègrement Celtes et Germains, druides et scaldes.  Son ouvrage, tissu de spéculations imprécises sur les Celtes et les Germains, est à l'origine de toutes les futures renaissances païennes, de factures germanique et celtique. Le livre de Reynitzsch est le premier à introduire des thématiques folcistes qui apparaîtront et réapparaîtront sans cesse ultérieurement. Ces thématiques sont les suivantes:

1. Les anciens Germains avaient une religion originelle monothéiste, dont le dieu était Tus ou Teut, force spirituelle des ori­gines, dont ils ne pouvait ni sculpter ni peindre ni dessiner les traits. Cette thématique montre que le clivage entre mono­théisme et polythéisme, vulgarisé par Bernard-Henry Lévy et Alain de Benoist, est historiquement plus récent et ne recoupe par nécessairement le clivage paganisme/christianisme.

2. Odin (Vodha) est un prophète divinisé qui aurait vécu vers 125 av. J.C. parmi le peuple des Goths dans les plaines de l'actuelle Russie ou de l'actuelle Ukraine et qui aurait apporté savoir et sagesse aux Germains de l'Ouest. Odin aurait pér­égriné en Europe, accompagné par ses compagnons, les Ases, et par sa femme, Freya. L'idée d'un Odin historique puis divi­nisé, chez Reynitzsch, vise clairement à remplacer le Christ par cette figure du dieu borgne et inquiétant dans l'imaginaire re­ligieux des Allemands.

3. Reynitzsch est quasiment le premier à ne plus dévaloriser les anciennes croyances, il leur octroie un statut de naturalité qu'il oppose aux doctrines, non naturelles, des “prêtres romains” (catholiques).

4. Reynitzsch veut fusionner ces croyances antiques avec le rationalisme du 18ième siècle, rattachant de la sorte son néo-pa­ganisme au filon de l'idéologie des Lumières, ce qui ne sera plus le cas pour les néo-paganismes des années 20 et 30.

5. La christianisation est responsable de l'oppression des femmes (thème féministe), du déclin des anciennes coutumes (thèmes de la décadence et de la déperdition des énergies), de la servilité des Européens devant l'autorité (thème libertaire), de l'irrationalité et de la superstititon (thème anticlérical).

 

Reynitzsch appartient nettement à la tradition de l'Aufklärung et du rationalisme anticlérical. Ce haut fonctionnaire prussien est manifestement un disciple tardif de Voltaire et de son protecteur Frédéric II. Peu d'intellectuels allemands de son temps le sui­vront et l'on verra apparaître davantage, chez les nationalistes anti-napoléoniens, l'idée d'un “christianisme germanique” dur, chevaleresque et guerrier (ein Gott, der Eisen wachsen ließ, der duldet keine Knechte...), hérité plutôt du poème épique Heliand  (le Sauveur), répandu en Germanie dans le haut moyen âge pour favoriser la conversion des autochtones: le Christ devait apparaître comme un preux guerrier et non pas comme un messie souffrant et humble.

 

En Scandinavie, en revanche, la thématique de l'affrontement entre christianisme et paganisme se propage plus distinctement par l'action d'une “Ligue gothique”, née en 1809. Le théologien danois Nicolai Frederik Severin Grundtvig rédige Nordens Mytologi,  le livre de la mythologie nordique qui réhabilite totalement l'histoire pré-chrétienne du Danemark, pays où le sys­tème d'éducation ne tracera plus une ligne de démarcation entre un passé pré-chrétien systématiquement dévalorisé et une ère chrétienne systématiquement survalorisée. Mais Grundtvig, qui est pasteur, tente de réconcilier christianisme et paga­nisme, où le “Père” Odin, l'Allvater  Odin, est, dit-il, le père véritable, charnel et inconnu de Jésus Christ!

 

Après les guerres napoléoniennes, sous la Restauration et à l'ère Metternich, les thématiques néo-païennes s'estompent, mais reviennent notamment en 1832 dans le mouvement nationaliste de gauche, pour revendiquer, via le recours aux antiqui­tés germaniques et à la mythologie néo-païenne, une république populaire allemande, soustraire à l'idéologie restaurative de l'ère Metternich. Ainsi, lors des fêtes de Hambach en 1832, à laquelle participent des Polonais, des Français et des Italiens, l'agitateur nationaliste-révolutionnaire Philipp Jakob Siebenpfeiffer invoque “Thuisko, le dieu des libres Germains”, pour qu'il bénisse la lutte du petit peuple opprimé contre les Princes et les Rois. Le Frison radical-démocrate et socialiste Harro Harring appelle les dieux anciens à la rescousse pour lutter contre le “Trône et l'Autel”. On le voit: les références païennes indiquent toujours à cette époque un engagement radicalement révolutionnaire et libertaire, qui n'a rien à voir avec une restauration contre-révolutionnaire des “archétypes”, comme l'affirme à tort toute une historiographie pseudo-marxiste.

 

Plus tard, en dépit du marxisme social-démocrate qui considère que tout discours ou toute spéculation religieuse relève de la “fausse conscience”, la mouvance socialiste allemande ne cesse de véhiculer des bribes de paganisme et de naturalisme, au moins jusqu'à la fondation du IIième Reich en 1871. A partir de ce moment-là, la sociale-démocratie évacue de son discours toutes les formes d'“irrationalismes”, incluant non seulement les références poétiques ou néo-païennes aux dieux antiques, germaniques ou gréco-romains, mais aussi, ce qui est plus surprenant et peut-être plus grave, les thématiques très concrètes et très quotidiennes de la bonne alimentation, de l'abstinence de tabac et d'alcool en milieux ouvriers, de l'habitat sain et sa­lubre (thématique majeure des socialistes “pré-raphaëlites” en Angleterre), de l'écologie et du respect de l'environnement na­turel, de l'hygiène en général (y compris l'hygiène raciale que l'on retrouvera “sotériologisée” dans certains discours racistes ou sociaux-darwinistes ), du naturisme (réhabilitation et libération du corps, FKK), etc.

