"La «mémoire» est un mot qui a souffert d'usages excessifs. Mais, sous prétexte que le mot «amour» est mis à toutes sauces, faudrait-il ne plus l'utiliser dans son sens plein ? Il en est de même pour la « mémoire ». C'est par la vigueur de sa « mémoire », transmise au sein des familles, qu'une communauté peut traverser le temps, en dépit des pièges qui tendent à la dissoudre. C'est à leur très longue «mémoire» que les Chinois, les Japonais, les Juifs et tant d'autres peuples doivent d'avoir surmonté périls et persécutions sans jamais disparaître. Pour leur malheur, du fait d'une histoire rompue, les Européens en sont privés.
Je pensais à cette carence de la mémoire européenne alors que des étudiants m'avaient invité à leur parler de l'avenir de l'Europe et du Siècle de 1914. Dès que le mot « Europe » est prononcé, des équivoques surgissent. Certains pensent à l'Union européenne pour l'approuver ou la critiquer, regretter par exemple qu'elle ne soit pas « puissance ». Pour dissiper toute confusion, je précise toujours que je laisse de côté la part politique. Me rapportant au principe d'Épictète, "ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas", je sais qu'il dépend de moi de fonder ma vie sur les valeurs originelles des Européens, alors que changer la politique ne dépend pas de moi. Je sais aussi que, sans idée animatrice, il n'est pas d'action cohérente.
Cette idée animatrice s'enracine dans la conscience de l'Europe-civilisation qui annule les oppositions entre région, nation, Europe. On peut être à la fois Breton ou Provençal, Français et Européen, fils d'une même civilisation qui a traversé les âges depuis la première cristallisation parfaite que furent les poèmes homériques. « Une civilisation, disait excellemment Fernand Braudel, est une continuité qui, lorsqu'elle change, même aussi profondément que peut l'impliquer une nouvelle religion, s'incorpore des valeurs anciennes qui survivent à travers elle et restent sa substance (1). » À cette continuité, nous devons d'être ce que nous sommes.
Dans leur diversité, les hommes n'existent que par ce qui les distingue, clans, peuples, nations, cultures, civilisations, et non par leur animalité qui est universelle. La sexualité est commune à toute l'humanité autant que la nécessité de se nourrir. En revanche, l'amour comme la gastronomie sont le propre d'une civilisation, c'est-à-dire d'un effort conscient sur la longue durée. Et l'amour tel que le conçoivent les Européens est déjà présent dans les poèmes homériques à travers les personnages contrastés d'Hélène, Nausicaa, Hector, Andromaque, Ulysse ou Pénélope. Ce qui se révèle ainsi à travers des personnes est tout différent de ce que montrent les grandes civilisations de l'Asie, dont le raffinement et la beauté ne sont pas en cause.
L'idée que l'on se fait de l'amour n'est pas plus frivole que le sentiment tragique de l'histoire et du destin qui caractérise l'esprit européen. Elle définit une civilisation, sa spiritualité immanente et le sens de la vie de chacun, au même titre que l'idée que l'on se fait du travail. Celui-ci a-t-il pour seul but de « faire de l'argent», comme on le pense outre-Atlantique, ou bien a-t-il pour but, tout en assurant une juste rétribution, de se réaliser en visant l'excellence, même dans des tâches en apparence aussi triviales que les soins de la maison ? Cette perception a conduit nos ancêtres à créer toujours plus de beauté dans les tâches les plus humbles et les plus hautes. En être conscient, c'est donner un sens métaphysique à la « mémoire ».
Cultiver notre « mémoire », la transmettre vivante à nos enfants, méditer aussi sur les épreuves que l'histoire nous a imposées, tel est le préalable à toute renaissance. Face aux défis inédits qui nous ont été imposés par les catastrophes du siècle de 1914 et leur mortelle démoralisation, nous trouverons dans la reconquête de notre « mémoire » ethnique des réponses dont nos aînés et nos aïeux n'avaient pas idée, eux qui vivaient dans un monde stable, fort et protégé."
Dominique Venner, NRH n°40, janvier-février 2009.
Notes
1-Fernand Braudel, Ecrits sur l'histoire, 1969.
samedi, 07 février 2009
Sur le "Grand Jeu" - Enjeux géopolitiques de l'Asie centrale
Le Grand Jeu
XIXe siècle, les enjeux géopolitiques
de l'Asie centrale
Ce que l'on appelle le Grand Jeu a opposé, au XIXe siècle, les intérêts géopolitiques russes et anglais, notamment en Asie centrale, et est considéré comme un épisode majeur des relations internationales de cette époque.
Pratiquement inconnu en France, à l'exception de quelques spécialistes, le Grand Jeu s'avère pourtant fondateur et son impact sur les représentations politiques dans les élites russes, britanniques, américaines, mais aussi indiennes et chinoises ne doit pas être sous-estimé. Mais ce que les Anglo-Saxons ont baptisé le "Grand Jeu" et les Russes le "Tournoi des ombres", c'est aussi une incroyable épopée, presque romanesque, qui a fait émerger une galerie de portraits d'aventuriers, d'explorateurs, de militaires et d'espions qui ont inspiré la littérature comme le cinéma.
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vendredi, 06 février 2009
Islam-Occident : l'histoire interdite?
Islam-Occident, L'histoire interdite ?
Débat. Le livre de Sylvain Gouguenheim déclenche la polémique.
Frédéric Valloire, le 06-06-2008 : Sur: http://www.valeursactuelles.com
Un pavé dans la mare du conformisme, notait Valeurs actuelles, le 25 avril dernier, en présentant dans la page Focus Histoire l’ouvrage de Sylvain Gouguenheim, Aristote au mont Saint-Michel, les racines grecques de l’Europe chrétienne, paru au début du mois de mars aux éditions du Seuil. Quelques jours plus tard, naissait “l’affaire Gouguenheim”.
L’auteur, professeur d’histoire médiévale à l’École normale supérieure de Lyon, ne peut répondre : son avocat lui a demandé d’être silencieux. Sa dernière intervention est un entretien dans le Monde du 25 avril, où il se dit « bouleversé par la virulence et la nature des attaques ». Et il récuse les intentions qu’on lui prête.
Que dit-il ? Parmi les routes de transmission qui ont permis à l’Occident médiéval, du VIe au XIIe siècle, de connaître les textes grecs antiques, en particulier ceux d’Aristote, et de les traduire, la filière arabe n’est pas la seule. Il existe une filière byzantine, relayée par la Sicile et l’Italie du Sud, où le grec était encore utilisé par les marchands, les ambassadeurs et les clercs. Peuvent s’y ajouter quelques monastères isolés dans un monde où la langue savante est le latin, tels celui de Saint-Gall en Suisse actuelle et surtout celui du Mont-Cassin. Mais connaître le grec en Occident demeurait un exploit : le plus surprenant étant Jean Scot Érigène, un théologien irlandais du IXe siècle, qui connaissait Platon et traduisit en latin des Pères grecs de l’Église.
En outre, Gouguenheim relève que les grands philosophes arabes Al-Fârâbi, Avicenne, Averroès ne lisaient pas les textes originaux en grec mais dans des traductions. Elles étaient effectuées pour la plupart par des chrétiens d’Orient qui connaissaient le grec, l’arabe, tel Hunayn ibn Ishaq. Existaient même à Bagdad des cercles de traducteurs, La Maison de la sagesse, où ils se retrouvaient et qu’un universitaire de Yale, Dimitri Gutas, a examiné dans un ouvrage (Pensée grecque, Culture arabe, Aubier, 2005), que ne mentionne pas Gouguenheim. Tout cela n’est certes pas nouveau.
L’idée forte de Gouguenheim est de considérer que, dans cette transmission des idées grecques, les filières européenne et byzantine ont été plus importantes que la filière arabe, même par l’intermédiaire de l’Andalousie. En particulier grâce à un personnage mal connu, sans être inconnu, Jacques de Venise (mort après 1148). Selon Gouguenheim, ce premier traducteur d’Aristote au XIIe siècle « mériterait de figurer en lettres capitales dans les manuels d’histoire culturelle » et aurait travaillé au Mont-Saint-Michel. Ce qui est certain, c’est que ses traductions connaissent un succès stupéfiant et qu’elles se différencient de celles venues du monde islamique, qui filtraient la pensée d’Aristote, n’en retenant que ce qui était compatible avec les dogmes religieux et en laissant les aspects politiques.
À première vue, une querelle de spécialistes. Qui a tourné à la guerre de positions. Et qui assure le succès du livre : il dépasse les 7 000 exemplaires vendus, en moins de deux mois. Un chiffre élevé pour un ouvrage paru dans la collection, prestigieuse et exigeante, qu’est L’Univers historique.
La réception du livre commence par un long article, fort élogieux, du journal le Monde du 4 avril, « Et si l’Europe ne devait pas ses savoirs à l’Islam ? ». Signé par Roger-Pol Droit, il salue un livre « précis, argumenté, fort courageux, qui remet l’histoire à l’heure ». Même accueil chaleureux ou curieux dans le mensuel le Monde de la Bible, Ouest-France, le Figaro littéraire, la Libre Belgique.
Le 25 avril, sur une page entière, le Monde fait marche arrière devant « l’émotion d’une partie de la communauté universitaire ». En fait, quarante historiens et philosophes emmenés par Hélène Bellosta et Alain Boureau. Partis à l’assaut de ce qui, pour eux, n’est que vieilles lunes et vieux savoirs, ils reçoivent le renfort de deux médiévistes, l’un de Paris-VIII, l’autre de Montpellier, qui portent une charge violente contre cet ouvrage « prétendument sérieux », mais dicté « par la peur et l’esprit de repli ». Et les pétitions hostiles à Gouguenheim circulent.
Le lundi 28 avril, un appel lancé par deux cents « enseignants, chercheurs, personnels, auditeurs, élèves et anciens élèves » de l’ENS de Lyon, des lettres et des sciences humaines, où enseigne Sylvain Gouguenheim, demande une enquête informatique approfondie pour savoir s’il a donné en bonnes feuilles des pages de son ouvrage à Occidentalis, un site d’“islamovigilance”. Les pétitionnaires, qui se drapent vertueusement dans l’indépendance de la recherche surtout lorsqu’elle est « inattendue et iconoclaste », ont des réflexes de délateurs. Sans en discuter les thèses, simplement parce que « l’ouvrage de Sylvain Gouguenheim sert actuellement d’argumentaire à des groupes xénophobes et islamophobes qui s’expriment ouvertement sur Internet », ils mettent l’essai à l’index. Ont-ils été entendus ? La direction de l’école fait savoir qu’elle va créer un comité d’experts afin d’étudier les pièces du dossier. Pire : elle se propose d’auditionner l’historien avant de transmettre un avis au conseil d’administration de l’école, « qui évaluera les suites à donner ». Procédé scandaleux autant qu’injuste : Gouguenheim n’a commis aucune faute.
Le 30 avril, Libération, qui, la veille, avait fait paraître une recension plutôt neutre de l’ouvrage, donne la parole à cinquante-six chercheurs en histoire et en philosophie du Moyen Âge qui ont lu (tous ? on peut en douter) Aristote au mont Saint-Michel. Après avoir relevé les coquilles et les maladresses, ils attaquent le fond de l’ouvrage. Que lui reprochent-ils ? d’avoir un présupposé identitaire (l’Europe s’identifiant à la chrétienté) et de déclarer que même en l’absence de tout lien avec le monde islamique, l’Europe chrétienne médiévale se serait approprié l’héritage grec et aurait suivi un cheminement identique. Bref, de réduire dans les domaines de la raison et du politique l’influence islamique et « de déboucher sur des thèses qui relèvent de la pure idéologie », de faire du « racisme culturel » et d’avoir une démarche qui « relève d’un projet idéologique aux connotations politiques inacceptables ». Cela est dit avec des mots qui tuent, tant ils sont connectés au négationnisme : « révision », « relecture fallacieuse ».
Le 5 mai, Télérama, dans le style que ce journal affectionne, mi-rigolard, mi-moralisant, prend le relais : résumé réducteur du livre, sélection de phrases sorties de leur contexte, suppression des nuances et des restrictions qu’apportait l’auteur. Un ton néostalinien pour dénoncer les « thèses islamophobes de Sylvain Gouguenheim » et la pente dangereuse prise par les éditions du Seuil qui l’ont cautionné en le publiant ! Monte au créneau le philosophe Alain de Libera, l’un des premiers à réagir. Il est vrai qu’il était épinglé, poliment, sans acrimonie, par Gouguenheim. Et Libera de se déchaîner : « L’hypothèse du Mont-Saint-Michel, comme chaînon manquant dans l’histoire du passage de la philosophie aristotélicienne du monde grec au monde latin, a autant d’importance que la réévaluation du rôle de l’authentique Mère Poularde dans l’histoire de l’omelette. » Et de conclure : « Cette Europe-là n’est pas la mienne. Je la laisse au “ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale” et aux caves du Vatican. » La discussion de fond ? À peine amorcée, très vite elle dérape, glisse, fuit, s’attarde sur des détails.
Sur la Toile, de blog à blog, par milliers, les réponses fusent, dépassent toute correction d’autant que l’anonymat y est le plus souvent la règle. On parle de « Gouguenheim au Mont-Saint-Adolf » ; on lui imagine des sympathies à l’extrême droite, même s’il rappelle qu’il appartient à une famille de résistants et si l’une des annexes (d’ailleurs anachronique) de son livre souligne les liens entre l’islam et le nazisme, à travers une intellectuelle allemande, Sigrid Hunke ; on le condamne pour avoir cité un ouvrage de René Marchand, journaliste et essayiste arabisant, de sensibilité gaulliste. Sur Internet, on s’affiche gouguenheimien ou antigouguenheimien.
Rappel à l’ordre et au bon sens : dans l’Express du 15 mai dernier, « outré par ces attaques », déplorant « la véhémence des critiques », le médiéviste Jacques Le Goff sort de sa réserve. Il juge le livre « intéressant mais discutable » et remarque que « peu des principaux médiévistes » ont rejoint le collectif des cinquante-six. Pour soutenir l’auteur, il consacrera l’un de ses prochains Lundis de l’histoire sur France Culture à l’étude de Gouguenheim, les Chevaliers Teutoniques chez Tallandier (lire Valeurs actuelles n° 3720). Une intervention salutaire.
Que les polémiques se soient développées, rien d’étonnant. Il y a les ambitions personnelles, le sentiment de propriété sur tel ou tel domaine qu’ont les universitaires et qui les entraîne souvent à considérer celui qui empiète sur leur domaine comme un ennemi. Il y a les positions politiques ou idéologiques plus ou moins conscientes, qui sont liées autant à des sentiments personnels qu’à de vagues notions de solidarité de chercheurs. Et il y a le confort intellectuel, qui pousse à épouser les idées dominantes, ce que Max Gallo regrettait le dimanche 27 avril, à propos de ce livre, sur France Culture : « Dès lors que l’on n’est pas tout à fait d’accord avec la doxa [en l’occurrence la connaissance des philosophes grecs par l’intermédiaire de l’islam], avec ce qui règne, même quand on est un médiéviste indiscutable, il devient dangereux de faire de l’histoire. »
Ce qui surprend le plus, c’est la rapidité et la violence des réactions. Car il n’y eut aucune protestation lorsque l’islamologue Bernard Lewis expliquait en 1988 (le Langage politique de l’islam, Gallimard) que les mots “citoyen”, “liberté” n’existaient pas dans l’islam classique. Aucune réaction lorsque, en 2002, Jacques Heers donnait au premier numéro de la Nouvelle Revue d’histoire, un article intitulé « La fable de la transmission arabe du savoir antique », qui s’achevait ainsi : « Rendre les Occidentaux tributaires des leçons servies par les Arabes est trop de parti pris et d’ignorance : rien d’autre qu’une fable, reflet d’un curieux penchant à se dénigrer soi-même. » Rien non plus, en 2006, à la sortie d’un petit essai Au moyen du Moyen Âge (repris, augmenté, il sera réédité en septembre chez Flammarion) de Rémi Brague, professeur de philosophie à l’université de Paris-I. Or, ce spécialiste d’Aristote, de saint Bernard et de Maïmonide consacre plusieurs pages aux problèmes de traduction des textes grecs venus du monde arabe et rejoint, à bien des égards, l’étude de Gouguenheim.
Serions-nous entrés dans un monde de plus en plus intolérant ? Qui ne cesse de légiférer en histoire ? Qui confond histoire et mémoire ? Ce que craint Pierre Nora, l’un des fondateurs de l’association Liberté pour l’histoire, qui appelle à l’abrogation de toutes les lois mémorielles, y compris de la loi Gayssot. « L’histoire rassemble, dit cet historien, la mémoire divise. »
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jeudi, 05 février 2009
D. Venner: Métaphysique de la mémoire
Métaphysique de la mémoire par Dominique Venner
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Parallelismi storici: Augusto e Mussolini
PARALLELISMI STORICI : AUGUSTO E MUSSOLINI
Ex: htpp://patriaeliberta.myblog.it
Parallelismi: Augusto e Mussolini
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Ma perché il Duce del Fascismo era accostato ad Augusto? I motivi sono molteplici.
Augusto fu quindi visto nei secoli come il virtuoso "architetto" e ordinatore dello Stato, contrapposto al Cesarismo, mito che ebbe anch’esso molta fortuna, ad es. presso colui che meglio lo personificò: Napoleone Bonaparte (1769 - 1821).
Un ulteriore carattere lega, infine, i due statisti: l’auctoritas, la quale era la base del loro potere e che traeva la propria forza e legittimazione dal consenso pressoché unanime del popolo di cui essi godevano.
Fonte: http://augustomovimento.blogspot.com/2008/11/paralleli...
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mercredi, 04 février 2009
Johann Wilhelm R. Ritter (1776-1810)
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Archives de SYNERGIES EUROPÉENNES - DÉCEMBRE 1992
Robert Steuckers:
Johann Wilhelm R. Ritter (1776-1810)
Né le 16 décembre 1776 à Samitz bei Hainau en Silésie, ce pharmacien, qui étudia longtemps aux universités de Iéna, Gotha et Weimar, fut appelé en 1804 à siéger à l'Académie bavaroise de Munich. J.W.R. Ritter a découvert, avant tout le monde, un ensemble de phénomènes dans les domaines du galvanisme et de l'electricité physiologique. A partir de 1798, J.W.R. Ritter publie plusieurs ouvrages fondamentaux sur ces sujets. Après que Ash en 1796 et A. von Humboldt en 1797 aient observé des effets chimiques dans la chaîne galvanique, Ritter, en 1799 fait état d'observations fondamentales sur l'électrolyse; il prouve ensuite la décomposition de l'eau et des sels métalliques dans la chaîne et aux fils polaires de la colonne, si bien qu'on peut dire sans hésiter qu'il a devancé Nicholson et Carlisle. Mais la théorie énoncée par Ritter sur le processus de l'électrolyse est lacunaire, ce qui lui confisque tout retentissement immédiat. On peut également considérer Ritter comme l'inventeur de la colonne de charge et, en même temps que Behrens, comme celui de la colonne sèche. Ritter perçoit ensuite le réchauffement inégal des électrodes, puis, quelques années plus tard, à l'occasion d'une décomposition de la chlorargyrite, l'effet oxydant et phosphorescent des rayons ultra-violets, ainsi que l'effet réducteur de phosphorescence des rayons rouges et infra-rouges.
Ritter a étudié l'électricité animale et physiologique (à la suite de Galvani), jettant de la sorte un pont entre les sciences de la nature et la physique de l'électricité. Le galvanisme, dans l'optique de Ritter, donne à l'idée de force vitale une assise scientifique et expérimentale. La notion de force vitale ne relève plus désormais de la seule spéculation métaphysique, mais devient, grâce à Ritter, objet d'expérience empirique. Les investigations de Ritter campent cependant dans deux domaines: celui de l'expérience scientifique, où il excelle, et celui de la métaphysique, terrain qu'il n'abandonne pas et dans lequel il ancre, par une extrapolation audacieuse, son idée de galvanisme universel, qui devient, du coup, principe d'intelligibilité universel de l'organisme naturel, constitué comme une immense chaîne galvanique, embrassant la totalité du réel. De cette conjonction de l'empiricisme et de la métaphysique découle la thèse de l'organicisme universel. La physique de l'univers ne s'explique pas par une seule catégorie d'arguments phycisistes mais par une articulation où agissent magnétisme, électricité et dynamisme énergétique, soit trois formes de dynamisme à l'œuvre dans l'économie naturelle mais gardant chacune son individualité, tout en restant dans un rapport de continuité. Grâce aux travaux de Ritter, la force vitale, idée-force des biologistes romantiques, atteste de l'universalité du dynamisme et ne se limite pas au domaine organique, s'étend a fortiori dans le domaine inorganique, réduisant d'avance à néant tout dualisme qui revendiquerait une césure à ce niveau. Toutes les formes de vie, tous les éléments de l'univers, sont en communication permanente: tel est l'idée majeure que nous transmet l'œuvre de Ritter.
Contributions à une connaissance plus précise du galvanisme (Beyträge zur nähern Kenntnis des Galvanismus), 3 vol., 1800, 1802, 1805
Précis scientifique et empirique sur le galvanisme et l'électricité animale, ces Contributions évoquent les périodes communes que se partagent la Terre, en tant qu'astre, et tous les animaux et les plantes. L'homme, découvre Ritter, répercute, lui aussi, toutes les périodes que l'on peut observer dans la nature anorganique. On peut dire de l'homme que sa loi temporelle intérieure est demeurée la même que celle qui régit l'anorganique, même s'il y a apparemment indépendance complète entre les deux règnes, l'anorganique et l'humain. Chaque créature de l'univers, innervé par le galvanisme, dispose d'un temps dans lequel elle n'était pas encore mais où elle advient. Cette advenance de la créature dans une temporalité nouvelle constitue son individuation, son affranchissement par rapport à son unité primordiale avec la Terre. Affranchissement individuant qui n'exclut pas le lien ultime qui lie indéfectiblement toute créature à la terre. La différenciation procède par éclosion de périodicités propres pour chaque plante, chaque animal. Ce sont, explique Ritter en replongeant dans la métaphysique et la théologie, des décisions célestes (himmlische Beschlüße) qui ont provoqué cette différenciation dans les périodicités. L'hiéroglyphe le plus sublime de la Terre est l'homme, écrit-il dans sa conclusion. Cet être est né du giron de la Terre qui, depuis son advenance, n'a plus enfanté: l'homme est la dernière parole prononcée par la Terre.
(Robert Steuckers).
- Bibliographie:
Beweis, daß ein beständiger Galvanismus den Lebensproceß im Thierreiche begleitet, Weimar, 1798; Beyträge zur nähern Kenntnis des Galvanismus und der Resultate seiner Untersuchung, Iéna, 1800-1805; Das elektrische System der Körper, ein Versuch, Leipzig, 1805; Physisch-chemische Abhandlungen in chronologischer Ordnung, Leipzig, 1806; Die Physik als Kunst, Munich, 1806; Fragmente aus dem Nachlasse eines jungen Physikers, Heidelberg, 1810.
- Sur J.W. Ritter: Novalis, L'Encyclopédie, Fragments, classement Wasmuth, trad. Gandillac, éd. de Minuit, Paris, 1966, §649, p. 172; Karsten, "J.W. Ritter", in Allgemeine Deutsche Biographie, 28. Band, Leipzig, 1889; Paul Kluckhohn, Charakteristiken, Deutsche Literatur, Reihe Romantik, Bd. I, Stuttgart, Reclam, 1950, p. 162 sq.; Roger Ayrault, La genèse du romantisme allemand, t. III, Aubier, Paris, 1970, p. 69; t. IV, 1976, p. 118; Roger Cardinal, German Romantics in Context, Studio Vista/Casell & Collier Macmillan, Londres, 1975, pp. 86-91; Georges Gusdorf, Le savoir romantique de la nature, Payot, Paris, 1985, pp. 191-198; Georges Gusdorf, L'homme romantique, Payot, 1984, pp. 194-196; Georges Gusdorf, Fondements du savoir romantique, Payot, 1982, pp. 339-341.
- Sur les notions de magnétisme, d'électricité, de processus chimique et de galvanisme, cf. F.W.J. Schelling, System des transzendentalen Idealismus.
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mardi, 03 février 2009
Iran: irrésistible ascension
« Iran. L'irrésistible ascension »
Par Robert Baer,
L’Iran, une superpuissance émergente
Paru au beau milieu de la campagne présidentielle aux Etats-Unis, le nouveau livre de Robert Baer invite les futurs dirigeants de Washington à opérer une profonde révision, pour ne pas dire une révolution de la stratégie américaine au Moyen-Orient. Cet ancien officier de renseignement de la CIA, spécialiste du Moyen-Orient et familier de ce terrain d’opérations depuis le début des années 1980, s’est illustré en publiant plusieurs ouvrages, devenus célèbres. Dans « Or noir et Maison blanche », il donne un éclairage inédit sur les réseaux de connivence entre Washington et Riyad. Dans « La chute de la CIA », il prononce un vibrant plaidoyer pour un retour aux fondamentaux du métier d’agent de renseignement, qui, selon lui, ne peut être qu’un guerrier armé d’une excellente connaissance de l’ennemi et non un post-adolescent jouant à la guerre par écran interposé… Le scénario du film « Syriana » (2006),de Stephen Gaghan, a été très largement tiré de ces deux ouvrages. D’ailleurs, le héros, joué par George Clooney, n’est autre que Robert Baer lui-même, affublé d’un pseudonyme… Sous le titre « The Devil We Know : Dealing with the New Iranian Superpower », Baer achève donc une sorte de trilogie. Il donne une analyse documentée du nouveau rapport de force régional, instauré par la présence militaire américaine en Irak depuis 2003. En conclusion, il propose d’ouvrir une nouvelle voie, pour le moins radicale si l’on s’en tient à la doctrine de l’ « Axe du Mal » jusqu’ici prévalente : l’Iran doit devenir l’autre partenaire de Washington au Moyen-Orient, l’autre pilier de la stratégie des Etats-Unis dans la région, en d’autres termes l’alter egogéostratégique de l’allié Israël…
A l’aune des doctrines géopolitiques américaines (Nicholas Spykman, puis Zbigniew Brzezinski), l’Iran, verrou stratégique du continent eurasiatique, constitue depuis la fin de la seconde guerre mondiale une pièce maîtresse sur le grand échiquier des jeux d’influence entre les grandes puissances. La révolution islamique de 1979 avait profondément ébranlé les cadres d’analyse et de prévision du Pentagone et de Langley, conduisant Washington à un rapprochement plus étroit que ce qui n’était vraiment souhaité avec l’Arabie Saoudite. Cette alliance américano-saoudienne a produit de coûteux dégâts collatéraux, en favorisant par exemple la constitution de puissants (et incontrôlables) réseaux de l’islam sunnite radical, armés par Washington et financés par Riyad, réseaux néanmoins indispensables - faute de pouvoir intervenir à partir du territoire iranien - pour faire la guerre contre l’URSS en Afghanistan. Pour Baer, ces expériences devraient logiquement conduire les Américains à renoncer à prendre appui dans le monde sunnite, qui ne compte aucun Etat qui soit à la fois viable et fiable, et se tourner vers le chef de file du monde chiite, l’Iran, seul Etat du Moyen-Orient (avec Israël) qui soit doté d’une véritable stratégie et qui ait remporté des victoires significatives au cours de ces trente dernières années. L’Iran « a déjà battu l’Amérique » en Irak - voisin arabe de l’Iran, dont la population est à 60% chiite - et tire le meilleur profit d’une situation de chaos qui lui permet « d’annexer une large portion de l’Irak sans tirer un seul coup de feu ». En occupant militairement l’Irak, « les Etats-Unis auront livré un autre pays arabe à l’Iran sur un plateau - un nouveau joyau pour sa couronne impériale ». L’observation de ce qui se passe à Bassorah (Basra), grande ville du sud de l’Irak, située à 550 km de Bagdad sur le Chatt-al-Arab - la voie d’eau qui relie le Tigre et l’Euphrate au Golfe persique - seul accès maritime du pays et principale voie d’exportation de son pétrole, permet à elle seule de saisir le « paradigme iranien de l’expansion ». Cette ville, qui constitue donc le « cœur de l’économie irakienne », « ne fait plus réellement partie de l’Irak », ne serait-ce que parce qu’aujourd’hui, à Bassorah, « la monnaie de référence est le toman iranien » et que dans toutes les provinces méridionales de l’Irak, dont Bassorah est la métropole, « la police, les services secrets, les hôpitaux, les universités et les organisations sociales (…) ne répondent pas aux autorités de Bagdad, mais aux partis politiques et autres groupes chiites soutenus par l’Iran ». Dès lors, il est envisageable que demain, « l’Iran détiendra de facto le pouvoir sur le pétrole irakien », ce qui lui conférera un poids accru au sein de l’OPEP et lui permettra de rivaliser encore davantage avec l’Arabie Saoudite, à laquelle l’Iran chiite dispute aussi la primauté au sein de l’islam et le contrôle des lieux saints de La Mecque…
C’est dans le très chaotique Liban du début des années 1980, où l’agent Baer a d’ailleurs connu sa première expérience du terrain moyen-oriental, que la jeune république islamique d’Iran a fourbi ses premières armes impériales. Soutenant et armant les milices chiites du Hezbollah, l’Iran a expérimenté et développé tout à la fois l’art de la guerre asymétrique et la stratégie d’instrumentalisation politique des minorités chiites. En 2000, l’ayatollah Khamenei, successeur de Khomeini en tant que Chef suprême - le véritable pouvoir exécutif de l’Iran - déclarait publiquement : « le Liban est la plus grande réussite de l’Iran en termes de politique étrangère ». En 2006, l’Iran remportait, par Hezbollah interposé, une victoire militaire aussi stupéfiante que décisive contre Israël, attestée en ces termes par le rapport de la commission Winograd, la commission d’enquête mandatée par le gouvernement israélien pour analyser la guerre de trente-quatre jours de 2006 : « une organisation semi-militaire de quelques milliers d’hommes a résisté, pendant plusieurs semaines, à l’armée la plus puissante du Moyen-Orient, qui jouissait d’une supériorité aérienne totale, d’une taille et d’avantages technologiques considérables ». Pour Baer, sa grande maîtrise de la guerre asymétrique, qui combine terrorisme et méthodes conventionnelles, met l’Iran à l’abri du besoin de l’arme atomique. Entretenu à dessein par le lobby pro-israélien, le spectre de la bombe iranienne devrait être rangé au rayon des fantasmes et autres accessoires idéologiques obsolètes qui, regrette vivement l’auteur, sont toujours de mise dans la réflexion géopolitique américaine, brouillant les pistes et désinformant les élites occidentales sur les réalités du Moyen-Orient. « Non seulement l’Amérique se bat encore comme en 1939-1945, mais elle considère le monde en termes d’idéologies du XIXe siècle - fascisme, communisme, libéralisme et démocratie (…) En rangeant l’Iran dans la catégorie des “islamofascistes“, nous commettons une erreur majeure ». Il convient de contrer l’opinion dominante en vertu de laquelle l’Iran, au demeurant « société fermée, profondément xénophobe et paranoïque », est en proie à un régime totalitaire. Baer explique que le président Ahmadinejad - dont les vaticinations négationnistes et la rhétorique anti-occidentale abreuvent le moulin de la diabolisation de l’Iran, thème fort prisé par les médias occidentaux - dispose d’un pouvoir très restreint. Le véritable pouvoir est placé entre les mains de l’ayatollah Khamenei, à la fois « ecclésiastique, médiateur, dictateur, commandant militaire et chef de la police », dont la « façon de gouverner tient plus du pape du XIIe siècle que du président américain ou d’un fasciste totalitaire à la Adolf Hitler ». En Iran, tout ce qui relève du pouvoir politique est secret, et l’a toujours été. Aucun des circuits de la prise de décision n’est véritablement connu, l’art consommé de la manipulation du secret étant considéré comme un attribut essentiel du politique. Le Prince, s’il n’est pas identifié clairement, existe bel et bien à Téhéran, mais il faudra, prévient Baer, se contenter de traiter avec ses émissaires, sans que cela ne mette en cause la confiance au cours des négociations et tractations. La maîtrise du secret s’accompagne de celle du double langage, qu’il faut apprendre à décrypter, dans la mesure où la scansion de slogans anti-occidentaux lors des fréquentes manifestations de rue se conjugue parfaitement avec une très grande connaissance, par les Iraniens, de la société occidentale par le biais d’internet et des séries télévisées, d’autant qu’il existe en Iran « ce qui n’existe dans aucun pays arabe : une véritable classe moyenne » … Baer cite fort opportunément les propos d’Amin, un ami iranien : « l’Iran est un pays sous le voile des apparences. Et ce voile, ce n’est pas les Iraniens qu’il aveugle (…) Les Américains voient le turban, pas le cerveau »...
L’administration Obama saura-t-elle, mieux que la précédente, considérer l’Iran dans son « irrésistible ascension » et en tenir compte? Tout semble indiquer que le nouveau locataire de la Maison blanche, loin d’écouter les conseils de Robert Baer, poursuivra la politique d’alliance inconditionnelle à Israël, dont l’offensive menée ces dernières semaines dans la bande de Gaza visait non seulement à frapper le Hamas, mais aussi à tester la capacité de Téhéran à « tenir ses troupes », c’est-à-dire à contrôler le Hezbollah libanais pour l’empêcher de voler au secours de son allié, le Hamas… Toutefois, le redéploiement annoncé de l’effort stratégique vers l’Afghanistan pourrait conduire les Etats-Unis à tenir compte de l’Empire iranien émergent. En effet, sur quel voisin de l’Afghanistan s’appuyer pour mener à bien une telle entreprise ? Sur le Pakistan, en voie d’effondrement ? Sur les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale, sans l’accord de la Russie, plus que jamais irritée par le déploiement du bouclier anti-missiles en Europe de l’Est ?... Robert Baer dégage quelques lignes de force utiles qui permettent d’envisager l’avenir à moyen terme et montrent toutes que la politique américaine actuelle aboutit à coup sûr à une impasse. Animé d’une irrépressible ambition impériale, l’Iran va s’imposer comme une incontournable puissance régionale. Au-delà de son implantation au Liban et en Irak, Téhéran va poursuivre sa stratégie d’instrumentalisation de l’islam chiite au Bahreïn. Ce petit archipel, seule monarchie du Golfe à majorité chiite, pourrait devenir la tête de pont d’une stratégie iranienne de contrôle du détroit d’Ormuz et, par ce biais, de l’ensemble du Golfe persique, une zone par laquelle transite plus de la moitié du pétrole importé par les pays de l’OCDE… L’Iran détient également certains atouts maîtres sur le terrain afghan et même au Pakistan, un pays où vit une forte minorité chiite (20% de la population). Il faut également rappeler que l’Azerbaïdjan, le voisin post-soviétique du nord, est lui aussi à majorité chiite. Mais toute stratégie d’influence iranienne dans ce pays pourrait mettre en péril l’équilibre interne de l’Iran lui-même, un « Empire multiethnique » où les Persans ne représentent que 51% de la population et les Turcs azéris 24%… Baer rappelle à ce sujet un fait majeur, souvent ignoré : les Turcs azéris constituent la grande majorité de la population de la capitale, Téhéran. S’il est une minorité transfrontalière qui fait l’objet de toutes les attentions de l’Iran, c’est bien la minorité kurde, à cheval sur les territoires de l’Irak, de l’Iran, de la Syrie et de la Turquie. Selon Baer, Téhéran mène une politique active d’instrumentalisation de la minorité kurde de Turquie en soutenant discrètement les bases arrière du PKK. La Turquie, ce « pilier oriental de l’OTAN » (George Bush) est d’ailleurs, selon l’auteur, la prochaine cible de l’Iran… Ce livre passionnant et stimulant recèle bien d’autres informations (notamment un utile glossaire) et réflexions intéressantes encore, notamment un chapitre tout à fait instructif sur la distinction entre les notions de martyr (chiite) et la pratique (sunnite) des kamikazes… Cet ouvrage est à lire et à méditer. Seule ombre au tableau, et elle est de taille : l’éditeur français n’a pas songé à faire figurer une carte ! Vaillants lecteurs, à vos atlas !
Antoine de Fixey
Polémia
27/01/09
Robert Baer, « Iran. L’irrésistible ascension », éd. Jean-Claude Lattès, (trad. Marie de Prémonville) 2008, 382 p.
Antoine de Fixey
00:48 Publié dans Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, iran, moyen orient, golfe persique, etats-unis, politique internationale, politique | |
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lundi, 02 février 2009
Quelques notes sur la notion d' "aristocratie"
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Quelques notes sur la notion d'«aristocratie»
par Philippe JOUET
Un projet politique, projet culturel, reposant nécessairement sur un certain nombre de choix éthiques qui expriment, à l'aide de références choisies tenues pour cohérentes, les aspirations, les idéaux, la culture de leurs promoteurs.
De toutes ces références, de ces «mots-clés» qui s'affrontent, s'appuient et se repoussent au gré des «combats d'idées», il en est une, pas la plus employée ni la plus claire, qui mérite qu'on s'y arrête: celle d'«aristocratie» qui poursuit, çà et là, une carrière idéologique déjà ancienne. Le terme est suffisamment vague pour qu'on l'admette sans examen et, de plus, il est évocateur d'histoire(s). C'est cependant un terme suspect, au contenu ambigu et dont l'usage ne va pas de soi. Son insignifiance politique présente contraste plaisamment avec l'abus que l'on en peut faire dans certains milieux droitistes. C'est pourquoi tout débat sur la notion d'«aristocratie» doit commencer par une clarification sémantique. Ce faisant, on n'échappera pas, et l'on s'en excuse, aux déterminations intellectuelles de l'espace francophone. Mais si le mot est d'introduction récente en français (le terme aristocratie, latinisé dans les traductions d'Aristote, n'est usuel qu'à partir de 1750. L'aristocrate date du XVIe s. et ne se vulgarise, si l'on peut dire, qu'à la veille de la révolution (1778, Linguet) (1). La notion est ancienne.
Il faut donc s'attacher à donner des points de repère historiques relatifs à l'origine de cette notion, tant il est vrai que le «style aristocratique», quelles que soient les analogies que peuvent présenter sur ce point différentes civilisations, ne se laisse définir que dans un milieu culturel donné, en relation avec une situation historique précise. L'«aristocratie chinoise», ou pharaonique, ou inca, mais on risquerait alors de méconnaître l'univers mental particulier qui les explique.
Aussi ces quelques notes s'attachent-elles aux données de la tradition indo-européenne, reconnues comme fondement de la notion européenne d'«aristocratie». On a ainsi accès moins aux réalités des aristocraties historiques qu'à l'image que nous permettent d'atteindre les textes les plus anciens des cultures indo-européennes.
1.1. Le vocabulaire
Le sens du terme ayant varié au cours des temps, il convient de rechercher les valeurs premières. Si l'on se reporte au grec ancien, on se rend compte que les composés en aris- sont extrêmement nombreux, de même que les noms de personnes. C'est l'indice d'une notion traditionnelle conservée par le formulaire et comme telle révélatrice des idéaux du peuple qui l'utilise, donc une notion fondamentale.
áristos sert de superlatif à ágathós «bon», et s'applique à l'«excellent», au «meilleur», au «plus brave», au «plus noble». L'aristocrate est donc celui qui se distingue dans un emploi précis, jugé essentiel par la tradition nationale. A l'origine, l'emploi devait être guerrier, l'áristeus étant «celui qui tient le premier rang», le «chef le plus distingué, le plus brave». Chez Homère, le terme s'applique à la suite ou à l'entourage des rois (Iliade 15, 363; 23, 236, etc…), d'où l'épique ándres áristèes. L'áristeía est la supériorité, notamment la vaillance et, au pluriel, les hauts faits, les exploits qui procurent la gloire ári-prepéoos «impérissable». Aussi trouve-t-on l'adverbe ári-prepréoos «avec distinction, supérieurement». La notion de hiérarchie, ou mieux de hiérarchisation (active) des mérites n'est pas loin et se traduit dans le vocabulaire du gouvernement: áristarxéoo est «exercer la magistrature avec distinction», on classe les hommes áristíndèn «par rang de noblesse ou de mérite». L'idéal social d'áristeúoo «exceller» entretient les espérances lignagères, d'où le composé áristo-gónos «qui enfante les plus nobles fils». L'áristokratía est donc le «gouvernement des plus puissants ou des meilleurs». L'«aristocratie» est donc une notion issue de l'expérience sociale, vérifiée et somme toute relative. Elle n'est pas un concept métaphysique.
