Jonathan Bowden
Edited by Greg Johnson
San Francisco: Counter-Currents, 2017
220 pages
Hardcover: $35
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On peut parfaitement adresser les reproches les plus durs au Matin des magiciens de Pauwels et Bergier. Tous resteront sans effet toutefois devant cette évidence : cet ouvrage bizarre et boursouflé, qualifié de «gros livre hirsute» par ses auteurs eux-mêmes (1), nous a permis de découvrir des écrivains qui, en 1960, année où il fut publié, n'intéressaient qu'une poignée de spécialistes de la littérature fantastique et amateurs de fous littéraires.
Nous ne nous poserons point la question de savoir si la suite de l'histoire, servant, selon Ambrose, de meilleur exemple à ses étonnantes vues, histoire intitulée je l'ai dit Le livre vert, n'est point quelque peu en dessous de la remarquable exposition que l'auteur, dans son Prologue, nous livre sur le monde du Mal.
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Jonathan Bowden
Edited by Greg Johnson
San Francisco: Counter-Currents, 2017
220 pages
Hardcover: $35
Paperback: $20
Kindle E-book: $4.99
To order: https://www.counter-currents.com/extremists-studies-in-metapolitics/
Extremists: Studies in Metapolitics collects transcripts of nine of Jonathan Bowden’s most compelling orations: on Thomas Carlyle, Gabriele D’Annunzio, Charles Maurras, Martin Heidegger, Julius Evola, Savitri Devi, Yukio Mishima, and Maurice Cowling, as well as his speech “Vanguardism: Hope for the Future.” These speeches do not just explore the lives and thoughts of creative and exemplary individuals, they also illustrate three cardinal principles that Bowden repeatedly emphasized: First, political change depends upon metapolitical conditions. Second, cultural and political innovations take place on the extremes. Third, metapolitical extremists must think of themselves as vanguardists who lead the public mind to truth, not cater to illusions and folly.
CONTENTS
Editor’s Preface
1. Vanguardism: Hope for the Future
2. Thomas Carlyle: The Sage of Chelsea
3. Gabriele D’Annunzio
4. Charles Maurras & Action Franҫaise
5. Martin Heidegger
6. Savitri Devi
7. Julius Evola
8. Yukio Mishima
9. Maurice Cowling
Index
About the Author
Praise for Extremists:
“Jonathan Bowden died in 2012, just short of his fiftieth birthday. But vanguardist that he was, he continues to lead us today, through his recordings, videos, and books like the one before you, always out there on the extremes, not gone—just gone before.”
—Greg Johnson, from the Editor’s Preface
“Jonathan Bowden was the most inspiring and entertaining speaker to emerge on the British Right in the last half-century. A protean, demi-divine improvisatory power was set free in his oratory and transcended the oft sorely unsatisfactory circumstances of his life. Extremists collects nine of his best orations. Even on the printed page, the power of his voice resonates, drawing us to the words he has left behind.”
—Stead Steadman, Organizer of the Jonathan Bowden Dinner
“Jonathan Bowden was arguably the greatest orator of his generation. Part of what elevated Jonathan’s oratory was his encyclopedic knowledge of politics, philosophy, history, literature, and the arts, and his ability to verbally regurgitate vast tranches of that knowledge at will—from memory—delivering names, dates, and other details with machine-gun rapidity. Jonathan could speak for an hour and a half without notes, skillfully knitting together one pertinent argument or analysis after another in a logical sequence that would keep his audience spellbound. Another factor that elevated Jonathan’s oratory was his keen sense of the dramatic. He had the rare gift of being able to express heroic sentiments in a way that was inspirational, compelling, and infectious. Strangely, Jonathan always claimed that he never knew what he was going to say until he stood up and opened his mouth. At that moment of truth, he was transformed from a modest and affable intellectual into a bravura performer at the lectern. Although Jonathan’s voice is stilled on the printed page, volumes like Extremists allow us to pause over and ponder his words, to better appreciate and share in the ideas he so urgently wished to communicate.”
—Max Musson, Western Spring
“This new collection of Jonathan Bowden’s speeches displays the broad-minded zest for life and infectious enthusiasm for knowledge and for wisdom that would have made him an ideal private tutor to a Prince. There was nothing at all of the pedantic pedagogue about him. Where others failed—Plato with Dionysius of Syracuse and Seneca with Nero—Bowden I’m sure would have excelled. To describe the man is difficult, so we need a new word: ‘Bowdenesque.’ ‘Bowdenesque: a larger-than-life and warmer-than-life raconteur, conversationalist, and orator with a far-ranging and surprisingly eclectic erudition; a Brahmin with bonhomie; a Falstaff without the failings; an elitist not because he hates the masses, but because he loves them and wants what is best for his people, his culture, and indeed all peoples and cultures; a bon vivant who relishes all the good things in life, but especially culture and company; a calm, self-assured, self-contained cat that is intensely interested in and curious about literally everything and everyone, and eager to listen and learn, and, if requested, teach; a learned intellect with no illusions or limits, who knows the price of nothing, but the potential value of everything and everyone.’”
—Jez Turner, The London Forum, winner of the 2017 Jonathan Bowden Prize for Oratory
The Author
Jonathan Bowden (1962–2012) was a British novelist, playwright, essayist, painter, actor, and orator, and a leading thinker and spokesman of the British New Right. He was the author of some forty books—novels, short stories, stage and screen plays, philosophical dialogues and essays, and literary and cultural criticism—including Pulp Fascism: Right-Wing Themes in Comics, Graphic Novels, and Popular Literature, ed. Greg Johnson (Counter-Currents, 2013) and Western Civilization Bites Back, ed. Greg Johnson (Counter-Currents, 2014).
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Bernd Kallina
Dr. Gert R. Polli : l’Allemagne entre les fronts
« De facto, l’Allemagne est un pays occupé » - Bilan critique de l’architecture sécuritaire de l’Allemagne
Le moment où est paru ce livre du Dr. Polli ne pouvait être meilleur. Son titre est déjà révélateur : « Deutschland zwischen den Fronten – Wie Europa zum Spielball von Politik und Geheimdiensten wird » (= L’Allemagne entre les fronts – Comment l’Europe est devenue le jouet du monde politique et des services secrets »). Cet ouvrage récent est dû à la plume du Dr. Gert R. Polli, ancien chef du Bureau fédéral autrichien pour la protection de la constitution et pour la lutte contre le terrorisme (le « BTV »). Déjà le titre fait allusion à un vieux problème, celui de la politique de sécurité nationale en Allemagne. Ce pays se trouve au beau milieu de l’Europe, ce qui rend l’organisation de sa sécurité plus difficile qu’ailleurs, soit dans les pays qui bénéficient d’une situation géographique plus favorable.
Cependant, on peut imaginer qu’une situation plus précaire, comme celle de l’Allemagne en matière de sécurité nationale, puisse être compensée par le recrutement d’un personnel professionnel et très qualifié dans la sphère politique et dans l’appareil d’Etat garantissant la sécurité du pays. Du moins si la volonté et la capacité y sont. L’auteur tire toutefois un bilan négatif dans son analyse très minutieuse du problème que pose la sécurité nationale allemande. Ce bilan fera grincer des dents. Car la thèse principale de Polli, dans ce livre, est la suivante : « L’Allemagne, aujourd’hui encore, demeure de facto un pays occupé ».
Ce sont effectivement les retombées de l’histoire de l’occupation du territoire allemand par les Alliés occidentaux qui sont à l’origine de la situation insolite de l’Allemagne en matière de sécurité nationale. C’est là aussi, ajoute Polli, le noyau des faiblesses que présente aujourd’hui l’appareil sécuritaire allemand. Cette situation a fait que les responsables de la sécurité nationale allemande ont toujours été inconditionnellement atlantistes. Les politiques allemands ont été séduits par l’américano-atlantisme pendant des générations ; ils ont fermé les yeux sur l’évidence, sur le fait que ce partenariat atlantiste en matière de sécurité a été utilisé et exploité à fond par les Etats-Unis pour espionner et contrôler l’Allemagne de fond en comble. Si l’on met cette dépendance en relation avec l’espionnage économique, dont l’Allemagne est victime depuis des décennies à cause des menées des services américains et britanniques, les dommages encourus par le pays sont de l’ordre de 50 milliards d’euro par an !
Cette situation aberrante et scandaleuse, Polli la décrit avec minutie d’autant plus qu’il ressort de cette description les mécanismes de coopération entre la NSA et les autorités allemandes, où ces dernières sont techniquement incapables de repérer cet espionnage économique. Elles n’ont pas davantage la volonté de se défendre. Dans un entretien accordé à la Preussische Allgemeine Zeitung de Hambourg, Polli déclare : « C’est ainsi que l’on peut expliquer que pendant plus d’une décennie les moteurs de recherches américains ont pu introduire des mots-clés dans le système du Bundesnarichtendienst (BND – Service fédéral du renseignement) qui, ultérieurement, se sont montrés très nocifs pour les intérêts allemands ».
On ne s’étonnera pas dès lors que, pour des motifs bassement électoralistes, le gouvernement de Madame Merkel a tout tenté pour occulter les faits révélés par Polli avant les élections de septembre 2017. En effet, les reproches que l’on peut adresser à ce gouvernement (et à ses prédécesseurs) ne sont nullement réfutables : les élites politiques en place ont négligé, pendant des décennies, de lutter contre l’espionnage systématique qui frappait le pays en prenant des mesures adéquates et efficaces.
En conclusion : si le gouvernement fédéral allemand garde le silence sur la situation décrite par Polli, pour ne pas être mis sur la sellette ou être cloué au pilori, à cause de ses négligences et de ses erreurs, ce ne doit pas être une raison pour l’opposition de se taire. Au contraire : le livre de Polli devrait être un manuel pour l’opposition nationale au gouvernement de la coalition entre chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates de Berlin. Il devrait permettre aux opposants constructifs de poser des questions embarrassantes avant même qu’ils n’accèdent à la nouvelle Diète fédérale. Si cette opposition nationale n’en prend pas l’initiative, qui donc la prendra ?
Bernd KALLINA.
(article paru dans « zur Zeit », Vienne, n°29-30, 2017 – http://www.zurzeit.at ).
13:25 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : allemagne, actualité, europe, affaires européennes, espionnage, livre, services secrets, politique internationale | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Les éditions du Lore viennent de publier un essai de Jean-Louis Lenclos intitulé Les idées politiques d'Henry de Monfreid. Une façon de redécouvrir sous un angle nouveau l’œuvre de l'auteur des Secrets de la Mer rouge , de La croisière du hachich ou de Mes vies d'aventure.
Pour commander l'ouvrage:
http://www.ladiffusiondulore.fr/recherche?controller=sear...
Cet ouvrage inédit présente le mémoire universitaire de droit soutenu par Jean-Louis Lenclos en octobre 1977, sous la direction du Professeur De Lacharrière, à l’université de Parix X- Nanterre.
Lorsqu’on consultait les proches d’Henry de Monfreid, ils répondaient invariablement : « il n’avait pas d’idées politiques, cela ne l’intéressait pas ; c’était un Aventurier ! »
Contrairement à divers fantasmes colportés, Henry de Monfreid ne fut à aucun moment cet individu louche, dénué de sens moral et de scrupules que recouvre habituellement ce terme d’aventurier.
En se penchant méticuleusement sur son œuvre littéraire prolifique, ce livre explore les idées politiques bien tranchées d’Henry de Monfreid.
Certaines de ses idées sont à rapprocher des penseurs traditionalistes tels que Louis de Bonald ou Joseph de Maistre, mais aussi Nietzsche par certains aspects.
Par ailleurs, Henry de Monfreid semble acquis à l’idée de hiérarchisation des races humaines. Plus surprenant, il vécut une extase quasi-religieuse en la présence de Mussolini…
Cette étude très bien documentée vous fera découvrir les grandes lignes politiques d’un homme qui considérait l’homme comme une créature foncièrement mauvaise et qui n’eut de cesse de s’affranchir des servitudes humaines. "
08:33 Publié dans Littérature, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hnery de monfreid, livre, lettres, lettres françaises, littérature, littérature française | | del.icio.us | | Digg | Facebook
By Bionic Mosquito & http://www.lewrockwell.com
The Silk Roads: A New History of the World, by Peter Frankopan.
Frankopan begins his journey not with trade in goods but trade in faith. Buddhism, Hinduism, Jainism, Manichaeism, Zoroastrianism, Judaism, Christianity (of more than one flavor), and eventually Islam (of more than one flavor) all come into play in this journey, and not always in a peaceful way.
As early as the third century B.C, Buddhist principles could be found as far to the east as Syria, with a Jewish sect in Alexandria, Egypt known as Therapeutai bearing unmistakable similarities to Buddhism. In central Asia, forty Buddhist monasteries ringed Kabul. Noted a visitor:
“The pavement was made of onyx, the walls of pure marble; the door was made from moulded gold, while the floor was solid silver; stars were represented everywhere one looked…in the hallway, there was a golden idol as beautiful as the moon, seated on a magnificent bejeweled throne.”
The first four centuries of the first millennium saw the explosion of Christianity and “a maelstrom of faith wars.” Persia, the leading power during the rise of the Sasanian dynasty, was Zoroastrian, persecuting other religions and sects.
The story of the spread of Christianity from Palestine to the west is well known; the spread of Christianity to the east was far more remarkable and extensive. Christianity was brought in through the trade routes, as well as through the deportations of Christians from Syria. It was a Christianity with a communion different than that to be found in Rome. This difference would prove to play a key role in the not too distant future.
Evangelists reached north into Georgia, reaching a large community of Jews who converted. There were dozens of Christian communities along the Persian Gulf and as far to the east as today’s Afghanistan. As the influence of Christianity increased, the persecution by the Zoroastrian Persians followed suit. For the leaders of the non-Persian minorities, Christianity was seen as a way to break free of the empire. It was seen this way by the Persians as well.
Precisely how and when rulers in the Caucasus adopted Christianity is not clear. One example regarding this should suffice, regarding the conversion of the Armenian King Tiridates III at the start of the fourth century:
…according to tradition, Tiridates converted after turning into a pig and roaming naked in the fields before being healed by St. Gregory, who had been thrown into a snake infested pit for refusing to worship an Armenian goddess. Gregory healed Tiridates by causing his snout, tusks and skin to fall off before baptizing the grateful monarch in the Euphrates.
Way better than the story of Constantine, who looked up in the sky and saw a cross-shaped light.
Constantine’s conversion was a blessing to Christians of the west; it led to a disaster for Christians in the east. While Christianity was not made a state religion, Constantine did declare himself the protector of Christians wherever they lived – even outside of the Roman Empire.
To the Persians, he presented himself as speaking on behalf of these eastern Christians. From here on, every conversion was seen as an act of war. In order to protect these eastern Christians, Constantine planned his attack on Persia; he was going to bring about God’s kingdom on earth. As noted Aphrahat, head of a key monastery near Mosul, “Goodness has come to the people of God…the beast will be killed at its preordained time.”
Apparently this wasn’t the preordained time. Unfortunately for these Christians, Constantine fell ill and died; Shapur II proceeded to unleash hell on the local Christian populations as payback for Constantine’s aggressions. The list of martyrs was long. It truly was a disaster for Christianity in the east.
Eventually the conflicts between Rome and the Persians settled down; the Persians secured key points on the routes of trade and communication. Half of Armenia was annexed. Both powers were faced with a new enemy coming from the steppes of Asia.
Driven by famine attributed by the author to catastrophic climate change (too many cows? Volkswagen diesels?), the tribes of the steppes were driven westward. They drove refugees in front of them, clear to the Danube. Persia was not spared this invasion, with attacks along the major cities of the Tigris and Euphrates rivers. This drove Persia and Rome into a previously unlikely alliance.
A massive fortification was built by the Persians along a 125 mile stretch between the Caspian and Black Seas. Thirty forts spanned this expanse; a canal fifteen feet deep protected the wall; 30,000 troops manned this barrier. Rome made regular financial contributions in support of this fortification; further, they supplied a regular contingent of soldiers to defend it.
As far as Rome itself was concerned, it all came too late; in 410, the city was sacked. The city that controlled the Sea which was considered to be the center of the world was conquered. To the Christian men of Rome, this was God handing out punishment for man’s sinful ways; to others, it was a result of Rome’s turn to Christianity and away from its pagan roots.
This was a benefit to Christians in the east; Rome was no longer seen as a threat to Persia. Constantinople had its own defenses from these hordes to worry about, so there was little threat from this quarter either.
This relative calm allowed for the various Christian sects, east and west, to work out the doctrine – turning the Gospels and letters into consistent practice, belief, action and governance; the perfect opportunity to turn Christianity into a unified church.
It didn’t work out this way. Bishops against bishops, sects against sects, unsettled debates at the various councils, power politics, and excommunication freely offered. To offer any meaningful detail would only make my head hurt.
While the church in the west was busy rooting out deviant views, the church in the east went on a missionary outreach to rival any other. From the tip of Yemen to Sri Lanka, Christian communities could be found headed by clergy appointed from Persia. The author suggests that even during the Middle Ages there were more Christians in Asia than in Europe.
This outreach was made possible due to the tolerance shown by the Sasanian rulers of Persia – you might consider these the Constantines of the east. The clergy would pray for the Shah’s health; the Shah would organize elections for the clergy.
It might be generally said that religious tolerance was shown throughout the region. In Bamiyan, within today’s Afghanistan, two immense statues of Buddha stood – one as high as 180 feet. Carved in the fifth century, they were left intact under later Muslim rule for 1200 years, ending only under the Taliban in 2001.