 

Cette évacuation et cette transformation du mouvement socialiste en une pure machine électorale et politicienne va provoquer le divorce entre le néo-paganisme (et tous les autres réformismes “naturalistes”), d'une part, et le socialisme-appareil, d'autre part. Ce divorce est à l'origine du courant “völkisch” (folciste), qui n'est pas “à droite” au départ mais bel et bien dans le même camp que les pionniers du socialisme, Marx et Engels compris.

 

En 1878, le philosophe Paul de Lagarde publie son ouvrage programmatique Die Religion der Zukunft  (La religion de l'avenir). Il y développait la critique de l'“universalisation” du christianisme, qui allait entraîner la déperdition définitive de l'élan religieux dans le monde et plaidait en faveur de la réhabilitation des “religions nationales”, des élans de la foi partant d'un enracinement précis dans un sol, seuls élans capables de s'ancrer véritablement et durablement dans les âmes. Pour Paul de Lagarde, les religions locales sont dès lors les seules vraies religions et les religions universalistes, qui cherchent à quitter les lieux réels occupés par l'homme, sont dangereuses, perverses et contribuent finalement à éradiquer les vertus religieuses dans le monde.

 

Parallèlement à cette théologie du particulier s'insurgeant contre les théologies universalisantes, plusieurs autres idées s'incrustent dans la société allemande du 19ième siècle et finissent par influencer les cultures anglo-saxonnes, française et russe. Ces idées sont pour l'essentiel issues du bînome Schopenhauer-Wagner. Schopenhauer formule en un bref paragraphe de son ouvrage Parerga und Paralipomena  le programme de tous les néo-paganismes ultérieurs, surtout les plus extrémistes et les plus hostiles aux Juifs: «Nous osons donc espérer qu'un jour l'Europe aussi sera nettoyée de toute la mythologie juive. Le siècle est sans doute venu où les peuples de langues japhétiques [= indo-eur.] issus d'Asie récupéreront à nouveau les re­ligions sacrées de leur patrie: car, après de longs errements, ils sont enfin mûrs pour cela».  L'antisémitisme qui saute aux yeux dans cette citation n'est plus un antisémitisme religieux, qui accuse le peuple juif d'avoir réclamé à Ponce-Pilate la mort du Christ, mais un antisémitisme qui considère toutes les formes d'héritage judaïque, y compris les formes christianisés, comme un apport étranger inutile qui n'a plus sa place en Europe. La référence “japhétique” ou “indo-européenne” ne relève pas encore d'un “aryanisme” mis en équation avec le germanisme, mais est une référence explicite aux études indiennes et sanskrites. Le “japhétisme” de Schopenhauer est donc indianiste et non pas celtisant ou germanisant.

 

Wagner ne sera pas aussi radical, bien qu'on prétende souvent le contraire. Il opposera certes binairement un optimisme (progressiste) juif à un pessimisme “aryen”, mais il tentera, comme les nationalistes allemands qui n'avaient pas suivi Reynitzsch et comme le Danois Grundtvig, de réconcilier christianisme et paganisme, en ne cherchant qu'à se débarrasser de l'Ancien Testament. Autre thématique née dans les cercles wagnériens: Marie n'est pas une “immaculée conception” mais une fille-mère qui a donné la vie au fils d'un légionnaire romain (de souche européenne), reprenant là une vieille thématique des polémiques anti-chrétiennes du Bas-Empire, et édulcorant la position extrême de Grundvigt, pour qui Jésus était le fils du prophète gothique Odin! Pour Wagner comme pour Houston Stewart Chamberlain, le Nouveau Testament est donc le récit d'un prophète de souche européenne, que révèle au mieux l'Evangile de Jean car il met bien en évidence la quête permanente du divin dans la personne de Jésus de Nazareth, quête qui est une révolte contre la religion figée et étriquée des Pharisiens de l'époque, qui ne remettaient rien en question et ne confrontaient jamais leurs dogmes aux aléas du réel. 

 

A-t-on affaire ici à de pures spéculations nées dans des cercles repliés sur eux-mêmes, qui connaissent un certain succès de mode mais ne touchent pas la majorité de la population? Oui et non. Ces spéculations ne naissent pas dans des cerveaux imaginatifs. Elles sont le produit des sciences humaines du 19ième siècle, où l'historicisme, l'éthique et la rationalisation pro­gressent et font du christianisme non plus LE grand et unique récit de la civilisation occidentale, mais un récit parmi d'innombrables autres récits. Il a une histoire, qu'il s'agit désormais de ramener à ses justes proportions; il est la volonté de vivre une certaine éthique, qu'il s'agit de définir clairement; il est l'expression imagée et merveilleuse d'un projet de société et de vie parfaitement raisonnable. Ce scientisme des sciences humaines semble incontournable à la veille du 20ième siècle. Le pasteur protestant progressiste Friedrich Naumann, qui sera plus tard nationaliste et théoricien de la Mitteleuropa et d'une forme de planisme en économie, entamera une “mission” dans le monde ouvrier en vue de ramener les prolétaires déchris­tianisés dans le giron de l'Eglise réformée évangélique; il axera sa pastorale autour de la figure d'un “Christ socialiste et homme du peuple”, d'un Christ travailleur et charpentier, thématique de récupération qui nous reviendra dans les années 60 de notre siècle, mais dans une perspective différente. A l'époque de Naumann, vers 1890, cette idée paraît totalement incongrue et la mission échoue. Naumann ne retourne pas au christianisme, il s'en éloigne, récapitulant dans sa personne toutes les étapes de la culture allemande en matière religieuse: protestant par protestation anti-catholique, chrétien-ouvrier par refus de la bourgeoisie protestante à la foi sèche et rébarbative, païen par refus de l'inculture sociale-démocrate et de la fébrilité politi­cienne.