1.2. Dans la tradition indo-européenne
1.2.1. L'individu dans le groupe
On remarque l'association de l'«aristocratie», qui est un terme composé et donc secondaire par rapport à la notion d'aristeia, constatée, éprouvée dans les faits, avec les valeurs guerrières et la compétition sociale. Le rapport avec Indien arya- est probable mais le sens de ce dernier terme est discuté (2): l'arí- (avec sa personnification le dieu Aryaman) désigne la confédération des tribus qui constitue la «nation», tous ceux qui se revendiquent du même «naître»; mais en même temps qu'il désigne la communauté nationale par opposition aux non-aryens, arí- désigne l'étranger à la famille, au clan et à la tribu. Emile Benvéniste a pu écrire que le style indo-européen était «aristocratique» et Meillet n'a pas dit autre chose: l'analyse du vocabulaire hérité montre que l'indo-européen «est une langue de chefs et d'organisateurs imposée par le prestige d'une aristocratie» (3). L'étude du formulaire traditionnel confirme cette impression d'ensemble: «on y trouve l'image d'une fière aristocratie guerrière, qui aime la vie, les larges espaces, les biens de ce monde et par-dessus tout la gloire, et qui consacre à l'élevage, aux sports équestres et à la chasse les loisirs du temps de paix. Aristocratie pour qui le «caractère» (*ménos) est la qualité essentielle de l'homme, et la gloire (*kléwos «ce qu'on entend») le but suprême de l'existence» (4). Nul doute que l'organisation distendue de la «nation» entre clans rivaux et compétiteurs a favorisé la sélection de ces «aristocraties» guerrières. Tel est encore le mode d'organisation de plusieurs peuples indo-européens historiques, en particulier les Celtes de l'Antiquité et du Haut Moyen Age irlandais.
L'«aristocratie» se laisse ainsi définir comme la recherche et la maîtrise d'une perfection technique dans les activités caractéristiques de son mode de vie et génératrices de hauts faits. Les exploits du guerrier lui valent la gloire, la «bonne réputation» qui fait que l'on parlera de lui. C'est le seul moyen de conquérir l'immortalité, car la gloire est «impérissable» (formule reconstruite à partir de védique áksitan ´srávah et grec homérique kléos áphthiton (5)). Le meilleur échappera ainsi à l'anonymat de la «seconde mort» qui est le lot commun de ceux que guette l'oubli.
Comment cette idéologie d'apparence très «individuelle» s'inscrit-elle dans une doctrine sociale éminemment communautaire, entretenue par une tradition orale nécessairement supra-individuelle? C'est d'abord que la recherche de gloire profite au groupe tout entier, puisqu'elle lui assure la maîtrise du «large espace», de l'«espace pour vivre». Ainsi les cosmogonies vantent les exploits du héros qui a fixé le soleil et repoussé les Ténèbres (Indra), servant en cela l'Ordre divin et rendant possible la vie du peuple et de l'univers (libération des eaux/vaches/aurores). La victoire militaire permet aussi l'instauration du sacrifice, l'organisation mystique de l'espace, la maîtrise distinctive des champs de pouvoir (les différents ager de Rome). C'est aussi parce que la réussite individuelle renforce le sens de la lignée dont la famille, le premier des cercles de l'appartenance sociale, est l'expression synchronique: «Les devoirs envers la lignée sont ceux du système que les sociologues nomment trustee, «caractérisé par la croyance que la race, la lignée étaient la réalité métaphysique, et que l'individu n'était qu'un maillon transitoire d'une chaîne permanente de la famille idéalement éternelle, gardant le nom, la réputation, le statut et la propriété de la famille en dépôt (in trust) pendant son temps de vie. C'était la responabilité de l'individu de transmettre ce dépôt non diminué et si possible accru par sa propre conduite. L'individu acquérait l'immortalité quant la postérité et en particulier ses propres descendants se rappelaient son nom avec orgueil et honneur» (6)».
Cette conception est inséparable de la solidarité clanique (famille étant ici à entendre comme «grande famille», élargie à l'ensemble de la parenté, pratiquement l'unité réelle de la vie nationale). C'est d'ailleurs la reconnaissance de la solidarité-dépendance qui seule permet l'existence sociale. On peut résumer ainsi E. Benvéniste (7): «En latin et en grec, l'homme libre, *(e)leudheros, se définit positivement par son appartenance à une «croissance», à une «souche»; à preuve, en latin, la désignation des «enfants» (bien nés) par liberi: naître de bonne souche et être libre, c'est tout un. En germanique, la parenté encore sensible par exemple entre all. frei «libre» et Freund «ami», permet de reconstituer une notion primitive de la liberté comme appartenance au groupe fermé de ceux qui se nomment mutuellement «amis». A son appartenance au groupe –de croissance ou d'amis– l'individu doit non seulement d'être libre, mais aussi d'être soi: les dérivés du terme *swe, gr. idiotes «particulier», lat. suus «sien», mais aussi gr. étes, hetaîros «allié, compagnon», lat. sodalis «compagnon, collègue», font entrevoir dans le *swe primitif le nom d'une unité sociale dont chaque membre ne découvre son «soi» que dans «l'entre-soi».
On n'est libre que dans le mesure où on reconnaît sa dépendance de nature, on n'est une personne que dans la mesure où le groupe vous reconnaît. L'aristocratie, la première à suivre le modèle social des sodalités et des unions de lignages, avec le système complexe d'engagements réciproques qu'elles supposent, participe entièrement de cette idéologie de la cohésion sociale, de type pourrait-on dire génétique.
1.2.2. Hiérarchie des valeurs et mobilité sociale.
Les différentes sociétés issues des Indo-Européens ont conservé et cette exaltation de l'excellence sociale et le sens corollaire de la hiérarchisation: «Un ensemble formulaire constitué à partir de la racine *kens- «qualifier», «porter un jugement de valeur sur» évoque ces mécanismes complémentaires (la louange et le blâme). Ainsi la notion indo-européenne de *nára(m) ou *nárya-´sámsa «la qualification des seigneurs» est personnifiée en une entité à la fois crainte et aimée; on en retrouve peut-être le nom dans les anthroponymes grecs comme kássandros, kassándra. On se fait une mauvaise réputation (*dus-klewes) en manquant au code d'honneur de la communauté ou à l'un des devoirs de sa condition» (8).
Les idéaux, les valeurs qui permettent la sélection, l'orientation, la fixation d'un idéal type, celui d'un homme qui tient son «honneur», sont codifiés par la tradition, ensemble des formules et des schèmes notionnels transmis intangiblement (et considérés comme vrais parce que d'origine divine), qui sous-tendent les mythes, les épopées, l'onomastique, etc… (9). La qualité d'«aristocrate», si elle est favorisée par une bonne naissance, n'en est pas moins soumise à un jugement de valeur communautaire, celui du code social lui-même, et tout manquement à ce code signe le déclassement du fautif: si les dirigeants ont des privilèges, ils ont de lourds devoirs, ressorts de la fatalité historique.
A Rome, une même exigence se retrouve dans le cursus honorum et les distinctions de la titulature, amplissimus, cum primis honestus, bonus, infimo loco (10). Chez les Celtes, c'est la distinction irlandaise entre les dee «dieux» et les andee «non dieux», ces derniers étant les cultivateurs, les premiers tous les possesseurs d'un «art».
Dans tous les cas, l'homme bien doué par la nature ou les dieux chargés de la distribution des dons (nordique gaefumadhr) doit en faire la preuve et les mettre au service de son lignage et donc de son clan.
Lorsque l'homme d'exception, dont le type «littéraire» le plus connu est le héros homérique, vient à succomber sous les coups des hommes, des dieux, ou de quelque alliance des deux voulue par le destin, le drame prend des proportions démesurées et dévoile brutalement le tragique de la «valeur mortelle». Ainsi dans le récit irlandais de La Mort tragique des Enfants de Tuireann, le vieux père qui se lamente sur la mort héroïque mais injuste de ses trois fils laisse échapper cette plainte: «le pire est qu'ils n'aient pas d'égaux vivants». Même personnelle, la douleur humaine ne prend tout son sens que par le drame plus général dont elle participe: le drame de la qualité, l'atteinte irréparable faite à «ce qu'il y a de meilleur» dans l'humanité.
1.3. Hommes qualifiés et hommes du commun
Une dualité remontant à la période commune, celle des Indo-Européens indivis, est celle des hommes supérieurs par leur qualification, les *ner–es, et des hommes du commun, les *wiro–. Les premiers sont associés au sacré, les seconds au bétail. A Rome, le patriciat était détenteur des sacra face à la plèbe occupée à la troisième fonction. On se souviendra utilement que le chef de famille était à l'origine le maître du sacrifice (essentiellement familial). Remarquable est cependant la mobilité sociale des sociétés indo-européennes historiques: faible importance de l'esclavage en dehors de la Méditerranée, importance à Rome des homines noui, selon le mérite: «les Romains de la fin de la République sont persuadés de l'existence dès l'époque royale, d'une hiérarchisation fondée sur les qualités. Tite-Live prête à Tanaquil l'idée que Rome est le lieu où la noblesse et le premier rang sont promis «forti ac strenuo viro» (…) Tant et si bien que l'histoire de Rome apporte toujours en première ligne des individualités nouvelles: patriciens d'abords, plébéiens ensuite,alienigenas méritants même sont succesivement et progressivement amenés à jouer les premiers rôles» (11).
Il s'ensuit que les distinctions sociales sont marquées. Elles se fondaient à l'origine sur l'exercice de la puissance et la capacité de faire durer le groupe clanique dans les vicissitudes de l'histoire. Dans les sociétés historiques, elle s'exprime par un compromis entre la nécessaire stabilité (conservatrice) et l'appétit des nouvelles élites (dynamique). Dans tous les cas, la renommée, la gloire, la bonne réputation, héritage d'une civilisation sans écriture et d'une «shame culture» proto-historique, restent le moteur de la sélection. Significativement, le «prix de l'honneur» est en celtique brittonique l'enebwerth, le «prix du visage», un visage qu'une satire bien décochée peut à tout jamais flétrir.
1.4. Justification des hiérarchies: l'aristocratie comme principe «diurne».
Une chose est de constater l'existence d'individus mieux doués que les autres (dans un système donné, selon des critères donnés), une autre de l'expliquer. Dans leur plus ancienne religion, les Indo-Européens ont mis en rapport les comportements, les domaines éthiques avec des couleurs symboliques issues de la cosmologie. Ce rapport a été récemment souligné par le Pr. Jean Haudry dans un série d'études relatives à la cosmologie reconstruite (12). Il sert en quelque sorte de «justification» naturelle et supra-humaine au «principe d'aristocratie».
Selon la plus ancienne cosmologie indo-européenne, reconstruite, trois cieux tournent autour de la terre. Un ciel diurne blanc (*dyew), un ciel auroral et crépusculaire rouge (régwos) et un ciel nocturne noir (*ne/okwt). De ces trois cieux viennent les «trois couleurs» cosmiques: «Qu'il s'agisse du monde, de la société ou de l'être individuel, nous trouvons invariablement, à la base de la conception indo-européenne, une triade de couleurs: le blanc, le rouge et le noir. Pour l'être individuel, on parle de trois «qualités», de trois «principes spirituels»: les Indiens disent «trois fils» (guna) mais à chacun de ces «fils» est attachée une couleur: le sattva («bonté») est un principe luminueux, blanc éclatant; le rajas («l'ardeur», «passion») est un principe rouge; le tamas «inertie spirituelle» est un principe noir, la «ténèbre». Pour la société, on parle de trois «fonctions» à la suite de G. Dumézil, qui a jadis postulé imprudemment trois «classes sociales» correspondantes, comme si la vision du monde était nécessairement le reflet de la réalité sociale. En fait, comme l'indiquent le terme indien de varna et le terme avestique de pistra – désignant les trois castes aryennes–, ces castes sont fondamentalement des "couleurs" (13)».
En chacun se mêlent plus ou moins heureusement ces trois composantes. Dans le Chant de Rígr de l'Edda, Noble est blond, pâle, Karl (Paysan libre) est roux et Thraell (Serviteur) a la peau sombre. Diverses valeurs, des éthiques et des devoirs différents traduisent ces différences de participation aux trois couleurs cosmiques (qui se retrouvent aussi chez les héroïnes «aurorales» de nos contes populaires). D'autres faits (14) confirment que l'«allure» est une caractéristique du rang social. De fait, dans toutes les provinces du monde indo-européen, l'opposition des castes ou des classes est d'abord celle des caractères. Ainsi s'expliquent toutes ces légendes de fils de rois ou de nobles élevés modestement, loin de leur milieu d'origine, mais qui parvenus à l'adolescnece font la preuve de leurs vertus intrinsèques: ce qui est «par nature» ne peut se cacher longtemps. La racine *men ne désigne pas particulièrement les activités de l'intellect, mais s'applique à la puissance de la vie psychique traduite en actes, d'où l'équivalence grecque ieron ménos Alkinóoio = Alkinoos lui-même. Celui qui possède cette ardeur, cette force, est dit avoir «le caractère d'un seigneur» (*nr-menes–).
De tout cela se dégage une hiérarchie que l'on peut schématiser en l'ordonnant sur les trois «domaines d'activité» reconnus par la tradition: la pensée, la parole et l'action (15):
1. Principe clair, relatif au ciel-diurne:
- La pensée est fidèle à la tradition, droite, sans arrière-pensée, réfléchie, consciente de sa fin.
- La parole est rare, sensée, efficace, «bien ajustée» (16), parfois énigmatique (thème de la «langue des dieux»).
- L'acte est techniquement irréprochable.
2. Principe rouge, relatif au ciel-crépusculaire (et auroral):
- L'esprit est peu réfléchi, sensible aux sollicitations, tourné vers l'acte.
- La parole, parfois imprudente, provoque l'action dont elle peut être un agent (défi héroïque).
- L'action est la raison d'être de l'individu.
3. Principe noir, relatif au ciel-nocturne dans son aspect négatif:
- L'esprit est vide, irréfléchi, lent.
- La parole est pauvre ou se réduit à un vain bavardage.
- L'action est tout entière dans l'obéissance, dépourvue d'initiative personnelle.
Ce tableau ne se confond pas avec celui de la «tripartition fonctionnelle» dégagée par G. Dumézil, pas plus qu'avec le système quadriparti indien (trois castes aryennes, qui sacrifient, + les sudra). Le type supérieur qui tend vers la clarté diurne est ici celui de l'aristocratie guerrière détentrice des sacra (l'invention d'une classe sacerdotale peut être récente chez les Indo-Européens. Quoi qu'en aient dit certains auteurs, les druides celtiques ne sont que les auxiliaires de la royauté sacrée (17)). C'est à cette aristocratie que se rapportent les qualités diurnes: la perfection technique du dire et du faire, le physique irréprochable, qui signalent aux yeux de tous l'être «porteur du vrai», celui qui rayonne de la puissance magique de ce qui est «bien ajusté».
Il est facile de retrouver dans les protagonistes du mythe et de l'épopée la mise en œuvre de ces principes d'organisation. La classe aristocratique, en dépit de son endogamie protectrice et de son système d'éducation par fosterage, garant de ses alliances et de son homogénéité (d'où le sens de Germ. Edel et d'Irl. aite), n'apparaît pas figée une fois pour toutes, mais soumise elle aussi aux exigences du renouvellement comme au principe de «décadence».
Elle est d'abord, ou se doit d'être, une réalité constatée et estimée pour les services qu'elle peut rendre. Estimée d'abord par les chefs eux-mêmes, dépositaires de la tradition, et exaltée par les poètes gardiens de la mémoire nationale, mais aussi par la communauté des hommes libres. La conciliation des trois ordres de comportements, des trois natures de l'être individuel, leur mise en harmonie, leur «attelage» se manifestent dans un personnage supérieur, le roi, incarnation de son peuple. Position risquée, car le roi, qui par son nom di–rige, est le premier responsable de l'ordre cosmique. De fait, une disette, une atteinte naturelle au bien-être de la communauté, la défaveur des dieux, sont souvent interprétées comme un affaiblissement du charisme royal, de son efficacité mystique, d'où la «mort sacrificielle du roi» celtique, si bien commentée par Mme Clémence Ramnoux (18).
1.5. La décadence.
La décadence est causée par l'éloignement du principe diurne, dans l'ordre biologique, politique, moral. Chacun connaît la doctrine hésiodique des Ages du Monde et la conception indienne des Ages, le dernier étant le kali-yuga, dominé par le principe noir. Pour Platon (République 547 ss.) on passe de la «timocratie» (gouvernement de l'honneur) aristocratique à l'oligarchie ploutocratique, puis à la démocratie. L'anarchie engendre ensuite la tyrannie. La disparition, la perversion de l'aristocratie marque donc la dégradation des principes de l'«Age d'or». En outre, la décadence est liée au devenir cosmique: ce qui s'efface dans tous les ordres, c'est la capacité à reconnaître la supériorité du principe diurne (19).
1.6. Idéaltype hérité.
L'«aristocratie» indo-européenne est, pour autant qu'on se la puisse représenter, un idéal éthique, esthétique, moral, qui se retrouve à l'époque historique dans les littératures européennes qui ont hérité de la communauté originelle le fonds et souvent la forme de leurs constructions.
Mais cet «idéal» contraignant résulte bien d'un choix initial, probablement issu d'une sélection culturelle et biologique, celle qui a donné naissance, à partir d'un fond commun prénéolithique, à un peuple particulier qui en a été le propagateur. Il est permis de penser que la communauté indo-européenne indivise représente assez largement ce type moral (psychique, physique).
2. Aristocratie
et forme sociale
L'aristocratie est donc au mieux la partie «active» et «rayonnante» du peuple. Au pire, lorsque les liens sociaux sont distendus et que le sentiment de la solidarité sociale se défait, elle peut devenir une caste parasitaire, ressentie comme telle, et combattue en conséquence par un peuple qui la considère comme un «corps étranger» (ce fut le sort des aristocrates «usés» de l'Ancien Régime français).
Dans les sociétés de l'Europe préchrétienne, les devoirs des différentes «fonctions» reflètent la grande variété de l'«excellence» sociale. De même, le charisme solaire nommé xvar°nah– dans l'Avesta est triple: il y a celui des prêtres, celui des guerriers, celui des éleveurs, et c'est la perte de ces trois charismes qui entraîne la décadence du royaume de Yima.
2.1. Aristocratie/Peuple
A dire vrai, l'«aristocratie» est ce qui porte à leur perfection les qualités latentes dans l'ensemble du corps social (la*teuta). Elles sont donc l'expression d'une qualification globale, celle qui relie tous les membres de la nation, quelle que soit par ailleurs leur activité sociale. Il n'est d'aristocratie que par rapport à un ensemble qui lui donne son sens. La stérile dialectique de l'«élite« et de la «masse», qui a pris une si grande ampleur dans la pensée française (conséquence des difficultés identitaires de la «nation française» elle-même), relève d'une conception viciée du corps social. Trop souvent on définit l'élite (ce qui est «hors du rang») contre le peuple, alors que l'aristocratie, conformément à l'étymologie, devrait être le «meilleur du peuple» dans l'exercice de son «pouvoir» formateur (kratos). Comme telle il s'agit d'un faisceau de qualités, d'une veine qui peut être recouverte par d'autres courants, d'autres représentations, d'autres «aristocraties», autres par leur éthique, leur système de pensée, leur «outillage mental» et parfois mais pas nécessairement leur origine ethnique.
2.2. Finalité de l'aristocratie?
Le conflit des peuples, des classes, des idées, tout cela se recoupant de toutes les façons, est toujours, en dernière analyse, une lutte destinée à établir une aristocratie destinée à servir de modèle social et devant tôt ou tard conformer à son image les groupes dirigés, ses tributaires. Les grands systèmes égalitaires n'échappent pas à ce schéma: Prophètes, dirigeants politiques, «fondateurs» de millénarismes, il y a toujours un groupe «en avance». La supériorité spatiale des anciennes élites s'est simplement transformée en supériorité temporelle: C'est la logique des «avant-gardes».
C'est précisément la nature égalitaire ou inégalitaire de l'idéologie dominante qui fonde la raison d'être de l'aristocratie, sa finalité. Le contraste entre les sociétés égalitaires qui imposent à tous un stéréotype d'humanité, et les sociétés différentialistes de type holiste qui tolèrent et requièrent le jeu de plusieurs idéaltypes à l'intérieur de la même «vue-du-monde» (type des «trois fonctions») se traduit dans l'appréhension même du temps et du devenir. Alors que les premières sont généralement progressistes et entendent trouver la fin de l'espèce dans la fin de l'histoire, les secondes, sensibles à la notion cyclique de décadence, recherchent leur fin dans une réalisation historique vouée à de perpétuelles métamorphoses. Pour elles, la fin de l'humanité ne se trouve pas dans un au-delà inaccessible, mais dans la difficile réalisation d'un idéal humain tenu pour supérieur (i.e. aristocratique). Un tel idéal est par nature soumis à l'usure du temps, il n'est jamais «achevé», il doit donc toujours être «construit». C'est pourquoi l'appel aux forces divines et les qualités supra-humaines du héros sont fréquemment exposés sur le mode tragique dans les mythes et les épopées de l'Europe antique: réduit à lui-même, privé du secours de ses dieux, l'individu ne pourrait se hausser jusqu'à la sur-nature que sa tradition nationale lui fait un devoir d'atteindre. Mais l'humanité «ordinaire» n'est pas tenue à une telle «héroïsation», qui reste exceptionnelle. On sait qu'elle a, par nature, d'autres préoccupations.
3. Recours à la tradition?
Il n'est pas illégitime de s'interroger sur le sens que peut garder aujourd'hui, dans le monde tel qu'il est, ce que nous pouvons atteindre de la «tradition indo-européenne». On peut le faire, conscient qu'une tradition ne s'efface jamais tout à fait pour peu qu'elle soit transmise, (et à la condition de ne pas se laisser enfermer dans la systématique du «traditionnalisme» intégral et universel d'un René Guénon ou d'un A.K. Coomaraswamy). On constatera qu'à l'évidence, les fins de la société occidentale sont fort peu compatibles avec les «valeurs héritées». Cas de figure expressément prévu par la tradition elle-même, sous les vocables d'«âge noir», d'«âge de fer» ou de «mauvais temps» (olc aimser irlandais de la Prédiction de la Bodb), d'ailleurs équilibré par la croyance, elle aussi cyclique, au retour progressif de l'«âge d'or» (20).
Mais enfin, les questions fondamentales auxquelles toute tradition se veut une réponse —à cet égard, l'humanité n'est qu'un concert d'imprécations—, n'ont pas changé: quelle configuration donner à la cité? Quelles limites dessiner? Quels interdits formuler? A qui attribuer le titre de bonus uir, de uir integer? Par quoi définir le sens d'un «bien», qui doit être aussi celui d'un «mal»? Et, dans ce cas, quelles définitions donner d'une éventuelle «aristocratie»? A cela, quelques remarques et deux textes anciens serviront non de «réponse» (il n'y a pas de réponse à ces questions) mais d'accompagnement:
a) Si l'«aristocratie» est le «gouvernement des meilleurs», on se souviendra qu'aristos est utilisé comme superlatif d'agathos «bon». L'aristos n'est qu'une concentration exceptionnelle de «ce qui est bon». Les aristoi sont les individus qui manifestent avec le plus de force ce «bien» qui donne à leur cité force et éclat. Le «gouvernement» des meilleurs révèle en fait, qu'il se traduise ou non en institutions politiques, la puissance d'attraction de «ce qu'il y a de meilleur dans le peuple». En ce sens, la reconnaissance d'une aristocratie est intimement liée à la conscience du bien commun.
b) Considérée non comme une caste mais comme un principe de vie, l'aristocratie échappe à la définition sommaire. Chaque fonction a son idéal, chaque ordre a ses aspirations. Mais la figure de l'aristocrate, échappant aux catégorismes étroits, surmonte l'histoire et lui survit comme un regret, un sarcasme ou une menace.
c) L'aristocrate n'est donc pas nécessairement celui qui dit les valeurs, les décrit, les représente; ce n'est pas celui qui les explique, c'est celui qui les incarne.
d) C'est par l'aristocratie que le peuple a connu ses dieux et s'est constitué en puissance. L'aristocratie est ainsi la face claire du peuple, ce qui lui donne son immortalité et sa mémoire, lui rappelle son origine, lui dicte ses espérances.
e) L'acte aristocratique par excellence est donc celui qui étend au sein du peuple le pouvoir du bien, tel que le définit la tradition, dans son vocabulaire, ses mythes, ses exempla.
Mot usé et galvaudé, lié à des moments parfois bien douteux de l'histoire, et généralement manié à tort et à travers, sans doute vaut-il mieux réduire l'usage argumentaire de l'«aristocratie» et de son «aristocratie». Chacun peut se passer du mot. Mais chacun peut aussi entretenir en lui la part de bien qui lui est fixée, et veiller à protéger, à garantir, à étendre au sein du peuple la part divine qui le rendra meilleur (21). C'est cela qui est indispensable.
Est-il tellement vain ou audacieux de penser que l'Aristocratie, c'est notre peuple quand nous l'aurons rappelé à l'existence?
4. Deux textes
pour s'éclairer
Pour comprendre et méditer, rien de mieux qu'un recours à notre mémoire la plus ancienne. Voici un passage de l'Avesta iranien qui nous dévoile la sollicitude du «Seigneur sage» pour ses créatures menacées par l'arrivée du grand hiver cosmique. (Zend–Avesta, Vendidad, fargard 2, traduction Darmesteter, Paris 1892, p.20 ss.).
Ahura-Mazda dit à Yíma fils de Vîvanhat (§ 22 ss.):
«Voici que sur le monde des corps vont fondre les hivers de malheur, apportant le froid dur et destructeur. (…) Et tout ce qu'il y a d'animaux dans les lieux les plus désolés et sur le sommet des montagnes et dans les profondeurs des campagnes se réfugiera de ces trois lieux dans des abris souterrains (…). Fais-toi donc un var (abri) long d'une course de cheval sur chacun des quatre côtés. Porte là les germes du petit bétail et du gros bétail, et des hommes, et des chiens, des oiseaux, et des feux rouges et brûlants (…) (§ 27). Tu apporteras là des germes d'homme et de femme, les plus grands, les meilleurs, les plus beaux, qui soient sur cette terre (…) (§ 28) (…). Et ces germes, tu les mettras là par couples pour y rester sans périr, aussi longtemps que ces hommes resteront dans les vars (§ 29). Il n'y aura là ni difforme par devant ni difforme par derière, ni impuissant, ni égaré; ni méchant, ni trompeur; ni rancunier, ni jaloux; ni homme aux dents mal faites, ni lépreux qu'il faut isoler; ni aucun des signes dont añgra Mainyu (le mauvais esprit) marque le corps des mortels» (§ 39). «Quelles sont les lumières, ô saint Ahura-Mazda, qui éclairent dans le var qu'a fait Yíma?» (§ 40). «Ahura-Mazda répondit: «les lumières faites d'elles-mêmes et des lumières faites dans le monde. La seule chose qui manque là, c'est la vue des étoiles, de la lune et du soleil et une année ne semble qu'un jour». (§ 41) (…) et ces hommes vivent de la plus belle des vies dans le var fait par Yíma».
Et un passage tripa? de la Grèce ancienne: Tyrtée, fragment 12:
«Je ne songe pas», dit Tyrtée, à louer un homme parce qu'il court vite et qu'il est bon lutteur, ni s'il a la taille et la force de Cyclones, ni s'il vainc Borée à la course, ni s'il est plus beau que Tithonos, plus riche que Midas, que Cinyras, ni s'il est roi plus que Pélops, plus éloquent qu'Adraste, ni s'il se targue de quelque gloire que ce soit, en dehors du courage. Tenir bon dans la bataille, au moment où l'ennemi serre de près, c'est cela, la valeur, et cette louange-là, plus belle que toute autre, est celle qu'un jeune homme doit souhaiter». Cité par M. Delcourt, Légendes et cultes de héros en Grèce, Paris, PUF, 1942, p. 74.
Philippe JOUET.
Notes
(1) Dauzat, Dubois, Mitterand, Dict. étym. de la langue fr., Paris, 1971.
(2) E. Benveniste, Le Vocabulaire des institutions indo-européennes, I, Paris, 1969, p. 367 s., G. Dumézil, «L'arî et les Aryas» in Les Dieux souverains des Indo-Européens, Paris, 1977, p. 233-251.
(3) Introduction à l'étude comparative des langues indo-européennes, 1937, p. 47.
(4) J. Haudry, Les Indo-Européens, «Que sais-je?» n° 1965, Paris, P.U.F., p.15.
(5) Kuhn, in K. Zeitschrift, 2, p. 467; relevée dans Schmitt, Dichtung und Dichtersprache in indogermanischer Zeit.
(6) C.C. Zimmerman, in J. Haudry, op. cit., p. 32.
(7) op. cit., I, p. 321 s.
(8) Haudry, op. cit., p. 17.
(9) On trouvera une excellente définition de la «tradition indo-européenne» dans le n° 21 de la revue Etudes Indo-Européennes, Institut d'Etudes I-E, Fac. des Langues, Université Jean Moulin, 74, rue Pasteur, 69007 Lyon. Ici abrégé EIE.
(10) Guy Achard, «La société romaine à la fin de la République, une société de classes?», EIE 15, p. 33-42.
(11) G. Achard, loc. cit., p. 40-41.
(12) L'Information grammaticale, n°29, p. 3-11, «La tradition indo-européenne au regard de la linguistique», La Religion cosmique des Indo-Européens, Archè/Les Belles Lettres, Milan/Paris, 1987.
(13) Haudry, art. cit., p. 5-6.
(14) Dans EIE 15, p. 43-50. Une étymologie nouvellement proposée interprète par trois verbes de mouvement les noms des trois classes de la société germanique: °erla d'une racine signifiant «s'élever», le nom de l'Homme libre de °ger- «se mouvoir», le nom du Serviteur de °trek- «courir, se hâter», donc trois manières de se déplacer, perçues différentiellement.
(15) Schème notionnel indo-européen. Voir B. Schlerath, Gedanke, Wort und Werk im Veda und im Awesta, in Antiquitates Indogermanicas, Gedenkschrift für H. Güntert, Innsbruck, 1974. Nouvelles attestations dans EIE 9, p. 36.
(16) Lalies, 2, revue, Paris, 1981.
(17) Cf. Ph. Jouët, L'Aurore celtique, à paraître.
(18) Dans une série d'études remarquables récemment rééditées: Le Grand Roi d'Irlande, éd. L'Aphélie, Perpignan, 1989.
(19) La notion de décadence a été récemment revisitée par J. Haudry, EIE 1990, p. 99 s. Il semble bien qu'initialement une phase «ascendante» répondait à la phase «descendante» des cycles; cette phase de «progrès» comportait elle-même plusieurs «âges».
(20) Voir la note précédente et les considérations relatives au «roi caché du monde à venir» dans Haudry, Religion cosmique.
(21) Lire P. Simon, «Le sacré: unité du monde et destin du peuple, in Nouvelle Ecole, revue, Paris, n° 37.
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vendredi, 30 janvier 2009
La invasion de Italia por los galos y sus consecuencias para la Republica Romana
![]() La invasión de Italia por los galos y sus consecuencias para la República Romana por Gonzalo Fernández / http://www.arbil.org/ Una de las historias/leyendas constitutivas de Roma | |
El siglo IV a.C. empieza en Roma con su conquista de la ciudad etrusca de Veyes en 395 a.C. tras un asedio de diez años. Veyes está situada en la margen septentrional del Tíber a la que los latinos llaman latus tuscum (costado etrusco). Roma tiene problemas con Veyes a lo largo del siglo V a.C. por la disputa entre ambas ciudades por el dominio de Fidenas que controla la Vía Salaria o camino por el que la sal llega a Roma. Marco Furio Camilo conquista Veyes en 395 a.C. y esto acarrea cuatro efectos en Roma - La génesis en la Urbe de una poesía épica gentilicia que canta las hazañas de sus héroes (vg. Aulo Cornelio Caso y Marco Furio Camilo) durante las varias contiendas con Veyes. Esa épica gentilicia pasa luego a los analistas y de éstos a Tito Livio quien la recoge en sus Décadas. En nuestros días se conocen esas hazañas por medio de los relatos en prosa de Tito Livio - El paso de una organización gentilicia de la milicia urbana a otra estatal durante el asedio de Veyes - La metamorfosis de Roma desde una ciudad-estado a un estado territorial con la ocupación de los primeros territorios transtiberinos - El dominio de la Vía Salaria Los galos en Italia El éxito romano con Veyes pronto va a verse empañado por la llegada de los galos a la Península Itálica. Hacia 400 a.C. unas tribus galas atraviesan los Alpes. Son los galos senones, ínsubres, cenómenos, lingones y boios. En Italia se apoderan de las colonias etruscas de Lombardía, el Trentino y la Emilia entre las que destacan las actuales ciudades de Milán, Trento y Bolonia. Los etruscos habían llegado hasta los Alpes desde la zona originaria de su cultura que se extiende entre los ríos Arno y Tíber a la que se puede llamar Etruria Nuclear o Propia. En su marcha hacia el norte los etruscos dominan a los habitantes de aquellas zonas de la misma manera con la que sujetan a los villanovianos aborígenes de la Etruria Nuclear: creando un sector dominado de la población parecido a los hilotas en Esparta o a los pies de polvo de Tesalia dentro del mundo griego. El control de los aborígenes por los etruscos es menor en Lombardía, Trentino y Emilia que en la Etruria Propia. Además las colonias etruscas allende el Arno tienen menor importancia que las ciudades-estado de la Etruria Nuclear y sus fortificaciones son más imperfectas. Ello explica que los invasores galos conquisten con tanta facilidad Lombardía, Trentino y Emilia. Además los aborígenes sometidos a los etruscos en aquellas regiones no ofrecen resistencia a los galos pues igual les da verse dominados por los etruscos que por los galos. Los galos intentan ocupar el Véneto. Sin embargo allí topan con una fortísima oposición de los vénetos. Los vénetos se hallan menos avanzados culturalmente que los etruscos pero no tienen esos sectores dominados que no hacen resistencia a los galos. Esto hace que los galos no puedan ocupar el Véneto. Una de esas tribus galas es la de los senones. Sus miembros descienden por el litoral adriático de la Península Italiana tras verse rechazados por los vénetos. Los senones se dirigen hacia la Etruria Nuclear y el Lacio. Atacan la ciudad etrusca de Clusio. Acto seguido marchan contra Roma. Los romanos intentan frenarles en la batalla del río Alia. Su fecha se discute entre 390 y 387 a.C. La batalla del río Alia supone un desastre total de la milicia urbana de Roma. A lo largo de toda la historia del Pueblo-Rey el aniversario de la derrota de Alia figuraba en los calendarios como el dies alliensis (día de Alia). El dies alliensis recibe asimismo las calificaciones de dies religiosus (día religioso), dies nefastus (día nefasto) y dies fatalis (día fatal). El dies alliensis supone una auténtica jornada de luto nacional en cuyo decurso se prohíben en Roma todas las actividades públicas y privadas. Los galos senones en Roma La analística narra que tras la debacle del río Alia los galos se dirigen a Roma. Al llegar a la Ciudad Eterna los senadores les esperan inmóviles en el edificio del Senado. Los galos creen que los senadores son estatuas hasta que uno de ellos mesa la barba a un senador. Éste abofetea al galo desencadenándose la matanza de los senadores. Los romanos se refugian en el Capitolio. El jefe de los galos de nombre Breno ofrece la rendición a Roma a cambio de un botín en oro con su célebre sentencia Vae victis (!Ay de los vencidos!) . Al oírlo Marco Furio Camilo (el vencedor de Veyes en 395 a.C.) contesta con una frase lapidaria nec cum auro sed cum ferro (no con oro sino con hierro) que empuja a los romanos a tomar las armas y a rechazar a los galos de la Urbe. Todo esto es muy bello pero no tiene consistencia histórica. La arqueología demuestra que en la primera mitad de la segunda década del siglo IV a.C. Roma queda destruida por completo. Incluso es probable que los supervivientes hubieran de pagar un tributo en oro a los galos senones para que éstos no se quedaran en Roma. Así lo hacen y se trasladan al norte de los ríos Arno y Rubicón donde se establecen con sus hermanos de etnia ínsubres, cenómenos, lingones y boios. Por tanto los latinos llaman Galia Cisalpina a la zona de Italia al norte de los ríos Arno y Rubicón y cuyo eje viene dado por la corriente fluvial del Pó. La ciudad etrusca de Ceres y el ataque de Breno a Roma Mucho más interesante es la noticia de Plutarco en sus Vidas Paralelas correspondiente a la biografía de Marco Furio Camilo. Plutarco recoge un texto de Aristóteles donde el Estagirita afirma también en Italia ha habido una resistencia a los galos, y que Roma se salvó gracias a un tal Lucio. Aristóteles se refiere al plebeyo Lucio Albino. Antes de que Breno cierre el cerco de Roma Lucio Albino recoge los sacra de la Ciudad Eterna que son los objetos que Eneas había salvado de Troya según la tradición. Entre aquellos sacra el más venerado es el Paladión. El Paladión consiste en una estatua de la diosa griega Palas Atenea (la Minerva de los romanos) supuestamente caída del cielo en el momento fundacional de Troya que Eneas salva antes de la entrada de los aqueos en la ciudad y lleva consigo a Italia. Lucio Albino traslada a la ciudad etrusca de Ceres los sacra de Roma, las Vestales y el fuego sagrado de la Urbe que las vestales guardan. Una vez pasado el peligro galo Roma agradece la ayuda de Ceres concediendo a sus habitantes el ius ceritium (derecho de los cérites). El ius ceritium otorga a los cérites la civitas sine suffragio es decir la ciudadanía romana menos las capacidades de votar en las elecciones (ius sufragii), acceder a las magistraturas romanas (ius honorum) y servir en la milicia urbana de Roma (ius militiae). Los cérites poseen el ius comercii (derecho a comerciar con ciudadanos romanos), ius conubii (derecho a casarse con ciudadanos o ciudadanas romanas), ius provocationis (derecho a ejercer la provocatio ad populum o posibilidad de apelar ante los comicios curiados en la Urbe de las decisiones de los magistrados romanos que consideren lesivas a sus intereses), ius actionis (posibilidad de acudir a los tribunales de justicia del Pueblo-Rey) y testamenti factio activa (capacidad de testar) y pasiva (posibilidad de beneficiarse de un testamento) reconocidas en Roma. Este último derecho permite a los cérites beneficiar en sus testamentos a ciudadanos romanos (testamenti factio activa) o beneficiarse de testamentos hechos por ciudadanos romanos (testamenti factio pasiva). En esta época el ius ceritum aporta una situación muy favorable a los cérites pues el ius suffragii, el ius honorum y el ius militiae lo ejercen en Ceres que es su ciudad natal y su sitio habitual de residencia. A comienzos del siglo IV a.C. los cérites tienen las ventajas de la ciudadanía romana pero no sus cargas. Con el paso del tiempo el ius ceritum adopta un sentido más negativo cuando Roma lo otorga a extranjeros que no son cérites y viven en la Urbe pues éstos no pueden participar en la vida política de la Ciudad Eterna ni como electores ni como elegidos. Los efectos en Roma de la invasión gala Una vez pagado el tributo y conseguida la marcha de los galos senones la República Romana toma dos iniciativas: - La reconstrucción completa de la Ciudad incluidas sus murallas - La creación de la legión como unidad básica de la milicia urbana con 6.000 hombres que se dividen según la edad en las tres líneas sucesivas de príncipes (los más jóvenes en la primera línea), hastados (los menos jóvenes en la segunda línea) y triarios (los maduros en la tercera línea) ·- ·-· -······-· Gonzalo Fernández, Bibliografía Básica BARFIELD, L. Northern Italy. Londres, 1971. BERNAGOZZI, G. La storiografia romana dalle origini a Livio. Bolonia, 1953. BLOCH, R. Tite Live et les premiers siècles de Rome. París, 1965. EISEN, K.F. Polybiosinterpretationen. Beobachtungen zu Prinzipien griechischer und römischer Historiographie bei Polybios. Heidelberg, 1966. HARRIS, W.V. Rome in Etruia and Umbria. Oxford, 1971. HUBEAUX, J. Rome et Véies. París, 1958. HUBERT, H. Les Celtes depuis l'époque de La Tène et la civilisation celtique. 3ª ed., París, 1958. MAZZA, M. Storia e ideologia in Livio. Per un analisi storiografico della Praefatio ab Urbe condita. Catania, 1966. PETZOLD, K.E. Studien zur Methode des Polybios und zu ihrer historischen Auswertung. Munich, 1969 SORDI, M. I rapporti romano-ceriti e l'origine della civitas sine suffragio. Roma, 1960. TOZZI, P. Storia padana antica. Milán, 1972. WOLSKI, J. La prise de Rome par les celtes et la formation de l'annalistique romaine, Historia, 5, 1956, págs. 24 - 52 |
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lundi, 26 janvier 2009
Alsace: commémoration du massacre de Türckheim
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Commémoration du massacre de Turckheim
Le samedi 31 janvier, à Turckheim, JEUNE ALSACE va commémorer nos ancêtres alsaciens massacrés par les armées de Turenne. La commémoration se déroulera face au monument humiliant érigé en l’honneur du criminel de guerre présenté comme un héros.
