Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

samedi, 11 mars 2017

Constantinople et Byzance de Léon Bloy

léon-bloy (1).jpg

Constantinople et Byzance de Léon Bloy

 
Léon Bloy dans la Zone
 
Ex: http://www.juanasensio.com 

Il faut commencer par bien comprendre que c'est par goût intime que Léon Bloy, de longues années durant, s'est intéressé à l'épopée byzantine, si haute en couleurs, le plus souvent fortes, atroces même. Publié en 1906 aux éditions de la Nouvelle Revue (1), ce texte puissant, qui nous livre bien des indications, nous le verrons, sur la conception bloyenne de la terrifiante histoire jamais rassasiée de sang, et pas seulement celui des pauvres, est une cavalcade furieuse qui mêle les peuples jouant à s'exterminer le plus souvent possible, et de toutes les façons possibles. C'est peu dire que Léon Bloy prend un malin plaisir à évoquer quelques atrocités commises dans cet âge barbare dont le spécialiste fut Gustave Schlumberger qui lui inspira ce texte. Ainsi : «Quand l'horrible mutilation fut achevée, le nobilissime, se levant de terre, sans l'aide de personne, montrant à tous ses orbites vides ruisselantes de sang, soutenu par quelques fidèles, s'entretint avec eux dans un calme si surprenant, un courage tellement surhumain, qu'il semblait indifférent» (p. 260, l'auteur souligne). C'est encore trop peu, Bloy le sait : «On peut aussi mentionner l'innocente espièglerie du jeune khalife d’Égypte Al-Zahir, faisant assembler dans une mosquée 2 600 jeunes filles et les faisant emmurer. Elles y périrent de faim et, durant six mois, leurs corps demeurèrent sans sépulture», Léon Bloy poursuivant en affirmant que «ces petites histoires ne sont rien auprès de ceci : En Arménie, un certain émir, longtemps prisonnier des impériaux et enfin délivré par les Seldjouik des vainqueurs, pour se venger des souffrances de sa captivité, fit creuser une fausse de la hauteur d'un homme. Il la fit remplir du sang des prisonniers qu'il donnait l'ordre de massacrer. Puis il y descendit et s'y baigna «pour noyer la rage dévorante de son cœur»» (p. 256, l'auteur souligne). Ailleurs, citant, comme il le fait à de très nombreuses reprises, le texte de l'historien Schlumberger, l'écrivain semble se délecter de l'effroi de cette scène : «Basile se résolut à frapper un coup terrible pour épouvanter ses adversaires opiniâtres et précipiter d'autant la fin de la résistance. À la prise des défilés de Cimbalongou, plus de 15 000 combattants bulgares étaient tombés vivants aux mains de ses soldats. Les chroniqueurs byzantins affirment qu'il fit crever les yeux à tous ces captifs et les renvoya ainsi mutilés à leurs compatriotes pour servir d'exemple. Par un raffinement inouï, pour chaque centaine d'aveugles on laissa un borgne, chargé de conduire ses compagnons» (p. 238).

Léon Bloy ne se prive pas d'en rajouter, écrivant ainsi qu'il a lu «quatre fois ce soi-disant premier tome de l'Épopée byzantine» et qu'il a fait cette lecture «non par zèle mais pour assouvir [s]es passions» (p. 202, l'auteur souligne). C'est peut-être aussi par goût sinon par passion que Léon Bloy entasse les cadavres et note plus d'une fois ces exemples d'atrocités, puisque, à ses yeux, ces dernières ne sont en fin de compte pas grand-chose devant l'imminence des «guerres d'extermination que notre sensibilité d'eunuques soi-disant chrétiens fait paraître inacceptables aujourd'hui» (p. 239), lesquelles, comme toujours chez cet écrivain portant constamment la main en visière sur l'horizon désespérément vide, ne sont que les préfigurations de l'Extermination finale, apocalyptique, qui nous ouvrira les portes de l'Enfer dégorgeant ses créatures les moins respectables. Il est temps d'ailleurs, grand temps, puisque le «bouillonnement est trop universel et l'heure semble trop venue où l'Esprit-Saint a promis de renouveler la face de la terre» (p. 171).
 
LB-CB.jpgCes atrocités, Léon Bloy les empile comme un gamin pressé de saisir le moment où sa construction de pièces de bois va commencer à vaciller, mais nous ne devons pas douter que l'écrivain, lui, s'il le pouvait, dresserait son horrible monument jusqu'au ciel, pour le fendre et laisser enfin couler le feu de l'Apocalypse. Ainsi le feu nettoierait une dernière fois cette fleuves de sang qui paraissent se jeter dans l'océan infini de la Douleur.

C'est dans son Introduction à Constantinople et Byzance, écrite en 1917, que Léon Bloy relit son si étonnant texte et en confirme la portée apocalyptique, évidente dans une époque où les hommes se trouvent «au bord du gouffre, privés de foi et totalement dénués de la faculté de voir, également incapables d'aimer et de comprendre» : «Pourrait-on citer un valable mot sur la fameuse question d'Orient, depuis si longtemps qu'on en parle dans les livres ou les assemblées ? Une force mystérieuse, irrésistible, tourne le cœur de l'homme vers l'Orient qui fut son berceau» (p. 172), la rupture des sceaux étant en somme une espèce de retour au Paradis perdu (2), ce que l'écrivain confirme dans les toutes dernières lignes de cette Introduction en écrivant que : «Le monde aujourd'hui est convié à un spectacle identique. Les deux [la Bulgarie et Constantinople] périront ensemble vraisemblablement et il n'y aura plus d'obstacles sur la grande voie d'Asie qui mène à la vallée de Josaphat» (p. 173).

De toute façon, et chacune des notes ou presque que nous avons consacrées aux ouvrages de Léon Bloy nous l'a amplement montré, l'Histoire ne peut aller qu'à son terme, par essence apocalyptique puisque, nous dit superbement l'auteur, elle est «une préfiguration mystérieuse et prophétique du Drame de Dieu, analogue certainement à l'ensemble des images préfiguratrices qui constituent la Révélation biblique, impénétrable jusqu'à la grand-Messe du Calvaire», Bloy complétant cette étonnante définition en affirmant que si «la prophétie juive concernait la Rédemption», la «prophétie universelle de l'histoire concerne l'accomplissement de la Rédemption par l'avènement triomphal de l'Esprit-Saint» (p. 172), propos qui ne peuvent que nous rappeler les développements du Désespéré sur le Symbolisme en Histoire. Il serait peut-être intéressant d'étudier de possibles, bien que lointains rapports entre ces affirmations, pour le moins répétées, de Bloy, et la philosophie hégélienne de l'histoire, ne serait-ce que par le biais d'une lecture commune à ces deux auteurs, celle de Joachim de Flore.

Ces quelques extraits nous montrent amplement que l'Histoire, bien évidemment telle que la conçoit Léon Bloy, est le sujet véritable de son livre si haut en couleurs orientales. Ce qui frappe, en lisant cet écrivain, c'est qu'à ses yeux l'Histoire est tout bonnement incompréhensible bien davantage qu'absurde ou plutôt : c'est le fait de postuler l'existence d'une Histoire qui ne trahirait pas, dans le moindre de ses événements fût-il le plus anodin, la main invisible de Dieu, qui serait une profonde absurdité. Plus d'une fois, Léon Bloy affirme ainsi que, n'ayant «jamais observé que l'extérieur et le transitoire, nous ne comprenons absolument rien à des Gestes nouveaux et de surhumaine apparence qui n'ont d'analogue dans aucun passé et qui, déjà, semblent appartenir à quelque indiscernable Futur» (p. 172).

Que l'Histoire soit incompréhensible est une évidence mais, du moins, Léon Bloy se rassure quelque peu en se rangeant du côté des très rares élus capables de déchiffrer les signes les moins obvies, en se tenant soigneusement loin de «l'oraison funèbre du Bavardage universitaire». Même l'historien Schlumberger ne voit rien, malgré sa «constance d'Apache» et sa «sagacité de vieux Mohican couché sur la piste pour tirer quelque chose de ces ténèbres» (p. 178), et comment voir quoi que ce soit, du reste ? : «Il est certain que des événements immenses ont été complètement, je ne dis pas perdus, mais cachés, ce qui est plus ou moins affligeant. Cela dépend de ce que Dieu a mis au cœur et de l'idée qu'on se fait de l'histoire». Pourtant, on «sait quelque chose», car il n'existe pas «une période un peu longue dont on ne sache au moins quelques faits, ce qui est, si on veut, une espèce de miracle dans un tel engloutissement» (p. 215, l'auteur souligne). De toute façon, que faudrait-il penser, par exemple, «d'une histoire de France qui s'arrêterait brusquement, inexorablement, à Malplaquet pour ne reprendre qu'au retour des cendres de Napoléon, sans qu'il restât seulement la possibilité d'une hypothèse pour éclairer un pareil gouffre ? Eh bien !, continue Bloy, cela ne changerait rien à la Vie divine qui est la seule histoire et cela ne changerait rien non plus à cette intangible incertitude qu'étant des «images» de Dieu, nous sommes appelés à tout connaître» (pp. 215-6). Fantastique retournement, qui n'est paradoxal qu'en apparence, puisque Léon Bloy donne la clé de son herméneutique inspirée : «Tout ce qui s'est accompli sur la terre sera devant nos yeux quand il le faudra, devant nos vrais yeux invisibles et impérissables et ce sera un éblouissement du Paradis, d'apprendre enfin pourquoi certaines choses ne nous furent pas montrées». Si nous ne voyons rien ou si peu (3), nous verrons et saurons tout, puisque notre nature est conformée à celle de Dieu !

Un jour peut-être nous saurons tout mais, en attendant, notre perception est plongée dans les ténèbres, et l'Histoire nous demeure non seulement incompréhensible mais choquante : «On sait que Dieu est toujours adorable, mais comment le pénétrer ? Pourquoi ces interruptions brusques, ces avortements soudains ?», Bloy poursuivant en écrivant que la «gloire d'un Tzimiscès ou d'un saint Louis, par exemple, a l'air de correspondre humblement à la Gloire divine et voilà que Dieu met tout par terre», l'écrivain concluant son propos par ces paroles qui ne sembleront déroutantes qu'à celles et ceux qui ne l'ont pas lu, ou mal lu : «C'est un gouffre où se perd la raison de l'homme, Tzimiscès était condamné depuis des siècles» (p. 219), «les ténèbres déjà très denses résultant de la pénurie documentaire» étant «aggravées encore par l'obscurité intérieure de celui qui devrait les dissiper» (p. 227, à savoir l'historien lui-même bien sûr.

C'est dans le troisième chapitre de notre livre, consacré à l'implacable Basile II, «tueur de Bulgares», que Léon Bloy condense son propos, par le biais de l'exemple de ce grand homme (au sens que Carlyle donnait à ces termes, que nous pourrons sans trop de mal confondre avec celui de héro) qu'est Basile, «moine de la toute-puissance», qui n'eut «ni femme ni enfants», et qui «voulut toujours la même chose, ce qui est la plus grande force du monde, celle qui fait le plus ressembler un homme à un dieu» (pp. 230-1). Basile est fascinant, dont «les neuf dixièmes de ses prodigieuses guerres ne nous seront visibles que dans la lumière de Dieu» (p. 231), comme Napoléon aurait pu affirmer qu'il a été poussé vers un but qu'il ne connaissait pas et que, quand il l'aurait atteint, un atome aurait suffi pour l'abattre, ce que confirme Léon Bloy qui écrit : «Mais il paraît que Dieu avait assez de tous les projets des hommes et le trépas quasi soudain de ce Tueur «sonna le glas de la puissance byzantine dans la péninsule»» (p. 244). Une fois de plus, l'histoire de ce célèbre tueur de Bulgares nous demeure impénétrable, mais uniquement en apparence, puisque l'Histoire n'est rien de plus que le «palimpseste à peine surchargé» qui est en chacun de nous, «car nous sommes vraiment des ressemblances de Dieu et tout ce qui s'est accompli dans les siècles a laissé en nous son empreinte» (p. 233, l'auteur souligne), ce qui est absolument logique puisque nous sommes faits à la ressemblance de Dieu, raison pour laquelle l'écrivain conclut ce passage par une image superbe : «Le dernier soupir de chaque homme est un vent violent qui ouvre ce livre où tout est écrit», merveilleuse mais aussi terrifiante façon de dire que l'homme est la créature la plus proche de Dieu qu'il est possible de rêver.

Cette compénétration est d'une autre espèce, qui fait directement allusion à l’Épitre aux Colossiens (en 1, 24), lorsque Bloy écrit que : «Quand on lit l'histoire de n'importe quel peuple, l'imagination chrétienne s'épouvante en songeant aux souffrances presque infinies, à ce déluge universel de souffrances qu'il a fallu que des centaines de millions d'hommes endurassent, tout le long des siècles, pour compléter «ce qui manque à la Passion de Jésus-Christ», selon la parole effroyablement mystérieuse de saint Paul aux Colossiens !» (p. 235), l'Histoire de l'homme n'étant rien de plus que celle de ses douleurs, que celle de la Douleur qui, brique après brique (4), bâtit un édifice infini dirait-on, puisqu'il doit s'ériger à la formidable hauteur du Christ en Croix, édifice infini, dont la construction est infinie, puisqu'il peut être détruit à tout moment : «Or, je l'ai dit, Dieu ne voulait plus de ce mime sanglant, il lui en fallait d'autres, tout aussi couverts de sang, mais ne risquant pas d'éblouir, pour que se préparassent l'abaissement extrême et la destruction de cet empire qui avait tant désobéi au Vicaire de Jésus-Christ !», la sagesse humaine, une fois de plus, étant «singulièrement déconcertée par l'impuissance caractéristique, manifeste, constitutive et capitulaire de la plupart des grands hommes à fonder n'importe quoi pouvant durer plus d'un jour» (p. 247).

L'Histoire telle que Léon Bloy la peint n'est donc rien de plus qu'une «continuelle réitération d'avortements», la petitesse n'étant pas moins demandée que la grandeur (Bloy met une majuscule à ces deux mots dans son texte) «dans le laboratoire des prodiges», où les «successions disparates ou désespérantes» s'opèrent «indiciblement dans un mode mystérieux et adoré, en vue de compensations ou de récupérations ineffables», cet ensemble de caractéristiques se concluant de façon grandiose, par un long passage que je cite dans son intégralité : «L'Histoire, phénomène ou illusion» qui est, de toutes, «la plus incompréhensible», insiste Léon Bloy, «est le déroulement d'une trame d'éternité sous des yeux temporels et transitoires. On croit voir d'énormes espaces, on ne voit pas à trois pas. Mon ami, mon frère tourne le coin de la rue. Je ne le vois plus que dans ma mémoire, qui est aussi mouvante et aussi profonde que la mer. J'en suis aussi séparé que par la mort. Il est toujours, je le sais bien, sous l’œil de Dieu, mais pour moi, il est tombé dans un gouffre. Ce coin de rue, c'est n'importe quel tournant de l'Histoire» (pp. 248-9).

Voici la suite, qui se passe de commentaires, tant elle ramasse de façon brutale, éclairante en somme (je pense ici à l'éclair plus qu'au fait d'éclairer) toute la pensée de l'écrivain : «Il y a aussi l'angoisse des cœurs magnanimes. Fils d'Adam, notre solidarité est infinie. De même que nous avons tous péché dans le premier désobéissant, nous continuons de pécher sans excuse dans tous les continuateurs de la Prévarication. De sorte qu'en ce négoce admirablement universel, il n'est pas une iniquité dont nous ne soyons à la fois les créanciers et les débiteurs. [...] Toutes les atrocités humaines, depuis le commencement, aussi bien que les plus saints actes, sont imputés avec justice à ce nouveau-né qui pleure en dormant dans son berceau. La postérité de dix siècles, non plus que l'immensité des espaces, ne saurait constituer un alibi pour des immortels et des fils de Dieu» (p. 249, l'auteur souligne).

Voici la conclusion de ce passage, qui relie cette étonnante vision à celui qui, plus que tout autre, aura dilaté sa pupille pour tenter d'apercevoir ce qui se trouve derrière l'horizon borné et plombé des autres hommes, et fait sien, dans chacun de ses textes, ce propos qu'il écrivit le 6 janvier 1910 dans son Journal au sujet de son livre sur Napoléon, «L'invisible par le Visible. Formule précise où il me semble que je pourrais tout enfermer» (cité dans notre ouvrage, p. 15, l'auteur souligne) : «L'histoire est pour moi comme une ruine où j'aurais vécu de la vie la plus intense avant qu'elle ne devînt une ruine. Sensation douloureuse et paradisiaque d'avoir mis son cœur dans des choses très anciennes qui paraissent ne plus exister. Je visite Byzance comme Schlumberger visitait les ruines d'Ani, capitale antique des rois d'Arménie, en soutenant de mes mains faibles, au-dessus de ce grand vestige de mon âme, tout le firmament étoilé».

Notes

(1) Sous un titre différent de celui que l'écrivain aura finalement retenu, pour l'édition Crès en 1917 : L’Épopée byzantine et Gustave Schlumberger. C'est par erreur que notre édition, cinquième tome des Œuvres de Léon Bloy, donne en première de couverture le titre Byzance et Constantinople.
(2) Le «Paradis récupéré» n'est en fin de compte que l'autre nom de l'Apocalypse, l'Histoire s'étirant de l'un à l'autre, du Paradis perdu au Paradis reconquis, comme un immense tissu tout imprimé de symboles en partie indéchiffrables : «C'est, en même temps, celui des grands hommes [Basile II] dont il fut le moins écrit, comme s'il y avait en lui un secret, comme s'il était le gardien formidable d'une des clefs de la symbolique Histoire au moyen desquelles doit s'ouvrir, un jour, le Paradis récupéré» (p. 176). Ailleurs, nous lisons que les hommes cherchent, «en pleurant et en égorgeant leurs frères», le «chemin du Paradis perdu» (p. 226).
(3) «Il est probable que, chaque jours nous passons à côté de l'Arbre de la Science du bien et du mal, sans même le voir, et cela est assurément un inestimable bienfait. Cependant Dieu qui a pitié de nos âmes curieuses permet que quelques fruits aux trois quarts mangés des vers soient ramassés dans son ombre par des impatients tels que Schlumberger qui n'ont pas le courage d'attendre la vision béatifique» (p. 216), Schlumberger et, bien sûr, Léon Bloy lui-même, monstre s'il en est d'impatience.
(4) Quelle superbe image que celle-ci ! : «On plaça, détail héroïque qui peint bien ces ardents seigneurs de la tente, sous la tête du cadavre couché dans sa litière, une brique faite de la poussière et de la sueur, qu'après chaque combat contre les chrétiens, avant le bain du soir, le strigile du masseur avait fait tomber de la peau de Seîf Eddaulèh» (p. 184, tout le passage est en italiques). Ce grand texte de Léon Bloy est riche de très belles images, dont je donne quelques exemples, comme celle-ci : «Les chevaux des émirs avaient mangé l'avoine sur les autels de toutes les basiliques de Syrie et les vases sacrés avaient servi à les désaltérer» (p. 192, ce passage étant entièrement en italiques). Encore, et l'écrivain ne s'y trompe pas : «Quelle scène, quelle exhibition en ce lieu, par cette nuit noire, dans cet ouragan de neige ! La multitude épouvantée, levant les yeux de toutes parts vers la sombre masse des bâtiments du Boucoléon, n'apercevait qu'un point lumineux qui attirait tous les regards; c'était ce groupe d'hommes, vivement éclairés par les torches fumeuses, agitant par ses longs cheveux encore noirs la tête ruisselante de sang du grand basileus Nicéphore» (p. 202, ce passage étant entièrement en italiques). Enfin : «À l'heure probable où Notre-Seigneur Jésus-Christ prêt à souffrir la Passion, avait dit à ses apôtres : «Ceci est mon corps, ceci est mon sang», il y eut dans la ville en flammes, 8 000 corps des fils géants de la steppe, couchés dans leur propre sang» (p. 210, l'auteur souligne).

jeudi, 09 mars 2017

GERMANICUS de Yann RIVIERE

germanicus.jpg

GERMANICUS de Yann RIVIERE 

par Hubert de Singly

Ex: http://www.culture-chronique.com 

Le dernier ouvrage de Joël Schmidt “La mort des César” raconte avec beaucoup de talent  la fin des soixante dix empereurs romains qui se succédèrent à la tête de l’Empire jusqu’à sa fin.  Mais il existe une catégorie de princes qui n’accédèrent jamais  à la magistrature suprême alors même qu’ils en avaient l’étoffe. Ce fut le cas de Germanicus qui mourut à 34 ans à Antioche manquant une consécration qui lui tendait les bras. Yann Rivière qui  connait parfaitement l’histoire politique et juridique de la Rome  Antique nous propose  une biographie serrée de plus de cinq cents pages  de celui qui fut le petit fils de Marc Antoine, l’époux d’Agrippine et le père de Galigula. 

germperrin2037703.JPG

   D’emblée l’historien s’interroge.  L’Empire n’aurait-il pas été plus puissant  si Germanicus n’était pas mort  si jeune ?  Son entreprise de consolidation de la domination romaine en Orient n’aurait-elle pas été menée à son terme?  S’il avait vécu, le roi des Parthes qui a pleuré sa mort n’aurait-il pas pas vécu en bonne entente avec Rome au cours  des années suivantes plutôt que de s’engager dans une guerre qui vida les caisses de l’Empire pour le contrôle de l’Arménie. Toutes ces hypothèses restent évidemment au conditionnel mais elles en disent long sur cette personnalité hors du commun. En effet peu de ses contemporains auraient pu imaginer que le fils de Livie et de Marc Antoine occuperait une telle place dans l’Etat Romain et qu’il contribuerait autant à la défense de l’Empire. Rappelons  qu’il brilla avec ses légions en Illyrie  et qu’il effaça le désastre de Varus en Germanie en infligeant une cruelle défaite au chef légendaire Arminius.  La suite de son ascension  se poursuit en Orient  où il consolida la paix  et joua un rôle politique de premier plan.  Il mourut persuadé qu’on l’avait  empoisonné  ce qui est bien possible et ce qui ne déplut pas forcément à Tibère qui assistait l’ascension de Germanicus avec inquiétude.  Reste que dans toutes les régions où il passa son souvenir resta vif longtemps  après sa disparition.

  Ce “Germanicus”  de Yann Rivière se lit comme un roman. Nous traversons  l’Empire au côté de l’un des personnages les plus flamboyants que Rome enfanta.   L’ouvrage est à fois un formidable récit et  une minutieuse reconstitution  historique. L’une des meilleures biographies historiques de l’année. 

Hugues DE SINGLY

CULTURE-CHRONIQUE.COM encourage ses lecteurs à se rendre en librairie  afin de soutenir le réseau des librairies françaises. Vous pouvez aussi cliquer sur le logo "Lalibrairie.com", votre commande sera alors envoyée chez le libraire de votre choix. Enfin, hormis "Amazon", la plupart des librairies en ligne que nous vous proposons sont aussi des librairies de centre-ville que nous vous encourageons à découvrir. La santé du livre dépend de la santé des librairies. 


En savoir plus sur http://www.culture-chronique.com/chronique.htm?chroniqueid=1687#XddOW37BipCFt0BJ.99

Pierre Pagney - L'incertitude climatique et la guerre

Battlefield-4-soldiers-action-in-the-rain_m.jpg

Pierre Pagney - L'incertitude climatique et la guerre

par Albert Montagne

Ex: http://albertmontagne.blogspot.com 

Jean-Pierre Bois, préface.  Coll. Biologie, Ecologie, Agronomie, Ed. L’Harmattan, 2017, 232 p., 24 €. 

Le réchauffement climatique et météorologique est un sujet d’actualité qui intéresse non seulement les géographes, mais aussi les juristes (en droit international), les cinéphiles (des films catastrophes), les historiens et les militaires.