Others did not show as much tolerance. While the Palestinian Talmud refers lightly to Jesus and His followers, the Babylonian Talmud takes a “violent and scathing position on Christianity.” Converts to Judaism, according to one prominent rabbi, still had the evil in them until twenty-four generations have passed.
In the kingdom of Himyar, in the southwestern corner of the Arabian Peninsula, Jewish communities became increasingly prominent. Judaism was adopted as the state religion; Christians faced martyrdom for their beliefs, after being condemned by a council of rabbis.
In any case, by around the middle of the seventh century, Christianity was generally on the march east, at the expense of Zoroastrianism, Judaism and Buddhism.
This period was to quickly come to an end.
Reprinted with permission from Bionic Mosquito.
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We are born, we are given just so much food as will keep the breath in our bodies, and those of us who are capable of it are forced to work to the last atom of our strength; and the very instant that our usefulness has come to an end we are slaughtered with hideous cruelty.Old Major educates the farm animals, making them aware that this is unhealthy. The animals "are forced to work," doing the most burdensome work to exhaustion, and in return, they only receive "just so much food as will keep the breath" in them — so that they can continue to work. As Old Major understands life on the farm, work is a major measure of value for most animals, and "the very instant that our usefulness has come to an end we are slaughtered." Even at the end of a life-time of loyal labour on Manor Farm, animals don't get to enjoy retirement. Instead, they are mercilessly eliminated. Old Major assures Boxer that no animal is immune to this outcome: "the very day those great muscles of yours lose their power, Jones [...] will cut your throat and boil you down for the foxhounds." As with any good doctor, Old Major knows that it isn't enough to diagnose correctly the patient. The treatment must cure the illness.
[W]ork night and day, body and soul, for the over throw of the human race! That is my message to you, comrades: Rebellion!A reader might ask: Why do the ills of Manor Farm have to be treated by the harsh remedy of rebellion? Any increase in animal rights is a decrease in Jones' control. Any further sharing out of resources diminishes profit for Jones. Moreover, not yet unified with the other animals by hunger, the individual animal poses no threat to Jones. The lone animal can't stand against the immediate punishment of a beating or starvation. Divided, the animals don't have power. Without power, negotiation is impossible. Jones doesn't need to compromise, so why would he? People in power rarely like to share it. The only recourse the animals have, therefore, is to take and redistribute power through violent revolution. Old Major believes that this forceful redistribution of power on the farm will be the end of inequality and making of a society based on harmonious relations without exploitation.
The pigs did not actually work, but directed and supervised the others. With their superior knowledge it was natural that they should assume the leadership.The pigs do have language ability to a high degree above the other animals. This "superior knowledge" of language is what makes it "natural that they should assume the leadership." Of course, later Snowball clearly makes use of this "superior knowledge" of language by reading about the campaigns of Julius Caesar. Snowball 's learning allows him to organize and direct the animals to defend themselves against the attacking humans; however, without leisure, even the most useful books remain unread. Therefore, it is not insignificant that the "pigs did not actually work;" un-tired at night, the pigs are holed up in the harness-room, studying "from books." There's an undeniably intimate connection between leisure and learning that enables Snowball to be heroic. Even the modern story-tellers of Hollywood can't ignore this fact. That is why the bat-suited hero of Gotham is the leisured Bruce Wayne during the day. Moreover, the iron-clad Tony Stark is equally free from draining daily work when he's not putting in a shift as Iron Man. In understanding Animal Farm, we shouldn't overlook the importance of leisure. Orwell and Hollywood might agree at least on this point: leisure doesn't make a person heroic, but it is awfully difficult to be heroic without leisure. But leisure isn't the only resource where the animals are found to be unequal.
[N]ature, by endowing individuals with extremely unequal [...] mental capacities, has introduced injustices against which there is no remedy.Nature isn't egalitarian, and clearly the pigs have benefited in part from the lottery of chance. Their leadership is the reward for being "superior" to the other animals. Nature and the effort of the pigs have made the animals unequal. Nonetheless, the "remedy" of enforced equality under Napoleon's dictatorship may be far worse than the disease of Nature's "injustices."
He announced that, by a special decree of Comrade Napoleon, 'Beasts of England' had been abolished. From now onwards it was forbidden to sing it.The root of resistance is language; rebellion can't flower without it. "Beasts of England" is a song of rebellion, but now that Napoleon is in control, he doesn't want rebellion. The language of rebellion makes rebellion possible. Language comes first; the idea exists in language and only then is action possible. However, Squealer assures the animals that rebellion is "No longer needed" because, of course, Napoleon doesn't want it. To kill the flower, Napoleon tears out the root. It's not that "the Rebellion is now completed," as Squealer states, but rather that Napoleon has simply made rebellion impossible by eliminating its language. When the language of freedom disappears, slavery will be inescapable.
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Troy Southgate's speech about Oswald Spengler's "Der Mensch Und Die Technik" @ International N-AM Conference in Madrid 17th and 18th june 2017
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09:37 Publié dans Livre, Livre, Révolution conservatrice | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : oswald spengler, atnhropologie, technique, philosophie, allemagne, révolution conservatrice | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Ex: http://www.preussische-allgemeine.de
Der Historiker Rolf Peter Sieferle hat im September 2016 den Freitod gewählt. Sein umfassendes Werk harrt noch immer einer angemessenen Rezeption. Unter mehreren posthum publizierten Schriften befindet sich ein Band, welcher 31 skizzenartige Darlegungen vereint. Um Deutschland geht es. Um Geschichte und Gegenwart, Bewertungen, Perspektiven, Politik, Anthropologisches und Philosophisches. Es sind, je nach Standpunkt, Provokationen oder wohltuende, sachlich-argumentativ unterfütterte Ansichten. Der Titel „Finis Germania“, welcher den Lateiner zunächst stutzen lässt, ist bewusst gewählt. Die vor Jahren verfassten, aber nichtsdestotrotz für die Gegenwart aktuellen Texte enthalten viele Thesen, geeignet als Ansatzpunkte für fundierte Ausarbeitungen. Liberale Demokratie und technische Moderne sind, wenn auch durch Wissenschaft und Politik anders postuliert, für Sieferle nicht zwingend miteinander verbunden. Er weist darauf hin, dass es gerade in einer modernen Welt zum Holocaust gekommen ist – eine Tatsache, die dem Glauben an einen positiven Fortschritt per se oder gar an eine „irreversible Entwick-lung der Moral“ stark den Wind aus den Segeln nimmt.
Auch der vielfach in der Geschichtsschreibung aufgenommene Terminus vom „deutschen Sonderweg“, der mit dieser Problematik eng verknüpft ist, lasse sich allein mit dem Hinweis darauf relativieren, dass er die Annahme eines „Normalweges“ voraussetze. Dieser wiederum sei abhängig vom Definierenden und damit ebenso hypothetisch wie an Zeit und persönlichen Standort gebunden.
Für Sieferle ist Verantwortung individuell zu betrachten. Schuldkategorien seien eine Frage des Strafrechts, nicht der Geschichte. Gegen Kulturlosigkeit der gegenwärtigen politischen Klasse zieht er zu Felde und konstatiert, historisch und parteiübergreifend, einen deutschen Hang zum „Sozialdemokratismus“. Der den Menschen verändernde Verlust der Kulturlandschaft, welche weit mehr als eine geografische Kategorie sei, wird angeprangert. Sieferle glaubt, dass der öffentliche Umgang mit dem durch den Terminus „Vergangenheitsbewältigung“ charakterisierten Komplex dem vorgegebenen Anliegen alles andere als dienlich sei. Konformitätsdruck, erkenntnislähmender Moralismus sowie der dogmatisch-doktrinäre und erstaunlich widersprüchliche „Antifaschismus“ stehen seiner Meinung nach einem wirklich freien Diskurs unverrück-bar im Wege.
Bezüglich der Zukunft der von ihm analysierten und geschätzten Werteordnung war Sieferle tief pessimistisch. In einem Jüngerschen „Waldgang“, einer inneren Emigration, sah er keine Lösung für sich. Dem weiteren ohnmächtigen Verfolgen der seiner Meinung nach verhängnisvollen Wege der deutschen Gegenwart hat er das vorzeitige Ende seiner physischen Existenz vorgezogen.
E. Lommatzsch
Rolf Peter Sieferle: „Finis Germania“, Verlag Antaios, Schnellroda 2017, gebunden, 104 Seiten, 8,50 Euro
17:51 Publié dans Actualité, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, allemagne, europe, affaires européennes, livre, question allemande, rolf peter sieferle | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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Akif Pirinçci bleibt sich treu: In seiner neuen Essaysammlung »Der Übergang« widmet sich der Autor verschiedenen Facetten des gewaltigen Transformationsprozesses, in dem sich unser Land seit Jahren befindet, und legt die verborgenen Grundlagen frei – den Archetyp des Spießers, die deutsche Lust an der (politischen) Sauberkeit und andere.
In ihrem 20. Empfehlungsvideo bespricht Sezession-Literaturredakteurin Ellen Kositza den neuen Pirinçci. Es ist kein Buch, das einfache Lösungen verspricht – es ist eine Anatomie der Lage, die absehbar war und in die wir wie die Schafe hineingetrottet sind.
09:55 Publié dans Actualité, Littérature, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : akif pirinçci, livre, littérature, allemagne, littérature allemande, lettres, lettres allemandes | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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19:46 Publié dans Livre, Livre, Philosophie, Révolution conservatrice | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, leopold ziegler, révolution conservatrice, allemagne, philosophie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Disperser le brouillard
Damien Le Guay publie un essai courageux. Pour ceux qui savent peser leurs mots, celui-ci est important dans une époque de lynchage et de dictature morale du clergé bien-pensant. Pour Le Guay, il y a une guerre civile culturelle déjà à l’œuvre en France, prodrome d’une militarisation du conflit dont les territoires perdus et les attaques terroristes témoignent. Peut-on parler d’une guerre civile dans un pays désarmé ? Le Guay utilise la belle expression de « fatigues civilisationnelles » pour nommer la léthargie des peuples européens qui, pendant des siècles, avaient diffusé leur vitalité à travers le vaste monde. Il réalise un solide travail de diagnosticien. Pour susciter une réaction du malade ? Irresponsabilité de l’antiracisme officiel, qui a fourni aux racailles de glorieux motifs à leur haine de « l’oppresseur blanc », magouilles et trahisons d’une « élite endogamique » qui ne comprendra jamais l’infernal quotidien de Mme Michu dans son HLM de la France périphérique, mensonges d’un multiculturalisme qui portait en lui les germes d’une société multiconflictuelle, piège de la prétendue « islamophobie », mythe d’une Europe post-nationale qui brise les peuples et laisse les portes grandes ouvertes. Peu craintif du terrorisme intellectuel, Le Guay invite à considérer « le ressentiment des Français à l’égard des musulmans (…) plutôt que de s’en inquiéter ».
Quand nos pseudo-élites avouent du bout des lèvres une sécession sociale, économique et culturelle, l’auteur prouve que le conflit est beaucoup plus profond : politique, anthropologique et religieux. Il ne tient pas à quelques points de PIB ou de pouvoir d’achat, mais aux raisons qui font que l’on accepte de vivre… et de mourir. Une telle fracture ne se résout pas grâce à une idéologie bisounours, et c’est un traitement de cheval qu’il faut imposer à ceux qui ont choisi de vivre en étrangers sur le territoire français. Damien Le Guay n’hésite pas sur ce point.
« La vérité, toute la vérité »
Alors, certes, la vision du philosophe est encore fortement teintée de républicanisme. L’intégration lui semble encore possible, au prix d’un violent coup de collier. « Une réunification des territoires, des cœurs et des Français » est espérée. Ce serait un euphémisme de dire que ce n’est pas l’issue qui nous semble la plus probable. En conservateur mesuré, Le Guay se montre défenseur du peuple demos plutôt que du peuple ethnos. Mais l’essayiste ne tombe jamais dans la moraline tarte à la crème. Si son cœur bat pour Fillon – sans passion délirante, d’ailleurs – il ne jette jamais la pierre aux sympathisants de Marine Le Pen, ne les rabaisse pas et explique avec beaucoup d’honnêteté que leurs inquiétudes sont à la fois généreuses et justifiées. Généreuses, car fondées sur la volonté de protéger les leurs (immigration et insécurité) avant même de penser à eux (motifs économiques). Justifiées, car ils ne font que dire la vérité difficile qu’ils voient – ce à quoi se refusent toutes nos pseudo-élites tarées – selon la belle formule de Péguy : « La vérité, toute la vérité, (…) la vérité bête, (…) la vérité ennuyeuse, la vérité triste. »
Le Guay n’est pas un philosophe en pantoufles, et il ose tendre l’oreille aux cris du populiste que marginalise la classe politico-médiatique. Avec beaucoup de hauteur, il participe à « bien nommer les choses », pour renverser la formule de Camus. Il nous livre un essai apte à ouvrir les yeux des « inclus », qui complète très bien Le Multiculturalisme comme religion politique publié il y a quelques mois par Mathieu Bock-Côté. Bock-Côté, Finkielkraut, Brague, Guilluy, Taguieff et leurs grands aînés : Arendt, Weil, Bernanos et le cher Péguy, voici les références qui nourrissent la réflexion de Damien Le Guay, auteurs nourrissants qui peuvent nous aider à comprendre le temps qui vient.
17:26 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : guerre civile, livre, france, europe, affaires européennes, politique internationale, actualité | | del.icio.us | | Digg | Facebook
« Difficile d'opérer une conversion plus absolue que celle des djihadistes, d'adopter un critère du vrai, du bien, du juste ou du souhaitable plus opposé au nôtre » écrit François-Bernard Huyghe en introduction de son livre.
Cette opposition évidente entre le monde moderne et ces combattants de l'Etat islamique conduit l'auteur à analyse en profondeur leurs motivations et celles de ceux qui les rejoignent.
Il s'attaque par exemple à la frilosité occidentale quant à la désignation de l'ennemi :
« La question de sa désignation devrait être réglée depuis longtemps. Or le nom de l'ennemi nous pose plutôt problème à nous, ses adversaires (...). Entre les stratégies d'évitement [ne pas stigmatiser, ne pas amalgamer, pas de vocables évoquant des principes généraux ou des « valeurs »] et les stratégies de l'affirmation [il faut avoir le courage de désigner l'ennemi islamiste violent], nos politiques révèlent leurs contradictions. »
Plus loin il adresse une nouvelle pique aux Occidentaux incapables de prendre la mesure des ressorts de l'Etat islamique :
« [Employer] des termes comme “nihilisme” [sonne] creux ; les djihadistes ne sont nullement animés par le refus de toutes valeurs ; ils sont dans l'obsession d'une seule valeur. (...) Nier cette positivité, l'inverser en haine absurde, c'est se donner bonne conscience à bon compte. (...) En niant qu'ils puissent agir au nom de valeurs religieuses, nous les considérons comme irrationnels, et refusons de comprendre leur logique de légitimité. Moraliser [ils veulent le mal] ou psychiatriser [ils sont fous] sont de bien pauvres consolations contre ce qui nous nie. Le nom que nous leur donnons en révèle plus sur nos fantasmes que sur les leurs. »
Dans cet ouvrage, François-Bernard Huyghe s'attache donc à analyser sans faux-semblant ce qui anime les soldats du califat islamique. Cette démarche saine et essentielle permet à ce livre d'être une mine d'or d'informations et d'analyses pertinentes.
Pour François-Bernard Huyghe, l'Etat islamique est passé maître dans l'art de la communication. Il écrit même (p. 68) : « Daech, c'est une machine à tuer plus un appareil à communiquer. »
La plus visible des communications, c'est la mise en scène de sa violence.
« Au-delà du sang, il y a le sens » écrit François-Bernard Huyghe (p. 56). Selon lui, la violence des exécutions d'infidèles a une importance capitale dans la propagande de l'Etat islamique, à la fois pour ses partisans ou supporteurs, fascinés et attirés par la violence des actes, mais aussi pour l'adversaire qui, face à la brutalité des djihadistes, peut être démoralisé ou prendre peur.
L'Etat islamique se sert d'Internet comme d'une caisse de résonnance incroyable. Ce ne sont pas les premiers, nous rappelle François-Bernard Huyghe en citant notamment l'expertise d'al-Qaïda et de ben Laden.
« La propagande d'Etat du califat est centralisée » assure François-Bernard Huyghe. Un ministère, des agences et des contrôles de production sérieux aboutissent à des réalisations extrêmement professionnelles.
« Il faut que nous reconnaissions la sophistication de leurs moyens et leur professionnalisme » écrit même l'auteur. Dans ce livre, il n'hésite pas à pointer du doigt le véritable souci de l'esthétisme dans les vidéos produites par le califat.
De la part d'un professeur au CELSA, prestigieuse école de communication française, ce ne sont évidemment pas des paroles en l'air...
Outre les images de violence destinées à impressionner et effrayer, François-Bernard Huyghe relève que la propagande de Daech concerne également les bienfaits de l'administration islamique sur les territoires qu'elle contrôle. Des images de familles heureuses ou de marchés bien approvisionnés sont ainsi très nombreuses.
François-Bernard Huyghe s'attache aussi à étudier de près la publication de magazines professionnels comme Dabiq, réservé aux anglophones, paru pour la première fois en avril 2014, ou Dar al-Islam, dédié aux francophones. Des analyses poussées fascinantes qui permettent au lecteur de prendre la mesure du professionnalisme de certains membres de l'Etat islamique.