Rendez-vous à 15h sur le parking de la gare de Turckheim, le samedi 31 janvier 2009.
TURENNE, CE CRIMINEL DE GUERRE QUI NARGUE LES ALSACIENS…
Mise en contexte
En 1648, le traité de Westphalie met fin à une longue et cruelle guerre de trente ans. L’Alsace a perdu 50% de sa population. Le landgraviat de Haute-Alsace et le bailliage de Haguenau, anciennes possessions habsbourgeoises, sont annexées par Louis XIV. Les villes libres impériales de la Décapole (union de dix villes libres alsaciennes) et Strassburg refusent cependant de jurer fidélité au Roy. La guerre de Hollande (1672-1678), permettra de briser dans le sang et les cendres les derniers îlots de résistance que sont les villes de la Décapole et de mettre en échec le Saint Empire afin d’assoir définitivement sa domination totale sur l’Alsace (qui deviendra une véritable province avec la reddition de la ville de Strassburg en 1681).
Turenne réduit Turckheim en cendres
En janvier 1675, Turenne et ses troupes mirent à sac Turckheim, massacrant les Alsaciens qui n’étaient pas parvenus à fuir, allant jusqu’à couper les seins des femmes. Un tiers environ de la population périt à cause de cet homme que l’histoire nous présente comme un héros. Héros peut-être de la France conquérante de l’époque car il remporta une bataille décisive dans la conquête de l’Alsace, mais avant tout bourreau pour les Alsaciens, car il commit ses méfaits dans l’ensemble de la région. « Les habitants d’Alsace ne rentreront chez eux que lorsqu’ils apprendront que l’armée de Turenne ne sera plus dans la Province », constatait alors l’administration de l’époque.
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L’humiliation d’un monument érigé en son honneur !
Quelques siècles plus tard, la place principale de Turckheim et un monument rendent hommage à Turenne lui-même ! On peut y lire que Turenne serait pleuré des Alsaciens…difficile de faire pire insulte.
L’aliénation des Alsaciens
Les Alsaciens ont de profondes questions à se poser face à cette histoire falsifiée, reconstituée. Ce monument est une humiliation crachée à leur figure. Aucun peuple ne saurait accepter que l’on chante les louanges d’un criminel de guerre, à l’endroit même de sa forfaiture.
Nous devons être maîtres de notre histoire
L’éducation de nos enfants se décidant encore et toujours depuis Paris, les programmes scolaires n’abordant même pas notre propre histoire alsacienne, il n’est guère étonnant que les Alsaciens prennent les criminels de guerre pour des héros…
Voilà certainement le problème de fond : nous devons être maîtres de notre histoire, celle-ci ne doit pas nous être dictée.
Le 31 janvier, devant l’obélisque de l’humiliation dédiée à Turenne, nous allons montrer que les Alsaciens ont encore le sens de l’honneur et qu’un tel monument, insultant, n’a pas vocation à exister sur notre sol.
Venez nombreux pour réclamer que ce monument soit démantelé et surtout remplacé par un monument en l’honneur des martyrs alsaciens !
Source: Jeune Alsace
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vendredi, 23 janvier 2009
Die Varusschlacht - Der germanische Freiheitskrieg
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ca. 256 Seiten, € 16,90 [D]
Das alles und noch viel mehr weiß Focus-Redakteur Christian Pantle auf ebenso kenntnisreiche wie unterhaltsame Weise zu beantworten. Im Stil einer Reportage führt er uns an die Anfänge unserer Zeitrechnung, als die antike Supermacht im Zenit ihrer Machtentfaltung stand und dabei war, sich große Teile Germaniens einzuverleiben. Mit der spektakulären Niederlage am Teutoburger Wald wendete sich das Blatt in dem fast dreißigjährigen Krieg - mit bis heute spürbaren Folgen für die Geschichte Europas. Pantle versteht es glänzend, das dramatische Schlachtgetümmel plastisch zu schildern und die Protagonisten lebendig werden zu lassen. Wir erfahren Neues über die jüngsten archäologischen Funde, lernen den Schauplatz des Geschehens kennen und staunen über die geniale Taktik, mit der Arminius seinen Gegenspieler in die Falle lockte. Abbildungen, Schaubilder und Karten ergänzen Pantles Bericht und machen das Buch zur idealen Einführung in eines der spannendsten Kapitel unserer Geschichte.
00:10 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : archéologie, antiquité germanique, antiquité romaine, allemagne, histoire, militaria | |
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lundi, 19 janvier 2009
La "Nouvelle Revue d'Histoire" n°40 / USA: la fin du rêve?
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08:21 Publié dans Revue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : etats-unis, revue, histoire, américanisme, anti-américanisme | |
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Armeense genocide
gevonden op: http://klauwaert.blogspot.com
Volgens de Armeniërs, daarin gesteund door een toenemend aantal landen, resulteerden de deportaties en moordpartijen die toen plaats vonden in een door de toenmalige autoriteiten strikt geplande en uitgevoerde genocide. De Turken zelf leren op school dat de gebeurtenissen het gevolg waren van oorlogsomstandigheden.
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Op internet sprongen de anti-campagnes als paddestoelen uit de grond ("Het spijt ons niet"), her en der kwamen groepjes manifestanten op straat, en ook de legertop, een aantal ambassadeurs op rust en de premier distantieerden zich in felle bewoordingen van het initiatief dat volgens hen "het verkeerde signaal was". Alleen president Abdullah Gül, die in 2008 zelf toenadering zocht tot zijn Armeense ambtgenoot, bleef op de vlakte in zijn evaluatie. Gül verwees naar de vrijheid van meningsuiting in Turkije.
Maar nu zet de openbare aanklager in Ankara een volgende en meer verregaande stap in een poging de campagne te counteren. Hij diende klacht in tegen de campagnevoerders en haar sympathisanten op basis van het beruchte strafwetartikel 301, dat stelt dat belediging van de Turkse natie en identiteit strafbaar is.
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De actie probeert het stilzwijgen en de onwetendheid dat volgens de initiatiefnemers rond "de Armeense kwestie hangt" te doorbreken. De Nederlandstalige verklaring op de website van "Het spijt me" luidt: Ik kan naar eer en geweten niet accepteren hoe onverschillig er wordt omgegaan met de grote catastrofe waaronder de Ottomaanse Armeniërs hebben geleden in 1915, noch met de ontkenning ervan. Ik veroordeel dit onrecht en op persoonlijke titel wil ik mijn gevoelens en pijn delen met mijn Armeense broeders en zusters en ik bied mijn verontschuldigingen aan.
De aanklacht loopt niet alleen tegen de initiatiefnemers van "Het spijt me", maar ook tegen de bijna 28.000 mensen die hun handtekening plaatsten onder de verklaring.
Eerder al kwamen in Turkije intellectuelen in moeilijkheden omdat ze op basis van "belediging van de Turkse natie en identiteit" in diskrediet gebracht werden. Een aantal daarvan werden het slachtoffer van intimidatie, geweld en zelfs moord. Mensenrechtenorganisaties en ook de Europese Unie vragen aan Turkije om die reden de afschaffing van strafwetartikel 301.
Voor de ene genocide is het verboden ze te ontkennen, voor de andere verboden ze te erkennen.
Is het wel de taak van staten om bij wet te bepalen hoe de geschiedenis is verlopen?
Of zouden we dat niet beter overlaten aan historici?
00:20 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, turquie, arménie, génocide, proche orient, islam, orthodoxie | |
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mercredi, 14 janvier 2009
De nazaten van Djengis Khan
Djengis Khan, geboren als Temudjin rond 1167, verloor al op jonge leeftijd zijn vader en leefde als uitgestotene jarenlang in uiterst precaire omstandigheden. Na vele omzwervingen en tegenslagen werd hij in 1206 in een kuriltai (samenkomst van alle stamleiders) verkozen tot Grote Khan van de door hem verenigde Mongolenstammen. Hij teisterde als een ‘gesel Gods’ het grootste deel van Azië, met een door hem gecreëerde, schier onoverwinnelijke strijdmacht.
Niet alleen was dit leger optimaal toegerust (door de inzet van reservepaarden, het dragen van een zijden onderhemd dat het verwijderen van pijlen uit schotwonden vergemakkelijkte, het gebruik van een geavanceerde composietboog), ook de strijdwijze was zeer effectief. Mongolen vernietigden hun tegenstanders door manoeuvrerend op hun snelle paarden een regen van pijlen af te schieten en het vrijwel nooit op een man-tegen-man gevecht te laten aankomen (daarbij waren ze kwetsbaar). Ook adopteerden ze gretig de militaire innovaties van over-wonnen tegenstanders: belegeringswerktuigen, buskruid, zelfs schepen. Ze verpletterden niet alleen de fine fleur van het Europese ridderschap, maar ook de tot dan toe zo succesvolle moslimlegers.
Djengis had vele concubines, maar de enige nakomelingen van belang waren de vier zonen die hij verwekte bij zijn vrouw Börte. De afkomst van de oudste, Jodji, was verdacht (kort na hun huwelijk werd Börte door tegenstanders van Djengis ontvoerd en verkracht), maar hij behandelde hem niet anders. Alle zoons kregen grote leengebieden (ulus) toegewezen. Djengis stierf in 1227 en werd opgevold door zijn bekwame, maar drank-beluste derde zoon Ögödei, die de scepter doorgaf aan zijn verwaten spruit Güyük. Deze volgde hem spoedig in het graf, waarmee deze tak als factor van betekenis uitstierf. De nazaten van zijn drie andere zonen vestigden afzonderlijke khanaten.
Batu, de tweede zoon van de eveneens in 1227 gestorven Jodji, breidde het hem toegewezen leengebied in het noordwesten van het rijk met behulp van de briljante generaal Subodai uit tot voorbij Moskou en roofde Polen en Hongarije leeg. Hij perste zulke gigantische tributen af van zijn Russische vazallen, dat zijn fabelachtig rijke clan de bijnaam de Gouden Horde kreeg. Na een zeer korte heerschappij van zijn zoon en kleinzoon ging de macht naar zijn tot de islam bekeerde jongere broer Berke. De laatste nazaat van Djengis, Berdebek, stierf in 1335, maar de Gouden Horde overleefde onder andere leiders tot 1502.
De bescheiden tweede zoon Djaghatai, die aan het hoofd van het dagelijkse bestuur van het rijk stond, kreeg de gebieden van de Kara-Kitai en Transoxanie in Centraal Azië (het huidige Afghanistan en de omringende landen) en had het daarmee niet echt goed getroffen.
Tolui kreeg het ‘hart van Mongolië, waarop hij als laatstgeboren zoon vanuit de traditie recht had. Hij stierf in 1233, maar dankzij de capaciteiten van zijn vrouw Sorghahtani Beki, een geboortige christin die door een Perzische historicus werd beschreven als “buitengewoon intelligent en bekwaam en hoog boven alle andere vrouwen op aarde verheven”, werd deze lijn de meest succesvolle. Ze sloot een bondgenootschap met Batu en wist in 1251 haar oudste zoon Möngke tot Grote Khan te laten kronen. Deze werd acht jaar later opgevolgd door zijn jongere broer Kubilai, na een burgeroorlog met de jongste zoon Arik Böke, die populair was onder de conservatievere Mongolenleiders omdat hij niet ‘verpest’ was door een leven in luxe.
Möngke en Kubilai onderwierpen China (dat door hun voorgangers alleen was geteisterd met roofovervallen) en Kubilai, de grootste van de Grote Khans, wijdde vrijwel al zijn tijd aan het bestuur van dit rijk. Door het herstellen van rust en orde, het bevorderen van de landbouw en het aanknopen van handelsbetrekkingen bloeide China weer op. Hij stichtte een nieuwe dynastie, de Juan, die een eeuw later door een volksopstand onder leiding van de eerste Ming-keizer aan zijn eind kwam.
Hülagü, de tweede zoon van Tolui, liep Perzië onder de voet en hield op afschrikwekkende wijze huis in het Midden-Oosten: hij veroverde o.a. Baghdad en ruimde bijna 200 ‘Assassijnen-nesten’ op (waarvoor velen hem zeer dankbaar waren). Hij was de christenen gunstig gezind: een belangrijk deel van zijn leger bestond uit Armeense en Georgische christenen en de christenen in de veroverde steden werden gespaard, terwijl alle moslimmannen aan het zwaard geregen werden en de vrouwen en kinderen als slaven naar het oosten werden versleept. Hij bood de kruisridders en de christelijke vorsten in Europa herhaalde malen een bondgenootschap tegen de islamieten aan, maar de eersten verkozen de kat uit de boom te kijken en de laatsten waren de ravage die door Batu in Oost-Europa was aangericht nog niet vergeten. Ze gingen niet op het aanbod in –een fatale vergissing. Hülagü’s positie werd bovendien verzwakt door een conflict met Berke, die liever niet zag dat zijn moslimbroeders in het Midden-Oosten werden uitgeroeid.
Iedere keer als een Grote Khan stierf werden van heide en verre leiders bijeengeroepen om in een kuriltai een nieuw opperhoofd te kiezen. De veroveringstochten werden dan afgebroken. Zo trok Batu zich bij een dergelijk gelegenheid terug uit Polen, Hongarije en het westelijk deel van Rusland en Hülagü uit het Midden-Oosten. Vaak was men het niet onmiddellijk eens en duurde het jaren voor de opvolger bekend was. Dit betekende uiteindelijk de redding van Oost-Europa en de islam in het Midden-Oosten.
Nadat Hülagü zich met het grootste deel van zijn troepen had teruggetrokken uit Syrië en het stroomgebied van de Eufraat bleef er nog slechts een klein Mongolenleger achter. Kortzichtige kruisvaarders besloten de Egyptische Mamelukken-generaal Qutuz vrije doortocht te verlenen en deze wist de Mongolen, die onder bevel stonden van de christelijke generaal Ked-Buka, bij Ain Jalut een vernietigende nederlaag toe te brengen -de eerste en de laatste keer dat de Mongolen verslagen zijn. Het Midden-Oosten was voor de islam veilig gesteld en kort daarop vielen de laatste kruisvaarderbolwerken.
Het rijk van Hülagü en zijn nazaten (de Ilkhans) beperkte zich voortaan tot Perzië. Het gebied bleef onrustig en Ghazan de Hervormer, die in 1295 aan de macht kwam, besloot de banden met zijn onderdanen aan te halen door zich tot de islam te bekeren. Hij werd nagevolgd door de meeste van zijn bevelhebbers. Zijn neef Abu Sa’id was de eerste khan met een islamitische naam –en tevens de laatste, want hij had geen kinderen. De resterende Mongolen gingen geruisloos in de Perzische bevolking op.
De nazaten van Djaghatai, ook tot de islam bekeerd, leken in Centraal Azië aan het kortste eind getrokken te hebben, maar hielden het uiteindelijk nog het langste vol. Een aanvankelijk onbeduidende prins, Babur, kwam op de vlucht voor binnenlandse onrusten in Noord-India terecht en stichtte aan het begin van de 16e eeuw het Moghul Rijk, dat (uiteindelijk in sterk afgeslankte vorm) tot 1857 zou bestaan.
Bij hun veroveringstochten gingen de Mongolen met ongekende wreedheid te werk. De minste weerstand had totale vernietiging tot gevolg, maar ook de bevolkingen van steden die zich direct overgaven werden soms uitgeroeid, louter om schrik aan te jagen. Bij de verovering van Baghdad kwamen volgens Perzische bronnen tussen de 800.000 en 2.000.000 mensen om het leven. Zelfs als men aanneemt dat deze cijfers zwaar overdreven zijn, liep het aantal doden in de honderdduizenden. Daarbij vallen de 2700 islamitische krijgsgevangenen die Richard Leeuwenhart bij de strijd om Akko liet executeren en zelfs de 40.000 burgers die sneefden bij de verovering van Jeruzalem volkomen in het niet. [Het beestachtige gedrag van de Mongolen is men echter vergeten, het aanzienlijk minder beestachtige gedrag van de Kruisvaarders niet.] De rooftochten van Djengis en Ögödei in China kostten volgens schattingen ca. 30 miljoen Chinezen het leven. Dat hadden er nog heel wat meer kunnen zijn, want generaal Subodai kon er slechts met moeite van weerhouden worden 10 miljoen Noord-Chinese boeren over de kling te jagen om hun land te kunnen benutten als weidegrond voor Mongoolse paarden.
De huidige Mongolen denken echter niet met afschuw terug aan de bloederige daden van hun nietsontziende voorouders. Integendeel: de herinnering aan Djengis Khan is de reddingboei waaraan dit door het communisme vernederde volk, verdeeld over een Russische vazalstaat en een Chinese provincie, zich vastklampt. Zijn portret prijkt op talloze voorwerpen, van wodkaflessen tot tapijten, en wekt niets dan trots en nostalgie op.
Vergeleken met de vernietigingstochten van de Mongolen waren de koloniale expedities van het Westen een toonbeeld van beschaving en ingetogenheid. Hoog tijd dus om maar eens op te houden ons te wentelen in schuldgevoelens. Die zijn nergens voor nodig, want in het rijtje van de grootste schurken uit de geschiedenis nemen westerse koloniale veroveraars zeer bescheiden posities in.
Jeremia 5 januari 2009
Bron http://www.hetvrijevolk.com/?pagina=7618
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mercredi, 07 janvier 2009
Walter Flex: une éthique du sacrifice au-delà de tous les égoïsmes
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Robert STEUCKERS:
Walter Flex: une éthique du sacrifice au-delà de tous les égoïsmes
Né à Eisenach en 1887, Walter Flex a grandi dans une famille de quatre garçons: son frère aîné, Konrad, qui a survécu à la tourmente de la guerre, et deux cadets, Martin, qui mourra des suites de ses blessures et d'une pneumonie en 1919, et Otto, qui tombera en France en 1914. Son père décèdera en juillet 1918 et sa mère en octobre 1919. Konrad Flex, seul survivant de cette famille unie, préfacera en 1925 les deux volumes des œuvres complètes de son frère. Le père Rudolf Flex était un grand admirateur de Bismarck; esprit religieux, mais éloigné des églises, il est un croyant plus ou moins panthéiste, proche de la nature, qui s'engage résolument dans un combat politique national-libéral, pétri de l'esprit du «Chancelier de Fer». A l'occasion, Rudolf Flex rédige des poèmes ou des petites pièces de théâtre d'inspiration nationale, que jouent en partie sa propre femme et ses enfants. Homme du peuple, issu de lignées de paysans et d'artisans, parfaitement au diapason de ses concitoyens, Rudolf Flex s'intéresse au dialecte d'Eisenach, sur lequel il publie deux petits travaux de philologie. Sa mère, née Margarete Pollack, lui transmet un héritage plus précis, bien qu'hétérogène à première vue: enthousiasme pour l'aventure prussienne et l'éthique qui la sous-tend, religiosité encadrée par l'église évangélique, culte du premier empereur Hohenzollern. Dans la transmission de cet héritage, explique Konrad Flex, il n'y a aucune sécheresse: Margarete Pollack-Flex possède les dons de l'imagination et de la narration, assortis d'une bonne culture littéraire. La mère des quatre frères Flex a de nombreuses activités publiques dans les œuvres de bienfaisance de la ville d'Eisenach, notamment dans les associations caritatives placées à l'enseigne du roi de Suède, Gustave-Adolphe, champion de l'Europe septentrionale protestante au XVIIième siècle. Cet engagement social dans le cadre protestant-luthérien montre l'impact profond de ce protestantisme national dans le milieu familial de Walter Flex. Les associations caritatives protestantes tentaient de faire pièce à leurs équivalentes catholiques ou socialistes. Pendant la guerre, Margarete Pollack-Flex s'est engagée dans les associations qui venaient en aide aux soldats revenus du front.
Konrad Flex conclut: «L'intérêt pour les choses de l'Etat et pour l'histoire, la volonté d'œuvrer dans les affaires publiques, la volonté de créer une œuvre littéraire, de dominer la langue par la poésie, l'humour, le talent d'imiter les paroles des autres et le sens des arts plastiques sont des qualités que Walter Flex a essentiellement hérité de son père; en revanche, sa mère lui a légué cette pulsion décidée et consciente d'accomplissement de soi et de négation de soi dans un cadre éthique, un sens aigu de l'observation de soi, l'imagination, le talent narratif, la pensée abstraite, un intérêt fort motivé pour la philosophie et, dans une moindre mesure, le souci des questions sociales».
Le jeune Walter Flex rédigera très tôt, à onze ans, ses premiers poèmes et sa première pièce de théâtre. Son tout premier poème fut rédigé à l'occasion du décès du Prince Bismarck. Pendant la guerre des Boers, il a pris passionnément le parti des colons hollandais, allemands et huguenots en lutte contre l'armée britannique. Ce sera encore l'occasion de quelques poèmes. A dix-sept ans, une petite pièce de théâtre, intitulée Die Bauernführer (Les chefs paysans) est jouée dans son Gymnasium et connaît un indéniable succès. Un peu plus tard, le lycéen Walter Flex rédige un drame plus élaboré, Demetrius, basé sur une des thématiques les plus poignantes de l'histoire russe, débutant par la mort mystérieuse de Dmitri, fils d'Ivan le Terrible, vraisemblablement assassiné; à la suite de la mort de ce dernier descendant direct du chef varègue Rurik, trois faux Dmitri revendiquent successivement le trône occupé par Boris Goudounov, plongeant la Russie dans une suite ininterrompue de guerres civiles au début du XVIIième siècle. La version définitive de ce drame de Walter Flex ne paraîtra que quelques années plus tard, quand il sera à l'université. Le Théâtre de la Ville d'Eisenach le jouera en 1909.
Après le Gymnasium, il étudiera la philologie germanique et l'histoire à Erlangen et à Strasbourg entre 1906 et 1910. Pendant ses années d'études, il adhérera à une corporation d'étudiants, la Bubenruthia. Malgré un handicap à la main droite, qui le forçait à être gaucher, il était bon en escrime et redouté par ses challengeurs dans les duels traditionnels des étudiants allemands (la Mensur). Le 31 octobre 1910, il défend son mémoire sur «le développement de la problématique tragique dans les drames allemands sur la thématique de Demetrius, de Schiller à aujourd'hui».
De 1910 à 1914, il deviendra le percepteur des enfants de la famille Bismarck. D'abord de Nicolas de Bismarck, puis de Gottfried et Wilhelm. Outre cette fonction de précepteur, il assume la tâche de ranger et de classer les archives de la famille. Ce qui lui donne l'occasion de rédiger sa nouvelle historique Zwölf Bismarcks (= Douze Bismarcks) et sa tragédie Klaus von Bismarck. Ces ouvrages paraissent en 1913; la tragédie est jouée la même année au Théâtre de la Cour à Cobourg en présence du Duc. Ces récits sont pour l'essentiel pure fiction; il ne s'agit donc pas d'une chronique sur la famille Bismarck mais l'intention de l'auteur est de camper des profils psychologiques, qui affrontent le réel, le modèle selon leurs canons éthiques, politiques ou esthétiques ou connaissent l'échec en restant stoïques. En 1913, il publie également Die evangelische Frauenrevolte in Löwenberg (La révolte protestante des femmes à Löwenberg), au profit de la Gustav-Adolf-Frauenverein (Association féminine Gustav-Adolf) que présidait sa mère.
Ensuite Walter Flex devient précepteur des enfants du Baron von Leesen à Retchke en Posnanie. C'est là qu'il se trouve quand éclate la guerre en août 1914; il se porte tout de suite volontaire, en dépit de sa légère infirmité à la main droite qui l'avait auparavant dispensé du service militaire. Armé de ses convictions éthiques et stoïques, il se jure de mobiliser tous ses efforts pour vaincre les résistances du terrain, de la souffrance, de ses faiblesses physiques. Il demande à servir dans l'infanterie. Soldat-poète, ses vers enthousiasmeront ses contemporains, engagés sur tous les fronts d'Europe. Walter Flex combattra d'abord sur le front occidental, dans la Forêt d'Argonne. C'est le 3 octobre 1914 qu'il pénètre sur le territoire français avec son régiment. Il écrit, le 5, à ses parents: «Au moment où, avant-hier, nous franchissions la frontière française, il y avait un magnifique clair de lune à trois heures du matin. Nous pensions à la scène du Serment de Rütli dans le récit de Guillaume Tell et nous nous en sommes réjouis. Hier nous avons eu une longue marche, que je n'ai pas trouvé extraordinaire; nous avons pris nos quartiers de nuit dans la paille d'une écurie: au-dessus de nous un ciel tout éclairé par la lune que nous contemplions à travers le trou percé dans le toit par un obus. Du côté des hauteurs devant nous, vers lesquelles nous marchions, nous entendions le fracas des canons et le crépitement des fusils. Pendant la nuit nous pouvions apercevoir le bombardement de Verdun. Au-dessus des collines, des ballons captifs. Hier soir, j'ai passé la soirée autour d'un feu avec trois femmes françaises, heureuses d'entendre quelqu'un leur parler dans leur langue; elles me répétaient sans cesse: nous aussi nous serons Allemands».
Le 7 octobre, toujours dans une lettre à ses parents, sa philosophie générale de la guerre se précise: «Nos souffrances sont très grandes, mais c'est un sentiment sensationnel d'engager ses forces dans la lutte de notre peuple pour son existence». Quelques jours plus tard: «Le froid des nuits dans les hauteurs ardennaises nous transperce les os quand on est couché en plein champ ou dans les tranchées. Malgré cela, c'est un sentiment extraordinaire de se sentir membre de cette fraternité de fer qui protège notre peuple». Jamais la tendresse n'est absente quand il écrit à sa mère: «Très chère maman! Hier je t'ai envoyé trois violettes cueillies devant nos tranchées, et la première chose que je reçois aujourd'hui et qui m'illumine de joie, c'est ton cher courrier de campagne qui contient trois petites violettes d'Eisenach. N'est-ce pas l'adorable symbole de notre communauté de cœur?». A la veille de Noël, le 17 décembre 1914, nous trouvons cette première réflexion importante sur la mort, suite à la disparition de son jeune frère Otto: «Je pense que, réunis tous en cette veillée sacrée à Eisenach, vous lirez ma lettre. Pour nous tous, c'est un jour grave, difficile, mais qui reste beau tout de même. Comme moi, vous penserez à notre Petzlein (= Otto) et à toutes les touchantes transformations qu'a connues ce jeune être de vingt ans, vous penserez tantôt au bambin en tablier tantôt au jeune randonneur aux yeux graves, intelligents et bons, et il sera presque vivant au milieu de la pièce où vous célèbrerez la Noël. Mais ces souvenirs ne doivent pas nous affaiblir. Nous devons rester modestes et savoir que, nous les vivants, ne pourrons jamais voir, avec nos sens amoindris et malhabiles, la dernière et sans doute la plus belle des mutations de l'être aimé, mutation qui l'a arraché à notre cercle et l'a placé au-dessus de nous, sans pour autant mettre fin aux effets qu'il suscite encore en nous et par nous. Sans doute ceux que nous appelons les morts ressentent-ils l'état dans lequel nous nous trouvons, nous, les vivants, comme un état antérieur à la naissance et ils attendent que nous venions, après eux, à la vraie vie. La mort et la naissance ne me semblent pas être en opposition, mais sont comme des stades supérieur et inférieur dans le développement de la vie... Ceux qui sont tombés pour le soleil de leur terre et pour protéger la joie des générations futures ne veulent pas que nous les trahissions par des deuils qui ne sont indices que de nos faiblesses, des deuils qui ne pleurent que la part que nous aurions pu avoir dans les moissons de leur vie. Une douleur sans limite est si terne, si dépourvue de vie, alors que nos chers morts sont tombés pour que nous soyions forts en nos cœurs et en nos œuvres. Nous n'avons pas le droit de regarder l'éclat des bougies de Noël avec les yeux embués de larmes, parce qu'elles nous renvoient comme le reflet d'une âme aimée, lointaine mais tout de même si proche!...».
Au printemps de 1915, Walter Flex est envoyé au Warthelager (Le Camp de la Warthe), pour y subir une formation d'officier. C'est là qu'il rencontrera Ernst Wurche. L'été venu, le climat plus clément, Walter Flex écrit à ses parents, le 2 juin, cette lettre qui exprime la joie de la vie militaire en campagne sur le Front de l'Est, avec des mots d'une simplicité qui étonne, où l'éternité des choses de la nature semble primer par rapport au cataclysme guerrier qui embrase l'Europe d'Ouest en Est. Cette lettre du 2 juin 1915 est aussi la première qui fait mention de Wurche: «C'est en direction de cette languette de terre, à l'Ouest [du Lac Kolno], que j'ai commandé une patrouille il y a quelques jours; j'ai brisé la résistance d'un détachement russe de 23 hommes avec mes quatre gaillards; j'ai personnellement capturé un Yvan dans le marais; il nous a communiqué des renseignements intéressants. Le pistolet Mauser qui j'ai acheté avec notre chère maman m'a donc porté bonheur. Je me sens très heureux dans ma nouvelle position et, sans doute, ce moment est-il le plus heureux de ma vie. Cette nuit, j'ai occupé une nouvelle position avec mon peloton; elle doit encore être aménagée. Je viens d'instruire mon état-major de chefs de patrouille des plans de travail et j'ai réparti les postes. Dans mon dos, il y a un petit pavillon d'été non encore entièrement construit, que je pourrai sans doute occuper dès demain. Cette nuit, j'ai servi de pâture aux moustiques dans la forêt. Parmi mes hommes, il y a beaucoup de gars bien, utilisables, beaucoup sont de Rhénanie et, quand ils parlent, ils me rappellent Bonn et notre cher Petzlein. Mon ordonnance Hammer est lui aussi Rhénan, c'est un garçon jardinier fort habile qui aménage tout autour de moi avec grand soin et beaucoup de complaisance. Un jour, il m'a dressé une table de jardin sous de hauts sapins, et c'est là que je suis en ce moment et que je vois le soleil et les moustiques jouer au-dessus du marais et de la forêt... Avec moi, il y a un Lieutenant issu de Rawitsch —Wurche— détaché par les “50” à la même compagnie, c'est un fameux gaillard, dont j'apprécie beaucoup la présence. Ne vous faites pas de souci pour moi. J'aime vous raconter des petites choses et d'autres sur mon vécu quotidien et je sais que je puis le faire sans vous inquiéter».
Le 24 août, Flex a le pénible devoir d'envoyer une lettre aux parents du Lieutenant Wurche, annonçant la mort de leur fils au combat. «Jamais je n'ai tant eu de peine à écrire une lettre mais j'ai demandé au chef de compagnie de votre cher fils de me permettre d'être le premier à vous écrire et à vous dire ce que Dieu vient d'infliger à votre famille. Car je voulais que l'annonce de la mort héroïque de votre garçon, si formidable, si bon, soit faite par un homme qui l'aimait. Depuis la mort de mon propre frère cadet, il y a presque un an, rien ne m'a touché aussi profondément que la mort de votre fils, mon excellent ami, de cet homme fidèle et droit, chaleureux et sensible à l'égard de tout ce qui est beau et profond. Mais permettez-moi de vous dire que, après sa mort, quand je me suis agenouillé pour prendre longuement, silencieusement, solitairement congé de lui, et que j'ai regardé son visage pur et fier, je n'ai eu qu'un seul souhait pour ses parents: s'ils pouvaient le voir couché comme je le vois, ils accepteraient plus sereinement leur douleur. En effet, leur fils Ernst avait toujours su susciter de la joie en mon cœur le plus profond parce que ses sentiments étaient toujours d'une exceptionnelle clarté, parce qu'il ignorait la peur qui tenaille si souvent les hommes et parce qu'il était toujours prêt en son âme à accepter tous les sacrifices que Dieu et sa patrie lui auraient demandés. Et le voilà étendu devant moi, il avait consenti au sacrifice suprême et ultime et sur ses traits jeunes, je lisais l'expression solenelle et formidable de cette sublime disposition d'âme, de ce don de soi, reposant dans la volonté de Dieu. Nous, votre cher fils et moi-même, nous nous trouvions la nuit dernière, chacun à la tête de nos services de garde respectifs, séparés par une distance d'environ trois kilomètres, sur les hauteurs bordant le lac, à Simno, à l'Ouest d'Olita. Soudain, le téléphone de campagne de la dixième compagnie, à laquelle il avait été très récemment affecté, m'apprend que le Lieutenant Wurche est tombé face à l'ennemi en effectuant sa patrouille. J'ai attendu, le cœur complètement déchiré, pendant toute cette longue nuit, parce que je ne pouvais pas abandonner mon poste, et, enfin, peu après quatre heures du matin, à bord d'une charrette russe, j'ai pu me rendre à Posiminicze, où il était basé en tant que responsable de la garde et où l'on avait ramené son corps. Une main devait l'amener au repos éternel, une main appartenant à quelqu'un qui l'aimait d'un amour fraternel, sans qu'il n'en soit sans doute entièrement conscient. C'est alors que je me suis trouvé devant lui, que j'ai vu la fierté tranquille et la paix dominicale de son visage pur et que j'ai eu honte de ma douleur et de mon déchirement.
Ernst était parti en patrouille pendant la nuit, pour aller voir à quelle distance s'étaient retirés les Russes qui fléchissaient et abandonnaient les positions qu'ils occupaient face à nous. Il a rampé seul, selon son habitude de chef de s'engager toujours en tête, il a avancé ainsi à 150 mètres devant ses hommes face à une position russe, dont ne ne savions pas si elle était encore occupée ou non. Une sentinelle ennemie l'a remarqué et a aussitôt fait feu sur lui. Une balle lui a traversé le corps, en lacérant plusieurs grosses veines, ce qui a provoqué la mort en peu de temps. Ses hommes l'ont ramené de la ligne de feu. Quand ils le portaient, l'un d'eux lui a demandé «Ça va ainsi, mon Lieutenant?». Il a encore pu répondre, calme comme toujours, «Bien, très bien». Il a alors perdu connaissance, et est mort sans souffrir.
Ce matin, je me suis hâté d'arriver à Posiminicze, afin de faire préparer sa tombe de héros, sous deux beaux tilleuls dressés devant une ferme lettone, se trouvant dans un petit bois à l'Ouest du Lac de Simno. Dans la tombe toute bordée de verdure, je l'ai fait descendre, portant tout son équipement d'officier, avec son casque et sa baïonnette; dans la main je lui ai glissé une grande tige de tournesol, avec trois belles fleurs dorées. Sur le petit monticule recouvert de gazon, se dressent une autre fleur de tournesol et une croix. Sur celle-ci figure l'inscription: “Lieutenant Wurche, R.I. 138, mort pour la patrie, le 23.8.1915”. Enfin, sur la croix, j'ai accroché une couronne tressée de cent fleurs aux couleurs éclatantes; pour la confectionner, ses hommes ont pillé tous les parterres des paysans lettons. Votre Ernst repose dans la plus belle tombe de soldat que je connaisse. Devant la tombe ouverte, j'ai récité un “Notre Père”, dont les paroles se sont noyées dans mes larmes, et j'ai jeté les trois premières poignées de terre sur lui, ensuite, ce fut le tour de sa fidèle ordonnance, puis de tous les autres. Ensuite, j'ai fait fermer et décorer la tombe, comme je vous l'ai décrite. J'ai demandé à un dessinateur, que j'ai fait venir de ma propre compagnie, de réaliser pendant la cérémonie un petit dessin du modeste tumulus sous lequel repose notre héros. Je vous le ferai parvenir dès qu'il sera possible de faire ce genre d'envoi, avec une esquisse en forme de carte indiquant le lieu, de même que ses objets de valeur. Je demande à notre compagnie de vous faire parvenir, à votre adresse, ses affaires personnelles. Je dois cependant vous dire que de tels envois venus du front demandent souvent beaucoup de temps. Mais vous recevrez assez vite le dessin de sa tombe, du moins si Dieu me laisse la vie. Comme l'ordre de marche vient d'arriver par le téléphone de campagne, je dois partir au galop jusqu'à mon poste de garde et m'élancer, à la tête de ma compagnie, à la poursuite de l'ennemi qui recule. Nous allons emprunter le chemin qu'il a découvert en fidèle éclaireur avec sa patrouille au sacrifice de sa vie. Maintenant, nous nous terrons dans une ferme que les Russes bombardent au shrapnel et nous attendons les ordres de la division. Je profite de ce bref répit qui me reste, pour vous écrire ce message de deuil sur ces fiches de rapport (c'est le seul papier que j'ai sur moi). Que Dieu donne à vos cœurs de parents une parcelle de la force et de la fierté de son âme héroïque! Croyez-moi, donnez-lui ce dernier témoignage d'amour, en acceptant sa mort comme il en a été digne, et comme il l'aurait souhaité! Que Dieu permette que ses frères et sœurs, à qui il vouait un grand amour fraternel, grandissent pareils à lui en fidélité, en bravoure, avec une âme aussi vaste et aussi profonde que la sienne! Avec mes sentiments les plus respectueux. Dr. Walter Flex, Lieutenant de réserve».
Dans une lettre à ses propres parents, le 29 août, il fait un récit plus concis de la mort de son camarade, mais exprime aussi d'autres sentiments, impossibles à dire au père et à la mère de Wurche, dans une première lettre de circonstance: «Wurche est mort. Il est tombé lors d'une reconnaissance audacieuse, en commandant un poste de garde à Posiminicze sur les rives du Lac Simno. Moi, j'étais de garde à Zajle —à cinq kilomètres de là— et j'ai appris la nouvelle par le téléphone de campagne et je n'ai pu me rendre auprès de lui que le matin, car je ne pouvais pas abandonner mon poste. A cinq heures, notre bataillon devait reprendre la marche et je n'ai donc eu qu'une heure et demie pour le voir une dernière fois et le faire enterrer. J'ai dû, revolver au poing, forcer un paysan à atteler un équipage et à me conduire à travers champs à P. J'ai enterré ce fidèle compagnon entre deux tilleuls et j'ai placé entre ses mains une fleur de tournesol aussi haute qu'un homme, avant qu'on ne le descende dans la tombe. Ses derniers mots, avant de partir pour son poste de garde, ont été: «Flex, revenez donc encore me voir à P.!». Je lui ai répondu que moi aussi j'étais de garde. Mais je suis tout de même retourné à P.! La mort de Wurche, je l'ai ressentie comme une deuxième mort de Petzlein, à qui il ressemblait beaucoup, par sa jeunesse, son idéalisme, sa pureté —lui aussi était Wandervogel!—. Mais cette douleur-là élargit aussi les horizons du cœur, qui refuse désormais de s'imposer des exigences [individuelles] et bat désormais au même rythme que celui du peuple. Sa montre fonctionnait encore, quand je la lui ai enlevée. Je la prend souvent dans le creux de la main et je sens cette douce et lente pulsation de vie, que ses propres mains ont impulsée. Ne croyez pas que je sois triste, j'ai désappris la tristesse. A côté de la volonté et du don de soi, il n'y a plus de place pour ce sentiment-là...».
Dans une lettre du 4 novembre 1915, adressée à son père seul, le ton est plus philosophique, plus dur aussi, comme si Walter Flex tentait d'épargner à sa mère, qu'il adorait, des récits qui auraient pu accroître son chagrin et son inquiétude: «... Nous sommes tous devenus bien différents parce que nous avons vécu des moments que nul mot humain ne peut exprimer, nous sommes devenus plus riches, plus graves, et les souhaits que nous nous formulons dépassent le niveau purement personnel et se portent sur des choses qui se trouvent certes en nos propres cœurs mais s'élèvent quand même bien au-dessus de nous. Les désirs pressés, exprimant l'espoir de se revoir bientôt pendant assez longtemps, s'estompent pour faire place à des désirs tenaces, que nous cultivons en nous, auxquels nous préparons nos âmes, le désir d'arriver enfin à réaliser les objectifs que s'est donnée la patrie. C'est avec ce qui est arrivé ce matin que mon cœur s'est renforcé dans ce sens, avec beauté et gravité. Lors d'une patrouille, un homme de ma compagnie a reçu une balle dans l'articulation de la hanche, la blessure était très sérieuse. Avec quelques hommes munis d'une toile de tente, je suis sorti pour le ramener dans nos positions. Le pauvre gars était exposé aux vents du nord-est et à une neige mordante, complètement désemparé, et il perdait beaucoup de sang. Il appartenait à la réserve la plus récente qui était arrivée en septembre seulement. Je lui ai demandé: «Alors, mon garçon, vous souffrez beaucoup?» - «Non, mon Lieutenant!», soupira-t-il en serrant les dents, «mais... mais... cela me fait enrager que le gars d'en face m'ait eu ainsi!» - «Quoi!», lui répondis-je, «quand on a fait son devoir aussi bien que vous, on a le droit de passer quelques bonnes semaines dans un beau lit tout blanc à l'hôpital de campagne allemand» - «Mais mon Lieutenant», me répondit ce brave garçon en avalant sa colère et en se raidissant, «je ne suis au front que depuis quelques semaines et je dois déjà partir!». Il a haleté brièvement et s'est mis à pleurer de colère, et les larmes coulaient sur son visage sale. Croyez-moi, une telle attitude est rare malgré les idées reçues qui nous évoquent l'impavide héroïsme de la multitude. Mais rien que le fait que cela arrive tout de même, est une grande et belle chose, et ce courageux petit bonhomme mérite bien de s'en sortir... Nos hommes endurent des privations, des souffrances et des peines indescriptibles, mais seul a de la valeur et du poids ce qu'ils font et supportent volontairement, en faisant fièrement et en toute conscience le don de leurs propres personnes...».