Ce livre, "cheval de bataille" de Pierre Pagney, professeur émérite de l'Université Paris-Sorbonne et climatologue fondateur du CRCT (Centre de Recherches de Climatologie Tropicale), clôt un triptyque, le premier ouvrage étant Le climat, la bataille et la guerre (2008), le second Les guerres de partisans et les nouveaux conflits (2013). L’incertitude ou prévision climatique est une composante martiale qui fait gagner ou perdre une bataille ou une guerre. Comment ne pas penser à la campagne de Russie de Napoléon, frappée par le dur hiver russe en 1812, ou au débarquement de Normandie du 6 juin 1944, décidé sur une simple éclaircie à l’arrière d’un front de froid ?

pagney.jpgDéjà au VI° siècle avant J.-C., Sun Tzu n’oublia pas dans L’art de la guerre, ouvrage fondamental de stratégie militaire, le facteur climatique, le déterminant par l’alternance de l’ombre et de la lumière, du chaud et du froid, et par le cycle des saisons. De nos jours, certitude et incertitude climatiques traduisent la difficulté d’une décision militaire. La certitude passe de l’information à la connaissance entraînant la conviction, l’incertitude résulte d’informations parcellaires et de raisonnements fragiles, la décision militaire étant toujours un dilemme comme le souligne Vincent Desportes dans Décider dans l’incertitude (2007). Incertitude climatique et décision militaire vont de pair avec les stratégie et géostratégie définies par Hervé Coutau Bégarie dans son Traité de stratégie (2011).

La première est un théâtre d’opérations spatiotemporelles, la seconde "l’espace complexe où le facteur militaire se combine avec d’autres facteurs qui peuvent être politiques et sociétaux". La première partie, L’Ordre et le désordre climatiques développe l’aspect climatique qui influe la décision militaire. Les facteurs géographiques naturels sont les mers et océans, les reliefs montagneux, les étendues lacustres et couverts végétaux. L’homme est aussi un facteur du climat, les concentrations humaines, via les activités économiques et industrielles, participant à la modification des filtrages radiatifs de l’atmosphère et au réchauffement climatique. Le désordre climatique est synonyme de variabilité météorologique, prévisible à court terme, et climatique (celle de la mosaïque climatique du globe), impliquant le long terme et plus d'incertitude. Cependant, les technologies nouvelles, dont le cyberespace accumulant les informations, n’effacent pas l’incertitude.

La deuxième partie, Les décisions militaires et l’incertitude climatique, historique, donne des exemples d’opérations militaires du XX° siècle : le désastre climatique du chemin des dames (1917), l’opération Barborassa et le désastre de Stalingrad (1941-1943), Overlod : le débarquement de Normandie (1944), la guerre du Pacifique (1941-1945) : l’entrée dans un milieu climatique alors peu connu. La troisième partie, Perspectives géostratégiques et réchauffement climatique : les conflits potentiels, part du constat que la terre se réchauffe, l’homme n’y étant pas étranger, et souligne les incertitudes, liées par exemple à l’exploitation massive des énergies fossiles ou à la recherche de nouvelles sources d’énergie non polluantes. Les conséquences sont nombreuses sur la modification des milieux. Sur l’évolution climatique, les zones polaires et surpolaires, arctiques et antarctiques, sont marquées du sceau de la variabilité.

La décrue polaire, indiscutable, se superpose à des variabilités spectaculaires. Ainsi l’arctique comprend des glaces prisonnières du sol, le permafrost, dont la fonte libère du méthane naturel, gaz à effet de serre, qui s’ajoute aux effets de serre dus à l’homme et aux ruminants. Dans les perspectives d’un constant réchauffement climatique, les routes arctiques ont de beaux jours devant elles, ne menaçant ni les routes tropicales et équatoriales ni l'équilibre entre les deux grandes puissances de la région, les EU et la Russie. Dans les basses latitudes, la surexploitation des forêts équatoriales et ombrophiles compromet leur existence.

Dans l'Asie des moussons, le nombre de jours de pluies annuelles diminuant, alors que les totaux augmentent, donnent une part plus grande aux précipitations fortes et aux écoulements brutaux et mettent en péril une agriculture fortement nourricière qui pourrait engendrer des troubles sociétaux. Menaçant des terres, le niveau marin s’élève sous la dilation des eaux océaniques de plus en plus chaudes en surface et sous les fontes glaciaires des hautes latitudes et de l’altitude. Plus dangereux est le potentiel de tensions et de conflits des régions sèches subtropicales de l’arc saharo-arabique, le Moyen-Orient et l’Afrique subissant des vagues djihadistes et terroristes. Le réchauffement climatique engendre des problèmes hydroclimatiques (manque d’eau) qui créent des problèmes agraires et des tensions sociales et politiques qui devraient pérenniser des affrontements et des flux de migrants et de réfugiés climatiques. En conclusion, un livre de géopolitique et de climatologie qui incite à réfléchir, pouvant suggérer un futur pessimiste préfiguré par son intitulé même. 

Albert MONTAGNE

mardi, 07 mars 2017

Séries télévisées: la géopolitique des séries ou le triomphe de la peur?

sertel2.jpg

Séries télévisées: la géopolitique des séries ou le triomphe de la peur?

Rémy Valat, historien

Ex: http://metamag.fr 

Les séries télévisées sont-elles le reflet de notre imaginaire et de nos peurs?

Oui, certainement. Les scénaristes sont en quelque sorte des analystes des sociétés contemporaines et de leurs travers, et les drames télévisés sont une projection de nos fantasmes et de nos peurs, une théâtralisation dans laquelle le réel cohabite avec l’imaginaire. Jadis les feuilletons des gazettes, aujourd’hui les épisodes des séries.

À l’heure de la mondialisation, caractérisée par une hégémonie linguistique et culturelle nord-américaine, les House of Cards et autres Game of the Throne sont autant de références, de marqueurs des émotions de l’Amérique, de l’Occident, voire par un effet de contagion d’une partie de la planète (la population qui s’abrutit devant la télévision). Mieux, un dialogue s’instaure entre public et héros du petit écran : la série se transforme en source d’inspiration pour les acteurs politiques et les décideurs et devient une grille de lecture et d’interprétation du monde pour les spectateurs.

Les séries télévisées ont connu une surprenante révolution culturelle et ont atteint un niveau d’excellence inédit : la qualité des scenarii, de l’image et des effets spéciaux égale celle des réalisations du grand écran. Cette révolution est survenue à un tournant de l’histoire mondiale : les attentats du 11 septembre 2001. L’Occident triomphant bat de l’aile : méfiance envers les élites (House of Cards), peur d’un ennemi intérieur (Homeland), la crainte de l’ennemi russe (Occupied) et au loin, la perspective d’un « Hiver », c’est-à-dire d’un chaos prochain (Game of Thrones). Ces drames télévisés créent un paradoxe : les médias, outil du « Soft Power », sont à la fois les révélateurs d’une relative bonne santé de la liberté d’expression que des faiblesses morales de l’Occident, lesquelles en nourrissent le discrédit à l’étranger (en particulier en Chine, où les élites se gobergent des « magouilles » de Francis J. Underwood, interprété magistralement par Kevin Spacey).

Est-ce à dire que ce phénomène est inédit ? Je ne le crois pas, il est attisé par les fractures et les tensions des sociétés occidentales et américaines, mais les ingrédients de l’ennemi intérieur et de la malignité du pouvoir politique étaient déjà des éléments importants de la série X Files de Chris Carter. X Files était un condensé des peurs des années 1990 : le péril nucléaire, la défiance envers les OGM, le rôle ambigu de la CIA, la crainte d’une conspiration, le danger russe, le péril climatique, etc : les séries actuelles sont un plat réchauffé, mais les spectateurs en redemandent. Ce sont les vieilles recettes du thriller, celles qui séduisent et fidélisent le public depuis toujours.

Game of Thrones dépasse la simple projection d’une crainte d’un chaos à venir : la fantasy (comme le courant médiévaliste dont elle dérive) soulignerait aussi un rejet de la modernité, du culte du progrès, du réel et du présent. La liberté sexuelle, plus que débridée dans cette série et qui peut choquer les plus puritains, est aussi le fruit de la contre-culture américaine et des mouvements libertaires de la fin des années 1960, dont les réalisateurs de ce pays sont les héritiers. La dimension eschatologique est le fruit de la culture judéo-chrétienne… Rien de foncièrement nouveau, donc, seules les formes changent.

sertel.jpg

Une tendance majeure, plus profonde encore que le sentiment de peur (diffus, mais bien présent), et qui serait peut-être le fruit du haut degré de développement des civilisations occidentales est la tendance au réalisme (y compris dans la fantasy), autant dire à la désacralisation d’un monde post-moderne et désenchanté.

Le livre de Dominique Moïsi, La géopolitique des séries ou le triomphe de la peur, ouvre un passionnant chantier de recherche, dont il ne faut pas cependant exagérer la portée : l’absence de morale de Pénélope Fillon ou de Jérôme Cahuzac pèsent plus sur la rupture entre le peuple et les élites politiques que la soif de pouvoir et l’égocentrisme de fiction de Francis J. Underwood. En attendant, ces scénaristes qui écrivent sur ces sujets vendeurs, se remplissent les poches avec la conscience en paix (puisqu’ils dénoncent les « méchants »). Les séries sont aussi le reflet d’une forme de conformisme et de bien-pensance : brasser de l’air, manipuler des symboles, évite de se salir les mains.

La géopolitique des séries est une contribution intéressante sur un champ de la recherche nouveau et qui ouvre la voie à d’autres questionnements : la réception de ces œuvres à l’étranger (peut-être insuffisamment traité dans le livre) et leur place dans la politique culturelle des grandes puissances : il aurait été précieux que l’auteur dresse un parallèle entre productions cinématographiques et télévisées, sans oublier la fabrication et le contrôle de l’imaginaire du jeune public par la société Disney.

Nous avions récemment à travers l’exemple du film de Martin Scorsese, Silence, montré ce que nul n’ignore, à savoir la dimension politique du cinéma, comme outil de propagande et de promotion d’une politique hégémonique sur le déclin. Un livre pertinent, même si le scénario de série fictive proposée en fin d’ouvrage (et qui monopolise tout un chapitre) nous paraît inutile.

LA GÉOPOLITIQUE DES SÉRIES OU LE TRIOMPHE DE LA PEUR, DOMINIQUE MOÏSI, ÉDITIONS STOCK, COLLECTION ESSAIS, 18€.

19:39 Publié dans Livre, Livre, Sociologie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, sociologie, télévision | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

lundi, 27 février 2017

En présence de Schopenhauer, de Michel Houellebecq

Arthur-Schopenhauer_7562.jpg

En présence de Schopenhauer, de Michel Houellebecq

par Francis Richard

Ex: http://www.francisrichard.net 

Michel Houellebecq a 25, 26 ou 27 ans - l'âge importe peu - quand il emprunte, dans une bibliothèque, Aphorismes sur la sagesse dans la vie d'Arthur Schopenhauer: en quelques minutes tout a basculé... Il cherche alors, et trouve, un exemplaire du Monde comme volonté et comme représentation.

Depuis, Houellebecq a évolué - il est devenu positiviste après avoir découvert dix ans plus tard un autre philosophe, Auguste Comte. Cependant l'attitude intellectuelle de Schopenhauer reste pour lui un modèle pour tout philosophe à venir. C'est pourquoi il éprouve à son égard un profond sentiment de gratitude.

Pour exprimer cette gratitude Houellebecq a achevé cet essai entrepris en 2005, où il commente ses passages favoris de Schopenhauer, qu'il a traduits lui-même. Sa préfacière, Agathe Novak Lechevallier, a raison de dire que, ce faisant, il fait apparaître l'oeuvre du philosophe comme une formidable machine à penser.

Il est vrai qu'il n'est pas besoin d'être d'accord avec quelqu'un pour que ce qu'il dit donne à penser. Ainsi Houellebecq n'a-t-il pas de mots assez durs contre le libéralisme. Ce n'est pas une raison pour ne pas s'intéresser à ce qu'il a pensé à un moment de sa vie et à ce qu'il pense aujourd'hui, d'autant que cela éclaire son oeuvre.

Houellebecq relit peu Comte et ne connaît pas de lecture de philosophe aussi immédiatement agréable et réconfortante que celle de Schopenhauer. Ce n'est certainement pas le fait de son art d'écrire: Nietzsche parle à raison de son espèce de bonhommie bourrue qui vous donne le dégoût des élégants et des stylistes.

Quand Schopenhauer commence un livre par: Le monde est ma représentation, Houellebecq commente: L'origine première de toute philosophie est la conscience d'un écart, d'une incertitude dans notre connaissance du monde. Pour devenir le philosophe de la volonté, Schopenhauer utilise l'approche, inhabituelle chez un philosophe, de la contemplation esthétique:

Le point originel, le point générateur de toute création consiste dans une disposition innée - et, par là même, non enseignable - à la contemplation passive et comme abrutie du monde. L'artiste est toujours quelqu'un qui pourrait tout aussi bien ne rien faire, se satisfaire de l'immersion dans le monde, et d'une rêverie associée.

Ainsi le poète se singularise-t-il: L'accessoire est que le poète est semblable aux autres hommes (et, s'il était vraiment original, sa création aurait peu de prix); l'essentiel, c'est que, seul parmi les hommes faits, il conserve une faculté de perception pure qu'on ne rencontre habituellement que dans l'enfance, la folie, ou dans la matière des rêves.

Ainsi la beauté n'est-elle pas une propriété appartenant à certains objets du monde, à l'exclusion des autres; ce n'est donc pas une compétence technique qui peut produire son apparition; elle suit par contre toute contemplation désintéressée. Ce qu'il [Schopenhauer] exprime, encore plus brutalement par la phrase:

"Dire qu'une chose est belle, c'est exprimer qu'elle est l'objet de notre contemplation esthétique."

L'absurdité de l'existence? Ce n'est pas seulement, ce n'est même pas surtout l'activité de l'homme qui porte le signe du néant: la nature entière est un effort illimité, sans trêve ni but; "tout n'est que vanité et poursuite du vent". Et il cite un passage de Schopenhauer qui l'illustre, qu'il dédie aux écologistes, et qui se termine ainsi:

"Pourquoi ces scènes d'épouvante? À cela il n'y a qu'une seule réponse: ainsi s'objective le vouloir-vivre."

MH-AS.jpg

Selon Schopenhauer, qui emploie souvent des métaphores théâtrales pour faire comprendre ses propos, il est trois méthodes employées par un poète pour décrire la survenance d'un grand malheur, le seul élément indispensable à la tragédie:

- l'exceptionnelle méchanceté d'un personnage artisan de ce malheur

- le destin aveugle qui frappe les personnages

- la simple situation des personnages l'un à l'égard de l'autre.

C'est cette dernière méthode qui a sa préférence: Elle ne nous montre pas le malheur le plus extrême comme une exception, ni comme quelque chose qui est amené par des circonstances exceptionnelles ou des caractères monstrueux, mais comme une chose qui provient aisément, comme de soi-même, presque nécessairement, de la conduite et du caractère des hommes, et par là nous le rend effroyablement proche.

Comment conduire son existence dans un tel monde, absurde, où le malheur n'épargne personne et où toutefois existent des petits moments de bonheur imprévu, des petits miracles?

Dans Aphorismes sur la sagesse dans la vie, Schopenhauer trouvait l'énergie nécessaire pour énoncer des banalités et des évidences, lorsqu'il les croyait justes; il a systématiquement placé la vérité au-dessus de l'originalité; pour un individu de son niveau, c'était loin d'être facile.

Schopenhauer fait ainsi ce constat fataliste: Les jouissances les plus élevées, les plus variées et les plus durables sont celles de l'esprit, bien que nous nous y trompions tellement pendant notre jeunesse; celles-ci dépendent surtout de la puissance innée de notre esprit; il est donc facile de voir à quel point notre bonheur dépend de ce que nous sommes, alors qu'on ne tient compte le plus souvent que de notre destin, de ce que nous avons ou de ce que nous représentons.

Il précise: Le destin peut s'améliorer; et, lorsqu'on possède la richesse intérieure, on n'attendra pas grand-chose de lui; mais jusqu'à sa fin un benêt reste un benêt, un abruti reste un abruti, fût-il au paradis et entouré de houris.

Est-ce bien certain?

Francis Richard

En présence de Schopenhauer, Michel Houellebecq, 96 pages L'Herne

Livres précédents chez Flammarion:

Soumission (2015)

Configuration du dernier rivage (2013)

La carte et le territoire (2010)

mercredi, 22 février 2017

A Review of The Great Purge: The Deformation of the Conservative Movement

greatpurge.jpg

Where Conservatism Went Wrong:
A Review of The Great Purge: The Deformation of the Conservative Movement

Review:

Paul E. Gottfried & Richard B. Spencer (eds.)
The Great Purge: The Deformation of the Conservative Movement [2]
Arlington, Va.: Washington Summit Publishers, 2015

All political movements need a history, and such histories, if well-constructed, almost always coalesce into myth. Once mythologized, a movement’s past can inform its present members about its reason for being, its need for continuing, and its plans for the future. And this can be accomplished quickly – and without the need for study or research – in the form of what Edmund Burke called “prejudice.” “Prejudice,” Burke says [3], “is of ready application in the emergency; it previously engages the mind in a steady course of wisdom and virtue, and does not leave the man hesitating in the moment of decision, skeptical, puzzled, and unresolved.”

Prejudice is a time-saver, in other words, and it puts everyone on the same page. These are two invaluable things for any movement which aims to effect political change. For those who wish to participate in any of the various factions of the Alt Right and learn its history and myth, they do not need to go much farther than The Great Purge: The Deformation of the Conservative Movement.

Edited by Paul Gottfried of the H. L. Menken Club and Richard Spencer of Radix Journal, The Great Purge discusses the march of the once-mighty American conservative movement towards the abject irrelevance it faces today. This took about fifty years, but the villains of this inquisition managed to purge conservatism of its conservatives and replace them with a globalist elite which kowtows to political correctness. The villains, of course, are National Review founder and publisher William F. Buckley (an unflattering photo of whom graces the book’s cover) and a cabal of refugees from the Left known as “neoconservatives.” The Great Purge, as Spencer tells us, is less a “full chronicling of these purges,” and more a “phenomenological history of conservatism. It seeks to understand how its ideology . . . functioned within its historic context and how it responded to power, shifting conceptions of authority, and societal changes.”

prof-paul-edward-gottfried.jpg

The book presents seven essays, with a foreword by Spencer and an afterward by VDARE.com founder and former National Review writer Peter Brimelow. In between, we have essays from established Dissident Right luminaries such as Gottfried, William Regnery, and John Derbyshire. Sam Francis, perhaps one of the godfathers of the Alt Right, who passed away in 2005, contributes a comprehensive and quite useful philosophical treatise on how mainstream conservatism devolved into the toothless friend of the Left it has become today. Rounding out the remainder is American Revolutionary Vanguard founder Keith Preston, professor and writer Lee Congdon, and independent author and scholar James Kalb.

So, according to myth, William F. Buckley founded his conservative magazine National Review in the mid-1950s and revitalized a flagging conservative ideology. At the time, liberalism in its various forms enjoyed near-complete hegemony in academia, enough to prompt scholar Lionel Trilling by mid-century to announce that conservatism, at least as it had been embodied by what we now call the Old Right, was dead. Buckley, along with other conservative thinkers such as Russell Kirk and popular authors like Ayn Rand, proved that reports of conservatism’s death were a tad overstated. Thanks to Buckley, conservatism now had the intellectual heft to resist the Left, both foreign and domestic. As Spencer describes it, this entailed promoting free-market capitalism over Soviet Communism, erecting the Christian West as a bulwark against Soviet atheism, and pushing for an aggressive foreign policy both to thwart Soviet militarism and promote the interests of Israel. The New Right was born.

Enter the neocons. Disenchanted by the manifest failures of Communism, these former Leftists, led by Irving Kristol and Norman Podhoretz, began testing the waters in conservative circles by the 1970s. The neocons shared much of the New Right’s anti-Soviet belligerence and loyalty towards Israel. Having given up on the New Deal and other big-government initiatives, the neocons were equally uncomfortable with free-market capitalism. Sam Francis quotes Irving Kristol at length, describing how the welfare state should not be eradicated, but altered to create a “social insurance state.”

Most importantly, the neocons promoted a Wilsonian “global and cosmopolitan world order” which sought to greatly increase America’s role in foreign affairs, often through military interventionism. In particular, democracy was the great talisman which could civilize the world – whether the world wanted to be civilized or not. Bolstered by their faith in the Democratic Peace Theory, which posits that democracies do not wage war upon each other, the neocons transferred the messianic fervor of Communism to democratization and never looked back. Lee Congdon’s entire essay. “Wars to End War,” rails against such “morality-driven foreign policy” and how it co-opted conservatism almost completely. “Pluralism, (human) rights, and democracy,” as stated by Charles Krauthammer, became something of a rallying cry for the neocons. Against such high-minded egalitarianism, which opened the door for feminism, gay rights, race-mixing, and other by-products of democratic freedom, the traditional conservative arguments began to crumble.

Congdon quotes Pat Buchanan as defending true conservatism when he wrote in 2006 that America is bound together by “the bonds of history and memory, tradition and custom, language and literature, birth and faith, blood and soil.” This is an outright rejection of the neocon claim of America being a “proposition nation” in which citizens are “bound by ideals that move us beyond our backgrounds,” to quote George W. Bush from his first inaugural address. Essentially, if you believed in putting America first, or had no interest in foreign wars, or took the libertarian ideal of limited government seriously, or (most importantly) professed a tribal or familial fealty to the white race, then you had no place among the neocons or in the New Right.

And there to police you and expunge you into the wilderness, if need be, was none other than Mr. Buckley himself.

Both Paul Gottfried and William Regnery provide first-hand accounts of the purges, as well as some historical perspective on them. For example, according to Gottfried, Buckley banished the John Birch Society from respectable conservatism in the 1960s not because of anti-Semitism, but because the Birchers expressed insufficient hawkishness against the North Vietnamese and in the Cold War in general. This point is echoed later in the volume by Keith Preston. It seems that any anti-Semitic aspect in the early victims of the purge was purely incidental.

richspencer.jpg

That didn’t remain the case, of course. What I find most striking and ironic about The Great Purge is that the “racist” infractions of many of the purge victims were so slight, so indirect, and so buried in one’s past that to summarily expurgate a person on those grounds required almost Soviet levels of behind-the-scenes machinations and ruthlessness. Gottfried explains that his offense was to merely assume a leadership role in the H.L. Menken Club, which gives a platform to people “who stress hereditary cognitive differences.” For this, the Intercollegiate Studies Institute (ISI) severed all ties with him. Another example is Joe Sobran, who was labeled an anti-Semite by Buckley and banished from the National Review in the late 1980s because, as Gottfried explains, Sobran “noticed the shifting meaning of ‘anti-Semite,’ from someone who hates Jews to someone who certain Jews in high places don’t like.”

William Regnery relates how he had been banished from the ISI as well, an organization to which his grandfather, father, and uncles had very close ties for many years. Regnery’s offense? He spoke at an American Renaissance study group in 2005 and promoted “building a sense of racial unity.” For this, he faced an anonymous charge from ISI and was tried among his peers, only one of whom voted to keep him on. Seventeen voted to expel him, and expelled he was.

Another person who pops up a lot in The Great Purge is Jason Richwine, a junior researcher who lost his job at the Heritage Foundation in 2013. It was discovered that his approved doctoral thesis from years earlier contained a fully supported statistic which pointed to the lower than average IQ of many immigrant groups. For this, and for fear of causing too much consternation among Leftist elites, the Heritage Foundation determined that Richwine had to go, his permanently sullied reputation notwithstanding. Certainly, mainstream conservatives know how and when to eat their own – unlike the Left, of course. As Regnery aptly points out, “Media Matters would never have cashiered a researcher on the strength of conservative ire.”