Dans cet ouvrage très bien documenté de François-Bernard Huyghe, on apprend également que l'Etat islamique incite fortement ceux qui s'y intéressent à sécuriser leur connexion Internet. Tout d'abord en utilisant un ordinateur volé qui ne puisse pas être relié à soi, puis en se connectant à Internet uniquement via des réseaux publics (type McDonald's) et en installant des outils de cryptage des connexions.
Selon l'auteur, les suiveurs de l'Etat islamique sont également passés maîtres dans l'art de diffuser des messages de tout type (propagande, revendication, etc.) de manière virale grâce aux réseaux sociaux.
Selon François-Bernard Huyghe, les pays occidentaux n'ont tout simplement pas pris la mesure de la solidité doctrinale des meneurs de l'Etat islamique. Outre les justifications islamiques apportées après chacun de leurs attentats, les tirades sur des actions n'ayant « rien à voir avec l'islam » ferait tout simplement rire les membres de l'Etat islamique et leurs suiveurs !
Pire : à la campagne anti-djihad du gouvernement français intitulée « Toujours le choix », l'Etat islamique a répondu ironiquement par une campagne « Pas le choix », rappelant à l'aide d'éléments doctrinaux solides qu'un sunnite se devait de rejoindre l'Etat islamique.
François-Bernard Huyghe ne se contente pas d'analyser brillamment les ressorts communicationnels de l'Etat islamique. Il adresse également un avertissement sérieux à ceux qui sous-estiment l'intelligence ou la détermination des meneurs de Daech.
Face à un groupe terroriste aussi ingénieux et professionnel, la guerre pourrait durer encore longtemps, même après la victoire militaire occidentale...
Nicolas Faure
10:32 Publié dans Actualité, Islam, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, islam, fondamentalisme islamiste, terrorisme, daech, isis, isil, eiil, françois-bernard huyghe, livre | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Le problème est que le politicien «modéré», figure politique dominante de l’Europe occidentale contemporaine, refuse par idéalisme les évidences ci-dessus, se mettant ainsi dans l’incapacité de défendre la communauté dont il a la charge. C’est de ce grave problème que traite un récent ouvrage collectif (1). Laissant de côté l’aspect religieux du problème, également traité dans l’ouvrage, nous allons nous concentrer ici sur l’aspect politique, à l’aide d’un florilège de citations extraites de quelques-unes des contributions contenues dans cet ouvrage.
Le modérantisme
Le «modérantisme» a-t-il un rapport avec la «mesure», cette vertu que les Grecs opposaient à l’hybris? S’agit-il d’un synonyme un peu précieux de «modération»? Que nenni! Le modérantisme est une contrefaçon de la véritable modération, comme l’affirme avec force Abel Bonnard dans son fameux ouvrage Les Modérés, paru en 1936:
Bien loin de consister, comme les modérés finiraient par le faire croire, dans l’hésitation de l’esprit qui reste à la surface de toutes les idées et dans la timidité du caractère qui reste au bord de tous les actes, la modération véritable est l’attribut de la puissance: on doit reconnaître en elle la plus haute vertu de la politique. Elle marque l’instant solennel où la force acquiert des scrupules et se tempère elle-même selon l’idée qu’elle se fait de l’ensemble où elle intervient. (2)
Quelque trois quarts de siècle plus tard, Claude Polin exprime la même idée:
Comme il y a loin de la mesure à cette pusillanimité systématique qu’on peut appeler le modérantisme! (3)
Claude Polin montre aussi que le modérantisme n’est pas neutre:
Le modéré sera dans toutes les époques du côté du manche, ce qui fait que son centre a la propriété, curieuse d’un point de vue géométrique, d’être toujours au-delà ou en deçà de sa position proprement médiane. Un bon modéré est toujours un peu moins qu’au centre. Dans le monde politique moderne, qui va de plus en plus décidément vers ce qu’il est convenu d’appeler la gauche, les modérés seront à gauche, massivement et par conséquent de manière déterminante, mais en traînant les pieds. Ils seront la droite de la gauche, et non la gauche de la droite, nuance décisive! […] Le modéré est comme une girouette qui tournerait avec le vent, mais qui chercherait à lui résister: en somme une girouette rouillée. (4)
Le refus de l’ennemi
La place que doit – ou devrait – occuper l’ennemi dans la réflexion des hommes politiques est examinée par Jeronimo Molina Cano:
La finalité du politique n’est pas en soi la désignation de l’ennemi, mais le discernement du bien que toute communauté doit protéger, face à l’ennemi évidemment, mais aussi face aux ravages du temps et de la mauvaise fortune. (5)
Cependant, si la désignation de l’ennemi n’est pas le but de l’action politique, lequel consiste dans la réalisation du bien commun, elle est la condition indispensable d’une action politique réaliste:
La reconnaissance de l’ennemi politique, réel ou potentiel, et par là même la qualification comme hostile, de manière déclarée ou cachée, d’une communauté étrangère, est l’essence de toute pensée politique réaliste. «Malheur à celui qui ne sait pas qui est son ennemi!»: cette phrase n’est pas seulement un lieu commun mais aussi la plus amère des prophéties politiques. (6)
Une formule remarquable d’Abel Bonnard résume bien la contradiction dans laquelle se trouvent les politiciens «modérés» et le danger mortel qu’ils représentent pour les communautés dont ils ont la charge:
Il n’est pas de mesures auxquelles les modérés ne soient prêts à consentir, pourvu qu’ils restent au poste où ils devraient les empêcher. (7)
Exemple parfait de trahison de la communauté par un modéré: le largage de l’Algérie par De Gaulle, alors que celui-ci avait été porté au pouvoir pour maintenir l’Algérie française.
D’où vient ce pacifisme, cette «culture du refus de l’ennemi» aujourd’hui dominante en Europe occidentale? Ecoutons à nouveau Jeronimo Molina Cano:
Les raisons de l’occultation de l’inimitié, et de la réticence à accepter la possibilité qu’une communauté étrangère fasse sienne l’idée d’hostilité, sont multiples. Toutes convergent cependant vers la perte du sens de la réalité politique. […] La disparition de l’ennemi dans le discours politique, ou sa dissimulation, constitue l’un des aspects les plus caractéristiques du second après-guerre. (8)
Il est certain qu’une des causes du développement de la mentalité pacifiste réside dans le traumatisme de la Deuxième Guerre mondiale. Comme autres causes, il faut mentionner, en amont, l’idéologie des droits de l’homme et, en aval, la chute du Mur de Berlin. Quoi qu’il en soit, le pacifisme poussé jusqu’à la négation de l’existence de l’ennemi est totalement irrationnel, comme le montre Teodoro Klitsche de La Grange:
Le problème de l’inexistence de l’ennemi est à mon sens un problème absurde, parce que l’ennemi n’a pas besoin de permission de qui que ce soit pour exister. […] Le pacifisme, quand il est conséquent, a une certaine rationalité; on peut préférer la servitude à la liberté, c’est une décision possible. Mais la négation de l’ennemi n’a rien de rationnel. (9)
Dans l’article conclusif de l’ouvrage, Bernard Dumont met le doigt sur un fait capital:
L’existence de l’ennemi […] est implicite mais très effective au sein même de la partitocratie. (10)
La démocratie ne fait pas disparaître l’hostilité, elle la transfère seulement de l’ennemi extérieur vers l’ennemi intérieur, l’adversaire politique. On l’a bien vu lors des dernières élections fédérales: pour les «modérés» démocrates-chrétiens, l’ennemi public numéro un n’est ni l’Union européenne qui cherche à nous écraser à défaut de pouvoir nous avaler, ni l’immigration de masse, mais bien plutôt le seul de nos gouvernants à avoir osé désigner ces menaces réelles pour le pays.
Le modérantisme, c’est la mort.
NOTES:
1) La culture du refus de l’ennemi: modérantisme et religion au seuil du XXIe siècle, Presses universitaires de Limoges, 2007, 150 pages. Cet ouvrage est en stock à la librairie La Proue, sise aux Escaliers du Marché 17, à Lausanne. Sauf indication contraire, les numéros de page ci-dessous renvoient à cet ouvrage.
2) Abel Bonnard, Les Modérés, cité par Philippe Baillet, «Modération, modérantisme, pseudo-conservatisme: Les Modérés d’Abel Bonnard», p. 44.
3) Claude Polin, «Modération et tempérance: continuité ou antinomie?», p. 23.
4) Id., p. 28. Ces propos de Claude Polin sur les modérés rejoignent ceux de Jean-François Cavin sur les centristes: «Inconsciemment peut-être, le centre est à gauche» (Jean- François Cavin, «Du centre», Contrepoisons no 6, Cahiers de la Renaissance vaudoise, Lausanne, 2006, p. 149).
5) Jeronimo Molina Cano, «Le refus d’admettre la possibilité de l’ennemi», p. 77.
6) Id., p. 73.
7) Abel Bonnard, Les Modérés, cité par Philippe Baillet, art.cit, p. 47.
8) Jeronimo Molina Cano, art.cit., p. 79.
9) Teodoro Klitsche de La Grange, «Refus du conflit et idéalisme de la paix», p. 87.
10) Bernard Dumont, «La politique contemporaine entre grands principes et lâchetés», p. 142.
14:33 Publié dans Livre, Livre, Philosophie, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, théorie politique, philosophie, philosophie politique, modérantisme, ennemi, sciences politiques, politologie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Ont contribué à ce volume : S.-J. Arrien, S. Camilleri, C. Ciocan, R. D. Coyne, B. D. Crowe, A. Dewalque, I. Schmidt, Chr. Sommer, R. Vigliotti, D. Zahavi
09:35 Publié dans Livre, Livre, Philosophie, Révolution conservatrice | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, martin heidegger, philosophie, révolution conservatrice, allemagne | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Entre 1919 et 1923, Heidegger caresse le vœu de faire « exploser l’ensemble du système traditionnel des catégories ». Ce sont les travaux de cette période qu’il s’agira ici de sonder pour en dégager l’originalité et l’intérêt philosophiques propres, sans nécessairement les considérer sous l’éclairage rétrospectif du projet ontologique d’Être et Temps (1927). Le jeune philosophe soupçonne les concepts philosophiques traditionnels de masquer le mouvement de la vie et d’éteindre l’inquiétude native de la pensée. Il exige donc que les questions fondamentales de la philosophie soient désormais interprétées à partir de la concrétude de la vie. C’est ce qu’on a appelé rétrospectivement son « herméneutique de la facticité ». La « vie » devient dès lors le leitmotiv de la pensée du jeune Heidegger, pointant vers une sphère originaire, celle de l’expérience facticielle, d’où le philosopher trouve sa provenance, dont il doit rendre compte et où il revient toujours. Ainsi, que Heidegger soumette à son herméneutique critique (ou « destruction ») les thèses de Lask, Rickert, Natorp, Dilthey, Husserl, Paul, Augustin, Luther ou celles d’Aristote, la sauvegarde de la mobilité inquiète de la vie et de la pensée fait fonction de véritable critère d’originarité au sein de cette première charge du philosophe contre la conceptualité métaphysique.
Introduction
Chapitre 1 – L’idée de la philosophie
La philosophie comme problème
L’insuffisance de l’épistémologie
Le lieu de l’origine
Chapitre 2 – Du vécu à la vie
La question du vécu
Le primat du théorique en question
La science des vécus de conscience chez Natorp et Husserl
L’avancée méthodologique de Heidegger
Chapitre 3 – Penser la vie
Éléments pour une « philosophie de la vie »
La vie comme archiphénomène
Vers une phénoménologie herméneutique de la vie facticielle
Chapitre 4 – Chemins de la destruction
Repères méthodologiques
Destruction du concept de vie
Destruction du concept d’histoire
Destruction du concept de vécu : constitution et cohésion
Chapitre 5 – La destruction de l’expérience facticielle de la vie
Vie et philosophie
Expérience facticielle de la vie chrétienne primitive. L’interprétation heideggerienne de Paul
Heidegger et Augustin : le soi en question
Aristote : de la vie à l’être
L’athéisme de la philosophie
Bibliographie
Index
Sophie-Jan Arrien est docteur de l’université Paris Sorbonne et professeur à l’université Laval (Québec).
09:27 Publié dans Livre, Livre, Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : martin heidegger, livre, philosophie, révolution conservatrice, wilhelm dilthey | | del.icio.us | | Digg | Facebook
par Alexis Martinot
Ex: http://www.zone-critique.com
Délivré du catholicisme, Michel s’affirme et développe une philosophie nietzschéenne radicale et antichrétienne, tout en restant proche de ses deux amis. L’heure de la séparation entre Régis et Anne-Marie approche et cette décision se révèle absurde pour elle. Régis devient de plus en plus dogmatique et reste ferme à l’égard de son engagement. Anne-Marie découvre qu’elle n’est pas prête pour cette séparation, que cette dernière ne peut venir de la volonté de Dieu, qu’elle va à l’encontre du bon sens amoureux. Influencée par Michel, elle perd sa foi. Elle finit par s’offrir à lui, mais la nostalgie de Régis et de Dieu la rattrape : elle se révèle incapable de trouver sa place dans ce monde désenchanté. Le christianisme est une « drogue » dit-elle : « j’en ai pris une trop forte dose, je ne m’en remettrai jamais. »
Le crépuscule de Dieu
Sacrifiant son amour et sa plus grande amitié, Régis s’enferme orgueilleusement dans le dogme catholique. Anne-Marie, orpheline de sa foi, sombre dans la débauche et l’avilissement. D’abord mystique, l’évolution de ce personnage révèle l’écart problématique entre une foi sincère et l’organisation de la religion sur terre. Michel trouve la seule issue possible dans le salut par l’art, la création de la grande œuvre. Il symbolise l’individualisme dans ce qu’il a de plus noble, c’est-à-dire la connaissance et le développement de soi. Mais cette réponse élitiste ne s’applique qu’à ceux de « la grande race » dans laquelle il se reconnaît. Le reste des hommes est condamné au désespoir ou à l’aveuglement, en tout cas ce roman annonce la difficulté pour l’homme de notre temps de donner un sens à son existence. Le destin de ces trois personnages illustre le désenchantement du monde et l’impossibilité de croire en Dieu à une époque charnière où il n’était pas tout à fait mort. Si Michel ne nie pas le désir de Dieu de chaque être humain, il constate que les religions ont brouillé le chemin entre l’homme et Dieu en organisant la spiritualité par des dogmes nihilistes, dans le sens où ils nient la nature humaine : « Les hommes ont détruit le sacré, ce pont qui rapproche les hommes au sein du monde. »
Le destin de ces trois personnages illustre le désenchantement du monde et l’impossibilité de croire en Dieu à une époque charnière où il n’était pas tout à fait mort.
La passionnante bataille philosophique qui oppose Michel à Régis, c’est celle de Nietzsche contre les derniers spasmes du catholicisme français. Mais le roman se garde de n’être qu’un vulgaire roman à thèse. Même s’il a été conçu comme « une machine de guerre contre le christianisme », il n’en ressort aucune vérité universelle : les deux idéologies sont le reflet et la continuité logique de la nature des personnages. Régis a ressenti l’appel de Dieu, il peut ainsi s’offrir tout entier, les yeux fermés, au dogme chrétien. Pessimiste, en quête de réponses et vierge de tout appel divin, Michel se plonge dans la littérature chrétienne, il en dégage les incohérences et les failles intellectuelles : son esprit critique l’empêche d’embrasser la foi. Néanmoins, Rebatet reste sans pitié avec le christianisme : il en donne une image effroyable, ignoble car incompatible avec la nature humaine et la beauté artistique. La laideur des églises, la perversité des prêtres et l’orgueil de Régis laissent le sentiment que seule une révolution nietzschéenne des valeurs permettra de vivre dignement dans ce monde désenchanté.
La voix d’un immense écrivain
Les grands écrivains sont sans doute ceux qui ressemblent le moins à des hommes de lettres : ce sont les inclassables, les ovnis qui semblent survoler la littérature. Rebatet est assurément un des leurs. Son œuvre se déploie sur trois domaines : la littérature avec Les Deux Étendards et Les Épis Murs, la politique avec son violent pamphlet antidémocratique et antisémite Les Décombres, et la critique d’art, avec sa prodigieuse Histoire de la musique et ses quelques 8 000 articles culturels publiés de son vivant, traitant de cinéma, de peinture, de littérature et de musique. Cette immense et éclectique culture transparaît dans le style splendide des Deux Étendards : il y a du cinéma dans les dialogues, dans les subtiles raccords entre les scènes, de la peinture dans les fines descriptions de Lyon, de Paris, ou simplement dans le portrait d’une jeune fille, il y a aussi de la musique dans la construction narrative de l’histoire, en témoignent les titres de certains chapitres (« Ouverture provinciale » ou « Staccato »). La critique a souvent rapproché ce roman des opéras de Wagner, auxquels assistent d’ailleurs les personnages des Deux Étendards. Les correspondances sont effectivement nombreuses : on pense à Lohengrin devant l’impossibilité d’Anne-Marie de communiquer avec Dieu, à Tristan aussi, avec le thème de l’amour impossible. Si l’on sent dans certains passages les influences de Stendhal, Balzac et Proust, Rebatet s’est aussi et surtout inspiré des peintres, des musiciens et des cinéastes qu’il vénérait.
Ce roman a été écrit en grande partie en prison, alors que son auteur, au fond d’une sale et sordide cage, redoutait chaque matin son exécution.