En décembre 1915, Walter Flex écrit deux lettres qui précisent encore sa vision de la vie, comme “pont entre deux mondes”, thématique essentielle de Der Wanderer zwischen beiden Welten. La première de ces lettres date du 16 décembre, est adressée aux parents de Wurche et a été rédigée lors d'une permission à Eisenach: «... J'ai oublié de vous dire quelque chose. Votre Ernst avait souvent l'habitude de dire, quand nous parlions de nos soldats morts au combat: «La plus belle chose que l'on puisse dire sur la mort en héros, c'est ce qu'a dit un Pasteur quand son propre fils est tombé: «Quoi qu'il ait pu réaliser dans sa vie, il n'aurait jamais pu atteindre quelque chose d'aussi haut». Cette vision, si belle et si sublime, que cultivait votre cher fils, doit avoir le pouvoir de vous réconforter, vous aussi».
La seconde date du 25 décembre, est adressée à un ami et nous révèle les premières intentions de l'auteur, d'écrire le livre qui le rendra immortel: «Enfants, nous avions chacun une branche à nous sur l'arbre de Noël, où brûlait une bougie que nous réétoffions sans cesse jalousement à l'aide de la cire qui coulait, afin qu'elle soit la dernière à brûler. Hier soir, lorsque je regardais scintiller notre petit arbre russe dans mon abri souterrain gelé, chaque petite bougie semblait avoir un nom. J'étais aux côtés de beaucoup d'êtres que j'avais aimés, et quand la dernière bougie s'est éteinte, j'étais assis dans un cercle formé de beaucoup de morts. Petzlein était près de moi, ainsi qu'un ami, Ernst Wurche, que j'ai connu et perdu à la guerre et que j'ai enterré près de Posiminisze. Dans les moments où les morts sont si proches de moi, je me sens bien, et seule la compagnie des vivants m'apparaît étroite. Fidèle, tu m'écris si souvent; ne sois pas fâché si je t'écris plus rarement; je ne suis pas moins cordial à l'égard du seul vivant qui me reste. Mais la compagnie des morts fait que l'on devient plus tranquille et que l'on se contente de penser aux uns et aux autres. Les quelques mots que l'on jette sur le papier semblent si pauvres et si démunis à côtés des relations si vivantes que l'on peut entretenir dans nos rêves et nos souvenirs... La plupart des gens ne valent pas grand'chose; si nos pensées s'occupent trop de cette multitude, ne fût-ce que par colère et par rejet, nos souvenirs ne sont plus qu'un fatras hétéroclite. Il ne faut pas que cela soit ainsi. Le divin est dans l'homme comme l'oiseau niche dans une haie d'épines, il ne faut qu'écouter son chant et ne pas regarder les épines. Les yeux, les oreilles et les lèvres doivent se fermer devant toutes les petites mesquineries, laideurs et misères, et l'âme toute entière doit se consacrer aux moments, aux choses et aux personnes qui nous révèlent le beau: voilà tout l'art de la vie. Ernst Wurche, que j'ai évoqué dans quelques-unes des lettres que je t'ai écrites, avait une manière si fine, si exemplaire, de passer à côté de toutes ces laideurs humaines, il en riait et récitait son petit vers de Goethe favori: “Voyageur, c'est contre cette misère-là que tu veux t'insurger? Tourbillon, étron séché, laisse le virevolter, se pulvériser!”. L'immense fatigue physique et nerveuse est passée, dès que nous avons repris la guerre de mouvement; je suis sur le point d'écrire mes souvenirs d'Ernst Wurche et toutes mes expériences de la guerre deviendront ainsi le vécu de cet homme tout de beauté et de richesse d'âme...».
A Mazuti, le 11 mars 1916, Walter Flex écrit à sa correspondante Fine Hüls, jeune femme du mouvement Wandervogel, une lettre dans laquelle sont précisées ses intentions de consacrer un livre à Ernst Wurche: «Je me suis mis depuis plusieurs semaines à un travail, auquel je consacre mes meilleurs instants et qui résumera mes souvenirs d'un ami tué au combat. Lui aussi était un Wandervogel et je puis dire déjà que mon travail fera ressortir de la manière la plus vivante qui soit l'esprit du Wandervogel, sublime et illuminant, tel qu'il m'est apparu chez ce garçon. Car c'est cet esprit-là dont l'Allemagne aura besoin dans l'avenir. Moi même, je n'ai jamais été Wandervogel, mais mon jeune frère l'était, et j'ai habité pendant de longs mois le même abri souterrain avec l'autre [Wandervogel que j'ai connu], le mort sur qui je vais écrire [mon livre]...».
Le 14 mars 1916, toujours à Mazuti, Walter Flex écrit à son frère et précise plus nettement encore ses intentions quant au livre qu'il prépare et rédige sur la figure sublime du Wandervogel Ernst Wurche. Outre des réflexions philosophiques intenses, simples, essentielles pour entrevoir la première mouture de son ouvrage en gestation, la lettre révèle qu'il a toujours caché à ses parents, et surtout à sa mère, les vraies horreurs du quotidien de la guerre, horreurs qu'il accepte avec un remarquable et admirable stoïcisme, parce, comme toute souffrance, ou toute maladie, elle construit la personnalité: «...Plus cette guerre durera, plus elle prendra des formes destructrices, et il serait effronté de calculer et de songer à mener sa petite mission dans ce grand jeu, tout en espérant échapper à la mort. En disant cela, je ne cherche pas à te faire peur —bien sûr, ne montre pas cette lettre à nos parents— mais je veux tout simplement te signaler des évidences que tout officier d'infanterie te confirmera et qui, personnellement, ne m'inquiètent pas le moins du monde, sauf quand je pense à notre maison. Mon grand ami Ernst Wurche m'a un jour dit à peu près ce qui suit: «Si [nous savons que] le sens et le but de la vie humaine sont de parvenir au-delà de la forme humaine, alors nous avons déjà accompli notre part dans le [grand processus] de la Vie, et quelle que soit la fin qui nous advienne aujourd'hui ou demain, nous savons davantage que le centenaire ou le sage. Personne n'a jamais vu tomber autant de masques, de coquilles vides, vu autant de bassesse, de lâcheté, de faiblesse, d'égoïsme, de vanité, vu autant de dignité et de noblesse d'âme silencieuse que nous. Nous n'avons plus grand'chose à exiger de la vie: elle nous a davantage révélé qu'à d'autres, et au-delà de cela il n'y a pas d'exigence humaine [à formuler]; attendons calmement, ce que la vie va nous demander. Si elle nous demande tout, alors qu'elle nous a tout de même déjà tout donné, les factures s'équilibrent». Ces paroles proviennent de la dernière conversation tranquille que j'ai eue avec Wurche; elles ne me quittent plus, elles sont si vraies, un profane resté en dehors de cette guerre peut à peine les comprendre et les sentir, mais ce n'est pas une phrase creuse que je t'écris quand je te dis qu'en ce qui concerne ma personne, je suis totalement serein. Mais peut-être qu'une tâche t'attend, surtout à l'égard de maman, dont je ne peux guère mesurer l'ampleur. Nous devons être capables de parler de cela en adultes et en toute sérénité, sans nous émouvoir. Je pense que tu dois te préparer et t'armer à l'avance pour affronter cette tâche, si elle t'échoit. Savoir comment tu la mèneras à bien, est ton affaire...».
Sa philosophie éthique se précise encore plus nettement dans une lettre du 28 avril 1917 à Fine Hüls: «Je me suis porté volontaire avec quelques camarades, parmi lesquels un vieux major, un type formidable, pour le front de l'Ouest. C'est pénible quand je pense à ma mère qui ne le sait pas encore. Pour le reste, vous connaissez ma pensée. Il ne suffit pas de poser des exigences d'ordre éthique, il faut les accomplir, pour leur donner vie. Goût de l'aventure et idéalisme ont souvent été confondus au début de cette guerre, et l'idéalisme inflexible, refusant toute concession, où seul compte le salut présent et futur de notre peuple, est devenu rare... Vous m'écrivez: «Toutes sortes de soucis me troublent l'âme, quand je pense à vous». Très chère madame, il n'y a aucune raison de se soucier. Ce souci ne serait fondé que si j'avais enfreint, en renonçant à mon engagement, le principe de cette unité d'action et de pensée, pour des raisons de cœur. En mon fors intérieur, je suis tout autant volontaire de guerre qu'au premier jour. Je ne le suis pas et je ne l'étais pas, comme beaucoup le croient, par fanatisme nationaliste, mais par fanatisme éthique. Ce sont des exigences éthiques, et non pas des exigences nationales, que je mets en avant et que je défends. Ce que j'ai écrit sur l'«éternité du peuple allemand» et sur la mission rédemptrice de la Germanité dans et pour le monde, n'a rien à voir avec l'égoïsme national, mais relève d'une foi éthique, qui pourra même se réaliser dans la défaite ou, comme Ernst Wurche l'aurait dit, dans la mort héroïque au combat de tout un peuple. Je n'ai jamais été le poète du parti pangermaniste, comme on le croit un peu partout, et j'avoue que ma pensée politique n'est pas trop claire, qu'elle n'a jamais hésité ni réfléchi outre mesure sur les nécessités de la politique intérieure et extérieure. Je m'en suis toujours tenu à une pensée claire et limitée: je crois, en effet, que l'évolution de l'humanité a atteint sa forme la plus parfaite, pour l'individu comme pour son évolution intérieure, dans le peuple, et que le patriotisme pan-humanitaire représente une dissolution, qui libère une nouvelle fois l'égoïsme personnel, normalement bridé par l'amour porté au peuple, et fait revenir l'humanité entière à l'égoïsme dans sa forme la plus crue... Voici ce que je crois: l'esprit allemand en août 1914, et après, a atteint un degré d'élévation inouï, comme chez aucun peuple auparavant. Heureux celui qui a pu atteindre ce sommet et n'a plus eu besoin d'en redescendre. Les descendants de notre peuple et des autres peuples verront la trace de ce déluge voulu par Dieu, au-dessus d'eux, le long des rives vers lesquelles ils s'avanceront. Voilà donc ce que je crois, voilà ma fierté et ma joie, qui m'arrachent à tous les soucis personnels».
A partir de mars 1915, Flex a donc servi continuellement sur le front russe, avec un repos de quelques mois au ministère de la guerre en 1917, où il participera à la rédaction d'une histoire officielle de la guerre en cours. Il a toujours refusé les nominations au département de la presse, qu'on lui a souvent proposées, préférant servir au feu. C'est à la fin de 1916 que paraît Der Wanderer zwischen beiden Welten, chez Beck. En deux ans, 250.000 exemplaires seront vendus (en 1940, le chiffre sera de 682.000 exemplaires). Walter Flex a donc eu le bonheur de connaître le succès de son livre et la joie de recevoir un courrier très abondant de soldats et d'officiers du front, qui lui disaient avoir trouvé dans ce texte consolation, force et sérénité. En décembre 1916, Walter Flex part en permission à Eisenach chez ses parents, avec, dans son sac, une nouvelle pièce de théâtre, Die schwimmende Insel (L'Ile flottante), à thématique mythologique. Elle sera jouée peu avant Noël au théâtre de la ville. Mais cette version originale n'est demeurée qu'un premier jet et n'a jamais été retravaillée. Walter Flex se jette alors corps et âme dans la rédaction d'un nouvel ouvrage, Wolf Eschenlohr, qui restera à l'état de fragment. Il se porte volontaire pour le Front de l'Ouest, mais sa demande est rejetée. Il continuera donc le combat contre les Russes, avec un répit à l'état-major à Berlin, où on lui demande de rédiger un rapport précis sur l'offensive russe du printemps 1916 («Die russische Frühjahrsoffensive 1916»), qui figurera dans un ouvrage collectif édité par l'armée et paraîtra aussi sous forme de livre après sa mort. A Berlin, il fait la connaissance d'une jeune femme du Wandervogel, Fine Hüls, à qui il enverra des lettres poignantes, révélant clairement ses positions. Fine Hüls était une collaboratrice de la Tägliche Rundschau, et avait fait mettre en musique certains poèmes de Walter Flex pour les cercles berlinois du Wandervogel. Le 6 juillet 1917, il reçoit la Croix de Fer de première classe. Fin août 1917, il rejoint son Régiment dans le “Baltikum”. Il participe au franchissement de la Duna et à la prise de Riga. Ensuite, sa compagnie est envoyée sur l'île d'Oesel, face aux côtes lettones et estoniennes. Mais l'obsession de la mort demeure, malgré cette progression fulgurante des armées du Kaiser qui contraste avec le piétinement à l'Ouest. Il écrit à Fine Hüls: « De tous mes camarades qui sont partis à l'Ouest il y a quelques mois, un seul est encore en vie. Parmi eux, il y avait quelques hommes formidables, avec qui j'aurais aimé partir. Je les revois encore dans la gare, qui me font signe du train qui partait. «Dommage que vous ne puissiez venir avec nous!», me criait Erichson, un Mecklembourgeois, qui formait avec Wurche et moi un trio de chefs de peloton de la 9ième Compagnie devant Augustov[o]. Maintenant il est enterré en face de Verdun. S'il avait su que nous aurions pris Tarnopol et Riga peu après, il serait sûrement resté avec nous. Où serais-je si mon engagement de l'époque n'avait pas été refusé? Est le hasard ou le destin? Je suis toujours reconnaissant de conserver cette égalité d'âme, qui n'a jamais été sérieusement ébranlée. Non pas que j'aie le sentiment d'être différent des autres ou supérieurs à eux, mais j'ai la conviction tranquille et intérieure que tout ce qui peut m'arriver est une parcelle de l'évolution de la vie, sur laquelle la mort n'a nulle emprise...».
Le 15 octobre 1917, le jour où cette lettre arrive à Berlin, une balle mortelle atteint Walter Flex sur l'île d'Oesel. Plusieurs lettres existent, qui témoignent de sa mort, ainsi qu'un rapport rédigé par la Général von Hutier, commandeur du Régiment. Voici comment Konrad Flex résume l'ensemble de ces récits et rapports dans son introduction aux œuvres complètes de son frère: «Dans la cour du domaine de Peudehof, près du village de Leval, s'était retranché un fort parti de Russes avec leurs chariots à bagages. Le représentant du corps des officiers, Weschkalnitz, est allé de l'avant et a demandé aux Russes de se rendre. Un officier russe lui a mis la main sur l'épaule et lui a dit: «Non, vous êtes mon prisonnier». Weschkalnitz a fait un bond en arrière et a cherché à s'abriter derrière un rocher, tandis que les Russes ouvraient le feu sur lui. C'est alors que Flex a sauté sur un cheval cosaque qui n'était plus monté, a sorti son épée du fourreau et s'est élancé vers l'ennemi. W. lui a crié: «Mon Lieutenant, ils ne veulent pas se rendre!». Au même moment, plusieurs balles ont été tirées. L'une d'elles a sectionné l'index de la main droite du cavalier qui avançait et puis s'est logée dans le corps. Walter Flex est tombé de cheval et a crié à W., qu'il devait prendre le commandement de la compagnie. Un homme du Landsturm allemand (= équivalent de la Territoriale française) s'est élancé furieux, pour massacrer à coups de crosse le tireur russe, mais mon frère lui a dit: «Laisse-le, lui aussi n'a fait que son devoir». Immédiatement, les Russes ont abandonné le combat et déposé les armes. Le blessé a été amené par ses hommes dans une petite maison le long d'un chemin, où un sous-officier du service sanitaire lui a prodigué les premiers soins. Sa première question a été de s'enquérir de la situation à la suite de cet engagement. La réponse l'a satisfait et il s'est affaissé. Dans le château du domaine de Peudehof, les Russes avaient installé un hôpital de campagne, qui venait de tomber aux mains des Allemands. Le blessé y a été transporté sur un chariot et pansé par les médecins russes. Peu après, un médecin militaire allemand est arrivé à son chevet, après s'être concerté avec ses collègues russes, il a jugé qu'une opération était exclue, car le blessé avait perdu trop de sang et était trop affaibli. La balle avait traversé le ventre et manifestement touché des organes vitaux. A Zimmer, sa fidèle ordonnance, mon frère a dicté la carte suivante: «Chers parents, j'ai dicté cette carte, parce que je suis légèrement blessé à l'index de la main droite. Autrement tout va très bien. Ne vous faites aucun souci. Salutations chaleureuses. Votre Walter». Lorsque Zimmer lui a demandé s'il devait écrire comme mon frère avait l'habitude de le faire «A Monsieur le professeur et Madame Flex», il a dit en souriant: «Non, Zimmer, n'écrivez cette fois que “Professeur Flex”, pour que ma mère ne soit pas effrayée». Pendant la nuit, Zimmer est venu plusieurs fois au chevet de son Lieutenant et l'a toujours trouvé apaisé, les yeux fermés. Lorsqu'il lui a demandé s'il avait mal, Walter Flex a répondu par la négative, mais lui a parlé de difficultés au niveau du cœur. Le matin du jour suivant, il a reçu la visite du Pasteur de la Division, von Lutzki, qui, à sa grande joie, lui a apporté le salut du Régiment. Comme le blessé était fort affaibli, von Lutzki n'a pu rester que quelques instants. Il a demandé s'il devait saluer le Régiment pour lui, et mon frère a répondu: «Bien sûr que oui! Excusez-moi de ne pas vous le dire moi-même, mais avec tout ça, je me sens tout de même un peu perturbé». Le Pasteur von Lutzki voulait revenir l'après-midi. Lorsque mon frère, pour prendre congé de lui, a lancé un «Au revoir», il a remarqué un geste chez le prêtre et a ajouté sur un ton mi-plaisant mi-interrogateur: «Quoi qu'il en soit, nous nous reverrons tout de même, n'est-ce pas?». Son état de faiblesse s'est alors rapidement amplifié. Beaucoup voulaient rendre une visite au blessé, mais personne n'y a été autorisé. Walter Flex est mort au début de l'après-midi du 16 octobre. Le jour de sa mort correspondait au jour de l'anniversaire de son frère Otto, qui l'avait précédé dans la mort du soldat. Le corps de Walter a été ensuite amené dans un petit pavillon du parc. Normalement, le régiment entier aurait dû prendre part aux obsèques, mais, le soir même, il a reçu l'ordre d'aller de l'avant. Ainsi, seuls neuf hommes de sa chère compagnie ont pu rester, pour lui faire une dernière escorte, accompagnés par quelques médecins militaires allemands. L'enterrement a eu lieu dans le cimetière du village de Peude, à dix minutes de là. Sa tombe se trouve juste en face du caveau de la famille von Aderkas, à qui appartenait le domaine avant qu'il ne soit exproprié. Il y a quelques semaines, je me suis rendu à Peude. La croix de bois, érigée par nos soldats, s'est décomposée depuis et a été remplacée par une autre, payée par des fonds récoltés dans les cercles baltes. Sur un petit socle de granit, se dresse, fine et élégante, une croix de fer forgé peinte en blanc, pourvue d'une plaque de laiton portant le nom et les dates de naissance et de décès du défunt. Cette croix est provisoire, mais elle a été dressée par des cœurs fidèles et des bonnes volontés. C'est une croix de soldat comme des milliers d'autres et je l'aime telle qu'elle est, comme je l'ai vue pour la première fois ce jour-là, tôt dans la matinée. C'est pourquoi je pense qu'elle peut rester quelque temps, jusqu'à ce qu'elle se décompose à son tour et qu'elle soit remplacée par une pierre tombale définitive. Le cimetière de Peude est tout encombré de gros arbres, un peu négligé, ce qui le rend d'autant plus pittoresque».
Au moment de sa mort, paraît un recueil de poèmes sur ses expériences de guerre, Im Felde zwischen Nacht und Tag, qui, la même année a connu vingt-et-une éditions. Walter Flex a pu lire et corriger les épreuves mais n'a jamais vu son livre. Les droits d'auteur devaient revenir à une fondation créée en faveur des orphelins de guerre.
Sa nouvelle de guerre, Wolf Eschenlohr, est restée inachevée. Le 23 août 1917, il avait envoyé le premier chapitre à son éditeur. Le manuscrit du second se trouvait dans un porte-cartes, qu'il a eu le temps de remettre à son ordonnance, en lui demandant d'y veiller tout particulièrement. Zimmer expédia tout à la famille. Ce manuscrit, un cahier noir et d'autres papiers ont été transpercés par la balle fatale. Konrad Flex écrit: «Le livre aurait dû décrire les expériences de guerre du poète, les expériences extérieures et intérieures, dans une intrigue purement fictive. L'auteur voulait prendre position face aux nombreuses questions, notamment de natures religieuse et éthique, que la guerre avait éveillées en lui. Il voulait aussi y traiter de la question sociale et de l'opposition entre les classes (...)».
Le noyau de la vision poétique de Flex, qui est aussi une vision de l'homme et de la mission qu'il a à accomplir sur la Terre, constitue une réflexion intense, soumise constamment au contrôle du vécu, sur le rapport entre l'individu et la société (ou la communauté; le poète Flex n'opère pas de distinction entre les deux concepts comme les sociologues). Dans ses pièces de théâtre, le social est la condition existentielle qui permettra à l'individu de vivre en adéquation avec ses propres canons éthiques. L'individu qui croit pouvoir s'élever au-dessus des conditions sociales, qui croit détenir un savoir supérieur ou mener seul une mission sublime, d'essence métaphysique ou divine, ou qui s'isole en déployant seul une éthique pure de tout contact avec le réel, est irrémédiablement condamné à l'échec.
Libre de tout engagement politique, Walter Flex n'introduit aucun ferment idéologique dans sa poésie, ses drames et sa prose. De même, jamais, ni dans ses poèmes ni dans ses récits ni dans ses fictions ni dans les lettres qu'il adressait à ses parents, ses frères et ses amis, il n'écrit un seul mot désobligeant envers l'ennemi français ou russe. Pour lui, le peuple (Volk) est mis en équation avec l'ethos: car ce Volk est le cadre spatio-temporel où, lui, Allemand, où l'autre, Russe ou Français, doit stoïquement, sans fléchir, incarner l'éthique du service à la communauté, devant les tourments et les souffrances de la guerre, qui est la tragédie portée au pinacle, l'örlog de l'Edda, le chaos déchaîné qui reste finalement le fond-de-monde auquel nous sommes livrés, de par notre conditio humana. On est sur Terre pour servir et pour souffrir, non pour recevoir ou pour jouir. Ainsi, Walter Flex touche à l'essentiel et garde un cœur pur, limpide: des souffrances qu'il endure, avec ses millions de camarades du front, il n'attend aucune récompense, aucune promotion, ni même aucune victoire. La guerre est l'occasion, pour lui, de vivre pleinement la condition humaine.
Der Wanderer zwischen beiden Welten est un monument à son ami Ernst Wurche, un jeune officier issu des Wandervögel, le mouvement de jeunesse idéaliste né sous l'impulsion de Karl Fischer, à Steglitz, dans la banlieue de Berlin en 1896. Wurche avait étudié la théologie, participé à ce mouvement de jeunesse en quête du “Graal” au moment où la société se vidait de toute éthique sous les coups de l'industrialisme, de la consommation, de la publicité, des plaisirs frivoles et commercialisables. Wurche incarnait l'intégrité, la pureté des idéaux, une grâce forte et virile, une dignité sereine, la Gelassenheit: bref, toutes les qualités du mouvement Wandervogel. Si Flex, plus âgé que Wurche, hérite encore de l'ancienne notion prussienne du service, plus âpre, plus militaire, plus politique, plus ancrée dans une histoire institutionnelle précise, le jeune officier issu des Wandervögel, développe un idéalisme au-delà de ces circonstances historiques spécifiquement prussiennes, donc un idéalisme plus pur, visant, en fait, à dompter les tensions et les contradictions multiples qui traversaient la nation allemande. Les clivages entre confessions religieuses et idéologies politiques, entre intérêts divergents et opposés, doivent disparaître au profit d'une synthèse nouvelle, qui ne sera pas bruyamment nationaliste, mais rigoureusement et sereinement éthique. La germanité nouvelle, rêvée autour des feux de camp du Wandervogel puis des bivouacs de l'armée impériale en campagne, serait une synthèse entre la foi du Christ, la sagesse vitaliste de Goethe et l'idéal de la surhumanité nietzschéenne. Cet homme nouveau, ce nouveau Germain stoïque et serein, calme et maître de soi, devra avoir le sens du sacrifice suprême, sans poses et sans coups de gueule. Son sacrifice, sa mort au combat, comme celle de Wurche qui, en ce sens, est exemplaire, n'est pas une perte irréparable, ne réclame pas vengeance: elle est une consécration religieuse, un accès au sacré. Comme la Passion du Christ. Dans cette perspective qui reste absolument chrétienne, et plutôt de facture évangélique-luthérienne, Flex écrit, dans Nachtgedanken: «La guerre est l'un des dévoilements les plus sacrés et les plus importants, par lequel Dieu répand de la lumière dans notre vie. La mort et le sacrifice des meilleurs de notre peuple ne sont qu'une répétition, voulue par Dieu, du miracle le plus profond de la vie qu'ait jamais connu la Terre, c'est-à-dire de la souffrance vicariale de Jésus Christ».
De cette vision de la vie et de la mort, de la souffrance et du don de soi, doit découler une pédagogie nationale, dont le dessein premier est d'insuffler une vigueur morale de telle ampleur, que le peuple qui la pratique échappe à la mort. La véritable vie du moi se situe dans le don au toi. Il y a dès lors primauté de l'éthique sur le national et sur le social (qui offrent chacun un contenant à la pratique de l'éthique). Le social n'est rien en soi mais est tout pour l'individu, parce qu'il lui présente toutes les facettes de ce Protée qu'est le toi, et lui offre donc la possibilité d'être altruiste. Dès les dernières années de son Gymnasium, Walter Flex a élaboré sa philosophie du service et de l'altruisme, où se mêlent, dans une synthèse sans doute assez maladroite, le vieil idéal prussien du service et une sorte de social-darwinisme coopératif; jeune lycéen il écrit: «J'ai trouvé l'ancienne montagne magnétique, vers laquelle convergent tous les efforts humains: c'est le groupe, la patrie». C'est la vie en groupe qui donne son sens à l'individu: «La volonté vise un but, et ce but, c'est la durée. Or le moi n'a pas de durée. La durée, c'est la famille, c'est la patrie». Mais l'égoïsme est une force indéniable parmi les multiples mobiles humains. L'individu, par le truchement des institutions nationales, du cadre nationalitaire, du Volk organisé en Etat, sublime ses pulsions égoïstes naturelles et les hisse à un niveau plus élevé, celui du service à la collectivité. Cette vision éthique et politique peut être considérée comme l'expression simplifiée d'un hégélianisme nationaliste, encore fort teinté des premiers écrits romantiques de Hegel, avant qu'il ne s'insurge contre les simplismes des “teutomanes”. Le Volk est, dans cette optique, le fondement à partir duquel se déploie une éthique, une morale, une Sittlichkeit unique, non interchangeable, non transmissible à d'autres Völker. Par le truchement du droit, des institutions politiques et de l'Etat, cette Sittlichkeit peut s'ancrer dans les esprits et créer de véritables “organismes politiques”, lesquels postulent qu'il y ait identité entre les gouvernants et les gouvernés, que les uns commes les autres participent de la même Sittlichkeit, dérivée du même humus, c'est-à-dire de la même substance populaire, du même Volk. La Sittlichkeit politique de facture hégélo-nationale s'oppose ainsi, comme le constate le philosophe italien Domenico Losurdo à la suite d'une enquête minutieuse, au strict individualisme kantien et aux sentimentalismes irrationalistes et mystiques, qualifiés de “criticismes stériles”. La Sittlichkeit n'a rien à voir avec la Schwärmerei (= l'enthousiasme) romantique, refuse les “évasions consolatrices”. Elle se déploie dans un cadre politique, dans un cadre national, dans une éthique du service, au-delà des intérêts personnels et des idéologies qui leur servent de justifications. Si Flex n'a jamais rien écrit de systématique sur ses options politiques, il est évident qu'il a vécu tout compénétré de cet hégélianisme implicite du monde protestant allemand.
Walter Flex propose ainsi un idéal de l'accomplissement de soi par la négation de soi, un dépassement de l'égoïsme personnel. Notre vie sur terre ne constitue nullement un but en soi, mais n'est seulement qu'une parcelle infime de notre être éternel, qui nous pousse graduellement, par la lente action du temps, vers le divin. Les souffrances que nous affrontons, et que les soldats de la première guerre mondiale affrontent, rendent les forts plus forts et les faibles plus faibles. En ce sens, la guerre est révélatrice: elle montre les créatures de Dieu telles qu'elles sont vraiment, sans fard, sans masque.
La germaniste Irmela von der Lühe écrit, dans une étude consacrée à Flex: «Les valeurs spirituelles, vis-à-vis desquelles il se sent obligé et responsable, sont simples et droites. L'étudiant en théologie Ernst Wurche lit Goethe et, dans les tranchées, il apprend encore des poèmes par cœur, il lit aussi les aphorismes poético-philosophiques du Zarathoustra de Nietzsche, trimbale ce livre partout avec lui, et il ne cesse d'en citer des passages ainsi que de l'édition de campagne du Nouveau Testament. Ce qu'il cite (...) il le cite sans crispation intellectuelle. La beauté de l'art, l'idéal du combat pour le bien et contre le mal, et la prière comme requête pour obtenir la force et la bravoure du soldat: voilà les valeurs qui remplissent la bibliothèque du soldat Ernst Wurche. Y transparaît surtout son christianisme guerrier. Le Dieu d'Ernst Wurche est un ennemi des faibles, il porte lui aussi l'épée, qui brille pure et claire dans le soleil...».
Symbole de l'homme parfait, de cet homme nouveau que doit imposer la pédagogie populaire et nationale souhaitée par Walter Flex (et par Fine Hüls dans ses écrits d'hommage au poète dans la presse du Wandervogel, après la guerre), Ernst Wurche traverse deux mondes, le monde terrestre et le monde du divin, qui fusionnent dans l'intensité brève et incandescente de l'assaut ou dans la mort héroïque. En France, Pierre Drieu La Rochelle écrira des pages aussi sublimes sur l'assaut dans La comédie de Charleroi.
Dans les poésies de Flex —et dans sa philosophie implicite de la vie que l'on rencontre très souvent dans sa prose—, se dégage une sorte de proximité avec la nature, de volonté de fusion avec la cosmicité, proche à maints égards des pensées asiatiques. Observateur français critique, proche de l'Action Française, Maurice Muret, écrit dans La Revue universelle, en août 1921, que l'anti-asiatisme bruyant —violent et très agressif lors de la Guerre des Boxers— de Guillaume II, vitupérant sans discontinuité contre le “péril jaune”, a fait place à une “asiatomanie” anti-occidentale parce qu'anti-rationaliste et, partant, anti-française et anti-anglaise. Le néo-orientalisme allemand est, aux yeux des critiques germanophobes et antisémites français, dont Muret, une sorte de néo-rousseauisme, véhiculé par les cercles et les publications de la Freideutsche Jugend et par des philosophes comme Rudolf Pannwitz (très critique à l'égard des formes militaristes du nationalisme et de l'impérialisme allemands) ou Martin Buber (traducteur des Discours et similitudes du sage taoïste chinois Tchouangtsé). Muret insiste également, pour appuyer sa thèse de l'“asiatisme” des Allemands, sur le succès que connaissait, dans l'Allemagne vaincue, l'auteur indien Rabindranath Tagore, qui condamnait l'Angleterre, se montrait indulgent pour le Reich battu et définissait les nations occidentales comme celles de l'“égoïsme organisé” où triomphait la “mécanisation sans idéal”. Tagore, avec le langage des traditions védique et bouddhique pluri-millénaires, tentait de prouver que le bouddhisme ne prêchait nullement l'anéantissement de soi-même, mais l'éternisation de soi-même, non seulement par l'abolition de la personnalité mais aussi et surtout par son ascension dans le spirituel. Ce sera Henri Massis, dans un texte célèbre de 1925, Défense de l'Occident, qui donnera une forme et un argumentaire définitif à cette critique occidentale de l'asiatisme de la pensée allemande. On peut tracer à l'évidence un parallèle avec Flex, même si celui-ci n'a aucune référence orientale. Sans oublier de dire quand on aborde ce contexte, que cette “asiatomanie” que Muret et les germanophobes antisémites de la place de Paris dans les années 20 attribuent à un ressentiment allemand devant la défaite et le Traité de Versailles, est en fait beaucoup plus ancienne et remonte à Schopenhauer.
Celui-ci avait annoncé la fin de l'euro-centrisme en philosophie et un retour à la philosophie indienne. Cette reconnaissance de la pertinence des philosophies extra-européennes ne s'accompagne pourtant pas, chez Schopenhauer, d'une fébrilité de converti, d'une “désertion de l'Europe”. En réhabilitant la pensée indienne, Schopenhauer et ses émules parmi les philosophes allemands du début du siècle réintroduisent dans le discours philosophique des linéaments aussi importants que l'idée du malheur structurel et incontournable, inhérent à la vie humaine et animale, l'égalité en rang du règne animal et humain, un principe de réalité non intellectuel, etc. Car, dans cette perspective, l'unité fondamentale de toute chose et de toute vie ne peut se saisir que par une mystique. La mystique, en effet, saisit la réalité au-delà de tout disible et de tout pensable. C'est la réalité d'avant le langage (donc d'avant tous les travestissements, les calculs anthropocentriques, les dérivatifs qu'il induit), la réalité non cognitive, laquelle se borne à “se montrer”, se dévoiler. Le langage et les concepts abstraits, tout comme les conventions sociales dénoncées par le Wandervogel ou les idéologies des groupes politiques conventionnels de droite et de gauche, masquent le réel, masquent la prolixité féconde et ubiquitaire de l'indicible et de l'impensable, de l'incommensurable.
Flex opte, dans le contexte de cette postérité schopenhauerienne où il est finalement inconscient de l'héritage de Schopenhauer, pour une contemplation de la nature, source d'inspiration spirituelle du poète. En effet, toute son œuvre poétique est imprégnée de notations révélatrices du sentiment d'intime participation à l'organicité du monde. Au-delà des raisons “hégéliennes” que nous évoquons par ailleurs, au-delà des héritages luthériens de sa famille, Flex fait usage d'une terminologie extra-philosophique, faisant implicitement et inconsciemment référence à un “socle” préexistant à tout concept abstrait, à toute religiosité plaquée sur le tronc germanique et européen, c'est-à-dire, schopenhaueriennement parlant, à cette réalité d'avant le langage, d'avant tout disible et tout pensable... Le reconnaissance, tout naturelle, parfois joyeuse et confiante, acceptante, de ce socle est la nouveauté religieuse et métaphysique apportée par l'homo novus germanique, à la fois “goethéen, chrétien et nietzschéen”, en guerre contre le “vieux monde” occidental. Ce naturalisme spiritualisé ou cette spiritualité naturelle justifient l'engagement allemand dans le premier conflit mondial. L'homo novus, assez proche de l'“ange” de Rilke, n'apporte pas aux hommes, humains trop humains, une idéologie rationnellement construite ou des principes intangibles ou des concepts juridiques ou des préceptes moraux qu'il s'agit de défendre comme les fondements immuables, —soustraits à toutes les vicissitudes de la vie—, d'une civilisation avancée sur la ligne du “progrès” mais appelle à préserver une certaine forme d'être contre cette modernité mercantile et ce matérialisme démocratique défendus par l'Entente. Cette forme d'être, c'est finalement l'homme pleinement relié au cosmos.
De Schopenhauer à Keyserling puis à Hauer, la pensée allemande a effectivement redécouvert l'hindouisme et le bouddhisme. Elle y voit une forme particulière de la sensibilité indo-européenne, orientale certes, mais préservée finalement de l'influence chrétienne. La rencontre est d'autant plus profondément ressentie qu'elle croise et confirme l'intuition romantique qui ne cesse de se développer depuis la fin du XVIIIième contre l'esprit des Lumières.
Les poèmes de Flex rendent compte de cette rupture. Les invocations au soleil de gloire, aux corps libres, au sang lumineux, à la terre fraîche, aux forêts du Septentrion, parlent avec émotion de la fusion sensuelle au mystère du monde. Le choix du Pélerin-migrateur, dans le titre, associé à l'Oie Sauvage, comme leitmotiv, renvoie à un folklore dont l'origine, en Europe du Nord, se perd dans la nuit des temps: «Symbole d'une très ancienne sagesse, la messagère qui unit le ciel et la terre [...], l'oie ou le cygne sauvage, qui parcourent le continent d'un bout à l'autre, symbolisent l'âme transmigrant de vie en vie [...], spirale mystique symbolisant la difficile pérégrination de l'âme vers le centre, le sanctuaire intérieur et caché, où elle rencontrera son Etre essentiel, la permanence de son impermanence, ce qui [...] ressemble à l'itinéraire intérieur accompli en zazen» (Jacques Brosse, Zen et Occident, Albin Michel, Paris, 1992).
Dans les poèmes de Flex, on ne compte plus les allusions aux tournesols, aux fleurs de soleil associées à l'éclat de l'or apollinien:
“Es deckt des Sonnenjünglings Brust
Als Sonnenwappen des Blütenbrust
Der gold'nen Blumenlanze”.
[Il couvre la poitrine de cet homme jeune et solaire, comme des armoiries solaires orneraient un buste en pleine croissance, comme une lance de fleurs toute dorée...].
Image du porteur de lumière:
“Als Fackel trägt er in weißer Hand
Eine goldene Sonnenblume”.
[Dans sa main blanche, il porte comme un flambeau un fleur de tournesol dorée].
Ou encore:
“Glüh', Sonne, Sonne glühe!
Die Welt braucht soviel Glanz!”.
[Resplendis, ô Soleil, ô Soleil, resplendis!
Le monde a bien besoin d'autant d'éclat!].
La mort elle-même devient expérience vivante, rupture sans abandon, intensification du lien spirituel et attachement charnel à la glèbe habitée. L'évocation du coup sur la nuque lors du rappel intense de l'absent correspond précisément à l'expérience décrite par Carlos Castañeda lors de circonstances similaires. L'énigme du monde n'est plus simple champ de spéculations dialectiques (de l'aristotélo-thomisme au pur formalisme teinté d'hégélianisme) mais domaine de réalisation tangible de sa propre nature (le gnothi seauton apollinien). Soit un recours à l'extra-philosophique, comme le réclamait Schopenhauer dans un certain désordre et une certaine confusion, mais en demeurant au niveau du sublime. Nous touchons là à la Voie du Guerrier telle que l'a pratiquée aussi bien l'Inde que le Japon ou l'Amérique précolombienne (cf. Bernard Dubant, La Voie du Guerrier, Ed. de la Maisnie, Paris, 1981).
Autre signe: le culte de l'épée.
“Das Schwert, so oft beschaut mit Lust
Glüht still in eig'nem Glanze”.
[L'épée, si souvent contemplée avec désir, repose, tranquille, dans son propre éclat].
On songe à la réponse du chef alain auquel un prélat chrétien, à l'époque de la grande migration des peuples, consécutive à l'assaut des Huns et l'effondrement des structures romaines, demandait quel était son dieu, l'Alain planta son épée dans une motte: «Voilà mon dieu». L'épée est indissociable de la lumière de la torche:
“Dann bricht er mit Fackel und Schwert hervor
Und leuchtet durch der Ewigkeit Tor”.
[Alors, il s'élance avec flambeau et épée et illumine le chemin qui passe par la porte de l'éternité].
Vient la synthèse, dans cette description poétique de Wurche mort, dans sa tombe, une fleur de tournesol entre les mains:
“Drin schläft ein Jüngling mit Fackel und Schwert
Unter des Kreuzes Pfosten”.