This only cracks the surface of the damage the Bill Buckley mentality has done to the Right over the years. John Derbyshire and Peter Brimelow relate how their more deliberate infractions got them evicted from the movement. Keith Preston describes how, despite the New Right’s professed desire to limit government, it did absolutely nothing to stop its near-exponential growth. In The Great Purge, Buckley and his epigones are called nearly every name in the book, from cowardly to cannibalistic, yet Regnery attributes much of this betrayal to something a little more mundane: complacency. Buckley and his people were simply unwilling to give up their cushy lifestyles in order to combat the Left in any meaningful way. As a result, they put tight leashes on anyone who did.

Perhaps the biggest surprise in this volume is the thirty-five page essay from Sam Francis, which was written back in 1986. Francis, who suffered his own purge from The Washington Times in the 1990s thanks to Dinesh D’Souza, provides a philosophical vocabulary to explain the fall of conservatism in America. It was the slow usurpation of the Old Right, in other words “traditionalist and bourgeois ideologies, centering on the individual as moral agent, citizen, and economic actor” by a “managerial elite” which did in conservatism. This “managerial humanism,” according to Francis, espoused

a collectivist view of the state and economy and advocated a highly centralized regime largely unrestrained by traditional legal, constitutional, and political barriers. It rejected or regarded as backward, repressive, or obsolete the institutions and values of traditional and bourgeois society – its loyalties to the local community, traditional religion and moral beliefs, the family and social and political differentiation based on class, status, and property – and it articulated an ideal of man “liberated” from such constraints and re-educated or redesigned into a cosmopolitan participant in the mass state economy of the managerial system.

This certainly is an apt description of the Left, and as more and more neocons joined the conservative movement, the more apparent it became that they were bringing this managerial humanism along with them. This cultural shift, of course, had deleterious effects across the board for the Right, not least of which was separating it from its stated purpose and weakening its resolve to combat change. In characteristic form, Francis ends his essay with a prediction, this one quite dire:

If neoconservative co-optation and the dynamics of the continuing managerial revolution deflect the American Right from [its] goal, the result will not be the renaissance of America and the West but the continuation and eventual fulfillment of the goals of their most ancient enemies.

If The Great Purge has any flaws, it’s of omission, which isn’t really a flaw since Spencer copped to it in his Foreword. This book is not a history, but rather a collection of reminiscences and musings on the state of the Right. So, it’s not surprising that many things are left out. Still, I wish more detail had been provided in places. It is possible, for example, that there was more to the Sobran affair than what Gottfried and others provide. Sobran’s split with Buckley may have spoken as much to Buckley’s sincere philo-Semitism and his desire not to appear anti-Semitic as it did to Sobran’s desire (or need) to speak out against Israel. The whole thorny issue of whether or not this constitutes anti-Semitism was covered thoroughly (and perhaps ad nauseum) in In Search of Anti-Semitism [4], Buckley’s 1992 recounting of the affair. But it would have been nice to hear a different perspective from one who was around back then.

Further, The Great Purge seems to let Buckley off the hook for not banishing the John Birch Society because of anti-Semitism, yet fails to mention (at least in my reading) any mention of Buckley’s early purge of writers from The American Mercury, which was, in Buckley’s words, “anti-Semitic.” Therefore, Buckley showed his philo-Semitic stripes early on, and that may have informed some of his attitude vis-a-vis the John Birch Society.

The Jewish Question in general is also never explored. While not absolutely necessary to the subject, I’m sure it would have been interesting at the very least, given how eighty to ninety percent of the neoconservatives named in the book are obviously Jewish. Really, it’s impossible not to notice the nigh-homogeneous ethnic makeup of the neocons who appear over and over in The Great Purge like a gang of irrepressible supervillains. Such a list renders parenthesis-echoing utterly superfluous: Irving Kristol, Norman Podheretz, Charles Krauthammer, David Frum, Daniel Bell, Nathan Glazer, Seymour Lipset, Ben Wattenberg, Elliott Abrams, Michael Ledeen, Max Boot, David Gerlenter, Allen Weinstein, William Kristol, Robert Kagan, and Paul Wolfowitz.

You could practically host a baseball game with such a lineup. And is it all a huge coincidence? Well, I guess we’ll just have to wait for the sequel to find out.

In the meantime, however, The Great Purge does a magnificent job of myth-making for the Alt Right. It spells out our origins and purpose, and describes the challenges and betrayals the older generation of conservatives had to face while remaining true to the nationalist, traditionalist, and racialist ideals which made Western civilization great to begin with. Most importantly, The Great Purge shows what happens when you give up on winning and instead compromise with the enemy. You eventually become him. And at no point will your pettiness and spite become more apparent than when you turn on your own.

Article printed from Counter-Currents Publishing: http://www.counter-currents.com

URL to article: http://www.counter-currents.com/2017/02/where-conservatism-went-wrong/

URLs in this post:

[1] Image: https://www.counter-currents.com/wp-content/uploads/2017/02/2-20-17-1.jpg

[2] The Great Purge: The Deformation of the Conservative Movement: http://amzn.to/2meCuPd

[3] says: https://books.google.co.in/books?id=92AIAAAAQAAJ&pg=PA130&lpg=PA130&dq=%22and+does+not+leave+the+man+hesitating+in+the+moment+of+decision%22&source=bl&ots=OGHbkM9vXL&sig=Ghby2bcwjX2pVS70u5d-hm4ouMc&hl=en&sa=X&ved=0ahUKEwjU6p2Y5p7SAhXG1RQKHVPkD0MQ6AEIMTAG#v=onepage&q=%22and%20does%20not%20leave%20the%20man%20hesitating%20in%20the%20moment%20of%20decision%22&f=false

[4] In Search of Anti-Semitism: http://amzn.to/2kEivgE

vendredi, 10 février 2017

The Zeitgeist According to Steve Bannon’s Favorite Demographer Neil Howe

4Thturning.jpg

The Zeitgeist According to Steve Bannon’s Favorite Demographer Neil Howe

Time magazine’s cover story this week posed a simple question, “Is Steve Bannon the Second Most Powerful Man in the World?” In case you didn't already know, Bannon is President Trump’s controversial Chief Strategist who, among other things, co-authored the 45th President’s Inauguration Day speech.

Time recounts a story of a party guest who overheard Bannon say that he was like communist revolutionary and Soviet leader Lenin, eager to “bring everything crashing down, and destroy all of today's Establishment.”

Bannon was also “captivated” by a book called The Fourth Turning written by Hedgeye Demography Sector Head Neil Howe and the late generational theorist William Strauss.

As Time writes:

“The book argues that American history can be described in a four-phase cycle, repeated again and again in which successive generations have fallen into crisis, embraced institutions, rebelled against those institutions and forgotten the lessons of the past--which invites the next crisis.… During the fourth turning of the phase, institutions are destroyed and rebuilt.”

In the exclusive video above, Neil Howe and Hedgeye CEO Keith McCullough discuss the current political climate stoked by Bannon and Trump, how that could affect markets and more.

As Howe points out, every two-term U.S. president since 1900 has come into office with a recession directly before, while or within a few quarters of taking office. Given the Bannon/Trump worldview, Howe thinks:

“Trump would glory in a bear market in his first year in office. He would have fun with it. This bear market is the feeling of corruption leaving the body. And what gains, the GOP leadership’s high and dry Tory libertarianism or Steve Bannon’s populist fury? Who wins on that exchange with every tick down in the Dow? I think it’s clear. Trump wins.”

For more, listen to the complete discussion between Howe and McCullough above.

dimanche, 22 janvier 2017

A Field Day for the Titanic Pessimist: A Review of Guillaume Faye’s Archeofuturism 2.0 By Robert Lind

Futuristic_Airplane_Design_3.jpg

A Field Day for the Titanic Pessimist:
A Review of Guillaume Faye’s Archeofuturism 2.0

archeo2-0.jpgReview:

Guillaume Faye
Archeofuturism 2.0 [2]
Arktos Media, 2016

Renowned Right-wing author Guillaume Faye has written his first novel, Archeofuturism 2.0. So you might ask: is it a good one? Has he delivered? Is this something for Faye fans, maybe even science fiction fans, to buy?

We’d answer “yes” to all these questions. Previously, Faye has been persuasive as a stylish writer in books like Archeofuturism [3] and Why We Fight [4]; he has a way with words, he has made an impression, and now, in this novel, he takes the reader for a prophetically grim but linguistically smooth ride. He tells his story with efficiency and charm, and he has managed to make a novel of it. It might be episodic, and the chapters might be called “episodes” (not “chapters”) to emphasise this, but with a certain symbolic flair he connects all the chapters. Hats off; this puts it on par with, say, Clifford D. Simak’s City [5](1952). It’s a future history with a broad gallery of scenes, intrigues, and developments. Millennia pass, but it all comes together rather well at the end.

The first chapter in particular is top notch: efficient, displaying narrative ease and charm, and with a lot of concepts and opinions in the mix. A group of young aristocrats is planning to go to the Riviera in the summer of 1914 – and, before heading south, they go on a whim to consult a soothsayer in a Paris suburb. She then gives the group visions of the future, successively three, fifteen, twenty-five, and a hundred years hence. The fine men and women are aghast at hearing of war and disaster, mass immigration, and the fall of civilization. Then the group goes south, and their festive spirit is soon destroyed by rumors of war, and then by actual war. Austria-Hungary attacks Serbia, and soon all of Europe is at war.

Faye takes us through the war in quick and yet enticing scenes, and then just as effectively portrays development up until the mid-twenty-first century, which is when the fall of the West happens. And that’s merely what’s contained in the first episode. Then, things continue into a dismal future, where things get “archaic” coupled with some “futurism,” and voilà, archeofuturism: a future cleansed with archaic perspectives, just as in the original book. Civilization breaks down, but then science regroups and comes to the fore again; not that it leads to any shiny, technotronic paradise. Rather, it is a field day for the titanic pessimist. This reviewer didn’t quite enjoy this part of the book, or virtually the rest of it as regards the conceptual side of it or the ideas peddled, but as such, Faye is faithful to his views and this is his suggestion for a future scenario.

archeofuturisme-v2-0-nouvelles-cataclysmiques.net.jpgThe book’s vision of a non-spiritual, titanic, and only partially scientifically developed (and also part degenerate) future leads you into a not-so-uncommon “feel bad” territory, as is not unknown in contemporary science fiction. Dystopia, the fall of civilization, doom and gloom. So what is there to say about it all? We’d say: Faye is a debutant of fiction. (Okay, the first Archeofuturism book indeed had an appendix that was a kind of short story, so already there the author had signaled the viability of fiction for his purposes.) Nevertheless, he tells his well-crafted story with confidence and wit, so we shouldn’t complain too much. We’d even like to read more Faye fiction, perhaps stories set in twentieth-century France or some such theme, given the allure of the setting of the first episode in this book.

In Archeofuturism 2.0 we get a Right-wing, radical conservative view of our times and beyond, and it’s fine as such. There aren’t that many such novels written today. It develops into a pessimistic tale of science as the lodestar. Natural science and technology become the focus of man’s striving – not spirituality and not esotericism. Let’s just say that we’d prefer a future with a modicum of mindfulness to keep us eminently awake.

The novel is convincing – as science fiction. Faye adds an epilogue – and there, he’s stating his creed in no uncertain terms – evolution rules, stick to the program, and forget everything else. And science predicts that someday, our planet will almost certainly be hit by a near-Earth Object. And after that, the cockroaches will rule . . . ?

Faye doesn’t say the latter. Instead, he delivers his payoff as a kind of afterthought, a line intimating a reasonable approach: “What do you think?” This indeed has the character of afterthought, and it would sit fine in an essay – but, when writing fiction, you have to obey its unwritten rules. A writer of fiction shapes his reality, he enacts the world he has in mind, and therefore he mustn’t throw in caveats and footnotes. There are indeed some lengthy notes to the tenth episode, showing that the author has done his homework in terms of space technology and so on, but they too are out of place in a fictional setting.

Essentially, writing fiction is myth-making. It’s revelation. It has to aim at mythic poignancy. In fiction, you can’t take the easy way out that is permitted in an essay, where the format allows you to discuss this and that.

The fiction author should be ruthless. “The spirit of song is war,” as Edith Södergran said. You have to artistically stand by your creation and not support it with extra-artistic means.

That said, and going back to the novel at hand, let’s remember what we said above, namely that it’s convincing. In most respects – its narrative skill, the conceiving of its science, history, sociology, and so on in a fictional setting, and as a radical conservative statement in novelistic form – Archeofuturism 2.0 is more than satisfactory. From an artistic point of view, we don’t mind that the novel is a bit weird and strange in its visions of the future – no, not at all, since the vision is mostly conveyed with skill. As well as charm, that has got to be underlined; the reader is swept along, and he generally has a good time. Overall, it’s a rather excellent effort.

Above, we mentioned Simak’s City as a similar science fiction opus, similar in that it is a chronicle of the future in separate yet connected episodes. In terms of its general atmosphere, Archeofuturism 2.0 can also make you think of the graphic novel Blake and Mortimer [6], Belgian E. P. Jacobs’ stories which often had a science fictional setting, such as The Time Trap [7] (1962), a story with a rather elaborate-but-dismal future. (And for the record, in one chapter of his novel, Faye has a character named “Grossgrabenstein,” a name that also appears in Jacobs’ The Mystery of the Great Pyramid [8] from 1954.) You might even mention Jules Verne, who (in his later works) had this “belief in science, yet also pessimistic” mindset that Faye displays.

We get the urge to equate Faye’s narrative skills with those of the graphic novel writer Pierre Christin, the creator of Valérian [9]. In this opus, Christin has made the Laureline character rather memorable, and in equal measure Faye has a way with his female characters. They are rather prominent in this future history. Discreetly, they carry a lot of the action without the gender-related fuss they are embellished with in Left-leaning novels.

Article printed from Counter-Currents Publishing: http://www.counter-currents.com

URL to article: http://www.counter-currents.com/2017/01/a-field-day-for-the-titanic-pessimist/

URLs in this post:

[1] Image: https://www.counter-currents.com/wp-content/uploads/2017/01/1-18-17-1-1.jpg

[2] Archeofuturism 2.0: http://amzn.to/2jppu9b

[3] Archeofuturism: http://amzn.to/2k5zLdQ

[4] Why We Fight: http://amzn.to/2jyTO40

[5] City : http://amzn.to/2jAHMXq

[6] Blake and Mortimer: http://amzn.to/2iDiZmj

[7] The Time Trap: http://amzn.to/2k1SyTn

[8] The Mystery of the Great Pyramid: http://amzn.to/2jADwqK

[9] Valérian: http://amzn.to/2k5w3Bc

 

Un air de guerre, d'Eric Werner

 
par Francis Richard
Ex: http://www.francisrichard.net 
 

air-de-guerre-werner.jpgLa guerre actuelle en Europe s'est imposée à nous sans nous demander notre avis. Elle remonte au début de 2015 avec les attentats contre Charlie Hebdo et contre l'Hyper Casher. Elle s'est poursuivie en France, en Belgique, en Allemagne. C'est une guerre qui n'est pas une guerre classique. 

La guerre actuelle nous cherche. Si elle nous cherche, il faut nous interroger sur notre participation possible à cette guerre, participation possible, mais pas sûre. Nous pouvons en effet: 

- soit ne pas vouloir la faire, choisir la résilience, c'est-à-dire accepter de vivre avec le terrorisme, comme on nous y invite

- soit ne pas faire que la subir, choisir la révolte, c'est-à-dire refuser de vivre avec lui.

Dans son essai, Un air de guerre, Eric Werner se propose de nous demander ce qui pourrait nous amener à un tel refus.

Pour ce faire, Eric Werner constate d'abord que:

- La société est atomisée: il n'y a plus de lien entre les générations, ni entre les individus

- L'État protège de moins en moins les biens et les personnes: l'insécurité augmente

- L'écart est croissant entre ce que versent les individus à l'État et ce qu'ils reçoivent en contrepartie au titre de la protection sociale

- L'État contrôle de plus en plus les individus grâce aux nouvelles technologies.

En l'absence de sécurité étatique, on peut donc dire qu'il y a état de nature; en présence de contrôle étatique, on peut donc dire qu'il y a état civil, pour reprendre les termes de Hobbes.

Dans ces conditions, selon Eric Werner , la guerre ne peut être que moléculaire, parce que cela découle de l'effondrement de la citoyenneté:

- Il n'y a plus de peuple

- Il n'y a plus que des ensembles désarticulés.

Et la conséquence en est que les individus sont [...] amenés à se prendre eux-mêmes en charge, en particulier à assurer eux-mêmes leur sécurité.

Eric Werner distingue trois sortes de guerres moléculaires:

- La résistance à un éventuel envahisseur

- La résistance à l'État total

- Le recours individuel à l'autodéfense.

Qu'est-ce qui va motiver l'individu (ou le petit nombre) à résister? La peur, si l'ennemi nous convainc de ses volontés exterminatrices (sinon, à quoi bon résister?). La guerre, toute moléculaire qu'elle soit devenue, a alors pour résultat de transformer les individus en un ensemble soudé et solidaire: la guerre éduque à la guerre.

La vraie question quand on fait la guerre n'est pas comment mais pourquoi: La guerre ne vaut d'être engagée que si la cause que l'on défend est bonne et juste. Et la victoire ne s'obtient que si l'on est motivé par autre chose que simplement la victoire: une juste cause, en fait.

(Eric Werner prend même le risque d'écrire que quand on dit: un seul but, la victoire, la défaite est à peu près assurée.)

Qu'est-ce que la juste cause d'une guerre? La défense de la terre natale et de l'héritage culturel, qui recèle toutes sortes de choses et qu'un mot résume: liberté, un mot qui remonte aux Grecs et qui se retrouve dans le christianisme.

Dans la guerre moléculaire, le sujet de la guerre c'est l'individu et c'est lui qui peut être amené par la guerre elle-même à donner du prix à la liberté: la liberté éduque à la liberté. A ce moment-là l'individu en vient à ne pas se battre seulement par instinct de survie, mais pour défendre une cause.

Le mot liberté recouvre en fait deux acceptions, qui, au contraire de s'opposer, forment un tout: les libertés individuelles, mais aussi la liberté du pays. Si toute guerre, y compris la guerre moléculaire, est un mal, un très grand mal, est-il possible pour autant de se résigner à l'anéantissement de la liberté, droit inaliénable, et de ne pas résister à l'oppression?

Dans la situation de guerre actuelle, il y a donc deux attitudes individuelles possibles:

- être dans le déni de la réalité, mais c'est coûteux à terme

- faire face, mais cela signifie bien interpréter les signes, tels que les attentats perpétrés en Europe depuis 2015.

Pour bien interpréter les signes, il faut veiller à ce que rien ne vienne faire écran entre eux et nous, pour être complètement soi-même: C'est ainsi qu'on accède à la force du regard, qui est souveraine.

Francis Richard

Un air de guerre, Eric Werner, 96 pages Xenia

Livres précédents chez le même éditeur:

Portrait d'Eric (2011)

De l'extermination (2013)

Une heure avec Proust (2013)

L'avant-guerre civile (2015)

Le temps d'Antigone (2015)

11:31 Publié dans Livre, Livre, Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, eric werner, livre | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

jeudi, 19 janvier 2017

Les Visages pâles, roman de cire et de types

sbc-port.jpg

Les Visages pâles, roman de cire et de types

Après Enjoy en 2012, Nous sommes jeunes et fiers en 2014, Solange Bied-Charreton a fait paraître en 2016, toujours chez Stock, Les Visages pâles. Dans ce troisième roman, l’auteur conserve sa volonté de dépeindre la société avec un regard attentionné, rappelant ainsi le dessein qu’avait Balzac dans La Comédie humaine, d’écrire « l’histoire oubliée par tant d’historiens, celle des mœurs ». Zone Critique revient pour vous sur le troisième livre de cette jeune romancière.

sbc-vp.jpegDans Les Visages pâles, il s’agit de mœurs précis, ceux de la famille Estienne implantée à Paris, composée de Jean-Michel et Chantal, divorcés, ainsi que de leurs enfants, Hortense, Alexandre et Lucile, ayant chacun son propre mode de vie, son travail et son appartement. Il s’agit en fait d’une famille sans toit, où chaque membre est exilé de la nation primaire désormais vide et abandonnée. Dès le début du roman est présentée une scansion fondamentale entre la ville, lieu d’un « exil permanent » et la Banèra, espace des liens originels et maison du père de Jean-Michel, Raoul. La mort de ce dernier déclenche une lutte pour la conservation du « bastion à défendre ». La famille, dont les valeurs sont en perdition, étouffées sous le poids d’une vie moderne, est représentée par deux entités : Jean-Michel voulant vendre la maison pour faire table rase d’un passé inutile, et la loi Taubira en faveur du mariage homosexuel. Le roman suit donc chacun de ces modes de vie selon une tension entre deux valeurs : l’intimité et la communauté, l’individu et la famille, l’enjeu étant de comprendre comment le personnage se dégage du déterminisme qui lui est assigné pour mieux le transgresser, le modifier, lui donner une renaissance, c’est-à-dire pour mettre au monde une histoire.

Le scepticisme, vide fictionnel

Solange Bied-Charreton présente l’histoire commune d’une bourgeoisie anti-mariage homosexuel, qui cultive la religion du confort et de l’utilité et qui, s’inquiétant pour l’avenir de ses valeurs, opte davantage en faveur de la suspension de jugement que de l’héroïsme.

L’histoire d’un roman trouve son épaisseur dans ses personnages et leur psychologie. Une psychologie stéréotypée produit une histoire banale. Au contraire, une psychologie dense et subtile donne une histoire singulière, aussi commune soit-elle. Solange Bied-Charreton présente une histoire commune, celle d’une bourgeoisie de 2013, anti-mariage homosexuel, prônant l’importance du travail, de la famille et de l’argent, cultivant la religion du confort et de l’utilité et qui, s’inquiétant pour l’avenir de ses valeurs, opte davantage en faveur de la suspension de jugement que de l’héroïsme. Hortense, par exemple, « femme d’ordre [qui] ne laissait jamais aucune place au hasard», n’est occupée qu’à éviter toute interférence possible avec sa carrière trop précieuse ; Hubert, son mari et père de ses deux enfants, affirme que « la suspension de jugement […] est notre bien le plus précieux » ; Chantal, à l’idée de se faire entendre dans la rue, est rongée par le « scepticisme » et Jean-Michel, lui, « vieux soixante-huitard de merde », a déjà réussi, il a déjà vécu dans un « monde libre » et prépare sa retraite loin de racines trop encombrantes. Seuls deux personnages pourraient être porteurs d’histoire et de fiction : Alexandre et Lucile, tous deux se distinguant par le rapport, en eux, de l’intimité et de la communauté, c’est-à-dire de l’intérieur et de l’extérieur.

Lucile, ou la possibilité d’une histoire

En effet, Alexandre, « plus lucide, mais plus incontrôlable, croyait à la violence » comme unique moyen de défendre la famille et plus généralement les valeurs qui sont au fondement d’une France puissante. Il serait alors possible de l’imaginer futur terroriste, transgressant les valeurs qu’il soutient au nom de leur conservation, si seulement il n’était pas trop éduqué. Pour Alexandre, qui « avait été pensé », la communauté se positionne à la source de l’intimité, si bien qu’elle prend le rôle d’une substance divine à la fois cause et effet de l’individu : si sa lucidité l’encourage à croire en la violence, le jeune homme n’en est pas moins un bourgeois, pour qui l’engagement ne va pas plus loin que « sous un porche rue Monsieur-le-Prince, pour finalement échouer dans un bar à sangria à l’ambiance amicale et aux prix imbattables, et qui autorisait ses clients à fumer malgré la législation en vigueur ». En somme et malgré tout, pour Alexandre, digne héritier de la famille Estienne, « une importance toute particulière était accordée au confort ».