Son tour de force est d’avoir su maintenir une extraordinaire verve tout au long du roman, en variant les tons, les motifs et les couleurs : en alternant la narration, avec un narrateur interne ou externe, des monologues intérieurs, des extraits de carnet intime, des lettres, on passe aisément d’une violente critique antibourgeoise à une description psychologique pleine de finesse ou à des passages d’un érotisme inoubliable, le tout en disséquant à l’extrême les grands sentiments humains : l’amour, l’amitié, la spiritualité, l’émotion esthétique. Heureusement pour nous lecteurs, ce roman a été écrit en grande partie en prison, alors que son auteur, au fond d’une sale et sordide cage, redoutait chaque matin son exécution. Les condamnés à mort jouissaient du curieux privilège d’avoir une lampe allumée dans leur cellule nuit et jour, Rebatet en profitait pour écrire sans relâche. C’est sans doute cette condition qui a donné au roman toute sa puissance, car c’est tout un monde vivant, profond et torrentiel que l’on quitte lorsque l’on referme ce livre.
Alexis Martinot.
14:12 Publié dans Littérature, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lucien rebatet, littérature, lettres, lettres françaises, littérature française, livre | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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Ex: http://destimed.fr
Dans La France atlantiste ou le naufrage de la diplomatie (Éditions du Cerf), Hadrien Desuin part d’un constat fort et simple : la vassalisation de la France dans le monde. Il en tire une conclusion tout aussi limpide et lourde : à l’heure de la mondialisation, la hiérarchisation classique qui donne la priorité à la politique intérieure sur la politique étrangère ne fonctionne plus. Dans un monde « ouvert », il convient d’abord de manifester sa cohérence et sa force à l’étranger. Or, l’Hexagone ne s’en montre plus capable.
Notre voix à la surface de la planète se résume à trois mots : morale, compassion et communication. Adieu à la realpolitik. Desuin parle avec une grande clarté et justesse : « Aujourd’hui, la nouvelle religion universelle des droits de l’Homme voudrait en finir avec la distinction entre conviction éthique et action diplomatique. Pour les chantres de la mondialisation heureuse, la fragmentation des nations est néfaste sans qu’ils ne réalisent combien le meilleur des mondes qu’ils projettent laisse place à une fragmentation communautaire bien plus violente. De surcroît, la globalisation ressort propice à une sorte de naïveté humanitaire où chaque crise internationale apparaît réductible un fait divers collectif ».
Sur un jeu d’échec global réapparaissant dans sa nature forcément tragique, la France a perdu la boussole dans le grand chaos planétaire. Quant à l’Europe, elle ne trouve pas sa place dans la grille internationale de la puissance. Notre pays s’égare dans un atlantisme paresseux qui lui évite le trouble d’élaborer dans la douleur un position constructive et originale dans le concert des nations, dont elle a pourtant eu le secret durant la parenthèse gaullienne.
Parallèlement, elle s’engouffre trop volontiers dans la promotion d’un droit d’ingérence caricatural qui fabrique davantage de problèmes qu’il n’en résout. « Le concept de « guerre humanitaire » […], écrit l’auteur, forme une synthèse hybride entre le courant doctrinaire atlantiste et belliciste d’une part et la mouvance associative des droits de l’homme d’autre part. Il relève du glissement des idéaux du pacifisme humaniste militant vers la notion de responsabilité militaire protectrice. L’ingérence marque la tentative de légitimer par le droit international n’importe quelle guerre au nom de principes supérieurs, indéniablement nobles mais aux conséquences incalculables et aux effets souvent désastreux ».
Hadrien Desuin décrit ensuite quelques lieux où s’élabore cet atlantisme droit-de-l’hommiste, compagnon du néoconservatisme, notamment la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS), créée en 1993. Le résultat aujourd’hui ? Une politique étrangère réduite au suivisme vis-à-vis des Américains, et une propension à substituer le respect craintif du politiquement correct à l’analyse géopolitique lucide. Ce premier problème se double d’un second : la dénonciation permanente de l’identité nationale qui conduit à un « messianisme humanitaire à la française ». Ce dernier s’enracine dans une conception « hors-sol, déracinée et abstraite de l’identité. Inversement, le messianisme à l’américaine repose sur la certitude que les Etats-Unis ont une mission évangélisatrice et que l’humanité doit suivre la patrie américaine ».
L’ensemble de cette logique a fini par aboutir à la réintégration par la France du commandement militaire de l’OTAN. Quant à l’Europe de la défense, elle demeure une politique assez théorique… Les Européens, français compris, apparaissent toujours peu ou prou à la remorque de Washington. Notons d’ailleurs que la Maison Blanche sait s’affranchir des règles de la morale droit-de-l’hommiste quand les intérêts de la bannière étoilée l’exigent. En témoigne le cas de l’Iran : plus question d’Axe du Mal ou d’exportation du modèle démocratique. Face aux ambitions russes et chinoises, il est devenu essentiel de régler la question iranienne. Il en découle naturellement une politique de défense peu enthousiasmante depuis vingt ans (malgré les efforts et les incontestables réussites de personnalités particulières, comme Jean-Yves Le Drian). Notons enfin que l’auteur met en lumière les incohérences de la politique française au Moyen-Orient et vis-à-vis de la Russie.
Au final, Hadrien Desuin démontre avec talent et précision que la France ne décide plus en toute indépendance sur la scène internationale mais en fonction d’intérêts politiciens et au nom de l’utopie d’une démocratie universelle qui produit des désastres en série. Retrouver la singularité de la voix de la France impose de sortir de cette impasse. Un ouvrage stimulant à lire attentivement !
Eric DELBECQUE Président de l’ACSE et membre du Comité Les Orwelliens (ex-Comité Orwell). Il vient de publier : Le Bluff sécuritaire |
01:05 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, livre, europe, affaires européennes, atlantisme, géopolitique, politique internationale, diplomatie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Pierre Le Vigan*,
urbaniste, essayiste
Ex: http://metamag.fr
Jean-Claude Michéa a souvent dit lui-même qu’il écrivait toujours le même livre. C’est exact. Et pourtant, aucun de ses livres ne laisse indifférent. Car Michéa creuse et renouvelle toujours le sillon qu’il a lui-même ouvert. S’il n’y a pas de thèses nouvelles dans Notre ennemi le capital, on ne cesse de voir des points de vue neufs qu’ouvre la critique des illusions du progrès que produit l’auteur depuis plus de 15 ans. La gauche, en tant qu’elle est devenue essentiellement progressiste, est devenue le contraire du socialisme : telle est la thèse de Michéa.
Ce socialisme, on a reproché à Michéa de ne pas le définir, ou de le réduire à la décence du peuple, la décence commune des gens ordinaires. Cette décence est bien évidemment nécessaire, pour autant, elle n’a jamais été considérée par l’auteur comme ouvrant par elle seule au socialisme. Celui-ci, Michéa le définit, comme Proudhon, et comme le dernier Marx (qui rejoignait le premier Marx dans son a-scientisme), comme une autre organisation du pouvoir : de bas en haut, et de la circonférence au centre. C’est le fédéralisme, ou encore le communalisme libertaire. Il veut du commun et du public autant que possible, mais de l’État pas plus que nécessaire. Il donne au bien commun toute sa place, à l’intérêt privé rien que sa place. C’est un anarchisme qui recherche un ordre, sinon sans État, du moins avec un État le moins envahissant possible. C’est le contraire de l’ordre actuel, où l’État met ses moyens au service de plus en plus de marchandisation forcée de la société.
Jean-Claude Michéa éclaire toutes les raisons de se prononcer pour l’économie au sens d’Aristote (le soin de la maison, y compris les grandes maisons que sont les peuples) contre la chrématistique, contre le progrès mais pour des progrès, contre l’idéologie No border mais pour le local « moins les murs » (c’est-à-dire l’universel selon Miguel Torga), contre le revenu universel (p. 293) entérinant l’éviction des classes populaires, qui cesseraient de chômer pour être définitivement assistées, contre la double tyrannie du droit et du marché, qui s’alimentent l’un l’autre.
Ainsi, Michéa défend à la fois le socialisme et la cause du peuple, un peuple actuellement renvoyé, territorialement, symboliquement et idéologiquement, dans les périphéries (bien étudiées par Christophe Guilluy) d’un pouvoir auquel correspond bien l’expression de « capitalisme cool » (Thomas Frank, The conquest of cool) ou encore de tyrannie souriante. Si le capitalisme est avant tout « l’histoire d’une révolution permanente » (Joyce Appleby), et ce d’abord dans le domaine culturel, Michéa plaide pour le droit, qui est celui du peuple, à des permanences, à des sécurités. C’est ce qui fait taxer Michéa de « conservateur ». Ce n’est pas si faux. Sauf que, pour conserver ce qui mérite de l’être, il faut aujourd’hui être révolutionnaire. Donc s’inscrire dans tout autre chose que le bougisme actuel.
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par Auran Derien, universitaire
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Il y a toujours eu une dimension économique dans les conflits. Cet ouvrage s’efforce de prouver ce point et y parvient à la perfection.
Les intérêts s’affrontent, d’où l’on déduit naturellement un aspect polémologique dans les contacts économiques. L’auteur a décidé de balayer les siècles pour nous sortir de l’obscurantisme dans lequel veulent nous maintenir les professionnels de la justification mensongère : soit il n’y aurait pas de guerre économique car le commerce est pacifique (niaiserie énoncée par Montesquieu) ; soit le thème de la guerre économique servirait à détruire les classes moyennes et les conditions des travailleurs. Pourtant, la guerre pour les ressources a véritablement une longue histoire.
Dès les temps préhistoriques, le parasitisme prit son envol. Si certains groupes se comportent comme des fourmis, accumulent des provisions pour traverser la ténèbre hivernale, d’autres les attaquent pour voler les réserves ou simplement prendre leur place là où les conditions de survie paraissent plus favorables, comme par exemple près des sources.
Tant que la fonction politique s’exerce sous la forme de fédérations, d’empires instables, de tributs, les marchands prennent souvent l’initiative de démarrer des conflits. Les foires commerciales du Moyen Âge furent l’occasion de regroupements entre trafiquants afin de promouvoir la guerre militaire, le blocus contre d’autres foires ou d’autres centres de pouvoir. Ces associations de trafiquants se payent des mercenaires, développent des politiques d’influence auprès de princes auxquels elles peuvent fournir des produits car elles détiennent le monopole du commerce. Le cas de la Hanse, au XIVème siècle, illustre cet usage de la force par les marchands.
A partir de la Renaissance, lentement, l’État prend son envol et intervient pour s’emparer des ressources découvertes dans les nouveaux continents. Depuis les pirates anglais, appuyés par la royauté, la guerre économique s’est systématisée, devenant l’utilisation de moyens illégaux et déloyaux pour protéger et conquérir des marchés. Cette utilisation de la violence en économie sert aussi la puissance publique lorsque l’Etat et les trafiquants ne font qu’un. Il est normal que les Anglo-saxons, inspirés par l’Ancien Testament où l’on proclame que les trafiquants sont des élus, se soient lancés dans toutes les crapuleries susceptibles de donner de la puissance. Le cas du thé, développé au chapitre 17 de l’ouvrage, est très significatif. Robert Fortune, biologiste, fut utilisé par la Compagnie des Indes pour remplir une mission de renseignement: aller voler le secret de fabrication du thé ainsi que des plans. Il se déguise, vole, plante en Inde les fruits de ses larcins. Et cela fonctionne. Les anglais pourront inonder le monde du thé produit en Inde.
L’auteur soutient que la guerre économique contemporaine prend son envol avec la chute du mur de Berlin (1989). Les services de renseignement quittent le secteur public, sortent du domaine politique pour se préoccuper de protéger l’information de l’entreprise. Avec l’obsession de la global-invasion, volonté de quelques gangs de s’emparer des richesses du monde, l’espionnage et la protection se privatisent. Le problème de tous les agents importants se formule de la même manière: être le leader, soit en économie, soit en technologie, en propagande ou en politique.
Ali Laïdi regrette que l’Europe soit incapable de se protéger et de s’affirmer. Sans boussole, sans volonté propre, le déclin voire la chute que tout le monde observe est inévitable. En France, depuis peu, une réflexion sur la guerre économique a lieu, mais sans être suivie d’applications. La vente de toutes choses aux mafias étrangères est la preuve d’une absence dramatique d’élites. Les petits trafiquants à la Macron sont sélectionnés par des Maîtres tout à fait visibles pour incarner la fonction la plus veule qui ait jamais existé, celle du larbin volontaire.
Pour cette première partie du XXIème siècle, l’agenda de la guerre, comme disent les Américains, est avant tout établi par la guerre économique « celle qui fait rage et qui ne dit pas son nom » selon feu Mitterrand – et plus encore la guerre monétaire, basée sur le mensonge et la dette. Aussi il paraît difficile d’accepter que les formes actuelles de la guerre économique soient une conséquence directe de la chute du mur de Berlin. La guerre monétaire a commencé en 1971, avec l’abandon de la convertibilité « or » du dollar, avec la déréglementation et les taux de changes flottants. Les USA sont devenus la patrie des faux monnayeurs. Leurs établissements financiers ont évidemment corrompu les dirigeants des pays européens afin qu’ils endettent leurs pays, donnant en gage les biens nationaux que les assassins globalitaires s’approprient ainsi gratuitement.
On ne saurait terminer ce tour d’horizon sans rappeler les falsifications des statistiques économiques, dont les intellectuels honnêtes encore en vie font grand cas pour démonter les vérités révélées des criminels en col blanc désormais à la tête de l’occident. On a eu un bel aperçu en 2008 lors de la crise des “subprimes”, puisque deux sociétés de crédit les mieux cotées du marché, Freddie Mac et Fannie Mae, ainsi que la banque Lehman Brothers trafiquaient leurs bilans. Auparavant, l’affaire Enron avait déjà amplement démontré le trucage et les évaluations de complaisance. De même, depuis 1988 a été créé le « Working Group on Financial Market » chargé d’orienter la bourse suivant les indications de la Réserve Fédérale, dont chacun sait qu’elle appartient à un consortium de banques privées. Les manipulations des cours de l’or, de l’argent et autres métaux précieux, ceux des matières premières industrielles ou agricoles, tout est frelaté à travers les produits dérivés et autres outils spéculatifs.
En novembre 2008, à l’occasion du G20, la Chine se faisant le porte-parole des pays émergents (Brésil, République sud-africaine, Inde…) a demandé qu’à la référence dollar soit désormais substituée un panier de matières premières (or, argent, pétrole, etc. ) comme étalon de la valeur. D’autres États préconisent de revenir à des systèmes mixtes associant au métal des paniers de monnaies. À défaut de guerre ouverte, la guerre des matières premières, la manipulation de leurs cours, la dictature insupportable du dollar changent peu à peu les équilibres de force. Cela n’est pas en faveur de l’Occident en crise, quels que soient ses talents en matière d’ingénierie financière car les guerres peuvent se gagner et en même temps sonner le glas final de la puissance.
La guerre économique a donc un bel avenir et l’OTAN, ce machin au service des trafiquants, aura encore de nombreuses occasions de bombarder et tuer des civils sans défense, car il convient de matraquer les faibles et d’éviter la confrontation avec les puissances montantes.
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On pourra s’étonner de voir un site consacré à l’innovation et à la prospective, porter son attention sur un livre qui loue la France rurale et les bienfaits d’un monde déconnecté, qui célèbre la lenteur et les vertus des savoirs ancestraux, et qui juge sans aménité le monde moderne marqué par le culte de la vitesse et du changement.
Justement, il n’est pas mauvais de considérer l’opinion de ceux qui s’inquiètent des dérives possibles voire avérées de notre modernité, et de faire la part entre la nostalgie un peu stérile d’un monde défunt, et la véracité de l’appel d’un « lanceur d’alerte » inquiet devant un avenir où se met en place un « dispositif » qui tendrait à asservir l’individu (mot qui revient souvent sous la plume de Sylvain Tesson et emprunté au philosophe italien Agamben).
Sylvain Tesson est connu comme un écrivain prolifique et talentueux qui, le plus souvent, a mis en scène sa vie aventureuse entre Himalaya et Sibérie. Son sens de la formule, ses considérations sur le fond de la nature humaine qui se construit dans l’ancrage à une histoire et des cultures, et qui se révèle face à la nature, enfin son sens picaresque de la vie, rendent ses ouvrages toujours enrichissants à lire.
Ses plus récents succès, Six Mois dans les Forêts de Sibérie, expérience de solitude sur les bords glacés du Lac Baïkal, et Bérézina qui narre son parcours hivernal en side-car sur les traces de la Grande Armée, témoignent de son style original.
Sur les Chemins Noirs marque une sorte de rupture dans l’aventure. En effet, à la suite d’une chute du haut d’un toit qui lui cause de multiples fractures, dont une sorte de paralysie faciale (il avoue y être monté dans un état fortement alcoolisé), il doit suivre une longue rééducation et doit renoncer à sa précédente vie aventureuse. Sylvain Tesson décide alors de cheminer pour parachever cette rééducation, et ainsi s’éprouver pour contrer son désespoir d’avoir pour compagnon un corps désormais amoindri.
Comme il le dit, il veut remonter la pente qui le conduira à retrouver ses capacités physiques précédentes, et, en quelque sorte, à nouveau vieillir normalement.