[Là (dans cette tombe) dort un homme jeune, avec flambeau et épée, sous la croix].
Nous sommes proches finalement de cette tradition christo-païenne de la littérature médiévale courtoise; le Graal n'est pas loin dans ces deux vers évoquant l'ami Wandervogel:
“Er war ein Hüter, getreu und rein,
Des Feuers auf Deutschlands Herde”.
[Il était un gardien, fidèle et pur, du feu qui brûle en l'âtre de la Terre Thioise]. Flex nous offre finalement une synthèse de paganisme viril, —au sens de vir, l'homme accompli— et de compassion bouddhique.
Der Wanderer zwischen beiden Welten, les lettres et les poèmes de guerre de Walter Flex sont avant toute chose une réflexion intense sur la mort. Le mystère de la mort tourmente puis fascine Walter Flex. Sa lettre, où il évoque les bougies du sapin de Noël de son abri sur le front russe et le “cercle des morts” où siègent Petzlein et Wurche, nous indique bien que leur troupe est la troupe des purs, celle des saints artisans qui «tirent l'acier du roc de nos âmes et le mettent à jour». La mort arrache les meilleurs soldats à la terre et les envoie dans son “royaume élyséen”. Ce sont bien les meilleurs qui ne reviennent pas, car ils sont appelés à incarner pour toujours, pour les siècles des siècles, l'idéal éthique; leur pureté et leur intangibilité en font des exemples immortels pour le peuple. Le Royaume des Morts, dans la vision de Flex, est le Royaume des vrais Vivants, il est comme l'idéal face aux imperfections du réel. Ces vrais Vivants, ces Purs, échappent aux viles petites passions des humains, englués dans leurs égoïsmes non sublimés. Mais s'ils sont exemples, et s'ils demeurent, dans la vision de Flex, haut dans l'empyrée des modèles impassables, ils sont aussi réfugiés, retournés, dans un sein maternel et tellurique. Leur tombe froide et l'image de la douceur du sein maternel fusionnent dans la poèsie et l'imaginaire passionnés du poète: car ces Morts, ces Purs, voyagent de leur empyrée sublime et idéale aux mystérieuses profondeurs fécondes de la terre, où ils rencontrent et illuminent ceux qui attendent encore leur naissance. Ils placent en eux la semence de leur excellence. Afin que le peuple puisse, plus tard, engranger une nouvelle moisson de héros. Significatif à cet égard est le poème Chor der deutschen Toten in Polen, où le poète prédit un grand avenir au peuple polonais, parce que, dans sa terre, demeure pour l'éternité une vaste cohorte de héros allemands, qui communiqueront leur excellence aux fils et aux filles de Pologne.
Der Wanderer zwischen beiden Welten a été le bréviaire de toute une génération. Il a redonné confiance et procuré consolation aux Allemands vaincus, après novembre 1918. Il a été un livre important. Qui a marqué le siècle, au même titre que les souvenirs de guerre d'Ernst Jünger (Orages d'acier, Le Boqueteau 125) ou A l'Ouest, rien de nouveau du pacifiste Erich Maria Remarque, très éloigné des valeurs des nationalistes, et aussi, finalement, de l'éthique hégélienne de la vieille Prusse. Il reste un immense travail de comparaison à faire sur l'impact philosophico-idéologique de la Grande Guerre et sur les innombrables écrits qu'elle a suscités. On a pu dire, dans notre insouciance, dans notre volonté de faire du passé table rase, dans notre course suicidaire à la consommation, que la Grande Guerre appartient définitivement au passé, qu'elle n'a plus rien à nous communiquer, qu'elle est la preuve la plus manifeste de la folie des hommes. Ces opinions ont peut-être leur logique, recèlent sans doute quelque pertinence positiviste, il n'empêche que sur le plan littéraire, elle a suscité des monuments éternels de la littérature universelle, elle a provoqué d'indicibles souffrances à des millions d'hommes, elle a porté au pinacle les affres de notre déréliction terrestre, les a démultipliés de manière exponentielle. Mais cette déréliction est un fait de monde incontournable. On n'échappe pas, on n'échappera jamais à la douleur en dépit des vœux pieux des intellectuels, des rêveurs, des eudémonistes de tous poils qui tentent de vendre leur camelote inessentielle. On n'abolira pas la mort qui obsédait Walter Flex et Ernst Wurche. Elle demeure, pour nous tous, au bout du chemin. Il faut l'assumer. En nous rapportant les paroles d'un tout jeune théologien jeté dans la guerre, en les immortalisant, en forgeant les mots simples qui ont touché et marqué durablement les combattants et tout son peuple, Walter Flex nous oblige à regarder ce destin en face, sans aucune grandiloquence —car il abominait la grandiloquence—, avec des mots d'une sublime simplicité, où le cœur garde la toute première place, où jamais l'immense tendresse du poète et du fils, de l'ami et du pédagogue n'est absente. Car l'œuvre de Flex est aussi une grande leçon de tendresse, surtout quand elle jaillit du pire carnage guerrier de ce siècle. Walter Flex, et par son intermédiaire, Ernst Wurche, et derrière Ernst Wurche, les jeunes idéalistes du Wandervogel, demeurés inconnus, dormant au fond d'une tombe à Langemarck ou ailleurs, nous ont légué un bréviaire, un livre de stoïcisme, à ranger dans nos bibliothèques à côté de Sénèque, de Marc-Aurèle et de l'Imitation de Jésus-Christ de Thomas à Kempis. (*)
Robert Steuckers,
Forest, janvier-avril 1995.
Sources:
- Nicola COSPITO, I Wandervögel. La gioventú tedesca da Gugliemo II al Nazionalsocialismo, editrice il corallo, Padova, 1984.
- Walter FLEX, Gesammelte Werke, 2 vol., Beck'sche Verlagsbuchhandlung, München, s.d. (Introduction de Konrad Flex).
- Walter FLEX, Für dich, mein Vaterland. Ein Auswahl aus den Kriegsbriefen, C.H. Beck'sche Verlagsbuchhandlung, München, 1939.
- Walter FLEX, Der Wanderer zwischen beiden Welten. Ein Kriegserlebnis, Orion-Heimreiter-Verlag, Heusenstamm, 1978 (postface de Martin Flex).
- Michael GOLLBACH, Die Wiederkehr des Weltkrieges in der Literatur. Zu den Frontromanen der späteren Zwanziger Jahre, Scriptor Verlag, Kronberg/Ts., 1978.
- Hermann HELLER, Hegel und der nationale Machtstaatsgedanke in Deutschland. Ein Beitrag zur politischen Geistesgeschichte, Aalen, Otto Zeller Verlagsbuchhandlung, 1963.
-Ernst KELLER, Nationalismus und Literatur. Langemarck. Weimar. Stalingrad, Francke Verlag, Bern/München, 1970.
- Hellmuth LANGENBUCHER, Die deutsche Gegenwartsdichtung. Eine Einführung in das volkhafte Schrifttum unserer Zeit, Junker u. Dünnhaupt Verlag, Berlin, 1940.
- Walter LAQUEUR, Die deutsche Jugendbewegung. Eine historische Studie, Verlag Wissenschaft und Politik/Berend von Nottbeck, Köln, 1978.
- Eric J. LEED, Terra di nessuno. Esperienza bellica e identità personale nella prima guerra mondiale, Il Mulino, Bologna, 1985.
- Robert LEGROS, Le jeune Hegel et la naissance de la pensée romantique, Ousia, Bruxelles, 1980.
- Domenico LOSURDO, Hegel. Questione nazionale. Restaurazione. Presupposti e sviluppi di una battaglia politica, Università degli studi di Urbino, Urbino, 1983.
- Irmela von der LÜHE, «Der Wanderer zwischen beiden Welten von Walter Flex», in Marianne Weil (Hrsg.), Wehrwolf und Biene Maja. Der deutsche Bücherschrank zwischen den Kriegen, Verlag Ästhetik und Kommunikation/Edition Mythos, Berlin, 1986.
- Reinhard MARGREITER, «Die achtfache Wurzel der Aktualität Schopenhauers», in Wolfgang SCHIRMACHER (Hrsg.), Schopenhauers Aktualität. Ein Philosoph wird neu gelesen, Passagen Verlag, Wien, 1988. A propos de ce livre, lire en français: Robert STEUCKERS, «Un ouvrage collectif sur Schopenhauer ou huit raisons de le relire», in Orientations, n°11, juillet-août 1989.
- Henri MASSIS, L'Occident et son destin, Grasset, Paris, 1956 (ce volume reprend in extenso le texte «Défense de l'Occident» de 1925).
- Arno MULOT, Der Soldat in der deutschen Dichtung unserer Zeit, J.B. Metzlersche Verlagsbuchhandlung, Stuttgart, 1938.
- Maurice MURET, «La pensée allemande et l'Orient», in La Revue Universelle, Tome VI, n°10, 15 août 1921.
- Rita THALMANN, Protestantisme et nationalisme en Allemagne (de 1900 à 1945), Librairie Klincksieck, 1976.
- Michel TODA, Henri Massis, un témoin de la droite intellectuelle, La Table Ronde, Paris, 1987.
(*) Moine germano-néerlandais, né à Kempten en 1379 ou en 1380 et décédé à Agnietenberg près de Zwolle en 1471, auteur de cette Imitation de Jésus-Christ qui influença considérablement la pratique quotidienne du christianisme catholique jusqu'en ce siècle, probablement plus que les quatre évangiles! Thomas à Kempis met davantage l'accent sur l'ascétisme que sur la mystique et demande à ses lecteurs de pratiquer une austérité modérée, non extrême, nouant ainsi avec un leitmotiv à la fois hellénique et nordique: celui de la mesure. Mais l'essentiel de cet ouvrage, écrit dans un contexte religieux particulier, celui des Frères de la Vie Commune, dévoués à l'éducation des plus démunis et à la charité. Le sens du service y est très présent. Le texte réclame l'engagement personnel total au profit d'autrui. Dans une perspective politique, et non plus simplement religieuse, cet engagement pourrait être étendu à la Cité entière. Le parallèle que l'on pourrait tracer entre l'Imitation de Jésus-Christ et Der Wanderer zwischen beiden Welten, c'est que les deux ouvrages, l'un religieux, l'autre laïc et militaire, sont des bréviaires anti-individualistes qui ont façonné en profondeur des générations; pendant des siècles pour l'œuvre majeure de Thomas à Kempis; pendant deux à trois décennies pour celle de Flex.
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lundi, 05 janvier 2009
Le Front Populaire contre les étrangers
Le Front Populaire contre les étrangers
Le Front Populaire contre les étrangers
"Les élections législatives des 26 avril et 3 mai 1936 voient la victoire du Front populaire. 378 sièges pour la gauche contre 222 pour la droite. Pour la première fois de son histoire, le parti socialiste, avec 149 sièges et 27 apparentés, est le plus important de l'Assemblée. Plus de soixante-dix ans plus tard, la gauche française revendique encore l'héritage de cette victoire. Les images d'Épinal ne manquent pas pour décrire cette période qui s'acheva le 18 avril 1938 avec la démission de Léon Blum. La gauche n'a pas oublié ces années de lutte : les congés payés ; la semaine de quarante heures ; la création de délégués du personnel dans les entreprises de plus de dix salariés ; les nationalisations.
Et la politique des socialistes à l'égard des étrangers ? La gauche l'a inconsciemment effacée de sa mémoire car elle ne correspond pas à sa mythologie. Et pour cause. Si elle se souvenait, elle croirait que les élections de 1936 ont vu l'accession au pouvoir d'une droite réactionnaire et xénophobe. Elle en viendrait à renier Roger Salengro, ministre de l'Intérieur du Front populaire, érigé en héros après qu'il se soit suicidé à la suite d'une campagne de presse attribuée à l'hebdomadaire d'extrême droite Gringoire. Le 2 octobre 1936, Salengro répond à une question posée par un député de la Moselle sur les expulsions récentes d'ouvriers étrangers de Lorraine. Sa réponse ferait aujourd'hui scandale : « Les décisions prises à l'égard des étrangers expulsés à la suite des incidents de Moyeuvre-Grande ont toutes étaient motivées par des raisons graves : l'attitude particulièrement violente des intéressés qui, parfois, ont manqué de la correction la plus élémentaire à l'égard des autorités locales, justifie pleinement de telles mesures. Si le gouvernement entend rester fidèle à tous les principes humanitaires et faire tout spécialement honneur aux traditions d'hospitalité, il ne saurait tolérer que les étrangers abusent de l'asile qui leur est offert en intervenant dans les conflits politiques et sociaux. » Une expulsion pour un manquement aux règles de la correction. Le refus de voir les étrangers s'immiscer dans la vie politique et sociale de la France. Délires de Jean-Marie Le Pen ? Non, simplement la position d'une des figures légendaires du Front populaire.
Roger Salengro ne s'arrête pas en si bon chemin. Le 14 août 1936, il adresse aux préfets une circulaire appelant à la plus grande fermeté face aux réfugiés allemands. Le ton est donné. L'heure n'est pas au laxisme : « Il importe de ne plus laisser, désormais, pénétrer en France, aucun émigré allemand et de procéder au refoulement de tout étranger, sujet allemand ou venant d'Allemagne, qui, entré postérieurement au 5 août 1936, ne serait pas muni des pièces nécessaires (passeport régulièrement visé ou autorisation spéciale), ou chercherait à se maintenir au-delà du délai fixé par son visa consulaire... Ces mesures de bienveillance et d'attente ne devront pas jouer, bien entendu, à l'égard de ceux qui vous paraîtraient, par leur attitude, leur conduite ou la gravité des faits ayant motivée la sanction intervenue, mettre manifestement en péril l'ordre public et la sécurité nationale. » Nous étions en 1936. Hitler était au pouvoir. Les persécutions à l'égard des juifs et des communistes avaient commencé. Les socialistes français le savaient. Roger Salengro ne pouvait l'ignorer. Pourtant, il refuse l'accueil des étrangers fuyant le régime nazi. Quant à ceux qui mettraient en danger l'ordre public et la sécurité nationale, ils ne méritent qu'une sanction : l'expulsion. Que pouvait suggérer le ministre socialiste par de tels comportements ? Peut-être une manifestation discrète contre le gouvernement allemand ? Sans doute une protestation contre un régime manifestement totalitaire. Rien de très organisé. Rien de particulièrement violent. Et, en tout état de cause, la mise en danger de l'ordre public ne pouvait résulter que de quelques individus isolés. Nous étions loin de Villiers-le-Bel. Loin des policiers agressés. Loin des écoles, des voitures et des bibliothèques incendiées. À mille lieux des insurrections urbaines qui agitent la France depuis plusieurs années. Pourtant, la gauche française, avec le soutien de la droite, n'hésitait pas à employer les grands moyens face à des étrangers qu'elle estimait, à tort ou à raison, dangereux pour l'ordre public. Personne, à l'époque, n'aurait osé crier à l'extrémisme ou au fascisme.
Le Front populaire ne s'arrête pas à ces interventions et circulaires de Roger Salengro. Le 11 décembre 1936, le gouvernement prend dix décrets de protection de la main-d'œuvre nationale, en application de la loi du 10 août 1932. Dans dix secteurs d'activité, chaque décret fixe la proportion maxima de travailleurs de nationalité étrangère. C'est ainsi que, dans les laiteries et fromageries du Cher, le maximum est fixé à 10% dès l'application du décret et à 5% six mois après. En Meurthe et Moselle, ce sont les fabriques de produits céramiques, de chaux, plâtre et ciment, de faïence et porcelaine qui sont tenues de limiter l'emploi de main-d'oeuvre étrangère. Dans le département du Pas-de-Calais, terre ouvrière par excellence, les tuileries et briqueteries sont tenues de ne pas employer trop d'étrangers. C'est également le cas des fabriques de bouchons et objets en liège des Bouches-du-Rhône. N'échappent pas non plus aux quotas les chantiers de construction et de réfection des voies ferrées d'une multitude de départements comme l'Ardèche, l'Aube ou la Lozère. Autrement dit, pour la gauche des années 1930, défense des travailleurs rime avec préférence nationale. D'ailleurs, cette politique porte ses fruits puisque, de 1931 à 1936, la population étrangère en France serait passée de 2,9 millions à 2,5 millions. La gauche ne voit pas de contradiction entre cette politique et les valeurs républicaines qui inspirent son action. Tout juste un décalage entre les contraintes du réel et son idéal internationaliste ?
Si les étrangers doivent s'éclipser au profit des Français en matière de travail, on les oblige aussi à se tenir tranquilles. Il n'est pas question qu'ils participent à la moindre agitation politique. Le 26 janvier 1937, un décret dissout le mouvement de l'indépendantiste algérien Messali Hadj, l'Étoile Nord-Africaine, dont le siège se trouve rue Daguerre à Paris14. Cette politique, qui soulèverait aujourd'hui l'indignation de la gauche française et de l'ensemble des associations anti-racistes, indispose-t-elle le parti communiste de l'époque ? En aucune manière. Celui-ci en rajoute même dans la propagande nationaliste. Avant même l'avènement du Front populaire, Jacques Duclos signait un article en première page de L'Humanité au titre éloquent : « La France au Français ». Deux ans plus tard, le parti n'a pas varié. Le 28 septembre 1937, Maurice Thorez, son secrétaire général, s'exclame lors d'un meeting au Vélodrome d'hiver : « Asile sacré aux travailleurs immigrés chassés de leur pays par le fascisme, mais répression impitoyable contre les agents étrangers de l'espionnage et du terrorisme fasciste et contre leurs complices français. Nulle xénophobie ne nous anime quand nous crions « La France aux Français ». Pourrait-on imaginer aujourd'hui Marie-Georges Buffet reprendre à son compte un slogan pourtant moins agressif : « Les Français d'abord » ?"
Source : Thierry Bouclier, La République amnésique, Perrin, 2008.
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vendredi, 02 janvier 2009
Julius Evola: Idée d'Empire et universalisme
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Archives de SYNERGIES EUROPÉENNES - VOULOIR (Bruxelles) - Avril 1991
Julius EVOLA: Idée d'Empire et universalisme
Quiconque s'interroge sérieusement sur le nouvel ordre européen perçoit de plus en plus nettement l'importance et la force révolutionnaire des idées de "grand-espace" (Grossraum) et d'"espace vital" (Lebensraum). Cependant, au lieu de "grand-espace", nous préférons ici parler d'"espace impérial", d'espace "reichisch", c'est-à-dire déterminé par l'idée de Reich, ou encore d'"espace de Reich". Il s'agit en effet de dissiper l'idée selon laquelle l'ordre nouveau serait essentiellement dicté par des facteurs matériels plutôt que par une idée ou par un droit supérieur qui fonde l'autorité. Bien entendu, l'"espace déterminé par l'idée de Reich" englobe aussi ce que nous appelons "l'espace vital"; mais il peut en dépasser les limites, soit en fonction de considérations militaro-stratégiques, soit en raison d'influences indirectes, de relations affinitaires ou de ces affinités électives qui poussent les petits peuples à se grouper autour d'un "peuple impérial".
Nous ne sonderons pas ici la notion générique de "grand-espace" ou d'espace "déterminé par l'idée de Reich" (reichisch). Nous nous pencherons plutôt sur un de ses aspects particuliers, qui dépasse à la fois le mythe nationaliste et le mythe universaliste.
En ce qui concerne le mythe nationaliste, il connaîtra dans l'avenir une double limitation: d'abord, aucun peuple ne peut assumer et exercer une fonction supérieure de direction s'il ne s'élève pas au dessus des intérêts et des allégeances de type particulariste. Ensuite, les petits peuples devront réapprendre qu'il existe une subordination qui, loin d'être un "esclavage", peut au contraire être source de fierté puisqu'elle permet l'intégration à une communauté culturelle plus vaste et la participation à une autorité plus haute et plus forte. On peut ici songer à des exemples historiques comme le Saint-Empire romain dont les souverains incarnaient une autorité et une fonction dissociées et distinctes de celles qu'ils détenaient en tant que princes d'un peuple particulier. Il pouvait même arriver que des peuples sollicitent d'eux-mêmes l'honneur d'être rattachés à une communauté qui était plus que nationale puisqu'elle se définissait par l'emblème impérial.
En ce qui concerne maintenant le second aspect, par lequel l'espace déterminé par l'idée de Reich apparaît comme le dépassement non seulement du nationalisme étriqué mais du mythe universaliste, il faut préciser que cet espace n'est pas un "espace impérial": il faudrait plutôt penser à des entités distinctes, caractérisées par des idées et des traditions spécifiques, mais agissant conjointement et solidairement. Seule, à l'évidence, cette idée peut dépasser l'universalisme, que ce soit sous sa forme utopique ("le royaume mondial") ou sous sa forme juridico-positiviste qui postule des principes rationnels, universellement valables et obligatoires.
Quant à l'"espace déterminé par l'idée de Reich", il ne faut pas y voir un assemblage plus ou moins lâche, mais un véritable organisme défini par des frontières précises et axé sur une idée centrale imprégnant toutes les forces qu'il rassemble.
Si l'espace déterminé par l'idée de Reich ne constitue pas un tout cohérent puisqu'il se présente sous la forme d'un ordre dynamique, il obéit cependant toujours à une certaine loi d'évolution et s'articule autour de valeurs fondamentales qui constituent son "principium individuationis":
Par son caractère organique, vivant, et par les conditions géopolitiques nécessaires qui sont les siennes, l'idée d'espace déterminé par l'idée de Reich s'oppose notamment à ce que nous appelerions "l'impérialisme qui se cherche" (vortastender Imperialismus) et dont le prototype est l'Angleterre. Pour des raison identiques, il s'oppose également à toute conception abstraite, "spiritualiste", du Reich, qui bien souvent n'est qu'un paravent de l'universalisme. or, en Italie, la compréhension de ce dernier point a été obscurcie par nombre d'idées fausses et de lieux communs désuets.
L'exemple de l'idée romaine
Le grand-espace dont l'Italie peut éventuellement se réclamer est essentiellement méditerranéen. A ce titre, sa référence "impériale" et supranationale ne peut être que l'idée romaine. Or, certains milieux développent à propos de Rome une rhétorique telle que l'on éprouve une sensation de lassitude chaque fois qu'il est question de Rome et de la romanité. Et pourtant, l'Italie n'a pas d'autre choix. Mussolini l'a dit: "Rome est notre point de départ et notre référence: c'est notre symbole et notre mythe".
La difficulté que nous venons de signaler provient de ce que, pour beaucoup, romanité et universalisme sont synonymes. L'"universalisme romain" est un slogan qui, visiblement, sert les ambitions douteuses de certains milieux. D'autres s'eforcent bien de faire une distinction entre le principe universel de Rome et l'universalisme de type démocrate, franc-maçon ou humanitariste, ou encore celui de l'Internationale communiste. Mais cela ne dissipe pas le malentendu.
Est universaliste tout principe qui prétend à la validité générale. Le rationalisme franc-maçon, la démocratie, l'internationalisme et le communisme sont, de fait, des idées qui se répandent dans le monde entier et qui pourraient donc effectivement devenir "universelles" –à condition de déraciner d'emblée et de niveler méthodiquement tous les peuples et toutes les cultures. On retrouve à peu près un projet identique dans les très controversés "Protocoles des Sages de Sion".
Le symbole de Rome –s'il ne s'épuise pas dans une rhétorique creuse– implique tout au contraire quelque chose de concret et de défini: nul ne songe sérieusement à unifier tous les continents et tous les peuples sous l'égide de Rom. Telle est pourtant l'intention des utopies antitraditionnelles, niveleuses et collectivistes. Rome, pour nous, peut effectivement signifier quelque chose et si ce "quelque chose" n'est pas "l'universalisme", ce sera l'idée fondamentale, la force qui met-en-forme, la loi inhérente à un certain "espace déterminé par l'idée de Reich"
D'ailleurs, il n'en allait pas autrement dans l'Antiquité, Rome était l'axe sacré d'une communauté soudée de peuples et de cultures, mais en dehors de laquelle il existait d'autres cultures, ce que traduit du reste l'expresion de "barbare" qui, à l'origine, n'avait aucune connotation péjorative et servait simplement à désigner l'étranger.
Dans l'Empire romain finissant, il a pu, certes, exister –dans les limites de cet espace où soufflait l'esprit d'empire– un certain "universalisme": on laissa s'introduire à Rome des éléments hétérogènes et des races inférieures dont on fit abusivement des "Romains". La ville du Tibre intégra sans difficulté des cultes et des mœurs allogènes dont le contraste avec la romanité des origines était parfois stupéfiante, comme le notait Tite-Live. C'est dans cet universalisme-là que réside l'une des pricnipales raisons de l'effondrement de Rome. Voir dans un tel universalisme une caractéristique propre au "principe romain" serait le plus grave des contresens. Le principe romain vrai, c'est-à-dire viril et hiérarchisé, celui qui a fondé notre grandeur, n'a absolument rien à voir avec cet universalisme de la Rome tardive et abâtardie.
Nous vivons une époque de rassemblement, d'organisation et de structuration de forces, où le discours universaliste abstrait n'a pas sa place. Une époque où la dimension spirituelle ne doit pas nous conduire à des déviations ni à des transgressions mais sublimer le sens des forces et des contraintes d'une réalité concrète. Que Rome ait fait don au nom de la "lumière de la culture", que l'esprit romain soit illimité, que tous les peuples doivent à Rome des éléments de culture, voilà qui est bien. Il reste cependant à tester la vitalité actuelle de cet héritage millénaire au regard d'entreprises moins poétiques mais plus précises. Pour celui qui ne se satisfait pas du verbiage, la moindre des choses à exiger de la force de l'idée romaine est qu'elle puisse faire naître, à partir des peuples que rassemblera notre grand-espace, un organisme véritablement déterminé par l'idée d'Empire, un "reichischer Organismus" doté d'une structure solide, d'un visage et d'une culture propre, ce que permettrait, par exemple, un recours à l'idée organique et hiérarchique du Moyen-Age aryen et combattant. Ce n'est que lorsque que cet exemple aura pris consistance que le prestige de l'idée romaine franchira de nouveau les limites de notre espace. Alors, d'autres pays se demanderont si ces idées fondamentales peuvent être adoptées et façonner le réel selon des formes propres au type d'humanité auquel ils appartiennent.
Julius Evola
(traduction: J.L.P.).
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mercredi, 31 décembre 2008
G. Adinolfi: Pensées corsaires
Auteur : Gabriele Adinolfi Prix : 26,00 € T.T.C | ||||
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vendredi, 26 décembre 2008
A l'Est, du nouveau...
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Archives de SYNERGIES EUROPÉENNES - LE COURRIER DES PAYS-BAS FRANçAIS (Lille) - VOULOIR (Bruxelles) - DÉCEMBRE 1989
Ce texte issu de nos archives montre, une fois de plus, quels espoirs fous soulevaient nos coeurs au moment de la disparition du Mur de Berlin ! Nos espoirs, faut-il le dire, n'ont pas été exaucés. La responsabilité de cette trahison vient de l'impéritie et de la veulerie du personnel politique européen, que nous n'avons pas eu le courage de jeter aux poubelles de l'histoire, comme les Est-Européens avaient jeté leurs apparatchiks communistes en descendant en masse dans la rue. Et aujourd'hui, y a-t-il eu foule en Belgique pour qu'on demande l'emprisonnement et la condamnation des immondes banksters? Et des flics ripoux qui pillent les librairies? Honte sur nous !
A l'Est, du nouveau
par Fabrice GOETHALS
L'ère de Yalta s'achève. Le rideau de fer, sinistre ba-lafre portée au cœur du continent européen, a craqué le 11 septembre dernier, lorsque la Hon-grie a ouvert ses frontières à l'Ouest. Deux mois plus tard, le Mur de Berlin était démantelé sous les acclamations du peuple allemand vivant des deux côtés de la frontière, tandis que le monde entier n'en croyait pas ses yeux. Ne nous payons pas de mots. Si, depuis 1945, il y a eu en Europe des événements proprement historiques, ce sont bien ceux auxquels nous venons d'assister au cours de ces dernières semaines. Evénements symbo-liques, mais aussi annonciateurs d'une époque qui ne pourra jamais plus avoir le même visage.
La première leçon que l'on peut tirer du spectacle qui se déroule à l'Est aujourd'hui, c'est qu'il constitue un démenti flagrant à bien des théories énoncées avec aplomb par les politolo-gues occidentaux. On nous dé-crivait l'Union Soviétique comme un mal absolu, quasi onto-logique et, comme tel, incapable de se ré-former lui-même. Mikha'il Gorbatchev (dont nul n'avait non plus prévu l'arrivée au pouvoir) a répondu à sa façon à cette représentation aussi specta-culaire que fantasmatique. Le fait que la peres-troïka soit une ré-volution accomplie par le haut dément, à elle seule, les analyses classiques des soviétologues libéraux. En réalité, comme l'a noté Paul Thibaud, "le totalitarisme absolu, sans faille, n'a jamais existé. S'il existait, il serait littéralement increvable" (Le Nouvel Observa-teur, 2-11-1989). S'écroulent du même coup l'image d'une bureaucratie "indéracinable", pri-son-nière d'un lobby militaro-industriel tout puissant, et d'un pouvoir installé dans l'irréversible, qui ne pourrait s'achever que dans la guerre et le sang.
Identité allemande et "Mitteleuropa"
Mais la fin du Mur de Berlin démontre encore autre chose. Elle démontre quels sont les enjeux historiques et les forces politiques les plus es-sentiels. Elle dé-montre que, sur la longue durée, ce sont les exigences des peuples, la reven-dication identitaire des commu-nautés nationales et les lois de la géopolitique qui fi-nissent tou-jours par l'emporter. Pendant des décen-nies, les hommes politiques occidentaux —allemands y compris— ont feint de croire que la vieille "question allemande" pouvait être mise per-pétuellement sous le boisseau. Comme l'a dé-claré ingénument l'ancien Premier ministre bri-tannique Edward Heath: "Bien sûr, nous disions que nous croyions à la réunification, mais c'est parce que nous savions que cela n'arriverait pas!". Il faut aujourd'hui se rendre à l'évidence: le re-foulé revient toujours au galop. L'évolution de l'opinion en RFA depuis quelques années, le regain d'intérêt pour la "Mitteleuropa" étaient des signes avant-coureurs qui ne trompaient pas. Tout récemment encore, l'exode massif des Allemands de l'Est vers la RFA, via la Hongrie et la Tchécoslovaquie, a brutale-ment rappelé aux observateurs que pour les Alle-mands, la "question nationale" n'est toujours pas ré-glée, et que les jeunes Allemands sont aujourd'hui les seuls à ne pas avoir d'identité propre en Europe.
Certes, la réunification allemande n'est pas encore faite. Elle se heurtera à bien des résis-tances! Gorbatchev, d'ailleurs, souligne lui-mê-me avec force que l'existence de deux Etats allemands fait aujourd'hui partie des "réalités existantes" en Europe. Mais qu'en sera-t-il demain?
Bien que l'attitude soviétique reste éminemment pro-blématique, compte tenu de la multitude des para-mètres à prendre en compte, il est clair, con-cernant l'Allemagne, que l'intérêt des Russes est de conserver pour l'avenir quelque chose de négociable. En clair, de "vendre" la réunification le plus cher possible. Dans l'immédiat, on aurait tort de sous-estimer la dyna-mique mise en œuvre par les derniers événements.
En RDA, la libéralisation politique a en effet nécessai-rement une résonnance différente de celle qu'elle peut avoir dans les autres pays de l'Est, dont l'existence nationale n'est pas en question. La division de l'Allemagne est directe-ment liée à l'existence d'un ré-gime communiste. Que ce régime s'affaiblisse, et la frontière née de cette division apparaîtra comme plus artificielle encore.
L'histoire revient au grand galop
Rapprocher la structure politico-institutionnelle des as-pirations populaires revient alors imman-quablement à rapprocher le temps de la réunifi-cation. Rétablir la libre circulation entre les deux parties d'une ville —et qui plus est, d'une ancienne capitale— traversée par la frontière Est-Ouest, c'est faire en sorte que cette fron-tière perde toute signification. Après cela, toute une sé-rie de cliquets vont jouer.
Une chose est sûre, et c'est elle qui donne aux événe-ments leur véritable dimension: l'Alle-magne, du fait de sa situation géopolitique, reste au cœur de l'Europe et de ses contradictions. L'unité de l'Europe passe par la réunification allemande et, inversement, toute évolu-tion du statut de l'Allemagne ne peut à terme qu'affecter le statut de l'Europe toute entière. Pour l'heure, la grande interrogation des Occidentaux est de savoir si la réunification est "compatible avec l'Europe". En un sens, ils n'ont pas tort: dans les an-nées qui viennent, c'est la nature de la coo-pération al-lemande avec l'Est qui va déter-miner la future structure de la Communauté européenne.
Mais en même temps, leur raisonnement est fautif, précisément parce qu'en parlant d'Europe, ils n'ont en tête que la "petite" CEE. Or, l'Eu-rope ne se ramène pas à son promontoire occi-dental. Elle est un conti-nent, dont les peuples aspirent à retrouver les voies de l'autonomie, de la puissance et de l'identité, perspec-tive qui implique l'abandon de la seule logique économique et marchande et l'émergence d'une "troi-sième Europe", sortie de l'affrontement stérile des blocs.
Alors qu'aux Etat-Unis, la mode est aujourd'hui de spéculer sur la "fin de l'histoire", tout se passe au contraire comme si, brusquement, l'histoire faisait re-tour. Et de fait, c'est toute une dynamique proprement historicisante qui s'en-clen-che actuellement, prenant de court les futurologues et la classe politique, toutes nuances con-fondues. Certes, il reste bien des incerti-tudes, et nous restons mal informés sur l'exacte signification des réformes entreprises en Union Soviétique, comme sur l'avenir de la perestroïka. On peut envisa-ger des phases de recul. Mais déjà, l'essentiel est fait. Si toute l'Europe de l'Est s'ébranle, les Russes, de-main, ne pourront pas envoyer les chars partout. L'histoire redevient ou-verte, et l'on peut déjà parier que, parmi ceux qui applaudissent aujourd'hui à la destruction du Mur, il s'en trouvera beaucoup demain pour regretter à mi-vois la "stabilité" de l'époque de la guerre froide. Donner l'initiative aux peuples, sortir de la logique des blocs, c'est en effet entrer dans la zone de l'imprévisible. Mais l'histoire est faite de cette im-prévisibilité-là. Et c'est pour cela que l'homme lui-même est toujours "ouvert": il se construit historiquement.
Fabrice GOETHALS.
Texte paru dans Le Courrier des Pays-Bas Français (n°62, nov. 89), lettre mensuelle éditée par la SEDPBF. Tout courrier à SEDPBF, 46 rue Saint-Luc, 59.800 Lille. Abonnement annuel (10 numéros): 100 FF ou 650 FB.
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lundi, 22 décembre 2008
Le Grand Dérangement des Acadiens
Le Grand Dérangement
La Déportation des Acadiens, ou le Grand Dérangement, est une expression utilisée pour désigner l’expropriation massive et la déportation des Acadiens, peuple francophone d’Amérique, lors de la prise de possession, par les Britanniques, des anciennes colonies françaises en Amérique.
Par le Traité d’Utrecht signé en 1713, la partie la plus peuplée de l’Acadie et ses 1 700 habitants sont cédés à la Grande-Bretagne. 400 soldats britanniques restent sur place et un gouvernement militaire évite à la Grande-Bretagne de devoir créer une législature à majorité acadienne.
La partie cédée à la Grande-Bretagne prend le nom de Nouvelle-Écosse. La France conserve l’Île Royale (aujourd’hui Île du Cap Breton). Les Acadiens tentent de demeurer « neutres » dans les conflits entre les deux métropoles et refusent de prêter le serment d’allégeance au roi de Grande-Bretagne qui est exigé par les autorités coloniales. Cependant, la « paix » franco-britannique est toute relative dans cette région de l’Amérique. La guérilla amérindienne, alliée à la France, est constante : 100 navires capturés par les Micmacs et les Malécites entre 1713 et 1760 en témoignent.
La population acadienne passe de 1 700 en 1713 à plus de 15 000 en 1755. Cependant, les colons britanniques qui affluent après la fondation de Halifax convoitent les terres des Acadiens et réclament une Chambre d’Assemblée comme cela est la règle dans les colonies britanniques, ce que la Couronne n’est pas prête à accorder à une population majoritairement francophone et catholique.
En 1754, la crise éclate avec le début de la 4e guerre intercoloniale (French and Indian War en anglais). Le conflit commence avec des victoires françaises dans la vallée de l’Ohio. La panique gagne les colonies britanniques. Charles Lawrence devient gouverneur de la Nouvelle-Écosse. Il discute avec William Shirley, gouverneur du Massachusetts, de la possibilité de remplacer les Acadiens par des colons anglo-américains.
En 1755, 1 800 soldats de la Nouvelle-Angleterre arrivent en Nouvelle-Écosse. Ce débarquement est suivi de la prise des forts français par le général Monckton. Lawrence confisque les armes des Acadiens. En juin, il rencontre des délégués acadiens et exige d’eux un nouveau serment d’allégeance inconditionnelle en échange du retour des armes. Les Acadiens refusent.
Après la victoire dans la bataille de Fort Beauséjour et la prise de Fort Gaspareaux, en juin 1755, Lawrence ordonne aux commandants de Beaubassin, Pisiquid et Annapolis Royal d’attirer les hommes français de leurs districts respectifs, dans les ports, de les y arrêter et de les y détenir. Des navires viennent les chercher pendant que d’autres troupes vont arrêter les femmes et les enfants chez eux. Les déportés sont divisés par groupes d’âge et de sexe, puis embarqués sur les navires. En tout, de 8 000 à 10 000 Acadiens seront déportés à Annapolis Royal. Le commandant John Hansfield qui avait marié une Acadienne ne suit pas l’ordre mais attend en novembre soit trois mois plus tard pour déporter les Acadiens. Il ne sépare pas les familles. On pense que 20% de la population d’Annapolis Royale a pu s’échapper. Dictionnaire biographique du Canada John Handfield
On les éparpille le long de la côte atlantique. Ils y arrivent sans avoir été annoncés aux autorités locales, qui les considèrent comme une possible « 5e colonne ». Les déportés connaîtront des sorts divers. La Virginie et la Caroline du Nord refusent les 1 500 Français qui restent à bord des bateaux ou sur les plages jusqu’en mai 1756, moment où ils sont expulsés vers l’Angleterre. La traversée est difficile : deux vieux bateaux, le Violet et le Duke William coulent en cours de route. Après trois mois de navigation, les survivants arrivent en Angleterre où ils sont très mal reçus.
Les 1 226 Acadiens survivants sont répartis en 4 groupes, 336 à Liverpool, 340 à Southampton, 300 à Bristol, 250 à Penryn (Falmouth). Commence alors pour eux une détention qui durera 7 ans.
On sait peu de choses sur les conditions de vie de ces Français. À Southampton, ils vivent dans des baraquements sur les quais ; à Liverpool, ils logent dans les ruines d’ateliers de potiers ; à Bristol, où personne ne les attend, ils restent trois jours et trois nuits sur les quais avant d’être parqués dans une vieille bâtisse ; à Falmouth, ils sont un peu mieux traités, des jeunes trouvent même du travail. Ils reçoivent, comme prisonniers de guerre, une somme de 6 sols par jour avec l’obligation de subvenir à leurs besoins.
Pendant tout leur séjour, le gouvernement britannique essaie par tous les moyens de les faire devenir citoyens anglais, mais sans résultats. Le 3 novembre 1762, le Traité de Paris est signé, le calvaire des Français va prendre fin.
En janvier 1763, il ne reste, en Angleterre, que 866 personnes sur les 1 226 débarquées, et de plus il y a eu quelques naissances. Louis XV et Choiseul les font libérer, leur promettant des secours, ainsi que leur installation en France et, surtout, remboursent à l’Angleterre leurs dettes et une partie de leur solde.
En Virginie, la colonie refuse platement de recevoir les 1 500 Acadiens qui, en conséquence, sont expédiés en Angleterre.
En Géorgie, colonie pénitentiaire, ils sont d’abord complètement ignorés et livrés à eux-mêmes, puis tous arrêtés en 1756. En 1763, on leur donne 18 mois pour partir. La plupart émigreront à Saint-Domingue.
En Caroline du Sud, une importante communauté de Huguenots est paniquée à l’arrivée des « papistes ». On les force à rester à bord des navires surpeuplés. Une trentaine réussissent à s’évader. En 1756, on organise une levée de fonds pour payer leur expulsion… vers la Nouvelle-Écosse ! Ils rejoindront les partisans de Boishébert qui lutte contre les Britanniques.