 

En Autriche, les pangermanistes se mobilisent, s'ancrent dans le camp libéral autour de la personne de Georg von Schönerer, s'opposent tout à la fois aux Juifs, aux Habsbourgs et à l'église catholique qui les soutient. Schönerer veut imposer un calen­drier “völkisch”, qui commencerait en 113 av. J.C., date de la victoire des Cimbres et des Teutons sur les Romains à Noreia. Dans certains cercles pangermanistes proches de Schönerer, on fête les solstices et deux courants commencent à se profiler:

a) les adeptes d'une religion immanente de la nature et des lieux concrets, regroupés autour de la revue Der Scherer;  ce filon du néo-paganisme allemand mêle un refus des mécanisations de la société industrielle, surtout de ses effets pervers, à une volonté de rééquilibrer la vie quotidienne dans les grandes villes, en organisant des services d'hygiène, des manifestations sportives, des randonnées, en réclamant des espaces verts, des excursions ou des séjours à la campagne, en renvoyant dos à dos ce qui ne lui paraissait plus “naturel”, à savoir le moralisme étriqué des églises conventionnelles et la vie dans les villes surpeuplées, sans air et sans lumière. C'est sur ce courant que se brancheront très vite les mouvements de jeunesse, tels le Wandervogel.  Ce filon m'apparaît toujours fécond.

b) les adeptes d'une nouvelle religiosité plus tournée vers l'occultisme, regroupés autour de la revue Heimdall.

Dans les années 1890, l'occultisme connaît en effet une renaissance en Allemagne: Guido von List développe une théosophie, tandis que Jörg Lanz von Liebenfels théorise une “aryosophie”, qui débouchera en 1907 sur la fondation d'un “Ordo Novi Templi”, sorte de loge où fusionnent en un syncrétisme bizarre les références germanisantes, un christianisme “aryen” et des rituels maçonniques. Ce filon-là du néo-paganisme allemand m'apparaît très spéculatif, peu susceptible d'être transmis à de larges strates de la population voire à des élites restreintes mais quand même assez nombreuses pour créer des espaces de résistance durables et efficaces dans la société. Enfin, la veine occultiste a suscité et suscite encore beaucoup de fantasmes, qu'exploitent souvent les journalistes en mal de sensationnel. La seule et unique chance pour le mouvement occultiste de se maintenir à l'heure actuelle reste, à mon avis, l'espace de la création musicale voire de la peinture ou de la sculpture. Ce filon demeure élitaire, marqué de rites et de gestes souvent mécompris. Il est indubitablement une expression de la culture euro­péenne de ces 150 dernières années, mais il est peu susceptible de se généraliser dans la société et d'apporter une réponse immédiate aux blessures psychiques et physiques de l'ère industrielle et de l'âge des masses.

 

Mais si à l'époque ces tentatives naturalistes ou occultistes restent réservées à de très petits groupes, finalement fort margi­nalisés, d'autres tentent justement, au même moment, de s'ouvrir aux masses et de fonder une véritable “troisième confes­sion”, qui se juxtaposera au catholicisme et au protestantisme en Allemagne. En 1900, Ernst Wachler, qui est juif et mourra en 1944 dans le camp de concentration de Theresienstadt, fonde la revue Deutsche Zeitschrift  et appelle à un recours sans dé­tours à la religiosité autochtone et pré-chrétienne de la Germanie. Parmi ceux qui répondront à son appel, il y avait, curieuse­ment, des antisémites classiques comme Friedrich Lange et Theodor Fritsch, mais aussi une figure plus complexe et à notre sens plus significative, Wilhelm Schwaner, éditeur de la revue Der Volkserzieher et animateur du Volkserzieher-Bund.  L'objectif est clair: il faut éduquer le peuple à des sentiments religieux, communautaires et sociaux différents de ceux de la société industrielle, renouer avec les archétypes d'une socialité moins conflictuelle et moins marquée par l'égoïsme. Schwaner est ce que l'on appelle à l'époque un Lebensreformer,  un réformateur pragmatique de la vie quotidienne, ancré dans le parti social-démocrate et dans les cercles “libres-penseurs” du libéralisme de gauche, où il apprendra à connaître Walther Rathenau, qu'il influencera, notamment dans les définitions archétypales des races “aryennes” et “sémitiques” que ce ministre israëlite du Reich a utilisées très fréquemment dans ses écrits, prouvant par là même que ces spéculations sur les arché­types n'étaient pas l'apanage des seuls nationalistes, conservateurs ou militaristes. Mais Schwaner reste dans le no-man's-land entre “christianisme germanique” et “religiosité völkische”.