Ni déchirure ni humour chez Alexandre, aussi sérieux que l’auteur qui le met en page. Ceci n’est pas un personnage mais une trajectoire sociale.

Un personnage est avant tout construit par la rencontre, en lui, de l’intérieur et de l’extérieur, si bien qu’il ne peut devenir ce qu’il est qu’en étant « déporté au-delà des frontières du monde connu ». Si cela est le cas des romans de Balzac, où Lucien Chardon par exemple, quitte sa ville natale pour Paris où l’attendent ses « destinées », ça ne l’est pas d’Alexandre qui défend son confort domestique au nom d’une idéologie de trottoir, déterminée par un traumatisme lié à l’enfance. Il pourrait donc être rapproché de Frédéric dans L’Éducation sentimentale ou de Lucien dans L’Enfance d’un chef, si seulement il ne lui manquait pas la verticalité de l’ironie, la nuance de la mauvaise foi ou la sensualité d’un style : ni déchirure ni humour chez Alexandre, aussi sérieux que l’auteur qui le met en page. Ceci n’est pas un personnage mais une trajectoire sociale.

Lucile, au contraire, dont « la personne était en désordre, sa cohérence tenait du hasard », est amenée à rompre avec le reflet de l’extérieur dans l’intérieur grâce à sa rencontre avec Charles Valérien, jeune homme rentier, nihiliste fragile et désabusé qui, sans famille ni origine, jouit d’une souffrance toute particulière : la liberté. Lucile est finalement le seul personnage du roman qui ne vit ni dans le passé ni dans l’avenir mais dans un présent absolu et charnel, un maintenant infini appelé à grossir jusqu’à mettre au monde une histoire. Avortée malheureusement. La rupture de Lucile et de Charles est consommée, et Lucile, désespérée quant à la possibilité de l’Amour, retrouve « l’indifférence généralisée » comme refuge à une douleur trop réaliste ; elle retrouve l’espace familial en somme, qui, ne pouvant préserver son homogénéité sans une forte dose de scepticisme, se doit de douter de tout, de la politique et de l’amour, de sacrifier l’intimité au nom d’une communauté pâle, et surtout de s’en tenir au doute. Avec Hortense et Alexandre, Lucile enferme sa jeunesse dans les méandres de la Banèra pour mieux fermer les yeux devant un monde « morne et démesuré ». « Morne et démesuré », deux mots qui pourraient proposer un résumé de ce qu’est la modernité s’ils ne leur manquaient pas deux lettres, le « i » et le « t », pivots d’une absence qui rend boiteux le roman : celle de l’intimité.

solange-bied-charreton-1_5708467.jpg

Sociologie du pessimisme

Roman de l’enfermement et de l’incarcération de l’individuel par la communauté, Les Visages pâles présente des personnages qui n’abritent aucune déchirure, aucune complexité intérieure, aucune suggestion à la possibilité d’un devenir fictionnel, aucune vie en somme.

Effectivement, Solange Bied-Charreton met sur papier des entités sociales qui préexistent au roman et pour qui chaque nouvelle page n’est pas une nouveauté qui s’agrège soudainement à un ensemble en construction, mais bien plutôt la confirmation de stéréotypes que tout le monde connaît. Son roman pourrait passer pour pessimiste ou cynique, si seulement il ne réutilisait pas la vision que chacun se fait de ces deux modes de pensée : Charles Valérien fait presque rire, Alexandre n’est même pas ridicule, Hortense finit logiquement par coucher avec son patron et Lucile se confond avec cette fille ratée parce que sensible, que chacun imagine. Alors que le premier disparaît du roman sans manière, les autres personnages se retrouvent pour recomposer ce qu’ils croient être une famille, à la manière d’automates qui cultivent un « mode de vie », mais non pas une « vie ». Ici est présente la contradiction dans le discours de l’auteur, qui, voulant porter un regard attentionné sur ces individus, ne trouve pas d’autre moyen que de les peindre, non pas tels qu’ils sont, mais tels qu’ils sont conçus par l’opinion commune : si lisant le roman, le lecteur y retrouve les préjugés dont il essaye de se débarrasser, ne serait-il pas davantage bénéfique pour lui de le refermer et d’aller marcher dans les rues ?

Roman de l’enfermement et de l’incarcération de l’individuel par la communauté, Les Visages pâles présente des personnages construits par une histoire sociale et qui, lorsqu’ils s’en émancipent, n’abritent aucune déchirure, signe de l’intimité, aucune complexité intérieure, aucun espace cryptique dissimulé derrière les apparences, aucune suggestion à la possibilité d’un devenir fictionnel, aucune vie en somme : ils sont morts-nés et nous regardons leur trajectoire comme nous lisons un livre de sociologie. On n’y croit pas.

Lucas Dusserre

L’Alsace est une fête

olivier-maulin-fete-finie.jpg

L’Alsace est une fête

par Lucien Rabouille

Ex: http://zone-critique.com 

Animateur du Cercle Cosaque aux côtés de l’ébouriffé Romaric Sangars, franc-buveur à la hussarde, anar’ de droite comme Marcel Aymé et satiriste comme Scarron : Olivier Maulin, auteur – entre autres – de Gueule de bois ou des Lumières du ciel, faisait paraître en juin dernier La Fête est finie aux éditions Denoël. L’un de nos chroniqueurs vous entretient avec gouaille de ce roman truculent, politique et alsacien.

Relevant le nez de la tambouille politicienne, une grande âme s’étonnait de voir que parmi les nombreux postulants à la prochaine élection présidentielle, aucun ne propose de transformer la France en : «  un puy du fou géant ». L’argument serait pourtant porteur. Imaginons : au doux pays de France, le bon peuple festoie au milieu des troubadours et des cathares. Moines soldats, dames de cour, bas clergé alcoolique, renégats et guérisseuses rivalisent de fantaisie au cœur d’une mise en scène son et lumière honorant les temps de jadis. Embaumer le pays réel en un sanctuaire protecteur, le peupler de jean-foutres et de nobles édentés redoutant les jacqueries paysannes comme les adorateurs de fées… Le projet n’a encore séduit que les touristes, si l’on compare le succès commercial du Puy du Fou aux anorexiques résultats électoraux de son fondateur. La Grande âme n’a donc pas tord : on ne trouve cette mesure dans aucun programme d’aucun postulant à la primaire d’aucun parti. Mais le projet aura un autre (et meilleur) destin qu’électoral. On rencontre encore des cerveaux malades pour songer à transformer la France en un gigantesque Puy du Fou. Parmi eux : un romancier. Olivier Maulin livre avec son dernier exploit, La fête est finie, un hilarant cri de guerre contre les barbaries éclairées au gaz et ses thuriféraires progressistes.

Fable foutraque du pays réel

Totor, jean-foutre génialement con, n’aime rien tant qu’écouter Bach en se grattant la galle ; son comparse survit de petits boulots, fort d’un CV en peau de lapin et d’une expérience pluriannuelle de chômeur longue durée.

Ses personnages traînent leur existence misérable aux marges des marges de la société. Surnageant dans la nasse, un duo de choc se débat. Totor, jean-foutre génialement con, n’aime rien tant qu’écouter Bach en se grattant la galle ; son comparse survit de petits boulots, fort d’un CV en peau de lapin et d’une expérience pluriannuelle de chômeur longue durée. L’échec professionnel est un emploi à temps plein dans lequel ils excellent, sans RTT, congés payés ou arrêts maladie. Par nécessité alimentaire, ils s’improvisent la nuit gardiens de camping-cars haut de gamme et après quelques combines, embauchent comme pit-bull des chiens domestiques rencontrés la veille à la SPA ou chez la voisine sénile. Sans traîner, la première nuit de travail est interrompue par un cambriolage. Moins ambitieux que les voleurs mais plus négligents, les compères avaient dérobé l’alcool du patron pour s’endormir avec dans l’engin.

Le malfaiteur est un ridicule parvenu d’Europe de l’Est répondant au nom de « Sarközi ». Il file à la roumaine vers la mère patrie pour tirer un bon prix du véhicule. Les personnages obtiennent leur salut par quelques péripéties branquignolesques qui les entraînent dans une cavale policière imprévue. Poursuivant leur route nulle part, c’est à dire en Alsace, ils découvrent un pays où l’Ubu-Renne, souverain des forêts, est un cerf alcoolique et vulgaire alors que des batailles rangées opposent gendarmes et résistants autonomistes.

Quoique bienvenus en Maulinie, les personnages ne s’y sentent pas immédiatement chez eux. Et si elle se passe de brochures promotionnelles, la destination tient toutes ses promesses de dépaysement. Habitués à la routine et à la galère, ils ne voient que folie, démence, excès et réjouissances bucoliques. Le dernier des clochards célestes sera premier chez les anthropologues : virtuose de grands concepts et de bonnes bouteilles, le personnage maulinien est sujet à la radicalisation éthylique. Passé le digestif, il cause clandestinité, attentat et stratégie de la tension. Leur créateur a tout d’un terroriste paralysé par le style. Passé la blague, il s’enflamme et obligatoirement dérape. L’intrigue lui en donne le prétexte ; une décharge s’installe dans la vallée. Casus belli pour les protagonistes, déterminés à ne pas laisser entrer ici le monstrueux « progrès », ni son funeste cortège.

Politique d’abord

La theoria maulinienne a l’odeur d’une potée alsacienne où s’harmonisent les ingrédients d’une soupe bien à droite.

Politique d’abord, le roman est le prétexte pour une typologie (inédite en histoire des idées) de programmes baroques et fatigants. La theoria maulinienne a l’odeur d’une potée alsacienne où s’harmonisent les ingrédients d’une soupe bien à droite. Talent oblige, cette droite se révèle dans ses variétés les plus anarchisantes. On rencontre très vite la plus triviale, qui est aussi la plus populaire : un anarchisme de vauriens et de demi-crapules, se foutant de tout ou presque et surtout de l’Ordre. Cet anarchisme sert d’éthique sommaire au gugusse maulinien de base. Indifférent à tout souci politique, il se contente de rejouer l’éternel duel entre gendarmes et voleurs. Il rappelle Audiard ou les entrepreneurs en activisme révolutionnaire de L’aventure c’est l’aventure. Larcins malgré eux, Totor et son comparse ont autant de conscience politique qu’un vers de terre moyen.

Probablement anarchiste de naissance, l’auteur sait aussi raffiner. Refuser une autorité ne revient pas toujours à ignorer la nécessité d’un ordre. Régionalisme, traditionalisme, localisme, décroissance… l’Alsace maulinienne formule une proposition originale d’organisation politique et sociale. Nostalgiques d’une harmonie originelle, ses habitants rêvent de libérer leur province de l’administration centrale pour la remplacer par une association libre de cellules sociales protectrices. Ils idéalisent un royaume franc du XIIIe siècle, hérissé de libertés, dans lequel pays, provinces, communes pouvaient se nantir de privilèges libérateurs. Rêvant d’un grand bordel providentiellement ordonné, ils vomissent l’État et aspirent à se passer de lois, protocoles, ordonnances, normes ou administration. Résurgence du légitimisme libertaire de Chateaubriand et de l’organicisme réfractaire de Barbey d’Aurevilly, ils sont les ultimes héritiers d’une intemporelle fronde contre la légalité, ne respectant un droit que surnaturel et désobéissant au reste.

maulin-1.jpg

L’État est toujours désigné comme l’ennemi. Empêcheur de tourner en bourrique, il envoie sa police courser les renégats et surtout, crime de lèse-ébriété, entend réglementer la distillation de l’eau de vie. On entend donc bien se passer de lui et de son autorisation pour être bourré du matin au soir. Alors on chouanne, zade et résiste par tous les moyens, même légaux. Les personnages brûlent de consumer le plus froid des monstres froids et pour ce fait, discourent eux aussi sur la méthode. Abattre l’État certes, mais comment s’y prendre ? D’une Theoria, le maulinisme déduit une Praxis. Proudhon et Sorel ne sont pas loin. Pour ne pas se laisser duper par la fable démocratique, le roman glose les Réflexions sur la violence entre deux caravanes de camping et légitime la violence prolétaire comme mythe mobilisateur après trois apéritifs. Vivre et s’achever à l’alcool dans une caravane n’empêche pas de maîtriser l’exercice de la dissertation philosophique. L’ouvrage fourmille d’énoncés théoriques : l’auteur s’y révèle très habile et manie la dialectique comme le tire-bouchon. Introduisant la thèse démocratique par sa réfutation marxiste, il offre alors un supplément d’âme au traditionalisme et conclue sur l’appel à une grève majestueuse, instituant le peuple en nouvelle aristocratie.

Quand le patriarche disserte sur la grande stratégie révolutionnaire, sa fille veille à sa mise en œuvre tactique. Le roman annonce le Grand Soir, le point de non retour. Les personnages s’y préparent et s’improvisent Lysandre ou Hannibal. Être armé est une garantie d’indépendance ; l’assurance de pouvoir résister au Léviathan. Là encore, l’auteur innove et enrichit son avant-garde réactionnaire d’une mention allusive à l’idéal libertarien américain, souvent mal compris et caricaturé en France.

Quête ontologique

Le langage maulinien est l’expression d’un être désinhibé qui aspire à vivre une existence libre et affranchie. Il malmène tous les poncifs linguistiques et idéologiques ; comme l’ont fait avant lui Rabelais, Céline, Frédéric Dard ou ADG.

S’il est accidentellement théorique et praxiologique, le roman ne se prend pas non plus trop au sérieux. Jünger, Sorel, Spengler, Maurras ou Heidegger peuvent se faire comprendre d’alcooliques incultes. La trivialité des personnages résume en deux ou trois grossièretés, des pensées ardues et bien souvent soporifiques. On les en remercie. Au cœur de l’intrigue maulinienne, Heidegger nous révélait la technique moderne comme « mode de dévoilement de l’étant »,  Maulin la décrit comme mode de dévoiement de l’étang. La rhétorique se déploie en quelques cris de guerre bien sentis : « merde au progrès qui pue ». On goûte à cette âpreté conceptuelle comme à ses coups de massue, à peine plus délicats qu’une hallebarde de lansquenet généreusement enfoncée dans le crâne.

Comme rançon du génie, ces gauloiseries éloignent nos héros des gens de bonne compagnie. Démesurés dans leur courage, leur imbécillité, leur facétie, leur ivrognerie ou même ponctuellement leur érudition ; ils se voient opposés à la faune de tous les cuistres demi-habiles, intelligents sans être géniaux, courageux mais pas téméraires, diplomatiquement ordinaires pour ne pas dire simplement médiocres. Seuls comptent les caractères extrêmes. Mais il faut encore en être pourvu, cette qualité n’est pas universelle.

Le grand remplacement des fous par les demi-habiles permet l’invasion d’une langue étrangère. Sans qu’elle n’ait été vraiment conviée, la phraséologie s’invite ponctuellement en Pays d’Alsace où la barbarie douce a de nouveau franchi le limes du Rhin. Un séminaire d’entreprise parle « de relever les défis à venir ». Presque aussitôt, tout discours sincère se dilue dans un magma pseudo-métaphorique. L’auteur ne fait que citer les brochures d’une parole qui n’a même pas besoin d’être caricaturée pour apparaître vide. Par son expression la plus réaliste, le lecteur comprend immédiatement qu’elle ne vaut rien.

Le langage maulinien acquiert alors une plus haute dignité et devient autre chose qu’un amas de gugusseries pour la poilade. Il est l’expression d’un être désinhibé qui aspire à vivre une existence libre et affranchie. Il malmène tous les poncifs linguistiques et idéologiques ; comme l’ont fait avant lui Rabelais, Céline, Frédéric Dard ou ADG. Mais les thèmes de la banlieue des années 1930 comme du conformisme gaullien de la France industrielle ont vécu. Il est difficile d’entretenir aujourd’hui une familiarité avec ces proses, sauf à posséder une très bonne connaissance du contexte historique. Moderne, absolument moderne, le langage maulinien en est spontanément drôle.

Une farce mélancolique

Témoin brutal et nostalgique d’un passé qui ne sera jamais plus,  Maulin pourrait être à l’Alsace un Faulkner ou un Barbey d’Aurevilly.

Farce mélancolique d’un univers qui se défait, le roman nous offre bien des rires  et aussi un peu de tristesse. Tel Alsacien a connu « les fromageries au bourg, les charcuteries, des confiseries, des merceries, une chapelle même ! Et des tanneurs, des cordonniers, des bourreliers, un tonnelier, un ferblantier, un forgeron, et un cordier ». « Une épicerie, une pizzeria et un moloch en tôle, horrible hypermarché à l’entrée de la vallée » les ont remplacés. On songe à l’âge d’or, au paradis perdu et on a soudain envie de dire avec le vieux fermier « merde au petit con de sociologue qui viendra m’expliquer que ce n’était pas mieux avant ».

Passé le coup de gueule, le roman pose un sévère diagnostic : la société a vécu sur le rêve sinistre d’un progrès indéfini et d’un mouvement linéaire de l’histoire, ce dernier devait renvoyer aux vieilles lunes moyenâgeuses tous les sceptiques qui chercheraient à lui faire obstacle. On entend sa complainte : « Le progrès est passé par là ». Le présent n’est qu’un inépuisable sujet de déploration quand le passé est toujours objet de regrets. Libres artisans, érudits locaux, aspirants renégats, clochards célestes… tout le peuple maulinien regrette l’intimité des sociétés villageoises en employant le verbe généreux et trivial des parlers de jadis.

Témoin brutal et nostalgique d’un passé qui ne sera jamais plus,  Maulin pourrait être à l’Alsace un Faulkner ou un Barbey d’Aurevilly. Après les premiers chapitres, sa prose se localise à la manière d’un honnête récit pastoral. Un hobereau normand ou un patricien dixie en pleine vallée du Rhin, remplaçant le coton et le cidre par le schnaps ? Le roman est un peu plus fin que cela. Le pathos à foin a vécu… Chez Maulin, la nostalgie n’a pas fondamentalement divorcé de l’espoir. Sans péage mais sans déviation, le camping-car maulinien emprunte l’autoroute de l’héroïsme chevaleresque. « Elevé en Mythe, le temps d’avant n’est jamais très éloigné du rêve ». Atteints des vertiges d’un âge d’or imaginaire, les personnages s’intéressent pourtant moins à sa forme qu’à son principe. L’intimité sociale, l’autorité de la coutume, les baises gauloises sont plus qu’une fresque mythologique. Elles existent de manières bien réelles, bien charnelles, dans ce que les sociologues appellent la postmodernité. Celle-ci devient involontairement passéiste et se retourne contre l’édifice moderne quand son infrastructure étatique et sa superstructure idéologique s’enfoncent dans une muabilité incertaine. Quand il discourt, le roman détaille le mouvement cyclique de l’histoire et se plonge, quoiqu’un peu sommairement, dans la mythologie des siècles. Aucun « progrès » n’est inéluctable, aucune décadence non plus. Comme tout ce qui est humain, elle porte en elle les racines de sa propre critique. Son kitsch consumériste devient prophétique. Même en camping-car, le temps des chevaliers peut renaître, mais seulement de manière moderne, baroque et bien sûr inattendue. Les camping-cars resteront et avec eux la poudre, les armes à feu et les machines à distiller. Nul individu, sensé ou insensé, ne songera à y renoncer et probablement pas l’auteur. Mais cet apparent futurisme ne suffit pas à en faire un moderne.

Son dieu cerf alcoolique empereur de la forêt a fière allure et ressemble fort peu à celui de  Princesse Monokoké. Dans la fable de Myiazaki, le majestueux protecteur de la Physis se révèle être l’ultime obstacle à « l’exploitation totale de ce qui se trouve entre le ciel et la terre ». Dominer, exploiter, arraisonner semble être, chez le nippon comme chez l’alsacien, le projet même de la modernité. Myiazaki décrit un monde en train de se défaire quand Maulin voit un monde déjà défait. Le myiazakisme comme le maulinisme ne sont guère des optimismes ; mais leur mélancolie sait être consolante. Même quand l’homme semble menacé en son humanité, elle éveille des émotions libératrices. L’art sait encore dire certaines choses, de celles qui ne peuvent demeurer enfouies trop longtemps. Par-delà le dieu cerf, elles sont immortelles et leur « principe ne peut pas mourir car il est le mouvement même de la vie », sauf peut-être après que le dieu cerf ait déménagé en Alsace maulinienne pour succomber à une cirrhose du foie. En attendant, que la fête recommence.

Lucien Rabouille

  • La fête est finie, Olivier Maulin, Denoël, 240 p., juin 2016, 18,90 euros.

Dominique de Roux, Rouergat intégral

Dominique de Roux par Jean-Luc Barre-2013.jpg

Dominique de Roux, Rouergat intégral

par Georges FELTIN-TRACOL

En 1983 paraissait un ouvrage posthume d’Alexandre Vialatte, L’Auvergne absolue. Le comte Dominique de Roux (1935 – 1977) ne serait-il pas, pour sa part, un Rouergat intégral ? C’est la question qu’on se pose une fois refermé Les châteaux de glace de Dominique de Roux écrit par Rémi Soulié en 1999. À cette date, l’auteur n’avait publié qu’un seul ouvrage, deux ans plus tôt (De la promenade), et ne traitait pas encore de Nietzsche, de Boutang, d’Aragon, de Péguy, du Curé d’Ars et de Benny Lévy. Rédigé entre juin et juillet 1998 au moment où l’Hexagone s’entichait pour une équipe de footeux bariolés aidée par quelques substances exceptionnelles et des services très secrets afin de remporter une compétition de paillettes et de pognon, ce court essai revient sur l’écrivain – éditeur – journaliste – baroudeur Dominique de Roux.

Rémi Soulié vient du Rouergue où se trouvait l’un des châteaux de glace de Dominique de Roux, « la propriété de [son] arrière-grand-mère […] ! Le lieu même, où, enfant, il passait les vacances (p. 21) » : les Bourines. Antique ferme fortifiée héritée par Madame Antoine Aubaret, le lieu jouxte l’Aubrac qui, « sur le plan ontologique, est l’espace des burons… (p. 67) ». Les Bourines se situent donc en Aveyron, ces terres toutes proches du Cantal, ce département – volcan endormi dont la forme géo-administrative ressemble à s’y méprendre à la Toison d’Or bourguignonne.

SouliéDdR.jpegDans un monde littéraire et éditorial déjà bien chloroformé par la bien-pensance, Dominique de Roux tranchait par son dynamisme, ses fulgurances et – surtout – son incroyable impertinence. Son style acéré et altier ne pouvait (devait ?) que cliver. Tout le contraire de ses sinistres contemporains. « Du plat, du mou, du fade, du terne, du neutre, le triomphe du Marché est à ce prix. Qu’un écrivain pointe le bout de la mine, les chiens de garde de l’antifascisme se chargent de le broyer sous leurs vigilantes mâchoires morales (p. 47). » Il faut préciser que, ceci expliquant cela, « Chirac est au pouvoir; il gagne un à un, patiemment, ses galons de guignol cosmo-planétaire (p. 50) » et, sous ce déplorable septennat, le palais de l’Élysée devint « le Salon de l’agriculture mâtiné de Grand Stadium (p. 76) ».