Au Maryland et en Pennsylvanie, on les emploie à divers travaux serviles. Aucun logement ni nourriture ne sont fournis. En 1756, la législature du Maryland adopte une loi qui prévoit la prison pour ceux qui n’ont pas d’emploi. À la frontière ouest, les troupes reçoivent l’ordre de tirer à vue sur ceux qui tenteraient de quitter la colonie. Tout Acadien qui désire s’éloigner de plus de 16 km de sa résidence doit avoir un passeport.
En Pennsylvanie également, le gouverneur Morris place les arrivants sous garde armée. Ils sont décimés par les maladies infectieuses et mis en quarantaine. Confiés aux county townships (juridictions locales) sous la direction du warden of the poor (« Gardien des pauvres », magistrat chargé de s’occuper des indigents), ils s’assemblent dans un bidonville de Philadelphie. On leur refuse du travail, mais on force leurs enfants à fréquenter les écoles anglophones. En 1763, les Acadiens du Maryland et de la Pennsylvanie partent pour la Louisiane. Certains s’arrêteront à Saint-Domingue (aujourd’hui Haïti) où le gouverneur comte d’Estaing les met aux travaux forcés pour la construction d’une forteresse.
Le New Jersey refuse de recevoir des Acadiens. À New York, on les parque à Staten Island et à Long Island. Environ un tiers sont employés comme indentured servants (servitude à contrat d’une durée limitée). Plusieurs s’évaderont. Finalement, les prisonniers partiront pour Saint-Domingue après le Traité de Paris.
Au Connecticut, ils sont gardés sous surveillance, puis expédiés vers Saint-Domingue en 1763. En 1767, un certain nombre s’installent au Nouveau-Brunswick.
Au moins 2 000 Acadiens arrivent au Massachusetts où une épidémie de variole les décime. Ils ne reçoivent aucune assistance du gouvernement local. En 1756, on les engage comme indentured servants. On interdit aux navires de les engager comme marins. En 1757, on leur interdit de quitter les villes où ils sont assignés à résidence. En 1763, certains partent pour Saint-Domingue, mais la majorité pour le Canada.
Environ 3 500 Acadiens se réfugient en « Acadie française », le long du fleuve Saint-Jean et de la rivière Miramichi (Nouveau-Brunswick actuel) sous la direction de l’Abbé Le Guerne. Beaucoup d’entre eux meurent de faim et de froid durant l’hiver 1756-1757, vu l’impossibilité de pratiquer les industries traditionnelles (pêche, agriculture) pendant la guerre. De plus, entre 1756 et 1758, les autorités de la Nouvelle-Écosse offrent des primes pour les prisonniers acadiens et, moins officiellement, pour leurs scalps. Tous ces camps de réfugiés sont détruits par l’avance des troupes britanniques dans les années qui suivent.
En 1763, la France cède ses colonies américaines à la Grande-Bretagne et le gouvernement britannique donne 18 mois aux Acadiens pour quitter l’Empire britannique et gagner une colonie française.
En 1766, les Acadiens sont officiellement autorisés à s’installer au Québec, où plusieurs s’étaient réfugiés avant 1759, mais, dans les provinces maritimes (ancienne Acadie), les droits politiques leur seront refusés jusque dans les années 1830.
Vers 1766 aussi, d’autres Acadiens, les Cajuns, commenceront à se regrouper en Louisiane, devenue colonie espagnole.
Un peu à la manière de l’Acadie, Belle-Île-en-Mer était occupée par les Britanniques, mais le traité de Paris (10 février 1763), qui donnait le Canada aux Britanniques, a permis à la France de récupérer Belle-Île le 11 avril 1763. Un mois plus tard les Acadiens prisonniers en Grande-Bretagne sont libérés et viennent grossir le nombre des réfugiés dans les ports français.
Plusieurs projets d’installation des Acadiens sont proposés, dont celui de Belle-Île (8 ans avant le projet poitevin). Dès juillet 1763, trois chefs de famille acadiens, Honoré Le Blanc, Joseph Trahan et Simon Granger, se rendent à Belle-Île, afin de juger de la possibilité d’une implantation sur cette île bretonne. Le Baron de Waren, gouverneur de l’île juge ce premier contact positif, « ils ont paru très contents de ma réception et s’en sont retournés le 27. Comme ils sont gens fort industrieux et habiles cultivateurs, je serais enchanté de les voir arriver : ce serait un bon boulevard contre ceux qui les ont maltraités. »
Mais tout n’est pas si rose : les Acadiens, soutenus par l’abbé Le Loutre, veulent rester groupés sur l’île dans une même paroisse, ce qui n’est pas du goût de Waren qui veut au contraire les disperser sur l’ensemble du territoire « afin que tous les habitants ne fassent qu’un seul esprit et qu’un même peuple ». L’abbé Le Loutre, qui a participé à cette première visite, prend les affaires en main et en janvier, il annonce a Waren qu’il a trouvé 77 familles déterminées à s’installer sur l’île. Mais les affaires traînent en longueur, les habitants de l’île ne sont pas très heureux de voir débarquer ces réfugiés, rien n’est prêt, il manque des maisons, il faut commander des chariots, des charrues, du bois, des bœufs, des vaches… C’est l’abbé Le Loutre qui gère tout cela.
En septembre 1765, Granger et Le Blanc sont chargés de préparer l’hébergement des 77 familles, les premières arrivent le 22 septembre, d’autres le 1er octobre, puis le 18 et enfin le 30 octobre. Elles sont logées provisoirement dans « les grands magasins aux avoines » qui sont une halle. Les Acadiens participent aux travaux de construction des maisons, certains, qui étaient marins, embarquent avec des patrons pêcheurs du pays.
Pour arriver à un partage des terres équitable qui tient compte de la composition des familles, de l’origine, de la parenté, des affinités, Isambert à imaginé un système original avec des « lotties » et des « brigades ». Les lotties sont des lots de terres bien précis et numérotés ; les brigades, au nombre de 13, sont constituées de 6 familles, chacune dotée d’un « chef de brigade » chargé de tirer au sort la lottie attribuée à chacune des brigades.
Les Acadiens apportaient dans leurs bagages des pommes de terre qu’ils ont cultivées à Belle-Ile avant son introduction en France par Parmentier en 1769.
La majorité des populations se qualifiant d’acadiennes se trouvent aujourd’hui au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse, à l’Île-du-Prince-Édouard, aux îles de la Madeleine et en Gaspésie (Québec), à Terre-Neuve-et-Labrador, dans le Maine (États-Unis), en Louisiane et à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Des historiens américains estiment que, sur une population totale évaluée entre 12 000 et 18 000 Acadiens en 1755, de 7 500 à 9 000 périrent entre 1755 et 1763, soit des effets de la déportation, soit en tentant d’y échapper.
Une demande officielle d’un député d’ascendance acadienne du Bloc québécois a été déposée pour qu’il y ait reconnaissance par la Couronne britannique du massacre. Le Gouverneur général du Canada – l’institution représentant aujourd’hui la Couronne canadienne au pays, mais qui, avant le Statut de Westminster de 1931, représentait la Couronne britannique – a pour sa part reconnu la Déportation des Acadiens. En décembre 2003, la gouverneure générale Adrienne Clarkson a reconnu le drame humain de la déportation, mais sans offrir d’excuses formelles. Depuis, le 28 juillet est un jour de commémoration de l’évènement.
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vendredi, 19 décembre 2008
Pas de révision manichéenne de l'histoire
Pas de révision manichéenne de l’histoire
La gauche moralisatrice et convaincue de sa divine et supérieure mission de lutte permanente contre le Mal veut, des années après, imposer la réhabilitation (rendre leur dignité) de suisses qui ont participé à la sanglante et cruelle guerre civile espagnole, dans les brigades internationales, bénéficiant essentiellement de l’appui de la Russie soviétique totalitaire. Et qui ont pour cela été sanctionné à leur retour.
Finalement pourquoi ne pas reconnaître le courage d’idéalistes qui se sont engagés pour une cause qu’ils jugeaient juste. Mais faut-il rester aveuglément partisan et ne pas étendre cette amnistie à d’autres combattants désintéressés et ayant combattu pour d’autres causes et à d’autres époques ? On peut très bien comprendre, que pour le camp adverse, les horreurs et atrocités de la Révolution bolchevique, la guerre civile et sociale sans pitié, les pratiques totalitaires et anti-démocratiques, la déportation et l’exil d’opposants aient justifié un engagement défensif légitime. On peut présumer que les ex-brigadistes suisses ont été de braves gens, un peu tête brûlée sans doute, mais pour la bonne cause, puisque finalement, après une défaite initiale, leur vision du monde triomphe aujourd’hui.
L’Histoire, car ils en font partie dorénavant, a tranché. Pourquoi encore tant de haine et de rancoeurs ressassées. Pourquoi remettre une couche de vernis, d’enluminures sur de vieilles fresques historiques ? Les transformer en saints républicains, les canoniser en héros, en modèles de l’engagement démocratique aujourd’hui encore « légitime » de la croisade antifasciste devrait être soumis à un inventaire détaillé et à un devoir de mémoire.
Dans la guerre civile, la lutte armée, révolutionnaire ou contre-révolutionnaire, on garde rarement les mains propres. Et des « salauds », au sens de J.P. Sartre sont blanchis parce que leur cause a gagné politiquement ou militairement parlant. Les ex-brigadistes ont été des pères de familles, des citoyens normaux vraisemblablement. Mais peut-être ont-ils du sang sur les mains ? Ont-ils tué d’autres pères de famille que le hasard de l’Histoire avait mis face à eux, des engagés marocains, des femmes, des enfants, des curés, ont-ils profané des tombes, violé, blessé des innocents, occasionné des dégâts collatéraux avec leurs victimes que les circonstances seules avaient placées là. Ont-ils fusillé des adversaires, en ont-ils achevé, torturé, mutilé ? Ont-ils épuré, fusillé des rivaux anarchistes, des déviationnistes, des trotskistes, des staliniens. Voulons-nous vraiment les réhabiliter sans le savoir ? Les totalitarismes marxistes ont duré plus longtemps et occasionné beaucoup plus de victimes que les totalitarismes nationaux socialistes, fascistes ou réactionnaires. Si tous les totalitarismes, passés ou actuels sont à condamner, sans équivoque, l’ultragauche dominatrice veut toujours faire croire que les intentions de ses « ultra » étaient positives et humanistes au départ.
Dans le bilan de l’Histoire, Hiroshima, Nagasaki, le Goulag, les bombardements de Dresde, les expériences sociales de liquidation de la « bourgeoisie » de Pol Pot, de Mao ou d’autres sont aussi condamnables que Guernica. Peut-on justifier de combattre un totalitarisme en faisant allégeance à un autre ? Les crimes de guerre ne sont d’habitudes que ceux des vaincus, les vainqueurs dictant leur vision déformée du réel. Le pardon, l’oubli, l’amnistie, la charité, l’amour du prochain, la tolérance, la réconciliation nationale et sociale, la distanciation critique sont des valeurs plus précieuses et plus humanistes que l’idolâtrie et la sanctification après coup. Ne laissons pas les esprits totalitaires d’une mémoire unilatérale imposer leur vision manichéenne et révisionniste de l’Histoire et réécrire la nôtre selon leur Evangile du politiquement correct.
Sa prétention de condamner aujourd’hui, en créant des liens artificiels avec les combats du passé, les forces de résistance pour l’indépendance de notre pays et la liberté de penser, d’expression, d’entreprendre du libre citoyen suisse n’est pas acceptable. Pas de culpabilisation par une repentance qu’il n’a pas à assumer.
Par Dominique Baettig, conseiller national, Delémont (JU)
Source : UDC
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Géopolitique de l'Océan Indien - Pour une Doctrine de Monroe eurasiatique
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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1986
Géopolitique de l'Océan Indien et destin européen - Pour une doctrine de Monroe eurasienne
par Robert Steuckers
Aborder la géopolitique de l'Océan Indien, c'est, en apparence, aborder un sujet bien éloigné des préoccupations de la plupart de nos concitoyens. C'est, diront les esprits chagrins et critiques, sacrifier à l'exotisme... Pourtant, l'Océan Indien mérite, plus que toute autre région du globe, de mobiliser nos attentions. En effet, il est la clef de voûte des relations entre l'Europe et le Tiers-Monde; son territoire maritime et ses rives sont l'enjeu du non-alignement, option que l'Europe aurait intérêt à choisir et, sur le plan historique, cet océan du milieu (entre l'Atlantique et le Pacifique) a été l'objet de convoitises diverses, convoitises qui ont suscité, partiellement, la première guerre mondiale, dont l'issue pèse encore sur notre destin.
Le Cadre de cette étude
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En nous situant en dehors de la dichotomie gauche/droite, qui stérilise les analyses politiques et leur ôte bien souvent toute espèce de sérieux, nous suivons attentivement les travaux d'organismes, cénacles, sociétés de pensée, etc. qui posent comme objet de leurs investigations les relations entre notre Europe et les Pays du "Tiers-Monde". Au-delà de la dichotomie sus-mentionnée, nous avons, sans a priori, étudié les ouvrages publiés aux Editions La Découverte, ceux du CEDETIM, de La Revue Nouvelle (Bruxelles), du Monde Diplomatique, les travaux d'écrivains, sociologues, philosophes ou journalistes comme Yves LACOSTE, Alain de BENOIST, Guillaume FAYE, Rudolf WENDORFF, Paul-Marie de la GORCE, Claude JULIEN, etc. Dans un réel souci d'éclectisme, nous avons couplé ces investigations contemporaines aux travaux des géopoliticiens d'hier et d'aujourd'hui.
Etudier les rapports entre l'Europe et le Tiers-Monde, comporte un risque majeur: celui de la dispersion. En effet, derrière le vocable "Tiers-Monde", se cache une formidable diversité de cultures, de religions, d'univers politiques, de sensibilités. Le vocable "Tiers-Monde" recouvre des espaces civilisationnels aussi divers et hétérogènes que l'Afrique, l'Amérique Latine, l'Asie chinoise, indochinoise, indonésienne, le pourtour de l'Océan Indien, le monde arabo-musulman (les "Islams", dirait Yves LACOSTE). Le vocable "Tiers-Monde" recouvre donc une extrême diversité. Sur le plan strictement économique, cette diversité comprend déjà quatre catégories de pays: 1) les pays pauvres (notamment ceux du Sahel); 2) les pays ayant pour seules richesses les matières premières de leur sous-sol; 3) les pays pétroliers ayant atteint un certain niveau de vie; 4) les pays pauvres disposant d'une puissance militaire autonome, avec armement nucléaire (Inde, par exemple).
Pourquoi choisir l'Océan Indien?
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En effet, pourquoi ce choix? Nos raisons sont triples. Elles sont d'abord d'ordre historique; l'Océan Indien a excité les convoitises des impérialismes européens et la dynamique du 19ème siècle "anglo-centré", avec prédominance de la Livre Sterling, s'explique par la maîtrise de ses eaux par la Grande-Bretagne. Cette dynamique a été contestée par toutes les puissances du globe, ce qui, ipso facto, a engendré des conflits qui ont culminé aux cours des deux guerres mondiales du 20ème siècle. Notre situation actuelle d'Européens colonisés, découle donc partiellement de déséquilibres qui affectaient jadis les pays baignés par l'Océan Indien.
Deuxième raison de notre choix: l'Océan Indien est un microcosme de la planète du fait de l'extrème diversité des populations qui vivent sur son pourtour. Il est l'espace où se sont rencontrées et affrontées les civilisations hindoue, arabo-musulmane, africaine et extrême-orientale. Si l'on souhaite échapper aux universalismes stérélisants qui veulent réduire le monde au commun dénominateur du consumérisme et du monothéisme des valeurs, l'étude des confrontations et des syncrétismes qui forment la mosaïque de l'Océan Indien est des plus instructives.
Troisième raison de notre choix: éviter une lecture trop européo-centrée des dynamiques politiques internationales. Le sort de l'Europe se joue actuellement sur tous les points du globe et, vu la médiocrité du personnel politique européen, les indépendantistes de notre continent, les esprits libres, trouveront tout naturellement une source d'inspiration dans le non-alignement préconisé jadis par le Pandit Nehru, Soekarno, Mossadegh, Nasser, etc. Le style diplomatique indien s'inspire encore et toujours des principes posés dans les années cinquante par Nehru. Une Europe non-alignée aura comme partenaire inévitable cette Inde si soucieuse de son indépendance. La diplomatie indienne s'avère ainsi pionnière et exemplaire pour les indépendantistes européens qui, un jour, sous la pression des nécessités, secoueront le joug américain et le joug soviétique.
Une histoire mouvementée
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Pour les Européens, l'Océan Indien devient objet d'intérêt à l'âge des grandes découvertes, quand Christophe Colomb aborde le Nouveau Monde en croyant aborder aux Indes, territoire où croissent les épices, pactole de l'époque. La perspective des Européens s'élargit brusquement. Le monde leur apparaît plus grand. En 1494, le Pape partage les nouvelles terres entre Portugais et Espagnols. Les géographes au service du pontife catholique tracent une ligne qui traverse l'Atlantique du Nord au Sud. Ce qui est à l'Ouest de cette ligne revient à l'Espagne; ce qui est à l'Est échoit au Portugal. C'est ainsi que le Brésil devient portugais et le reste des Amériques, espagnol. L'Océan Indien et l'Afrique reviennent, en vertu de ce partage, aux rois du Portugal. Les marins lusitaniens exploreront donc les premiers les eaux de l'Océan Indien.
La décision du Pape n'avait pas plu aux autres Européens, exclus du partage. Anglais et Néerlandais entreront en conflit avec les deux monarchies catholiques. L'objet de ce conflit inter-européen, ce sont bien entendu les nouvelles terres à conquérir. Rapidement, les Hollandais prennent la place des Portugais, incapables de se maintenir aux Indes et dans les Iles. Après les Hollandais, viendront les Anglais qui affermiront progressivement, en deux siècles, leur mainmise sur l'Océan.
La compétition engagée entre Catholiques et Protestants ouvre une ère nouvelle: celle de la course aux espaces vierges et aux comptoirs commerciaux. L'ère coloniale de l'expansion européenne s'ouvre et ne se terminera qu'en 1885, au Congrès de Berlin qui attribuera le Congo à Léopold II. A partir de 1885, les Congrès internationaux ne réuniront plus seulement des Européens, comme à Vienne en 1815. Désormais, tous les territoires du monde sont occupés et la course aux espaces est arrêtée. Le Japon, le Siam, la Perse, le Mexique et les Etats-Unis participent à diverses conférences internationales, notamment celle qui institue le système postal. Le monde cesse d'être européo-centré dans l'optique des Européens eux-mêmes. Ceux-ci ne déterminent plus seuls la marche du monde. Déjà un géant s'était affirmé: les Etats-Unis qui s'étaient posés comme un deuxième centre en proclamant dès 1823, la célèbre "Doctrine de Monroe". Les centres se juxtaposent et le "droit international", créé au XVIIème siècle pour règler les conflits inter-européens avec le maximum d'humanité, perd sa cohésion civilisationnelle. Dans ce "jus publicum europaeum" (Carl SCHMITT), les guerres étaient perçues comme des règlements de différends, rendus inévitables par les vicissitudes historiques. L'ennemi n'était plus absolu mais provisoire. On entrait en conflit avec lui, non pour l'exterminer, pour éradiquer sa présence de la surface de la Terre, mais pour règler un problème de mitoyenneté, avant d'éventuellement envisager une alliance en vue de règler un différend avec une tierce puissance. La civilisation européenne acquérait ainsi une homogénéité et les conflits ne pouvaient dégénérer en guerres d'extermination.
La révolution française, avec son idéologie conquérante, avait porté un coup à ces conventions destinées à humaniser la guerre. A Vienne, les puissances restaurent le statu quo ante. Mais les Etats-Unis, avec leur idéologie puritaine, actualisant une haine vétéro-testamentaire en guise de praxis diplomatique (les récents événements du Golfe de Syrte le prouvent), n'envisagent pas leurs ennemis avec la même sérénité. Les ennemis de l'Amérique sont les ennemis de Yahvé et méritent le sort infligé à Sodome et Gomorrhe. Les autres puissances extra-européennes n'ont pas connu le cadre historique où le "jus publicum europaeum" a émergé. Avec l'entrée des Etats-Unis sur la scène internationale, la guerre perd ses limites, ses garde-fous et redevient "exterminatrice".
Pendant que ces mutations s'opèrent sur le globe, l'Océan Indien vit à l'heure de la Pax Britannica. Les Européens y règlent leurs conflits selon les principes de courtoisie diplomatique du "jus publicum europaeum".
La Pax Britannica
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Arrivés dans l'Océan Indien dès le milieu du XVIIème, les Anglais consolideront très progressivement leurs positions et finiront par faire des Indes la clef de voûte de leur système colonial, le plus perfectionné que l'histoire ait connu. Avec la capitulation de la France, qui abandonne ses positions indiennes à l'Angleterre en 1763 ( mis à part quelques comptoirs comme Pondichéry), la Couronne britannique peut prendre pied successivement à Singapour, à Malacca, à Aden, en Afrique du Sud. En 1857, les Indes passent sous contrôle colonial direct et en 1877, Victoria est proclamée Impératrice des Indes. L'Angleterre poursuit alors sa progression en Afrique Orientale (Kenya, Zanzibar).
La France, en 1763, a commis une erreur fatale: elle a sacrifié ses potentialités mondiales au profit d'une volonté d'hégémonie en Allemagne. Elle a négligé deux atouts: celui qu'offraient les peuples de marins de ses côtes atlantiques, Bretons, Normands et Rochellois. Et celui qu'offraient son hinterland boisé (matières premières pour construire des flottes) et ses masses paysannes (réserves humaines), alors les plus nombreuses d'Europe.
Ce seront donc les Anglais qui occuperont le pourtour de l'Océan Indien. Cette occupation impliquera la protection du statu quo contre de nouveaux ennemis: les Russes, les Allemands, les Italiens et les Japonais.
Albion contre l'Empire des Tsars
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Au XIXème siècle, la Russie, qui connaît une explosion démographique spectaculaire, entreprend la conquête de l'Asie Centrale, peuplée par les ethnies turques (Tadjiks, Turkmènes, Ouzbekhs, etc.). Cette avance slave vers le centre de la masse continentale asiatique répond à un désir d'empêcher définitivement les invasions turco-mongoles dont la Russie a eu à souffrir tout au long de notre Moyen Age. Mais en progressant ainsi selon l'axe Aral-Pamir, la poussée russe butera contre les possessions britanniques qui lui barrent la route vers l'Océan Indien. La Russie, en effet, caresse depuis des siècles le désir de posséder des installations portuaires donnant sur une "mer chaude". Les deux impérialismes se rencontreront et s'affronteront (souvent par ethnies locales interposées) en Afghanistan. Le scénario s'est partiellement répété en 1978, quand la thalassocratie américaine, appuyant le Pakistan et les rebelles anti-soviétiques d'Afghanistan, s'opposait à l'URSS, appuyant, elle, sa stratégie sur certaines ethnies afghanes et sur le gouvernement pro-soviétique officiel.
Avec ces événements qui s'étendent sur quelques décennies (de 1830 à 1880), la Russie et l'Angleterre acquièrent une claire conscience des enjeux géopolitique de la région. Le géopoliticien britannique Homer LEA se rend compte que les Indes forment réellement la clef de voûte du système colonial britannique. Il écrivit à ce propos: "Mis à part une attaque directe et une conquête militaire des Iles Britanniques elles-mêmes, la perte des Indes serait le coup le plus mortel pour l'Empire Britannique". Plus tard, il confirmera ce jugement et lui donnera même plus d'emphase, en déclarant que l'Empire constituant un tout indivisible, les Iles Britanniques ne sont plus que quelques îles parmi d'autres et que la masse territoriale la plus importante, le centre du système colonial, ce sont les Indes. Par conséquence, la perte des Indes serait plus grave que la perte des Iles Britanniques.
Les Indes permettaient à l'Empire Britannique de surveiller la Russie qui dominait (et domine toujours) le Heartland -la Terre du Milieu sibérienne- et de contrôler la Heartsea, c'est-à-dire l'Océan du Milieu qui est l'Océan Indien situé entre l'Atlantique et le Pacifique. Le contrôle de "l'Océan du Milieu" permet de contenir la puissance continentale russe dans les limites sibériennes que lui a données l'histoire. La Russie, de son côté, se rend compte que si l'Inde lui échoit par conquête, par alliance ou par hasard, elle contrôlera et la Terre du Milieu et l'Océan du Milieu et qu'elle deviendra ainsi, ipso facto, la première puissance de la planète.
La configuration géographique de l'Afghanistan a permis à ce pays d'échapper à l'annexion pure et simple à l'un des deux Empires. De surcroît, Russes et Anglais avaient intérêt à ce qu'un Etat-tampon subsiste entre leurs possessions. En Perse, le nationalisme local émergera en déployant une double désignation d'ennemis: le Russe qui menace la frontière septentrionale et l'Anglais qui menace le Sud avec sa flotte et le Sud-Est avec son armée des Indes. Ce n'est pas un hasard si le nationalisme perse s'est toujours montré germanophile et si, aujourd'hui, l'intégrisme musulman de Khomeiny se montre également hostile aux Soviétiques et aux Américains qui, eux, ont pris le relais des Anglais.
L'avance allemande vers le Golfe Persique
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Les Anglais percevaient la politique "orientale" de Guillaume II comme une menace envers leur hégémonie dans l'Océan Indien. Cette menace prend corps par la politique de coopération amorcée entre le Reich, qui s'industrialise et concurrence sévèrement l'Angleterre, et l'Empire Ottoman. Les accords militaires et économiques entre l'Empire allemand, né à Versailles en 1871, et le vieil Empire Ottoman, usé par les guerres balkaniques et par les corruptions internes, permettent à l'industrie germanique en pleine expansion d'acquérir des débouchés, en passant outre les protectionnismes français, anglais et américains. La coopération se concrétisera par le projet de construction d'une ligne de chemin de fer reliant Berlin à Constantinople, Constantinople à Bagdad et Bagdad au Golfe Persique. Ce projet, strictement économique, inquiète les Anglais. En effet, l'émergence d'un port dans le Golfe Persique, qui tomberait partiellement sous contrôle allemand, impliquerait la maîtrise par l'axe germano-turc de la péninsule arabique, alors entièrement sous domination ottomane. Les Allemands et les Ottomans perceraient ainsi une "trouée" dans l'arc en plein cintre anglais, reliant l'Afrique australe à Perth en Australie. De plus, un autre point faible de "l'arc", la Perse, hostile aux Russes et aux Anglais, risque de basculer dans le camp germano-turc. Et ce, d'autant plus que la germanophilie faisait des progrès considérables dans ce pays à l'époque. Lord CURZON sera l'homme politique anglais qui mettra tout en œuvre pour torpiller la consolidation d'un système de coopération germano-turco-perse.
Pour les Anglais germanophiles, cette collaboration germano-turque était positive, car, ainsi, l'Allemagne s'intercalait entre l'Empire britannique et la Russie, empêchant du même coup tout choc frontal entre les deux impérialismes. La Turquie, affaiblie, surnommée depuis quelques décennies "l'homme malade de l'Europe", ne risquait plus, une fois sous la protection germanique, de tomber comme un fruit mûr dans le panier de la Russie.
Le contentieux anglo-allemand s'est également porté en Afrique. L'Angleterre échangera ainsi Heligoland en Mer du Nord contre Zanzibar, prouvant par là que l'Océan Indien était plus important à ses yeux que l'Europe. Ce qui corrobore les thèses d'Homer LEA. Lorsqu'éclate la Guerre des Boers en Afrique Australe, l'Angleterre craint que ne se forge une alliance entre les Boers et les Allemands, alliance qui ferait basculer l'ensemble centre-africain et sud-africain hors de sa sphère d'influence. L'hostilité à l'indépendance sud-africaine et à l'indépendance rhodésienne (à partir de 1961 et 1965) dérive de la crainte de voir s'instaurer un ensemble autonome en Afrique australe, qui romperait tous ses liens avec la Couronne et s'instaurerait comme un pôle germano-hollando-anglo-saxon aussi riche et aussi attirant que les Etats-Unis. En 1961 et en 1965, les craintes de l'Angleterre étaient déjà bien inutiles (l'Empire glissait petit à petit dans l'oubli); en revanche, les Etats-Unis ont tout intérêt à ce qu'un tel pôle ne se constitue pas car, pacifié, il attirerait une immigration européenne qui n'irait plus enrichir le Nouveau Monde.
Mais revenons à l'aube du siècle. Offensive, la diplomatie anglaise obligera l'Allemagne à renoncer à construire le chemin de fer irakien au-delà de Basra, localité située à une centaine de kilomètres des rives du Golfe Persique. De surcroît, l'Angleterre impose ses compagnies privées pour l'exploitation des lignes fluviales sur le Tigre et l'Euphrate. L'Allemagne est autorisée à jouer un rôle entre le Bosphore et Basra, mais ce rôle est limité; il est celui d'un "junior partner" à la remorque de la locomotive impériale britannique. L'analogie entre cette politique anglaise d'avant 1914 et celle, actuelle, des Etats-Unis vis-à-vis de l'Europe est similaire.
La règle d'or de la stratégie britannique concernant la rive nord de l'Océan Indien se résume à ceci: l'Allemagne ne doit pas franchir la ligne Port-Saïd/ Téhéran et la Russie ne doit pas s'étendre au-delà de la ligne Téhéran/Kaboul. Cette politique anglaise est une politique de "containment" avant la lettre.
Dominer le sous-continent indien implique de dominer un "triangle" maritime dont les trois sommets sont les Seychelles, l'Ile Maurice et Diego Garcia. Homer LEA a dressé une carte remarquable, nous montrant les lignes de force "géostratégiques" de l'Océan Indien et l'importance de ce "triangle" central. Rien n'a changé depuis et les Américains le savent pertinement bien. La puissance qui deviendra maîtresse des trois sommets de ce triangle dominera toute la "Mer du Milieu", autrement dit l'Océan Indien. Et si, par hasard, c'était l'URSS qui venait à dominer ce "triangle" et à coupler cette domination maritime à la domination continentale qu'elle exerce déjà en Asie Centrale et en Afghanistan, on imagine immédiatement le profit qu'elle pourra en tirer.
"Le danger italien"
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L'Italie devient "dangereuse", aux yeux de l'Angleterre, à partir du moment où elle tente d'entreprendre ou entreprend la conquête de l'Ethiopie. Par cette conquête, elle confère un "hinterland" à sa colonie somalienne et consolide, dans la foulée, sa position sur l'Océan Indien, opérant une percée dans "l'arc" Port Elisabeth/Perth, équivalente à la percée allemande dans le Golfe Persique et dans la Péninsule Arabique. Par ailleurs, la politique italienne de domination de la Méditerrannée menace, en cas de conflit, de couper la "route des Indes", c'est-à-dire la ligne Gibraltar/Suez. Cette éventualité, c'était le cauchemar de l'Angleterre.
La menace japonaise
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Quant au danger japonais, il résultait de l'acquisition, par le Japon, après la première guerre mondiale, de la Micronésie auparavant allemande. Au milieu de cette immense Micronésie, se situait la base de Guam, américaine depuis le conflit de 1898 entre les Etats-Unis et l'Espagne. Entre Guam et les Philippines, également américaines, les Japonais avaient construit la base aéronavale de Palau, proche des avant-postes britanniques de Nouvelle-Guinée et au centre du triangle Guam-Darwin (en Australie)-Singapour. Comme le Japon souhaitait la création d'une vaste zone de co-prospérité asiatique, risquant d'englober l'Indonésie et ses champs pétrolifères susceptibles d'alimenter l'industrie japonaise naissante, les Anglais craignaient à juste titre une "menace jaune" sur l'Australie et la conquête de la façade orientale de l'Océan Indien, moins solidement gardée que la façade afro-arabe.
Mais la menace qui pesait sur l'équilibre impérial britannique ne provenait pas seulement des agissements japonais ou italiens, mais aussi et surtout des mouvements de libération nationale qui s'organisaient dans les pays arabe (et notamment en Egypte) et dans les pays de l'Asie du Sud-Est. Les Anglais savaient très bien que les Allemands (très populaires auprès des Arabes et des Indiens), les Italiens et les Japonais n'auraient pas hésité à soutenir activement les révoltes "anti-impérialistes" voire à s'en servir comme "chevaux de Troie". Et effectivement, pendant la seconde guerre mondiale, Japonais et Allemands ont recruté des légions indiennes ou soutenu des révoltes comme celle des officiers irakiens en 1941.
La géopolitique de Haushofer
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Indépendamment des idées fixes d'Hitler, la géopolitique allemande, impulsée par Karl Ernst HAUSHOFER, esquisse, entre 1920 et 1941, un projet continental eurasien, c'est-à-dire un élargissement du "jus publicum europaeum" à toute le masse continentale eurasienne et africaine. Ce "jus publicum europaeum", défini par le juriste Carl SCHMITT, implique la création d'un espace sur lequel les différends politiques entre les Etats sont atténués selon des règles de courtoisie, éliminant les volontés exterminatrices et posant l'adversaire comme un adversaire temporaire et non un adversaire absolu. La géopolitique de HAUSHOFER comprenait notamment les trois projets suivants:
1) Gestion du Pacifique par le Japon, suivant le principe qu'une zone de co-prospérité économique ne doit jamais être unifiée sous l'égide d'une puissance étrangère à cet espace.
2) Alliance des Européens avec les indépendantistes turcs, iraniens, afghans et indiens, de façon à élargir la zone de sécurité européenne. Avec ce projet naît l'idée d'un axe "alexandrin", partant des Balkans pour s'élancer vers l'Indus et même au-delà. Nous l'appeleront "diagonale", car cette ligne part de l'Islande et traverse en diagonale la masse continentale eurasienne, telle qu'elle se perçoit sur une planisphère à la Mercator.
3) Formation d'un bloc eurasien porté sur trois piliers: l'Allemagne avec son armée de terre et sa flotte, constituée selon les règles de Tirpitz; l'URSS comme gardienne du cœur de la masse continentale; le Japon comme organisateur du Pacifique. Cette triple alliance doit créer une "Doctrine de Monroe" eurasienne, dirigée contre les immixtions américaines en Europe et en Asie.
Pour HAUSHOFER comme pour SCHMITT, ce projet vise la constitution d'un "nomos" eurasien où l'Europe (Russie comprise) pratiquerait une économie de semi-autarcie et d'auto-centrage, selon les critères en vigueur dans l'Empire Britannique. Fédéraliste à l'échelle de la grande masse continentale, ce projet prévoit l'autonomie culturelle des peuples qui y vivent, selon les principes en vigueur en Suisse et en URSS (qui est, ne l'oublions pas, une confédération d'Etats). Même si en URSS, le principe fédéral inscrit dans la constitution et hérité de la pensée de LENINE a connu des entorses déplorables, dont souffre d'ailleurs l'ensemble, surtout sur le plan du développement économique. HAUSHOFER agit ici en conformité avec les désirs de la "Ligue des Peuples Opprimés", constituée en Allemagne et à Bruxelles au début des années 20. HAUSHOFER pratiquait, à son époque, un "tiers-mondisme" réaliste et non misérabiliste, c'est-à-dire réellement anti-colonialiste. Le "tiers-mondisme" des Occidentaux, chrétiens ou laïcs, d'après 1945 cache, derrière un moralisme insipide, la volonté d'imposer aux peuples d'Afrique et d'Asie un statut de néo-colonialisme.
HAUSHOFER se heurtera à HITLER qui souhaite l'alliance anglaise ("Les Anglais sont des Nordiques") et la colonisation de la Biélorussie et de l'Ukraine ("Espace vital pour l'Allemagne"). Ce double choix de HITLER ruine le projet d'alliance avec les indépendantistes arabes et indiens et saborde la "Triplice" eurasienne, avec l'Allemagne, l'URSS et le Japon. Alors que STALINE était un chaleureux partisan de cette solution. C'est dans ces erreurs hitlériennes qu'il faut percevoir les raisons de la défaite allemande de 1945. ROOSEVELT, grand vainqueur de 1945, avait parfaitement saisi la dynamique et cherché à l'enrayer. Il a poursuivi deux buts: abattre l'Allemagne et le Japon, puissances gardiennes des façades océaniques (Atlantique et Pacifique) et éliminer l'autonomie économique du "Commonwealth". Face aux Etats-Unis, il ne resterait alors, espérait Roosevelt, qu'une URSS affaiblie par sa guerre contre l'Allemagne et les divisions de chars de von MANSTEIN.
Le rôle des Etats-Unis dans l'histoire de ce siècle est d'empêcher que ne se constituent des zones de co-prospérité économique. La guerre contre Hitler et la nazisme, la guerre contre le Japon le confirment. Immédiatement après la deuxième guerre mondiale, la guerre froide cherchait à mettre l'URSS à genoux car elle refusait le Plan Marshall, conjointement avec les pays est-européens. Ipso facto, une sphère de co-prospérité est-européenne voyait le jour, ce qui portait ombrage aux Etats-Unis. Face à la CEE, autre sphère économique plus ou moins auto-centrée, l'attitude des Etats-Unis sera ambigüe: elle favorise sa création de façon à rationaliser l'application du Plan Marshall mais s'inquiète régulièrement des tendances "gaullistes" ou "bonaparto-socialistes" (l'expression est de l'économiste britannique Mary KALDOR). Actuellement, la guerre économique bat son plein entre les Etats-Unis et la CEE dans les domaines de l'acier et des denrées agricoles. La nouvelle guerre froide inaugurée par REAGAN vise à empêcher un rapprochement entre Européens de l'Est et Européens de l'Ouest, donc à renouer avec la tradition haushoferienne ou avec une interprétation plus radicale de la Doctrine HARMEL.
Cette synthèse entre l'analyse géopolitique haushoférienne, le gaullisme de gauche et la Doctrine Harmel, nous espérons ardemment qu'elle se réalise pour le salut de nos peuples. Nous voulons une politique d'alliance systématique avec les peuples de la Diagonale, que nous évoquions plus haut. L'Océan Indien doit être libéré de la présence américaine au même titre que l'Europe de l'Ouest, ce qui réduira à néant la psychose de l'encerclement qui sévit en URSS et fera donc renoncer ce pays aux implications désastreuses de l'aventure afghane; ainsi, Moscou pourra s'occuper de son objectif n°1: la rentabilisation de la Sibérie.
Après 1945: le non-alignement
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Après 1945, l'Europe a perdu ce réalisme géopolitique. Le réalisme, dans sa traduction "nationaliste", est en revanche réapparu dans le "Tiers-Monde". Il était l'héritier direct des mouvements qui, aux Indes ou dans le monde arabo-musulman, s'étaient dressés entre 1919 et 1945 contre la tutelle britannique. En 1947, l'Inde acquiert l'indépendance. La clef de voûte du système impérial britannique s'effondre, entraînant le reste à sa suite. En 1949, la victoire de MAO en Chine empêche les Etats-Unis d'organiser la Chine comme un marché/débouché de 700 millions de consommateurs, au profit de l'industrie américaine. L'Indonésie proclame elle aussi son indépendance. En 1952, MOSSADEGH cherche à nationaliser les pétroles anglo-américains d'Iran. En 1954, les populations rurales d'Algérie se révoltent contre l'Etat Français qui s'était servi de leurs meilleurs hommes pour lutter contre l'Allemagne (par ailleurs alliée des Arabes) et n'accordait pas l'égalité des droits entre Musulmans d'une part et Juifs et Chrétiens d'autre part. La même année, NASSER renverse la monarchie corrompue du roitelet FAROUK et annonce son intention de nationaliser le Canal de Suez. En 1955, les non-alignés se réunissent à Bandoeng pour proclamer leur "équi-distance" à l'égard des blocs. A partir de 1960, l'Afrique se dégage des tutelles européennes, pour retomber rapidement sous la férule des multinationales néo-colonialistes. En Amérique Latine, les nationalismes de libération s'affirment, surtout à l'ère péroniste en Argentine. Tous ces mouvements contribuent à venger la défaite de l'Europe et continuent la lutte contre l'idéologie du "One-World" de ROOSEVELT. Même sous l'étiquette communiste comme au Vietnam.