 

Après la première guerre mondiale, le nombre croît de ceux qui franchissent le pas et abandonnent cette position intermédiaire que représentait le “christianisme germanique”. Les païens avérés n'étaient pas plus de 200 dans l'Allemagne d'avant 1914. Ils se regroupaient dans deux cénacles intellectuels, la Deutschgläubige Gemeinschaft  ou la Germanische Glaubens-Gemeinschaft.  La plupart sont issus de la bourgeoisie protestante. Ceux qui proviennent du catholicisme gardent malgré tout des attaches avec leur milieu d'origine, car le catholicisme a conservé le culte des saints, avatars christianisés des dei loci,  et bon nombre de fêtes folkloriques, notamment les carnavals de Rhénanie et d'Allemagne du Sud, dont la paganité foncière n'est certes pas à démontrer. L'absence de tels “sas”  —entre superstrat chrétien et substrat païen—  dans le protestantisme conduit plus aisément les contestataires protestants à revendiquer haut et fort leur paganisme. Parmi les premiers adhérants de la Deutschgläubige Gemeinschaft,  nous trouvons Norbert Seibertz, qui nous a laissé une confession, où il exprime les mo­tivations qui l'ont poussé à abandonner le christianisme. Elles sont variées, peut-être même un peu contradictoires:

- La vision chrétienne est en porte-à-faux avec les acquis des sciences naturelles. Ce premier motif de Seibertz est donc scientiste. Mais rapidement le monisme scientiste, vulgarisé par les matérialistes militants regroupés autour d'Ernst Haeckel, lui apparaît tout aussi insuffisant, non pas parce qu'il rejette le biologisme implicite de cette école antireligieuse, mais parce que cette volonté d'alignement sur les sciences exactes ne répond pas à la question du désenchantement.

- Les progrès des humanités gréco-latines sont tels au 19ième siècle, que le monde grec et romain suscite de plus en plus souvent l'enthousiasme des lycéens et des étudiants. Devant le sublime de la civilisation antique, le christianisme apparaît fade aux yeux du lycéen Seibertz.

 

Je dois vous confesser que ces deux motivations majeures de Seibertz ont été aussi les miennes, à quelques décennies de distance. Mais comment articuler ce double questionnement, comment retrouver le sens religieux au-delà d'une science qui ruine les dogmes chrétiens et au-delà d'humanités qui font apparaître le christianisme dans son ensemble comme un corpus bien fade, tout en ne pouvant plus ressusciter la paganité grecque ou romaine dans sa plénitude? Faut-il remplacer les caté­chismes par un autre catéchisme, les icônes d'hier par de nouvelles icônes? Apparemment simple, cette question ne l'est pourtant pas. Si les icônes des églises sont automatiquement reconnues comme des icônes religieuses même par ceux qui ont tourné le dos au christianisme, instaurer de nouvelles icônes s'avère fort problématique, car comment générer le consen­sus autour d'elles et, pire, comment ne pas sombrer dans le ridicule et la parodie? Les débuts du néo-paganisme organisé en Allemagne ont été marqués par des querelles de cette nature. D'après Karlheinz Weißmann, réflexions, querelles et discus­sions ont permis, avant 1914, de dégager trois des principaux axes du néo-paganisme de notre siècle:

1. Le christianisme est une aliénation historique, qui a oblitéré les sentiments religieux spontanés des Européens. Ce constat découle des acquis des philologies classique et germanique. La religion conventionnelle est donc ravalée au rang d'une mani­festation aliénante, elle est perçue comme une superstructure imposée par un pouvoir foncièrement étranger au peuple. Cette thématique de l'aliénation se greffe assez aisément à l'époque sur la “libre-pensée” du monde ouvrier et sur la critique socia­liste de l'“opium du peuple”.

2. Les néo-paganismes semblent ensuite rejetter l'idée d'un Dieu personnel. Dieu, car ils sont païens et monothéistes, est une émanation cosmique de la force vitale à l'œuvre dans le monde, qui donne forme aux innombrables manifestations et phéno­mènes du réel. Sur ce panthéisme cosmique se greffent déjà à l'époque toutes les spéculations sur la Nature et la Terre, qui sous-tendent encore aujourd'hui les spéculations les plus audacieuses de la pensée écologique radicale, qui se donne le nom d'écospohie, de géomantie ou de “perspective gaïenne” (Edward Goldsmith). Cette option pour un dieu non personnel, compé­nétrant toutes les manifestations vitales, renoue également avec la mystique médiévale allemande d'un Maître Eckhart, consi­déré par les néo-païens comme le représentant d'une véritable religiosité européenne et germanique, transperçant la chape dogmatique de l'aliénation chrétienne. Ensuite, ce panthéisme implicite renoue avec le panthéisme de Goethe, prince des poètes allemands, mobilisé à son tour pour étayer les revendications anti-chrétiennes. Le néo-paganisme du début du siècle est donc monothéiste et panthéiste, dans ses rangs, on ne vénère pas les dieux comme les chrétiens vénéraient le Christ ou la Vierge ou les Saints ou les Archanges. On ne remplace pas les icônes chrétiennes par une iconologie néo-païenne. On reste au-delà de la foi naïve des masses.