Il décide pour cela de traverser la France à pied par une grande diagonale qui le mènera du Mercantour au Cotentin en empruntant le plus possible « les chemins noirs », ceux qui sont méconnus, loin des grands axes des randonneurs ou des pèlerins. Il s’ingénie ainsi à traverser la France de « l’hyper-ruralité », dont il fera un de ses thèmes majeurs. C’est là un choix délibéré, à contre-courant de la modernité pour lesquelles notre piéton a peu d’appétence ; « ce que nous autres, pauvres cloches romantiques, tenions pour une clef du paradis terre – l’ensauvagement, la préservation, l’isolement – était considéré par l’Etat comme des catégories du sous-développement. »
C’est là, il le reconnait, une forme de fuite devant un monde qui l’inquiète. « Les nouvelles technologies envahissaient les champs de mon existence, bien que je m’en défendisse. Il ne fallait pas se leurrer, elles n’étaient pas de simples innovations destinées à simplifier la vie. Elles en étaient le substitut. Elles n’offraient pas un aimable éventail d’innovations, elles modifiaient notre présence sur cette terre. Il était « ingénu de penser qu’on pouvait les utiliser avec justesse », écrivait le philosophe italien Giorgio Agamben[1] dans un petit manifeste de dégout. Elles remodelaient la psyché humaine. Elles s’en prenaient aux comportements. Déjà, elles régentaient la langue, injectaient leurs bêtabloquants dans la pensée. Ces machines avaient leur vie propre. Elles représentaient pour l’humanité une révolution aussi importante que la naissance de notre néocortex il y a quatre millions d’années. Amélioreraient-elles l’espèce ? Nous rendraient-elles plus libres et plus aimables ? La vie avait-elle plus de grâce depuis qu’elle transitait sur les écrans ? Cela n’était pas sûr. Il était même possible que nous soyons en train de perdre notre pouvoir sur nos existences. »
Sa randonnée dans la variété des paysages français lui permet d’observer la ruralité, qu’il partage en quatre temps :
Sylvain Tesson pose ainsi la question du lieu de vie, du territoire ; précédemment local, charnel et le plus souvent rural, demain urbain (avec un « chez soi » souvent locatif), connecté et dématérialisé. Comment résister à l’écartèlement entre lieux physique et virtuel, sans possibilité de se ressourcer au sein d’un espace lié à la nature et où l’on se sent véritablement « chez soi » ? Comme le dit Jacques Arènes, « La pauvreté n’est pas l’absence d’espace. C’est la désarticulation des espaces[2]. »
Traversant la France, à la lisière des villes ou au plus profond des forêts, il s’interroge sur le monde qui vient, véritable métamorphose, où les notions de vitesse et de transformation deviennent prégnantes. Or, dit-il, « Personne se savait très bien ce que lui promettaient les métamorphoses. Les nations ne sont pas des reptiles : elles ignorent de quoi sera faite leur mue. » Philippe Tesson sait-il que le général de Gaulle en 1970 dans ses Mémoires d’espoir soulignait une inquiétude similaire ? Le monde virtuel qu’il le déplore est-il l’ultime avatar des temps modernes ? « Dans le progrès général, un nuage est suspendu sur le sort des individus. A l’antique sérénité d’un peuple de paysans certains de tirer la terre une coexistence médiocre mais assurée, a succédé chez les enfants du siècle la lourde angoisse des déracinés ».
Alors, « pauvre cloche romantique », ou lanceur d’alerte à écouter avec attention ? A chacun d’en décider, et, pour cela, auparavant, l’accompagner sur les chemins noirs.
[1] Qu’est-ce qu’un dispositif ? Payot, 2007
[2] In Au crépuscule des lieux, habiter ce monde en transition fulgurante. Pierre Giorgini. Bayard. 2017
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Abel Bonnard ou l’exemple de la cohérence
par Philippe Baillet
Ex: http://www.zentropa.info
« Croyez-moi, les hommes qui par leurs sentiments appartiennent au passé, et par leurs pensées à l’avenir, trouvent difficilement leur place dans le présent » (Louis de Bonald à Joseph de Maistre, 22 mars 1817)
« Nous n’aimons que les choses rares, les pierres, le cristal pareil à du soleil gelé, le corail, sceptre de l’aurore, les perles, larmes de la lune » (Abel Bonnard)
« L’homme considère les actes, mais Dieu pèse les intentions » (Imitation de Jésus-Christ, II, 6, 2)
Les Modérés sont l’ouvrage le plus célèbre d’Abel Bonnard (1883-1968), le meilleur aussi et le plus important, de l’avis unanime de ceux qui s’intéressent à son œuvre. Sa parution chez Grasset en 1936 marque un tournant décisif dans la vie et l’œuvre de Bonnard. on que celui-ci ne se fût jamais soucié auparavant de la politique, mais il l’avait fait jusque-là de façon marginale, soit par des articles, donnés pour l’essentiel au Figaro et au Journal des débats(accessoirement aussi à la Revue de Paris), soit à travers des digressions et réflexions glissées dans ses nombreux récits de voyages. Il importe d’insister sur ce point, pour ne pas faire de Bonnard ce qu’il ne fut pas : un théoricien ou un doctrinaire. Il fut avant tout un artiste et un esthète, et son engagement politique à partir de 1936 ne doit pas cacher ce qui demeura toujours, pour lui, sa raison de vivre. Parvenu au soir de sa vie, Bonnard déclare le 22 mars 1960 devant la Haute Cour de justice : « … je puis assurer que, toutes les fois que j’ai exercé une activité politique, je m’y suis livré sans réserve, mais non pas tout entier, car la partie profonde de mon être restait toujours attachée à l’activité littéraire et artistique que je considérais comme la plus haute justification de mon existence » (1).
Les Modérés sont en fait l’aboutissement d’une longue réflexion, entamée vingt ans plus tôt environ, sur les malheurs de la France et leurs causes lointaines, sur la montée aussi d’une espèce de nouvelle barbarie universelle destinée à effacer tout ordre et toute civilisation dignes de ce nom. Face à l’uniformisation croissante des modes de vie et des cultures, face à la laideur qui s’étend partout, le clerc authentique est appelé à témoigner pour les valeurs de l’esprit, d’abord en se faisant le chantre du retour à l’ordre et le défenseur de la civilisation.
Les Modérés ont pour sous-titre Le drame du présent. Le caractère dramatique du XXe siècle est presque une obsession chez Bonnard. Son époque lui paraît dramatique pour la France — parvenue, dit-il dans le présent livre, « au terme d’une phase de son histoire, qui a ses commencements visibles au XVIIIe siècle » —, d’autant plus que s’y ajoute le « défaut, si répandu parmi les Français, de ne pas ressentir un drame dramatiquement ». « Ils oublient », en effet, « que, dans une tragédie, tout est question de temps ». Cette époque est dramatique également pour l’homme européen, et même pour l’homme blanc en général : reculant sur tous les fronts, il est contraint de se redéfinir impérativement.
On cherchera donc à expliquer pourquoi Bonnard, brillant causeur de salon dont le sens de la repartie et les mots d’esprit faisaient la joie des “gens du monde”, est devenu le contempteur impitoyable du triomphe de la rhétorique, mal français par excellence. Pourquoi, en somme, ce « petit monsieur, tiré à quatre épingles, au complet très repassé, aux bottines à tiges, à la cravate soyeuse, à la chevelure très floue, très grise, très ramenée, à la voix fluette » (3), ne faisait qu’un avec l’homme qui, le 30 janvier 1943, achève ainsi un discours prononcé devant les rugueux chefs miliciens réunis à Marseille : « Camarades, la Révolution ne se fera pas toute seule. Elle se fera parce que nous la ferons, la Révolution nécessaire, la Révolution sacrée, la Révolution de renaissance » (4).
À l’écart des modes et des chapelles
Ce qui frappe sans doute le plus lorsqu’on essaie de prendre une vue d’ensemble de l’œuvre et de la personne d’Abel Bonnard, c’est une singulière indépendance d’esprit. Bonnard donne toujours l’impression de traverser les salons littéraires et artistiques, qu’il fréquenta pourtant en grand nombre, comme s’ils n’avaient d’autre raison d’être que de lui permettre de satisfaire sa curiosité et d’approfondir sa connaissance des hommes. Jusqu’au début des années trente, il n’est pas touché par le virus de la politique, et l’esprit de chapelle, qui exerce déjà tant de ravages, lui demeure profondément étranger. De son “splendide isolement” intellectuel, Bonnard avait une conscience très nette. C’est ainsi qu’il écrit le 5 mars 1940 à l’un de ses lecteurs les plus attentifs, l’abbé irlandais Farnar : « Je crois que ce qui me caractérise, sans que je songe à me prévaloir le moins du monde de ce trait particulier, c’est que je me suis toujours formé hors des influences de mon temps, et aussi loin des modes courantes que des étroites chapelles » (5).
Bonnard naît à Poitiers le 19 décembre 1883. Il est le fils selon l’état-civil d’Ernest Bonnard, ancien gardien de prison devenu directeur des prisons de la Vienne. Son vrai père, comme l’a établi Olivier Mathieu, est Joseph Napoléon Primoli, né à Rome le 2 mai 1851, arrière-petit-fils, par sa mère, de Lucien et Joseph Bonaparte. Mécène, collectionneur, bibliophile, Primoli se piquait volontiers de littérature et collabora notamment à la Revue des Deux Mondes et à la Revue de Paris. Après avoir vécu à Marseille à partir de l’année 1893, Abel Bonnard s’installe à Paris en 1900. Il sera élève au lycée Henri-IV, puis en khâgne à Louis-le-Grand. Il échoue au concours d’entrée de l’École Normale Supérieure, se contentant d’une modeste licence ès Lettres. Déjà attiré par l’histoire de l’art, il va bientôt suivre les cours de l’École du Louvre.
Il publie son premier recueil de poèmes, Les Familiers, en 1906. Le poète François Coppée salue la qualité de ces pièces où s’exprime l’amour de Bonnard pour les animaux. Dans les années qui précèdent la Première Guerre mondiale, Bonnard entame une carrière journalistique au Figaro. C’est à cette époque qu’il noue de nombreuses relations dans les milieux littéraires, faisant la connaissance d’Anna de Noailles, Proust (avec qui il correspond pendant plusieurs années), Morand, Alfred Fabre-Luce, D’Annunzio, Barrès, Bergson, André Maurois. Plus tard, il connaîtra aussi Cocteau et Julien Benda et se liera d’amitié — point qui n’est pas sans intérêt — avec des auteurs d’origine juive comme le dramaturge Henri Bernstein et l’écrivain André Suarès.
Lorsque la guerre éclate, Bonnard, ambulancier, demande à passer au service armé. Simple soldat en Champagne jusqu’en 1916, il est ensuite nommé officier et plus précisément commissaire de la Marine sur le Marceau, basé à Brindisi. Son patriotisme et son comportement au front lui valent la Croix de Guerre, la Légion d’Honneur et plusieurs citations. À l’époque, Bonnard n’est pas spécialement germanophile. En 1918, il écrit par exemple dans son Journal, à propos des Allemands : « … il faut être aussi peu cultivé que certains de leurs docteurs pour croire à une race élue qui va régenter la terre » (6).
Dans le même Journal, intitulé Caractère de la guerre et toujours inédit, Bonnard impute aux philosophes du XVIIIesiècle la perte du « sens profond de la destinée », du « sentiment amer et grand du drame humain ». Les jugeant responsables d’une « vulgarisation » et d’une « laïcisation de la pensée », il affirme nettement que la pensée, pour ne pas déchoir, doit demeurer un exercice solitaire et désintéressé. Le modèle traditionnel du clerc occupé à ne réfléchir que sur les questions métaphysiques doit recouvrer toute sa dignité, après que « les philosophes se sont mis à penser à plusieurs, avec les autres, pour les autres ». Or, pour Bonnard, « on ne pense pas en commun » (7).
Bonnard constate par ailleurs, avec amertume, que le sursaut national provoqué par la guerre, qui a rappelé les Français au sens de la discipline et à l’esprit de sacrifice, s’est aussitôt perdu dans les méandres de la routine parlementaire, une fois la paix revenue. « De tous les régimes des peuples en guerre — écrit-il alors —, celui de la France est celui qui a le moins consenti à se modifier, et pourtant la guerre n’a été aussi tragique pour aucune autre nation que pour la France qui a eu la Mort à sa porte » (8). On voit déjà se dessiner ici l’un des thèmes récurrents de la critique politique de Bonnard : la République française, nonobstant sa rhétorique héritée de 89, est un régime profondément conservateur, mais conservateur du pire.
À la même époque pourtant, Bonnard, revenant sur l’affaire Dreyfus, y trouve rétrospectivement matière à tempérer son pessimisme. Les événements lui donneront tort, mais il n’est pas indifférent de savoir, pour mieux comprendre les raisons de son futur engagement politique, ce qu’elle signifia pour lui : « Ce triomphe de la mystique républicaine fut comme bien des triomphes : ce fut une fin. Là pour la dernière fois les idées républicaines, égalitaires, mystiques, apparurent avec le prestige étincelant, avec l’ascendant des idées à qui l’avenir et le présent appartiennent. Là pour la dernière fois les idées contraires d’ordre, de discipline, d’autorité, apparurent avec on ne sait quoi de suranné ou d’étroit, un manque d’ascendant, quelque chose d’embarrassé, de gêné, d’un peu ridicule, de caduc » (9).
C’est également du lendemain de la Première Guerre mondiale que datent les premiers articles donnés par Bonnard au Journal des débats, hebdomadaire à l’audience relativement restreinte mais jouissant d’un certain prestige. Cette collaboration régulière se poursuivra jusqu’au milieu des années trente. En 1928, Bonnard publiera, à 150 exemplaires seulement, un recueil rassemblant cinquante-quatre de ses chroniques parues dans le Journal des débats, sous le titre Le Solitaire du toit (toujours le “splendide isolement” !), recueil dont on ne peut que souhaiter vivement une prochaine réédition. Pendant quinze ans, de 1918 à 1933, Bonnard va faire de nombreux voyages, souvent sous la forme de croisières. D’un long séjour de huit mois, en 1920-21, dans l’ex-“Empire du Milieu”, il rapporte les matériaux de son premier grand livre, En Chine (1924), qui vaut à son auteur le grand prix de littérature décerné par l’Académie française. En Chine sera suivi de Au Maroc (1927), Océan et Brésil (1929), Rome (1931),Navarre et vieille Castille (1937), Le Bouquet du monde (1938).
Toujours dans les années vingt, période décidément très fertile dans la vie de Bonnard, celui-ci fait paraître une série de courts essais, à vrai dire de valeur inégale : La vie amoureuse d’Henri Beyle (1926), L’Amitié et L’Argent(1928), sans oublier un très réactionnaire Éloge de l’ignorance (1926) et, surtout, un remarquable Saint François d’Assise (1929) aux antipodes de l’hagiographie fade et stéréotypée. À l’époque, Bonnard est un auteur connu, qui ne semble pas avoir rencontré de difficultés particulières pour se faire publier, souvent, par les plus grands éditeurs : Flammarion, Fayard, Hachette, Albin Michel.
En 1936, on est donc encore loin du ton très militant adopté par Bonnard devant les chefs miliciens. Mais ce lettré solitaire, élu à l’Académie française en 1932 et reçu sous la Coupole le 16 mars1933, s’engage de plus en plus. Le 4 octobre 1935, il figure parmi les signataires du Manifeste des intellectuels français pour la défense de la paix en Europe ; l’année où paraissent Les Modérés, il préface un recueil, L’Éducation et l’idée de patrie, que publie le Cercle Fustel de Coulanges, proche de l’Action française ; en 1937, il devient président des Cercles populaires français, côtoyant dans cette courroie de transmission du PPF de Jacques Doriot à destination des intellectuels, des hommes comme Bertrand de Jouvenel, Alexis Carrel, Ramon Fernandez, Pierre Drieu La Rochelle, Robert Brasillach. Peu après, il fait partie d’un comité de défense des cagoulards emprisonnés après l’arrestation de membres de la Cagoule en novembre et décembre 1937.
Quand il arrive à la culture officielle de parler de Bonnard, c’est uniquement pour évoquer cet engagement et les responsabilités qu’il assuma sous le régime de Vichy, au détriment de son œuvre littéraire, qu’elle ignore systématiquement. Les idées et les choix politiques de Bonnard ayant donné lieu à des condamnations unilatérales ou à des apologies délirantes et simplificatrices (10), il convient de profiter de cette troisième édition des Modérés pour en étudier les origines et en dégager les grandes lignes, alors qu’on assiste à un regain d’intérêt pour son auteur (11).
À la recherche de la doctrine perdue
Très tôt, Bonnard a perçu que ce qui manquait aux défenseurs de l’ordre en Occident au XXe siècle, c’était une doctrine. Dans son Journal intime de soldat de la Grande Guerre, il écrit : « … si le régime politique va s’affaiblissant en France toujours davantage […], il ne faut pas en conclure que sa ruine soit inévitable. […] Les éléments qui lui sont hostiles ne disposent pas d’une doctrine positive sur laquelle se rassembler : ils restent épars » (12). Cette appréciation revient fréquemment dans ses écrits des années vingt, où elle est même étendue à l’Occident dans son ensemble. C’est ainsi qu’on lit dans En Chine : « Parmi toutes les causes de faiblesse qui affectent l’action des nations blanches, la plus profonde, de beaucoup, est de n’avoir pas de doctrine » (13). Et plus loin, à propos de l’homme blanc : « C’est seulement lorsqu’il se sera refait une doctrine qu’il sera, à la fois, plus noble et plus fort » (14).