Dans cette lutte globale, que se passera-t-il plus particulièrement dans l'Océan Indien? Le retrait des Britanniques laisse un "vide". Cette crainte du "vide" est le propre des impérialismes. En effet, pourquoi n'y aurait-il pas un "vide" dans l'Océan Indien? Dans l'optique des "super-gros", les vides génèreraient des guerres et la "sécurité internationale" risquerait de s'effondrer s'il n'y a pas arbitrage d'un super-gros. Les Etats riverains de l'Océan Indien ont certes connu des conflits dans la foulée de la décolonisation mais ces conflits n'ont pas l'ampleur d'une guerre mondiale et sont restés limités à leurs cadres finalement restreints. Le risque de voir dégénérer un conflit en cataclysme mondial est bien plus grand quand une super-puissance s'en mêle directement. La meilleure preuve en sont les deux guerres mondiales où l'Empire Britannique exerçait trop de responsabilités politiques et militaires dans l'Océan Indien et ailleurs, sans avoir toutes les ressources humaines et matérielles nécessaires pour une tâche d'une telle ampleur. Toute concurrence, même légitime, toute velléité d'indépendance de la part des peuples colonisés étaient perçues comme "dangereuses". Derrière le mythe éminement "moral" de la sécurité internationale arbitré obligatoirement par Washington ou par Moscou (et finalement plus souvent par Washington que par Moscou) se cache une volonté hégémonique, une volonté de geler toute évolution au profit du duopole issu de Yalta et de Potsdam. Il n'y a "danger" que si l'on considère "sacré" l'ordre économique mondialiste, intolérant à l'égard de toute espèce de zone semi-autarcique auto-centrée, à l'égard de toute zone civilisationnelle imperméable aux discours et aux modes d'Amérique. HAUSHOFER croyait, à l'instar de SCHMITT ou de Julien FREUND, que la conflictualité était une donnée incontournable et que les volontés de biffer cette conflictualité constituaient un refus du devenir du monde, de la mobilité et de l'évolution. Ainsi, sur la base de cette philosophie de la conflictualité, la diversité issue des indépendances nationales acquises par les pays riverains de l'Océan Indien est la seule légitime, même si elle engendre des conflits localisés.
C'est parce qu'ils ne voulaient pas qu'une autre grande puissance prenne le relais des Britanniques que GANDHI et NEHRU proclamaient que la souveraineté était leur but principal. Mais, cette souveraineté indienne, optimalement viable que si les eaux de l'Océan Indien ne sont pas sillonnées par les flottes des super-puissances, s'est revue menacée par l'arrivée, d'abord discrète, des Américains et des Soviétiques. Les Américains s'empareront de Diego Garcia, îlot dont nous avons déjà évoqué l'importance stratégique. Or qui tient Diego Garcia, tient un des sommet du triangle océanique qui assure la maîtrise de la Mer du Milieu. Les USA reprennent ici pleinement le rôle de la thalassocratie britannique. A cette usurpation, les riverains ne pourront opposer qu'une philosophie du désengagement, du non-alignement. Ainsi, l'Ile Maurice, soutenue par l'Inde, revendiquera la pleine possession de Diego Garcia. Le Président malgache Didier RATSIRAKA réduira à 2,5% la part du commerce extérieur de son pays avec les super-gros. Le Président des Seychelles, France-Albert RENE, a pris pour devise: "Commercer beaucoup avec les petits, très peu avec les gros". Les Maldives accorderont une base navale à l'Inde. L'Inde s'est donné l'armement nucléaire pour protéger son non-alignement.
Quelles attitudes prendre en Europe?
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Face à ce courageux indépendantisme des Malgaches, Seychellois et Maldiviens, quelle attitude doit prendre l'Europe? Les choix positifs possibles sont divers.
1. Il y a l'option dite "gaulliste de gauche" qui reste exemplaire même si, en France, l'indépendantisme gaulliste est bel et bien mort. L'écrivain politique qui exprime le mieux cette option est Paul-Marie de la GORCE. Il se réfère au discours prononcé par DE GAULLE à Pnom-Penh en 1966 et estime que la France doit se positionner contre les Empires, aux côtés des peuples opprimés. P.M. de la GORCE rejoint ici l'option de HAUSHOFER et de la Ligue des peuples opprimés. Pour Edmond JOUVE, avocat du dialogue euro-arabe, il faut opposer une philosophie du droit des peuples à la philosophie individualiste et occidentale des droits de l'homme. Ces deux auteurs, situés dans la mouvance du "gaullisme de gauche", doivent nous servir de référence dans l'élaboration de notre géostratégie.
2. Il y a l'option suédoise, portée par Olof PALME, récemment assassiné. La Suède a ainsi préconisé le non-alignement, s'est donné une industrie militaire autonome et s'est faite l'avocate de la création, en Europe, de "zones de Paix". Malheureusement, cette option suédoise, contrairement à l'option gaulliste, a avancé ses pions sous le déguisement de l'idéologie iréniste soixante-huitarde, décriée et démonétisée aujourd'hui. Cette politique poursuivie par PALME doit désormais être analysée au-delà des manifestations de cette idéologie dépassée et finalement fort niaise. Derrière le visage d'un PALME arborant la petite main des One-Worldistes de SOS-Racisme ("Touche pas à mon pote"), il faut reconnaître et analyser sa politique d'indépendance. PALME cherchait des débouchés pour ses industries dans le Tiers-Monde, de manière à assurer leur viabilité parce que d'autres pays européens refusaient de collaborer avec les Suédois. On l'a vu chez nous avec le "marché du siècle" où trois avions étaient en lice pour figurer aux effectifs des aviations néerlandaise, belge, danoise et norvégienne. Un SAAB suédois, un Mirage français et le F-16 américain. C'est bien entendu ce dernier qui a été choisi. Si les Etats scandinaves et bénéluxiens avaient choisi l'appareil suédois, il se serait créé en Europe une industrie autonome d'aéronautique militaire. Aujourd'hui, SAAB ne peut plus concurrencer les firmes américaines qui, grâce à ce contrat, ont pu financer une étape supplémentaire dans l'électronique militaire. Pour sauver les meubles, la Suède a dû pratiquer une fiscalité hyper-lourde qui donne l'occasion aux écœurants adeptes du libéralisme égoïste et anti-politique de dénigrer systématiquement Stockholm. Quand PALME et les Suédois parlaient de "zones de Paix", ils voulaient des zones dégagées de l'emprise soviétique et américaine où les industries intérieures à ces zones collaboreraient entre elles. Pour les Suédois, la Scandinavie ou les Balkans pouvaient constituer pareilles zones. Vu la politique militaire suédoise, ces zones auraient dû logiquement se donner une puissance militaire dissuasive et non végéter dans l'irréalisme pacifiste.
Pour l'Europe: un programme de libération continentale
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Favoriser un changement en Europe, c'est déployer un programme de libération continentale. Il n'y a pas de changement possible sans grand dessein de ce type. La libération de notre continent implique comme premier étape la constitution de zones confédératives comme la Scandinavie (Islande, Norvège, Suède, Danemark, Finlande), les Balkans (Grèce, Yougoslavie, Bulgarie, Roumanie), la Mitteleuropa (Bénélux, RDA, RFA, Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie, Autriche). L'Italie, l'Espagne (avec le Portugal) et la France constituant des espaces suffisamment grands dans l'optique de cette première étape. L'idée d'une confédération scandinave a été l'axe central de la politique suédoise depuis 1944. La découverte d'archives datant de cette année vient de prouver que la Suède comptait mobiliser 550.000 soldats pour libérer le Danemark et la Norvège et pour éviter, par la même occasion, qu'Américains, Britanniques et Soviétiques ne s'emparent de territoires scandinaves. Dans cette optique, la Scandinavie devait rester aux Scandinaves.
Depuis l'économiste NAUMANN, qui rédigea un projet de "Mitteleuropa" en 1916, l'idée d'une confédération de type helvétique s'appliquant aux pays du Bénélux, aux Allemagnes et aux restes de la monarchie austro-hongroise s'était évanouie dans le sillage du Traité de Versailles, des crises économiques (1929) et de la parenthèse hitlérienne. Les Etats du Bénélux avaient préféré se retirer du guêpier centre-européen et opté pour le rapprochement avec les monarchies scandinaves. Albert Ier soutenait le Pacte d'Oslo (1931) et le futur Léopold III épouse une princesse suédoise, Astrid, pour sceller ce projet. Aujourd'hui, en Allemagne, l'idée d'une confédération centre-européenne revient dans les débats. Ce sont le Général e.r. Jochen LöSER et Ulrike SCHILLING qui ont rédigé un premier manifeste, visant en fait à élargir le statut de neutralité de l'Autriche aux deux Allemagnes, à la Hongrie, à la Tchécoslovaquie, à la Pologne et aux Etats du Bénélux. Cette zone assurerait par elle-même sa défense selon le modèle suisse et les théories militaires élaborées par le Général français BROSSOLET, par l'ancien chef d'Etat-Major autrichien Emil SPANOCCHI, par LöSER lui-même et par le polémologue Horst AFHELDT. L'armée serait levée sur place, les communes seraient responsables de la logistique et d'un matériel entreposé aux commissariats de police ou de gendarmerie. Les missiles anti-chars, type MILAN, constitueraient l'armement des fantassins, de même que des missiles anti-aériens, types SAM 7 ou Stinger. Ces troupes, en symbiose avec la population, disposeraient également de chars légers, types Scorpion ou Wiesel (aéroportables). La réorganisation des armées centre-européennes aurait ainsi pour objectif de transformer le cœur géopolitique de notre continent en une forteresse inexpugnable, à lui impulser la stratégie du "hérisson", contre lequel tout adversaire buterait. Cette logique strictement défensive se heurte surtout au refus de Washington et à la mauvaise volonté américaine car la hantise de la Maison Blanche, c'est de voir se reconstituer une Europe semi-autarcique, capable de se passer des importations américaines, agricoles ou industrielles.
Dans les Balkans, les projets de rapprochement ont été sabotés par Moscou dès 1948, lors du schisme "titiste". TITO accepte le Plan Marshall et prône les voies nationales vers le socialisme. Il vise le regroupement des Etats balkaniques en une confédération autonome, calquée sur le modèle du fédéralisme yougoslave. L'URSS craignait surtout l'intervention britannique dans cette zone: c'est ce qui explique son hostilité au titisme. Aujourd'hui, après les incessantes velléités roumaines d'indépendance, Moscou semble prête à assouplir sa position. Washington, en revanche, voit d'un très mauvais oeil la bienveillance de PAPANDREOU à l'endroit du projet de confédération balkanique. D'où la propagande anti-grecque, orchestrée dans les médias occidentaux.
La France a connu la "troisième voie" gaullienne, a mis l'accent sur sa souveraineté. Cette option gaullienne bat de l'aile aujourd'hui. Pour la concrétiser, la France devrait adopter le projet de "parlement des régions et des professions" de certains cercles gaullistes, mode de gestion qui rapprocherait les gouvernés des gouvernants de manière plus directe que l'actuelle partitocratie ("La Bande des Cinq", LE PEN inclu). Ce rapprochement permettrait également d'adopter le système militaire par "maillage du territoire national", préconisé par BROSSOLET ou COPEL. Ce système transformerait le territoire français en une forteresse pareille au "Burg" helvétique. De plus, les jeunes conscrits français effectueraient leur service militaire près de leur domicile et l'ensemble du territoire serait également défendu, en évitant la concentration de troupes en Alsace et en Lorraine. Car pour la France comme pour l'Europe, le danger ne vient plus de l'Est mais de l'Ouest. En prenant acte de cette évidence, la France hérite d'une mission nouvelle: celle d'être la gardienne de la façade atlantique de l'Europe. Sa Marine a un rôle européen capital à jouer. Ses sous-marins nucléaires seront les fers de lance de la civilisation européenne, les épées du nouveau "jus publicum europaeum" contre les menaces culturelles, économiques et militaires venues de Disneyland, de la Silicon Valley, du Corn Belt et du Pentagone. Parallèlement, la France doit reprendre ses projets d'aéroglisseurs et de navires à effet de surface ("NES" et "Jet-foils"). Ces projets ont été honteusement abandonnés, alors que les Américaines et les Soviétiques misent à fond sur ces armes du XXIème siècle. La France déployerait ainsi ses sous-marins et sa flotte et rendrait l'approche de ses côtes impossible grâce à une "cavalerie marine" de NES et d'aéroglisseurs. La figure symbolique du combattant français de demain doit absolument devenir le soldat de la "Royale", le sous-marinier, le cadet de la mer, le fusilier-marin, le "missiliste" des NES. Le théoricien militaire de cette revalorisation du rôle de la marine française est l'Amiral Antoine SANGUINETTI.
Telles sont les prémisses de notre "nouvelle doctrine HARMEL". Une doctrine qui, comme celle qu'avait élaborée le conservateur liégeois dans les années 60, se base sur un concept d'Europe Totale et cherche à détacher les Européens (de l'Est comme de l'Ouest) de leurs tuteurs américains et soviétiques. Cette doctrine préconise le dialogue inter-européen et rejette la logique de la guerre froide. Elle implique, parallèlement, une diplomatie de la main ouverte aux peuples qui veulent, partout sur la planète, conserver leur autonomie et leurs spécificités. En conclusion: la collaboration harmonieuse entre l'Europe et le "Tiers-Monde" passe par l'effondrement du statu quo en Europe. Par la mort de Yalta.
Que faire?
Notre projet de "paix universelle"
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Les hommes et les femmes lucides d'Europe doivent dès aujourd'hui se poser la question de LENINE: que faire? Eh bien, il faut lutter contre le statu quo, puis reprendre la perspective de HAUSHOFER. Il faut viser la libération de la "diagonale", depuis l'Islande jusqu'à la Nouvelle Zélande. Sur cette ligne, devront se créer des zones semi-autarciques auto-centrées, indépendantes de Washington et de Moscou avec, en Afrique: une confédération saharienne (Maroc, Algérie, Tunisie, Libye), avec, en Europe, neuf confédérations se juxtaposant (Iles Britanniques, Scandinavie, Mitteleuropa, France, Ibérie, Italie, Suisse, Balkans, URSS), avec une Turquie libérée de sa sanglante dictature otanesque, un Moyent-Orient soudé selon les principes nasseriens, un Iran stabilisé dans la "troisième voie" qu'il s'est choisie en expulsant son Bokassa de "Shah", un Afghanistan libre de toute tutelle (c'est là notre principal litige avec l'URSS), un Pakistan débarrassé de l'influence américaine (ce qui ne sera possible que si les Soviétiques évacuent l'Afghanistan), une Fédération Indienne dotée de son armement nucléaire, de son arsenal autonome en croissance progressive et son armée magnifiquement disciplinée de plus d'un million de soldats, avec une zone de coprospérité dans l'Océan Indien (Seychelles, Maldives, Maurice, Réunion, Madagascar, Somalie, Yémen), avec, enfin, une zone de co-prospérité australo-néo-zélandaise. Cette dernière zone constitue un souhait de plus en plus répandu en Australie et en Nouvelle-Zélande, où la population n'a nulle envie de troquer la tutelle britannique défunte contre une nouvelle tutelle américaine. Tel est le vœu de David Lang, Premier Ministre néo-zélandais et de la gauche neutraliste australienne. L'éclatement de l'ANZUS (pacte unissant l'Australie, la Nouvelle-Zélande et les Etats-Unis) est souhaitable dans la mesure où il permettrait un développement semi-autarcique des Etats océaniens et la création de nouveaux flux d'échanges, non directement déterminés par les USA. Ces flux d'échanges pourraient éventuellement s'effectuer avec un Pacifique Nord dominé par le Japon et détacher partiellement ainsi l'Empire du Soleil Levant du système économique que lui imposent les Etats-Unis, avec la complicité de NAKASONE.
C'est par le désengagement de la "diagonale" Islande-Nouvelle-Zélande que s'affirmera l'indépendance de l'Eurasie et de l'Afrique, espoir de HAUSHOFER, le seul géopoliticien qui ait, jusqu'ici, pensé le destin de l'Europe avec une clairvoyance aussi audacieuse.
Certes, la réalisation d'un tel programme exigera une longue marche, une très longue marche. Mais l'avenir exige que nous mettions tout en œuvre pour y aboutir. Et si ce n'est pas la clairvoyance haushoferienne qui dictera notre agir, ce sera la cruelle nécessité, née de la misère économique que nous infligera cette guerre économique acharnée que nous livrent les Etats-Unis, épaulés par leurs séides.
Il y a bien sûr des obstacles: les Etats-Unis, l'Etat d'Israël qui, au lieu du dialogue avec ses voisins arabes et avec les Palestiniens, a choisi d'être un pantin aux mains des Américains, la dictature d'EVREN en Turquie (depuis lors remplacée par le "démocratisme musclé" de Turgut ÖZAL, politicien super-obéissant à l'égard des diktats du FMI qui, lui, vise à briser l'autarcie turque et à orienter l'économie du pays vers l'exportation), le verrou indonésien, oublieux du non-alignement de SOEKARNO.
La création d'un "jus publicum eurasium ", notre projet de paix universelle, n'éliminera pas les conflits locaux. Nous ne tomberons pas dans le piège des messianismes pacifistes. Il n'y aura pas de fin de l'histoire, pas de règne de l'utopie. Les conflits locaux subsisteront, mais en risquant moins de dégénérer dans une conflagration universelle. La nouvelle "Doctrine REAGAN", qui prône un soutien aux peuples en révolte contre les amis de l'URSS ("Contras" au Nicaragua, rebelles afghans, Khmers hostiles aux Nord-Vietnamiens), est basée, elle aussi, sur l'idée qu'un monde irénique est une chimère. Pour l'Eurasie, un principe cardinal doit gérer le "jus publicum" que nous envisageons: la non-intervention des USA. A la "Doctrine de Monroe" américaine, il faut rétorquer par une "Doctrine de Monroe" eurasienne et africaine.
Robert STEUCKERS,
mai 1986.
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mercredi, 17 décembre 2008
100 anos de imperialismo norteamericano
100 anos de imperialismo norteamericano
El accionar del imperialismo en Venezuela, América y el tercer mundo comienza desde el siglo XV cuando fuimos colonizados por los europeos y pasamos a formar parte de la periferia del capitalismo mundial como suministradores de materia prima. A pesar de los procesos de independencia no hay la menor duda de que continuamos en la órbita de dependencia y de neocoloniales con respecto a los principales centros hegemónicos del capitalismo en el siglo XIX, en lo económico con respecto a Inglaterra y en segundo plano con Alemania y en lo político y cultural con respecto a España y en mayor grado con respecto a Francia. Desde los primeros bancos e industrias, pasando por líneas férreas y navieras, empresas de servicio y de comercio eran capitales fundamentalmente ingleses y alemanes. Igualmente los políticos e intelectuales que hicieron posible las nuevas repúblicas lo hicieron trasladando las principales constituciones, formas de gobiernos y universidades provenientes de la Europa Occidental. Pero desde finales del siglo XIX surge el Imperio Norteamericano con su expansión sobre el territorio cubano y puertorriqueño a partir de la guerra con España de 1898. Ya antes, desde apenas la cuarta década del siglo pasado Estado Unidos se había apropiado de buena parte del territorio mexicano.
El término que mejor define la política exterior norteamericana es la agresión, desde su nacimiento como país soberano (1776) ha demostrado una profunda vocación expansionista, evidenciada durante los gobiernos de Tomás Jefferson, pero que tendría una mayor definición en la presidencia de James Monroe con su famosa doctrina “América para los Americanos”, o lo que es mejor decir “América para los norteamericanos”. Si bien el siglo XIX es tiempo de consolidación de la economía norteamericana y de su política interna (guerra de secesión, 1861 - 65), esto no los aisló de su ideal expansionista, que ya se había manifestado sobre Luisiana y la Florida, pero que se profundiza con la anexión de los hasta entonces estados mexicanos de Texas y California (ricos en minerales como el petróleo).
Fue nuestro Simón Bolívar quien con mayor visión se percató de esta agresiva política exterior norteamericana, puesta de manifiesto fundamentalmente en los preparativos del Congreso de Panamá en 1826, con la idea de consolidar la integración de los países recién liberados del dominio español sin involucrar a los EEUU en dicho Congreso. El boicot norteamericano estuvo claramente presente en la derrota de este plan integracionista latinoamericano. En 1829 es aún más clara la percepción de Bolívar sobre el país del norte cuando señalo: “Los Estados Unidos parecen destinados por la providencia a plagar a la América de hambre y miseria en nombre de la libertad” Precisamente la mayor desviación de este proyecto fue la constitución del Panamericanismo en 1890.
Las mayores muestras de agresiones continuas y de carácter brutal por parte del gobierno norteamericano se producen desde 1898 con la guerra contra España, cuando los Estados Unidos se posesionan de los codiciados territorio Cuba, Puerto Rico, Filipinas y Wuam comenzando así su expansión extracontinental, sobre todo su interés en la “apertura” comercial Asiática. Luego vendría la política del “Gran Garrote” de Teodoro Roosvelt (1901 - 1909) y la historia de las invasiones en Cuba, Panamá, Honduras, Haití, Nicaragua, Santo Domingo, separación de Panamá de Colombia, agresiones que solo fueron disminuidas con el crac económico de los años 30. Al tiempo que se producían intervenciones militares, los Estados Unidos habían consolidado su poder económico sobre la zona: el poder del dólar. En aquellos países donde no intervino militarmente (como Venezuela); brindó “apoyo” a los gobiernos que representaban seguridad para sus inversiones.
Tanto la crisis económica de los años 30 como el enfrentamiento al nazifacismo (1933 - 45) hicieron replegar la política intervencionista norteamericana, pero el comienzo de la Guerra Fría permitió a los Estados Unidos consolidar su presencia en regiones hasta entonces inaccesibles, como las zonas petroleras del Medio Oriente. El dominio económico de los Estados Unidos se expande por todo el mundo, sus capitales y compañías levantan a Europa y Asia destruidas por la guerra y penetran en los países subdesarrollados, ya no sólo en los de América Latina. Pero la expansión económica y política norteamericana se vio frenada por el auge del socialismo que dominaba ya no solo en Europa del Este, sino también en la China, Yugoslavia y fue expandiendo su órbita sobre pequeñas naciones que habían sido víctimas de los grandes imperios occidentales.
Al tiempo que los Estados Unidos expandían sus políticas a través de la utilización de organismos internacionales aparentemente neutrales (FMI, BM, OEA, TIAR, OTAN, ONU) que han representado históricamente sus intereses, se inició una política internacional de favorecer a los “gobiernos fuertes” de marcada tendencia anticomunista, manifiesta en el auge de los gobiernos dictatoriales no sólo en América Latina (1948 - 57) sino en el resto del tercer mundo: Invade Guatemala en 1954 y 1965, presiona contra la revolución Boliviana de 1952, así como se involucra en la caída de Perón en Argentina y Vargas en Brasil, de Medina y luego Rómulo Gallegos en Venezuela, interviene en los conflictos de Corea y de Vietnam donde es, por primera vez en su historia, aplastantemente derrotado.
En el Medio Oriente, hasta 1951, en el único país donde los EEUU no tenían participación era Irán, controlado cien por ciento por los ingleses. Después de la Segunda Guerra Mundial, además del debilitamiento inglés, existen otros factores por lo cual el Medio Oriente se convierte en determinante en la política exterior norteamericana; primero, en su política de defensa ante la amenaza de expansión del comunismo, para lo cual se lanza la “Doctrina Truman”, segundo, por la situación de dependencia en la que se coloca EEUU a partir del año en que se convierte en principal importador de petróleo, situación que aumenta el peso de los EEUU, la población de origen judío fue lo que justificó su decidido apoyo a la creación y mantenimiento del Estado de Israel. En pro de estos intereses los EEUU llegaron hasta intervenir militarmente cuando consideraron algún peligro: Así dieron su aprobación al desplazamiento violento de los palestinos de sus territorios, en 1949 intervienen directamente en un golpe de Estado contra Siria y junto a Inglaterra contra el Líbano y Jordania, en 1958, motivados por el miedo a las repercusiones en esos países de la revolución iraquí. Pero su acción militar más importante fue el derrumbamiento de Mossadeh en Irán en 1954, donde la participación de la CIA fue decisiva. En 1955, en el contexto de la guerra fría, Inglaterra y EEUU establecen el acuerdo de Bagdad, acuerdo militar de la región para la “mutua defensa” ante posibles agresiones, era una extensión más de la OTAN, como lo fue el TIAR en América Latina para enfrentar el comunismo y a los movimientos nacionalistas.
Regresando a Latinoamérica, desde 1959 con la revolución cubana surge lo que desde entonces ha sido el obstáculo más grande en la política exterior norteamericana en sus relaciones con la región. El comunismo en su propio continente, en un territorio que al igual que Puerto Rico habían considerado de su dominio natural. Además, junto a la revolución cubana se había producido el auge de los movimientos insubordinados en muchos países de América Latina. Todo esto se producía, además, en el comienzo de una profunda recesión de las economías hegemónicas capitalistas aunado a la crisis energética de los 70, que a su vez generó una profundización de los movimientos nacionalistas y tercermundistas a escala mundial a los que tuvo que enfrentar la “diplomacia” norteamericana. Esta política norteamericana contribuyó, en buena parte, al retorno de las dictaduras cuya agresividad más palpable ocurrió en Chile con la caída del gobierno socialista de Allende. 1979 es un año realmente terrible para la política exterior norteamericana, cuando se producen revoluciones socialistas en Granada y Nicaragua, así como la revolución islámica y la caída del Sha en Irán, país que había sido uno de los principales aliados norteamericano en el Medio Oriente.
Al contrario de lo que muchos ingenuamente pensaban, las guerras y cualquier manifestación de violencia no han sido socavadas después del fin de la guerra fría. Por el contrario hay quienes opinan que existía mayor grado de “estabilidad política” cuando prevalecían los dos grandes bloques del occidente capitalista Vs. el oriente comunista. Hoy hasta quienes celebraron la caída de la Unión Soviética y el auge del proceso globalizador están reflexionando sobre las consecuencias de estos sucesos y sus repercusiones en el mundo actual. Los cambios ocurridos con el derrumbamiento soviético; el fin de la Guerra Fría posibilitó el surgimiento de los Estados Unidos como máxima potencia mundial. Ante el debilitamiento soviético los Estados Unidos intervienen militarmente y derrumban el gobierno socialista de Granada (1987) y luego el derrocamiento del presidente de Panamá Manuel Noriega en 1989, que estaba claramente influido por la resistencia - aun latente- de entregar el canal en 1999 y luego su participación fue evidente en el desplazamiento de los Sandinistas de Nicaragua. Como habíamos señalado en la primera parte, la última intervención militar en América se había producido contra Guatemala en 1965, luego vendría el fracaso aplastante de Vietnam. En estos años la política exterior norteamericana se hiso muy pragmática, salvo en el caso cubano, los intereses políticos pasaron a un segundo plano, a pesar de la permanencia del comunismo en China se silenciaron los ataques contra este país y por el contrario se profundizó las relaciones económicas. En el caso de Rusia no hay la menor duda que la reelección de Yelsin, frente a la amenaza que representaban los comunistas y los ultra nacionalistas, tuvo en el apoyo norteamericano un importante aval. Los Estados Unidos ahora jerarquizan sus intervenciones en aquellas regiones o naciones que representan un significativo interés.
La primera invasión sobre Iraq (1991) se encierra en el contexto que hemos señalado, las agresiones norteamericanas hacia esa nación hubieran sido imposibles con la existencia de la URSS, también sería ingenuo pensar que las mismas tuvieron como causa la defensa de la democracia y la soberanía de Kuwait - que nunca las ha tenido- o la defensa de las minorías étnicas, como los kurdos, cuyo problema, por cierto, fue creado por los propios países occidentales y que hoy no solamente atañen a Irak. Tan ingenuo es convertir a Hussein en un Satán como hacerlo un héroe, eso no es lo que nos debe interesar, pero lo cierto es que es una lucha en extremo desigual que solo pretendía garantizar el control norteamericano sobre el 70% de las reservas petroleras del mundo ubicadas en el Medio Oriente. Los gobiernos de Kuwait y Arabia Saudita e Israel le son ya incondicionales a EEUU pero no así el resto de la región.
La Paz Americana que se quiso imponer en la región, ha sido debilitada fundamentalmente por el antiarabismo de Israel, pero más aún por la profundización de los movimientos nacionalistas y concretamente del fundamentalismo islámico, que amenazan con convertirse en el obstáculo mayor de tan añorada globalización. Las agresiones a Irak, el intento de bloquear a Irán y Libia (Ley de Amato), no son solo medidas coyunturales con intereses electorales, esto va mucho más allá, los Estados Unidos se han percatado del inminente peligro que representa la inestabilidad de esta zona para su futuro. La adversidad de esta región hacia occidente está siendo alimentada tanto por la intolerancia de Israel como la de los EEUU.
En el contexto de una supuesta globalización es la imposición y la intolerancia lo que predomina, para ello los EEUU utilizan a los organismos internacionales, aparentemente “neutrales”, para enmascarar sus propios intereses, como si hubieran sido hechos bajo el consenso de todas las naciones del mundo y para el bienestar general. Se imponen modelos de economías abiertas cuando ellos aplican el proteccionismo, hablan de un mundo entre iguales y de democracias liberales cuando rechazan al inmigrante del sur, intervienen directamente en los problemas internos de otras naciones y apoyan gobiernos dictatoriales pero con economías de mercado.
Así tenemos que frente al tratado de libre comercio con México, su población es cada vez más rechazada en territorio norteamericano. En Colombia, ante una aparente lucha contra las drogas, ha intervenido directamente en la política interna de ese país, cuando todos sabemos que la principal causa del crecimiento del comercio de la droga está en el creciente consumo de los países desarrollados, especialmente el norteamericano. Los EEUU no intervinieron directamente en la desintegración y matanza de los pobladores de la exyugoslavia, cuya desintegración le es más bien favorable, no lo hicieron frente al apartheid sudafricano, en las matanzas en Ruanda, Somalia, tampoco ante las cruentas dictaduras de Pinochet en Chile o la de Corea del Sur, las cuales por el contrario se convirtieron en importantes socios económicos para EEUU.
En relación a Cuba, los EEUU vienen cometiendo - a nuestro modo de ver- sus más grave error (junto a los del Medio Oriente) no solo por la injusta profundización del bloqueo con la Ley Helms - Burton, sino que es tanto la intolerancia demostrada y la prepotencia al tratar de imponer una legislación a todo el mundo, que le ha producido un bumerang político, al ser rechazado a nivel internacional y producir por efectos indirectos un sentimiento de solidaridad hacia la nación cubana, al tiempo que ha despertado sentimientos de aversión hacia el gobierno norteamericano. Igualmente esta ocurriendo con las continuas agresiones hacia Irak, que han producido todo tipo de reacción adversa.
En 1997, luego de una profunda indiferencia en su primer periodo gubernamental el presidente Clinton realizó una visita a Latinoamérica para tratar de reconquistar espacios perdidos, no solamente en nuestro continente sino en todo el mundo la política exterior norteamericana manifiesta preocupación por el avance geopolítico de Europa (especialmente Francia) y la expansión económica de Asia. Concretamente en Venezuela llego a bendecir la política económica de Caldera y Teodoro Petkoff de “La Agenda Venezuela “y sobretodo la plena apertura (mejor decir entrega) petrolera.
El gobierno de George Bush ha sido de los más violentos y agresivos en su política exterior y mayor expresión de frustración al tratar de imponer su política hegemónica al resto del mundo. A partir de los ataques del 11 de septiembre del 2001, esta lamentable y condenable acción sirvió como pretexto para arremeter una política armamentista contra todos los posibles enemigos, rivales o elementos que causen molestias al gobierno norteamericano y sus principales aliados. En efecto, días después de la tragedia George Bush, sin haber demostrado las pruebas de responsabilidad de Bin Laden y al-qaeda en dichos actos, publicó una lista de supuestos cómplices y de los países “propulsores del mal”, donde lógicamente no podían dejar de aparecer los tradicionales enemigos: Kadafy en Libia, los fundamentalistas de Irán, los palestinos, Hussein en Irak, Fidel en Cuba y las FARC de Colombia, entre otros. Así mismo, inmediatamente salieron otros países como el caso de Inglaterra, España e Israel a apoyar esta iniciativa, dando su respaldo a que en la misma lista estuvieran los irlandeses de IRA, la ETA española y los palestinos de Hamas. Como se puede percibir ya el enemigo no tiene cara comunista, ya no es la Unión Soviética ni la Europa del Este, el enemigo cada vez se parece más a los países pobres del Tercer Mundo. Como bien lo dijo el exsecretario general de las Naciones Unidas, Boutros Ghali (cuya posición le costó la reelección) después de la caída del Muro de Berlín; se desdibujaba la frontera entre el este y el oeste pero surgía otra mas profunda entre el norte y el sur.
En lo inmediato pudimos presenciar la declaración de una guerra hacia un país, Afganistán, a cuyo gobierno -talibanes- se acuso de ser protectores de la organización al-qaeda liderizada por Osama Bin Laden, al cual se atañe la responsabilidad de los sucesos del once de septiembre, luego vino la invasión a Irak. En el 2003 la invasión a Irak, bajo el pretexto del incumplimiento de la disminución armamentista y el impedir la vigilancia permanente de la ONU, es la continuación de la guerra iniciada en 1991 por George Bush padre, quien por temor a causar una guerra civil en Irak no logró el objetivo final de liquidar al incomodo mandatario Iraquí. Tampoco tenemos la menor duda en señalar que si no fuera ese país uno de los principales productores de petróleo del mundo y la región del Medio Oriente poseedora del 80 % de las reservas mundiales, el interés no sería el mismo, nadie hablaría de democracia ni de fundamentalismo, lo mismo que ocurrió con países como Somalia y Ruanda cuya espantosa guerra para nada interesó a las grandes potencias del mundo. También estamos conscientes de que el problema no es solo petrolero, que ya es bastante, sino que se le teme al liderazgo que este país junto a Irán ejerce en la región, tanto en el mundo árabe como en la religión islámica, que se han convertido en el mas fuerte rival cultural y político; obstáculo para la expansión económica en esta importante región.
Pero la guerra contra Irak y todos los supuestos terroristas mundiales no solo sirven para sacar del camino los viejos enemigos, a los estorbos del mundo, sino que además representa un excelente negocio para quienes viven de la guerra, fundamentalmente los países desarrollados que son los principales productores armamentista del mundo, quienes venden unos 750 mil millones de dólares en este sector, y que son a su vez los mayores violadores de los acuerdos de disminución de armamentos. También la guerra sirve para obviar la preocupación de los ciudadanos norteamericanos (quienes en su mayoría rechazan esta contienda) de los graves problemas económicos del país y la poca popularidad de Bush. Así mismo, Bush hijo, salvo heredar la agresividad republicana de su padre, ha demostrado desde la campaña electoral (que por votos perdió ante Al Gore, pero que sin embargo la naturaleza de la democracia norteamericana le dio el triunfo.) es un desconocedor de la realidad mundial. El intelectual mexicano Carlos Fuentes, uno de los más brillantes de América Latina, lo ha acusado en varias oportunidades de “Ignorante y estúpido”.
Contrariamente al discurso de campaña Bush , quien dijo en el 2000 que América Latina sería “un compromiso fundamental de su presidencia”, y de su proclamación junto con otros líderes hemisféricos en abril del 2001 de que éste era “el siglo de las Américas”, su gobierno no hizo nada o muy poco por enmendar errores del pasado y mucho menos cumplir con las promesas de anteriores mandatarios, como lo de condonar parte de la deuda externa, dar trato preferencial a nuestros productos. Por el contrario después de los sucesos de septiembre del 2001 centró sus intereses en el Medio Oriente y hacia Latinoamérica apuntalo solo hacia profundizar sus ataques a Cuba, incentivar el Plan Colombia contra los movimientos insurgentes y crear mayores obstáculos a la migración latina, caso dantesco con el nuevo muro entre ese país y México.
Es ahora cuando percibe como-a diferencia de lo que se pensaba hace apenas pocos años- la población latinoamericana rechaza cada vez más la política unipolar y hegemónica de los EE.UU., y ha castigado en rebeldía y en las urnas electorales los gobiernos lacayos del imperialismo. Al contrario de lo que se pensaba, después del derrumbe soviético, América latina se ha convertido en escenario fundamental de nuevos proyectos políticos y económicos, frente al neoliberalismo impulsado principalmente por la potencia del Norte.
En América latina se debate libre y plenamente sobre la posibilidad de un nuevo orden social para la región y el mundo. Cuba ya no es la excepción, Nicaragua, Ecuador, Bolivia, Venezuela, apuestan francamente contra el capitalismo y en pro del socialismo. Pero en Brasil, Argentina, Chile, Uruguay, Perú, México, Guatemala y en casi toda la región pueblos enteros han demostrado que no son simples minorías, y que a pesar de lo moderado de sus gobiernos, los pueblos rechazan el imperialismo y buscan otros caminos en su proceso de liberación. Bush en un intento desesperado de obstaculizar los avances de Venezuela y de la revolución latinoamericana realizó en el 2007 una visita a cinco naciones (Brasil, Uruguay, Colombia, Guatemala y México) entre el 8 y el 14 de marzo, pero nada consiguió, aunque ofreció acuerdos económicos que satisfagan a las oligarquías y a los lacayos políticos este proceso es irreversible no solo en América sino en el mundo entero, guste o no el capitalismo y su manifestación imperialista tiene el tiempo contado, ya no será posible con bayonetas acallar a los pueblos, ni invadiendo a todo el mundo podrán detener el camino que los pueblos se han trazado: un mundo mas humano, un mundo sin dueños, un mundo de todos.
Pedro Rodríguez Rojas
Extraído de Rebelión a través de la LBN
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Robert Poulet
Robert Poulet
trouvé sur : http://archaion.hautetfort.com
Auteur en 2003 d'une monumentale biographie de Robert Poulet (1893-1989), l'historien et éditeur Jean-Marie Delaunois a eu l'excellente idée d'en proposer une version abrégée qui permet au lecteur de se forger une opinion sur cet homme ô combien paradoxal. Il a dépouillé une imposante documentation, souvent inédite (notamment L’Oiseau des tempêtes, les mémoires de Robert Poulet) et rencontré tous les témoins de ce parcours si singulier, de la gloire à l’exil. Delaunois étudie le cas Robert Poulet dans toutes ses dimensions : esthétiques (du dadaïsme juvénile au classicisme de la maturité), éthiques (des dérives des années 20 au rigorisme catholique), politiques (du " fascisme occidental " à l’anarchisme de droite), etc.
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Né à Liège dans la bourgeoisie catholique, Robert Poulet aura tout connu au long de son existence: les études d'ingénieur des Mines, la découverte de Wagner à 18 ans, le front des Flandres où il gagne ses galons d'officier au mérite, la vie de bohème dans la France des années 20, le cinéma muet comme acteur et scénariste (il participe au tournage du Napoléon d'Abel Gance), les milieux littéraires où il fait une entrée fracassante avec Handji (1931), un roman remarqué par les plus grands. Cet anarchiste de tempérament, ulcéré comme beaucoup d'anciens de la Grande Guerre (ses futurs amis Drieu et Montherlant par exemple) par la crise des années 30, fréquente alors ces non conformistes qui tentent de concilier tradition et révolution dans le but d'enrayer le déclin. De poète exalté, il se métamorphose en conseiller du prince, tout aussi exalté mais dans un monde qui bannit toute naïveté. Or, Poulet, comme le montre bien Delaunois, est tout sauf un esprit pragmatique. Aveuglé par un ahurissant complexe de supériorité comme nombre de génies (car Poulet fut un génie… littéraire), l'écrivain se veut théoricien d'un ordre nouveau. Il donne des leçons à gauche et surtout à droite, rompt des lances en faveur de la neutralité belge après Munich, bref il s'engage sur une voie minée au risque d'être manipulé. Après la défaite, il se trouve, en compagnie du très ambigu P. Colin, à la tête du Nouveau Journal par "devoir de présence", pour le "moindre mal", dans le cadre d'une collaboration conditionnelle, certainement non vénale et ce jusqu'en 1943, quand Degrelle, par pur opportunisme, proclame la germanité des Wallons, mettant ainsi fin aux illusions. Robert Poulet, qui incarna en Belgique la figure du non-conformiste des années 30, voulut, d’écrivain pauvre, devenir maître à penser d’une sorte de révolution nationale à la belge. Rallié à une collaboration conditionnelle, à ce qu’un grand résistant a nommé un "patriotisme collaborateur", Poulet se crut, un peu naïvement sans doute, l’homme du roi Léopold III, et l’élément central d’une politique de présence face aux Allemands. On pense à Drieu, le rêveur qui se voulut homme d’action, mais Poulet était, lui, un cérébral pur, dévoré d’orgueil, perdu dans des nuées fanatiquement préférées au réel.