3.  Le troisième grand thème du néo-paganisme allemand du début du siècle est un rejet clair et net de la notion chrétienne du péché. Dieu n'est pas en face de l'homme pour les néo-païens. Il n'est pas dans un autre monde. Il ne donne pas d'injonctions et ne récompense pas après la mort. L'éthique néo-païenne est dès lors purement immanente et “héroïque”. Elle n'est pas as­cétique selon le mode bouddhiste, elle n'exige pas de quitter le monde, mais chante la joie de vivre. L'éthique néo-païenne est acceptation du monde, elle cherche le divin dans toute chose, veut le mettre en exergue, l'exalter, et refuse toutes les formes de rejet du monde sous prétexte que celui-ci serait marqué d'imperfection. Cette dimension joyeuse du néo-paganisme, qui interdit de mécréer du monde, au contraire des spéculations néo-païennes plus philosophiques ou historiques sur l'aliénation ou le panthéisme, permet d'atteindre les masses, et plus particulièrement les mouvements de jeunesse. Couplé à l'écosophie implicite du panthéisme, ce culte de la joie est explosif sur les plans social et politique. En 1913, quand les mouvements de jeunesse d'orientation Wandervogel se réunissent autour de feux de camp au sommet du Hoher Meissner pour écouter le dis­cours du philosophe Ludwig Klages, c'est parce que celui-ci leur parle sans jargon du désastre que subit la Nature sous les assauts de l'économicisme, de la technocratie et du “mammonisme”, soit du culte de l'argent. Ce discours, vieux de 84 ans, garde toute sa fraîcheur aujourd'hui: l'écologiste sincère y adhèrera sans hésiter.

 

La Grande Guerre bouscule tout: l'universalisme de l'écoumène euro-chrétien est fracassé, émietté, les nations sont devenues des mondes fermés sur eux-mêmes, développant leurs propres idoles politico-idéologiques. La propagande alliée avait répété assez souvent que les démocraties occidentales s'opposaient à l'Allemagne parce qu'elle était la patrie de Nietzsche, prophète de l'anti-christianisme et du néo-paganisme. Certains Allemands vont se prendre au jeu: puisque leurs adversaires se po­saient comme les défenseurs de la “civilisation” et de la “démocratie”, ils se poseraient, eux, comme les défenseurs de la “culture” et de l'“ordre”. Si Rousseau était posé comme le prophète de la démocratie française, qui s'opposait à Nietzsche, celui-ci devenait à son tour le prophète d'une Allemagne appelée à révolutionner la pensée et à “transvaluer” toutes les va­leurs. Et puisque cette Allemagne était accusée d'avoir propagé un paganisme, les cérémonies d'hommage aux soldats morts sur les champs de bataille de la Grande Guerre révèlent un retour à des pratiques anciennes, antiques, non chrétiennes, que l'on avait oubliées en Europe: réserver aux combattants tombés à la guerre un “bois sacré”, immerger le corps d'un soldat in­connu dans les eaux du Rhin, bâtir un mausolée sur le modèle de Stonehenge à Tannenberg en Prusse Orientale ou ériger des monuments semblables à des tombes mégalithiques ou des dolmens: voilà bien autant de concessions de l'Etat et de l'armée aux paganismes des intellectuels et des érudits. Enfin, l'effondrement de la structure impériale et de l'Etat autoritaire (Obrigkeitsstaat),  élimine le Trône et l'Autel de la vie politique et inaugure l'ère de la privatisation du sentiment religieux. Etat libéral de modèle français, la République de Weimar sépare l'Eglise de l'Etat, ce qui démobilise bon nombre d'anciens fonc­tionnaires de leurs liens formels avec les confessions conventionnelles et crée un certain climat de désaffection à l'égard des anciennes structures religieuses. Outre un certain renforcement des associations néo-païennes et un approfondissement de la question des religions autochtones au niveau universitaire, on assiste, dans les premières années de la République de Weimar, entre 1919 et 1923, à une inflation de fausses mystiques, de bizarreries spiritualistes, d'astrologisme, etc. C'est là une manifestation du pluralisme absolu et anarchique de la culture de Weimar. L'anti-christianisme le plus radical, quant à lui, adopte un ton messianique: il attend l'avènement du “Troisième Reich”, sorte de transposition dans l'immanence de l'idée au­gustinienne d'une “Jérusalem céleste”. Ce messianisme s'exprime notamment dans le cadre d'une organisation parapolitique très importante de l'époque, le Deutsch-Völkischer Schutz- und Trutzbund,  qui a compté jusqu'à 170.000 membres. Parallèlement au messianisme, le “Juif” devient l'ennemi principal, alors que l'antisémitisme avait été très atténué dans les néo-paganismes d'avant 1914 et était quasiment absent dans les années de guerre. Les réflexions sur les religions autoch­tones cèdent le pas à la propagande politique et au recrutement de volontaires pour le Corps Franc “Oberland”. Mais passée la grande crise des cinq premières années de la République, ce radicalisme politique s'estompe et les néo-païens retournent à une myriade de petits cénacles ou d'associations culturelles, cultivant des idées et des projets tantôt originaux tantôt bizarres.

 

Le clivage persiste néanmoins entre occultistes, qui restent marginaux mais assurent la continuité avec leurs prédécesseurs d'avant 1914, et “naturalistes”, qui entendent forger un néo-paganisme rationnel, basé sur la philologie, l'archéologie, les sciences naturelles et biologiques, les découvertes de la diététique, etc.  Trois tendances idéologico-philosophiques voient ce­pendant le jour, dans la période 1925-1933, entre Locarno et l'accession de Hitler au pouvoir:

1. Les nouvelles générations issues du Wandervogel introduisent dans le mouvement néo-païen le style du mouvement de jeunesse, avec les chants, le romantisme du feu de camp et la réhabilitation des danses populaires.

2. Les femmes sont admises dans ses associations sur pied d'égalité avec les hommes, car la thématique féministe de l'anti-christianisme a fait son chemin.