Si Bonnard ne se montre pas plus précis sur ce qu’il entend par “doctrine”, c’est sans doute parce que sa nature artiste répugne à la démonstration et aux syllogismes. Mais sa sensibilité nous laisse deviner que, conscient de la crise très profonde engendrée par les Lumières et par le ralliement à celles-ci d’une grande partie de la noblesse française, il a compris que l’idée d’ordre ne retrouvera son prestige qu’en s’appuyant sur des enseignements immémoriaux et universels, valables partout et toujours. Il affirmera dans Les Modérés : « On voit de quelle importance a été la victoire des philosophes au XVIIIe siècle ; ils ont découronné l’ordre pour longtemps : ils l’ont décrédité dans l’âme même de ses défenseurs ». Ceux-ci désormais, pour être à la hauteur du drame universel qui se joue, doivent opposer à la cohorte des fils légitimes et illégitimes des Lumières les plus hautes productions de l’esprit : cela signifie qu’il leur faut faire appel à l’œuvre de Maurras et à l’école contre-révolutionnaire du XIXesiècle, mais plus encore à La République de Platon, à la Politique d’Aristote, à saint Thomas d’Aquin et au Dante du De Monarchia, ou encore — pourquoi pas ? — au Tao Te King de Lao-tseu et à l’Arthashâstra indien, tous textes de la “politique traditionnelle” qui ignorent superbement les anti-principes démocratiques.
L’esprit du temps est en outre propice à l’évasion. Au début des années vingt, Bonnard, comme bien d’autres, ressent l’appel de l’Asie, dont il dit dans En Chine : « Au moment où le matérialisme moderne envahissait son domaine, elle s’emparait, en Europe, de tous ceux que ce matérialisme comblait de dégoût » (15). Il est en cela le compagnon d’esprits aussi différents que Romain Rolland, Hermann von Keyserling, René Guénon, Julius Evola, René Daumal, etc.
On peut d’ailleurs observer sans plus attendre que, dans le domaine oriental, Bonnard faisait preuve d’un jugement très sûr, ne confondant pas les élucubrations de Madame Blavatsky et de sa Société Théosophique, ou les cosmologies syncrétistes et embrouillées de Rudolf Steiner, avec les enseignements traditionnels. Son jugement sur Keyserling — personnage surfait qui eut précisément son heure de gloire dans les années vingt — recoupe parfaitement celui de Julius Evola, auteur avec lequel Bonnard, il est vrai, présente plus d’un point commun (16). Bonnard écrit en effet à propos du pontifiant “penseur” germano-balte : « L’explicateur international, le conférencier universel. […] Il ne pense plus, il se répète, cartonné et magistral. Les livres où il explique tout, écrits à la hâte, sans examen sérieux, il les appelle ses méditations. Ce fabricant fournit des idées générales à des gens qui n’en ont pas de particulières » (17). Cette “bonnardise” d’une ironie mordante est confirmée par Evola, qui eut l’occasion de rencontrer Keyserling : « Le fait de le connaître directement me fit voir clairement que j’avais en face de moi un simple “Philosophe de salon”, vaniteux, narcissique et présomptueux au-delà de toute description » (18).
Par sa façon de traduire partout dans la société la hiérarchie invisible présidant à l’ordonnance de l’univers, la Chine ancienne fait figure de modèle aux yeux de Bonnard : « jamais, peut-être, écrit-il, une société humaine n’a été plus étroitement liée à l’ordre du monde. Chaque fonctionnaire n’était que le dédoublement et la transfiguration d’un agent naturel. Chaque trouble de l’univers avertissait d’un dérangement dans l’État » (19).
En Asie, Bonnard rencontre également un trait qui s’accorde particulièrement bien à sa nature : la communion de l’homme avec tout ce qui est vivant. Elle a pour corollaire le rejet radical de l’individualisme, de tous les Moi dilatés qui étalent leur néant de fatuité sur les tristes tréteaux du monde moderne. Songeant à l’influence du bouddhisme sur la civilisation chinoise, Bonnard saisit admirablement ce qui fait la force de la conception extrême-orientale de la vie : « Le sentiment de la parenté des êtres, la croyance aux renaissances sans nombre, tout concourt à faire qu’un homme, heureux ou misérable, ne se confonde jamais complètement avec sa condition du moment. Il garde sur elle une supériorité passive et ne la considère que comme un vêtement emprunté, qu’il va bientôt rendre et changer au grand vestiaire » (20). Quelques années avant sa mort, dans l’un des quatre articles qu’il donna au Spectacle du Monde, Bonnard confessa toute sa reconnaissance envers saint François d’Assise qui, « en étendant si largement son amour sur tout ce qui vit, et particulièrement les animaux (…) répare en quelque mesure l’immense infériorité de l’âme européenne par rapport à l’âme asiatique », ajoutant aussitôt à cela une réflexion d’inspiration très “guénonienne” : « Sans doute, on trouverait dans le catholicisme du Moyen Âge quelques témoignages des mêmes tendances, car il ne faut pas oublier qu’en dépit de la différence des religions, l’âme du Moyen Âge et celle de l’Asie se sont étendues sur le même plan, et c’est la Renaissance qui a rompu cette continuité, par la prépondérance qu’elle a donnée à l’homme comme être de raison » (21).
Chez Bonnard, l’amour de l’Asie allait donc bien au-delà de l’attirance esthétique pour les laques, ou les étoffes et les estampes dont il tapissa son cabinet de travail. Son livre sur la Chine prouve qu’il avait lu les meilleurs sinologues de l’époque et l’on sait qu’il était abonné au Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient. En 1925, il rend compte élogieusement, dans le journal des Débats, d’un ouvrage de René Guénon, L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, qu’il range parmi les livres pouvant donner de l’Asie « une idée profonde et vraie » (22). Quelques années plus tard, dans un numéro de la Nouvelle Revue Française consacré à Gobineau, Bonnard rend hommage en ces termes à l’auteur de l’essai intitulé Les Religions et les philosophies de l’Asie centrale : « Ayant moi-même cette Asie pour patrie personnelle et pour immense refuge, loin du vulgaire Occident, je lui suis reconnaissant d’avoir été l’un de ceux qui la dévoilèrent » (23). Les fracas de l’histoire ne pourront rien contre cette dilection qui, à elle seule, fait de Bonnard un cas à part au sein de la culture de droite en France au XXe siècle. Le 5 mars 1940, il écrit en effet à l’abbé Farnar qu’il rencontre en Extrême-Orient « des façons de comprendre la vie et de contempler le monde en m’associant à lui qui répondent à ma nature » (24).
La poésie de l’ordre
Bonnard, de toute évidence, ne partageait pas les vues anti-orientales de l’école maurrassienne, toujours prête à ne déceler que du “panthéisme” en dehors du catholicisme romain ou, au mieux, des formes de la “mystique naturelle” annonçant la Révélation chrétienne. Mais c’est surtout sa vision poétique de l’ordre qui l’éloigne de Maurras. Pour celui-ci, la solution monarchique est la conclusion nécessaire d’un raisonnement rigoureux, même si le sentiment y entre pour une part ; pour Bonnard, c’est d’abord une affaire de cœur. Il est en cela beaucoup plus proche — sinon par l’écriture, du moins par la sensibilité — des royalistes pré-maurrassiens, donc du légitimisme, qu’illustrèrent sur le mode de la nostalgie poignante des écrivains comme Barbey d’Aurevilly et Villiers de l’Isle-Adam. Bonnard dit d’ailleurs du mouvement légitimiste qu’il « fut certainement ce qu’il y eut de plus noble dans la vie politique de la France au XIXe siècle, précisément parce qu’il ne fut pas un parti, mais, dans le siècle des individus, la réunion des âmes fidèles qui gardaient la nostalgie d’un ordre plus réellement humain ».
« L’ordre est le nom social de la beauté » : partant de cet axiome, Bonnard définit ici, en quelques pages magnifiques, une sorte d’esthétique de l’ordre. Pour cela, il fait appel au général Gneisenau et à l’expression de son loyalisme envers le roi Frédéric-Guillaume de Prusse ; il évoque ses souvenirs d’avant la Première Guerre mondiale, lorsque, se promenant de nuit dans une capitale endormie, peuplée seulement des statues de ses héros et de quelques soldats veillant sur elles, il voyait alors « les deux extrémités d’une hiérarchie où tout se tenait ». Il n’y a en effet aucune contradiction, sinon pour les petits esprits qui réduisent la culture à l’exercice de l’intelligence, entre le service des armes et celui de l’art, le premier étant même, souvent, la condition indispensable à l’épanouissement du second. « Le soldat allait et venait régulièrement — écrit Bonnard — et j’écoutais avec plaisir son pas bien frappé résonner dans le solennel silence : il me semblait entendre les lourds spondées de ce poème de l’ordre, dont les dactyles délicats vibraient au haut des palais, dans le clair de lune ».
Une société noble est une société policée, dans tous les sens du terme. Et il est permis de penser que sa fréquentation assidue des cultures chinoise et japonaise renforça chez Bonnard son penchant pour la poésie de l’ordre, que résumaient si bien, au Japon, l’alliance du tranchant du sabre et de la pureté du chrysanthème dans l’âme du guerrier, ou le contraste entre la fragilité des pétales de la fleur de cerisier et la rigidité de l’armure du samouraï sur laquelle la brise les répand.
Il est significatif que Bonnard, dans l’un de ses derniers écrits, ait de nouveau fait appel à l’ancien Japon pour illustrer de façon particulièrement forte l’opposition entre monde de la Tradition et modernité. « On conservait, rappelle-t-il, au fond des familles nobles du Japon, des lames d’une trempe incomparable qui, au lieu des jolis fourreaux que l’art a concédés là-bas aux moindres poignards, n’ont pour gaines que de simples étuis de bois blanc, par un goût très japonais qui introduit parfois une affectation de rudesse parmi des raffinements infinis. Ces sabres sacrés représentaient, avec une force presque magique, l’honneur intraitable, le dévouement sans bornes, la fidélité sans conditions, la chevalerie la plus scrupuleuse. J’ai lu il y a quelque temps dans un journal qu’ils sont présentement recherchés et acquis par des Américains qui les emportent chez eux, où ils finiront comme des choses mortes dans une armoire ou une vitrine. Cette idée a suffi à me rendre triste tout un soir » (25).
Dans son remarquable essai consacré à plusieurs écrivains qui choisirent la voie de la Collaboration, Paul Sérant a dit de Bonnard : « Ses réflexions religieuses et métaphysiques sont dominées par le souci esthétique » (26). Cette remarque vaut plus encore pour ses idées politiques. Peut-être est-ce dans son livre sur saint François d’Assise que Bonnard a livré l’une des clés permettant de comprendre ses choix, lorsqu’il dit du Poverello, en qui le dépouillement s’associait à la délicatesse : « Comme pour toutes les âmes exquises, le Bien et le Mal devaient lui apparaître sous les espèces du Beau et du Laid » (27).
Or, la République est laide, puisqu’elle « ne peut pas organiser une cérémonie convenable. Cette répugnance esthétique pour un régime privé de toute majesté a pour pendant chez Bonnard le rejet quasi phobique du type humain qui en est comme le précipité final : l’“individu”.
“… Jusqu’à ce que la Révolution détruise la République, la République servira la Révolution”
Peu de livres vont aussi loin que Les Modérés dans la critique contre-révolutionnaire du régime républicain et de ses origines. Rien de la Révolution de 89 ne trouve grâce aux yeux de Bonnard : « Une nation qui veut vivre ne peut tirer de la Révolution française aucun principe de pensée ni de conduite », ne craint-il pas d’affirmer. La Révolution marque la grande rupture d’avec la vieille France, et la seule continuité existant entre l’Ancien Régime et la République est l’obstination dans les défauts de la noblesse du XVIIIe siècle : « La démocratie française est au bas des deux derniers siècles comme un marais sous une cascade : c’est la vulgarisation finale de toutes les erreurs qui ont d’abord enivré les gentilshommes et les beaux esprits ».
L’appartenance future de Bonnard au camp des ultras de la Collaboration n’autorise pas à sous-estimer la réalité de ses sentiments contre-révolutionnaires. Il a eu, certes, des mots favorables pour les régimes dictatoriaux d’Italie et d’Allemagne, mais où ne percent en vérité ni admiration ni enthousiasme. Nous dirons que Bonnard, par sa formation, ses lectures, ses inclinations profondes, ses fréquentations, venait de trop loin pour “tomber” dans le fascisme, a fortiori pour y voir une “Seconde Révolution”, éventuellement étendue à l’Europe tout entière, susceptible d’annuler les effets de la première en retournant contre elle les armes dont les Jacobins s’étaient servis.
Bonnard est contre-révolutionnaire par la nature même de l’analyse qu’il applique à la Révolution. Lorsqu’il la dépouille des oripeaux romantiques dont elle a été affublée depuis Michelet, il rejoint toute l’historiographie contre-révolutionnaire. Certaines de ses réflexions rappellent de très près Augustin Cochin. Témoin celle-ci : « Les révolutions sont les temps de l’humiliation de l’homme et les moments les plus matériels de l’histoire. Elles marquent moins la revanche des malheureux que celle des inférieurs. Ce sont des drames énormes dont les acteurs sont très petits ». Cette interprétation de la Révolution française comme entrée dans l’ère des masses et première étape d’un processus d’émergence de forces élémentaires infra-humaines qui vont échapper de plus en plus au contrôle des hommes, est un topos de la pensée contre-révolutionnaire, initialement énoncé par Joseph de Maistre dans un passage resté célèbre : « Enfin, plus on examine les personnages en apparence les plus actifs de la révolution, et plus on trouve en eux quelque chose de passif et de mécanique. On ne saurait trop le répéter, ce ne sont point les hommes qui mènent la révolution, c’est la révolution qui emploie les hommes. On dit fort bien, quand on dit qu’elle va toute seule » (28).
Pour Cochin également — qui fut le premier à mettre en relief le rôle joué, dans la Révolution française, par la “machine” impersonnelle que constituaient les sociétés de pensée —, sous la Révolution « le peuple-roi n’a pas connu de maîtres : ses meneurs ne sont que ses valets, ils le proclament à l’envi, et à les voir de près, on est tenté de les prendre au mot : car les gens de loi tirées de leurs études par la Révolution, qui font la leçon au roi tandis que le flot les porte, retombent à leur mesure dès qu’il les abandonne ; et cette mesure est médiocre. […] Le drame est sombre et poignant, mais joué par une troupe de province, et les situations sont plus grandes que les hommes » (29).
La conviction contre-révolutionnaire est si profonde chez Bonnard qu’au moment où la Troisième République, qui n’est que « de la Révolution ralentie et de la Terreur délayée », succombe sous le poids des circonstances auxquelles elle était bien incapable de faire face, cet incroyant pénétré du sens du sacré note dans son Journal, le 25 juin 1940 : « Si la France s’était repentie une seule fois depuis la Révolution, elle eût retrouvé son destin. Un sentiment profond l’eût ramenée aux vérités salutaires » (30). Ainsi le lettré féru de doctrines orientales, mais français par tout son être, retrouve-t-il une des idées maîtresses de la contre-révolution : l’expiation réparatrice de tous les “péchés” commis par la Révolution contre la France, “fille aînée de l’Église”.
On touche ici du doigt l’une des contradictions de Bonnard, plus sensible dans Les Modérés que partout ailleurs dans son œuvre : cet amoureux du Trône et de l’Autel n’a pas été touché par la grâce. Or, est-il possible d’être vraiment contre-révolutionnaire, quand on est Français, mais que l’on n’est pas catholique ? Bonnard a bien conscience, comme tout contre-révolutionnaire conséquent, de la filiation profonde qui rattache, en-deçà de l’écume des événements, la Révolution française à la Troisième République finissante, ainsi que le prouve ce passage des Modérés: « C’est une des lois les plus certaines de la politique que tout régime a un contenu d’idées et de sentiments qui, de son origine à sa fin, le forcent d’agir selon ce qu’il est […], et cette fatalité n’est jamais plus rigoureuse que lorsqu’il s’agit, comme c’est le cas pour la République française, d’un régime constitué dans les discordes civiles et né avec une âme de parti ».
Il est donc clair que pour Bonnard, tout redressement national effectif « suppose la disparition de la société française née de la démocratie » (31). Mais, parce qu’il n’est pas catholique, Bonnard ne se sent pas obligé de relier son rejet de la Révolution à une tradition religieuse, antérieure et supérieure à la pseudo-tradition républicaine, et de l’appuyer sur une base sociologique qui, qu’on le veuille ou non, appartient aux “tendances lourdes”, profondément enracinées, de la société française : la base que forment, précisément, les “catholiques de tradition”, lesquels étaient évidemment plus nombreux à l’époque des Modérés qu’aujourd’hui, mais peut-être moins conscients des raisons ultimes de leur combat. Cela aussi le sépare de l’Action française.