Poulet s'est-il lancé dans cette aventure avec les encouragements du comte Capelle, conseiller du Souverain? Il l'affirmera une fois condamné à mort en 1945, entrant à son corps défendant dans l'Affaire royale, où son cas est instrumentalisé par les ennemis de Léopold III. Un paradoxe de plus: méprisé sous l'Occupation par les amis du Grand Reich comme par la Résistance, ce littéraire qui s'est cru homme de pouvoir découvre les dures lois de la Realpolitik, ce monarchiste renforce la clique hostile au Roi; bref, Poulet s'enlise dans un bourbier presque mortel, car le Régent avait signé son arrêt de mort. Le déclenchement de l'Affaire qui porte son nom le sauve du poteau et, en 1951, il est conduit à Paris dans une voiture du Ministère de la Justice avec pour ordre de ne plus se manifester en Belgique. Exit Poulet? Nenni: à 57 ans, aidé par ses fidèles amis Hergé et Marceau, il se remet à publier sans trêve jusqu'à son dernier souffle, bâtissant une oeuvre puissante autant qu'originale, à rebours du siècle. Fracassant: le terme convient parfaitement à ce personnage ambivalent… et fracassé, car jamais Poulet ne digérera ce qu'il estime être une injustice majeure. En témoigne une stupéfiante lettre à Baudouin Ier. Delaunois pose à ce sujet des questions pertinentes: la justice de l'été 45 fut-elle sereine et impartiale? Pouvait-on sérieusement accuser Poulet d'avoir voulu nuire méchamment au pays? Sa conduite, dictée par un orgueil démesuré, valait-elle douze balles au petit matin? A-t-il vraiment trahi? Loin de céder à la tentation commode de l'anachronisme moralisateur, J.-M. Delaunois rend bien la complexité du personnage, écrivain majeur, immense critique, mais piètre politique.
Christopher Gérard
Jean-Marie Delaunois, Robert Poulet, Pardès, coll. Qui suis-je ? La biographie complète (540 pages) a été publiée en 2003 sous le titre, Dans la mêlée du XXème siècle. Robert Poulet, le corps étranger, aux éditions De Krijger.
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lundi, 15 décembre 2008
Une recensione di "Le Livre Noir de la Révolution Française"
Una recensione di
Le Livre noir de la Révolution française
di Massimo Introvigne
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Le Livre noir non si presenta come una storia sistematica della Rivoluzione Francese. È diviso in tre parti. La prima – «I fatti» (pp. 7-441) – presenta in venticinque capitoli, ciascuno opera di un diverso autore, una serie di episodi salienti della Rivoluzione e alcune valutazioni critiche complessive. La seconda – «Il genio» (pp. 443-746) – offre venti ritratti di pensatori e letterati che hanno, a diverso titolo e da diversi punti di vista, criticato la Rivoluzione, senza che tutti possano essere definiti «contro-rivoluzionari». La terza – «Antologia» (pp.747-878) – completa l’opera con una serie di testi sia di protagonisti sia di critici della Rivoluzione Francese.
Le oltre quattrocento pagine della parte relativa ai fatti coprono sia gli eventi sia la loro valutazione in modo tendenzialmente esaustivo. Si tratta di un vasto affresco, che non a caso si apre con un capitolo (tratto, con l’autorizzazione dell’anziano storico che ha esplicitamente voluto collaborare al Livre noir, da una sua opera del 1984) di Pierre Chaunu sulla vendita dei beni ecclesiastici (pp. 9-19), dove già si annuncia una delle tesi fondamentali del volume. La Chiesa cattolica non fu coinvolta a causa dei suoi legami con la monarchia in una rivoluzione principalmente politica, ma era il vero obiettivo di rivoluzionari il cui scopo era scristianizzare la Francia. Esemplare è anche la ricostruzione da parte degli storici Jean Pierre e Isabelle Brancourt della giornata del 14 luglio 1789 (pp.21-51). La presa della Bastiglia emerge sia nella sua dimensione di mito, pensato addirittura prima degli avvenimenti e giunto sino ai giorni nostri, sia nella sua realtà di modesto episodio già però caratterizzato dalla manipolazione della folla da parte dei club e delle società segrete e da una ferocia che diventerà il marchio della Rivoluzione.
Dopo un capitolo di Gregory Woimbée sui simboli rivoluzionari e sulla loro decomposizione nella Francia multiculturalista del XXI secolo (pp.65-88), quattro capitoli (pp. 89-181) sono dedicati all’azione e al martirio di Luigi XVI (1754-1793) e della sua famiglia. L’ultimo re di Francia appare – anche prima del martirio, sopportato con esemplare e cristiana fermezza – come un uomo profondamente buono, pio e sinceramente preoccupato del bene comune del suo popolo, il cui regno non è affatto una sequela di fallimenti né in politica estera né in politica interna. Un uomo, però, tradito dalla sua stessa bontà che lo porta a chiedere di fronte alla Rivoluzione – senza mai smentirsi – che neppure una goccia di sangue francese sia versata dalle sue guardie, nemmeno per salvare la sua persona. La sua attitudine conciliante, che lo porterà perfino a indossare il berretto frigio, appare come l’aspetto più discutibile dell’azione del monarca, spiegata ma non giustificata dalla sua naturale mitezza e bontà d’animo. Maggiore fermezza – ma, anche in questo caso, non senza errori politici – è mostrata dalla consorte di Luigi XVI, Maria Antonietta d’Asburgo-Lorena (1755-1793): ma in questo caso la rivalutazione storica è già da tempo in corso, ed è stata a suo modo confermata dal tono e dal successo dell’esposizione dedicata alla regina martire dalle Gallerie Nazionali del Grand Palais di Parigi nello stesso anno 2008.
Il lungo capitolo consacrato dal professore di diritto pubblico dell’Université Paris V Frédéric Rouvillois al tema «Saint-Just fascista?» (pp. 183-211) è tra quelli che più hanno indotto i critici a stracciarsi le vesti. L’uso della parola «fascismo», a differenza di quanto spesso avviene, è tecnico: Rouvillois propone un parallelo fra le idee del tribuno della Rivoluzione Louis-Antoine de Saint-Just (1767-1794) e quelle di Benito Mussolini (1883-1945). Saint-Just, secondo l’autore, anticipa il Duce del fascismo nel culto dell’eroe, della virilità, della «virtù» che conferisce all’uomo politico che la incarna il diritto di giustificare qualunque eccesso. Rouvillois non ignora le critiche di Mussolini alla Rivoluzione Francese, ma distingue fra la fase del regime fascista e quelle rispettivamente della formazione del movimento fascista e della Repubblica di Salò, dove le idee del Duce appaiono assai più vicine a quelle di Saint-Just. I critici hanno trovato il parallelo offensivo per Saint-Just. Se si guarda però al numero di morti giustiziati per ordine del tribuno francese e all’autentica passione per il sangue e l’omicidio politico di Saint-Just, da una prospettiva italiana si potrebbe al contrario – provocatoriamente – concludere che forse il paragone è offensivo per Mussolini. Fascismo o no, il capitolo merita comunque di essere letto per la lucida disamina del personaggio Saint-Just, la cui ferocia non deriva semplicemente da un carattere sanguinario ma è una conseguenza necessaria dell’ideologia.
Il cuore del Livre noir è rappresentato dai due capitoli di Jean de Viguerie sulla persecuzione antireligiosa (pp. 213-225) e di Reynald Secher sul genocidio vandeano (pp. 227-248). Entrambi gli storici riassumono qui loro opere precedenti e ben note. E tuttavia costituisce un merito l’essere riusciti a sintetizzare in due articoli brevi l’essenziale della violenza anticristiana della Rivoluzione Francese, che colpisce anche gl’insorti vandeani con una furia genocida che richiede spiegazioni teologiche e non solo politiche. Secher, in particolare, distingue – rispondendo a obiezioni di storici filo-rivoluzionari – tre periodi. Il primo è quello della guerra civile (1793), caratterizzata da atrocità non dissimili da quelle di altre guerre civili. Il secondo è il tempo del genocidio (1794), perpetrato secondo gli ordini delle autorità rivoluzionarie – le quali invano cercheranno di attribuirne la responsabilità al solo delegato della Convenzione Nazionale in Vandea, Jean-Baptiste Carrier (1756-1794), che sarà processato e ghigliottinato – contro una popolazione inerme, dopo che l’insurrezione era già stata sconfitta sul piano militare. Nel terzo periodo va in scena un «memoricidio», iniziato dopo il processo Carrier e ancora in corso ai giorni nostri, con cui si cerca di far dimenticare la memoria del genocidio vandeano attraverso la falsificazione storica e la congiura del silenzio.
Altri tre capitoli fondamentali sono dedicati al vandalismo, cioè alla distruzione sistematica per ragioni ideologiche di elementi del patrimonio francese: opere d’architettura e d’arte di natura religiosa o collegate alla storia della monarchia (pp. 249-259); libri e biblioteche, particolarmente monastiche (pp. 261-282); e navi (pp. 283-299). Quanto a queste ultime, il capitolo dello storico Tancrède Josseran riassume una vicenda tanto decisiva quanto poco conosciuta. La Rivoluzione si accorge che la Marina militare francese, orgoglio del re Luigi XVI che l’ha portata per la prima volta a competere ad armi pari per il dominio del mare con quella inglese (e a batterla in occasione del sostegno della Francia alla Rivoluzione Americana), è fondata su uno spirito di corpo e su un sistema di relazioni rigorosamente gerarchico, con ufficiali che sono tutti nobili. Decide quindi coscientemente di distruggere la Marina in nome dell’egualitarismo: i suoi effettivi sono ridotti, gli ufficiali ghigliottinati o messi in fuga, e sostituiti da capitani della marina commerciale senza esperienza di guerra, molte navi smantellate per farne legna da costruzioni o da ardere, con comprensibile giubilo di ammiragli inglesi come Horatio Nelson (1758-1805). Questi ultimi sanno bene come la guerra della Francia rivoluzionaria all’Europa non possa essere vinta senza controllare i mari, il che diventa impossibile grazie alla miopia tutta ideologica che distrugge la Royale, il nome con cui i francesi designano la Regia Marina Militare e che mostra fin da subito il suo collegamento organico con l’istituzione monarchica.
Non poteva mancare nel Livre noir una parte consacrata agli aspetti istituzionali e giuridici della Rivoluzione: anzi, per la verità, questa è la porzione del volume che anche alcuni critici hanno lodato. Il professore emerito di diritto dell’Università di Angers Xavier Martin, nel suo capitolo sul diritto rivoluzionario (pp. 301-322), mette in evidenza soprattutto due punti. Il primo è la nozione ideologica di legge, che per i rivoluzionari non nasce dal basso, dalla realtà, ma dalla volontà astratta – ritenuta assoluta e onnipotente – della Nazione. Una volta assunto questo punto di partenza, ogni governo – e ogni governante – non resiste alla tentazione di emanare centinaia di nuove leggi. La Rivoluzione aveva promesso di diminuire il numero di leggi: ce n’erano in effetti troppe, per la proliferazione dei diritti regionali e locali. Ma il risultato è piuttosto il contrario. «Quindicimila leggi in quattro anni? La cifra corre agli inizi del Direttorio. Si arriverà a quarantamila quattro anni più tardi» (p. 319): una tendenza che continua ancora oggi, e che proprio nella Rivoluzione Francese ha le sue origini. Il secondo aspetto sottolineato da Martin è l’odio, ugualmente ideologico, che la Rivoluzione Francese ha per la famiglia. Se l’uomo nuovo che la Rivoluzione vuole creare, il cittadino, deve stare davanti allo Stato senza la mediazione dei corpi intermedi, il diritto rivoluzionario distruggerà certamente le corporazioni e i privilegi locali: ma il suo obiettivo ultimo è il primo corpo intermedio, il più vicino alla persona che è la famiglia.
Saint-Just, l’ex-prete e teorico della Rivoluzione Emmanuel Joseph Sieyès (1748-1836), Maximilien Robespierre (1758-1794): tutti sognano l’abolizione della famiglia e l’instaurazione di un regime di figli affidati in tenera età allo Stato che non ricordino neppure più chi siano i loro genitori. Cominciano ad abolire la patria potestà e a introdurre il divorzio, nel 1792. Ma succede ai rivoluzionari francesi quello che capiterà ai loro emuli sovietici nel XX secolo: quando si trovano in guerra, scoprono che ogni attacco alla famiglia sfibra la società e danneggia l’esercito. Fanno, dunque, rapidamente marcia indietro: anche se rimarranno il divorzio (fino alla Restaurazione) e l’ideologia. Il grande assalto alla famiglia, abbandonato dai rivoluzionari per ragioni tattiche, sarà ripreso alla fine del XIX secolo; il divorzio, abolito nel 1816, sarà reintrodotto in Francia nel 1884.
Rimarrà pure – è il tema del capitolo di un altro professore universitario di diritto, Christophe Boutin (pp. 323-333) – la riorganizzazione del territorio, che sopprime le antiche regioni e le loro autonomie e introduce i dipartimenti, spesso del tutto artificiali e i cui confini sono fissati in un’ottica dichiaratamente anti-regionale. Anche in questo caso si tratta di far prevalere, rispetto a regioni che hanno una cultura comune e che sono nate dalla storia, una divisione territoriale stabilita dall’alto e il cui fine non è promuovere ma reprimere le autonomie locali. I nomi dei dipartimenti, poi, vogliono evitare qualunque riferimento storico e culturale: e anche questo è rimasto fino ai nostri giorni, mentre si è tornati indietro dopo la Rivoluzione almeno rispetto allo «stadio ultimo del ridicolo» (p. 332) che aveva cambiato nome anche alle città, modificando per esempio il nome di Bourg-la-Reine («Borgo della Regina») in Bourg-Égalité («Borgo dell’Uguaglianza») e quello di Grenoble (che conteneva la parola «noble», «nobile») in Grelibre.
A ben vedere, va ricollegato a questi due capitoli sul diritto e l’amministrazione anche quello del filosofo Michaël Bar Zvi sugli ebrei e la Rivoluzione (pp. 403-413). Il capitolo, infatti, mostra come agli ebrei siano riconosciuti dai rivoluzionari tutti i diritti come individui ma nessun diritto come comunità: sono emancipati in quanto «cittadini» ma disprezzati in quanto ebrei, quando non esplicitamente – e neppure troppo cordialmente – invitati a rinunciare alla loro identità e alla loro religione. C’è qui, certo, il consueto odio rivoluzionario per ogni religione. Ma c’è anche il pregiudizio secondo cui il cittadino deve stare di fronte allo Stato senza la protezione di alcun corpo intermedio, sia questo di natura professionale, locale o religiosa. Lo Stato rivoluzionario conosce il citoyen ma non conosce l’avvocato, il membro della corporazione di mestiere, il bretone o appunto l’ebreo. Dal momento che l’identità ebraica è particolarmente tenace, è pure combattuta dalla Rivoluzione con toni specialmente accesi, che secondo Bar Zvi hanno avuto certamente un ruolo nel preparare l’antisemitismo del XIX e del XX secolo.
Due storici molto noti, anche al pubblico non specializzato, intervengono su temi particolari: Emmanuel Le Roy Ladurie sul rapporto tra meteorologia, economia e Rivoluzione (pp. 336-347), e Jean Tulard su Napoleone I Bonaparte (1769-1821: pp. 355-374). Le Roy Ladurie mostra che, contrariamente a un mito duro a morire, un inverno particolarmente duro seguito da un’estate particolarmente secca non caratterizzò il 1789 ma piuttosto il 1788. Del resto, perché il ciclo innescato dalle avverse condizioni meteorologiche potesse passare dal cattivo raccolto al rincaro dei prezzi e da questo alle sommosse occorreva un anno: dunque a danni creati dalla meteorologia nel 1788 corrispondono sommosse nel 1789. Tuttavia in passato c’erano stati raccolti – e rincari dei prezzi – peggiori, che non avevano dato luogo a rivoluzioni, il che mostra che il cattivo raccolto del 1788 e il conseguente carovita sono (contro un’interpretazione diffusa fra gli storici marxisti) solo alcune fra le molteplici cause dell’agitazione rivoluzionaria, ma non le uniche né le principali. Tulard – riassumendo brevemente quanto ha più diffusamente illustrato altrove – si chiede se davvero Napoleone I possa essere descritto come l’uomo che assume, diffonde e consolida la Rivoluzione. Lo stesso Napoleone I, osserva lo storico, ha diffuso questo mito negli scritti redatti negli ultimi anni della sua vita. Da giovane, tuttavia, aveva guardato con sospetto alla Rivoluzione in quanto ostile all’indipendenza e anche alla semplice autonomia della nativa Corsica, causa che gli era molto cara, mentre in seguito aveva sì usato a suo vantaggio la retorica rivoluzionaria, ma senza dare mai l’impressione di crederci veramente. Il bonapartismo, secondo Tulard, resta un’ideologia politica diversa da quella rivoluzionaria nella sostanza, anche se spesso non nella retorica.
Interessante, anche perché accompagnato da numerose tavole a colori fuori testo, è il capitolo dello storico Bruno Centorame sull’iconografia contro-rivoluzionaria (pp. 349-363). Abituato a vedersi presentare a scuola e altrove solo l’arte che inneggia alla Rivoluzione, il lettore – specie francese – scopre l’esistenza di tutto un filone ottocentesco, talora artisticamente assai pregevole, che mostra gli orrori giacobini o esalta gli eroi della Vandea, il cui tipo sono i ritratti dei capi vandeani di Pierre Narcisse Guérin (1774-1833), a lungo nascosti nei sotterranei dei musei perché «diseducativi» ma oggi giustamente apprezzati e rivalutati.
Gli ultimi sei capitoli della prima parte (pp. 375-441) – tranne quello, già citato, relativo al rapporto fra ebrei e Rivoluzione Francese – propongono un inventario dell’eredità della Rivoluzione Francese e una sua valutazione critica. I totalitarismi del XX secolo – il comunismo, ma anche il nazional-socialismo – e il terrorismo, fino a quello dei giorni nostri, sono ricondotti alla Rivoluzione Francese come alla loro matrice e alla loro origine. Certo, non sono negate le differenze: e da questo punto di vista appare invero patetico il tentativo dei critici del Livre noir di considerare così fondamentali da rendere illegittimo ogni parallelo le distinzioni fra terrore sanzionato dalla legge (come sarebbe quello della Rivoluzione Francese) e terrore illegale dei terroristi, o fra regimi spietati che criticano o negano la democrazia (il comunismo e il nazional-socialismo) e regimi, pure spietati (come quello del Terrore rivoluzionario), che però affermano di operare in nome della democrazia. Queste differenze sono reali, né il Livre noir le nega. E tuttavia lo spirito della Rivoluzione Francese, l’idea che la misura della politica non è il bene comune ma l’ideologia, la giustificazione della violenza e del Terrore in nome della stessa ideologia sono momenti cruciali di un processo che prepara i totalitarismi del XX secolo e la giustificazione del terrorismo nel XXI.
Questa parte del volume mette pure in conto, anticipatamente, un’obiezione che in effetti è stata rivolta al Livre noir: quella di non distinguere fra la Rivoluzione «buona» del 1789 e quella «cattiva» del 1793 e del Terrore. Se si limitasse a criticare il 1793, si afferma, il Livre noir s’inserirebbe in un filone di storiografia liberale che è accettato, anche se non è condiviso da tutti, nell’attuale clima culturale e politico della Repubblica Francese. Criticando anche il 1789, il Livre noir invece si pone fuori da un consenso nazionale che unisce destra e sinistra (e, hanno scritto in molti, anche buona parte dei cattolici, «integristi» esclusi). In effetti, anche Benedetto XVI nel suo importante Discorso ai Membri della Curia e della Prelatura Romana per la presentazione degli auguri natalizi, del 22 dicembre 2005, da molti definito una vera e propria «enciclica sulla modernità», ha difeso la condanna pronunciata dalla Chiesa del XIX secolo nei confronti delle «tendenze radicali emerse nella seconda fase della rivoluzione francese». Dunque – ci si potrebbe chiedere – perfino il Pontefice può essere arruolato fra quanti distinguono fra una fase buona (il 1789) e una cattiva (il 1793) della Rivoluzione? Tutto dipende da quello che s’intende per «prima fase». Anche gli autori del Livre noir sono consapevoli che non tutto andava per il meglio in Francia fino al 13 luglio 1789. La distruzione dei corpi intermedi non è stata ideata completamente ex novo dalla Rivoluzione ma è stata preparata da secoli di assolutismo regio. Molti di coloro che andavano a Parigi per partecipare agli Stati Generali non intendevano rovesciare in modo «radicale» lo stato di cose vigente, e meno ancora chiudere le chiese o ghigliottinare gli oppositori. Intendevano solo protestare contro l’assolutismo in nome delle libertà dei singoli e della società che lo Stato assolutista aveva negato. Una «prima fase» della Rivoluzione Francese, in questo senso, dovrebbe andare dal 5 maggio 1789 (se non, considerando i prodromi, addirittura dal 1788) al 9 luglio 1789, cioè dalla convocazione degli Stati Generali fino alla loro trasformazione in Assemblea Nazionale: ma non certo fino al 1792, e neppure fino al 1790. Si può dunque mantenere sia che – secondo la nota espressione dell’uomo politico radicale e anticlericale francese Georges Clemenceau (1841-1929), più volte citata nel Livre noir – «la Rivoluzione è un blocco», dal 14 luglio 1789 al Terrore e oltre, sia che l’iniziale protesta anti-assolutista (la «prima fase») di questo blocco a rigore non fa parte.
Padre Jean-Michel Potin, O.P., archivista della Provincia Domenicana di Francia (pp. 416-429), e il giornalista e storico Jean Sévillia (pp. 431-441) offrono adeguate conclusioni alla prima parte dell’opera. Se Sévillia – confrontando i festeggiamenti del primo centenario della Rivoluzione nel 1889 con quelli del secondo, nel 1989 – mostra come nella Francia multietnica e multiculturale della Rivoluzione resti molto poco, così che – osserva provocatoriamente – forse nel 2089 il terzo centenario non sarà neppure celebrato, Potin conclude indicando che una delle più nefaste eredità della Rivoluzione Francese è la confusione dei ruoli, profondamente sovversiva, fra l’eroe e il re. Contro questa confusione si è schierato, nota il religioso, John Ronald Reuel Tolkien (1892-1973) nel suo Il Signore degli Anelli: «Alla fine del romanzo, il figlio del re è incoronato perché il potere è suo di diritto, e l’eroe – che ha compiuto il suo compito – si ritira dal mondo degli uomini. Ciascuno è stato al suo ruolo, e al suo posto: l’eroe è eroe e non è re, ed è per questo che deve lasciare il mondo dove il re regna, per evitare che lì si sviluppi un culto dell’eroe. L’eroe Frodo non ha figli, ma è seguito da altri tre hobbit della sua stessa generazione che condividono il suo combattimento e le sue gioie. Il re invece, nel momento in cui cinge la corona, si sposa e si assicura una discendenza. L’eroe è generazionale, il re paterno. Rifondare la politica sull’amore non consiste nel rifiutare di amare gli eroi, ma nel saper discernere che l’eroe è colui che affida il potere alla persona che porta in sé la legittimità. Ogni autorità viene da Dio. Egli la dona, ed è questo dono che si deve amare» (p. 429).
La lettura della seconda parte, «Il genio», dedicata ai critici della Rivoluzione Francese, è molto più faticosa. Anche qui l’intento dichiarato non è quello di proporre una storia del pensiero contro-rivoluzionario. L’obiettivo, se fosse questo, sarebbe mancato. Lo sarebbe per eccesso, in quanto sono inclusi pensatori che di questa storia non fanno parte, come Friedrich Wilhelm Nietzsche (1844-1900: pp. 631-656). Ma lo sarebbe anche per difetto, perché mancano riferimenti al pensiero contro-rivoluzionario del XX secolo, soprattutto spagnolo e iberoamericano (uno per tutti: Plinio Corrêa de Oliveira, 1908-1995, da cui una storia della Contro-Rivoluzione nel XX secolo non può certamente prescindere) ma anche francese (Jean Ousset, 1914-1994). La scelta ha privilegiato gli autori francofoni – di cui uno non francese, il diplomatico del re di Sardegna Joseph de Maistre (1753-1821: pp. 471-482) – con tre sole eccezioni: oltre a Nietsche, lo spagnolo Juan Donoso Cortés de Valdemagas (1809-1853), in effetti un punto di riferimento imprescindibile per la Contro-Rivoluzione (pp. 529-545), e la tedesca (vissuta però negli Stati Uniti a partire dal 1941) Hannah Arendt (1906-1975). L’inclusione di quest’ultima si comprende: l’autorità di una delle maggiori studiose di scienza politica del XX secolo viene a confermare la tesi del Livre noir secondo cui i totalitarismi del Novecento sono figli della Rivoluzione Francese. Colpisce, però, la mancanza di un capitolo su Edmund Burke (1729-1797), il primo e più influente critico anglofono della Rivoluzione.
Alcuni capitoli di taglio letterario appaiono poi eccessivamente concentrati su questioni estetiche, e lontani dallo spirito generale del volume. Così l’analisi che la romanziera Sarah Vajda dedica a François-Remé de Chateaubriand (1768-1848: pp. 505-520), di taglio strutturalista e dove più che la critica della Rivoluzione all’autrice sembra stare a cuore il possibile paragone con il semiologo del XX secolo Roland Barthes (1915-1980). Un paragone giustificato da qualche spunto «antimoderno» del semiologo, ma qui giocato sui rispettivi atteggiamenti di fronte alla bellezza e all’erotismo – salvo che per Chateaubriand si tratta di belle donne e per l’omosessuale Barthes dei «begli occhi e lunghi capelli» del ragazzo di turno (p. 512). Quanto alla politica, otto pagine su Charles Maurras (1868-1952; pp. 696-706) non sembrano sufficienti ad approfondire – eventualmente in modo critico, mettendo in luce come egli abbia cercato di separare la Contro-Rivoluzione dalla sua essenziale dimensione teologica e religiosa – il ruolo che ha avuto nella storia della critica alla Rivoluzione Francese. C’è spazio appena per un cenno ai suoi complessi rapporti con il positivismo, e per una presa di distanza obbligatoria dai suoi spunti antisemiti.
Queste riserve non vogliono però dissuadere dal leggere anche la seconda parte del Livre noir. Fra i venti ritratti di critici della Rivoluzione si nascondono veri e propri gioielli. Forse il capitolo più notevole è quello consacrato da un dottorando dell’Università di Angers, Jonathan Ruiz de Chastenet, ad Antoine Blanc de Saint-Bonnet (1815-1880: pp. 547-572). Di questo filosofo francese emerge la capacità – oggi troppo spesso dimenticata – di sintetizzare il pensiero contro-rivoluzionario precedente, legato ai nomi di Joseph de Maistre e Louis de Bonald (1754-1840; interessante anche il capitolo che lo riguarda, principalmente inteso a smentire una certa vulgata secondo cui sarebbe stato un pensatore fideista e ostile alla ragione: pp. 483-504). La presentazione sistematica di Blanc de Saint-Bonnet contribuisce in modo decisivo al passaggio, per riprendere un’espressione di un esponente contemporaneo italiano della scuola contro-rivoluzionaria, Giovanni Cantoni, dalla patristica a quella scolastica della Contro-Rivoluzione che fiorirà nel XX secolo.
Pregevoli sono anche i ritratti dedicati a due storici critici della Rivoluzione. Il primo è Hyppolite Taine (1828-1893: pp. 665-677), positivista quanto a convinzioni filosofiche ma – come mostra l’uso ampio che ne fa anche la parte antologica del Livre noir – per molti aspetti ancora insuperato come studioso delle fonti, nonché a sua volta punto di riferimento per Augustin Cochin (1875-1916: pp. 679-689), il giovane studioso caduto nella Prima guerra mondiale oggi riscoperto grazie ai lavori di uno storico autorevole come François Furet. Cochin, alla scuola di Taine, si segnala per una rigorosa ricognizione delle fonti, da cui emerge il ruolo delle «società di pensiero» (non solo della massoneria: e sta qui, come si fa giustamente notare nel Livre noir, la sua differenza con il più «complottista» Augustin Barruel S.J., 1741-1820) nel preparare e orientare la Rivoluzione. Né, infine, va sottovalutato l’interesse di alcuni ritratti letterari come quelli, per alcuni versi paralleli, dedicati al repubblicano Charles Péguy (1873-1914: pp. 707-712) e al monarchico Georges Bernanos (1888-1948: pp. 713-732). Di entrambi si mostra, al di là di oscillazioni nei giudizi storici e politici, la fondamentale unità d’ispirazione radicata nella centralità della fede e nell’amore per la Chiesa cattolica. Quanto al loro comune maestro Léon Bloy (1846-1917: pp. 615-630), come spesso accade quando si parla di questo letterato le sue miserie umane e i suoi eccessi e le sue incoerenze di polemista hanno più spazio rispetto alle belle pagine cristiane che pure hanno ispirato, come si riconosce, un’ampia posterità letteraria e filosofica. Ma è vero che le questioni politiche non sono mai state davvero al centro delle preoccupazioni di Bloy, che ha anzi trasformato – secondo l’espressione dello storico delle idee «antimoderne» Jacques Compagnon, ripresa dal Livre noir - «una marginalità politica e un handicap ideologico in un atout estetico» (p. 630).
Una parte del Livre noir che, pervenuti a pagina 747, molti rischieranno davvero di non leggere è la terza, di natura antologica. Grave errore: perché, anzitutto, l’antologia consente di riscoprire pagine dimenticate di storici acuti e sempre attentissimi alle fonti come Hyppolite Taine, ma anche testi di autori come Barruel che – pure criticato nelle sezioni precedenti nell’opera – emerge qui come uno storico tutt’altro che sprovveduto quando, più che i vasti complotti internazionali degli Illuminati, ricostruisce con dovizia di prove i piccoli – ma non piccolissimi – complotti dei tribuni della Rivoluzione. Ma errore, soprattutto, perché l’antologia, curata con intelligenza e brio da padre Renaud Silly O.P., dà voce agli stessi rivoluzionari attraverso testi, discorsi e articoli di giornali e gazzette del tempo. Ne emerge un quadro francamente agghiacciante. dove tribuni senza pietà e senza cuore arringano le folle in nome dell’odio contro la religione, la monarchia e ogni forma di differenza che possa fare ostacolo a un’impresa che mira a trasformare i francesi in «cittadini» tutti uguali e tutti modellati dall’ideologia. L’uccisione – anche, e lo si dice esplicitamente, dell’innocente –, il sangue, la guerra di aggressione non sono semplicemente presentati come mali tragicamente necessari, ma esaltati come strumenti potenti per distruggere la vecchia Francia e far nascere dalle sue rovine sanguinanti l’uomo nuovo ideologico. La mole di documenti presentati esclude che si tratti di eccessi individuali. Emerge al contrario un vero e proprio sistema, di cui sono responsabili tutti i principali dirigenti rivoluzionari e, in ultimo, la Rivoluzione stessa.
Opera collettiva, il Livre noir ha tutti i pregi e qualche difetto del genere. Molti autori sono del resto giovani. Questo non è necessariamente un limite, anche se i critici hanno sottolineato che i titolari di cattedra non sono in maggioranza. Reynald Secher ha peraltro risposto che spesso le cattedre in Francia sono negate a chi si occupa di Rivoluzione Francese senza ripetere la versione ufficiale: il cane rivoluzionario, quindi, si morde la coda. Ma – ed è questa la buona notizia – la coda, per quanto lunga, è ormai quasi alla fine. Lo dimostra la stanchezza dei rituali con cui si celebra la Rivoluzione. Lo conferma l’atteggiamento dei tanti francesi che, sordi alla campagna ostile dei media, hanno votato con i piedi andando in libreria e comprandosi il libro. Lo leggeranno tutto? Il Livre noir, nonostante la mole, non è né vuole essere un’opera di consultazione. Assomiglia piuttosto a un buffet di qualità, dove ciascuno prende secondo i suoi gusti e il suo appetito ma che offre comunque il senso di una cucina e di una gastronomia. Così il volume trasmette a chi lo percorre il sapore aspro e l’odore di morte di una delle grandi tragedie della storia, strappata con opportuna violenza alle oleografie celebrative e riportata nella strada dove il sangue scorre, le croci sono spezzate, le opere d’arte sono date alle fiamme e le teste dei sacerdoti, delle religiose, degli oppositori e talora di semplici passanti che si sono trovati al posto sbagliato nel momento sbagliato sono portate in macabro trionfo issate sulle picche dei sanculotti. Non è certo un bello spettacolo: ma ha il pregio di essere vero.
Benedetto XVI nell’enciclica Spe salvi ha ricordato gli orrori della Rivoluzione Francese mostrando come, a proposito dei fatti di Francia, ebbe occasione di mutare parere il filosofo tedesco Immanuel Kant (1724-1804), inizialmente entusiasta e che del resto alla Rivoluzione con le sue idee aveva in qualche modo contribuito. Ma nell’opuscolo La fine di tutte le cose, del 1794, ogni maschera è caduta e di fronte alla Rivoluzione Francese il filosofo parla apertamente di un regno dell’«Anticristo», «fondato […] sulla paura e sull’egoismo»: «la fine (perversa) di tutte le cose» (così riassume il suo pensiero il Papa nel n. 19 dell’enciclica). Sì: l’Anticristo. Tra i tanti meriti del Livre noir c’è quello di mostrare come il motore dell’impresa rivoluzionaria – non, ancora, una sua conseguenza accessoria o seconda – sia l’odio per la Chiesa cattolica, per la religione, infine per Dio stesso, nel tentativo di inventare una Francia, un’Europa, una società senza Dio. Ma – come ricorda Giovanni Paolo II (1920-2005) in uno dei suoi discorsi più famosi, quello al congresso Evangelizzazione e ateismo del 10 ottobre 1980, facendo sue le parole del cardinale Henri de Lubac S.J. (1896-1991) – «non è vero che l’uomo non possa organizzare la terra senza Dio. Quel che è vero, è che, senza Dio, egli non può in fin dei conti che organizzarla contro l’uomo». Se questo è il problema, non c’è che una soluzione, quella indicata già agli albori della scuola contro-rivoluzionaria da de Bonald: «La rivoluzione è cominciata con la proclamazione dei diritti dell'uomo. Non sarà distrutta che dalla proclamazione dei diritti di Dio».
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mardi, 09 décembre 2008
"La solidarité" par Maris-Claude Blais
"La Solidarité", par Marie-Claude Blais
SYNERGIES EUROPEENNES - Ecole des Cadres / Wallonie - Comité de lecture - Novembre 2008
Pour préparer les colloques, séminaires et conférences sur le solidarisme, appelé à combattre le néo-libéralisme et ceux qui nous l'ont imposé !
Dossier trouvé sur : http://blog.edgarquinet.com/
Présentation de l'éditeur : Le mot de solidarité a beau être employé à tout propos, il reste mystérieux. Il est difficile à définir et à cerner. Son parcours n'est pas moins curieux. Venu du droit, le terme a commencé par faire l'objet des appropriations les plus opposées au cours du XIXe siècle. Il a connu une première heure de gloire dans la France de la Belle Epoque avant de tomber dans une indifférence dont il a été tiré par un remarquable regain de faveur à partir des années 1980. Que recouvre au juste cette adhésion unanime ? Telle est la question à laquelle l'ouvrage se propose de répondre. Il retrace pour ce faire la genèse de l'idée en reconstituant les problématiques qui ont présidé à son élaboration. Il fait ainsi apparaître que derrière le rayonnement actuel de la notion de solidarité se dissimule l'héritage de deux siècles de réflexion sur les rapports entre l'individuel et le social. Toute l'histoire du concept contemporain de "société" s'y trouve impliquée, de même que celle de son corrélat, le projet d'une "science sociale". Marie-Claude Blais éclaire en particulier un moment clé de l'histoire de la République, ce moment 1900 où, contesté sur sa droite et sur sa gauche, le régime républicain cherche à concilier deux exigences à la fois contradictoires et indissociables : la liberté individuelle et la justice sociale. L'idée de solidarité s'impose alors comme la promesse d'une troisième voie possible entre l'individualisme libéral et le socialisme collectiviste. Ce n'est qu'en fonction de ce passé que l'on peut comprendre la faveur consensuelle dont elle jouit aujourd'hui. Mais ce n'est également que grâce à sa lumière que l'on peut détecter les problèmes cachés dans les solutions qu'elle fait miroiter.
Biographie de l'auteur : Marie-Claude Blais enseigne à l'université de Rouen. Elle a publié dans la même collection Au principe de la République. Le cas Renouvier, en 2000.
347 pages. Editions Gallimard (26 octobre 2007). Collection : Bibliothèque des idées
ISBN-10 : 2070784673. ISBN-13 : 978-2070784677
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Contre l’égoïsme social
Jusqu’aux années 1850, la solidarité fut une loi transcendantale et encore divine, qui postulait l’unité perdue du genre humain et l’harmonie naturelle. Aujourd’hui, la solidarité hante l’espace public : l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ou le pacte civil de solidarité (pacs), notamment, sont là pour nous le rappeler. Elle a même fait retour dans la doctrine sociale de l’Église, en 1987, via Sollicitudo rei socialis et Jean-Paul II, ce Polonais ami de Solidarnosc : la vertu chrétienne de charité a réintégré l’obligation laïque d’avoir à faire du lien entre des individus émancipés mais dissociés par les Lumières. Elle est montée en épingle depuis 2001 au titre de « valeur universelle » dans les projets de Constitution pour l’Europe. Elle est devenue, note Marie-Claude Blais, au mieux « le nom que prend l’obligation sociale à l’heure du droit des individus », au pire de la « poudre de perlimpinpin ». Bref, il y a une unanimité trop peu consistante autour de ce mot-valise et du vague à l’âme dans son usage, devant les décombres de l’État providence et la déliquescence du lien social.
Certains, il est vrai, croient qu’un solidarisme réinstallé au vif des enjeux du XXIe siècle pourrait avoir de nouveau sa chance. Quoi qu’il en soit, il faut goûter la sauce. Le livre de Marie-Claude Blais, bien informé, parfaitement clair, instruit à bon escient de ce qui fut, en fait, le nirvana philosophique de ce progressisme "républicain, radical et radical-socialiste" de la Belle Époque. Sorti mieux armé de la bataille autour de Dreyfus, il sut combattre tout à la fois la réaction cléricale, le libéralisme sans foi ni loi et le socialisme caporalisé. C’est le radical Léon Bourgeois, éphémère président du Conseil en 1895-1896 et futur prix Nobel de la paix en 1920, qui a peaufiné la notion dans son Solidarité de 1896 et qui, dix ans plus tard, a su convaincre ses amis politiques d’en faire la doctrine officielle de leur jeune parti (le premier qui ait été créé en France, en 1901).
Ces radicaux régnant alors sur la République, celle-ci devint solidariste comme eux et elle le fit accroire à tous les enfants par ses instituteurs et leurs leçons d’instruction civique et morale. La séparation de 1905 et la Grande Guerre de 14-18 ruinèrent pour longtemps ce solidarisme incapable de penser le Mal et la violence. Seul le temps de la Résistance et de la Libération le remit partiellement en selle quand il fallut définir ce qu’on nomme aujourd’hui notre « modèle social » et notamment notre Sécurité sociale. Après trente ans de crises et doutes de tous genres, le voici donc aujourd’hui qui fait un retour inattendu.
Léon Bourgeois a dessiné ses trois lignes de force. Un : la solidarité est la loi naturelle et scientifique, philosophique et morale, qui régit la dépendance réciproque entre les vivants et leur milieu. Deux : les hommes et les citoyens, héritiers et associés, sont tous débiteurs et doivent honorer leur dette sociale en rendant de leur mieux ce qu’ils ont reçu. Trois : un « quasi-contrat » met les individus à égalité originelle de valeur mais les émancipe par le mérite. Bourgeois n’a pas été le seul propagandiste de cette nouvelle foi. Jusqu’aux années 1850, la solidarité fut une loi transcendantale et encore divine, qui postulait l’unité perdue du genre humain et l’harmonie naturelle si chères aux romantiques : tout ce dont rêvèrent des hommes comme Pierre Leroux, Charles Fourier ou Constantin Pecqueur.
Après 1850, l’idée se sécularisa, mêlant l’économie et la philosophie, le droit civil et la morale sociale, la science et l’utopie, l’histoire et la biologie, touchant les républicains de progrès, les radicaux et les maçons mais aussi des socialistes de gouvernement, des pionniers de l’économie sociale, des chrétiens démocrates et sociaux, des syndicalistes, des mutualistes et même des nationalistes conservateurs : Marie-Claude Blais, déjà spécialiste appréciée de la pensée de Charles Renouvier, nous fait découvrir dans toute leur fraîcheur les trop oubliés Charles Secrétan, Alfred Fouillée, Charles Gide, Jean Izoulet ou Émile Durckheim. Tous acharnés à frayer, solidairement, un chemin entre le libéralisme individualiste et l’étatisme collectiviste. Tous dressés contre l’égoïsme social, pour le bien commun. Entonnant la vieille rengaine démocratique, épelant le b-a-ba de la libre fraternité. Pouvons-nous, saurons-nous réapprendre à lire le collectif et l’individuel en pensant à eux ?
JEAN-PIERRE RIOUX (La Croix)
00:30 Publié dans Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, politique, solidarisme, solidarité, socialisme, anti-libéralisme, philosophie | |
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