3. Les spéculations sur le monothéisme des Germains et des Scandinaves cèdent le pas à une réévaluation du polythéisme. On n'hésite donc plus à se déclarer “polythéiste”. Le 19ième siècle avait implictement cru que le monothéisme avait été un “progrès” et que le retour au polythéisme constituerait une “rechute dans le primitivisme”. Les perspectives changent dans les années 20: la pluralité des dieux, disent les néo-païens sous la République de Weimar, fonde la tolérance païenne, qu'il s'agit de restaurer. Dans les panthéons polythéistes, les dieux sont une famille, ils se présentent à leurs adorateurs par couple, les déesses, féminisme anti-chrétien oblige, contestent souvent les décisions de leurs divins époux, car le paganisme et le poly­théisme n'ont absolument pas la rigueur patriarcale du yahvisme chrétien.

 

En 1933, quand Hitler accède au pouvoir, son parti entend défendre et protéger un “christianisme positif” (qui n'est pas expli­cité, mais qui signifie ni plus ni moins un christianisme qui n'entravera par le travail d'un Etat fort qui, lui, ne se déclarera pas ouvertement “chrétien”). Les propagandistes anti-chrétiens les plus zélés et les néo-païens les plus intransigeants sont tenus à distance. Une théologie chrétienne reformulée d'après les modes et le langage national-socialistes, portée par des théologiens réputés comme Friedrich Gogarten, Emanuel Hirsch, Gerhard Kittel, Paul Althaus, etc. est mise en œuvre pour “conquérir les églises de l'intérieur”. On peut cependant remarquer que, de leur côté, les églises, surtout la catholique, opèrent un certain ag­giornamento, pour aller à la rencontre du Zeitgeist:

- réhabilitation des visions cycliques de l'histoire et de la pensée héraclitéenne du devenir chez les philosophes catholiques Theodor Haecker et E. Przywara;

- vision d'un “Dieu qui joue”, innocent comme l'enfant de Nietzsche, toujours chez Haecker;

- concessions diverses au panthéisme;

- vision d'un “Christ Cosmique” et “christologie cyclique” chez Leopold Ziegler;

- vision d'un “Christ dansant” chez Stefan George;

- théologie du Reich chez Winzen, où la paysannerie et le culte du “sang et du sol” trouvent toute leur place, afin de contrer la propagande anti-chrétienne en milieux ruraux des nationaux-socialistes Rosenberg, Darré et von Leers;

- spéculations sur l'incarnation divine et sur l'excellence de la paysannerie germanique, porteuse du glaive de l'église, c'est-à-dire de l'institution impériale;

- retour à la nature mis en équation avec un retour au divin, etc.

 

Si les églises ne se méfiaient pas du néo-paganisme avant 1914, elles s'inquiètent de ses progrès après 1918, vu l'affluence que connaissent les cercles “völkisch” et néo-païens. C'est la raison qui poussent les plus hautes autorités de l'Eglise à adop­ter un langage proche de celui des groupes “völkisch”. Hitler, lui, veut promouvoir le “mouvement de la foi des Chrétiens al­lemands”, dans le but avoué de construire une grande église nationale-allemande qui surmonterait la césure de la Réforme et de la Contre-Réforme. Certains cercles sont dissous, les autres sont invités à rejoindre de vastes associations contrôlées par le parti. Parmi ces associations, la principale fut la Deutsche Glaubensbewegung, dirigée par le philosophe et indianiste Wilhelm Hauer, par l'ancien diplomate anti-britannique et militant völkisch Ernst zu Reventlow, par le philosophe Ernst Bergmann, soucieux de construire une “Eglise d'Etat” non-chrétienne. L'objectif de ces trois hommes était d'assurer à l'Allemagne une rénovation religieuse, englobant éléments non chrétiens, pré-chrétiens et traditionnels, c'est-à-dire des élé­ments de la religiosité éternelle des peuples qui s'étaient ancrés dans la culture allemande sous une forme christianisée. Le mouvement était a-chrétien plutôt qu'anti-chrétien. Finalement, il s'auto-dissolvera, son présidium abandonnera toute vie pu­blique, pour laisser la place à une organisation de combat anti-chrétienne, servant le parti dans sa lutte contre les églises, dès la fin de la lune de miel entre les nationaux-socialistes et les hiérarchies confessionnelles.

 

Après 1945, les néo-païens ou les “völkisch-religieux” se fondent dans deux organisations: chez les Unitariens (Deutsche Unitarier) qui se réorganisent à partir de 1948 et dont la figure de proue deviendra Sigrid Hunke (“La vraie religion de l'Europe”); et dans le Bund freireligiöser Gemeinden (Ligue des communautés religieuses libres), constitué en 1950. Wilhelm Hauer recrée en 1950 l'Arbeitsgemeinschaft für freie Religionsforschung und Philosophie qui entretiendra de bons rapports avec les deux autres organisations. Les personnalités politiques des décennies précédentes y sont rares et le profil idéologico-politique des membres des deux organisations (celle de Hauer étant plus scientifique) correspond davantage à celui des natio­naux-libéraux d'avant 1914. Les thématiques abordées sont celles de la liberté religieuse, du panthéisme et du rapport entre sciences naturelles ou biologiques et foi religieuse.

En 1951, Wilhelm Kusserow, chassé de Berlin-Est où il est resté professeur jusqu'en 1948, fonde son Artgemeinschaft sur les débris du Nordische Glaubensbewegung. Sans ambages, les membres affirment se reconnaître dans leur germanité et sont ouvertement plus “nationalistes” que les unitariens et les “Freireligiösen”. En 1957, cette association fusionne avec les restes de celle de Norbert Seibertz.