Bonnard ne se réfère pas non plus à la conception maurrassienne des “quatre États confédérés”, qui eût pu, en principe, lui fournir un argumentaire pour analyser la tare originelle du régime, qu’il énonce comme suit : « Le malheur de la République est d’être née dans la haine : elle date du moment où la France s’est divisée ». Pour Maurras, si la République est un régime de division intestine, c’est aussi parce qu’elle offre en France la particularité d’avoir servi à des minorités plus ou moins organisées à se pousser sur le devant de la scène, afin d’y occuper une place et d’y exercer une influence disproportionnées à leur consistance numérique et à leur contribution à l’ensemble de l’histoire de la nation française. Ébauchée dans L’Action française du 15 août 1904, reprise en 1906 dans Le Dilemme de Marc Sangnier et en 1921 dans La Démocratie religieuse, la conception maurrassienne vise à expliquer « ce qu’on appelle la continuité républicaine » par « l’hégémonie des quatre États confédérés — juif, protestant, maçon, métèque — dont trois au moins sont héréditaires » (32). Ces quatre États, véritables féodalités dans l’État, formeraient l’ossature du régime républicain, par-delà les partis, les étiquettes et les alliances de circonstance : « Sans eux, écrit Maurras, tout se serait effondré dans la plus grossière anarchie, mais ils présentent cet inconvénient politique de ne rien avoir de français tout en possédant la France et d’être intimement hostiles à tout l’intérêt national qu’ils ont cependant assumé le soin de gérer » (33).
On voit ce qu’a d’outré la conception maurrassienne si l’on songe au seul Ancien Régime : il paraît en effet impossible de soutenir que les protestants n’ont, historiquement, « rien de français ». Mais cette conception s’avère plus pertinente lorsqu’on se penche sur le présent. C’est ainsi qu’on pouvait lire dans Le Nouvel Observateur du 31 octobre 1991 : « Depuis 1789, les protestants ont, en effet, conclu avec la gauche un mariage de raison et d’amour.[…] Hormis aux débuts de l’anticléricale IIIe République qu’ils ont portée sur les fonts baptismaux et qui leur demeure si chère, jamais une telle pléiade de huguenots n’a participé à la gestion du pays ». Et cet hebdomadaire d’énumérer complaisamment les noms de Michel Rocard, Lionel Jospin, Pierre Joxe, Georgina Dufoix, du maire de Strasbourg Catherine Trautmann, des financiers Nicolas et Jérôme Seydoux (très liés à l’actuel président de la République) — tous d’origine protestante et tous serviteurs ou soutiens zélés de la pseudo-tradition républicaine la plus hostile au mouvement national. Cela ne saurait d’ailleurs faire oublier la contribution que plusieurs protestants apportèrent au mouvement national, ni la présence, à droite, d’intellectuels d’origine protestante, même s’il s’agit en l’occurrence d’une droite plus ou moins “modérée” au sens de Bonnard. Il suffira de nommer ici Raoul Girardet et Pierre Chaunu.
Du point de vue contre-révolutionnaire le plus rigoureux, ce sont les quatre États confédérés « qui ont imposé en France une autre tradition, une nouvelle tradition, religieuse et nationale, celle des grands principes de 1789, celle de l’anti-catholicisme, celle de la religion démocratique moderne » (34). Tertium non datur : « Car il y a en France deux traditions, inégalement françaises, inégalement anciennes, inégalement traditions. Elles (co)existent sans se confondre » (35).
Bonnard croyait-il, au moment où il écrivait Les Modérés, que la première tradition formant le cœur de l’identité française avait survécu au point de pouvoir être réveillée et de renverser la République ? Sa position sur ce point présente un certain flottement. Tantôt il répète après Maistre que les peuples ont les gouvernements qu’ils méritent et qu’au lieu d’« opposer une nation pourvue de toutes les bonnes qualités à un régime chargé de toutes les mauvaises, fiction lâche et fausse qui ne mène à rien » — ce qui contredit la distinction maurrassienne entre pays légal et pays réel —, il ne faut « pas craindre de connaître le régime et la nation l’un par l’autre » [dans cette optique, est-on tenté d’ajouter, la conception même des quatre États confédérés relèverait d’une vision “conspirationniste” de l’histoire et de la logique du “bouc émissaire” ; c’est Maurras écrivant en 1912 : « Une démocratie en France ne peut vivre qu’appuyée sur des tempéraments républicains qu’il faut chercher surtout dans la minorité protestante et juive » (36). Tantôt Bonnard dit des républicains convaincus : « Que redoutent-ils donc ? Ils connaissent trop bien les modérés pour pouvoir les craindre. Ce qu’ils paraissent appréhender, c’est qu’il ne subsiste, au-dessous des partis, et malgré tout ce qu’ils ont pu faire pour la détruire, une France des profondeurs, une France des siècles, qui les fera tomber si elle remue ».
En résumé, si l’opposition entre une tradition française fondée pour l’essentiel sur le catholicisme et ce que nous préférons appeler (contrairement à Jean Madiran), une “pseudo”-tradition républicaine (puisqu’elle ne s’enracine dans rien qui soit effectivement sacré ou authentiquement religieux) poursuivant jusqu’à son terme la déchristianisation de la France peut sembler trop rigide et simplificatrice, le fait est qu’elle aide à saisir, avec d’autres facteurs d’explication, la longue série des guerres et déchirements franco-français depuis la Révolution : insurrection vendéenne et phénomène de la chouannerie, Restauration, Commune de Paris, effervescence boulangiste, affaire Dreyfus, Vichy et la Résistance, sans oublier la situation créée par la récente montée en puissance du Front national. Ce sont là des signes de contradiction de la France moderne et contemporaine, qu’il y a tout lieu de regretter, mais qu’il serait encore plus vain de prétendre ignorer.
En dépit du danger qu’il y a toujours à se livrer à des comparaisons entre des situations différentes, car l’analogie n’est pas l’identité, on peut tout de même s’offrir une brève digression en rapport avec l’actualité. Il serait à première vue logique de reprocher aux contre-révolutionnaires d’aujourd’hui de vouloir défendre si désespérément l’identité nationale tout en insistant, comme ils le font, sur la rupture inaugurale de 89. Mais c’est une chose de détester la République tout en respectant ses lois et ses usages pour ne pas attenter à l’unité nationale ; et c’en est une autre d’entretenir par médias interposés un climat de guerre civile larvée, en “criminalisant” par exemple 15 % de l’électorat (et plus potentiellement, puisqu’un sondage apparemment fiable a montré qu’un Français sur trois se reconnaît peu ou prou dans les thèses du Front national), en envisageant même froidement, comme certains, d’interdire le parti représentant cette frange de l’électorat.
Il ne s’agit pas ici de sous-entendre que ce parti est, aujourd’hui en France, l’expression politique d’une contre-révolution redevenue consciente de son héritage. Regroupement très composite de plusieurs tendances de la droite française, le Front national, comme les nationalistes de la fin du XIXe siècle, associe le “culte” de Jeanne d’Arc à “La Marseillaise”, qui vient clore ses grandes réunions, sans se soucier de cette contradiction pourtant patente. Mais il compte en son sein une tendance “nationale-catholique” — organisée autour du quotidien Présent et des comités Chrétienté-Solidarité — qui ne craint pas de reprendre la devise de la Pucelle, “Dieu premier servi”, et qui est expressément contre-révolutionnaire.
Il est donc probable qu’en vertu de la coexistence en France d’une tradition nationale catholique et d’une pseudo-tradition républicaine, le Front national incarne d’ores et déjà et plus ou moins bien, quelque chose de beaucoup plus grand que lui et qui s’enracine, que la plupart de ses membres en aient conscience ou non, dans une mentalité qui n’est pas acquise de cœur aux “grands principes” de 89.
Psychologie sociale des “Modérés” : individualisme et verbalisme
La politique, elle aussi, est plus grande que ce qu’elle paraît être, et qui inspire souvent tant de dégoût. Elle est un drame, souligne Bonnard, qui rappelle fort justement que « ce qui fait qu’elle ne pourra jamais être négligée, c’est que le sort de tout ce qui la dépasse se décide en elle ». Voilà précisément ce que ne veulent pas voir les modérés, qui pensent pouvoir tout arranger par le dialogue, la conciliation, le compromis, bientôt suivis de la compromission et de la reddition pure et simple à l’adversaire, à son vocabulaire pour commencer. Ces modérés, Bonnard les a visiblement beaucoup fréquentés : sinon, il ne les décrirait pas si bien. Son travail relève à la fois de l’observation empirique et de la psychologie sociale : c’est une théorie des passions et des faiblesses humaines appliquée à la vie collective. Une théorie qu’on peut juger obsolète aujourd’hui, dans la mesure où Bonnard, très brillant dans la description des phénomènes sociaux de surface, n’arrive jamais à une véritable étiologie sociale. Mais une théorie qui a en tout cas le mérite, pour ce qui est des modérés, d’adhérer étroitement à la réalité des choses.
Les modérés « sont les restes d’une société », celle où l’on s’accommodait tant bien que mal des principes de 89 parce qu’ils ne s’étaient pas encore transformés en pseudo-religion des Droits de l’Homme envahissant tous les domaines de la vie civile et, surtout, parce que la République, en France, s’appuyant sur la solidité de l’État et l’omniprésence de l’administration, a toujours su préserver — hélas ! est-on tenté de dire — une apparence d’ordre. Ce désordre établi, cette subversion installée qui fait que les trains arrivent à l’heure et que la sécurité des personnes et des biens est assurée, voilà ce qui satisfait pleinement la bourgeoisie, qui n’est qu’un autre nom des modérés : depuis la Révolution, elle n’a cessé de préférer, dit Bonnard dans une de ces formules dont il a le secret, « une anarchie avec des gendarmes » à « une monarchie avec des principes ».
Jouissant encore des résidus d’un certain ordre dont ils ont hérité sans en connaître le prix et sans jamais songer à le défendre vraiment, les modérés sont pour Bonnard la quintessence de la médiocrité française, l’expression la plus basse du type humain que fabrique la modernité en général : “l’individu”. C’est en tant qu’il est d’abord un individu — à savoir un homme « réduit par l’exigence de la vanité à l’indigence du Moi […], prompt à se pousser dans une organisation sociale dont il profite sans la soutenir » — que le modéré s’oppose nettement au réactionnaire, « plus fier de l’ensemble auquel il reste attaché que des facultés dont est parée sa nature ».
Débiteur qui ne se sent jamais d’obligation envers le passé de sa nation et la communauté à laquelle il appartient, le modéré est devenu peu à peu le modèle de toutes les classes et ses défauts ont fini par atteindre les couches populaires, donnant lieu à la misérable figure sociale de “l’assisté”, dont Bonnard, près d’un demi-siècle avant que le mot se répande, avait tracé, devant les chefs miliciens, un portrait plus vrai que nature : « L’individu, c’est le dernier produit d’une société qui devient stérile, c’est l’être humain tombé de la plénitude de l’homme dans l’exiguïté du Moi, c’est le nain arrogant, l’avorton prétentieux qui, toujours content de soi, n’est jamais content des autres, qui, restant toujours isolé sans être capable de vivre seul, à la fois dissident et dépendant, est l’atome d’une foule au lieu d’être l’élément d’un peuple. L’individu vit perpétuellement dans un état de désertion sociale. Il prétend être entretenu par une société qu’il n’entretient pas, il demande sans apporter, il voudrait tout recevoir sans rien donner et, dans une société décomposée, il représente un abaissement et une déchéance qui se retrouvent à travers toutes les classes » (37).
Énoncé dans Les Modérés, soit plus ou moins à l’époque où Drieu opposait « la France du camping » à celle de « l’apéro » (on sait que l’une et l’autre se sont très facilement retrouvées depuis), ce rejet du Français-type de la démocratie façon Front Populaire, tout entier résumé dans la formule “j’ai ma combine”, va se durcir encore chez Bonnard pour atteindre à une véritable répulsion qui, dans un style tout différent, n’est pas moins forte que celle de Céline. L’un et l’autre, sous l’Occupation, éprouveront un dégoût physiologique devant la lâcheté, l’attentisme et l’égoïsme de millions d’“individus” français. C’est Céline vilipendant en 1941 les petits-bourgeois gonflés de “droits” : « Ils veulent rester carnes, débraillés, pagayeux, biberonneux, c’est tout. Ils ont pas un autre programme. Ils veulent revendiquer partout, en tout et sur tout et puis c’est marre. C’est des débris qu’ont des droits » (38). Et c’est Bonnard mettant le doigt sur la plaie dans Je suis partout le 25 août 1940 : « Regardez-le, cet homme que la démagogie bourgeoise […] a multiplié chez nous en tant d’exemplaires, à la fois mou et fanfaron, avachi et prétentieux, ne se contentant pas de se relâcher en tout, mais mettant encore un plumet de fatuité à sa négligence » (39).
L’autre point par où la critique de Bonnard s’exerce contre la psychologie sociale des modérés est le verbalisme, le règne des mots, l’inflation verbale. En cela aussi, Bonnard se rattache à toute une lignée de la culture de droite, et plus précisément du traditionalisme anti-moderne, que soude, par-delà des jugements fort différents sur le christianisme, l’insistance sur le thème de la modernité comme âge de la “discussion perpétuelle” (40). Cette dernière formule est de Donoso Cortés, pourfendeur de la bourgeoisie comme “classe discuteuse” par excellence, et qui s’était bien aperçu que, du point de vue de la philosophie démocratique, « la discussion est la vraie loi fondamentale des sociétés humaines et l’unique creuset où, après fusion, la vérité, dégagée de tout alliage d’erreur, apparaît dans sa pureté » (41). Maurras, de son côté, prononcera un jugement analogue : « La République est le régime de la discussion pour la discussion et de la critique pour la critique. Qui cesse de discuter, qui arrête de critiquer, offense les images de la Liberté. La République, c’est le primat de la discussion et de la plus stérile » (dansL’Action française du 22 novembre 1912).
Mais ce qui fait l’originalité de Bonnard, c’est que sa critique de la rhétorique, dont les modérés lui apparaissent comme les champions, s’intègre à une analyse de vieux défauts spécifiquement nationaux que les Français doivent quitter absolument. Le délicat qu’était Bonnard, admirateur de la vie de société portée dans la France du XVIIIesiècle à une manière de perfection, s’était également convaincu que la France moderne « est le pays où les défauts des salons sont descendus dans les rues ». En somme, seuls les charmes de l’ancienne société ne sont plus là, « ses inconvénients durent encore ».
La fatuité bien française qui consiste à croire la bataille gagnée avant de l’avoir engagée, le goût incorrigible pour les bons mots qui évite de penser vraiment et pour la petite anecdote mesquine, le besoin de paraître en toutes circonstances pour masquer le manque d’originalité vraie, la frivolité devenue de longue date une maladie sociale, sont décortiqués dans Les Modérés mieux que dans tout autre livre sur la psychologie nationale. Bonnard estime que les Français, toutes classes sociales confondues, se caractérisent par un « incroyable éloignement du réel » ; leur « curiosité volage pour toutes les idées », qui fait qu’ils se croient généralement très malins, n’est pour lui « que l’incapacité d’en retenir fortement aucune ».
La démocratie, qui érige le café du commerce en système de commentaire permanent de la vie, où le premier crétin venu peut se flatter d’avoir des opinions sur tout à la mesure même de son ignorance, a donc renforcé un vieux défaut national et fourni des conditions idéales, s’il est permis de s’exprimer ainsi, à l’épanouissement béat du phraseur parasitaire. Mais ce que le génie de Bonnard pour saisir la psychologie des peuples met bien en relief, c’est que cet égotisme extrême ne débouche même pas sur une quelconque originalité intéressante.
On sait que l’Angleterre a la réputation justifiée d’être le pays des bizarres et des sociétés d’excentriques. Or Bonnard, dans un écrit postérieur d’un an aux Modérés, avait bien vu tout ce qui sépare l’individualisme français, vêtu de sa seule médiocrité, de l’originalité authentique dont certains Anglais, natifs d’un vieux pays dont l’identité profonde n’a pas été déchirée par les remous de l’histoire, étaient et sont capables de faire preuve. Une intuition infaillible le guide ici, qui lui fait écrire à propos de l’originalité : « En France, elle est ajoutée à l’individu, on pourrait la lui ôter. En Angleterre, elle lui est inhérente. En France, elle est artificieuse et volontaire, en Angleterre ingénue et involontaire. En France, c’est souvent un plumet dont s’attife l’individu ; la prétendue singularité n’est qu’une bravade de l’homme ordinaire. Elle a des origines sociales et non naturelles, c’est une façon de paraître et non d’exister. Elle a des causes mondaines, et ainsi elle est déterminée d’avance par les tendances et par les modes de cette société où l’individu la manifeste. En Angleterre, au contraire, l’originalité visible de l’individu exprime sa singularité réelle […], celui qui la manifeste ainsi se moque de l’opinion, et ne se soucie pas de l’applaudissement social » (42).
Appliquée à la vie politique, la logomachie démocratique fait l’objet de deux remarques essentielles, d’une actualité étonnante, de la part de Bonnard. L’une est d’ordre général et porte sur la guerre sémantique, l’une des caractéristiques majeures du XXe siècle : « Le premier réalisme, en politique, est de connaître les démons qui sont cachés dans les mots ». L’autre est d’ordre local, et chaque jour qui passe en confirme le bien-fondé : « La France est le pays où l’on a peur des mots, comme dans d’autres on a peur des fantômes : en face de ceux qui servent d’épouvantails, il y a ceux qui servent d’appâts ».
La peur française des mots n’empêche pas de parler, bien au contraire. C’est une fausse peur soigneusement calculée qui vise à ahurir par des mots et à couper la parole, à interdire de parole ceux qui ont été préalablement désignés par certains mots employés comme des armes. Cela ne vaut pas seulement pour des termes comme “extrême droite”, “racisme”, “fascisme”, “nazisme”, devenus indéfiniment applicables et extensibles depuis 1945. À l’époque des Modérés, il était déjà admis qu’un “conservateur” est nécessairement hostile à tout “changement”, qu’un “réactionnaire” ne peut que tourner le dos à toute espèce de “progrès”, qu’un catholique convaincu est un homme prisonnier de “dogmes dépassés”, quand d’autres, les francs-maçons par exemple, ont pour eux la “tolérance” et la “liberté d’esprit”.