Une chape de plomb s’abattait sur la spécieuse « République des Lettres », une expression grotesque qui masque un bagne intellectuel. « Les idiots du village planétaire sont en effet aux commandes, la Censure veille à ne désespérer la Banque en fourguant aux gogos les héros positifs du réalisme démocratique (p. 12). » Dans ce contexte éprouvant, « malheur aux hérétiques ! Malheur aux dissidents ! Les anathèmes laïques prospèrent, les bûchers progressistes ne manquent pas de fagots, les nouveaux cagots inquisitionnent (p. 14) ». Rémanence d’outre-tombe, l’incisive œuvre de Dominique de Roux n’en finit pas d’être décriée, pourchassée, vilipendée par d’insignifiants cloportes dénonciateurs de salon germanopratin. Sous le binôme Chirac – Jospin, « le hideux libéralisme reprend vie grâce à la social-trahison, en vertu d’une constante historique, celle de l’éternelle imposture – au sens bernanosien du mot – ontologiquement véhiculée par les chapons réformistes (p. 60) ». Rien de neuf sous l’astre de feu ! Certes, « comme tous les grands écrivains, le comte n’avait pas la tête politique (p. 27) ». Quoique… Dominique de Roux « résiste, dans son fortin assiégé par les démocrateux calamistrés (p. 66) ». Mieux, il y manifeste un idéal plus que littéraire, ontologique : « Tout écrivain est un chevalier errant en quête d’absolu; son combat pour la Dame Beauté prend toutes les formes extrêmes, politiques, religieuses, physiques. La laideur, c’est la tiédeur (p. 74) ». Et Roux n’est ni tiède, ni fade !

Rémi Soulié souligne avec justesse que « Dominique de Roux était un ultra historique – étymologique : ultra gauche et ultra droite à la fois, au-delà, de l’autre côté, plus loin, en avant, ailleurs (p. 80) ». Il sait, lui aussi, que « la tragédie repose sur la terreur et la piété donc le sacré; la parodie que nous vivons sur le comique troupier (p. 83) ». Certains y excellent : Chirac, Sarközy, Hollande… Le phénomène depuis s’aggrave : voyons les prestations lamentables des nouveaux « humoristes » de France Inter ou des chaînes de télévision. Ces histrions qui ne font rire personne sont de véritables propagateurs d’obscénités, de suffisance et de conformisme bêlant. Inévitable mutation, car « en régime de dictature libérale, la liberté se filtre. Vous pouvez tout dire, tout écrire, à condition de ne pas contrevenir aux articles fondamentaux de la Médiocratie (p. 75) ».

Par l’intermédiaire de l’auteur d’Ouverture de la chasse, « rêvons un peu à une France vomissant ses tièdes et ses mous ! Plus de sociaux-démocrates ni de démocrates-chrétiens, plus de libéraux sociaux ni de sociaux libéraux ! La politique enfin restaurée en mystique par quelques royalistes, des gaullistes métaphysiques aussi et des révolutionnaires intacts à la Fajardie ! (p. 11) ». « Dominique de Roux […] préparait l’avènement du Surhomme dans la démesure et l’excès (p. 29). » Était-ce seulement de l’excès ? Très certainement en littérature, dans l’édition et par son style ciselé. Probablement aussi avec ses passions et cette « certitude de l’aventurier : les destinations n’oblitèrent pas la destinée (p. 23) ».

Dominique de Roux et Rémi Soulié sont deux reîtres en cavalcade contre l’immonde modernité. L’auteur n’hésite pas à s’enflammer et à faire part d’une intense conviction, apte à effrayer tous les vigilants du consensus. « Mon credo : la littérature comme Weltanschauung. […] À l’inverse des vertueux, je n’hésite pas à dire que j’aurais été stalinien sous Staline, mussolinien sous Mussolini, franquiste sous Franco, salazariste sous Salazar, pétainiste sous Pétain, castriste sous Castro; j’aurais été de tous les totalitarismes et je préviens, je serai du prochain (p. 77). » Faut-il comprendre qu’il serait susceptible de se rallier au libéral-mondialisme bankstériste 2.0 de ce début de XXIe siècle ? Les titres qui suivront après Les châteaux de glace de Dominique de Roux démontreront au contraire que Rémi Soulié appartient à une autre race, celle immarcescible des bretteurs de haute tenue.

Georges Feltin-Tracol

• Rémi Soulié, Les châteaux de glace de Dominique de Roux, Les Provinciales – L’Âge d’Homme, 1999, Saint-Victor-de-Morestel – Lausanne, 93 p., livre épuisé, sauf chez quelques bouquinistes.

mercredi, 18 janvier 2017

«La Russie, un cliché hostile. Histoire d’une diabolisation»

russie-face--la-russophobie-occi.jpg

«La Russie, un cliché hostile. Histoire d’une diabolisation»

Un livre de Hannes Hofbauer

par Jochen Scholz*

Ex: http://www.zeit-fragen.ch/fr 

Hofbauer-Feindbild-Russland-500.jpgLe livre de Hannes Hofbauer est sorti juste à temps, comme s’il avait encore fallu d’une preuve criante supplémentaire. Le Parlement européen a voté une résolution non contraignante, par 304 voix contre 179, avec 208 abstentions: «Résolution du Parlement européen sur la communication stratégique de l’Union visant à contrer la propagande dirigée contre elle par des tiers.»1 A première vue, cela semble défensif. En réalité, il s’agit du soutien de la «Task-Force pour la communication stratégique de l’UE» et de son «Disinformation Digest»2 c’est-à-dire du monopole d’interprétation de l’actualité politique internationale.
La résolution «demande à chaque Etat membre de mettre à la disposition de ses citoyens les deux bulletins d’information hebdomadaires de la Task Force de l’Union sur la communication stratégique, ‹The Disinformation Digest› et ‹The Disinformation Review›, afin de sensibiliser le grand public aux méthodes de propagande utilisées par des tiers».

La Russie est visée

C’est avant tout la Russie qui est visée, comme on peut le lire dans le «Disinformation Digest» du service diplomatique européen. Ce n’est pas sans raison. Depuis onze ans, la chaîne de télévision internationale Russia Today (RT) prend de plus en plus d’ampleur et d’acceptation dans les pays «occidentaux». La politique et les médias nationaux se voient de plus en plus dans une situation où leur monopole d’interprétation de l’actualité politique internationale sur les questions litigieuses entre la Russie et les Etats de l’UE/OTAN est remis en question. La qualité très professionnelle du travail des journalistes du groupe RT et la présentation vivante des émissions, mais aussi la transmission d’informations exclues dans les médias occidentaux contribuent à cela. Le fait que cette résolution de l’UE met dans le même sac les médias russes, la propagande des terroristes islamistes du soi-disant «Etat islamique» et leurs vidéos montrant des décapitations est plus que bizarre: elle met ainsi les médias russes sur le même niveau que les tueurs de masse. L’endoctrinement des citoyens de l’UE n’est heureusement pas tel qu’ils ne le réalisent pas, d’autant plus que le cliché hostile de la Russie attisé dans les grands médias n’a, selon tous les sondages, jusqu’à présent pas montré les effets désirés.

«L’inimitié crée des clichés hostiles»

Hannes Hofbauer a trouvé une formule d’une grande clarté pour expliquer au lecteur le lien entre la situation politique et la russophobie: «L’inimitié crée des clichés hostiles.» (p. 13) L’auteur ne se réfère pas seulement à la situation actuelle, mais retourne à la source de l’«image diffamant la Russie et les Russes» apparue au XVe siècle: c’est l’image de la Russie «asiatique et barbare» réutilisée à maintes reprises et dans de nombreuses variations comme un stéréotype par des créateurs de clichés hostiles. A l’aide du schisme de 1054, l’auteur montre que l’église catholique y a sa part de culpabilité. Depuis, l’église romaine d’Orient et avec elle l’église russe orthodoxe ne comptaient depuis plus comme communautés chrétiennes mais comme «refuges des apostats». Au XVIe siècle, l’Université de Cracovie jouait un rôle important parmi les institutions de formation. En l’an 1500, son influent recteur Johannes Sacranus désigna les Russes comme «peuple hérétique entretenant des rapports avec les Turcs.»

Le rôle de la Pologne

L’identité nationale du royaume de Pologne de l’époque, comme défenseur de l’«avant-mur de la chrétienté», semble avoir ses répercussions encore bien au-delà. Aujourd’hui encore et de manière renforcée depuis plusieurs années déjà, on critique le modèle de société et de politique russe, sous sa forme séculaire, dans les médias occidentaux. Dans la Pologne moderne, ces racines historiques sont particulièrement visibles dans les relations entre les gouvernements polonais et la Fédération de Russie depuis l’époque de Lech Walesa. Hofbauer explique de façon plausible que la grande influence de l’Université de Cracovie sur les «intellectuels» européens – selon la dénomination actuelle – de l’époque forma le mycélium dont se nourrit en Europe occidentale encore aujourd’hui l’image de la Russie comme «asiatique» dans le sens de «barbare».
Cependant, l’image négative de la Russie n’est pas née dans les discussions intellectuelles de l’époque indépendamment des intérêts de politique de puissance de l’Union polono-lituanienne face au duché moscovite. Au contraire, les professeurs savants fournirent l’amplificateur idéologique pour la propagande. Le regard quotidien sur les médias phares actuels montre une image assez semblable à l’observateur actuel des relations de l’UE et de l’OTAN avec le président Poutine. Le modèle n’a guère changé au cours des siècles. Le livre analyse les conflits et les guerres notamment du XIXe et du XXe siècles de manière à ce que le lecteur obtienne, dans une sorte de mouvement rapide, un résumé historique des évènements principaux des deux périodes avec les intentions stratégiques et les motivations des acteurs.
Cette analyse est également utile pour diriger le regard du lecteur sur les conflits actuels en Syrie, en Ukraine, en Libye, au Caucase et dans la mer de Chine ainsi qu’au-delà de la perspective ponctuelle et quotidienne, sur la perspective géopolitique globale caractérisée par le déclin relatif des Etats-Unis et parallèlement l’émergence d’Etats telle la Chine.

La cupidité envers les matières premières russes

 En tant qu’historien économique, Hannes Hofbauer est très attentif au rapport entre l’image purement négative et russophobe du pays avec ses gigantesques gisements de matières premières et les intérêts économiques et géopolitiques de l’Occident, notamment des Etats-Unis. On reconnaît ainsi, dans notre siècle actuel et le précédent, le recours à un modèle historique. Car dans les époques où les intérêts russes et occidentaux étaient en harmonie – comme ce fut le cas par moments au XIXe siècle entre la Prusse/le Reich allemand/Habsbourg et l’empire des Tsars – l’image de la Russie en tant qu’«incarnation du mal» n’existait que chez les «héros de l’histoire spirituelle allemande». Les dynasties, au contraire, voyaient le Tsar comme allié face aux agissements démocratiques.

Le rôle des intellectuels occidentaux

La russophobie indirectement transportée de génération en génération par les intellectuels occidentaux libéraux est prête à être réactivée à tout moment par les élites politiques, comme cela s’est fait au préalable de la Première Guerre mondiale. L’auteur nous montre que cela n’a guère changé: l’histoire des rapports entre l’Occident et la Russie après la fin de la guerre froide et la dissolution de l’Union soviétique en sont la preuve.

La stratégie de choc des années 90

Sous le président Eltsine, le régime présidentiel de la Russie exécuta sagement la transition de l’ancienne économie planifiée soviétique vers l’économie de marché capitaliste, selon les recettes recommandées par le FMI et les économistes américains Jeffrey Sachs et David Lipton selon le «consensus washingtonien».3 Ce fut une véritable stratégie de choc. Une grande partie de la population russe se retrouva dans une extrême pauvreté, l’espérance de vie diminua rapidement, d’anciens komsomols malins prirent le contrôle d’anciens combinats d’Etat et aidèrent les entreprises occidentales pétrolières et gazières à accaparer des parts majoritaires des grands groupes énergétiques anciennement étatiques. En même temps, l’Etat russe affaibli ne fut pas capable de faire face à l’élargissement de l’OTAN vers l’Est bien que cela fût une violation claire des promesses données à Gorbatchev en 1990 par le secrétaire d’Etat américain, James Baker.4
A l’époque, la couverture médiatique et les commentaires sur la Fédération de Russie étaient légèrement condescendants mais rarement aussi blessants et visant le bas de la ceinture que c’est le cas aujourd’hui. Car ni la Russie d’Eltsine ne s’opposa à l’élargissement de l’OTAN vers l’Est, ni ce pays affaibli n’était en état d’empêcher la guerre contre la République fédérale de Yougoslavie en 1999. Il semblait que ce n’était plus qu’une question de temps jusqu’à ce que les néolibéraux installés par Jeffrey Sachs et Co. à la pointe de l’économie et de la politique réussiraient à intégrer la Russie dans l’orbite occidentale. Donc, il n’y avait pas de raisons de soutenir, face au public occidental, une attitude méprisante envers un futur membre du club.

La résurrection de «la théorie du Heartland»

Cela changea rapidement avec l’entrée en fonction du président Vladimir Poutine, largement inconnu jusqu’alors. Dans l’un de ses importants discours de politique étrangère, le 25 septembre 2001 au Bundestag allemand,5 il proposa à l’UE d’unifier ses moyens «avec les hommes, le territoire et les ressources naturelles russes ainsi qu’avec le potentiel économique, culturel et défensif de la Russie.» Avec la formule «d’un espace économique commun de Lisbonne à Vladivostok»,6 Poutine réitéra cette offre et contrecarra ainsi les visions stratégiques des Etats-Unis pour l’Europe, basées sur la théorie du Heartland7établie par Halford Mackinder, et qui étaient le thème d’une conférence organisée par le Secrétariat d’Etat américain à Bratislava en 2000.8 Ce qu’on présenta aux hommes politiques d’Europe orientale fin avril 2000, était le concentré des analyses d’un groupe de travail de l’«Americain Enterprise Institute» proche des Républicains. Ce groupe de travail, dénommé «Project for the New American Century», publia en septembre de la même année son analyse principale «Rebuilding America’s Defenses»9 élaborée par les principaux néoconservateurs depuis plusieurs années.

Le président Poutine s’oppose

La consolidation politique, économique et sociale de la Fédération de Russie entreprise par le président Poutine dès son premier mandat10 ainsi que la récupération du contrôle des entreprises stratégiques importantes en rapport avec sa conception d’une coopération dans le cadre d’une union économique eurasiatique avec l’UE mena à la première vague de propagande antirusse dans la politique et les médias occidentaux. La puissance dominante occidentale s’est, à cette fin, servie d’atlantistes déclarés de l’UE, tels des 115 politiciens et intellectuels «inquiets» ayant adressé une lettre ouverte totalement hypocrite, aux chefs d’Etats et de gouvernements occidentaux.11

Entretemps: propagande hystérique contre la Russie

Dans le dernier chapitre de son livre, Hofbauer fait de façon très concentrée le lien – à l’aide d’évènements concrets des dix dernières années (Géorgie, Ukraine) – entre les espérances constamment déçues des Etats-Unis et de ses «vassaux tributaires» européens (Brzezinski, «The Grand Chessboard») d’intégrer la Russie dans la sphère transatlantique et la campagne de dénigrement toujours croissante, se rapprochant de l’hystérie, contre la Russie et notamment ad personam contre Poutine.
Le même modèle se retrouve dans la couverture médiatique et les commentaires ainsi que les accusations des hommes politiques quand il s’agit de la Syrie, dont l’acuité croissante va de pair avec la baisse des espérances de l’Occident d’aboutir à un changement de régime en Syrie. Voici que le cercle se referme au début duquel se trouve le XVe siècle: lorsque les élites occidentales ne se voient pas en état de contrôler la Russie, elles mettent en marche la machinerie de diffamation.

Glissements tectoniques dans les rapports de forces globaux

La raison pour l’importance de ce livre est que l’Europe en entier – et pas seulement l’UE – doit trouver une voie dans le contexte des glissements tectoniques des rapports de forces globaux,12 afin de pouvoir contribuer par ses forces culturelles et économiques au développement d’un ordre mondial basé sur des fondements coopératifs et pacifiques. Le fait que la Fédération de Russie y jouera un rôle prépondérant est évident de par sa géographie et ses ressources. Ce qui est en jeu en Eurasie pour les générations futures s’ensuit du plaidoyer de l’ancien directeur politique du ministère des Affaires étrangères allemandes, qui fût par la suite ambassadeur de l’Allemagne à Pékin pendant six ans et qui, actuellement, est président directeur de la fondation Quandt: «La diplomatie par de nouveaux moyens. La ‹nouvelle route de la soie› chinoise devrait avoir une priorité stratégique pour l’UE.»13 Une ambiance empoisonnée par les médias serait contre-productive pour ce gigantesque projet. Je souhaite donc de nombreux lecteurs pour ce livre de Hannes Hofbauer.    •

*    Jochen Scholz est ancien lieutenant-colonel de la Bundeswehr et fut pendant quelques années au service de l’OTAN à Bruxelles. Plus tard, pendant la guerre contre la Yougoslavie, il servit au ministère allemand de la Défense. C’est là qu’il réalisa que les discours officiels des responsables politiques, décrivant de graves violations des droits de l’homme par la Serbie, ne correspondaient pas aux rapports des spécialistes sur place. C’est à cause de ces mensonges des hommes politiques qu’il quitta le SPD en 1999.

1    www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONS...
2    https://eeas.europa.eu/topics/eu-information-russian/9506...
3    https://de.wikipedia.org/wiki/Washington_Consensus
4    Zelikow, Phillip/ Rice, Condoleezza. Sternstunden der Diplomatie, Berlin 1997, p. 257
5    www.bundestag.de/parlament/geschichte/gastredner/putin/pu...
6    www.sueddeutsche.de/wirtschaft/2.220/putin-plaedoyer-fuer...
7    https://de.wikipedia.org/wiki/Heartland-Theorie
8    Lettre de Willy Wimmer adressée au Chancelier fédéral Schröder, sur: www.nachdenkseiten.de/?p=22855
9    www.informationclearinghouse.info/pdf/RebuildingAmericasD...
10    www.bpb.de/internationales/europa/russland/135734/grafike...
11    http://web.archive.org/web/20070811110517/http://www.newa...
12    Cf. «ReOrient. Globalwirtschaft im Asiatischen Zeitalter» par André Gunder Frank: http://mediashop.at/buecher/reorient
13    https://zeitschrift-ip.dgap.org/de/article/getFullPDF/27469 und http://deutsche-wirtschafts-nachrichten.de/2016/10/03/par...

vendredi, 13 janvier 2017

"The Holy Roman Empire" with Peter H. Wilson

holyromanempire4002732.jpg

"The Holy Roman Empire" with Peter H. Wilson

Rana Mitter reads a new history of the Holy Roman Empire written by Chichele Professor of History Peter H. Wilson.

Darío Fernández-Morera, author of 'The Myth of the Andalusian Paradise'

andalusianparadise.jpg

Darío Fernández-Morera, author of 'The Myth of the Andalusian Paradise'

Focus Today

Darío Fernández-Morera, author of the new book, The Myth of the Andalusian Paradise: Muslims, Christians, and Jews under Islamic Rule in Medieval Spain, explains why President Obama is wrong to say that Islam has a proud tradition of tolerance.


Originally aired on theDove TV & Radio 3-10-16
See more at http://thedove.us and http://facebook.com/thedoveonline

 

An Ancient Route Rolls On: Questions For Peter Frankopan, Author Of 'The Silk Roads'

silk-roads-xlarge-1-702x336.jpg

An Ancient Route Rolls On: Questions For Peter Frankopan, Author Of 'The Silk Roads'

The Silk Roads, A New History of the World, by Peter Frankopan, Hardcover, 645 pages, purchase
 
Ex: http://www.npr.org 

frankopan.jpgThe very mention of the Silk Roads creates an instant image: camel caravans trudging through the high plains and deserts of central Asia, carrying silks, spices and philosophies to Europe and the larger Mediterranean. And while these ancient routes may remain embedded in our imagination, they have, over the past few centuries, slowly faded inIMPORTANCE. The region today is home to despotic regimes, failing states and endless conflict. But historian Peter Frankopan thinks that the Silk Roads "are rising again."

In his new book, The Silk Roads, Frankopan has created something that forces us to sit up and reconsider the world and the way we've always thought about it. Western scholarship, he argues, has long ignored the routes linking Europe to the Pacific, the areas he calls "the axis on which the globe spun." So he has chosen to focus firmly on the Silk Roads, for what he calls "a new history of the world."

The book takes us by surprise right from the start: It begins not with the Greeks or the Romans, but with the Persian Empire — Frankopan writes that the Greeks and Romans, when they thought to expand, moved east toward the riches of Persia, rather than north or west into Europe. In an email conversation, Frankopan tells me that he wanted to explore exchange between the East and the West of everything from ideas and beliefs to food andFASHION. "Incidentally, it's not just luxury goods that I track — silks, textiles, spices, ceramics and slaves — but violence and disease, too," he says. "For example, the pathways followed by the Mongols and the Black Death were identical."

As you worked on this book, what struck you as the most important contributions the Silk Roads made to world history?

One thing that I was particularly interested in is the spread of faith along the Silk Roads. All the great global religions — Judaism, Christianity, Islam, Buddhism and Hinduism, as well as lots of otherIMPORTANT but less well-known belief systems — spread along the web of routes crisscrossing the spine of Asia.

I was also very struck by the scale of the white slave trade in the early Middle Ages — huge numbers of men, women and children were trafficked from Europe to the east in return for silver. I think readers will be surprised by that. But most of all is the fact that the Silk Roads keep on being involved all the time in more or less everything: they play the lead role in the expeditions of Columbus, who was trying to connect to the trade routes of the east; they were crucial to the origins of World War I — whose origins were firmly based in Asia, even though the trigger came from the assassination of Franz Ferdinand in Sarajevo.

There is a profound significance to the origins of the Holocaust, too, for example: Documents relating to German agricultural production and needs show that the decision to invade the Soviet Union was closely linked to taking control of the wheat fields of the rich lands lying north of the Black and Caspian Seas. The failure to "extract" the expected harvests from what is now Ukraine and Southern Russia led to discussions first about how to feed back in German controlled territories and then about who to feed. Those in prison camps found their calories reduced and then cut altogether; the jump to genocide was directly linked to the failure of the campaigns in the east.

We just don't look at this region at all — so have never thought to join up all these dots before.

You write, "We are seeing the signs of the world's center of gravity shifting — back to where it lay for millennia." But some argue that the world's center is shifting not toward the Silk Roads but farther East — toward China, Southeast Asia and India.

I can't speak for those who believe that the center of gravity is moving elsewhere. Many seem to think China and/or India exist in a bubble and can be looked at on their own. But I am much more interested in how China engages with Russia, with Iran, with the Middle East and with Central Asia — as well as with Southeast Asia. And that, by the way, is how China itself sees the world. China's signature foreign policy for the next 30 years is ... essentially the construction of a series of new Silk Roads.

China has dramatically rising energy needs as its middle classes grow in number and prosperity. So pipelines bringing oil and gas from mineral-rich countries like Kazakhstan, Turkmenistan and Iran have been or are being built to help fuel China's growth. And as a historian, it gives me no small pleasure to realize that those pipelines follow the same paths that traders bringing goods followed 2 1/2 thousand years ago.

Nishant Dahiya is NPR's Asia Editor

mercredi, 11 janvier 2017

La grande santé intellectuelle de Charles Robin

La grande santé intellectuelle de Charles Robin

par Pierre Le Vigan

Ex: http://metamag.fr

itineraire-gauchiste-repenti-charles-robin-editions-krisis.jpgDepuis quelques années, Charles Robin est connu pour travailler sur un sujet qui lui vaut quelques ennemis. Il s’agit de l’analyse philosophique du libéralisme. Il étudie le libéralisme en philosophe, ce qui n’est pas la même chose que d’étudier la philosophie libérale (qui a beaucoup évolué du reste).