 

Au moment où la fusion de ces associations a-chrétiennes voire anti-chrétiennes s'opère, l'Eglise abandonne, par la voie du Concile Vatican II, toutes ses références à la Rome antique pré-chrétienne,  à l'“organon” euro-médiéval. Une bonne fraction du catholicisme européen appelait jadis à renouer avec l'“Ordo Æternus” romain, qui, dans son essence, n'était pas chrétien, était au contraire l'expression d'une paganisation politique du christianisme, dans le sens où la continuité catholique n'était pas fondamentalement perçue comme une continuité chrétienne mais plutôt comme une continuité archaïque, romaine, latine. Aux yeux de ces catholiques au fond très peu chrétiens, la “forme catholique” véhiculait la forme romaine en la christianisant en surface. Carl Schmitt était l'un de ces catholiques, pour qui aucune forme politique autre que la forme romaine n'était adaptée à l'Europe. Il était catholique parce qu'il avait une vision impériale romaine, qui, après la translatio,  deviendra germanique. Il critiquait l'idéologie des Lumières et le positivisme juridique et scientiste parce que ces idéologies modernes rejetaient la ma­trice impériale et romaine, rejetaient cette primitivité antique et féconde, et non pas l'eudémonisme implicite du christianisme. De même, Vatican II rejettera cette romanité fondamentale pour ne retenir que l'eudémonisme chrétien. Dans les milieux con­servateurs, dans les droites classiques, ce refus de la romanité, de la forme politique impériale romaine ou des formes stato-nationales qui ramenaient l'impérialité à un territoire plus restreint, provoque un véritable choc. Ni le catholicisme ni même le christianisme n'apparaissent plus comme les garants de l'ordre. De cette déception, naît la “nouvelle droite” française, d'autant plus qu'un Maurras, qui est encore à l'époque la référence quasi commune de toutes les droites, avait clairement aperçu la distinction entre forme politique et relâchement eudémoniste: pour lui, l'Eglise était facteur d'ordre tandis que l'Evangile, un “poison”. Si l'Eglise rejette complètement les résidus d'impérialité romaine, ou les restes d'un sens antique de la civitas,  qu'elle véhiculait, elle n'est donc plus qu'un “poison”:  voilà donc un raisonnement maintes fois tenu dans les rangs de la droite française. Une fraction de celle-ci cherchera dès lors de nouvelles références, ce qui la conduira à découvrir no­tamment Evola, la Révolution Conservatrice allemande, l'univers des néo-paganismes, la postérité intellectuelle de Nietzsche, au grand scandale de ceux qui demeurent fidèles à un message chrétien-catholique, qui n'est plus du tout envisagé sous le même angle par les autorités supérieures de l'Eglise catholique.

 

Les années 60 voient éclore de nouvelles thématiques, imitées des néo-primitivismes nord-américains: New Gypsies, New Indians, Flower People, Aquarians, Hippies, etc. La nouvelle religiosité ne s'ancre plus dans le socialisme politique ou dans le nationalisme exacerbé, mais dans un espace complètement dépolitisé. Une question se pose dès lors. Le recours aux passés pré-chrétiens de l'Europe doit-il s'opérer sans l'apport d'un projet politique ou, au moins, d'une vision claire de ce que doit être un Etat, une constitution, un droit? Doit-il s'opérer sans décider quelle instance doit avoir la pré-scéance: est-ce le peuple, porteur d'une histoire dont il faut assurer la continuité, ou est-ce la structure étatico-administrative, dont il s'agit de maintenir, envers et contre tout, le fonctionnement routinier, même aux dépens de la vie?

 

Le danger des modes “New Age”, même si elles induisent nos contemporains à se poser de bonnes questions, c'est justement de sortir des lieux de décision, de s'en éloigner pour rejoindre une sorte de faux Eden, sans consistance ni racines.

 

Ce risque de dérapage nous oblige à poser l'éternelle question: que faire?

- Premier rudiment de réponse: il y a beaucoup de choses à faire dans un monde si pluriel, si diversifié, si riche en potentiali­tés mais aussi si éclaté, si émietté, si divisé par des factions rivales ou des options personnelles ou des incommunicabilités insaisissables; il y a beaucoup de choses à faire dans un monde pluriel, où faits positifs et faits négatifs se juxtaposent et dé­sorientent nos contemporains.

- Deuxième élément de réponse: affronter un monde riche en diversités, encadrer cette diversité sans l'oblitérer ou la mutiler, implique:

de moduler sa pensée et son action de ré-immersion dans le passé le plus lointain de l'Europe sur les acquis de la philologie indo-européenne. Sans préjuger de leurs options sur d'autres questions indo-européennes, les travaux d'Emile Benveniste, de Thomas V. Gamkrelidze et de Viatcheslav V. Ivanov, et même de Bernard Sergent, nous permettent de saisir la portée sé­mantique fondamentale du vocabulaire des institutions indo-européennes primitives, et de savoir ce que les termes veulent dire en droit, afin que soit restaurer une société où les citoyens sont égaux en dignitié. C'est cette égalité en dignité, mise en exergue par Tacite, qui fait que les tribus s'appellent assez souvent “les amis”, les “parents” ou “le peuple” (Teutones, Tutini de Calabre, Teutanes d'Illyrie, etc.). Cette harmonie sociale est un modèle impassable: on a vu avec quel enthousiasme les humanistes italiens l'ont exhumé au XVième siècle, avec quel zèle les pionniers du socialisme l'ont adopté, avec quel respect Marx et surtout Engels (dans Les origines de la propriété privée, de la famille et de l'Etat) en parlent dans leurs livres, enfin, avec quelle obstination les socialistes “völkisch”, futurs nationalistes, l'ont explicité. Mais au-delà des enthousiasmes légi­times, il faut construire, rendre plausible, déniaiser les engouements. Ce travail n'est possible que si l'on comprend concrè­tement, sans basculer dans l'onirique, ce que les mots que nous employons veulent dire, ce que les termes qui désignaient nos institutions à l'aurore de notre histoire signifient réellement.