Mais il est vrai que ces formes de péjoration n’étaient rien en comparaison de la gigantesque imposture lexicale du soi-disant “racisme” d’aujourd’hui. En effet, si les mots avaient encore un sens dans ce pays subverti jusqu’à la moelle, le mot “racisme” devrait désigner exclusivement une idéologie affirmant le caractère central du facteur racial dans le cadre d’une tentative d’explication de l’histoire, ou bien soutenant la supériorité d’une ou plusieurs races sur les autres, et le droit subséquent des premières à exploiter, voire à exterminer les secondes. Or, tout cela n’a strictement rien à voir avec la tradition doctrinale du mouvement national en France, où les théoriciens du “racisme” n’ont jamais eu le moindre succès. Avec l’antiracisme actuel, on sort en fait de toute rationalité, de toute logique, pour tomber dans le conditionnement de masse. Comme l’a bien vu Jules Monnerot, « l’antiracisme est un racisme contre les racistes », ou, plutôt, contre ceux ainsi qualifiés. « Le groupe détesté est construit par le groupe détestateur qui sélectionne des traits réels et même, en plus, des traits imaginaires, traits qui sont l’objet de rites d’exécration et de malédictions collectives à la mode du XXe siècle réputé civilisé, surtout de malédictions médiatiques. Ce sont techniquement les plus parfaites excitations à la haine qu’on ait connues dans l’histoire de l’humanité »(43).
Rééditer Les Modérés, c’est donc aussi participer à l’entreprise de démontage du terrorisme intellectuel savamment mis en œuvre par les défenseurs des idées “généreuses”.
Enfin, il est évident que l’ouvrage de Bonnard est plus actuel que jamais si on le replace dans l’histoire de la droite française au XXe siècle. L’opposition modéré/réactionnaire sur laquelle Bonnard revient à plusieurs reprises, recoupe deux autres oppositions qui n’ont cessé de marquer le mouvement national en France : celle des “nationaux” et des “nationalistes”, celle des notables et des militants. Les réflexions de Bonnard sur les émeutes du 6 février 1934, qu’on lira au détour de plusieurs pages des Modérés, permettent déjà de comprendre ce qu’il pensait de l’agitation brouillonne des “nationaux”. Dans son Journal, il est beaucoup plus clair, c’est-à-dire beaucoup plus méprisant. C’est ainsi qu’il note à propos du colonel de La Rocque, le chef des Croix-de-Feu : « La Rocque, me dit-on, a quelque chose de fonctionnaire en lui. Non. De factionnaire. Un autre me dit : il organise des défilés. Non. Des défilades » (44).
“Le Destin n’attend pas”
Le 7 décembre 1940, Abel Bonnard écrit dans l’un des articles qu’il réunira l’année suivante sous le titre Pensées dans l’action : « Le Destin n’attend pas : dans la vie des nations comme dans celle des individus, il n’y a que de rares moments de choix, dont il faut reconnaître l’insigne importance, si l’on veut profiter pleinement des chances qu’ils nous offrent. L’Occasion est une déesse qui ne s’assied pas » (45).
Le futur successeur du latiniste Jérôme Carcopino au ministère de l’Éducation nationale du régime de Vichy, poste qu’il occupera du 18 avril 1942 au 20 août 1944, croit donc que la cuisante défaite de juin 1940 est une occasion à saisir pour répudier la démocratie et tenter de rebâtir de fond en comble un ordre français. Une espérance de renaissance a brillé un instant, à laquelle Bonnard s’est rallié, comme tant d’autres, par détestation de la démocratie et de la République, certes, mais aussi par patriotisme. On ne saurait expliquer ses choix, en revanche, par une germanophilie prononcée. Classique par son style et par sa culture, Bonnard a toujours été beaucoup plus tourné vers la Grèce, Rome ou l’Asie que vers l’Europe du Nord, et il est plus que probable que le “romantisme d’acier” cher au Dr Goebbels n’évoquait rien pour lui. Mais Bonnard a succombé aux sirènes “européanistes” de la propagande allemande et pensé — à tort — que l’Allemagne hitlérienne avait sincèrement renoncé à son pangermanisme devant les nécessités urgentes de la “croisade” antibolchevique à l’Est.
L’explication proposée par un esprit pourtant aussi fin qu’Ernst Jünger, qui mentionne Bonnard à quatre reprises dans son Second Journal parisien (1943-1945), n’est pas convaincante. En date du 31 août 1943, Jünger note : « Pourquoi Bonnard, cet homme sagace, à l’esprit clair, se perd-il dans de tels domaines de la politique ? En le voyant, j’ai pensé à ce mot de Casanova, disant qu’aux fonctions d’un ministre devait être associé un charme qu’il ne parvenait pas à comprendre, mais qui opérait sur tous ceux qu’il avait vus dans un tel poste. Au vingtième siècle, il ne reste plus que le travail et les coups de pied de l’âne que vous donne la populace, et auxquels il faut se résigner tôt ou tard » (46).
Bonnard en conseiller du Prince et homme d’influence, délaissant les croisières d’autrefois, les conversations mondaines et les lectures érudites, pour satisfaire un appétit de pouvoir et savourer encore mieux le goût bien agréable de la revanche sur un régime honni ? Peut-être, ce sont des choses qui arrivent assez souvent aux intellectuels, y compris aux plus raffinés d’entre eux. Mais il nous paraît plus juste de penser que Bonnard, qui n’avait personnellement rien à gagner à s’engager dans cette aventure et qui était très au-dessus de la foire aux vanités, s’est engagé avec l’énergie du désespoir : l’occasion offerte par l’histoire a dû lui sembler la dernière chancepour la France et l’Europe. On lit dans l’un des nombreux manuscrits qu’il a laissé inachevés, et qui date du lendemain de la Première Guerre mondiale : « … il y a une gaieté suprême dans les actions presque désespérées : ce sont en un sens les plus libres » (47).
Cette explication nous paraît confirmée par le silence quasi total de l’exil madrilène de Bonnard. Celui-ci aura vécu vingt-trois ans en Espagne (de 1945 à 1968) sans écrire aucun livre, tout en songeant vaguement à reprendre quelques projets d’ouvrages. La misère d’abord, la pauvreté ensuite connues par lui à Madrid, ne peuvent rendre compte, à elles seules, de cette stérilité. Bonnard s’est volontairement muré dans le silence, choisissant de disparaître avec son monde. Ses tout derniers écrits portent la marque d’un pessimisme et d’une misanthropie accusés. Dans le texte présenté comme son testament politique, et qui date de 1962, Bonnard écrit : « Maintenant, tout est dit. […] Désormais, les événements se font tout seuls. On est entré dans une période géologique de l’histoire, qui peut se caractériser aussi bien par des effondrements subits que par des engourdissements infinis, tandis qu’une réalité inconnue monte lentement vers la surface des choses. Tout se tient, aucun problème ne peut plus être encadré, étudié, résolu isolément par l’esprit. […] Le désastre de l’homme s’étend à toute la terre. […] Où nous avions voulu fonder un ordre, un abîme s’ouvre. Il arrive ce que nous nous étions expressément proposé d’éviter : le monde tombe dans le chaos » (48).
Le 19 février 1962, Bonnard dit, à la manière de Cioran mais avec plus de concision encore : « La Mort nous cache le regret de quitter le monde dans le bonheur de quitter les hommes » (49). Le 6 février 1966, il répond à des amis qui le sollicitent pour la réédition de l’un de ses livres : « Penser à mes papiers me fatigue, outre l’indifférence plénière, foncière, complète, absolue, océanique que j’ai pour ce que les gens peuvent penser de moi » (50).
Que les sombres pronostics de Bonnard sur l’avenir, non pas seulement de la France et de l’Europe, mais de tout ce qui mérite le nom de culture, se vérifient demain ou non, il restera ce joyau que sont Les Modérés, livre écrit dans une langue éblouissante du début à la fin, rempli de phrases à la cadence parfaite et frappées comme des maximes. Céline, qui avait un goût très sûr en matière littéraire et qui savait apprécier les écrivains les plus éloignés de lui par le style, a dit de Bonnard : « Un des plus beaux esprits français […] tout à fait dans la tradition de Rivarol ». Quant au désespoir, nous pourrons toujours lui opposer cette maxime de Bonnard, qui égale celles de la sagesse universelle : « Si l’histoire est une tragédie pour l’âme, elle reste une comédie pour l’esprit ».
► Philippe Baillet, Présentation des Modérés, éd. des Grands Classiques (ELP), 1993.
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Der Untertitel dieses Buches, Über die Unvereinbarkeit von Sozialstaat und Masseneinwanderung, ist dagegen irreführend. Das ist gut so. Zu diesem Thema gäbe es schließlich wirklich nichts mehr zu sagen. Wer bis jetzt nicht begriffen hat, daß ein Solidarsystem nur aufgrund der Exklusivität seiner Leistungen funktionieren kann, daß auf gut Deutsch „wir nicht das Sozialamt der Welt sein können“, ohne unsere Sozialsysteme durch Überbeanspruchung in den Zusammenbruch zu treiben, der wird es nie verstehen.
Zum Glück hat Rolf Peter Sieferle (1949-2016) weit mehr zu bieten als diese Trivialität. In Das Migrationsproblem versucht er das Phänomen der Masseneinwanderung innerhalb des funktionalen Rahmens der heutigen westlichen Demokratie zu erklären und geschichtlich einzuordnen. Das alles geschieht auf knappen 124 Seiten. Sieferles Problem besteht daher nicht, wie der Titel befürchten ließ, in der ewigen Wiederholung des bereits Gesagten. Im Gegenteil: Bei diesem Großessay – das Wort „Studie“ taugt hier wirklich nicht – muß er sich den Vorwurf gefallen lassen, die Masse gebündelt präsentierter Einsichten kaum zusammenhalten zu können.
Ebenso lesbar wie umfassend
Trotz des Mangels an innerer Struktur bleibt das Buch jedoch ebenso lesbar, wie es umfassend ist. Es gelingt Sieferle vom Kern seiner Erörterung, der destruktiven Wechselwirkung zwischen Sozialstaat und Einwanderung, in welcher der Sozialstaat die Einwanderer anzieht und diese den Sozialstaat überdehnen, Verbindungen in fast alle Richtungen aufzubauen.
Er beginnt mit den Ursachen der Migration und macht deutlich, daß es angesichts der Bevölkerungsexplosion der Dritten Welt keinen relevanten Unterschied zwischen Wirtschaftsmigranten und Bürgerkriegsflüchtlingen gibt. Vom welthistorisch unvermeidlichen Rückgang der „Bürgerschaftsrente“ in den alten Industrieländern geht er über zur Entlarvung der verschiedenen Narrative, mit denen die Politik der Masseneinwanderung ihr Handeln bemäntelt.
Einwanderer stoßen nicht in „leere Räume“
Insbesondere eine einfache Erkenntnis verdient es gerade auch von den Gegnern des multikulturellen Experiments zur Kenntnis genommen zu werden: Die derzeitige Masseneinwanderung hat nichts mit der rückläufigen Demographie der entwickelten Länder zu tun. Diese ist vielmehr eine gesunde Entwicklung in einer Zeit, in der das Massensterben durch Infektionskrankheiten glücklicherweise der Vergangenheit angehört.
Die „Invasoren“ (org. Sieferle) stoßen nicht in leere Räume vor. Im Gegenteil, sie ziehen normalerweise aus dünner besiedelten in dichter besiedelte Gebiete. Sieferle leugnet nicht den von Gunnar Heinsohn postulierten demographischen Druck des Jugendüberschusses, aber die komplementäre Idee eines demographischen Soges aus dem kinderarmen Europa, der ja immer ein „selber schuld“ impliziert, verweist er ins Reich der Legenden. Dasselbe gilt für die sich selbst so bezeichnende antiimperiale Ideologie, die die Armut der Dritten Welt durch angeblich ausbeuterischen Handel mit der Ersten erklärt. Als ob diese Länder nicht schon lange vor der Kolonialzeit arm gewesen wären und das Handelsvolumen der Industrieländer untereinander nicht ihren Warenaustausch mit den Entwicklungsländern um ein Mehrfaches überstiege.
Die ochlokratische Degeneration
Dabei spricht Sieferle den Europäern keineswegs die Verantwortung für ihr derzeitiges Dilemma ab. Im Gegenteil, er betrachtet ihre gegenwärtigen politischen Systeme als unreformierbar korrumpiert. Manchmal beschleicht einen dabei der Verdacht, der unspektakuläre Titel des Buches diene der Verschleierung, um zumindest das Geschrei der Sorte bundesrepublikanischer Kritikaster abzuhalten, die solch ein Buch sowieso nicht lesen, aber bei einer treffenderen Inhaltsbeschreibung schon wegen des Titels in das übliche Gekreische verfallen wären.
Sieferle sieht unsere Demokratie jedenfalls in vollem ochlokratischen Verfall, der sich an der steigenden Staatsverschuldung, die ja nichts anderes als Konsum auf Pump ist, geradezu messen lasse. Kurz erörtert er die Probleme der verschiedenen Formen staatlicher Degeneration um schließlich die Frage zu stellen, ob das chinesische System nicht besser geeignet wäre die Nachhaltigkeitsprobleme des 21. Jahrhunderts zu bewältigen.
Universalistische Ethik und tribalistische Moral
In dieser Ochlokratie wirke nun die universalistische Ethik der Gleichheitsideologie katastrophal. Das infantilisierte Volk wähle auch in der Ethik den Weg des geringsten Widerstandes und finde nichts dabei, sich durch die Aufnahme unintegrierbarer „Barbaren“ (org. Sieferle) jenes gute Gewissen zu kaufen, daß in den Wohlfahrtszonen zum Lebensstandard gehöre.
Hier liegt jedoch auch die größte Schwäche des Buches. Sieferle, der sonst weit mehr Erscheinungen erörtert, als hier behandelt werden können, schweigt sich über die Entstehung und Verbreitung der multikulturellen Ideologie aus. Sie scheint ihm vom Himmel gefallen, ein unabwendbares Schicksal der abendländischen Zivilisation. Lediglich den Nationalsozialismus macht er als Ursache aus. Hier verfällt Sieferle jenem ganz speziellen konservativen Auschwitzkult, der Hitler die Schuld am eigenen Versagen zuschiebt. Angesichts eines solchen Verhängnisses kommt es ihm gar nicht mehr in den Sinn sich zu fragen, ob die gegenwärtige metapolitische Misere nicht vielmehr das Ergebnis harter propagandistischer Arbeit der Linken war, die mit ebensolchen Anstrengungen auch in die Mülltonne der Geschichte getreten werden kann. Stattdessen nimmt das Buch entschieden defätistische Züge an.
Wieder einmal die Deutschen
Mit dem Holocaust als Ursache des Multikulturalismus stößt Sieferle auch auf eine merkwürdige Version der These vom deutschen Sonderweg, die sich durch das ganze Buch zieht. Gerade Deutschland erscheint ihm als das unangefochtene Zentrum und der Ausgangspunkt des multikulturellen Wahnsinns. Damit verglichen sei der restliche Westen noch relativ normal. In seinem anderen Nachlaßwerk, Finis Germania, wird dies noch deutlicher, gepaart mit einer für solche Ansichten nicht untypischen Anglophilie, die das gegenwärtigen England und Amerika, aber auch Frankreich als „bürgerlich-aristokratische Welt“ bezeichnet.
Angesichts des jahrzehntelang von keiner Polizei behinderten Handels pakistanischer Banden mit englischen Mädchen, den regelmäßig brennenden französischen Vorstädten und der absurden Exzesse amerikanischer social justice warriors, dürften jedoch alle auf deutsche Besonderheiten verweisenden Erklärungen der multikulturellen Ideologie schwer haltbar sein. Damit ist es freilich auch nicht möglich, sich durch den Verweis auf ein angebliches geschichtliches Verhängnis von der eigenen Handlungsverantwortung loszusprechen.
Die eigentlichen Probleme
Sehr sinnvoll ist hingegen Sieferles Einordnung des Migrationsproblems in die geschichtlichen Horizonte unserer Zeit. Angesichts seiner langjährigen Beschäftigung mit dem Thema ist es nicht verwunderlich, daß er hier vor allem an die unbewältigten energiewirtschaftlichen Fragen unserer industriellen Zivilisation denkt. Die gegenwärtige Wirtschaftsweise zerstöre rasch die eigenen Grundlagen und eine neue Nachhaltigkeit sei nur durch massive technologische Durchbrüche – und keineswegs durch Nullwachstum – möglich.
Ob ein islamisiertes oder afrikanisiertes Europa zu dieser tatsächlichen Menschheitsaufgabe seinen Beitrag wird leisten können, sei doch mehr als fraglich. Mit dieser Einordnung zeigt Sieferle das Migrationsproblem als das auf, was es letztlich ist: Ein neuer Barbarensturm, den wir angesichts drängendster anderer Probleme derzeit brauchen können wie einen Kopfschuß.
Rolf Peter Sieferle: Das Migrationsproblem. Über die Unvereinbarkeit von Sozialstaat und Masseneinwanderung. Die Werkreihe von TUMULT#01. Hg. von Frank Böckelmann. 136 Seiten.
Bildhintergrund: Regina Sieferle (privat), CC-BY-SA 4.0