Victor Hugo distinguait, sous la Restauration, un « libéralisme destructeur » et un « libéralisme conservateur ». Toute l’analyse de Charles Robin consiste à expliquer que le libéralisme ne peut être que destructeur s’agissant des liens sociaux non marchands. Le libéralisme ne peut pas être conservateur de ce qu’il y a de bon à conserver, comme les mœurs de dons et de contre dons des sociétés traditionnelles. Les conservateurs d’une certaine socialité décente et populaire ne peuvent donc pas être libéraux. Et cet écart critique au libéralisme ne peut être que global, à savoir qu’il s’agit de s’opposer au libéralisme économique mais aussi au libéralisme politique (en tant qu’il organise l’impuissance du politique) et sociétal (dont le fruit est le libéralisme libertaire).

Cette analyse de Charles Robin se situe dans la lignée de Jean-Claude Michéa et de Michel Clouscard – qui n’avait toutefois pas toute la rigueur du premier. Alain Soral a popularisé ces thèmes lui aussi sur Egalité et réconciliation. Plutôt que de discuter sur le fond des argumentations solides, étayées de références de Charles Robin, « on » a préféré l’isoler, le « discriminer » (sic) sur la base de ceux qui aiment à le lire, à le citer, à mettre en ligne ses conférences. Discrimination ? C’est le mot moderne pour éviter de parler d’injustice. Car il est injuste de mettre sur la touche Charles Robin parce qu’il ne pense pas dans les clous. Mais aussi parce que ses idées sont reprises par des sites numériques ou des maisons d’éditions dites « confusionnistes » (sic) voire « conspirationnistes ».

De fait, Charles Robin n’est « pas clair » au regard du système

Cela veut tout simplement dire qu’il n’est pas aligné et qu’il pense ce qu’il écrit en écrivant ce qu’il pense. Où irait-on si tout le monde faisait comme lui ? Il était temps d’y mettre le holà. Les gardiens du politiquement correct s’y sont attelés. Comme quoi le système existe bien et « fonctionne ». Il persiste dans son être. Il persévère dans son conatus, pour employer un langage familier de Charles Robin.

Qu’est-ce que on ne lui pardonne pas ? C’est que Charles Robin, puisqu’il pense vraiment que la gauche internationaliste est devenue la même chose que la droite mondialiste, le dit et refuse de se dire encore de gauche ou d’extrême gauche. Pour autant, il n’a pas rallié une quelconque droite extrême. Il fréquente les non-alignés, les journalistes indépendants. On peut présumer que dialoguer avec les gens d’Eléments ne veut pas dire être en accord avec toutes les lignes parues dans cette revue, mais c’est un fait que les revues ouvertes à la liberté d’expression se font rares. Elles sont d’autant plus précieuses.

Il faut donc lire et écouter Charles Robin là où on peut le faire et, pour l’instant, force est de constater que ce n’est pas sur le site de la fondation Jean Jaurès (fondation proche du P.S). Il faut travailler les textes de Jean Robin, les lire crayon en main. La matière de son dernier livre est riche. Les textes Etre cause de soi et Sagesse anarchiste sont particulièrement passionnants. Décidément, dans un monde formaté par le Capital, il faut être attentif aux marges de l’esprit.

Charles Robin, Itinéraire d’un gauchiste repenti, Krisis, 200 pages, 18 €

mardi, 10 janvier 2017

Salut à Boutang !

pierre-boutang-jeune.jpg

Salut à Boutang !

par Georges FELTIN-TRACOL

boutangsoulié.jpg« Le 20 septembre 2016, Boutang aurait eu cent ans (p. 14). » Jeune étudiant toulousain, Rémi Soulié le découvre en 1987 par l’intermédiaire de ses entretiens télévisés avec George Steiner. Séduit, il lui écrivit. S’en suivit ensuite une décennie de correspondances épistolaires, de visites fréquentes et d’appels téléphoniques nombreux jusqu’à la mort de Pierre Boutang, le 27 juin 1998.

Disciple zélé et talentueux de Charles Maurras, le royaliste orléaniste intransigeant Pierre Boutang fut à la fois philosophe, romancier, journaliste, critique littéraire et redoutable pamphlétaire. Révoqué de l’Université pour avoir rallié le général Giraud en 1942, Boutang fonda un journal, La Nation française, dans lequel s’exprimaient l’« historien du dimanche » Philippe Ariès et le critique de cinéma Philippe d’Hugues, soutint la cause de l’Algérie française avant d’approuver l’action néo-capétienne de Charles De Gaulle en qui il espéra un moment une éventuelle restauration monarchique en faveur du comte de Paris. Ayant appris à lire dans les colonnes de L’Action française, Boutang partage l’antisémitisme d’État de son maître à penser, puis se fait le vibrant défenseur du sionisme et de l’État d’Israël peut-être parce qu’il « voit dans Israël un modèle théocratique moderne, la théocratie étant le contenu latent de son rêve (p. 58) ».

Rémi Soulié ne développe pas le parcours intellectuel de son ami parfois sujet à de vives colères ainsi que d’« engueulade en hurlements majeurs (p. 100) ». « Quel caractère de cocon ! (p. 101) », poursuit-il plus loin, ajoutant que « Boutang, c’est Ivan le Terrible, Attila, Tamerlan et Gengis Khan en un seul homme (p. 109) ». Bref, « faute d’avoir trouvé un sage équilibre intérieur entre la paix et l’épée, Boutang ne (se) maîtrisait pas (p. 14) ». Ce tempérament difficile n’empêche pas que « Boutang s’enflamme comme un enfant. Il a des accès d’enthousiasme politique comme j’ai des quintes de toux. Comment fait-il pour rester aussi naïf après tant d’années de combats et de revers, alors qu’il est plus que prévenu contre la démocratie dite libérale et représentative ? (p. 99) ». Cette remarque surprend. En effet, « Maistre et Boutang partagent une même idée de la politique. […] Pour eux comme pour Donoso Cortés, Blanc de Saint-Bonnet et toute l’école de la pensée catholique traditionnelle, les principes de la politique ne se peuvent penser qu’à partir de l’Incarnation, du Dieu un et trine, bref, de la théologie (p. 17) ». Rémi Soulié assène même qu’« au fond, Boutang reste trop biblique (p. 99) ». « Coléreux et généreux, tendre et tyrannique, cet ogre fut un homme de passion [… qui] a construit une œuvre philosophique et polémique parfois hermétique mais qui porte à incandescence les facultés de l’esprit (p. 14). »

Un temps proche des royalistes de gauche de la NAF (Nouvelle Action française) qui deviendra plus tard la NAR (Nouvelle Action royaliste) animée par Bertrand Renouvin et Gérard Leclerc, Pierre Boutang connaît à la perfection les mécanismes démocratiques. « Il travaillait sur la notion platonicienne de “ théâtrocratie ”. Il y voyait le concept idoine à l’intelligence des temps spectaculaires (p. 138). » Parfois suspicieux envers certains titres de Jünger – tels La Paix -, il reconnaît néanmoins volontiers que « l’anarque est celui qui échappe à toute arché. Sont bonnes toutes les archies (monarchies, anarchie…), et détestables toutes les craties (démocratie, ploutocratie…) (p. 101) ».

Il n’est pas anodin si l’ouvrage s’ouvre sur une étude fouillée consacrée à « Pierre Boutang et Joseph de Maistre » au croisement de l’histoire des idées politiques, de la philosophie et de la métapolitique, terme déjà employé par l’auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg. Cela peut surprendre chez quelqu’un qui se référait habituellement au philosophe italien Vico. Rémi Soulié insiste aussi sur « l’axe biographique, politique, métaphysique et théologique fondamental pour Boutang : la paternité et la filiation (p. 45) ». Sa pensée s’articule donc autour de ces deux notions qui fondent la nationdans son acception étymologique.

Pour saluer Pierre Boutang est un essai lumineux sur une vie, une personnalité et une œuvre complexe qui devraient probablement faire l’objet d’une étude exhaustive. Les écrits de Boutang peuvent encore avoir aujourd’hui une résonance particulière. Le supposé « populisme chrétien » décrit par Patrick Buisson dans La cause du peuple y puiserait des idées susceptibles de le rendre effectif, cohérent et combatif. George Steiner le considérait d’ailleurs comme « la voix philosophique de l’aile autoritaire de la droite contemporaine en France (p. 16) ». Les jeunes catholiques non-conformistes du début du XXIe siècle auraient par conséquent tout intérêt à redécouvrir ce philosophe engagé après avoir médité le beau livre de Rémi Soulié.

Georges Feltin-Tracol

• Rémi Soulié, Pour saluer Pierre Boutang, Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2016, 141 p., 21 €.

lundi, 09 janvier 2017

Renaud Nattiez aux Amis de Hergé 2016

 

tintinCOUVsite-1.jpg

Renaud Nattiez aux Amis de Hergé 2016

Renaud Nattiez est né entre Paris et la Belgique, pendant la gestation d'On a marché sur la Lune. Ancien élève de l'ENA et Docteur en économie, il est aujourd'hui inspecteur général de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche. Dans ce document, il nous parle de son livre, sorti aux édition "Les Impressions Nouvelles", de son livre intitulé "Le Mystère Tintin - Les raisons d'un succès universel".

dimanche, 08 janvier 2017

Culturellement incorrect, de Bertrand Allamel

 
par Francis Richard
Ex: http://www.francisrichard.net 

culturellement-incorrect-allamel.jpgAttention, danger! Ce livre est incorrect. Il ne respecte pas la pensée française dominante en matière de culture. Il ose en effet s'attaquer aux politiques culturelles, à l'interventionnisme de l'État. Ce qui ne signifie pas qu'il considère que la culture soit de peu d'importance dans la vie des hommes. Bien au contraire.

L'auteur pourrait ironiser comme le fait Frédéric Bastiat, qui, dans Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas, écrivait: Pensons-nous que l'État ne doit pas subventionner les artistes? Nous sommes des barbares qui jugeons les arts inutiles...

Ce qu'on voit.

Bertrand Allamel, dans Culturellement incorrect, démontre d'abord le bien-fondé des politiques culturelles, qui, pour être légitimes, doivent être conformes à la morale, à la raison et à la justice:

Démontrer consiste à établir une vérité ou une évidence par un raisonnement.

Quel est le raisonnement? Il part de deux principes:

- préserver la culture des lois du marché.

- réduire les inégalités d'accès à la culture.

Avant tout, Bertrand Allamel définit de quoi il est question. Le mot culture a deux sens, liés l'un à l'autre:

- un sens esthétique puisqu'elle recouvre les différentes oeuvres de l'esprit

- un sens anthropologique puisqu'elle est propre à une population.

Ce que disait Condorcet de l'instruction publique s'applique à la culture: c'est un instrument privilégié de libération de l'esprit humain. Ce que disait Schiller de l'éducation esthétique ne s'y applique pas moins: c'est un instrument de conciliation du sensible et du raisonnable.

La conviction fondatrice de l'intervention publique se base sur ces effets bénéfiques que, selon Les Lumières, la culture a sur l'humanité. Les individus cultivés sont, de fait, ouverts d'esprit grâce à:

- la diversité des représentations du monde auxquelles ils sont confrontés

- la diversité des langages qu'ils acquièrent et qui leur permettent de comprendre les autres.

Comme la culture est un bien exceptionnel, collectif et pacifiant, c'est bien à la collectivité d'en assurer la plus large et la plus équitable diffusion pour que la variété et la diversité de l'offre ne soient pas réduites:

Les productions culturelles pointues sont moins rentables et ont tendance à être exclues du marché.

Il y a également le problème de l'entrée gratuite, soulevé par Ronald Dworkin: Les consommateurs de disques et de films financent la production du bien culturel dont bénéficient ceux qui choisissent de se procurer et de jouir du bien sans le payer.

Si ce comportement prend de l'amplitude et que de tels biens culturels ne puissent plus être financés, ne devient-il pas utile de recourir à l'impôt et pertinent de les subventionner pour maintenir un certain niveau de culture?

Il est évident qu'il existe des inégalités d'accès à la culture. Ce ne sont pas tant d'ailleurs des inégalités économiques que sociologiques: Il faut avoir un minimum de culture pour être intéressé par la culture, et s'intéresser à la culture donne envie de s'y intéresser encore plus.

Ce qui peut légitimer une action de la collectivité en faveur de ceux qui ne s'y intéressent pas: Si je n'ai pas un accès à la culture égal à mon voisin, ai-je la même liberté de penser que lui? [...] La personne cultivée a le choix de profiter ou non des biens culturels, celle qui ne l'est pas, non.

Enfin, il y a un devoir de transmission aux générations futures et donc une nécessité d'entretien de la culture, dans son sens anthropologique. L'État semble le plus apte à assurer cet entretien et à remplir ce devoir moral.

Ce qu'on ne voit pas

La légitimité de l'interventionnisme de l'État, dans le domaine culturel, comme dans d'autres, ne résiste pourtant pas à l'épreuve de la réalité. Et Bertrand Allamel le prouve:

Prouver revient [...] à établir une vérité mais en s'appuyant sur des faits ou des pièces à conviction.

Bertrand Allamel fait une remarque liminaire: tout le monde n'est pas d'accord avec l'idéalisme des Lumières. D'aucuns pensent, comme Rousseau, que la culture est néfaste à l'homme et à la société. D'autres que la culture de masse, non sacrée, va de pair avec le déclin de la spiritualité.

Il donne également des contre-exemples de créations culturelles, diversifiées et de qualité selon lui, faites par des opérateurs privés, dans le secteur télévisuel (que je connais mal) depuis les années 2000: des séries américaines et une émission française de divertissement.

Puis, et c'est là, où la légitimité des politiques culturelles est grandement mise à mal, il publie des statistiques de fréquentation des équipements culturels qui prouvent leur inefficacité. Ce sont des statistiques de fréquentation globales, par type d'équipement, par pratiques culturelles, par catégories sociales et par revenus.

Il ressort de ces statistiques, établies sur des années, que la fréquentation des équipements culturels est faible et que ceux qui profitent de ces équipements sont essentiellement ceux qui ont les moyens économiques de se passer de facilitation d'accès à la culture: Cela revient à dire, de façon caricaturale, qu'en matière culturelle, "le pauvre paie pour le riche".

Ce qui met encore plus à mal la légitimité de l'intervention publique, c'est un recensement effectué aux États-Unis, qui fait apparaître des pratiques culturelles proportionnellement identiques à celles des Européens, à la différence près que les financements là-bas sont privés:

Ce constat est plutôt embarrassant en regard des sommes investies par la collectivité et de l'état de dégradation avancée des finances publiques de notre pays.

Plus fondamentalement, dans un dernier chapitre, l'auteur soulève trois problèmes que pose l'intervention publique en matière culturelle: Un premier problème connu concerne les dérives bureaucratiques de l'action culturelle publique. Deux autres aspects sont moins fréquemment évoqués mais méritent attention. Il s'agit de l'atteinte aux préférences et la liberté de choix des individus, et du paternalisme.

Pour expliciter ces deux derniers aspects, force est pour l'auteur de faire de la sémantique et de montrer de manière synthétique, sur un tableau éloquent, ce qui sépare l'idéologie socialiste dominante en France de la pensée libérale qui y est inexistante, du moins sur le plan politique.

Cette distinction est nécessaire parce que la plupart des gens ignorent en France que le libéralisme est d'abord une philosophie du droit et une conception politique, avant d'être une doctrine économique. Alors que le socialisme est une idéologie politique qui repose sur le diagnostic d'une inégalité dans la répartition des richesses entre les hommes.

Quoi qu'il en soit l'intervention publique en matière publique ressort de l'idéologie socialiste, où la culture est une affaire publique car liée au destin collectif: il faut élever le niveau de culture des masses, et rendre la culture accessible au plus grand nombre. Pour un libéral, la culture est une affaire privée, individuelle, qui ne saurait faire l'objet d'une politique publique:

Les individus sont contraints de financer un bien collectif qu'ils ne désirent pas forcément, et la liberté de celui qui ne veut pas payer pour un spectacle, un musée, une exposition est atteinte.

Ce qui est vrai pour la culture l'est pour bien d'autres domaines, ce qui se traduit par une augmentation indéfinie du périmètre de l'État, devenu un État-providence démesuré. Où une élite décide pour le reste de la population, en exerçant une forme de paternalisme:

Dire que la culture est bénéfique ou indispensable et qu'il appartient à la collectivité d'en assurer les conditions de production comme de diffusion revient à se considérer comme un éclairé sachant ce qui est bon pour le peuple (et le sachant mieux que lui).

Au début de son livre, l'auteur écrit que tout le monde trouve aujourd'hui normal que la collectivité intervienne dans le champ culturel. A son terme, il écrit qu'il n'y a pas de mesure particulière à prendre, sinon un désengagement de la collectivité, accompagné tout au plus d'une meilleure politique d'incitation fiscale. On en est encore bien loin...

Francis Richard

Culturellement incorrect, Bertrand Allamel, 272 pages Les Éditions Libréchange

Mathieu Bock-Côté: Le multiculturalisme est une religion politique

mathieu-bockcote-jpg_3558116_660x281.jpg

Le multiculturalisme est une religion politique

Ex: http://www.lesobservateurs.ch 

Passionnant entretien accordé par le sociologue québécois Mathieu Bock-Côté, à Politique Magazine, à l'occasion de la parution de son dernier ouvrage.

En quoi le multiculturalisme est-il une religion politique ?

Le multiculturalisme est apparu au mitan du xxee siècle comme une révélation. Il ne prétend pas améliorer la société, mais la démanteler pour la reconstruire radicalement selon une nouvelle anthropologie. Ce en quoi il est aussi une eschatologie : il y a le monde d’avant, coupable de péchés indélébiles contre la diversité, et le monde d’après, qui tend vers le paradis diversitaire et transnational, étape ultime de l’aventure humaine et seul visage possible de la modernité.

Selon les tables de la loi multiculturelle, les vieilles institutions sociales doivent s’effacer au profit des revendications exprimées par tous les « exclus » de la terre qui se trouvent parés, en tant que tels, de l’aura christique des réprouvés.

De là découle une conception particulière de l’affrontement politique. Car les grands prêtres du multiculturalisme ne conçoivent pas la démocratie comme la confrontation de conceptions concurrentes du bien commun mais comme un espace d’éradication du mal. Qui ne communie pas au culte de la diversité est le diable en personne – et le diable est intolérant, raciste, islamophobe, homophobe… C’est ainsi que le débat public en Occident a été confisqué par un petit clergé progressiste qui menace du bûcher toute pensée dissidente.

Vous expliquez que le multiculturalisme est né sur les décombres du soviétisme, comme une métamorphose de l’imaginaire marxiste…

Il est certain qu’à partir des années 1950, la plupart des intellectuels marxistes prennent conscience que l’URSS, leur nouvelle Jérusalem, ressemble davantage à un enfer concentrationnaire qu’à un paradis de travailleurs. C’est le début de ce que j’appelle le « socialisme migrateur » ou « socialisme tropical » : beaucoup vont chercher de nouvelles terres promises en Chine, à Cuba, en Afrique… Mais c’est à partir des années 1960 que le progressisme va profondément muter en se détachant du communisme.

Mai 68 et les Radical Sixties marquent le triomphe du gauchisme et de la contre-culture qui débordent le communisme par la gauche et transforment le rapport au mythe révolutionnaire. C’est l’époque où Herbert Marcuse parle avec dédain des « classes populaires conservatrices ». La gauche radicale constate que le prolétariat aspire davantage à la middle class qu’à la révolution. Désormais, elle fera la révolution sans le peuple et même, au besoin, contre lui. Et c’est aux minorités que le rôle de catégorie sociale révolutionnaire de substitution est dévolu.

Mais le muticulturalisme ne menace-t-il pas d’implosion violente les sociétés où il s’exerce ?

Pourquoi vivre en commun si on ne partage pas la même culture ? En laissant cette question sans réponse, le multiculturalisme, loin de tenir sa promesse du « vivre-ensemble », ne produit, au mieux, qu’une pluralité d’appartenances au sein de sociétés fragmentées et communautarisées. Mais ne réduisons pas sa critique aux aspects liés à la paix civile même s’ils ne sont pas négligeables.

L’idéologie multiculturelle obéit d’abord à une logique de déracinement qui passe par le démantèlement des institutions et des systèmes normatifs traditionnels. Elle est fondée sur une inversion du devoir d’intégration : l’immigré n’a plus vocation à se fondre dans le creuset de la culture d’accueil mais c’est la culture d’accueil qui doit s’accommoder de la culture d’importation. La culture d’accueil perd ainsi son statut référentiel et devient, en quelque sorte, optionnelle, sauf pour expier ses crimes contre la diversité, ce qui revient évidemment à œuvrer à sa propre destruction. C’est exactement ce qui est arrivé au Canada.

Le Canada, présenté par les thuriféraires du multiculturalisme comme un modèle de gestion ethnoculturelle… Qu’en est-il de la réalité ?

Je ne sais pas si on peut parler de modèle, mais le multiculturalisme est là-bas une sorte de doctrine d’état. Avec son enthousiasme coutumier, notre flamboyant Premier ministre, Justin Trudeau, vient d’expliquer dans le New York Times que c’était la diversité qui caractérisait le Canada. Et de fait, au pays des accommodements raisonnables, une immigrée peut prêter son serment de citoyenneté en niqab avec la bénédiction des tribunaux ou le Premier ministre d’une province comme l’Alberta peut se montrer dans une vidéo revêtue d’un voile islamique pour fêter la fin du ramadan…

Ce zèle diversitaire, ce multiculturalisme triomphant récoltent l’admiration béate des élites culturelles et médiatiques qui se congratulent entre elles de ces marques définitives de tolérance et d’ouverture d’esprit. Au Canada, le multiculturalisme est, si j’ose dire, entré dans les mœurs.

En revanche, on sait moins qu’il y a été utilisé et programmé comme une arme de guerre contre le nationalisme québécois. C’est Pierre Trudeau, le père de l’autre, qui l’a fait inscrire dans la loi constitutionnelle de 1982, imposée de force au Québec afin de désamorcer ses revendications historiques à se constituer en nation. Trudeau voyait en effet d’un très mauvais œil le souverainisme québécois qu’il accusait d’ethnocentrisme, alors même que le socle de l’identité canadienne reposait traditionnellement sur la figure des deux peuples fondateurs, les anglophones et les francophones.

Le résultat ne s’est pas fait attendre. Ainsi constitutionnalisé, le multiculturalisme a non seulement amputé le Canada de son identité française, mais il a aussi privé le Québec de son statut de nation fondatrice. Triste destin pour le peuple québécois, extrait de sa propre histoire, dépossédé d’une part de lui-même et rabaissé à l’état de communauté ethnique parmi d’autres au sein de la diversité canadienne…

mbc7970b01b7c84d61a8970b.png

En France, la victoire de François Fillon à la primaire de la droite est parfois analysée comme une réaction à l’idéologie des élites, largement comparable à ce que vous décrivez pour le Canada. Est-ce aussi votre sentiment ?

Oui, d’une certaine façon, même si, en France, les références aux valeurs républicaines entretiennent l’illusion d’une communauté politique unifiée. Je dis bien l’illusion : on sait que la réalité est tout autre et qu’énormément de Français ont le sentiment que leur pays se décompose. C’est pourquoi je crois que les gens ont moins voté pour le programme de François Fillon que pour l’image d’une France traditionnelle et enracinée qu’il personnifie. De ce point de vue, il est l’exact contraire de Justin Trudeau qui incarne un cosmopolitisme diversitaire sans racines et la dissolution du politique dans la communication. Fillon est la sobriété faite homme. Pas de transgression outrancière chez lui. Ce qui le distingue aussi d’un populiste du genre Donald Trump.

Fillon l’a plus emporté pour la part de conservatisme qu’on lui attribue que pour sa promesse de rétablir les finances publiques ?