 

Enfin, un recours aux ressorts les plus antiques de l'Europe, comme de tous les autres continents, implique une attention par­ticulièrement soutenue à la valeur des lieux. Si l'installation monotone dans un seul lieu n'est sans doute pas exaltante, n'excite pas l'esprit aventureux, l'ignorance délibérée et systématique des lois du temps et de l'espace, des lois du particulier, est une aberration et une impossibilité pratique. En transposant souvent leur telos dans un “autre monde”, soustrait aux règles du temps et de l'espace, le courant doloriste et augustinien du christianisme, les fidéismes athées à coloration “rationaliste”, les pratiques administratives de certains Etats, les déviances du droit vers l'abstraction stérile, ont arraché les hommes à leurs terres, aux lieux où le destin les avait placés. Cet arrachement provoque des catastrophes anthropologiques: fébrilité et déra­cinement, errance sans feu ni lieu, discontinuités successives et, finalement, catastrophes écologiques, urbanisme dévoyé, effondrement des communautés familiales et citoyennes.

 

Tout néo-paganisme positif, non sectaire, non replié sur une communauté-ersatz doit agir pour contenir de telles déviances. Il doit opérer ce que le théoricien britannique de l'écologie, Edward Goldsmith, appelle un retour à Gaïa, à la terre. Mais ce re­tour à une écologie globale, remise dans une perspective plus vaste et plus spiritualisée, plus “éco-sophique”, ne saurait se déployer sans un engagement social concomitant. Le retour des hommes à des lieux bien circonscrits dans l'espace  —de préférence ceux de leurs origines, ceux où ils retrouvent les souvenirs ou la tombe d'un bon vieux grand-père sage et sou­riant—  et l'organisation en ces lieux d'une vie économique viable à long terme, satisfaisante pour eux et pour les générations qu'ils vont engendrer, sont autant de nécessités primordiales, à l'heure où la mondialisation des marchés exerce ses ravages et exclut les plus fragiles d'entre nos concitoyens, à l'heure où les migrations tous azimuts n'aboutissent nulle part sinon à la misère et à l'exclusion.

 

Récemment, dans un dossier “Manière de voir” (n°32), le Monde diplomatique,  lançait un appel planétaire à la résistance contre les aberrations socio-économiques installées par l'“armada des économistes orthodoxes”, dont la panacée la plus te­nace était celle de la fameuse “bulle commerciale” dans laquelle le libre-échange devait être roi absolu et où aucune stabilité sociale, aucun legs de l'histoire, ne devait entraver la course folle vers une croissance exponentielle des chiffres d'affaires. Les rédacteurs du Monde diplomatique réclamaient un “sursaut républicain”, contre la résignation des élites du “cercle de la raison”, qui appliquent sans originalité ni imagination ces doctrines du libéralisme total qui ne tiennent  compte ni des limites du temps ni de celles de l'espace. Dans le cadre de cette revendication, ces rédacteurs n'hésitaient pas à rappeler les atouts de la “solidarité rurale” et du “maillage associatif” dans les campagnes, formes d'organisation communautaires et non socié­taires, mais dont le ciment ne peut être qu'une variante de l'organisation clanique initiale des peuples, où se conjuguent liberté constructive et autonomie, soit deux vertus qui avaient enthousiasmé les humanistes de la Renaissance italienne qui avaient lu Tacite et initié à leur époque le premier grand “sursaut républicain”. Face au fétichisme de la marchandise, disent les rédac­teurs du Monde diplomatique,  “il n'y a pas d'autre issue que de résister, afin de défendre les derniers fragments de la liberté des peuples de disposer de leur propre destin”. Nous n'avons pas d'autre programme. Car nous aussi, nous voulons une “Europe des citoyens”, c'est-à-dire une Europe d'Européens inclus dans des cités taillées à leurs mesures, des cités qui ont une histoire et un rythme propres. Nous nous donnons toutefois une tâche supplémentaire: aller toujours aux sources de cette histoire et de ce rythme. Pour rester fidèles à la démarche des humanistes de la Renaissance et des premiers socialistes li­bertaires qu'a allègrement trahis la sociale-démocratie, en se livrant à ses petits jeux politiciens et en décrétant toute réflexion sur notre très lointain passé comme l'expression mièvre et ridicule d'une “fausse conscience”.

 

Cette “fausse conscience” est pour nous une “vraie conscience”, notre “conscience authentique”. Car cela ne sert à rien de critiquer les orthodoxies de l'économie dominante, si c'est pour adopter le même schéma abstrait. L'autonomie des peuples, c'est de vivre en conformité avec leur plus lointain passé. C'est affirmer haut et fort la continuité, pour ne pas périr victime d'une pensée sans racines et sans cœur.

 

Le combat contre les idéologies dominantes, contre les confessions qui tiennent le haut du pavé et stérilisent les élans reli­gieux authentiques, ne peut nullement être un combat entre érudits distingués, à l'abri des grands courants intellectuels et poli­tiques du siècle, mais au contraire un combat qui apportera le supplément d'âme nécessaire à ce grand “sursaut républicain” qu'appellent nos contemporains. C'est à ce combat que j'ai voulu vous convier aujourd'hui. Je vous remercie de m'avoir écouté.

 

Robert STEUCKERS.

(Forest, du 8 au 10 janvier 1997).