Sans aucun doute, même si le verbe « rétablir » que vous venez d’employer est celui qui lui convient. François Fillon doit avoir conscience des enjeux qu’il a fait naître. Il porte pour l’élection de 2017 tous les espoirs d’un certain conservatisme à la française. Je veux parler d’un mélange d’enracinement, de sens commun, de dignité qu’il lui faudra, sous peine d’immense déception, incarner personnellement mais aussi politiquement s’il est élu à la tête de l’État.

Ce conservatisme réclame une part de volontarisme car, dans le monde qui est le nôtre, il ne s’agit plus seulement de conserver, il faut également restaurer ce qui a été mutilé par quarante ans de progressisme maniaque. En France, cela commence par l’État, l’autorité de l’État. La psychologie politique de votre pays est profondément imprégnée de l’idée que c’est l’état souverain qui incarne le destin de la nation et il serait tout à fait illusoire de vouloir lui substituer la société civile comme le prône le philosophe anglais Roger Scruton. Le conservatisme français est une synthèse originale d’identité et de liberté, même sur les questions de mœurs.

Cela le distingue du conservatisme social américain qui peut avoir une dimension agressive, très éloignée du conservatisme tranquille qui s’est exprimé lors de la Manif pour tous. Si les Français sont à la recherche de leur conservatisme, qu’ils ne le regardent surtout pas avec une loupe américaine ou britannique !

Le problème de ce conservatisme n’est-il pas de ne jamais s’assumer en tant que tel ?

C’est tout le problème des dirigeants de ce qu’on appelle la droite. Alain Juppé était tellement heureux d’être célébré par la presse de gauche qu’il en a oublié que la France ne se réduisait pas à ce que pensent Les Inrockset Télérama. Le rêve d’une certaine droite, et c’est le danger qui guette Fillon désormais, c’est que la gauche lui dise qu’elle n’est pas vraiment de droite. Elle se croit donc obligée de prouver qu’elle est la plus moderne et, pour faire moderne, elle ne parle que d’Europe et de mondialisation, jamais ou presque jamais des questions sociétales et identitaires. Le débat public se résume ainsi depuis quarante ans à une querelle entre progressistes. C’est ce que j’appelle dans mon livre le « malaise conservateur » : bien que prégnant en France, le conservatisme n’a jamais trouvé sa traduction politique, sinon dans quelques discours électoraux vite oubliés une fois au pouvoir.

Pourtant, on entend beaucoup dire que les « réacs » auraient gagné la suprématie culturelle…

Et qui l’affirme ? Certes, quelques voix discordantes se font entendre un tout petit peu plus qu’avant, ce qui provoque un double phénomène : d’une part, la gauche hégémonique se croit assiégée parce que sa domination est très légèrement contestée ; de l’autre, la droite silencieuse se croit conquérante parce qu’elle est un tout petit peu plus entendue. Mais le fait est que la quasi-intégralité des pouvoirs institutionnels et culturels reste progressiste.

Un dernier mot sur le regard qu’on porte sur la France depuis le Québec ?

Il y a un vieux sentiment d’affection filiale qui vire à l’hostilité chez les élites car la France est perçue comme un rouleau compresseur laïciste qui étouffe sa diversité. Mais pour les souverainistes, qui représentent grosso modo 40% de la population, la France demeure la première alliée et un enjeu interne : même si la langue française est fragilisée à cause de l’État fédéral où elle n’existe quasiment plus, le Québec ne parle pas norvégien ou danois.

Il parle français, une des plus grandes langues du monde, et cela a contribué à sa survie. Si l’aventure coloniale a pu avoir des aspects positifs, c’est bien ici, en Amérique du Nord, où la France a accouché d’un peuple neuf !

Extrait de: Source et auteur

Entretien de Charlotte d’Ornellas avec Patrick Buisson

buissonarticle-jpg_3900998_660x281.jpg

Entretien de Charlotte d’Ornellas avec Patrick Buisson

À l'occasion de la sortie de son livre La Cause du peuple, Patrick Buisson évoque Nicolas Sarkozy, Donald Trump, le hiatus entre les promesses de campagne et l'action politique, le combat entre "les enracinés du local" et "les agités du global", l'absence de culture de la classe politique, l'identité, l'amitié française, le lien social, les enjeux métapolitiques, la révolution conservatrice, le fait religieux, le sursaut identitaire, la possible guerre civile... mais aussi son espérance : nous sommes à la fin d'un cycle et au début d'un autre.

vendredi, 06 janvier 2017

Guilluy et le crépuscule de la bobocratie

guilly-588x330.jpg

Guilluy et le crépuscule de la bobocratie

 

Le géographe Christophe Guilluy vient de publier Le crépuscule de la France d’en haut (Flammarion), un ouvrage passionnant dans lequel il met en évidence la partition géographique, culturelle et sociale des deux France qui se font désormais face : d’une part, la France des bourgeois-bohêmes (très minoritaires) qui profitent de la mondialisation libérale et qui règnent sans partage sur la quinzaine de métropoles françaises et d’autre part, la France périphérique des perdants (très majoritaires) de cette même mondialisation. L’oligarchie a choisi de concentrer les richesses dans ces quinze métropoles dans lesquelles elle vit à l’écart des ‘’red-necks’’ de la périphérie qui sont supposés être fascistes.

La minorité de privilégiés qui bénéficie des effets de la mondialisation libérale pratique un apartheid qui ne dit pas son nom et utilise les lois du marché qui, du fait de l’augmentation du prix des biens immobiliers dans ces quinze métropoles, permettent de créer une barrière de verre infranchissable sans avoir à utiliser les méthodes habituelles (murs, grillages, forces de l’ordre…).

Une partie de la population de ces métropoles est d’origine immigrée et accepte de vivre dans des zones résiduelles de moindre qualité et désertées par les autochtones qui ne veulent plus vivre au contact de populations aux mœurs par trop différentes des leurs. Cette population immigrée sert d’alibi aux privilégiés qui se veulent ouverts aux autres et leur permet, en fait, de disposer d’une main d’œuvre bon marché dans le domaine des services domestiques et commerciaux (restaurants…).

Les bobos sont les bourgeois du XXIème siècle qui se donnent bonne conscience en participant au combat fantasmatique contre le fascisme et le racisme.  Fantasmatique parce que le danger fasciste n’existe pas (Jospin lui-même l’a reconnu) et parce que les Français ne sont pas racistes (seule une très petite minorité l’est) ; ils veulent seulement préserver leur culture, leur mode de vie, leur sociabilité, leurs institutions… qui sont menacés par l’immigration que nous subissons depuis quarante ans.

L’idéologie de la bobocratie est véhiculée par la quasi-totalité des médias mais, malgré cela, les Français ne tiennent plus compte des sermons, des mises en garde, des menaces, des injures, des mensonges qu’ils profèrent à longueur d’année. 90% d’entre eux ne leur font pas confiance (lors d’un sondage fait récemment par une radio très connue, 91% des auditeurs ont répondu que les journalistes sont des menteurs !) et Marine Le Pen a été la personnalité politique préférée par les Français en 2016, devant tous les candidats du système ! La bobocratie est en perdition, en France, comme en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, en Europe centrale et à peu près partout dans le monde occidental.

L’idéologie de la métropole

 L’idéologie de la métropole est celle d’une nouvelle bourgeoisie, libérale-libertaire, dont le modèle est celui de la Silicon Valley californienne. Comme l’a écrit Jean-Claude Michéa, cité par l’auteur, : ‘’Ce modèle repose en effet sur cette idéologie libérale-libertaire qui « constitue depuis des décennies la synthèse la plus accomplie de la cupidité des hommes d’affaires libéraux et de la contre-culture californienne de l’extrême-gauche des sixties »’’. Cette nouvelle bourgeoisie, cool et décontractée, n’en partage pas moins avec la bourgeoisie du passé, un mépris à peine voilé pour les classes populaires : ‘’D’un côté des métropoles embourgeoisées qui travaillent, de l’autre une France périphérique peuplée d’assistés. Une représentation condescendante des classes populaires qui est, à peu de choses près, celle de la bourgeoisie traditionnelle depuis au-moins les Rougon-Macquart !’’.‘’Bénéficiaires d’un modèle économique et territorial qui assure aussi leur hégémonie politique et culturelle, les classes supérieures métropolitaines sont les gardiennes du temple libéral’’.

Dans ces métropoles désertées par les gros bataillons des autochtones les plus modestes au cours des vingt-cinq dernières années, il y a une population d’origine immigrée qui permet aux privilégiés de disposer d’une main d’œuvre peu exigeante, disponible pour des activités de services domestiques et commerciaux et qui leur donne le sentiment de vivre dans un univers mondialisé et ouvert , ce qui n’est qu’un trompe-l’œil : ‘’Cette présence populaire et immigrée permet aux tenants de la métropolisation de mettre en avant l’image d’une ville ouverte et mixte. La réalité est que la présence de ces catégories ne freine qu’à la marge le processus d’éviction des catégories modestes des métropoles. Par ailleurs, l’accentuation des inégalités spatiales montre que le modèle métropolitain ne favorise pas l’ouverture et la mixité, mais la ségrégation’’.

bobo_15_11_14_180_.png

Les bourgeois-bohêmes ou la nouvelle bourgeoisie

Selon Christophe Guilluy, les bobos ont horreur de cette appellation parce qu’elle contient  le mot « bourgeois ». Ils ne peuvent pas imaginer qu’ils sont les nouveaux privilégiés, ceux qui profitent d’un système économique très dur pour l’immense majorité des Français (ou des Italiens, ou des Anglais…..la situation est la même partout). Pour se donner bonne conscience, le bobo affiche sa solidarité avec les homosexuels, les immigrés et les victimes des guerres. Çà ne lui coûte pas cher ; un tweet de temps en temps et la participation à une manifestation lui donnent l’impression d’être un rebelle. Le bobo vit claquemuré dans sa métropole dont il pense qu’elle est un monde ouvert, à la différence de la France périphérique qui serait, selon lui, intrinsèquement « pétainiste ». En fait, tout cela est faux. Le bobo est le bourgeois du vingt et unième siècle ; un bourgeois hypocrite qui essaie de dissimuler son aisance derrière un look débraillé et un langage branché, « cool ». ‘’Derrière le mythe de la société ouverte et égalitaire des métropoles cosmopolites, nous assistons donc au retour des citadelles médiévales, de la ville fermée, et à la consolidation d’un modèle inégalitaire de type anglo-saxon… Détachée de toute appartenance collective autre que celle de son milieu, la nouvelle bourgeoisie surfe sur la loi du marché pour renforcer sa position de classe, capter les bienfaits de la mondialisation et se constituer un patrimoine immobilier qui rivalisera demain avec celui de l’ancienne bourgeoisie’’.

 L’idéologie des bobos est un libéralisme poussé dans ses plus extrêmes conséquences en matière d’individualisme ; ce qui se traduit par un mondialisme radical, une désaffiliation à l’égard de toute communauté autre que socio-économique, une approbation totale du libéralisme économique et un libertarisme radical en matières de mœurs.

manifantifa.jpg

L’antifascisme : une rhétorique qui vise à dissimuler une guerre de classes

Les bobos se donnent bonne conscience en ‘’militant’’ contre le racisme et contre le fascisme, deux maux illusoires dont ‘’Lionel Jospin reconnaîtra plus tard que cette « lutte antifasciste en France n’a été que du théâtre » et même que le « Front National n’a jamais été un parti fasciste »’’. Quant au racisme qui est peu fréquent au sein de la population autochtone, il est surtout le fait des immigrés musulmans dont l’antisémitisme est fréquent et parfois même criminel. ‘’Véritable arme de classe, l’antifascisme présente en effet un intérêt majeur. Il confère une supériorité morale à des élites délégitimées en réduisant toute critique des effets de la mondialisation à une dérive fasciste ou raciste. Mais, pour être durable, cette stratégie nécessite la promotion de l’ « ennemi fasciste » et donc la sur-médiatisation du Front National’’. ‘’La France du repli d’un côté, des ploucs et des ruraux, la France de l’ouverture et de la tolérance de l’autre. Mais qu’on ne s’y trompe pas, cet « antiracisme de salon » ne vise absolument pas à protéger l’ « immigré », le « musulman », les « minorités » face au fascisme qui vient, il s’agit d’abord de défendre des intérêts de classe, ceux de la bourgeoisie’’. Intérêts de classe qui sont dénoncés par la France périphérique qui, elle, ne profite pas de la mondialisation voulue par la nouvelle bourgeoisie et qu’il faut réduire au silence en la méprisant et en l’injuriant.‘’Car le problème est que ce n’est pas le Front National qui influence les classes populaires, mais l’inverse. Le FN n’est qu’un symptôme d’un refus radical des classes populaires du modèle mondialisé. L’antifascisme de salon ne vise pas le FN, mais l’ensemble des classes populaires qu’il convient de fasciser afin de délégitimer leur diagnostic, un « diagnostic d’en bas » qu’on appelle « populisme »’’.

bobobo.jpg

Le séparatisme des bobos

Les bobos ont abandonné toute idée de nation et l’Union européenne n’est, pour eux, qu’une étape vers un monde unifié dont les pôles seraient les métropoles dans lesquelles seraient rassemblées les élites culturelles, financières et techniques. Dans ce monde des métropoles interconnectées, les zones comprises entre elles seraient des zones réservées aux « losers » et seraient ignorées de la caste métropolitaine : ‘’Dans une tribune commune, Anne Hidalgo et Sadiq Khan font l’apologie du dynamisme des villes globales et ouvertes qu’ils opposent à la léthargie des Etats-nations, considérés comme le cadre du repli sur soi. Structurellement minoritaires, les partisans de l’ordre mondialisé prônent donc maintenant l’indépendance de leurs citadelles et l’abandon des périphéries populaires ! Les grands contempteurs de la France ou de l’Angleterre du repli préconisent ainsi le repli territorial de la bourgeoisie. Cependant, en attendant la création de ces cités-Etats, les classes dominantes et supérieures devront se confronter à un problème existentiel : comment assurer l’avenir d’un modèle mondialisé rejeté par une majorité de l’opinion ?’’.

Le mythe d’un monde nomade

attalinomade.jpgL’idée que les bobos se font du monde est celle d’un monde de nomades (l’ineffable Jacques Attali a dit que sa seule patrie était son ordinateur !). Or les études démographiques et sociologiques montrent qu’il en va très différemment.  ‘’ Contrairement à ce que laisse entendre le discours dominant, la majorité des gens sont sédentaires : ils vivent dans les pays, régions ou départements où ils sont nés… en France comme dans le monde, les classes populaires vivent et préfèrent vivre, là où elles sont nées. Si les gens apprécient le « voyage », le tourisme, ils ne choisissent pas le déracinement’’. L’idée d’un monde fluide, atomistique, est celle que tentent de nous imposer les classes dominantes libérales pour lesquelles il n’est de réalité qu’individuelle. ‘’Cette représentation permet d’imposer efficacement l’idée d’une société hors sol, d’individus libérés de toutes attaches, circulant comme les marchandises au gré de l’offre et de la demande, contrairement aux classes populaires réticentes au changement et tentées par le « repli »’’. Les nomades ne sont qu’une toute petite minorité au plan mondial et les sociétés enracinées restent la norme.

Les préoccupations ethnoculturelles de la France d’en bas

 La classe dominante rabat la contestation du système qu’elle impose sur les seuls succès électoraux du Front National mais cette contestation est le fait d’une part beaucoup plus importante du peuple français. Ce sont environ 70% de nos compatriotes qui considèrent qu’il y a trop d’immigrés et 60% qui ne se sentent plus vraiment chez eux. Le Front National a donc une marge de progression énorme s’il n’abandonne pas ce qui a fait son succès : la lutte prioritaire contre l’immigration et pour la préservation de la culture nationale. Christophe Guilluy souligne le fait que ce sont les plus âgés des Français qui continuent de soutenir le système tandis que ce sont les plus jeunes, surtout ceux des milieux populaires, qui, au contraire, le contestent massivement. Un sondage CEVIPOF de mai 2016, ‘’révèle ainsi que 37% des jeunes issus du milieu ouvrier et 60% des primo-votants chômeurs accorderaient leurs suffrages à Marine Le Pen, contre 17% des jeunes issus des catégories cadres et professions intellectuelles supérieures. L’étude souligne que « Marine Le Pen est particulièrement visible au sein des primo-votants issus de l’immigration européenne (Espagne, Italie et Portugal) et crée en cela une fracture politique et électorale au sein même de la population issue de l’immigration »’’. La tendance est donc au renforcement des contingents d’électeurs dits ‘’populistes’’, ce qui est confirmé par Jérôme Fourquet de l’IFOP  qui a dit ‘’que désormais les ressorts électoraux des électeurs populaires sont essentiellement « ethno-culturels »’’ (cité par Christophe Guilluy). ‘’Débarrassées des affiliations politiques traditionnelles, les classes populaires réinvestissent leur capital social et culturel. Ce processus n’est pas le signe d’un repli, mais la réponse à un modèle libéral mondialisé qui détruit les solidarités’’. Les classes populaires de la ‘’périphérie’’ (60% des Français selon Guilluy et non pas les quelques 15 à 20% de ruraux âgés et éloignés de tout dont parlent les statistiques officielles) rejettent désormais la mondialisation libérale et la culture qui lui est associée tout en se raccrochant à la culture nationale (le seul recours disponible puisqu’il n’y a pas de culture européenne et qu’il n’y a plus de cultures régionales dynamiques hormis dans quelques régions) qui lui sert de refuge, ce qui se traduit par un ré-enracinement strictement national qui court-circuite les projets européens du passé. Il semble bien que, comme l’a dit récemment Viktor Orban,  la nation ait de beaux jours devant elle.

Les bobos sont en train de perdre la partie

 ’C’est par ces périphéries que la France d’en haut est en train de perdre le contrôle. Maastricht a été le premier coup de semonce, le référendum de 2005, le deuxième. La déstabilisation ne viendra pas d’un hypothétique « grand soir », mais du lent processus de désaffiliation sociale et culturelle des classes populaires. De la classe politique au monde culturel et intellectuel en passant par les médias, l’ensemble de la classe dominante commence à redouter les conséquences du marronnage des classes populaires. Car il rend visible un conflit de classes, aux soubassements désormais sociaux et identitaires, et dont on a longtemps prétendu qu’il n’existait pas’’.  Désormais, l’antifascisme et l’antiracisme, les deux armes de la bourgeoisie bobo n’impressionnent plus personne. ‘’C’est terminé. Les classes populaires ne parlent plus avec les « mots » de l’intelligentsia. Le « théâtre de la lutte antifasciste » se joue devant des salles vides’’. ‘’Le discours de la classe dominante n’a plus aucune prise sur le réel, il fait apparaître une France privilégiée mais hors sol, une « France du vide »’’.

Des bobos sur la voie du totalitarisme

L’oligarchie commence à comprendre qu’au plan démocratique elle a perdu la partie et qu’elle ne maîtrise plus l’évolution de l’opinion (le Brexit et l’élection de Trump ont montré que, désormais, des changements de fond sont possibles malgré les tirs de barrage de l’oligarchie ; Breitbart et d’autres sites de moindre importance ont permis ces deux victoires électorales qui ont sidéré la bobosphère). Sûre et certaine de détenir la seule et unique vérité, elle réagit en dénonçant les travers de la démocratie et en affirmant de plus en plus clairement sa préférence pour un modèle despotique (forcément « éclairé ») : ‘’Réunie sous la bannière de l’antifascisme, partageant une représentation unique (de la société et des territoires), les bourgeoisies de gauche et de droite sont tentées par le parti unique. « Si les intellectuels sont portés au totalitarisme bien plus que les gens ordinaires » (Simon Leys), une tentation totalitaire semble aussi imprégner de plus en plus une classe dominante délégitimée, et ce d’autant plus qu’elle est en train de perdre la bataille des représentations. Ainsi, quand la fascisation ne suffit plus, la classe dominante n’hésite plus à délégitimer les résultats électoraux lorsqu’ils ne lui sont pas favorables. La tentation d’exclure les catégories modestes du champ de la démocratie devient plus précise’’.

Quand Alain Minc déclare que le Brexit, « c’est la victoire des gens peu formés sur les gens éduqués » ou lorsque Bernard-Henri Lévy insiste sur la « victoire du petit sur le grand et de la crétinerie sur l’esprit », la volonté totalitaire des classes dominantes se fait jour’’. Cette arrogance et ce mépris se sont manifestés à nouveau lors de la victoire électorale de Donald Trump dont l’oligarchie a stigmatisé les électeurs d’en bas forcément abrutis, incultes et alcooliques. L’oligarchie dépitée ne sait plus qu’injurier le peuple ; elle va tenter de reprendre la main et de limiter la pratique de la démocratie mais elle ne réussira pas à conserver le pouvoir durablement. Ironie de l’histoire, cette oligarchie ne sera même plus tentée de se réfugier aux États-Unis qui sont désormais dirigés par un nouveau diable. Prise en sandwich entre Poutine et Trump, désavouée en Grande-Bretagne et en Italie, dénoncée par les leaders politiques d’Europe centrale, rejetée par toutes les périphéries, en France et ailleurs, la bobocratie est en perdition !

Bruno Guillard

Christophe Guilluy – ’Le crépuscule de la France d’en haut’’ – Editions Flammarion

mardi, 03 janvier 2017

« Adieu l’Argent-Roi ! Place aux héros européens » de Marc Rousset

roussetargent.jpg

Cartouches pour 2017 :

« Adieu l’Argent-Roi ! Place aux héros européens » de Marc Rousset

par Michel Lhomme, philosophe, politologue 

Ex: http://metamag.fr 

L’héroïsme est fondateur des cultures. Commentant sa résilience, Boris Cyrulnik souligne que « la vie est un champ de bataille où naissent les héros qui meurent pour que l’on vive. Les héros vivent dans un monde de récits merveilleux et terrifiants. Ils sont faits du même sang que le mien, nous traversons les mêmes épreuves de l’abandon, de la malveillance des hommes et de l’injustice des sociétés. » Aucun thème n’est plus incontournable pour comprendre notre actualité, faire face et ne pas désespérer de l’avenir que l’héroïsme.

Il ne manque pas d’analyses pertinentes, fouillées, concernant nos sociétés occidentales et leur devenir. Nous savons combien il est difficile d’analyser de telles sociétés parce qu’elles sont souvent traversées d’enjeux et de finalités contradictoires. Marc Rousset a choisi son fil rouge et sa clé dans un livre touffu, un pavé de 500 pages à dimension épique et cette clé, c’est une antinomie, celle de l’Argent-roi et de l’Héroïsme.

Le projet est colossal puisqu’il vise par trois tomes successifs dont le premier vient de paraître chez l’éditeur Godefroy de Bouillon, un héros curieusement oublié ensuite par l’auteur sans doute parce que trop chrétien alors que vainqueur de la première croisade, il refusa par désintéressement radical le titre de roi de Jérusalem pour celui d’avoué du Saint-Sépulcre. Ce premier tome porte comme titre : Adieu l’Argent-roi ! Place aux héros européens, avec pour sous-titre : Critique de la civilisation de l’Argent, Apologie de l’Héroïsme. Il se présente à nous comme une alternative de vie qui serait notre choix existentiel du moment : vivre pour l’Argent ou se risquer gratuitement mais mortellement en Héros ? De cette alternative, le matérialisme ou l’héroïsme, l’auteur se propose de dresser une analyse historique, conceptuelle et individuelle. L’ouvrage se déploie comme une anthologie thématique, historico-culturelle, enrichissante et passionnante. Elle est de fait extrêmement risquée car en visant le temps long, de l’Antiquité à nos jours, elle ne peut manquer de faire des impasses et d’opérer parfois des réductions et des simplifications. Dans le premier tome, les deux parties sont en tout cas clairement bien distinguées. On commence par l’argent (notre nihilisme) et on termine par l’héroïsme (notre idéal revisité). Suivons cet ordre de lecture imposé par l’auteur.

L’Or : de l’usurier à la finance

L’expression « L’Argent-roi » est emprunté au roman L’Argent d’Emile Zola : « L’argent, l’argent-roi, l’argent-Dieu, au-dessus du sang, au-dessus des larmes, adoré plus haut que les vains scrupules humains, dans l’infini de sa puissance » . Effectivement, l’argent ou plus précisément la cupidité et l’esprit de lucre jette quelque lumière sur les hommes de nos sociétés et Marc Rousset s’appuie sur une lecture en demi-teintes du progrès capitalistique de l’Occident et de son rationalisme pour expliquer notre nihilisme et la décrépitude du « dernier homme » postmoderne, celui dont la devise pourrait se résumer facilement en la trilogie Liberté, Egalité, Supermarché.

 

Pour l’entrée en matière, Marc Rousset oubliant au passage l’immense Abel Bonnard choisit dans son premier chapitre de nous traduire quelques pages d’un texte inédit de Werner Sombart (1863-1941), Marchands et Héros, publié en 1915 à Leipzig. Sombart fut le chef de la jeune école historique allemande du premier quart du vingtième siècle, une grande figure de la révolution conservatrice jadis présentée par Alain de Benoist, introducteur en réalité du terme de  »capitalisme » par son œuvre majeure en six volumes, Le Capitalisme moderne, aujourd’hui oublié mais qui influença en grande partie Schumpeter. Haendler und Helden, (Marchands et Héros) édité juste avant la première guerre mondiale peut en fait être assimilé à un argumentaire de propagande guerrière vieilli où l’on voit Sombart opposer l’« esprit commercial » anglais, son individualisme libéral à l’esprit communautaire de l’État prussien, le volksgemeinschaft là où Carl Schmitt opposait de son côté la Mer et la Terre. Il s’agit par la critique de l’argent d’opposer ici une société de droits infinis (les droits de l’hommisme mécontemporain) à des communautés de devoirs (les sociétés antiques et traditionnelles). La référence en la matière, Le crépuscule du devoir ou l’éthique indolore des nouveaux temps démocratiques de Serge Lipovetsky (1992) est d’ailleurs très souvent cité. L’« ère économique » celle du fameux homo economicus, est accusé d’être une époque pour laquelle les mobiles dits matériels prétendent prédominer et dominer toutes les autres aspirations de la vie. C’est l’époque de l’uniformisation des modes de vie par le dollar, la descente vers le bas par la consommation frénétique et même une pensée réduite au-dessous de la ceinture par une sexualisation outrancière du quotidien, la dévirilisation du mâle occidental par un hédonisme sans entraves où l’homme devient l’esclave féminisé de ses besoins artificiels et du luxe, déjà dénoncés en son temps par Rousseau.

 

La première partie du livre réalise une compilation assez large des religions et des auteurs sur l’argent. On y saisit le paradoxe de l’argent vu comme une malédiction chez les catholiques et une rédemption pour les protestants, la thésaurisation dénoncée par les Musulmans et l’argent considéré au contraire comme non coupable et presque une vertu chez les Juifs. L’intérêt de cette première partie est de nous dérouler une abondance de références, de résumés de thèses, un florilège de citations et de raccourcis sur le thème. Il servira aux bacheliers qui auront à disserter en fin d’année sur les échanges mais cette première partie peut aussi susciter chez nous quelques interrogations par des passages trop courts sur l’Islam, des oublis majeurs : la confrontation par exemple des Templiers et de Philippe le Bel ou l’irruption avec son scepticisme et son relativisme de la folie de l’or chez les Espagnols et les Portugais après la découverte de l’Amérique, ces colons héroïques aussi mais mués en « mangeurs d’or » pour reprendre l’expression du dernier roman de Ronald Wright à la traduction inédite. La critique de Bernard Mandeville et de sa Fable des Abeilles nous paraît vite expédiée mais l’auteur a cependant le mérite de citer cet essai important. Le paradoxe de l’équilibre invisible des vices et des vertus, et plus tard, la thèse d’Adam Smith de la recherche de l’intérêt privé comme source de l’intérêt collectif nous paraît en effet essentielle à la bonne compréhension de ce qui était alors envisagé comme une pacification civile par l’argent. Dans la partie sur l’argent, un chapitre par exemple sur le doux commerce de Montesquieu manque sérieusement à l’appel.

Après cette entrée en matière intéressante historico-culturelle sur l’Argent, on passe aux faits et en particulier aux chiffres pour remettre si je puis dire, l’Argent-roi d’aujourd’hui à sa juste place. Au regard des chiffres américains, les Français sont pauvres et la France, un pays en réalité de « gagne-petit » : « un salaire de cadre permet de vivre à peu près correctement en France, mais un seul salaire de cadre pour élever une famille avec deux enfants ne permet même pas d’atteindre le chiffre théorique du bonheur matériel de 4807 euros dans l’enquête américaine ». Le riche est défini : il possède un million d’euros de patrimoine et gagne dans les 5 000 euros mensuels mais l’argent ne lui apporte en réalité plus grand chose au-delà car pour ce qui regarde le bonheur matériel, passer cette somme, le gain concret pour le bien-être existentiel est nul. Comme l’avait déjà remarqué Adam Smith, au-delà d’un toit et d’une nourriture suffisante, l’argent n’a plus d’utilité en soi sauf par la distinction sociale ou la réputation. L’auteur cite ici Charles Feeney, le fondateur des Duty Free Shoppers : « certains sont attirés par l’argent, mais personne ne peut porter deux paires de chaussures en même temps ». Si la richesse permet de paraître riche et d’être heureux aujourd’hui dans l’apparence et l’ostentation, c’est qu’il est avant tout un processus spectaculaire au sens de Guy Debord, incarné par la mode et le suivi people, un mode d’être spéculaire et de simulacre au sens de Baudrillard. Comme ironisait Georg Simmel à propos des modernes dans sa Tragédie de la Culture de 1911 : « ils ont tout mais ne possèdent rien». Pour voir juste et vivre bien, il faut parfois aller dans les limites du snobisme matériel et en saisir et en comprendre alors toute la futilité et la vacuité. C’est sur le dandysme de Wilde pourfendeur de l’or ou sur l’ennui d‘une vie sans idéal dénoncé par Chesterton  que pousse et surgit le héros européen, objet de la deuxième grande partie de l’ouvrage et seul mérite au final, selon l’auteur, de notre civilisation.

Les Héros ne meurent jamais et se sacrifient pour rien

La deuxième partie du premier tome de notre Adieu l’Argent-roi ! est consacré à l’héroïsme et suit la même visée anthologique du début mais on sent qu’on s’oriente vers un livre de modèles et un geste d’enseignement. Pour cerner son sujet, Rousset répète plusieurs fois ce qu’il appelle un héros : un être humain qui choisit consciemment, librement, courageusement et d’une façon désintéressée son destin, l’accomplissement de son devoir en étant prêt pour cela à mourir, à faire le sacrifice de sa vie pour une cause qui le dépasse et de manière totalement désintéressée. La définition est pertinente car elle permet à Rousset d’écarter nos héros médiatiques, en particulier les footballeurs motivés par des salaires mirobolants comme les grands chevaliers d’industrie.

Il faut, selon Rousset pour être un héros non seulement risquer sa vie concrètement mais aussi ne chercher aucune récompense matérielle, aucun prestige ou honneur tel le poilu de 14-18, se sacrifiant délibérément dans les tranchées ou ces grands mathématiciens exemplaires comme Grigori Perelman ou Alexandre Grothendieck mourant en ermite à la campagne ou isolés dans leurs modestes appartements, refusant les honneurs et surtout les chèques libellés en dollars. Le héros est mystique : c’est un renonçant sâdhu. Le héros est rebelle mais aussi révolutionnaire (il compte, chez Rousset, Ravachol dans ses rangs). Le héros a la force de caractère des prophètes (Mahomet ?) et de tous ceux qui savent renverser les tables. On ne comprend pas alors tout à fait pourquoi le djihadiste n’en est pas un.

La deuxième partie énumère ainsi de nombreux portraits de héros européens, de grandes figures oubliées, militaires et civiles, qu’on ignorait même jusqu’alors, offrant au lecteur le plaisir de la découverte. Pour le jeune adolescent à qui il faut offrir ce livre pour combler sa soif d’idéal, c’est une galerie de portraits exceptionnels qui va défiler sous ses yeux, un panorama humain à imiter et qui est sans doute l’intérêt principal et honnête du livre.

Comme elle le fut toujours, la jeunesse est en dormition mais il suffit de se rendre aux abords des facultés, des lycées et d’écouter un peu plus les conversations intimes pour se rendre compte à la fois de l’immense fragilité spirituelle de la jeunesse mais aussi de son aspiration à l’intelligence. C’est la jeunesse qui fréquente avec avidité les sites complotistes qui déplaisent tant à leurs professeurs sans morale et chiens de garde du système, c’est la jeunesse qui s’engage totalement dans la subversion même si c’est hélas sous une forme quelque peu islamisée ou délinquante. C’est donc avant tout un livre à réserver aux adolescents, appelés à se forger un caractère. C’est un livre pour futurs lansquenets appelés à forger un idéal pour reconstruire l’Europe et surtout pour demain l’épurer. Ses explications compléteront Dominique Venner et serviront de colonne vertébrale aux engagés libres et aux cœurs rebelles. Mais le jeune Européen pourra-t-il se faire simplement le maître de lui-même en réinvestissant la figure héroïque ?


Sans remigration et grand rembarquement, les rues de demain, celles de 2050 auront des héros mais ils porteront des noms exotiques, ceux de Mohamed Merah ou d’Amedy Coulibaly. Nous connaissons déjà de jeunes musulmans engagés qui ont épinglé sur les parois de leur chambre – et encore plus dans leurs cellules de prison – la photo romantisée du franco-algérien de Toulouse de 2012 sortant de sa voiture. Ils ont aussi comme Marc Rousset et moi la haine des puissances d’argent.

Le projet du livre de Marc Rousset est éducatif : pour un retour de l’héroïsme européen

On sent qu’il vise à définir et à permettre les conditions culturelles et pédagogiques d’un retour de l’héroïsme européen, des grandes âmes et des forts caractères de France. Mais les héros sont des têtes brûlées. Nous sommes une tête brûlée – c’est même notre définition familiale. Nous ne fréquentons que des « voyous » et non des gens respectables. Faut-il alors à l’Europe une renaissance violente ? Il faudra demain prendre les armes puisque l’État multiracial ne nous défendra pas mais en serons-nous pour autant des héros ? Devons-nous enseigner la terre et le peuple et plus que tout encore, la race comme on enseigne un fanatisme religieux monothéiste ? Ce n’est pas si sûr car nous ne croyons plus, depuis belle lurette, aux arrière-monde. Le problème de cette galerie des héros présenté est qu’aucun n’est un Surhomme, aucun n’est en en réalité le héros du post-nihilisme et d’ailleurs, le post-nihilisme peut-il vraiment avoir des Héros ? Il faut donc que l’Homme européen aille beaucoup plus loin que l’héroïsme individuel.
Non, le nihilisme européen ne sera pas notre destin.

Derrière la volonté héroïque de se sacrifier pour un monde idéal ou dans toute volonté cornélienne finalement métaphysique, il y a une volonté de frapper de néant, de non-être, le monde que nous connaissons. Ce qui était au cœur de l’héroïsme, c’était encore une volonté de néant et de mort et si nous lisons bien le chapitre deux de ce premier tome, l’enjeu fondamental du livre, c’est bien le suicide de Dominique Venner qui est, par delà la traduction de Sombart, le véritable déclencheur du livre et sans doute le premier grand hommage écrit livresque à l’historien. Il y a dans l’héroïsme classique un désir de dévaluation, de dévalorisation du monde sensible et du réel. L’héroïsme est animé par une volonté de néant et de mort puisqu’il frappe de non-réalité tout ce qui n’est pas l’idéal (le cas exemplaire du djihadisme). Et de ce point de vue-là, le nihilisme, c’est-à-dire la volonté de néant est à l’origine de l’affirmation en soi de l’idéal héroïque. Par conséquent, derrière et dans notre héroïsme se trouve présent le nihil, se trouve bien présent le néant. Don Quichotte, contrairement à ce qu’affirme l’auteur, n’est pas fou. Il a déjà deviné que l’héroïsme des arrière-monde nous conduit tout droit au vide et au néant : il préfère donc s’en moquer, et rire comme Nietzsche, du « mensonge de l’idéal ».

 

Nous avons donc besoin de héros mais de héros européens nouveaux. Défendons-nous alors la tarte à la crème cinématographique pour westerns spaghettis des « héros fatigués » ? Pas si sûrs non plus ! Les djihadistes sont héroïques mais ils ne sont pas européens. Ce ne sont pas encore des héros fatigués mais ils se repentiront. Nous, nous sommes revenus des cimes et comme l’Herzog de l’Annapurna, nous sommes allés derrière les nuages avec Gagarine. Nous sommes européens et oui, osons-le dire, supérieurs parce que nous avons découvert que derrière les valeurs les plus hautes, on a toujours voulu en réalité autre chose. Ce que l’on avait voulu par l’exaltation de l’héroïsme, toujours après coup d’ailleurs, sur les tombes fleuries et anonymes de nos champs de batailles et après être le plus souvent morts sur le coup, c’est échapper à la fluidité des choses, à leur flexibilité, à leur caractère transitoire pour se sauver dans ce qui ne passe pas et qui serait de l’Etre. Or, nous ne pouvons plus revenir en arrière et nous ne croyons pas au retour heideggerien de l’être. Nous avons découvert que derrière les idéaux splendides de l’héroïsme se cachait aussi une volonté de mort et qu’en voulant les idéaux, en réalité ce qui était voulu, c’était tout à fait autre chose que les idéaux, c’était encore cette stupide volonté de survivre à tout prix, une volonté de se donner au monde qui, lui, échapperait à la mouvance des choses. Du coup, derrière les valeurs les plus hautes est apparu (et c’est un peu cela le drame de la mystique brisée de 14) les choses les plus viles qui soient, les plus basses : l’argent, la banque, la monnaie, l’économie de casino. Dans toutes les guerres modernes et jusqu’en Syrie et en Afghanistan, nous n’avons été que ces « cons glorieux » du Général Bigeard, combattants héroïques de camps retranchés et boueux à la Dien Bien Phu. Il nous faut nous regarder en face : nous ne pouvons pas méconnaître la raison plate de notre suicide collectif.

Derrière nos valeurs transcendantes et salvatrices, pour parler vulgairement, nous n’avons chercher qu’à sauver notre peau et échapper au redoutable. Inventeur de la perspective, l’idéal européen s’est perdu dans le point de fuite et il n’est donc pas étonnant que nous soyons déçus puisque le but et la finalités manquent à l’appel. On ne nous fera en tout cas plus marcher pour des visées mercantilistes et notre volonté de puissance juvénile et de résistance identitaire se trouve comme malade dès la racine parce que sans volonté. C’est le Umsonst de Nietzsche, le « à quoi bon » des foules sans regard, des « hommes de banlieue » de Bernanos quoique justement ceux-ci, aujourd’hui, ont un regard, le regard de la haine du sous-homme, celui qui cligne de l’œil contre notre système.

Marc Rousset veut nous réveiller mais Zarathoustra lui-même se méfiait des « prédicateurs de la vertu » c’est-à-dire de ceux qui veulent à nouveau le mobiliser en vue d’idéaux. Une des conséquences du nihilisme des sociétés que l’on pourrait qualifier de post-héroïque, c’est qu’une volonté qui est défaite, qui se méfie du sens, qui est prête à vouloir n’importe quoi plutôt que rien, et même à préférer le rien ou le non-sens à ce qui est, c’est une société de la soumission houellebecquienne, qui tente en un dernier soupir las le suicide civilisationnel dans la beauté de l’autel retournée d’une cathédrale ancienne consacrée.

Alors s’agit-il d’un destin inéluctable ? Le nihilisme enfin identifié, le nihilisme de l’Argent décrit par Marc Rousset nous emportera-t-il ? Y aurait-il une fatalité du déclin de l’homme européen ? Marc Rousset n’y croit pas et c’est sans doute la raison d’être de tout son projet herculéen : se refuser au nihilisme actif. En ce sens, le déclin de l’Occident déjà superbement analysé par Spengler (le livre y fait un peu penser par son coté fourre-tout et c’est un hommage), la décadence de l’Europe ne serait pas une fatalité. L’Européen devrait être capable de dire non et de découvrir par là-même que dire oui, cela suffit et cela peut sauver les choses maintenant. Nonobstant, il doit enfin comprendre que le monde du sens est du côté de l’option collective et non individuelle, du transcendant et du traditionnel organisé et politique, non de l’insensé (Anders Breivik). Marc Rousset écrit : « Ce qui doit être combattu dans nos sociétés, ce n’est pas l’argent mais l’hypertrophie de l’argent, la société unidimensionnelle de l’argent » mais ce qui doit être combattu aussi, c’est la lâcheté, celle qui ne nous fait pas réagir par le silence de la peur lors de l’agression d’un compatriote ou lorsque tout simplement là devant soi, l’homme de l’« autre race » étale ses pieds sur la banquette comme une provocation à nos bonnes mœurs.

L’homme post-héroïque ne croit plus à aucune espèce de valeur, il ne croit plus tout simplement aux valeurs des règles établies d’où l’échec déjà programmé de tous les pédagogismes civiques introduits par l’état d’exception. L’homme post-héroïque ne peut plus croire aux valeurs en raison de la contradiction existant entre la proclamation des valeurs idéales (celles du bisounours et du «vivre ensemble ») avec la réalité concrète de l’argent-roi qui domine. Lorsqu’on parle aujourd’hui de justice, de solidarité, de démocratie, ce qu’on découvre en réalité derrière ces idéaux, ce sont le plus souvent la corruption, le mensonge, la manipulation ou les « sans-dents », à savoir le véritable mépris des gens. Comment dès lors demander d’être créateurs, héroïques c’est-à-dire en somme décents à des individus qui doutent de leur identité et de leurs capacités créatrices ? Comment être fort sans contenu dans une époque de manufacture par correspondance ?

Il nous faut une révolte européenne collective, pas des héros individuels

Le retour de l’Héroïsme ? Comme s’il y avait un destin tout écrit d’éternel retour dans les choses européennes, comme s’il y avait une toile de fond sombre et opaque derrière l’Europa, une séquence de nihilisme actif déjà toute marquée dans l’histoire européenne et qui déroulerait encore son fil en fin de bobine, comme si rien d’autre n’était possible de ce que ce que nous avons connu. Ce qui est possible, nous avons à le créer en réhabilitant la volonté collective. C’est donc bien effectivement une culture et une pédagogie quasi spartiate de la volonté collective qu’il nous faut. La société post-héroïque des hommes sans regard est d’abord malade de l’absence de bien commun or la Volonté cela se soigne dans l’événement, à la guerre, au combat mais aussi par la philosophie politique et une doctrine de l’action collective Il faut enseigner à nouveau le désir du vouloir mais en un désir collectif. Il ne faut pas faire miroiter des mirages (les carcans paradisiaques des prescriptions terroristes islamiques) mais faire désirer aux jeunes Européens de se vouloir eux-mêmes en groupe, en horde, en bund plutôt que de s’abîmer dans le néant ou la fatigue de l’avoir.

Il faut que l’homme européen comprenne tout simplement sa différence fondamentale d’avec l’homme oriental : l’homme européen n’est voulu que pour lui-même et son autonomie populiste est le sens même de toute sa Tradition. L’homme européen n’est pas l’homme jugé moralement mais sur le contenu concret de son existence. L’homme européen n’est pas l’homme savonneux mais l’homme qui prend les choses à bras le corps, l’homme du combat des élites nouvelles, l’homme de caractère qui sert au lieu de se servir « car ce ne sont ni les murailles, ni en général les fortifications qui défendent les places mais les hommes qui sont dedans ». (article « Art militaire » de l’Encyclopédie raisonnée de Diderot reprise d’une citation célèbre de Thucydide ).

Retrouvons Oedipe. Par pitié, il s’avance vers le carrefour fatal et la cité funeste. Il est seul mais il est aussi vrai qu’il n’a, chemin faisant, qu’une pensée : se dérober à la prédiction, lui donner tort, se décider contre elle et contre le nécessaire pour la Cité. Il est encore roi. Sans la métamorphose de l’événement en destin, le crime ne serait qu’un fait divers. Or, au point de non retour où nous en sommes, un seul jour peut suffire demain à élever ou abaisser tout ce qui est européen. On peut bien tenter d’éradiquer l’héroïsme, vouloir le faire disparaître, il resurgira toujours dans les terreaux des sociétés en crise identitaire, en déliquescence morale et sociale parce que le héros possède une pensée subversive, diamétralement opposée à l’ordre établi. Cet arnarquisme est d’ailleurs partagée à l’ombre par beaucoup de nos concitoyens. Mais ce qui le distingue de ces derniers, c’est que l’anarque passe à l’action tels les lanceurs d’alerte pourchassés (Snowden et Manning). Le héros met en scène ses idéaux et ses actions parce qu’il se rebelle. Le héros prend des risques dans la société des assurances multirisques et c’est pour cela qu’il force très vite le respect et l’admiration de la société des assistés. Ce qui fait un héros, c’est ce sacrifice, le fait qu’il soit prêt à sacrifier sa vie, sa carrière, sa tranquillité, son anonymat, pour son idéal. Du coup, il nous semblerait que l’héroïsme à venir, ce sera d’abord l’insoumission et la désobéissance légitime et non ce sacrifice stupide et vain sur l’autel des sociétés de l’argent ? Ayons donc le cran de franchir la ligne jaune et de déborder le cadre.

Nous en appelons ainsi à un renouveau de l’héroïsme européen mais dans un héroïsme du quotidien seul garant de nos victoires à venir puisque nous avons finalement tant d’occasions, au jour le jour en désobéissant de renverser la vapeur à notre échelle (le mouvement des policiers). Faisons donc fi des conséquences matérielles et du prix carriériste à payer, (le héros est par définition désintéressé et c’est même le leitmotiv permanent et juste de la définition du livre). Le réarmement moral qui en résultera, lui, n’a pas de prix. Réagissons à contre-courant, marquons durablement de notre empreinte notre destin collectif de notaire, si habillement tracé par nos désorientateurs officiels. En somme, nous proposons de dépasser la contradiction individualiste du livre en invitant à la désobéissance civique et à l’héroïsme communautaire parce que d’actes isolés aussi frénétiques qu’ils soient, ne sortira pas grand chose que la prison. Or, on peut passer à une multitude d’actes héroïques au quotidien, éclatant ici et là, au travail, dans les transports en commun et dans les commerces, revendiquant la même chose, se liant entre eux, en réseau, et établissant progressivement une forme de résistance active pour reprendre prise, reprendre pied, suspendre le contrôle managérial de nos vies ! Plus nous serons nombreux et moins l’acte sera héroïque, certes, mais il sera alors beaucoup plus simple dans le désintéressement individuel et l’anonymat collectif de renverser le désordre marchand et de passer enfin à l’essentiel : sauver l’Européen.

L’homme européen ne se sent vivant que lorsqu’il agit et réagit collectivement. Nous devons avant toute chose renouer avec le communautaire.

Adieu l’Argent-roi ! Place aux héros européens, Critique de la civilisation de l’Argent, Apologie de l’Héroïsme de Marc Rousset, Godefroy de Bouillon éditeur, Paris 2016, 37 euros.

mardi, 27 décembre 2016

Laurent Obertone rencontre Piero San Giorgio

OB-G-000000000000mage.jpg

Laurent Obertone rencontre Piero San Giorgio

Octobre 2016

L'immense écrivain Laurent Obertone rencontre Piero San Giorgio

La page de Laurent : https://www.amazon.fr/Laurent-Oberton...

La page de Piero : https://www.amazon.fr/Piero-San-Giorg...